Vous êtes sur la page 1sur 11

Réalisé par Hajar LYAAGAR

Lorenzaccio, Alfred de Musset


Lorenzaccio est un drame romantique en cinq actes, écrit par Alfred de Musset, sur une
idée de George Sand. Il est publié en 1834 dans le premier tome de la seconde livraison
d’Un spectacle dans un fauteuil (recueil poétique d’Alfred de Musset). Comme le montre
le titre du recueil, Lorenzaccio est un drame qui a été conçu pour être lu, et il ne sera
représenté que trente-neuf ans après la mort de Musset.

Dans cette présentation de cette œuvre théâ trale, nous allons aborder successivement
trois grands axes : premièrement, la présentation générale de la pièce ; deuxièmement,
l’analyse littéraire de celle-ci ; et, troisièmement, la dimension éducative et la valeur
humaniste de l’œuvre.

I) Présentation de la pièce
Lorenzaccio est un drame romantique qui s’inspire d’événements historiques réels et qui
met en scène un personnage à deux facettes.

1) Le drame romantique
Le drame romantique est un genre littéraire, né au XIXème siècle dans le sillage du
drame bourgeois et théorisé par Victor Hugo qui est le chef de file du mouvement
romantique. Ce genre théâ tral a été influencé par le théâ tre baroque de Shakespeare
ainsi que par les romantiques allemands. C'est un théâ tre le plus souvent historique où
se mêlent différents styles : le tragique, le pathétique, mais aussi le comique et le
burlesque.

Le drame romantique est aussi un théâ tre révolutionnaire qui se caractérise par le rejet
des règles classiques, notamment de l’unité de lieu, de temps et la règle de la bienséance,
et par le mélange des genres et des tons. En effet, Victor Hugo a défini ce genre, en 1827,
dans la préface de Cromwell, comme « le drame qui fond sous un même souffle le
grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie ». En d’autres
termes, il s’agit d’un drame qui rallie les contraires, étant donné que la réalité elle-même
est faite d’éléments contradictoires.

« Le caractère du drame est le réel ; le réel résulte de la combinaison toute naturelle de
deux types, le sublime et le grotesque qui se croisent dans le drame comme ils se
croisent dans la vie et dans la création. Car la poésie vraie, la poésie complète, est dans
l’harmonie des contraires. »

Mais, la principale caractéristique du drame romantique est, sans doute, la présence du


héros romantique. Ce personnage original qui rompt avec les personnages stéréotypés
du XVIIème siècle. C’est un héros marginal, souvent révolté, qui souffre d’insatisfaction,
d’incomplétude, ayant un état d’â me marqué par la mélancolie (vague de passions, mal
de siècle) et qui ne trouve de salut que dans l’amour ou dans la mort.

Extrait de l’incipit

1
Réalisé par Hajar LYAAGAR

« Un jardin. - Clair de lune ; un pavillon dans le fond, un autre sur le devant.
Entrent le Duc et Lorenzo, couverts de leurs manteaux ; GIOMO, une lanterne à la main.
LE DUC - Qu’elle se fasse attendre encore un quart d’heure, et je m’en vais. Il fait un froid
de tous les diables.
LORENZO - Patience, Altesse, patience.
LE DUC - Elle devait sortir de chez sa mère à minuit ; il est minuit, et elle ne vient
pourtant pas.
LORENZO - Si elle ne vient pas, dites que je suis un sot, et que la vieille mère est une
honnête femme.
LE DUC - Entrailles du pape ! avec tout cela je suis volé d’un millier de ducats.
LORENZO - Nous n’avons avancé que moitié. Je réponds de la petite. Deux grands yeux
languissants, cela ne trompe pas. Quoi de plus curieux pour le connaisseur que la
débauche à la mamelle ? Voir dans un enfant de quinze ans la rouée à venir ; étudier,
ensemencer, infiltrer paternellement le filon mystérieux du vice dans un conseil d’ami,
dans une caresse au menton ; - tout dire et ne rien dire, selon le caractère des parents ; -
habituer doucement l’imagination qui se développe à donner des corps à ses fantô mes, à
toucher ce qui l’effraie, à mépriser ce qui la protège ! Cela va plus vite qu’on ne pense ; le
vrai mérite est de frapper juste. Et quel trésor que celle-ci ! tout ce qui peut faire passer
une nuit délicieuse à Votre Altesse ! Tant de pudeur ! Une jeune chatte qui veut bien des
confitures, mais qui ne veut pas se salir la patte. Proprette comme une Flamande ! La
médiocrité bourgeoise en personne. D’ailleurs, fille de bonnes gens, à qui leur peu de
fortune n’a pas permis une éducation solide ; point de fond dans les principes, rien qu’un
léger vernis ; mais quel flot violent d’un fleuve magnifique sous cette couche de glace
fragile, qui craque à chaque pas ! jamais arbuste en fleurs n’a promis de fruits plus rares,
jamais je n’ai humé dans une atmosphère enfantine plus exquise odeur de courtisanerie.
LE DUC - Sacrebleu ! je ne vois pas le signal. Il faut pourtant que j’aille au bal chez Nasi :
c’est aujourd’hui qu’il marie sa fille.
GIOMO - Allons au pavillon, monseigneur. Puisqu’il ne s’agit que d’emporter une fille qui
est à moitié payée, nous pouvons bien taper aux carreaux », (p.2).
2) Résumé
L’histoire se déroule principalement à Florence au XVIème siècle, sous le règne du duc
Alexandre de Médicis, un jeune homme luxurieux et sans scrupules, soutenu dans sa
position par l’empereur Charles Quin et le pape. Lorenzo qui est le cousin d’Alexandre,
projette de le tuer. Mais, pour arriver à cette fin, il faut qu’il devienne l’entremetteur
vicieux du duc, chargé de dénoncer les républicains et de lui apporter les jolies filles de
Florence à son lit.

A noter que l’intrigue de ce drame est complexe étant donné que l’intrigue principale se
mêle à d’autres intrigues secondaires.

Lorenzaccio est une pièce de théâ tre qui s’inspire d’éléments historiques réels. En effet,
l’échec politique mis en scène, à travers le recours aux éléments historiques qui se sont
réellement produits en Italie, au XVIème siècle, coïncide avec l’instabilité politique de la

2
Réalisé par Hajar LYAAGAR

France au XIXème siècle et avec l’échec des idées républicaines, étant donné que la
France connait un retour de la monarchie entre 1815 et 1848 (Charles X et Louis-
Philippe). C’est de cette manière que Musset, à travers ce drame romantique, se sert de
l’Histoire italienne pour expliquer le présent français.

3) Un personnage à deux facettes

Durant sa jeunesse, Lorenzo était un étudiant paisible, il ne s’occupait que des arts et des
sciences. Il était honnête et croyait à la vertu et à la grandeur humaine, « comme un
martyr croit à son dieu ». Aussi, voulait-il être grand, semblable à un Brutus. C’est pour
cette raison qu’un jour, après vingt ans de silence, quand il était assis dans les ruines du
Colisée antique, il se lève et jure qu’un des tyrans de la patrie mourra de sa main.
D’abord, il tente de tuer Clément VII et il échoue ; ensuite, il recommence son coup avec
Alexandre de Médicis qui est son cousin et duc de Florence. Pour approcher celui-ci et lui
plaire, il a fallu jouer une comédie et porter un masque hideux, il a fallu devenir son
ruffian, le serviteur loyal de ses orgies. C’est ainsi que d’un lys pur, Lorenzo est devenu
vicieux, lâ che et un objet d’opprobre.

« LORENZO - J’ai voulu d’abord tuer Clément VII ; je n’ai pas pu le faire parce qu’on m’a
banni de Rome avant le temps. J’ai recommencé mon ouvrage avec Alexandre. Je voulais
agir seul, sans le secours aucun homme, je travaillais pour l’humanité ; mais mon orgueil
restait solitaire au milieu de tous mes rêves philanthropiques. Il fallait donc entamer par
la ruse un combat singulier avec mon ennemi. Je ne voulais pas soulever les masses, ni
conquérir la gloire bavarde d’un paralytique comme Cicéron ; je voulais arriver à
l’homme, me prendre corps à Corps avec la tyrannie vivante, la tuer, et après cela porter
mon épée sanglante sur la tribune, et laisser la fumée du sang d’Alexandre monter au
nez des harangueurs, pour réchauffer leur cervelle ampoulée », (p.66).
Quand il a pris sa résolution de tuer un despote, Lorenzo avait une vision idéaliste et
philanthropique, « je travaillais pour l’humanité », dit-il. Il était ambitieux, il rêvait d’une
république où règnent liberté et justice. Mais, en commençant l’exécution de son plan et
en se mêlant aux hommes avec son déguisement, il a vu que, de son cô té, l’humanité a
oté son masque. Les hommes n’étaient pas comme il les croyait être ; ils étaient aussi
lâ ches et aussi vicieux que le déguisement qu’il a porté.

« Je croyais que la corruption était un stigmate, et que les monstres seuls le portaient au
front. J’avais commencé à dire tout haut que mes vingt années de vertu étaient un
masque étouffant ; ô Philippe ! j’entrai alors dans la vie, et je vis qu’à mon approche tout
le monde en faisait autant que moi ; tous les masques tombaient devant mon regard ;
l’humanité souleva sa robe et me montra, comme à un adepte digne d’elle, sa
monstrueuse nudité. J’ai vu les hommes tels qu’ils sont, et je me suis dit : Pour qui est-ce
donc que je travaille ? », (p.69).
Aussi, Lorenzo, s’est-il délecté de sa vie vicieuse autant qu’il en était dégouté, car à force
de porter l’habit du fou, on finit par le devenir.
« LORENZO - Il est trop tard. Je me suis fait à mon métier. Le vice a été pour moi un
vêtement ; maintenant il est collé à ma peau. Je suis vraiment un ruffian, et quand je

3
Réalisé par Hajar LYAAGAR

plaisante sur mes pareils, je me sens sérieux comme la mort au milieu de la gaieté.
Brutus a fait le fou pour tuer Tarquin, et ce qui m’étonne en lui, c’est qu’il n’y ait pas
laissé sa raison », (p.70).
Finalement, le personnage de Lorenzo est l’incarnation du héros romantique, un
personnage mystérieux, révolté, auquel son destin échappe et dont l’esprit est divisé en
deux natures contradictoires qui font l’objet d’une lutte interne, souvent déchirante,
voire mortelle, pour le protagoniste. 
II) Analyse littéraire de l’œuvre
Après cette présentation concise de l’œuvre, passons maintenant à l’analyse littéraire de
celle-ci. Dans un premier temps, nous allons étudier la sombre vision que nous livre le
drame sur l’humanité ; ensuite, dans un deuxième temps, nous allons scruter le
déchirement de Lorenzo entre le sublime et le grotesque ; puis, dans un troisième temps,
nous allons examiner la fin tragique de l’antihéros.

1) Un tableau pessimiste sur l’humanité


Lorenzaccio est une œuvre qui livre une vision pessimiste sur la vie humaine, en
dépeignant une Florence corrompue et un éternel retour de la vicissitude.

D’une part, nous avons Florence, une ville où règnent le meurtre, l’injustice et la
débauche. Le duc Alexandre de Médicis, ainsi que ses protégés, tuent, sans raison et par
pur caprice, des personnes innocentes. De plus, la majorité des filles de cette ville sont
déshonorées, à cause du duc. Sans compter la horde des bannis que ce dernier a jeté
hors de Florence, comme c’est le cas de Maffio, un jeune homme que le duc a ordonné de
quitter la ville après avoir séduit sa sœur. Aussi, même Thomas Strozzi, ce jeune homme
brave et noble et qui est si vénéré par le peuple, finira par le trahir en s’alliant au roi de
France et en portant les armes contre sa patrie, par pure ambition.

D’autre part, nous avons le peuple vicieux et lâ che, des parents qui vendent eux-mêmes
leurs filles au duc, et qui se plaignent, en catimini, du mal, sans jamais oser se soulever
contre l’injustice.

« LORENZO - Et me voilà dans la rue, moi, Lorenzaccio ? et les enfants ne me jettent pas
de la boue ? Les lits des filles sont encore chauds de ma sueur, et les pères ne prennent
pas, quand, je passe, leurs couteaux et leurs balais pour m’assommer ! Au fond de ces dix
mille maisons que voilà , la septième génération parlera encore de la nuit où j’y suis
entré, et pas une ne vomit à ma vue un valet de charrue qui me fende en deux comme
une bû che pourrie ? L’air que vous respirez, Philippe, je le respire ; mon manteau de soie
bariolé traîne paresseusement sur le sable lin des promenades ; pas une goutte de
poison ne tombe dans mon chocolat ; que dis-je ? ô Philippe ! les mères pauvres
soulèvent honteusement le voile de leurs filles quand je m’arrête au seuil de leurs portes
; elles me laissent voir leur beauté avec un sourire plus vil que le baiser de judas, tandis
que moi, pinçant le menton de la petite, je serre les poings de rage en remuant dans ma
poche quatre ou cinq méchantes pièces d’or », (p.68).

4
Réalisé par Hajar LYAAGAR

« LORENZO - Soit, - mais souviens-toi de ceci. Vois-tu dans cette petite maison cette
famille assemblée autour d’une table ? ne dirait-on pas des hommes ? Ils ont un corps, et
une â me dans ce corps. Cependant, s’il me prenait envie d’entrer chez eux, tout seul,
comme me voilà , et de poignarder leur fils aîné au milieu d’eux, Il n’y aurait pas un
couteau de levé sur moi », (p.71).
De plus, quand le meurtre a été exécuté et Alexandre de Médicis tué, le peuple a été,
comme il le prévoyait Lorenzo, aussi lâ che qu’indifférent. Ni les républicains, ni le peuple
n’ont fait un pas vers la liberté, ils se sont résignés et ont applaudit l’arrivée de Cô me de
Médicis, un parent proche d’Alexandre, qui est devenu le nouveau duc de Florence.
Quant à Lorenzo, il a été tué, mis en pièces, par l’humanité même pour laquelle il
travaillait.

Sans omettre que vers la fin de l’acte IV, l’intrigue dramatique centrale semble être
terminée avec la mort du duc Alexandre de Médicis et surtout avec la formule adressée
par Lorenzo à Scoronconcolo, son spadassin : « Attends ! Tire ces rideaux » (scène XI,
acte IV), formule qui opère une sorte de mise en abyme (le théâ tre à l’intérieur du
théâ tre) et qui marque une fin factice à l’action. Cependant, dans l’acte suivant, le
mouvement reprend avec un grand débat entre les seigneurs de Florence qui
s’empressent pour nommer un nouveau duc. En conséquence, nous avons le retour de la
monarchie et du vice après le meurtre d’Alexandre ; ce qui donne l’impression d’un
retour au commencement.

2) Lorenzo : un personnage tiraillé entre le sublime et le grotesque


En effet, Lorenzo est un personnage double, énigmatique qui cache, par sa sombre
ironie, sa profonde tristesse. C’est un personnage idéaliste qui n’a pas voulu se contenter
d’une vie simple et paisible. C’est un rêveur qui a été conduit jusqu’à la schizophrénie
pour réaliser son rêve. Au moment où il ne voulait porter qu’un déguisement pour
arriver à son but, le déguisement s’est collé à son être pour devenir sa deuxième nature.
Mais ne pouvant souffrir ni son masque hideux ni la réalité exécrable de l’humanité, son
dégoû t, à la fois, de soi et des autres, l’a poussé jusqu’à l’autodestruction.

A vrai dire, après avoir connu les hommes, Lorenzo a su fermement que son meurtre
sera inutile, car il était persuadé que ni les républicains ni le peuple ne feront rient pour
établir la république. Mais il a voulu quand même l’exécuter, pour rétablir son honneur
et pour laisser, à travers son épée couverte de sang du tyran, une trace inébranlable
pour l’humanité.

« Que les hommes me comprennent ou non, qu’ils agissent ou n’agissent pas, j’aurai dit
aussi ce que j’ai à dire ; je leur ferai tailler leurs plumes si je ne leur fais pas nettoyer
leurs piques, et l’humanité gardera sur sa joue le soufflet de mon épée marqué en traits
de sang. Qu’ils m’appellent comme ils voudront, Brutus ou Erostrate, il ne me plaît pas
qu’ils m’oublient. Ma vie entière est au bout de ma dague, et que la Providence retourne
ou non la tête, en m’entendant frapper, je jette la nature humaine à pile ou face sur la
tombe d’Alexandre ; dans deux jours les hommes comparaîtront devant le tribunal de
ma volonté », (p.72).

5
Réalisé par Hajar LYAAGAR

Pourquoi tuer Alexandre de Médicis ? cela est étrange. Alexandre était un despote, un
homme vil, lubrique et dissolu. Il a, certes, fait mal au peuple, mais, à Lorenzo, il n’a fait
que du bien, du moins à sa manière.

En fait, la résolution du meurtre était devenue une obsession, voire une monomanie,
pour Lorenzo. Toute sa vie reposait sur ce meurtre, et de lui qu’elle tirait son sens. Tout
mécréant qu’il était, il se sentait comme poussé vers ce meurtre par une sorte de fatalité
étrange. Il fallait qu’il devienne un Brutus.

Aussi, au moment où il a tué Alexandre, a-t-il retrouvé pour un instant l’ancien Lorenzo
qu’il était.

« LORENZO - S’asseyant sur le bord de la fenêtre. Que la nuit est belle ! que l’air du ciel
est pur ! Respire, respire, cœur navré de joie ! (..) Que le vent du soir est doux et
embaumé ! comme les fleurs des prairies s’entrouvrent ! ô nature magnifique ! ô éternel
repos ! (..) Ah ! Dieu de bonté ! quel moment ! », (p.103).
Ne serait-ce, d’ailleurs, que pour ces bribes de joie ressentis, pour cet instant d’ivresse
évanescente, qu’il a exécuté son acte quasiment inutile ? Cependant, cet élan optimiste
s’est vite mu en humeur chagrine et maussade, en voyant que ses prédictions se sont
réalisées.

« LORENZO- J’en conviens ; que les républicains n’aient rien fait à Florence, c’est là un
grand travers de ma part. Qu’une centaine de jeunes étudiants, braves et déterminés, se
soient fait massacrer en vain ; que Cô me, un planteur de choux, ait été élu à l’unanimité ;
oh ! je l’avoue, je l’avoue, ce sont là des travers impardonnables, et qui me font le plus
grand tort », (p.119).
3) Une fin tragique de l’antihéros
Par ailleurs, Lorenzo qui devait normalement devenir un héros après avoir délivré le
peuple en tuant son tyran, le Conseil des Huit ordonne son arrestation pour le meurtre
perpétré et met un prix sur sa tête. Ainsi, ce dénouement maussade met en exergue la fin
tragique de l’antihéros qui mourra disgracieusement par la main du peuple qui était
censé l’honorer et le proclamer son sauveur.

Mais, Lorenzo a-t-il aussi programmé sa propre mort ? Après la proclamation de mort
mise contre lui, Lorenzo se promenait comme si rien n’était, sans aucune volonté de se
cacher, de fuir, ni aucun espoir en la vie, il est devenu mélancolique et creux, « (…) il n’y
a de changé en moi qu’une misère : c’est que je suis plus creux et plus vide qu’une statue
de fer blanc » (p.118), car la résolution du meurtre qui ranimait son être jusque-là et le
poussait à vivre, a disparu.
De plus, quand Philippe Strozzi lui parlait de sa jeunesse, de la vie et de la nécessité de
fuir l’Italie, Lorenzo a répondu : « J’étais une machine à meurtre, mais à un meurtre
seulement » (p.119).

6
Réalisé par Hajar LYAAGAR

« PHILIPPE - N’avez-vous pas été heureux autrement que par ce meurtre ? Quand vous
ne devriez faire désormais qu’un honnête homme, qu’un artiste, pourquoi voudriez-vous
mourir ?
LORENZO - Je ne puis que vous répéter mes propres paroles. Philippe, j’ai été honnête.
Peut-être le redeviendrais-je sans l’ennui qui me prend. J’aime encore le vin et les
femmes ; c’est assez, il est vrai, pour faire de moi un débauché, mais ce n’est pas assez
pour me donner envie de l’être. Sortons, je vous en prie », (p.119).
Finalement, Lorenzo est un protagoniste sombre et rêveur, idéaliste et cynique, ayant
une â me pure dans un corps abject et qui, peut-être, ne trouve autrement de repos que
dans le trépas. Or, mis-à -part le tableau pessimiste brossé dans cette œuvre, ainsi que le
portrait singulier de ce personnage romantique, en quoi réside, précisément, la
dimension éducative et humaniste de ce drame ?
III) Dimension éducative et valeur humaniste de l’œuvre
Lorenzaccio est une pièce de théâ tre très dense, ayant une dimension didactique, vu
qu’elle est traversée par de nombreuses remises en question, elle incite à la réflexion et
transmet, delà , des leçons de conduite au lecteur.

1) Critique de la société de privilèges par naissance, de la


monarchie et du pouvoir de l’église
D’une part, nous avons la critique de la noblesse que nous apercevons au tout début de
la pièce, avec le bal fait par la famille Nasi. Derrière le faste et la somptuosité de cette
mascarade, l’auteur dénonce, par le biais du dialogue entre le marchand d’étoffes et
l’orfèvre, les travers de cette classe sociale que le peuple « porte sur le dos ». Ce sont des
gens, qui malgré leur immense fortune, sont peu soucieux de payer les étoffes avec
lesquelles ils paradent ostensiblement dans les bals.

« L’ORFEVRE - Il en danse plus d’une qui n’est pas payée, voisin ; ce sont celles-là qu’on
arrose de vin et qu’on frotte sur les murailles avec le moins de regret. Que les grands
seigneurs s’amusent, c’est tout simple, - ils sont nés pour cela ».

Sans omettre qu’il s’agit d’une classe sociale extrêmement oisive, qui n’a d’autres
occupations que d’organiser des bals, s’énivrer et s’amuser ; au temps que le peuple doit
travailler durement pour payer leurs caprices.

« L’ORFEVRE – (…) un bon verre de vin vieux a une bonne mine au bout d’un bras qui a
sué pour le gagner ; on le soulève gaiement d’un petit coup ; et il s’en va donner du
courage au cœur de l’honnête homme qui travaille pour sa famille. Mais ce sont des
tonneaux sans vergogne que tous ces godelureaux de la cour. A qui fait-on plaisir, en
s’abrutissant jusqu’à la bête féroce ? A personne, pas même à soi, et à Dieu encore
moins ».
« L’ORFEVRE - La Cour ! le peuple la porte sur le dos (…) Que le diable emporte la noce,
ceux qui y dansent et ceux qui la font ! »
D’autre part, la critique de la monarchie et du pouvoir de l’église apparait explicitement
à travers le rêve de l’établissement de la république chez Lorenzo, ainsi que chez la secte

7
Réalisé par Hajar LYAAGAR

des républicains. Ce rêve d’une république démocratique où règnent liberté et justice,


contrastait évidemment avec la réalité pénible d’une monarchie pesante, dirigée par un
despote et soutenue par un pape corrompu.

« L’ORFEVRE - Mais il y a de par le monde deux architectes mal avisés qui ont gâ té
l’affaire, je vous le dis en confidence, c’est le pape et l’empereur Charles. L’empereur a
commencé par entrer par une assez bonne brèche dans la susdite maison. Après quoi, ils
ont jugé à propos de prendre une des colonnes dont je vous parle, à savoir celle de la
famille Médicis, et d’en faire un clocher, lequel clocher a poussé comme un champignon
de malheur dans l’espace d’une nuit. (…). Les familles florentines ont beau crier, le
peuple et les marchands ont beau dire, les Médicis gouvernent au moyen de leur
garnison ; ils nous dévorent comme une excroissance vénéneuse dévore un estomac
malade ; c’est en vertu des hallebardes qui se promènent sur la plate-forme, qu’un
bâ tard, une moitié de Médicis, un butor que le ciel avait fait pour être garçon boucher ou
valet de charrue, couche dans le lit de nos filles, boit nos bouteilles, Casse nos vitres ; et
encore le paye-t-on pour cela ».
Sans compter que les hommes de l’église sont fortement discrédités dans cette pièce.
Etant donné que la majorité d’entre eux sont représentés comme des gens vicieux et des
faux-dévots qui usent de la religion comme un moyen pour acquérir le pouvoir et
exécuter leurs projets odieux. Le principal exemple est, sans doute, illustré par le
personnage du Cardinal de Cibo qui, désireux de manipuler le duc, incitait sa belle-sœur
La Marquise de Cibo à devenir la maîtresse de ce dernier, tout en la menaçant de la
dénoncer à son mari, au cas où elle refuserait.
« LE CARDINAL - Pourquoi le duc vous quittait-il d’un pas si nonchalant, et en soupirant
comme un écolier quand la cloche sonne ? vous l’avez rassasié de votre patriotisme, qui,
comme une fade boisson, se mêle à tous les mets de votre table ; quels livres avez-vous
lus, et quelle sotte était donc votre gouvernante, pour que vous ne sachiez pas que la
maîtresse d’un roi parle ordinairement d’autre chose que de patriotisme ?
LA MARQUISE - J’avoue que l’on ne m’a jamais appris bien nettement de quoi devait
parler la maîtresse d’un roi ; j’ai négligé de m’instruire sur ce point, comme aussi, peut-
être, de manger du riz pour m’engraisser, à la mode turque.
LE CARDINAL - Il ne faut pas une grande science pour garder un amant un peu plus de
trois jours.
LA MARQUISE - Qu’un prêtre eû t appris cette science à une femme, cela eû t été fort
simple ; que ne m’avez-vous conseillée ?
LE CARDINAL - Voulez-vous que je vous conseille ? Prenez votre manteau, et allez-vous
glisser dans l’alcô ve du duc. S’il s’attend à des phrases en vous voyant, prouvez-lui que
vous savez n’en pas faire à toutes les heures ; soyez pareille à une somnambule, et faites
en sorte que s’il s’endort sur ce cœur républicain, ce ne soit pas d’ennui. Etes-vous vierge
? n’y a-t-il plus de vin de Chypre ? n’avez-vous pas au fond de la mémoire quelque
joyeuse chanson ? n’avez-vous pas lu l’Arétin ?
LA MARQUISE - ô Ciel ! j’ai entendu murmurer des mots comme ceux-là à de hideuses
vieilles qui grelottent sur le Marché-Neuf. Si vous n’êtes pas un prêtre, êtes-vous un

8
Réalisé par Hajar LYAAGAR

homme ? Etes-vous sû r que le ciel est vide, pour faire ainsi rougir votre pourpre elle-
même ? », (p.88).
En effet, le Cardinal est un personnage manipulateur et ambitieux qui veut régner
derrière les rideaux en manipulant Alexandre de Médicis, à travers sa belle-sœur à qui il
assigne l’infâ me tâ che de régner sur le cœur de ce dernier, cependant la marquise refuse
et avoue tout à son mari. Quant au Cardinal, une fois Alexandre est mort, il va réaliser
ses prétentions, en régnant à travers Come de Médicis, ce nouveau jeune duc qui
deviendra son pantin.
2) Une réflexion sur l’art
Dans l’acte II, Lorenzo rencontre un peintre Tebaldeo qu’il va taquiner en lui disant qu’il
lui ferait peindre une courtisane toute nue, mais celui-ci refuse en déclarant qu’il ne veut
pas souiller son art. Pourtant, il va accepter le fait de peindre une ville corrompue et par
la suite faire même le portrait du despote lui-même, celui d’Alexandre de Médicis.
« LORENZO - Viens chez moi ; je te ferai peindre la Mazzafirra toute nue.
TEBALDEO - Je ne respecte point mon pinceau, mais je respecte mon art ; je ne puis faire
le portrait d’une courtisane.
LORENZO - Ton dieu s’est bien donné la peine de la faire ; tu peux bien te donner celle
de la peindre. Veux-tu me faire une vue de Florence ?
TEBALDEO - Oui, monseigneur.
LORENZO - Comment t’y prendrais-tu ?
TEBALDEO - Je me placerais à l’orient, sur la rive gauche de l’Arno. C’est de cet endroit
que la perspective est la plus large et la plus agréable.
LORENZO - Tu peindrais Florence, les places, les maisons et les rues ?
TEBALDEO - Oui, monseigneur.
LORENZO- Pourquoi donc ne peux-tu peindre une courtisane, si tu peux peindre un
mauvais lieu ?
TEBALDEO - On ne m’a point encore appris à parler ainsi de ma mère.
LORENZO - Qu’appelles-tu ta mère ?
TEBALDEO - Florence, seigneur.
LORENZO - Alors tu n’es qu’un bâ tard, car ta mère n’est qu’une catin. », (p.32).
Ce passage remet en cause les dogmes et soulève la question de la philosophie et de l’art.
Peut-on refuser de peindre une mauvaise personne ou un mauvais lieu au nom de la
religion ou de la morale ? L’art doit-il représenter uniquement et exclusivement le beau
et le sublime ? D’ailleurs qu’est-ce que le beau ? L’art n’a-t-il pas la vocation de
représenter le monde ? Et le monde n’est-il pas souvent odieux ? N’est-ce pas la vocation
de l’art de le rendre beau ? Si la liberté est un droit pour tous les humains sans
exception, elle est aussi une exigence artistique. L’art, comme les hommes, il est ou libre
ou n’est rien. Encore, l’art est-il éclectique. Etant donné qu’il met en scène le noble et le
roturier, le sublime et le grotesque, le dévot et l’impie, le bien et mal, le beau et la
laideur, et enfin, la chaste et la courtisane.
3) Moralité du drame

9
Réalisé par Hajar LYAAGAR

A travers Lorenzaccio, j’ai pu souligner deux morales majeures : d’abord, l’assassinat du


tyran n’est pas la solution pour arrêter le mal et rétablir la justice ; ensuite, l’honneur
n’est pas si vulnérable pour être souillé par les insultes d’autrui.
En effet, comme nous l’avons déjà vu, après la mort d’Alexandre, on a tout simplement
élu un autre duc de Florence. Le rêve de la république ne peut donc se réaliser
uniquement par le meurtre du despote, sans la mobilisation du peuple. Ainsi, l’assassinat
du tyran était absurde, vu qu’il n’a mis fin ni à la monarchie, ni au mal, puisque le cercle
vicieux de celui-ci continue son tour sans se briser, semblable au mythe de Sisyphe qui
est condamné à pousser une pierre au sommet d’une montagne, d’où elle finit toujours
par retomber.
En revanche, à travers la dispute qui s’est déclenchée entre Les Strozzi et Salviati, à
cause de la manière offensante avec laquelle celui-ci s’est exprimé sur le compte de
Louise Strozzi, en déclarant, sans honte et sans vergogne, devant son frère, qu’il
coucherait avec elle, nous remarquons comment les disputes sanguinaires peuvent se
déclencher par le biais des propos les plus frivoles ; et, nous apprenons, de ce fait, les
ennuis qui peuvent résulter, quand on se laisse provoquer par toute personne qui nous
insulte, étant donné que les deux frères Strozzi vont être emprisonnés, à cause de leur
tentative de tuer Salviati, quant à la jeune Louise, elle mourra empoisonnée.
« PHILIPPE - Moi, un banni ! moi dans un lit d’auberge à mon heure dernière ! ô Dieu !
tout cela pour une parole d’un Salviati ! », (p.63).
« PHILIPPE - Ah ! Léon, Léon, je te le demande, qu’y aurait-il de changé pour Louise et
pour nous-mêmes si tu n’avais rien dit à mes enfants ? La vertu d’une Strozzi ne peut-
elle oublier un mot d’un Salviati ? L’habitant d’un palais de marbre doit-il savoir les
obscénités que la populace écrit sur ses murs ? Qu’importe le propos d’un julien ? Ma
fille en trouvera-t-elle moins un honnête mari ? ses enfants la respecteront-ils moins ?
M’en souviendrai-je, moi, son père, en lui donnant le baiser du soir ? Où en sommes-
nous, si l’insolence du premier venu tire du fourreau des épées comme les nô tres ?
Maintenant tout est perdu ; voilà Pierre furieux de tout ce que tu nous as conté. Il s’est
mis en campagne ; il est allé chez les Pazzi. Dieu sait ce qui peut arriver ! Qu’il rencontre
Salviati, voilà le sang répandu ; le mien, mon sang sur le pavé de Florence ! Ah ! pourquoi
suis-je père ? », (p.46, 47).
Encore, cette histoire soulève-t-elle la question de l’honneur et la facilité de sa violation
dans la société. Est-ce par une insulte que l’honneur d’une fille ou d’une famille serait
souillé ? L’honneur est-il à ce point vulnérable ? Ce qui est certain, c’est que l’insulte ne
peut nous atteindre que si on le lui permet, que si on la laisse nous provoquer.

Ainsi, derrière ce drame où se mêlent de multiples tonalités, Musset sous-tend des


critiques virulentes et soulèvent divers questionnements relatifs à la politique, à la
justice, à l’art, à la conduite, … C’est dans cette mesure que cette pièce est jugée féconde,
instructive.
Conclusion
Pour conclure, Lorenzaccio est une œuvre où tous les contrastes se relient
harmonieusement pour former une pièce de théâ tre romantique, réaliste et inédite. Loin

10
Réalisé par Hajar LYAAGAR

des deux univers séparés de la comédie et de la tragédie classique, le drame romantique


offre une scène où la cour et le peuple se rencontrent, où le sublime et le grotesque
s’unissent. C’est un drame qui plait par sa dimension ironique et fait réfléchir par son
cô té tragique. Aussi, le héros romantique est-il un héros du monde, avec ses vices et ses
vertus, sa bassesse et sa grandeur. C’est finalement une œuvre ficelée par les fils de la
réalité elle-même et qui, delà , permet de désabuser le lecteur.

11

Vous aimerez peut-être aussi