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21 avril 2021

Enquêtes par Antoine Dreyfus et Olivier-Jourdan


Roulot

The Camp : crash en vue pour le phare de la startup nation

Ovni planté en pleine garrigue à vol de drone de la gare TGV d’Aix-en-Provence, The Camp
devait être le fer de lance de la French tech. Sous le parrainage de bonnes fées du CAC 40,
de l’État, de la macronie et des élus locaux, il s’agissait d’inventer le futur, rien de moins.
Sous coma artificiel, l’activité du campus a été prolongée sous pression des collectivités,
affolées à l’idée de perdre les millions investis. Histoire d’un gouffre, dont les contribuables
sont les premières victimes.

Une visite comme un rendez-vous manqué… Ce jeudi 26 mars, aux portes de The Camp, il y a un
malentendu. Envoyé par Provence promotion, l’agence de développement de la métropole Aix-Marseille
Provence, le carton d’invitation promettait de toucher du doigt un « nouveau modèle français » « au cœur
d'un espace qui a entamé sa mue pour devenir la Capitale d'affaires française du futur ». Et notamment, au
programme de cette visite de presse, une « rencontre à The Camp avec des dirigeants qui ont fait le choix de
s'implanter en Provence » pour des « retours d'expérience d'entrepreneurs et de talents qui ont quitté
Londres, San Francisco et Paris pour lancer des activités nouvelles à l'échelon international ». Alléchant,
forcément. Sauf que... c’était la veille. Loupé.
Ce jour-là, à l’accueil, les agents de sécurité tiquent - plan Vigipirate oblige. Ils finissent par nous laisser
entrer respirer l’air du futur. Nous resterons trois heures pour quelques prises de vues, seuls ou presque au
milieu d’une sorte de vestige design à la gloire du capital et du numérique. Avec l’impression d’être des
touristes perdus devant un de ces monuments de l’ère soviétique figés dans le temps, dans leurs rêves de
gloire et leur monumentale mélancolie. Lost in translation...
Écrire qu’il n’y a personne dans les couloirs est injuste : il n’y a pas de couloirs à The Camp. Tout est en
rondeur, en verre, toile et béton. Le genre de lieu qui en met plein la vue. Il y a même une piscine
bioclimatique, c’est dire, un terrain de beach volley, une salle de sport, de l’ombre et des plantes.
L’agence Vezzoni , du nom de l’architecte marseillaise qui a signé le bâtiment, a bien fait les choses. C’est
très beau mais vide. Sur une matinée entière, on aura croisé une demi-douzaine de personnes maximum,
dont deux consultants (externes), le fils d’un dirigeant et trois employés. Sans oublier - c’est impossible - le
portrait dans le hall du fondateur, Frédéric Chevalier, disparu juste avant l’inauguration dans un accident
de la route. L’impression est étrange, forcément. Et flippante, pour dire les choses. Surtout quand on a en
mémoire les discours prononcés au berceau du projet, annonçant une véritable fourmilière. The Camp était
« vendu » comme la Silicon valley française. Un lieu pour inventer, sous le soleil exactement et au son des
cigales, la société de demain. Le génie français était de retour, le monde entier allait débarquer. On allait
voir ce qu’on allait voir.
Pour cet embarquement pour le futur, mis sur orbite en 2017, on se presse autour du berceau. C’est même
l’embouteillage. Ils sont tous là, sur la photo et au bas des éléments de communication : entrepreneurs
précédés d'une réputation flatteuse, grands groupes, opérateurs nationaux, collectivités, French tech
(l’avant-garde de la start-up nation, « cet écosystème qui bouillonne »...), services de l'Etat.
L’investissement est à la hauteur, également : 85 millions d’euros au total dont 40 pour financer 12 000 m2
de bâtis, avec des partenaires financiers dont plusieurs du CAC 40 (Accor, Air France-KLM, Sodexo, CMA-
CGM, Vinci immobilier, Vinci construction, SNCF Gare & connexions, etc.), des banques (Crédit Agricole,
Caisse d’Épargne, Caisse des dépôts), des collectivités territoriales, la Chambre de commerce et d’industrie
Marseille-Provence et un apport de Frédéric Chevalier – l’homme/icône du hall d’entrée, qui avait fondé
(puis vendu) au début de la décennie 90 le groupe de communication HighCo.
"Le camp de base de ceux qui vont explorer l'avenir"

Ça devait être la révolution en marche, donc. « The Camp est le camp de base de ceux qui vont explorer
l'avenir » entend-on, alors. Jean-Claude Bailly en fut le président éphémère. Des trémolos dans la voix, l’ex-
patron de La Poste lançait même : « The Camp est un projet humaniste ! »
Aujourd’hui, c’est une coquille vide. Un « courant d’air », selon le mot d’un chef d’entreprise marseillais.
The Camp, c’est The Crash…

Vaisseau amiral de la macronie

Retour en arrière. En juillet 2016, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, débarque à Aix-en-
Provence pour veiller sur la gestation du projet, alors en chantier. Équipé d’un casque de réalité
virtuelle, l’ancien banquier d’affaires s’offre un survol du site (virtuel, donc), dont la livraison est attendue
pour 2017. Il est déjà venu sur place l’année précédente (en 2015) lancer les grands travaux. Sous le casque,
Emmanuel Macron a une vision. Pour lui et pour la France.
Le patron de Bercy n’est pas encore Jupiter mais les bases de la start-up nation sont déjà là. « Face à un
monde de plus en plus destructif, théorise le futur chef de l’État, il faut accélérer, avoir des structures
légères pour aller plus loin (…) La France a besoin de femmes et d’hommes qui prennent des risques ». A ses
côtés, Frédéric Chevalier boit du petit lait devant ce tableau qui semble dessiner en creux son portrait.
« Le monde bouge et cela oblige à de profonds changements », lance l’homme d’affaires, au sujet « d’un lieu
de formation, d’acculturation, un lieu transdisciplinaire, transculturel et transgénérationnel ». « Les progrès
réalisés lors des 20 prochaines années seront plus importants que ceux réalisés pendant des siècles »,
annonce-t-il, prophétique.
Également présent, Pierre-René Lemas, patron de la Caisse des dépôts et consignations, bras armé de l’État
en matière économique, a compris le message. Tous les deux énarques, le préfet Lemas et Emmanuel
Macron se connaissent bien : le second était l’adjoint du premier de 2012 à 2014 au secrétariat général de la
présidence de la République, sous Hollande. « Nous investissons car nous sommes sûrs que ce projet sera
rentable, assène le directeur général de la Caisse des dépôts, non seulement économiquement mais aussi sur
le plan humain, environnemental ». « The Camp marque un véritable succès de la « saison deux » de la
French tech », s’emballe le ministre Macron.
Macron 1er (de cordée) et les autres, « dans le design d’une expérience globale »… (vidéos de promotion de The
Camp)
Sur le moment, on ne comprend pas tout : quoi s’agit-il, au juste ? D’imaginer la ville du futur ? D’incuber
des start-up ? Développer des produits high tech ? Ou peut-être tout ça à la fois, ou encore autre chose ?...
Peu importe. Le milieu économique aixo-marseillais et les élus présents ce jour-là rayonnent. Chacun est en
persuadé : il se passe quelque chose. Ceux qui sont là partagent un même sentiment. Un truc grisant, qui
vous laisse euphorique : celui d’en être. On se sourit, on parle disruption ou friction, on s’auto-congratule,
on trinque à l’avenir – radieux, forcément.
Opposant historique à Maryse Joissains, maire LR d’Aix-en-Provence depuis deux décennies, Lucien-
Alexandre Castronovo se souvient de l’ambiance de l’époque. Cet enthousiasme débordant, il l’a touché du
doigt par ricochet lors des séances du conseil territorial : « The Camp ? Tous les élus étaient pour, rappelle
ce vieux routier de la politique locale. Frédéric Chevalier était une personnalité reconnue, il s’agissait de
développer la métropole en faisant du développement durable. En plus, il y avait la technopole autour,
installée depuis 20 ans. Tout cela paraissait cohérent. »
Habile à sentir les choses, Maryse Joissains ne rate jamais une occasion de répéter combien The Camp va
apporter à la Provence. Elle prêche en terrain conquis. Chevalier superstar !

Un destin fracassé dans un virage

Le vendredi 21 juillet 2017, dans l’après-midi, Frédéric Chevalier se tue à moto dans l’arrière-pays à 52 ans,
sur la route de Cabriès. Le choc. Les hommages tombent de partout pour saluer « l’entrepreneur de génie »
et le « visionnaire ». Renaud Muselier, président LR de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (qui a hérité
d’un dossier lancé par son prédécesseur, le socialiste Michel Vauzelle), exprime sa « tristesse » comme le
porte-parole du gouvernement Christophe Castaner, celle du patron des patrons Pierre Gataz est « très
grande », son futur successeur Geoffroy Roux de Bézieux salue un « entrepreneur génial », Jean-Claude
Gaudin, le maire LR de Marseille, confie son « immense émotion ». Même Marsactu, poil à gratter de la
presse locale, se fend d’un mot pour celui qui, un temps, fut son financeur.
Cinq jours plus tard, la cathédrale d’Aix est recueillie, pour un dernier adieu. Le souci c’est que le patron
« charismatique » que tout le monde pleure a pris, trop vite, un virage connu des motards pour provoquer
des sensations fortes. Et qu’il a aussi tué une adolescente, Alexia, presque 15 ans. Carmela et Karim Belaid,
ses parents, sont anéantis. Ils vont se battre trois ans dans un sentiment d’abandon pour, enfin, faire
reconnaître la non-responsabilité de leur fille dans l’accident. Les assurances ont payé. Le dossier n’a jamais
été judiciarisé. Et pas un mot des édiles pour la gamine…
La vie continue, et les affaires avec. The show must go on. Claironné partout, l’enjeu est trop important.
Homme providentiel ou pas, Aix, la Provence et la France auront leur phare. The Camp doit exister. Mais
après ce coup de massue, comment rebondir ? Il faut parer au plus urgent. Un président par intérim, Jean-
Claude Bailly, l’ex-boss de La Poste, est nommé. Le business reprend doucement. Le 28 septembre 2017,
The Camp ouvre enfin. La fête est belle, la fusée est lancée.

Saison 2, Mounir brosse et dort à The Camp

A l’Élysée, où Emmanuel Macron s’est installé, on couve toujours le projet de près. En juillet 2018, Mounir
Mahjoubi délocalise son cabinet trois jours durant sur place. De quoi montrer qu’il est toujours en pointe,
donc là où ça se joue. Jamais en mal d’inspiration, le secrétaire d’État en charge du numérique débarque
donc avec sa valise et sa brosse à dents. Derrière, il s’agit de vendre la French tech, l’outil/label piloté par
l’État pour faire émerger la start-up nation. La chasse aux (futures) licornes est ouverte. Ça tombe bien,
Mahjoubi entend passer la seconde. Reprenant l’injonction jupitérienne, il l’explique à La Provence, qui a
dépêché son reporter pour saluer l’évènement : « Pendant 5 ans, la French tech a eu pour but de faire
émerger des start-up, on en a plus de 10 000 en France. Maintenant cette nouvelle phase, cette saison 2,
c’est passer de l’éclosion à l’envol. »
Devant la presse locale, le ministre mouille la chemise et donne de lui : Mounir précise qu’il va dormir sur
place ; Mounir dans un data center ; Mounir, très pro mais très cool, répond à des étudiants au cours d’une
interview « pop-corn » (sic) surréaliste : « On est une équipe de X-Men. Le professeur Xavier pourrait être
le président. Il prend les décisions pour gérer le pays et nous menons son projet. »
Une équipe de... quoi ? De... X-Men ? Sérieusement ?

"On n'a pas besoin de mots, on veut de l'impact !"

Si Mahjoubi reste indépassable, un modèle du genre, ses collègues de l’équipe X-Men embrayent. Les
ministres défilent : un jour Muriel Pénicaud, en charge du Travail, pour décrire à l’été 2019 « le côté ruche »
et les « fertilisations croisées », nourries de « toutes ces rencontres probables et improbables » qu’elle a
immédiatement perçues. Jean-Yves Le Drian, lui, a sa vision. Enfin une variante, exprimée un an et demi
plus tôt : lui parlait d’une « fertilisation très stimulante ». On apprécie la nuance. Une autre fois, voilà Jean-
Baptiste Lemoyne, son secrétaire d’État aux affaires étrangères, qui vient carrément « montrer la voie aux
leaders du G7 à Biarritz », parce qu’il a vu ici « des projets concrets qui ont de l'impact ». Et puis, le même le
souligne : « on n’a pas besoin de mots, on veut de l'impact ! »
A un tel niveau, on est effectivement à des sommets, on n’a pas besoin non plus d’être à Biarritz. Difficile de
faire plus creux. Or plus ça flotte, plus c’est creux, et réciproquement - la règle ne ment jamais. Et puis
quand l’homme de la saison 2 Mounir Mahjoubi n’est plus là pour délivrer de fortes pensées, son successeur
au numérique vient à son tour éclairer le présent. En juillet 2019, Cédric O explique combien The Camp est
une réussite : « On voit que ça marche ! », lance-t-il, engagé dans son « French tech tremplin ». Paroles
d’expert, là encore.

Virtuel vs réel, The match

Problème, il y a la réalité. Elle est cruelle car les résultats, qui ne se paient de mots, sont catastrophiques. A
l’opposé des propos grandiloquents déposés en-veux-tu-en-voilà.
Retour au réel, donc... Depuis la mort de son fondateur, The Camp ne décolle pas. Agissant comme un
révélateur, la crise du Covid l’achève. Le site se vide pendant que d’autres lieux numériques moins
ambitieux, à Marseille, fonctionnent.
En février dernier, à la suite d’une alerte des commissaires aux comptes, les banques et les héritiers
Chevalier se retrouvent devant le tribunal de commerce. On est au bord de la rupture. Serge Magdeleine, le
DG du Crédit agricole Alpes Provence, prend le dossier en mains. Il pèse au sein de la banque. Il est aussi
directeur de la transformation digitale et IT du groupe, et membre du comité exécutif. Le digital, c’est son
truc. Il accepte de remettre au pot 2,5 millions d’euros. En tout, avec le PGE (le prêt garanti par l’État mis en
place lors de la crise sanitaire), 4 millions d’euros sont réinjectés. Un accord de conciliation est trouvé.
Pendant ce temps, la presse spécialisée fait état des grincements de dents des entreprises partenaires, dont
certaines voudraient se désengager. La lettre A [1], par exemple : « Agnès Moutet-Lamy, directrice
territoriale Grand Sud-Est de cette filiale de la SNCF chargée de la gestion des gares voyageurs (Gares &
Connexions, ndlr) souhaite réduire les investissements, d'autant que la baisse des redevances a été
considérable. »

Des collectivités légères, légères, légères…


Les collectivités locales et territoriales continuent, elles, à soutenir le projet même si la gêne est palpable
dans leurs rangs – le refus systématique opposé aux demandes de réaction est symptomatique de la tension
existante autour de ce dossier. Dans la corbeille, la métropole Aix-Marseille-Provence, présidée jusqu’en
2018 par Jean-Claude Gaudin et depuis par la LR Martine Vassal, a mis 10 millions d’euros. Le conseil
départemental des Bouches-du-Rhône dirigé par la même Martine Vassal détient une créance de 5 millions.
Même somme pour la région Paca. Contrairement à ce que le magazine Challenges assure, la dette n’a pas
été annulée. Les 20 millions des collectivités sont toujours à rembourser. Ils devaient commencer à l’être en
2020. Dans les faits, il est question de rogner 10% du total, soit 2 millions d’euros passés par pertes et
profits.
De son côté, la chambre de commerce - qui n’est pas dans le tour de table des collectivités - y est de sa poche
pour un million d’euros. « Il y a eu un décalage du remboursement, précise à Blast Philippe Blanquefort,
directeur général de la CCI métropolitaine Aix-Marseille-Provence. Compte tenu du contexte, nous avons
décidé de le décaler en 2023 ». Il sera progressif : « 20 000 euros en 2023, 80 000 euros en 2024, et ainsi
de suite », détaille le même Philippe Blanquefort. A condition que l’avenir ne ressemble pas au présent, et
que The Camp décolle enfin.
A la chambre de commerce toujours - où Frédéric Chevalier s’était un temps investi, pilotant un club de
patrons baptisé le Top 20 -, on veut encore et toujours croire à la réussite. Philippe Blanquefort, à nouveau :
« Le tribunal de commerce a validé le plan de redressement, nous n’avons pas à nous prononcer sur ce
protocole, ce n’est pas notre rôle. Mais dès le départ nous avons cru à ce projet. Oui, The Camp a des
difficultés financières et de gouvernance mais nous sommes très bienveillants à son égard car c’est un projet
essentiel pour le développement de nos territoires. »

Faire semblant de croire…

Dans le plan publiquement vendu, la société d’exploitation envisageait bien de commencer à rendre l’avance
consentie à partir de la 3ème année d’exercice, censée être celle de l’équilibre. C’est ce qui était promis par
les promoteurs de The Camp, encore en 2019, alors que le déficit est déjà profond. Dans les faits, ceux qui
ont annoncé ce timing, comme ceux qui ont voulu y croire, ont fait preuve d’un bel élan d’optimisme. On a
fait semblant de croire possible quelque chose – un mirage - qui ne l’était pas. Quand on sait que les
collectivités n’ont pas le droit de consentir des avances remboursables sur plus de 5 ans, on peut
s’interroger : a-t-on en toute connaissance de cause survendu des délais... qu’on savait impossible à tenir ?
Un bon connaisseur du dossier le confie à Blast, sous couvert d’anonymat : « C’est un montage
inacceptable : atteindre l’équilibre en 3 ans était impossible, par conséquent ils auraient dû garantir les
avances et l’activité sur le foncier. Le vrai problème c’est celui-là : avoir mis les collectivités uniquement sur
la société d’exploitation et pas sur l’immobilier ». Dans le montage du projet, les deux sont en effet séparés :
d’un côté l’exploitation (la SAS The Camp), de l’autre l’immobilier et le foncier (The Camp i).
Alors que la première, aujourd’hui placée sous assistance respiratoire, prend l’eau, la deuxième se porte
nettement mieux : la SAS The Camp affichait 22 millions d’euros de déficit cumulé à la fin de l’exercice 2019
(le dernier déposé) ; quand à The Camp i, si la société a plus de 20 millions d’emprunts à rembourser au
Crédit Agricole et à la Caisse d’Epargne, la valeur vénale du site est estimée, après expertise, entre 25,1 et
30,4 millions d’euros… L’argent public est donc arrivé sur la première. Il a permis en particulier de payer les
loyers : 2,25 millions d’euros par an versés à la SCI The Camp i - dans les dernières et récentes négociations,
ce montant aurait été revu à la baisse.
Si on résume, le contribuable a été mis à contribution pour soutenir une activité bancale sur laquelle de
nombreuses questions pouvaient se poser dès le départ, pendant que les collectivités étaient tenues à l’écart
de la seconde entité, sur laquelle la véritable valeur était agrégée…
Cette dichotomie exploitation/immobilier a d’ailleurs été au cœur du bras de fer livré en coulisses ces
dernières semaines, entre les banques, qui espéraient solder définitivement l’activité pour se payer sur la
bête, et les collectivités pieds et poings liés, qui ont tout fait pour empêcher ce plan de se réaliser.
Finalement, tout le monde a conclu qu’il était urgent d’attendre. Inenvisageable en effet, alors que les
discours triomphants résonnent encore dans la pinède, d’annoncer que le projet annonciateur du monde de
demain s’était déjà crashé, que l’incarnation de la startup nation était un cuisant échec et que des millions
d’euros d’argent public avaient été brûlés sans garantie en aussi peu de temps - pour une ode à l’initiative
privée...

"The Camp est quasiment mort avec Chevalier"

Frédéric Chevalier disparu en 2017, The Camp avait perdu son père fondateur, avec ses qualités, ses défauts,
son énergie, sa vision. Le projet était fou mais au moins il était incarné. Le voilà orphelin. « The Camp est
quasiment mort avec Chevalier, estime un chef d’entreprise en vue, peu amène avec ceux qui ont suivi. Il
faut que quelqu’un le reprenne et l’incarne à son tour. » D’après nos informations, une offre de reprise a été
faite récemment, mais elle a été refusée.
Depuis 2017, les successeurs ont géré l’après Chevalier. Il y a d’abord eu, nous l’avons vu, Jean-Paul Bailly.
Président par intérim, l’ancien patron de la RATP (1994-2002) puis de La Poste (2002-2013), centriste,
polytechnicien et habitué aux grands groupes, a réussi à attirer d’autres mastodontes du CAC 40, la SNCF et
il a sauvé les meubles. Venu du digital, Olivier Mathiot l’a remplacé en mai 2018, en tant que président non
exécutif.
« D’entrée, ça part mal, note un patron du cru. Non exécutif, ça veut dire quoi ? Il ne... prend pas de
décisions ? » Cousin de Pierre Kosciusko-Morizet, ce diplômé d’HEC a été le directeur marketing de
Priceminister. « Président de Rakuten France, il est un entrepreneur reconnu et engagé dans le
développement de l’économie collaborative et l’essor global du secteur du numérique qui participe
positivement à la création du monde de demain ! », précise une notice biographique de The Camp.
« La création du monde de demain » ? Visiblement, ce n’est pas une évidence pour tout le monde. Plusieurs
sources nous l’ont affirmé : les relations entre le directeur général Patrice Ceccaldi et Olivier Mathiot ne
sont pas bonnes. Arrivé en 2019, le premier a coupé dans les salaires, jugés trop nombreux et élevés. Le
nombre de salariés est ainsi passé de 67 en 2018 à 53 en 2021.
Pour autant, les documents comptables que nous nous sommes procurés témoignent d’un certain
embonpoint. La masse salariale pèse 3,748 millions d’euros (charges sociales comprises) en 2017. En 2019,
elle grimpe à 4,770 millions d’euros. En 2016, le salaire du président de The Camp - il s’appelle alors
Frédéric Chevalier - s’élève à 420 000 euros net (35 000 euros net mensuels). Il n’est plus « que » de
287 281 euros net (23 940 euros nets mensuels) en 2017. Et il baisse encore de 63 % en 2018 pour se fixer à
105 000 euros net (8 750 euros net, tout de même), avec l’arrivée d’Olivier Mathiot. Ce qui reste confortable
pour un « non exécutif » dans une boîte aux résultats catastrophiques et sous perfusion d’argent public.
D’autant que certains reprochent mezza voce à l’ex-président de France Digitale de ne pas avoir su attirer les
investisseurs qu’il devait faire venir.
Curieusement, les mentions relatives à la rémunération de la présidence n’apparaissent plus dans les
comptes déposés pour l’exercice 2019. Olivier Mathiot l’exerce au titre de Math invest, sa société...
spécialisée dans la production de films pour le cinéma, à qui elle a été confiée. Interrogé par Blast, il
explique qu’elle n’est plus que de « 60 000 euros annuels » « depuis 2019 ». Parce « [qu’]il s’agit
d’accompagner les efforts de chacun », complète-t-il. Il nous a aussi assuré ne toucher aucune autre
rémunération en lien avec The Camp – par exemple au titre d’une activité de consultant.
Si aucun document officiel ne permet de le vérifier (The Camp n’ayant pas publié ses comptes en 2020), la
façon dont la rémunération du président s’est effondrée depuis 2016 témoigne a minima d’un décrochage
inquiétant.
La vie de The Camp prolongée après le jugement de conciliation du 16 février (tribunal de commerce d’Aix)
– qui acte pour mémoire la poursuite de l’activité de la société d’exploitation -, une nouvelle page peut-elle
s’écrire ? Le projet va-t-il enfin décoller pour flotter au même niveau que les discours qui ont présidé à sa
naissance ?

Futur incertain

En off, beaucoup de proches du dossier confient leur pessimisme, laissant entendre qu’on n’a fait que
repousser l’échéance. Malgré tout, si ces belles promesses ont une chance un jour de se réaliser, ce pourrait
être sans Olivier Mathiot. L’auteur de « 40 Nuances de Next » (une série de podcast sur les champions de la
tech française) est donné partant en mai. Franchement pas mécontent de lui, l’actuel président du truc du
futur dément à Blast un éventuel départ : « Je ne sais pas d’où viennent ces rumeurs. Je n’ai pas besoin de
partir pour l’instant car c’est justement une présidence non exécutive, qui ne demande pas la même
implication qu’une direction générale opérationnelle, qui elle est assurée par Patrice Ceccaldi. »
L’intéressé vient pourtant d’être recruté comme directeur général de 2050, un nouveau fond
d’investissement aux ambitions affichées. Une nouvelle étape sur un parcours en marche vers le futur, à la
vitesse de la lumière. A cette vive allure pas sûr qu’Olivier Mathiot ait le temps d’apercevoir, de tout là -haut,
le crash annoncé. Quelque part, sur terre, en Provence.
Au milieu de la garrigue. Là où dort aujourd’hui un mirage.

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