Mars 2010
Jacky Lintignat, Directeur Général de KPMG S.A.
MA RS 20 10
Le tableau de bord est un outil conçu « sur- • une représentation multidimensionnelle de la
mesure »... Il doit refléter les spécificités de l’en- performance avec des indicateurs financiers et non
treprise : son secteur d’activité et sa stratégie, mais financiers ;
aussi son organisation, son mode de fonctionnement • la coexistence d’indicateurs résultants (objectifs)
échanges
et sa culture. Il doit également répondre aux besoins et d’indicateurs précurseurs (moyens) ;
du dirigeant, même si les informations produites • une forte sélectivité : une dizaine d’indicateurs
seront ensuite partagées avec l’équipe dirigeante, semble être le maximum acceptable. Certains diri-
voire diffusées plus largement. Celui-ci doit donc geants fonctionnent avec quatre indicateurs seule-
être étroitement associé à la conception (identifi- ment ;
cation des objectifs et leviers stratégiques, mais • un chiffrage quasi-systématique de l’impact fi-
aussi choix des indicateurs, format de présentation nancier de l’indicateur ;
des données, périodicité de production, etc.). Le • un lien systématique à un ou des plan(s) d’action.
tableau de bord, dans son contenu et ses modalités Pour être utile, un indicateur doit être suivi de
d’utilisation, doit également être en cohérence avec mesures correctives. Cette exigence explique une
le mode de management du chef d’entreprise. Cette forte sélectivité ;
exigence est liée aux finalités décrites précédem- • une absence d’indicateur sur les leviers de per-
ment. Par exemple, tel dirigeant, ne maitrisant pas formance immatériels difficiles à « caractériser »
l’activité et fonctionnant dans un mode de contrôle, (confiance clients ou motivation des salariés, par
s’intéressera prioritairement à des indicateurs de exemple) ;
résultat sur lesquels il aura défini des valeurs cibles • un accès facile et rapide aux données sources. En
annuelles et, éventuellement, un système de rému- effet, contrairement aux grands groupes, la PME ne
nérations variables. À l’inverse, un dirigeant plus peut se permettre de consacrer plusieurs jours d’une
à l’aise dans un management interactif privilégiera compétence spécifique (comptable, contrôleur de
des indicateurs de moyens à partir desquels il dis- gestion ou informaticien) à la production de ses indi-
cutera régulièrement avec ses équipes des plans cateurs.
d’action à initier. « Les indicateurs de suivi du chiffre d’affaires étaient globaux,
pas par type de client ni par type de produit. On aurait pu
… qui présente de nombreuses similitudes avec distinguer grands comptes et autres clients, clients aéronau-
les principaux cadres théoriques. Les tableaux tiques ou pas, produits à forte marge ou pas… mais tout
de bord que nous avons pu observer présentaient cela ne m’intéressait pas. À l’échelle d’une PMI, c’est trop
tous des caractéristiques très proches des préconi- compliqué. Ce que j’ai appris à l’école avec la comptabilité
sations du Balanced Scorecard : analytique, c’est qu’il ne faut pas trop en faire ! »
« Il faut avoir trois ou quatre indicateurs très pertinents Des résultats probants
que vous suivez très bien. Le problème, c’est quand vous
avez un indicateur et que vous n’en faites rien. Si vous Après quelques mois ou quelques années d’utilisation
avez vingt indicateurs, vous devez faire vingt plans d’ac- du tableau de bord, tous les dirigeants interviewés dres-
échanges
tion… Le danger, c’est que, pendant qu’ils font les indi- sent un bilan positif de leur initiative. L’outil répond bien
cateurs, ils ne font pas autre chose. Pour faire des indica- à leurs différentes attentes managériales, que ce soit en
teurs, il faut déjà une certaine sérénité…. Il faut aussi termes de lisibilité, de contrôle, de visibilité ou de mobi-
des indicateurs simples, toujours chiffrés, quantifiés. Par lisation (voir encadré « Les quatre finalités d’un tableau de
exemple, si vous dites à un opérateur : tu as fait 800m² bord »). Il permet à la fois d’objectiver le fonctionnement
par heure au lieu des 1 000 m² prévus, cela n’a aucun de l’entreprise (par une traduction chiffrée systématique),
impact ». de discipliner les pratiques et de les rendre plus efficaces
(en créant les opportunités de réunions régulières) et,
Souvent conçu dans l’urgence, le tableau de enfin, de mobiliser les équipes (en les responsabilisant
bord s’enrichit avec le temps. La démarche et en les associant à la réflexion), ce que résument fort
de conception développée par les dirigeants est bien les propos de l’un des dirigeants :
rapide et légère afin de répondre à un besoin « Du contrôle de gestion dans les PME, il n’y en a pas beaucoup,
d’information souvent urgent. C’est ce souci de mais ici, lorsqu’on a racheté la société, il n’y en avait pas du tout !
rapidité qui explique que le tableau de bord C’est une entreprise qui fonctionnait à l’aveugle et cela n’est pas
constitue l’outil prioritaire du dirigeant, avant acceptable. Aujourd’hui, avec quatre ou cinq indicateurs, je peux
même la mise en agir à temps et même anticiper. Sur la base de ces
œuvre de systèmes indicateurs, nous avons une réunion logistique quoti-
de suivi des coûts ou dienne où nous envisageons les problèmes rencontrés
de budget et de re- Des pratiques la veille et surtout les actions prévues sur la journée et
porting, processus à plus long terme. Nous tenons ensuite une réunion
plus complexes et
donc plus longs et
certes intuitives, production tous les mois où nous faisons une revue de
la maintenance, un point sur le résultat et sur l’évolu-
coûteux à implémen-
ter. De même, la dé-
mais pertinentes tion du chiffre d'affaires et des clients clés. Nous avons
enfin des réunions de revue de maintenance… Mais,
marche est générale- pour mettre en œuvre cette organisation, il a fallu
ment progressive trouver parmi les équipes des leaders capables de
avec le suivi initial d’un petit nombre d’indica- prendre le relais et de traiter en direct les plans d’action, et accep-
teurs. En termes de ressources mobilisées, la ter de leur dégager du temps… À terme, je souhaite pouvoir
version finale du tableau de bord sera un com- calculer des prix de revient réels et décomposer l’entreprise en
promis entre les souhaits du dirigeant et les centres de profit. Il faut que chaque atelier soit responsable et ait
capacités de l’organisation à produire les indi- ses propres indicateurs. Et si vous arrivez à faire cela, c’est le
cateurs (les données sont-elles disponibles dans jackpot ! ».
le système d’information ? Quelle est la personne
apte - en termes de compétences et de temps En résumé, la démarche exploratoire a révélé des
disponible - à traiter et diffuser le tableau de pratiques certes intuitives, mais pertinentes et finalement
bord ?). Soulignons enfin la complémentarité très proches des principes fondamentaux prônés par les
de l’approche tableau de bord avec la démarche cadres théoriques, notamment celui du Balanced Scorecard
qualité. Toutes deux cherchent à tracer la per- (dont pourtant les dirigeants ne se sont pas inspirés car
formance des processus et à en mesurer l’impact ils ne les connaissaient pas).
sur les résultats financiers, avec une vision sé- Les observations ont également mis en évidence la
lective pour le tableau de bord, exhaustive dans nécessaire adaptation de ces démarches, a priori conçues
le cadre de la qualité. Dans plusieurs cas, une pour les grands groupes, aux contraintes des PME. Sous
démarche de certification a été développée pos- cette condition, le tableau de bord constitue pour le
térieurement à la mise en place du tableau de dirigeant, non seulement un outil classique de contrôle
bord, ce dernier constituant le cadre de référence et d’anticipation, mais aussi un outil de pilotage straté-
de la réflexion qualité. gique permettant de tracer et de piloter les leviers essen-
« Après sont venus se rajouter d’autres indicateurs tiels et, plus important encore, un outil de management
mais l’essentiel était acquis. J’avoue que la qualité a et de mobilisation des équipes autour de ces leviers
suivi… Il n’y a pas besoin d’avoir 150 indicateurs stratégiques. C’est une démarche d’accompagnement
dans une entreprise pour qu’elle soit certifiée. Il faut du changement fort utile dans les environnements
peu d’indicateurs, mais ceux-ci doivent être communs volatils que connaissent les entreprises aujourd’hui. n
à la démarche qualité et à la démarche de pilotage ».
1. Le Grand Livre de l'Économie PME, Gualino éditeur, 640 pages,
« Vous savez, dans une PME, la difficulté, c’est qu’il ne décembre 2009.
faut pas trop en faire. Il faut être pragmatique et ça, 2. Est considéré comme « pertinent » un tableau de bord qui
c’est difficile ! » satisfait les besoins du dirigeant ou de l'initiateur du projet.