vendredi 4 février 2011 LE FIGARO

18 FOCUS
La Lettonie, laboratoire de l’austérité
en Europe, sort de la crise affaiblie
Sous tutelle du FMI et de l’UE, Riga a imposé une baisse des dépenses et de salaires.
FINLANDE
Après deux ans, l’économie repart, mais le prix à payer est lourd pour la population.
St-Pétersbourg
ANNE CHEYVIALLE Tallinn

tique
ENVOYÉE SPÉCIALE À RIGA

PAYS BALTES L’exploit économi- E S TON I E

RUSSIE

r Bal
que de la Lettonie, petit pays balte
de 2,2 millions d’habitants, mérite

VALDIS
DOMBROVSKIS
PREMIER MINISTRE
« Notre plus grand
défi, c’est l’emploi.
Pour assurer
la croissance,
il nous faut attirer
les investissements
étrangers.
Nous devons accélérer
les réformes, réduire
la taille de la fonction
publique.
Sur la fiscalité,
l’objectif est de moins
taxer le travail et plus
la consommation
et la propriété.
L’ajustement
budgétaire cette
année représentera
2,2 % de PIB. »
+10%
-4,2%
Me
d’être relevé. Après une sévère ré- Riga
cession et deux ans d’une cure Liepaja
d’austérité, avec une coupe de dé- Daugavpils
pense équivalente à 15 % du pro-
LIT UANI E
duit intérieur brut (PIB), la Letto-
nie renoue, enfin, avec la RUSSIE BIÉLORUSSIE
croissance. « Le gouvernement n’a Vilnius
pas dévalué la monnaie locale, - le
lats - il a eu le courage de prendre POLOGNE 250 km
des mesures d’économies très dures,
les plus dures d’Europe », com-
mente Gabriele Giudice, « l’œil »
Lettonie
de Bruxelles à Riga, chargé de
contrôler les efforts budgétaires.
Placé sous tutelle du FMI et de
l’UE depuis 2008, le gouverne- Une campagne
ment letton s’est engagé à res- d’affichage à Riga,
tructurer et ramener le déficit de lors des élections
10 % en 2009, à 3 % en 2012, vi- législatives
sant l’entrée dans la zone euro en qui se sont déroulées
2014, en échange d’une aide de en octobre dernier.
7,5 milliards d’euros. INTS KALNINS/REUTERS
À mi-chemin, l’ancien « tigre
balte », est « en ligne avec les ob- la note souveraine du pays. Avec De quoi faire réfléchir les pays LE PLAN
jectifs fixés », dit l’expert de cette prouesse politique : le pre- périphériques de la zone euro,
Bruxelles. L’économie reste dans mier ministre, homme-orchestre l’Irlande, la Grèce, l’Espagne et le
DE
RIGUEUR Dévaluation:
le rouge (- 0,5 % de croissance en de trois budgets d’austérité, a été Portugal, soumis à des plans
2010), mais elle redémarre grâce réélu en octobre dernier. « À ce ti- d’austérité sévères, dont personne
Coupes les banques
aux exportations rendues plus
compétitives, non par la dévalua-
tre, la Lettonie est un exemple, en
prouvant que l’on peut faire un
ne voit bien l’issue. dans les salaires
jusqu’à 80 %.
ont dit non…
tion de la monnaie, mais par une ajustement aussi important sans Population résignée
Baisse des aides AU plus fort de la crise,
baisse des salaires. Les investisse- dévaluer, avec de la croissance et Le premier ministre ne fait pour- sociales, allocations. dans les premiers mois
ments ont repris et le chômage di- une réussite politique », relève tant pas la publicité de sa cure.
Service public diminué : de 2009, les marchés
minue. Standard & Poor’s a relevé Martins Kazaks, de la Swedbank. « Je ne recommanderai à aucun suppression ont exercé de fortes
de communes, fermeture pressions pour faire
d’écoles et d’hôpitaux. sauter le système de

Hausses de taxes, change fixe - le peg -
dont la TVA de 18 % à 22 %. qui lie le lats, la monnaie
pays d’infliger pareil remède », locale, à l’euro, et redonner
déclare Valdis Dombrovskis. de l’oxygène à l’économie.
Car la facture s’avère douloureu- d’austérité de mesures sociales : Les autorités lettones ont
se pour la population, qui a dû ac- l’allongement de l’allocation- résisté à abandonner leur
19,3% cepter des baisses de salaires, chômage et son programme ancrage à l’euro. Ce sont les
17,1% 17,7% pouvant aller jusqu’à 80 % ! « 100 lats » - 140 euros -, qui banques suédoises, les plus
La Lettonie n’a pas rejeté la po- propose un emploi à 100 lats par exposées au crédit immobilier
+3,3% tion amère, si amère fût-elle. mois dans le service public pen- letton, via leurs filiales locales,
« Les Lettons, qui ont connu des dant six mois. Quelque 70 000 qui se sont le plus opposées
temps bien plus difficiles (occupa- personnes ont répondu à l’appel à la dévaluation du lats, une
-0,4% tion nazie, communiste, et dépor- et plus de 40 000 sont encore en option qui avait pourtant
tations massives, NDLR) ont appris liste d’attente. Car la reprise reste
sources : Commission européenne, Eurostat

les faveurs du FMI. 80 % des

7,5% à courber l’échine. Et, la représen-
6% tation syndicale est très faible »,
rappelle le journaliste russophone
du Telegraf Andrejs Hotejevs.
« Les salaires avaient beaucoup
augmenté avant la crise, aujour-
-18%
*prévisions
fragile, très dépendante du com- prêts en Lettonie sont libellés
merce avec ses deux grands voi- en euro. Une dévaluation
sins : la Russie et la zone euro, qui aurait mis les banques
peine à retrouver son rythme suédoises en péril.
d’avant-crise. ■

d’hui nous sommes juste revenus

2007 2008 2009 2010* 2011* 2007 2008 2009 2010* 2011* au niveau de 2006 », se défend le
Croissance du PIB Taux de chômage premier ministre Valdis Dombro-
vskis, qui a accompagné sa cure La soupape du marché noir
CHAQUE semaine, Inessa, au vo- Le principe est simple : les salariés
lant de sa petite Opel, quitte la cam- sont déclarés au salaire minimum et
pagne de Riga et parcourt 600kilo- reçoivent un complément en des-
« Il y a un risque important de fuite des cerveaux » mètres, via la Lituanie jusqu’à la
ville polonaise de Bialystok. Là,
sous-de-table. « Pendant la période
de boom, c’était moins répandu car
CHEVILLE ouvrière de l’entrée dévaluation était impossible. Je suis me semblait éminemment avanta- grâce au taux de change très avan- les personnes avaient besoin de bul-
dans l’Europe, l’ancienne prési- très inquiète pour la structure so- geuse, autant du point de vue éco- tageux du sloty polonais - plus bas letins de paye pour obtenir un cré-

dente Vaira Vike-Freiberga, s’in-
quiète pour l’avenir de son pays.
LE FIGARO. – La Lettonie
fait-elle figure de « laboratoire
de l’austérité » ?
Vaira VIKE-FREIBERGA. – Parler
de « laboratoire », semble impli-
quer que nous servirions de co-
bayes pour le reste de l’Europe !
C’est plutôt une question de survie
«
ciale du pays, notre système de nomique que politique. L’euro est la que le lats -, elle remplit son coffre dit », remarque Martins Kazaks,
santé, d’éducation, la recherche… suite logique et nous avons dû nous de produits bon marché, vaisselle, économiste à la Swedbank. Mais la
Par exemple, on doit fermer des engager à l’adopter dès notre adhé- électroménager… qu’elle revend situation a bien changé. Beaucoup
hôpitaux que l’on avait équipés à sion dans l’UE. L’Estonie, à ce titre, Le prix dans des petites échoppes ou via le de salariés, qui ont perdu leur em-
grands frais après l’indépendance. a été en avance sur nous, ayant opté à payer de bouche-à-oreille. Pour cette jeune ploi, n’ont plus le choix que d’ac-
Cette année encore, le gouverne- très tôt pour le zéro déficit dans leur l’austérité est célibataire, mère de deux enfants, cepter des enveloppes.
ment, sous la pression des bailleurs budget. Pendant huit ans de prési- très élevé… Mais au chômage depuis plusieurs mois,
internationaux, doit trouver dence, j’ai argumenté que nous de- ce commerce au noir représente
50 millions de nouvelles coupures vions éviter les déficits, accumuler
nous n’avons pas son seul moyen de subsistance, en Beaucoup de salariés,
dans le budget, sans exclure les des réserves et contrôler l’inflation. eu le choix (…) plus d’un petit bout de jardin et de qui ont perdu leur emploi,
pensions de retraite, qui sont déjà La dévaluation la solidarité familiale. n’ont plus le choix que

et le prix à payer pour la population
en est très élevé. Du coup, les Let-
tons quittent le pays par centaines.
L’entrée dans l’Union européenne
avait déjà entraîné une vague
d’émigration, vers l’Irlande et la
Grande-Bretagne, à cause des dif-
férences de salaires. Aujourd’hui,
c’est faute de travail et de perspec-
tives que les travailleurs quittent le
pays. Il y a un risque important de
très basses. Parmi les chômeurs, il Quels sont les ressorts
y a déjà des familles qui ne man- de la Lettonie ?
gent pas à leur faim. L’inflation a L’innovation bien sûr, et une com-
augmenté l’année dernière de pétitivité axée sur la qualité. Il faut
1,5 %. La hausse des taxes pèse nous concentrer sur des niches
aussi sur le pouvoir d’achat. Les où nous avons de solides ac-
banques, qui prêtaient à tout-va quis : la filière bois ou la phar-
pendant les années de boom, sont macologie, le transport, la
aujourd’hui bien réticentes pour logistique et les services. Il
aider les PME. faut viser des produits à plus
forte valeur ajoutée. Le
»
était Difficile à évaluer, la contreban-
de s’est beaucoup développée avec
impossible… la crise, en particulier à la frontière
avec la Russie. « Les Lettons achè-
tent de l’essence en Russie, où elle est
moins chère, car moins taxée, mais
aussi de l’alcool et des cigarettes...»,
explique le premier ministre Valdis
Dombrovskis.
La hausse généralisée des taxes
en Lettonie, qu’il s’agisse de l’im-
CREMERS/HH-REA
d’accepter des enveloppes
Bruxelles et le FMI ont aussi tiré
la sonnette d’alarme sur le niveau
élevé de la fraude fiscale. Le gou-
vernement a lancé l’année derniè-
re un plan d’actions contre l’éco-
nomie informelle. Cela passe
notamment par un meilleur
contrôle des transactions en liqui-

fuite des cerveaux et un risque de la
dépopulation, car les taux de nata-
lité ont aussi dramatiquement chu-
té. Les familles ne se sentent pas en
confiance pour élever les enfants.
Vous estimez qu’il y a eu
trop d’austérité ?
Certainement. Mais nous n’avons
A
Est-ce que vous militez contexte de l’économie mobilier, de l’électricité, ou de la de. « Nous visons, grâce à ces me-
pour une adoption de l’euro ? européenne et mondia- TVA, imposée par la cure d’austéri- sures, 60 millions de lats - 85 mil-
La Lettonie est un petit pays, le n’est pas facile. La té pour réduire le déficit public, fa- lions d’euros -, de rentrées
contraint à l’ouverture, dont le voi- population attend vorise l’économie informelle, éva- supplémentaires pour cette année,
sinage avec la Russie peut compor- une vision bien luée selon les estimations entre avance le premier ministre. Mais ce
ter certains avantages pour le tran- articulée de la part 15% et 30% du PIB, et le travail au combat contre la fraude fiscale, dé-
sit et les relations commerciales, du gouverne- noir. fendu par les bailleurs de fonds, n’est
mais nous expose aussi au danger de ment. Les employeurs se plaignent des pas toujours facile à justifier lors-
pressions économiques qui auraient PROPOS cotisations sociales trop élevées qu’on impose en parallèle des haus-

pas eu le choix. La faillite de la ban- des motivations politiques. J’ai mi- RECUEILLIS et recourent de plus en plus au ses de taxes. » ■
que Parex a précipité la crise et la lité pour notre entrée dans l’UE, qui PAR A. C. paiement « à l’enveloppe ». A. C.