DU GENRE ROMANESQUE
I. INCIPIT ET DENOUEMENT
Le début et la fin d’un roman sont des lieux stratégiques, comme au théâtre l’exposition et le
dénouement de l’intrigue.
• L’art romanesque de l’auteur transparaît dès les premières lignes : le romancier y annonce sa
conception du genre, et se situe parfois de manière critique, ironique, provocatrice dans
l’histoire littéraire.
B. Le sens du dénouement
Le dénouement est, lui aussi, un moment capital : outre son intérêt dramatique
(l’intrigue est dénouée, les problèmes sont résolus, les destins scellés), on peut être tenté d’y
déchiffrer un sens final de l’œuvre. Mais un dénouement est un lieu à la fois fermé (puisqu’il
figure un aboutissement) et ouvert (par sa dimension symbolique, ou le mouvement qu’il
esquisse vers une suite virtuelles).
• Le dénouement moral : dans la littérature édifiante le bon l’emporte toujours sur le
méchant, pour inspirer confiance au peuple dans l’ordre public ; dans le conte pour enfants, la
structure du récit (séparation d’avec les parents, obstacles, solution trouvée) et sa fin
heureuse indiquent à l’enfant qu’il réussira à trouver son chemin dans le monde adulte.
• Le dénouement réaliste : Il ne montre pas le monde tel qu’il devrait être, mais tel qu’il est :
par ses valeurs émotive et démonstrative, il amène le lecteur à s’interroger sur ce monde.
Dans Germinal de Zola, l’échec de la grève des mineurs traduit la situation de la classe
ouvrière encore peu organisée. Dans Bel-Ami, le succès de Duroy est immoral, mais conforme
à la logique du personnage et de l’époque, dont Maupassant pointe le cynisme. Le réalisme
n’exclut pas le symbolisme : la fin, en apparence anodine, ou l’échec final s’ouvrent sur une
signification ou une suite qui les dépassent.
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- informative, réaliste : dans les récits de voyage ou les romans, elle communique un savoir
sur le réel. Dans la fiction, elle crée un « effet de réel » qui assure l’illusion réaliste. Elle
devient une sorte de photographie de l’objet décrit et prend petit à petit au XIXème siècle
autant d’importance que la narration et le dialogue ;
- symbolique : elle peut figurer un état d’âme, ou un certain rapport (social, économique,
métaphysique) du personnage au monde extérieur ;
- poétique : l’idéal de la description a longuement été de réaliser un tableau vivant (ou
hypotypose). La description tend alors à acquérir un statut autonome de prose poétique.
B. Le portrait
Cas particulier de la description appliqué aux personnages, le genre du portrait, élogieux ou
satirique, est très en vogue au XVIIème siècle où il devient un véritable jeu de société, proche du
caractère (peinture d’un type moral). Mais c’est dans les romans du XIXème siècle qu’il connait son
heure de gloire.
Il obéit à une logique de la classification, de l’énumération et du type, et remplit les mêmes
fonctions que la description. Dans le roman, il sert à définir le personnage selon des critères croisés :
- physique : les traits du visage, l’allure et le maintien du corps sont révélateurs ;
- psychologiques et moraux : le narrateur informe le lecteur sur les sentiments, les traits de
caractères, les pensées du personnage ;
- sociaux : le personnage reflète son milieu (par ses vêtements, son métier, son langage, son
idéologie).
Au XXème siècle, tandis que se développent le positivisme et l’expérimentalisme, les
portraits, chez Balzac, se font l’écho du goût pour la physiognomonie, ‘art d’examiner et de
reconnaître le caractère d’après le physique », renouvelé par Lavater.
Dans une œuvre narrative, on distingue le temps de l’Histoire, époque dans laquelle
s’inscrivent les faits (La Princesse de Clèves a pour cadre le règne d’Henri II au XVIème siècle), et le
temps de l’histoire, sa durée, incluse dans l’époque historique (l’intrigue de La Princesse de Clèves se
borne aux années 1558-1889). Ce temps ne se confond pas avec le temps de l’écriture, date présumée
de rédaction de l’œuvre (1671-1678 pour La Princesse de Clèves, soit plus d’un siècle de décalage) :
les récits, souvent écrits au passé adoptent un point de vue rétrospectif. Les temps grammaticaux
sont, eux, les outils du langage permettant le récit d’une histoire.
Structure et progression
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Un récit n’est pas toujours linéaire : il peut comporter des épisodes intercalés, des
anachronies. On parle d’analepse pour un retour en arrière ou rétrospection (comme au cinéma le
flash-back) et de prolepse pour l’anticipation du récit sur l’action.
On nomme digression tout développement parasite : c’est le cas des remarques adventices
émanant des personnages ou du narrateur dans Jacques le Fataliste.
Les effets de fréquence
Etudiant les « relations de fréquence » entre les évènements narrés et les récits, le critique
Gérard Genette observe qu’on peut « raconter une fois ce qui s’est passé une fois » (récit singulatif),
ou « une fois ce qui s’est passé n fois » (récit itératif). L’écrivain en tire des effets particuliers qu’il
convient d’analyser.
B. LE TEMPO OU RYTHME
Un récit ne peut pas tout raconter au même rythme. Dans les scènes, le temps de la narration
coïncide à peu près avec celui de l’action – c’est le cas du dialogue, par exemple l’aveu de la princesse
de Clèves. Si en revanche le narrateur résume en quelques lignes plusieurs journées ou plusieurs
années d’action, on parle de sommaire ; celui-ci sert souvent de transition entre deux scènes, ou de
toile de fond. L’ellipse, elle, passe sous silence certains évènements, d’où des effets d’accélération.
Dans le ralenti, au contraire, comme au cinéma, le récit s’attarde sur un passage rapide de l’action,
souvent pour en signaler l’importance. La pause consiste à suspendre totalement le temps de
l’histoire, pour le développement d’une description par exemple.
• L’imparfait relate les faits passés vus de l’intérieur, dans leur déroulement : il est utilisé dans
les parties descriptives du récit, comme toile de fond ou décor. Il peut aussi exprimer une
habitude. Il connaît cependant des emplois atypiques : l’imparfait « de dramatisation »
recherche l’effet d’un « flash » photographique (une heure plus tard, tout sautait), souvent en
ouverture ou en clôture d’épisode.
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• Le passé simple s’emploie pour exprimer les faits d’un passé absolu et défini, il est le temps
du récit, qu’il fait progresser (tandis que l’imparfait l’arrête dans la description d’un état). On
l’utilise pour des évènements de premier plan, ponctuel (son cri me tira de ma rêverie) ou
d’une durée déterminée et achevée (il dormit longtemps).
• Le passé composé a les mêmes valeurs que le passé simple (par opposition à l’imparfait)
auquel il s’est substitué dans l’usage oral, le passé simple relevant désormais de la langue
littéraire. On l’emploie aussi pour les faits accomplis dont les effets se font sentir dans le
présent (il a renoncé à se battre).
• Le plus-que-parfait et le passé antérieur représentent une action achevée dans le passé,
souvent antérieure à celle qu’évoque un autre temps du passé, imparfait et passé simple.
• Le relevé des champs lexicaux complète l’étude des temps verbaux : adverbes de temps,
locutions circonstancielles, noms exprimant une date, une durée ou une fréquence.
A. LA CONSTRUCTION DU PERSONNAGE
Élaboré par le romancier, le personnage est construit petit à petit par le lecteur, au fil de sa
lecture.
Les composantes du personnage
Le personnage n’est pas un donné initial de l’intrigue, il se constitue progressivement à
travers son nom, son portrait, ses actes et ses paroles.
Le héros éponyme est celui qui donne son nom au titre du roman ou de la nouvelle. Le nom
peut avoir des connotations symboliques.
Le portrait physique, moral, social est brossé par le narrateur (ce qui n’est pas le cas pour un
personnage de théâtre) ou par d’autres personnages, ou par le personnage lui-même.
Le choix de la voix et des points de vue narratifs, leurs variations éventuelles contribuent à
définir et à modifier le statut du personnage, ses rapports avec les autres personnages, avec le
narrateur et le lecteur (identification, connivence, mise à distance…)
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Les actes et le discours du personnage révèlent son caractère, sa vision du monde, son
idéologie, sa part d’ombre, et dessinent son évolution dans le temps.
Le personnage peut être simple (s’il présente un type, un symbole ou un mythe) ou complexe, dans le
cadre du roman psychologique ou d’apprentissage
Il peut être unique, ou s’inscrire dans l’ensemble plus vaste d’une saga, come dans La Comédie
humaine ou Les Rougon-Macquart. Dans ces sommes romanesques, le personnage est fortement
déterminé par son apparence sociale.
• Le sujet accomplit l’action, poursuit un but, une quête (il s’agit le plus souvent du héros) ;
• L’objet constitue le but de l’action visée par le sujet (l’être aimé, la réussie sociale, la
connaissance…) ;
• L’adjuvant aide le sujet à réaliser sa quête (un ami, une bonne fée, le hasard, la
Providence…) ;
• L’opposant fait obstacle à cette quête (un ennemi, un parent, un magicien, un tyran, la société,
la malchance, le hasard…)
• Le destinateur détermine la tâche du sujet, lui fixe l’objet à atteindre (un puissant, Dieu,
l’amour…) ;
• Le destinataire est le bénéficiaire de l’action entreprise par le sujet (le sujet lui-même, la
société, un personnage, Dieu…) ;
Chacun de ces six actants peut être constitué d’un ou de plusieurs éléments.
Un système de valeurs
Qu’il incarne ou qu’il conteste, le personnage se définit toujours par rapport à la société où il
évolue.
• L’un des ouvrages fondateurs du roman moderne, le Don Quichotte de Cervantès (1605-
1615), présente un héros fasciné par les romans de chevalerie, dont l’idéal romanesque se
heurte à la cruauté du réel et aux nécessités quotidiennes.
• Au XVIIème siècle, deux veines parallèles se développent. Avec le roman idéaliste et précieux,
d’une part, les valeurs aristocratiques se traduisent par des personnages idéalistes. La veine
comique, d’autre part, évoque de façon directe et gaillarde la réalité populaire ignorée par la
tradition idéaliste. En Espagne se développe le type du héros picaresque- gueux amené par
ses aventures à fréquenter tour à tour toutes les couches de la société. Au XVIIIème siècle, avec
Gil Blas, il connaît un grand succès en France ; il se fait parfois héros de conte philosophique,
devenant alors l’incarnation d’une idée.
• Avec l’émergence du capitalisme marchand et urbain, la bourgeoisie, et la crise de la
monarchie, apparaît dès le XVIIIème siècle un nouveau type de personnage principal, qui
combine les ambitions héroïques traditionnelles avec les contraintes du réel. Le héros du
roman d’apprentissage, parti d’une condition modeste ou déchue, se lance à la conquête de
la société. Le Héros du roman réaliste du XIXème siècle ne peut réussir que s’il apprend à
connaître le monde et ses rouage
Dans le roman naturaliste, le personnage principal n’incarne pas les valeurs de la société, et
ne prétend à aucun héroïsme :
« Notre héros n’est plus le pur esprit, l’homme abstrait du XVIIIème siècle, il est le sujet
philosophique de notre science actuelle, un être qui est composé d’organes et qui trempe dans un
milieu dont il est pénétré à chaque heure. » (Zola)
• La crise du sujet dans la philosophie entraîne aussi au XXème siècle une crise du héros,
démystifié dans le roman contemporain, qui produit parfois des antihéros, homme
vils, médiocres ou insignifiants, ou réduits à un regard ou à une voix. Nom, portrait,
actes et discours du personnage deviennent problématiques. Tantôt dérisoire, tantôt
effacé, fuyant ou énigmatique, le personnage exprime alors les difficultés et les limites
auxquelles se heurtent l’action et la conscience humaines. De nouvelles perspectives
s’ouvrent ainsi au personnage romanesque.
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Ainsi, par son langage, le type de quête qu’il accomplit, les valeurs qu’il incarne, ou les doutes
et les inquiétudes qu’il exprime, le héros condense l’imaginaire collectif de son époque.
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L’ECRITURE NARRATIVE AU XXème SIECLE
Les genres narratifs, au XXème siècle, sont à la fois omniprésents et problématiques. Le récit
est diffusé sous des formes multiples : fictions ou reportages, récits écrits ou oraux, avec ou sans
images, etc. Mais on s’interroge sur les conditions et les finalités de la pratique narrative : des
romanciers contestent les modèles traditionnels de l’intrigue et du personnage, pour approcher de
plus près la complexité de la vie intérieure. Que le récit soit à la troisième, à la première ou même à la
deuxième personne, c’est surtout en remontant à la source, à la voix qui raconte, que l’on peut
repérer les choix les plus significatifs.
I. « IL » : RECITS ET REALITES
A. La mort du narrateur-dieu
• La narration à la troisième personne peut paraître la plus « objective » : tel est le choix
des récits historiques, des faits divers dans la presse, des biographies. Mais ces
discours narratifs sont confrontés à la difficulté de mettre en récit les réalités
historiques du XXème siècle.
• Les ruptures du siècle expliquent aussi les transformations de la fiction. La tradition
romanesque était dominée par le narrateur omniscient. Au XXème siècle, la voix
narrative perd son innocence et son évidence : de quel droit le narrateur pourrait-il
accéder à la vérité des consciences, alors que cette vérité paraît de plus en plus
opaque, insaisissable.
B. Des points de vue limités
• Même lorsque le narrateur est hors de l’histoire, le champ de perception peut se
restreindre au point de vue d’un personnage (focalisation interne) : le procédé se
répand dans les romans du XXème siècle.
Mais, sous l’influence du cinéma, on opte également, plus que par le passé, pour la focalisation
externe. Ce procédé est notamment utilisé dans les romans policiers ou par certains auteurs du
Nouveau Roman.
B. Le roman personnel
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A la recherche du temps perdu, Voyage au bout de la nuit, La Nausée… _ les plus grands romans
du siècle laissent entendre la voix d’un Je qui n’a qu’une conscience fragmentaire de soi et du monde.
Le roman raconte alors le parcours d’une conscience, avec les accents d’authenticité de
l’autobiographie ou du journal intime. Il peut aller jusqu’au monologue intérieur, qui consiste à
représenter les pensées par le flux désordonné d’un discours qui procède par libres associations.
Derrière l’apparence unité d’un Moi, on perçoit des décalages entre le Je de l’énonciation (le
narrateur au moment de sa narration) et le Je de l’énoncé (le personnage dans l’histoire passée).
III. «VOUS» : LE LECTEUR ET LE NARRATEUR
Alors que le roman réaliste du XIXème siècle tendait à effacer toute trace du narrateur, le
roman moderne rétablit souvent une communication vivante entre le narrateur et son destinataire.
La figure du lecteur ou de l’auditeur construite par le récit, et qui ne se confond pas avec le lecteur
réel, c’est le narrataire. Il arrive que le narrataire prenne corps dans le roman, qu’il soit directement
apostrophé : ce procédé anime le récit et implique le lecteur dans l’histoire. Le Vous peut jouer un
rôle capital : dans La Modification de Michel Butor, il désigne le héros lui-même. Souvent, il sert à
établir une communication entre un narrateur-personnage et un autre personnage de la fiction.
IV. ROMAN POLYPHONIQUES
Il arrive enfin qu’il n’y ait pas une, mais plusieurs voix narratives. Pour le critique russe
Mikhaïl Bakhtine, tout roman est « polyphonique » : le romancier mêle plusieurs discours, plusieurs
visions du monde, plusieurs « langages sociaux ».
• Est polyphonique, d’abord, l’énoncé qui laisse entendre plusieurs voix simultanées :
le récit ironique peut ainsi dire une chose et en même temps suggérer le contraire ;
le récit d’enfance reproduit le propos naïf de l’enfant tout en le mettant à distance ; le
discours indirecte libre mêle les paroles du personnage et la voix du narrateur.
Le roman peut aussi être polyphonique quand des voix différentes se succèdent : dans le roman par
lettres, divers personnage sont narrateurs à tour de rôle ; certains romans du XXème siècle sont
fragmentés en plusieurs parties prises en charges par des narrateurs-personnages différents. Le
Narrateur principal fait de certains personnages des narrateurs au second degré : un récit second est
alors enchâssé dans le récit premier.
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