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Risque de chômage et reprise d’emploi : le rôle des compétences

Mireille Bruyère et Philippe Lemistre*

L’objectif de cette communication est d’éclairer la manière dont les entreprises utilisent et transforment les
compétences des individus qu’elles recrutent et partant contribuent à la sécurisation ou à la précarité des
trajectoires.

Récemment, la « flexsécurité » a trouvé un large écho dans la presse et les médias, vantée comme un
fonctionnement efficace du marché du travail. Elle est souvent attachée au modèle danois qui allie forte
flexibilité de l’emploi d’une part, illustrée par des mobilités importantes et faible protection des
licenciements et d’autre part, une forte protection des salariés fondée sur un système indemnitaire très
généreux et des politiques actives de l’emploi.

Si les politiques visant à promouvoir la flexibilité et la mobilité sont relativement identifiées (modification du
code du travail), celles permettant de garantir la sécurité des trajectoires individuelles sont moins définies.
La sécurité de la trajectoire individuelle peut s’appréhender de plusieurs manières. Il peut s’agir de la
sécurité des revenus (allocation chômage), de la sécurité de l’emploi (législation sur les conditions de travail
et sur le licenciement) et de la sécurité de retrouver un emploi ou sécurité des transitions ou des mobilités.
C’est sur cette dernière dimension que porte ce travail. En effet, une des caractéristiques enviées du modèle
danois est de présenter un très faible chômage de longue durée (moins de 10 % contre plus de 30 % en
France). Les mobilités vers l’emploi dépendent en premier lieu du niveau général de l’emploi. Mais elles
dépendent aussi d’éléments plus microéconomiques comme les compétences ou plus généralement de
« l’employabilité » des individus. Au-delà des problèmes et débats que soulève cette notion, nous la
définirons dans ce travail de la manière suivante. L’employabilité dépend à la fois du parcours individuel
(formation initiale, formation tout au long de la vie) mais aussi de la gestion des ressources humaines des
entreprises. Cet article se penche sur le rôle des entreprises dans la production et le maintien des
compétences des individus, compétences qui à leur tour influencent la mobilité future.

Nous préciserons brièvement dans un premier temps la compétence adaptée au contexte de notre
problématique, c’est-à-dire la mobilité. La deuxième partie présente les premiers résultats de ce travail
exploratoire1.

1. L’évolution des compétences comme déterminant de la mobilité


La compétence trouve de nombreuses définitions disciplinaires. Elle est aussi au sein d’enjeux politiques ou
sociaux importants. Avant de proposer une définition, il semble qu’au minimum le développement
important de la littérature à ce sujet depuis deux décennies témoigne que le travail salarié par ses évolutions
ne peut se résoudre à une définition simple et monodimensionnelle. Et ceci est d’autant plus vrai que le
travail prescrit tend à diminuer pour reporter sur le salarié les exigences du marché (Theurier 2000). Les
différentes dimensions qui conditionnent la compétence sont de natures différentes. Certaines sont acquises
lors de la formation initiale mais la grande majorité par le passage par l’emploi. En effet, si la compétence
est attachée à l’individu, elle témoigne surtout d’un savoir-faire opérationnel. En ce sens, elle ne se
reconnaît et ne se développe que dans l’emploi (Bertrand 1996), reconnaissance et développement étant
intimement liés. C’est ce dernier point qu’il s’agit de préciser pour construire notre analyse. Son caractère
polymorphe permet une adaptation aux évolutions induites par le système productif (techniques,
organisationnelles ou marchandes). Mais on peut supposer que cette adaptation ou plus généralement cette
évolution des compétences, si elle est toujours présente, ne suit pas selon les situations ni le même rythme,
ni la même direction (vers une accumulation de compétences). En effet, il semble probable que certains
emplois ne permettent pas véritablement d’accumuler des compétences ou de les mettre à jour aisément ou

*
Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur les ressources humaines et l’emploi (Lirhe), bruyere@univ-tlse1.fr.,
lemistre@univ-tlse1.fr
1
Cet article est la présentation des premiers résultats d’une recherche menée pour le Conseil d’analyse stratégique au Lirhe
sur le thème « L’utilisation et le développement des compétences par les entreprises ».

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encore n’utilisent pas pleinement les compétences disponibles, conduisant ces dernières à leur atrophie
(Neuman et Weiss 1995 ; Kriechel et Pfann 2001).

Quelles sont les dimensions qui conditionnent la reconnaissance et l’évolution des compétences dans notre
problématique ? Avant d’y répondre notons qu’on ne peut analyser l’évolution des compétences sans
analyser le système d’information qui permet de les reconnaître et de les évaluer. Ce système est caractérisé
par les signaux qui informent sur ces compétences. L’enquête FQP 2003 sur laquelle nous avons effectué
nos premières analyses nous conduit finalement à ne lier que signaux des compétences et mobilité et non
pas compétences et mobilité. Plus généralement, les enquêtes statistiques sur un grand nombre d’individus
renseignent souvent non pas directement les compétences (les savoir-faire concrètement mis en oeuvre dans
l’emploi particulier) mais les signaux supposés les révéler (diplôme, parcours, type d’emploi). Ainsi, nos
variables explicatives reflètent les signaux des compétences2.

Nous avons repéré cinq groupes de variables susceptibles de déterminer l’évolution des compétences dans
l’emploi. Le premier rassemble celles relatives à la formation initiale et à l’expérience avant l’emploi (niveau
de diplôme et spécialité de formation, expérience). Le deuxième regroupe la dimension technique de
l’emploi ou des emplois occupés (métier ou spécialité d’emploi). Les caractéristiques de l’organisation et de
la position du salarié dans cette organisation appartiennent au troisième groupe (position hiérarchique,
niveau d’encadrement, d’autonomie). Les contraintes de marché ou institutionnelles qui s’exercent sur
l’entreprise et qui conditionnent son évolution font partie du quatrième groupe (taille de l’entreprise, secteur
d’activité). Le cinquième groupe rassemble les caractéristiques individuelles exogènes sur lesquelles
l’individu n’a pas de prise. Ces variables sont des variables de contrôle (sexe, âge, origine sociale).

L’objectif de ce travail est de tenter d’identifier la place respective de ces cinq groupes de variables
explicatives sur la mobilité. C’est l’objet de la section suivante.

2. Entre sécurité de l’emploi et probabilité de reprise d’emploi, des effets qui se


conjuguent pour construire un marché du travail dual
Les estimations sont réalisées à partir de l’enquête FQP 2003. Il s’agit d’une enquête rétrospective qui
concerne un peu plus 39 000 individus interrogés en 2003 sur leur situation au premier emploi et de façon
plus détaillée sur leur situation cinq ans plus tôt en 1998.

Compte tenu de notre problématique, l’échantillon retenu est limité aux seuls individus qui ont occupé un
emploi salarié en 1998. Par ailleurs, une norme a été établie pour la correspondance entre spécialité de
formation et spécialité d’emploi à partir des familles professionnelles (FAP) et de la nomenclature des
spécialités de formation (NSF). Ce choix a conduit à éliminer de l’échantillon les formations des spécialités
générales (NSF inférieures à 200) qui ne peuvent être rapprochées des FAP. Pour la même raison, certaines
FAP ont été écartées. En d’autres termes, seuls ont été conservés les formations et les emplois pour lesquels
la spécialité a réellement un sens. Compte tenu de ce choix, les formations à vocation professionnelle sont
logiquement sur-représentées dans l’échantillon final qui comprend 13 557 individus. L’ensemble des
variables mobilisées figure dans le tableau 1.

Le risque de chômage est estimé en regard de deux situations d’emploi en 2003 : employeur en 2003
identique à l’employeur en 1998 ou différent. L’objectif est notamment de distinguer les effets des variables
mobilisées sur la reprise d’emploi en regard du chômage. Deux estimations successives ont été réalisées.
Pour la première, seules les variables individuelles et l’adéquation entre la spécialité de formation initiale et
la spécialité de l’emploi occupé en 1998 ont été retenues. Ensuite un ensemble de variables caractérisant
l’emploi et l’employeur en 1998 a été ajouté.

2
Il n’est donc pas possible de répondre ici aux questions suivantes : ces signaux sont-ils bien ceux qui sont utilisés par les
employeurs et les salariés pour effectuer leur choix ? Et plus généralement comment se construit et se définit le système
d’évaluation des compétences (place de la négociation collective, des accords de branche, des accords d’entreprise…) ?

198
Tableau 1
LE RISQUE DE CHÔMAGE DE LA POPULATION EN EMPLOI 5 ANS PLUS TÔT

Probabilité d'être en emploi en 2003 moyenne


(situation de référence chômage - logit multinomial) ou %
Équation 1 Équation 2 Équation 1 Équation 2
employeur en 1998 et 2003 1998 = 2003 1998 ≠ 2003 1998 = 2003 1998 ≠ 2003
Coef. P Coef. P Coef. P Coef. P
Constante -0,411 0,19 2,119 0,00 1,215 0,00 2,423 0,00
Variables individuelles
Femme -0,088 0,32 -0,369 0,00 -0,327 0,00 -0,508 0,00 47,3
Génération
moins de 35 ans en 2003 ref. ref. ref. ref. 27,3
35 à moins de 45 ans en 2003 0,222 0,13 -0,111 0,46 0,065 0,67 -0,190 0,21 37,5
45 à moins de 55 ans en 2003 0,021 0,92 -0,585 0,01 -0,220 0,31 -0,716 0,00 26,1
55 ans et plus en 2003 -0,512 0,07 -2,108 0,00 -0,745 0,01 -2,302 0,00 9,1
Variables formation initiale et expérience
niveau d'études
non qualifié ref. ref. ref. ref. 12,5
CEP -0,002 0,99 0,101 0,65 0,064 0,76 0,115 0,61 4,1
BEPC 0,080 0,67 0,124 0,52 -0,013 0,94 0,137 0,49 6,3
CAP seul 0,115 0,36 0,171 0,19 0,136 0,29 0,151 0,25 26,8
CAP-BEP 0,363 0,02 0,217 0,16 0,326 0,04 0,213 0,18 15,0
BEI, BEA, BEA 0,143 0,76 0,611 0,26 0,111 0,82 0,485 0,38 0,9
Bac techno., bac. pro, BP, BT 0,255 0,12 0,047 0,78 0,150 0,38 0,046 0,79 9,7
Bac. général seul 0,460 0,07 0,286 0,28 0,265 0,32 0,302 0,27 3,4
Bac. général + dipl. tech. secondaire -0,099 0,79 -0,344 0,36 -0,274 0,47 -0,351 0,36 0,9
Paramédical et social 1,586 0,03 1,331 0,07 0,636 0,39 1,016 0,18 2,0
BTS-DUT 1,015 0,00 0,756 0,00 0,818 0,00 0,750 0,00 10,3
1er cycle universitaire -0,898 0,13 -0,427 0,46 -1,304 0,04 -0,550 0,35 0,5
Grande école, école de commerce, dipl.
d'ing. 0,767 0,03 1,065 0,00 0,725 0,05 1,077 0,00 2,6
2e et 3e cycle universitaire -0,898 0,13 -0,427 0,46 -1,304 0,04 -0,550 0,35 5,1
expérience avant l'emploi 1998 EXP0 0,115 0,00 -0,014 0,53 0,133 0,00 -0,009 0,67 15,1
EXP0² -0,003 0,00 0,000 0,95 -0,003 0,00 0,000 0,97
Variables emploi
ancienneté dans l’ent. 1998 ANC 0,136 0,00 0,050 0,01 0,123 0,00 0,044 0,03 9,8
ANC² -0,003 0,00 -0,002 0,00 -0,003 0,00 -0,002 0,02
spécialité de formation initiale
= spécialité d'emploi 1998 0,243 0,04 0,364 0,00 0,289 0,02 0,310 0,01 19,3
Variables insertion dans l’entreprise
quotité de travail emploi 98 0,014 0,00 0,005 0,04 94,4
encadre plusieurs personnes en 1998 -0,524 0,00 -0,374 0,00
Qualification de l'emploi 1998
Autres cas -0,445 0,02 -0,182 0,34 5,0
Manœuvre, OS -1,145 0,00 -0,570 0,00 7,7
OQ, OHQ -0,136 0,37 -0,131 0,40 17,3
Maîtrise admin. ou com. 0,079 0,73 0,117 0,63 4,5
Agent de Maîtrise 0,004 0,99 -0,123 0,74 1,8
Technicien, dessinateur, VRP (non cadres) 0,068 0,73 -0,103 0,61 8,3
Instituteur et autre cat. B 1,527 0,00 1,157 0,03 5,5
Ingénieur, cadres -0,231 0,23 0,093 0,64 7,9
Prof., autre cat. A 1,048 0,05 0,595 0,28 3,4
Cat. C ou D ref. ref. 38,2

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Tableau 1 (suite)
LE RISQUE DE CHÔMAGE DE LA POPULATION EN EMPLOI 5 ANS PLUS TÔT

Probabilité d'être en emploi en 2003 moyenne


(situation de référence chômage - logit multinomial) ou %
Équation 1 Équation 2 Équation 1 Équation 2
employeur en 1998 et 2003 1998 = 2003 1998 ≠ 2003 1998 = 2003 1998 ≠ 2003
Variables de marché

Secteur d'activité
Agriculture, sylviculture et pêche -0,172 0,67 0,310 0,46 2,0
Industrie agroalimentaire -0,806 0,01 -0,162 0,60 3,7
Industrie biens de consommation -1,369 0,00 -0,809 0,00 3,8
Industrie automobile -1,104 0,00 -0,636 0,11 2,0
Industrie biens d'équipement -1,065 0,00 -0,441 0,12 5,0
Industrie biens intermédiaire -0,625 0,01 -0,273 0,30 8,0
Énergie 0,403 0,59 0,346 0,65 1,5
Construction -0,852 0,00 0,155 0,58 6,0
Commerce -1,174 0,00 -0,472 0,03 15,0
Transport -0,999 0,00 -0,261 0,36 5,2
Activités financières -0,678 0,04 -0,457 0,20 3,5
Activités immobilières -0,847 0,03 -0,080 0,84 1,5
Service aux entreprise -1,041 0,00 -0,323 0,18 9,2
Service aux particuliers -1,321 0,00 -0,341 0,19 5,3
Éducation, santé, action sociale -0,256 0,26 0,152 0,53 17,1
Administration ref. ref. 11,2

Nombre de salariés de l'entreprise 1998


0à2 -0,833 0,00 0,025 0,90 3,5
3à9 -0,680 0,00 0,274 0,06 10,8
10 à 49 -0,477 0,00 0,220 0,09 16,0
50 à 99 -0,246 0,17 0,215 0,24 6,6
100 à 199 -0,282 0,11 0,163 0,37 6,7
200 à 499 -0,329 0,04 0,009 0,96 7,7
500 et + ref. ref. 48,6
Pseudo R²
Cox et Snell 0,199 0,251
Nagelkerke 0,249 0,315

Note de lecture : les coefficients issus de l’estimation et la probabilité que ce coefficient diffère de 0 sont présentés dans
le tableau. Une valeur de la probabilité inférieure à 0,01 0,05 ou 0,10 signifie que le coefficient est significativement
différent de 0 à 1 %, 5 %, et 10 %.

Le premier résultat souligne clairement les difficultés relativement plus élevées des femmes sur le marché du
travail. Le risque de chômage est, en effet, nettement plus élevé pour les femmes que pour les hommes
toutes choses égales par ailleurs.

Manifestement, dès lors que les individus occupaient un emploi cinq ans auparavant la probabilité de
chômage est beaucoup moins liée au niveau d’études qu’au premier emploi. Par rapport à la référence,
c'est-à-dire l’absence de formation initiale qualifiante, de nombreuses autres formations s’avèrent non
discriminantes car le coefficient de ces variables est statistiquement non significatif. Seules les formations
professionnelles supérieures au baccalauréat limitent le risque de chômage. Ce n’est pas le cas des
formations universitaires de premier cycle et dans une moindre mesure des second et troisième cycles. Il est
important de noter que la sélection relative aux spécialités de formation conduit à retenir uniquement les
formations universitaires dont les spécialités ont le caractère le plus professionnel. Toutefois, il semblerait
que leur insertion dans des filières générales leur confère un rôle moins protecteur contre les risques de
chômage que les formations des filières professionnelles.

200
Indépendamment de l’expérience et de l’ancienneté dans l’entreprise en 1998, dont l’impact est saisi par
ailleurs, la génération de naissance a un effet non négligeable sur le risque de chômage. Il apparaît
significatif uniquement au-delà de 45 ans. Avoir plus de 45 ans est un élément qui protège du chômage. En
revanche, lorsqu'il y a tout de même chômage, l’âge avancé est un facteur aggravant le risque de rester au
chômage car le signe du coefficient pour l’équation nouvel emploi contre chômage est négatif.

L’ancienneté dans l’entreprise qui emploie le salarié en 1998 limite les risques de chômage futur. Il en est de
même pour l’expérience antérieure à cet emploi. Lorsque le salarié sort de l’emploi alors l’expérience
antérieure à l’emploi de 1998 n’a pas d’effet significatif sur le risque de rester au chômage. C’est donc avant
tout la dernière expérience qui détermine la situation d’emploi suivante et non les plus anciennes. Qu’il
s’agisse de l’expérience ou de l’ancienneté, l’effet protecteur décroît avec les années cumulées, les
coefficients des termes quadratiques étant tous négatifs lorsqu’ils sont significatifs.

Globalement, les variables individuelles jouent un rôle moins protecteur contre le chômage lorsque la
carrière est déjà de cinq années au moins, à l’exception de l’ancienneté dans l’entreprise où été exercé
l’emploi antérieur.

Les caractéristiques de cet emploi sont susceptibles alors de jouer un rôle plus déterminant que les
caractéristiques individuelles. Toutefois, il peut exister un lien déterminant entre ces deux types de
caractéristiques. C’est cette relation qui est mesurée entre la spécialité de la formation initiale et celle de
l’emploi en 1998. Selon la mesure normative retenue ici moins de 20 % des salariés réalisent l’adéquation
de spécialité. Cette proportion est inférieure de moitié à celle estimée par Bruyère et Lemistre (2005) pour
une génération de jeunes sortants du système éducatif en 1998 issue des filières professionnelles. La
différence provient vraisemblablement en partie de la norme d’adéquation qui ne repose pas sur les mêmes
nomenclatures. Elle est aussi liée au fait que les formations retenues ici ont, pour certaines, des contenus
plus généraux, d’une part. D’autre part, l’échantillon concerne des individus expérimentés qui ont pu
acquérir de nouvelles compétences sur le marché du travail et donc s’éloigner de leur spécialité de
formation. De fait, 25 % de la génération des moins de 35 ans travaille dans sa spécialité de formation en
1998, contre seulement 16 % des 45 ans à moins de 55 ans et 19 % pour les 35 ans à moins de 45 ans.

Un tel résultat semble traduire un rôle décroissant de la spécialité de formation au cours de la carrière. En
regard du risque de chômage, une telle assertion doit être largement relativisée. En effet, le fait d’occuper un
emploi dans sa spécialité cinq ans auparavant limite le risque de chômage significativement. De plus, cela
augmente la probabilité d’une transition vers un emploi lorsque les salariés quittent l’emploi de 1998.
Construire ses compétences dans la continuité de sa formation initiale en termes de spécialité limite donc le
risque de chômage et vraisemblablement sa durée. Toutefois, l’adéquation de spécialité est étroitement liée
aux caractéristiques de l’emploi occupé (Bruyère et Lemistre 2006). La prise en compte de ses
caractéristiques est susceptible alors de limiter le rôle direct de l’adéquation. Or, intégrer de telles variables
à la spécification ne change pas l’effet de l’adéquation. Le rôle positif de l’adéquation de spécialité dans la
situation d’emploi antérieur est donc un résultat relativement robuste.

Concernant les caractéristiques de l’emploi de 1998, la probabilité d’être en emploi est d’autant plus forte
que la quotité de travail est élevée. Le temps partiel est logiquement moins protecteur que le temps complet.
Le type d’activité joue également un rôle important. Le fait d’encadrer du personnel dans un emploi
antérieur s’avère très protecteur contre le risque de chômage, y compris pour les personnes qui ont changé
d’emploi.

Le fait d’occuper un poste d’OS ou de manœuvre augmente significativement le risque de chômage par
rapport à un salarié de la Fonction publique en catégorie C ou D (qui ne sont pas toujours fonctionnaires).
La situation est inverse pour les catégories B de la Fonction publique qui sont majoritairement des
fonctionnaires (Dauty, Lemistre et Vincens 2006).

Les secteurs d’activité de l’entreprise de 1998 jouent un rôle non négligeable sur le risque de chômage. Le
fait d’avoir travaillé dans les secteurs du commerce et de l’industrie des biens de consommation,
d’équipement et de l’automobile augmente significativement la probabilité de chômage, mais augmente
aussi la probabilité de reprise d’emploi dans le cas d’une sortie de l’emploi occupé en 1998. Pour les autres
secteurs, les écarts sont significatifs uniquement concernant le risque du chômage.

Le résultat le plus surprenant concerne la taille de l’entreprise. Plus la taille de l’entreprise est importante
plus celle-ci contribue à sécuriser l’emploi. En revanche, lorsque les salariés connaissent une sortie de
l’emploi de 1998, le fait d’avoir occupé un emploi dans une grande entreprise (plus de 500 salariés)

201
diminue les chances de reprise d’emploi. Un tel résultat recouvre vraisemblablement en partie la partition
entre marché interne et marché externe (Doeringer et Piore 1971). Les salariés qui occupent des emplois au
sein des grandes entreprises appartiennent majoritairement au premier type de marché où les carrières sont
assurées à long terme par opposition au marché externe. Il semblerait alors que les salariés qui quittent un
marché interne soient plus vulnérables que les autres. Une explication possible est que les travailleurs qui
ont quitté volontairement ou non un marché interne sont plus exigeants dans leur recherche d’emploi, d’une
part. D’autre part, ils ne bénéficient pas d’expérience au sein des PME et sont donc moins concurrentiels sur
ce marché du travail ou la mobilité est davantage la règle (Germe 2001). Enfin, il se peut que les
compétences développées au sein des grandes entreprises soient davantage des compétences spécifiques au
sens beckerien, ce qui compromet les chances de réinsertion. De telles conjectures doivent être validées par
des études complémentaires.

Tableau 2
SÉCURITÉ DE L’EMPLOI ET SÉCURITÉ DES TRAJECTOIRES ENTRE 1998 ET 2003

Sécurité de l’emploi en 1998


Non
+ – significatif
• Homme • Entreprises de moins de 500
• Travailler à temps plein salariés
• Encadrer d’autres personnes
• Ancienneté longue
• Travailler dans sa spécialité de
+ formation
• Diplôme BTS-DUT ou CAP-BEP ou
école d’ingénieurs, grandes écoles
(réf : non qualifié)
• Moins de 45 ans
• Instituteur et catégorie B de la FP
(réf : catégorie C ou D de la FP)
Risque de
reprise • Grandes entreprises de plus de 500 • Femme • Entre
d’emploi en salariés • Plus de 55 ans 45 ans et
2003 • Travailler à temps partiel 55 ans
• Ne pas encadrer d’autres salariés
– • Peu d’ancienneté
• Ne pas travailler dans sa
spécialité de formation
• Occuper un emploi de
Manœuvre ou OS (réf : catégorie C
ou D de la FP)
• Travailler dans l’industrie des
biens de consommation,
d’équipement ou automobile, dans
le commerce (réf : administration)

• Expérience longue • 1e, 2e et 3e cycle universitaire


• Prof. ou catégorie A de la FP (réf : (réf : non qualifié)
catégorie C ou D de la FP) • Travailler dans l’industrie
Non agroalimentaire ou biens
significatif intermédiaires, la construction, les
transports, les activités financières
et immobilières, les services aux
entreprises et aux particulières (réf :
administration)

En comparant les signes des paramètres des deux estimations (rester dans le même emploi contre être au
chômage et reprendre un autre emploi contre rester au chômage) on peut tracer une carte des critères qui
déterminent la sécurité de l’emploi et la sécurité de la trajectoire (ou risque de reprise d’emploi). En effet,
pour une même variable ou modalité un paramètre négatif dans l’équation 1 mais positif dans l’équation 2
montre que cette variable a un impact négatif sur la sécurité de l’emploi mais positif pour la reprise d’emploi
c'est-à-dire la sécurité de la trajectoire. Un signe positif dans la première équation mais négatif dans la

202
deuxième indique que la variable sécurise l’emploi mais en revanche devient un handicap pour retrouver
un emploi dans le cas d’une rupture. Dans le tableau suivant, nous avons classé les variables ou les
modalités selon les signes des paramètres.

Une première remarque montre qu’un grand nombre de caractéristiques conditionnent soit la sécurité de
l’emploi et de la trajectoire soit la situation inverse. Il y a peu de variables qui favorisent à la fois la
flexibilité et la sécurité de la reprise de l’emploi comme le modèle de la flexsécurité le développe (case du
haut à droite). Nos résultats indiquent plutôt un marché du travail dual avec d’une part des salariés qui
cumulent sécurité de l’emploi et forte probabilité de reprise d’emploi (marché interne) et les autres qui sont
sur des emplois plus flexibles sans pouvoir avoir de meilleures chances de construire des trajectoires
professionnelles longues par des passages courts dans le chômage (marché concurrentiel). La taille de
l’entreprise est la seule variable qui distingue les salariés dans le sens de la flexsécurité c’est-à-dire d’une
part une sécurité de l’emploi plus faible compensée par une probabilité de reprise d’emploi plus forte et
d’autre part une sécurité de l’emploi plus forte et un risque de chômage de longue durée plus grand.

Conclusion
Les premiers résultats de ce travail montrent que le risque de chômage est davantage déterminé par les
caractéristiques du dernier emploi que par la formation initiale et ce d’autant plus que l’expérience
antérieure est longue. Plus les individus s’éloignent de la fin des études, moins les signaux de compétences
révélées par la formation initiale sont mobilisés. Ce résultat explique alors que la part des salariés en
adéquation de spécialité décroît avec l’âge. Ceci indique que les passages par les emplois successifs
transforment et développent d’autres compétences qui prennent le relais de celles émanant de la formation
initiale. Pour autant, ces compétences liées aux emplois n’ont pas toutes le même effet sur les trajectoires
professionnelles. Si certaines permettent de sécuriser l’emploi, elles peuvent ensuite devenir un signal
pénalisant pour retrouver un emploi en cas de chômage. C’est le cas de l’emploi dans une entreprise de plus
de 500 salariés. Néanmoins, la grande majorité des signaux des compétences étudiées ici influencent dans
le même sens sécurité de l’emploi et risque de reprise d’emploi. Cette dualité contribue à faire porter sur
certains salariés l’ensemble des signaux pénalisants non seulement pour rester dans l’emploi mais aussi pour
reprendre un emploi.

Ce travail mérite de nombreux prolongements. Tout d’abord, il serait judicieux d’estimer un multinomial
ordonné en tentant à l’aide du calendrier professionnel 1998-2003 de distinguer les mobilités subies de
celles qui sont choisies. Il faut aussi mieux prendre en compte la relation entre les éventuelles relations entre
les déterminants en estimant des biais d’endogénéité. Enfin, pour comprendre l’impact respectif des groupes
de variables sur les mobilités, il serait nécessaire de calculer des effets marginaux.

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