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« L’ art » n'existe pas : en revanche il y a la peinture, la

sculpture, la musique, la poésie - les arts, c'est à dire les


savoir-faire. Mé ez-vous des artistes, cherchez plutôt des
peintres. Eux qui se passent le ambeau du métier, de la
représentation du monde, de la beauté.

L’oeuvre d’art véritable nous éclaire sur le monde en le représentant, en le mettant en


forme, et partant elle nous permet de l’habiter.

C'est chez Aristote que l'on trouve la formulation du point de vue classique sur l'œuvre
d'art, qui fait reposer la peinture sur la mimésis, c'est-à-dire sur l'imitation, la re-
présentation, la guration. Ainsi je lis dans la Poétique:

« Le fait d'imiter [de représenter le monde] est inhérent à la nature humaine dès l'enfance;
et ce qui fait di érer l'homme d'avec les autres animaux, c'est qu'il en est le plus enclin à
l'imitation: les premières connaissances qu'il acquiert, il les doit à l'imitation, et tout le
monde goûte les imitations.

« La preuve en est dans ce qui arrive à propos des œuvres artistiques; car les mêmes
choses que nous voyons avec peine, nous nous plaisons à en conte pler l'exacte
représentation, telles, par exemple, que les formes des bêtes les plus viles et celles des
cadavres. « 

La représentation correspondrait donc à ce qui serait la nature humaine. Partout où il y


aurait de l'homme, il y aurait de l' «imitation», c' est-à-dire de l'art, de la représentation.
C'est aussi ce que je crois. Et je pense à un phénomène qu'Aristote ne mentionne pas,
mais qui me renforce dans cette idée: je veux dire le rêve - cette faculté si étrange qu'a
l'homme de se raconter des histoires toutes les nuits, certaines joyeuses, d’autres
horribles. Le rêve, les arts, autant de manifestations de ce goût humain pour l'imitation, la
reproduction et la recréation de la vie, comme si nous avions besoin de redupliquer la vie
pour la supporter. Oui, la représentation est un droit de l'homme, ou plutôt un besoin
naturel de celui-ci.

L'imitation serait donc « inhérente à la nature humaine » Mais pourquoi nous est-elle
indispe sable ? Quel besoin vient-elle satisfaire ? Aristote a déjà indiqué que «les
premières connaissances [que l’homme] acquiert; il les doit à l'imitation». Il semble bien
qµe, pour lui, le goût que nous avons pour les imitations est un goût pour la

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connaissance. Et en e et, continue-t-il : « Cela tient à ce que le fat d'apprendre est tout
ce qu'il y a de plus agréable non seulement pour les philosophes mais encore tout autant
pour les autres hommes (…)

« Et en e et, si l’on se plaît à voir des représentations d’objets, c'est qu'il arrive que cette
conte plation nous instruit et nous fait raisonner sur la nature de chaque chose ( ... ) ;
d'autant plus que si, par aventure, on n'a jamais vu l'original de ce qui est représenté, ce
ne sera pas la représentation qui produira le plaisir goûté, mais plutôt l'arti ce ou la
couleur, ou quelque autre considération.»

Ainsi la mimésis noue ensemble la connaissance et le plaisir, la vérité et la beauté.

La notion de métier désignait précisément cette alliance du savoir et de la délectation


chez le peintre. Quelles connaissances immenses fallait-il maîtriser pour savoir que tel
pigment avait besoin de tel liant, que tel papier supportait mieux telle préparation ou telle
encre, que ce drap qu'on de sinait était fait de velours et non de soie, que c'était ainsi
que le velours tombait, que la couleur qu'il avait en plein jour n'était pas celle qu'il avait à
la lumière d'une bougie ? Imagine-t-on la somme de savoirs nécessaire à la maîtrise de la
perspective et des jeux optiques, qui faisait qu'un Piero della Francesca, un Léonard de
Vinci, étaient géomètres autant que peintres ? La maîtrise de son métier ne garantissait
pas au peintre d'être un grand artiste, mais sa disparition progressive, au XXème siècle,
devrait nous catastropher, comme nous attriste tout savoir qui se perd, toute langue qui
disparaît, toute civil sation reculée qui meurt. Au reste, l'un des premiers pièges de l'art
contemporain est celui qui consiste à parler d'art en général et non de tel ou tel art en
particulier. « L’ art » n'existe pas : en revanche il y a la peinture, la sculpture, la musique,
la poésie - les arts, c'est à dire les savoir-faire. Mé ez-vous des artistes, cherchez plutôt
des peintres.

« L’autre art contemporain, vrais artistes et fausses valeurs » Benjamin Olivennes ed :


Grasset, Pages 26 à 30

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