OBSERVATOIRE ASIE DU SUD-EST 2012/2013

étude
Étude
quadrimestrielle

Etude quadrimestrielle n°3, cycle 2012-2013, Observatoire Asie du Sud-est

Septembre 2013

Sommaire
(par ordre alphabétique des noms d’auteurs)

• Les blindés indonésiens : réel besoin ou vrai • La dé-radicalisation en Asie du Sud-est  :

caprice ?
Baptiste Dussauge, chercheur-analyste à Asia
Centre, et Éric Frécon, docteur en science
politique, pilote de l’observatoire Asie du Sud-est
à Asia Centre, enseignant-chercheur à l’École
navale.
expériences en cours…
Agatha Kratz, chercheuse à Asia Centre, diplômée
de la London School of Economics and Political
Sciences (LSE), de la Columbia University (SIPA) et
de Sciences Po Paris, avec une forte spécialisation
sur l’Asie du Sud-est et la Chine.

• Sittwe  : point de (dés)équilibre social et • Le bouddhisme politique en Birmanie*

diplomatique au cœur d’une Birmanie en
mutation ? Kyaw San Wai, étudiant de Master of Science en
Éric Frécon, docteur en science politique, pilote Relations internationales à la S. Rajaratnam School
de l’observatoire Asie du Sud-est à Asia Centre, of International Studies de Singapour. Il travaille sur
enseignant-chercheur à l’École navale. les affaires birmanes, avec une spécialisation sur
les questions de politique étrangère et politique
71 boulevard Raspail domestique.
75006 Paris - France
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 • Privatiser la sécurité (maritime) en Asie du
Sud-est : entre tendance et inquiétude**
Dr Carolin Liss, chercheur à la Griffith Asia Institute
et au Centre for Governance and Public Policy,
au sein de l’Université de Griffith en Australie. Elle
est l’auteur de Oceans of Crime. Maritime Piracy
and Transnational Security in Southeast Asia and
Bangladesh (Singapore, ISEAS, 2012) en plus
de nombreux articles sur la piraterie maritime et
la privatisation de la sécurité maritime et sur le
terrorisme en Asie.
• Le cyber-extrémisme : son rôle dans le
terrorisme indonésien*
Nur Azlin Mohamed Yasin, Associate Research
Fellow au sein de l’International Centre for Political
Violence and Terrorism Research (ICPVTR),
rattaché à la S. Rajaratnam School of International
Studies (RSIS) de Singapour.
• Alliance et alignement dans l’évolution des
relations entre le Japon et les Philippines*
Maria Theresa Anna Robles, Associate Research
Fellow au sein du Centre for Multilateralism Studies,
rattaché à la S. Rajaratnam School of International
Studies (RSIS) de Singapour.
• Le conflit de mer de Chine du Sud vu depuis
l’archipel indonésien des Natuna*
Siswanto Rusdi, fondateur et directeur de
l’Institut maritime national (Namarin), un think tank
indépendant basé à Jakarta.
• La Chine dans la région du Mékong*
Kearrin Sims, doctorant à l’University of Western
Sydney, rattaché à l’Institute for Culture and
Society. Ses recherches ont pour objet le
développement, la justice sociale, et le rôle
croissant de la Chine dans la région du Mékong.
Pour plus d’informations, vous pouvez trouver ses
recherches et publication à cette adresse : www.
laophd.com1.
• L’Asie du Sud-est et le déni d’accès à la mer :
la défense des mers étroites*
Ristian Atriandi Supriyanto, Associate Research
Fellow au sein du Maritime Security Programme,
rattaché à la S. Rajaratnam School of International
Studies (RSIS) de Singapour.
* Traductions de Clémence Mirgalet, chercheur-analyste
à Asia Centre
** Traduction de Baptiste Dussauge, chercheur-analyste
à Asia Centre
1
Voir notamment la Chine au Laos : http://laophd.com/china-in-
laos/ (consulté en septembre 2013).
Les blindés indonésiens : réel besoin ou vrai caprice ?
- Baptiste Dussauge et Éric Frécon
Depuis environ un an, l’Indonésie multiplie les achats de
matériels militaires auprès des puissances étrangères. La
plupart de ces achats concernent des véhicules militaires
pour les trois corps d’armée. Le parc d’engins est très
vétuste  : les derniers chars acquis par l’archipel datent
des années 1980, lorsque sous l’impulsion du président
Soekarno, les Pays-Bas ont fait don de 125 AMX-13, des
chars de combats de conception française, vieux de plus
de vingt ans à cette époque. Pourtant, le récent achat des
chars Leopard2 a divisé la classe politique, et n’a pas reçu
l’approbation du peuple lors de son annonce publique.
L’achat de chars d’assaut est à première vue indispensable
pour moderniser son armée de terre (TNI-AD – Tentara
Nasional Indonesia-Angkatan Darat). Ce véhicule à
l’impact autant psychologique que tactique confère un
avantage certain sur le champ de bataille. Les guerres
actuelles n’ont rien à voir avec les guerres de tranchés
d’autrefois où le fantassin était envoyé au front avec peu
d’espoir de retour. Un char possède une puissance de feu
importante grâce à son canon face aux véhicules légers
ou face à l’infanterie ennemie grâce à l’adjoint d’une ou
plusieurs mitrailleuses. De plus, il permet de progresser sur
le champ de bataille tout en protégeant les troupes du feu
ennemi, permettant de sauver de nombreuses vies. Enfin,
le char de combat peut se déplacer sur presque tous les
types de terrains. Cependant, pourquoi l’achat de ces
104 Leopard 2A6 et 50 Marder 1A2 de seconde main à
l’Allemagne fait-il tant polémique ?
1. La fièvre acheteuse de l’armée indonésienne
Dépenser une somme aussi conséquente dans l’achat
de blindés est apparu comme insensé. Les experts
militaires indonésiens avaient déjà été critiqués lors de
l’achat de trois sous-marins U209 sud-coréens pour un
montant total de 1,07 milliards de dollars3. Il faut dire que
l’Indonésie est un archipel constitué d’environ dix-sept
mille îles, dont certaines sont inhabitées. La géographie du
pays ne se prête guère à l’usage de blindés car le relief
est principalement constitué de montagnes, de forêts et
de marécages. Dans de telles conditions, il semble difficile
de pouvoir manœuvrer avec des engins aussi lourds. En
outre, sur l’île principale du pays, Java, le réseau routier
est sous-développé, et de nombreux ponts sont présents.
Cette configuration topographique va compliquer la tâche
à l’armée dans ses manœuvres.
A l’heure actuelle, il est indispensable pour l’armée
indonésienne de moderniser son équipement. Les officiels
ironisent souvent en disant que le matériel est plus âgé que
Pramono Edhie Wibowo lui-même : né en 1955, ce dernier
a été général en chef de l’armée de terre indonésienne et
beau-frère de l’actuel Président du pays, Susilo Banbamg
Yudhoyono. Pourtant, l’obsolescence du matériel ne prête
guère à sourire car les soldats doivent manœuvrer avec
2
D’une valeur de 280 millions de dollars américains, seront livrés
progressivement de fin septembre 2012 jusqu’à la mi-2014.
3
Sauf mention contraire, il s’agit de dollars américains.
2
des engins datant de la Seconde guerre mondiale. Selon
les chiffres du magazine Tempo4, 30  % des chars ainsi
que 48,2  % de l’artillerie sont endommagés. En outre,
seulement 30% des appareils de combat de l’armée de
l’air sont utilisables, et la plupart des bâtiments de la marine
indonésienne (TNI-AL – Tentara Nasional Indonesia-
Angkatan Laut) ont plus de vingt-cinq ans.
Ensuite, lorsqu’un pays veut moderniser son équipement
et son armée, c’est aussi pour répondre à un besoin
immédiat. Pour l’heure, le pays est en proie à de nombreux
conflits intérieurs de la part de groupes ethniques qui
refusent de se soumettre à l’État indonésien, notamment
en Papouasie occidentale. L’autre menace du pays est
le terrorisme international, et dans une moindre mesure
la piraterie. Mais lors de ses interventions, le président
Susilo Bambang Yudhoyono a assuré que les chars de
combat seront destinés à la défense du pays contre les
menaces extérieures, et non pour combattre les menaces
intérieures.
Or, l’Indonésie n’a pas de menace directe de la part de
ces voisins les plus proches qui sont Singapour et la
Malaisie. Comme il l’a très bien souligné lui-même, « il n’y
a pas d’actes hostiles au sein de la région ASEAN ». Le
professeur Richard Bitzinger5 de la Rajaratnam School of
International Studies, fait remarquer que les pays membres
de l’ASEAN préfèrent mettre en valeur le développement
économique et promouvoir la paix, ainsi que la non-
ingérence dans les politiques intérieures des autres pays,
au sein de la région, plutôt que d’émettre de quelconques
jugements sur la politique des membres. C’est un accord
tacite selon lequel les pays membres s’abstiennent de tout
commentaire.
2. Les raisons (cachées) de l’achat de chars
A la lumière de ce qui a été vu, on peut donc toujours
se poser la question de savoir d’où vient cette volonté
d’acheter 104 Leopard 2 et 50 Marder 1A2 allemands, qui
plus est d’occasion.
Une première explication vient d’un ancien industriel
français6 ayant vécu trente ans en Indonésie, proche des
élites stratégiques du pays. Selon lui, la raison qui a motivé
l’achat est financière, car il y aurait eu des commissions
d’un montant assez élevé. Sinon, pourquoi acheter des
blindés dans un pays recouvert de forêts et de montagnes,
alors que des engins légers auraient été plus adaptés ?
Selon le second témoignage7 d’un autre Français, ancien
militaire basé en Indonésie, ce choix illogique tient du
fait qu’un char impressionne le peuple par son aspect
indestructible et par sa puissance de feu. Or,  parmi
les 104 Leopard, 61 sont effectivement des Leopard
« Revolution » ou « Evolution », une version améliorée du
char Leopard 2A4 plus adaptée au combat urbain mais
avec une capacité de tir inférieure à la version originale8.
Toutefois, il est surtout clair que la tactique et la stratégie
4
“Weapons of Mass Corruption”, Tempo, 29 octobre- 4 novembre
2013.
5
Entretiens par courriers électroniques en août 2013.
6
Entretiens par courriers électroniques en août 2013.
7
Entretiens par courriers électroniques en août 2013.
8
B. Setyarso, W. Agustina, “Talking Leopards on a Canal”, Tempo,
29 octobre-4 novembre 2013, p. 21.
ne rentrent pas dans les paramètres de l’achat : c’est la
volonté d’impressionner par le prix et la qualité du matériel
qui comptent. Cet ancien officier affirme également que
cet achat est un mimétisme de la Malaise et de sa politique
d’occupation du territoire.
Reste le point de vue d’Al Araf, un ancien enseignant de
l’Indonesian Defense University ; il s’est fait limoger après
sa critique de l’acquisition de cette centaine de chars
Leopard. Aujourd’hui, il apporte quelques précisions
supplémentaires sur cet achat incompréhensible. Pour
lui, la raison est à chercher au niveau du ministère de la
Défense, où les trois corps d’armée (terre, air et marine)
sont en compétition pour l’attribution du budget. Avant
même que le ministre de la Défense donne son accord
pour l’achat des chars Leopard, l’armée de l’air avait fait
l’acquisition de six avions russes Sukhoi (pour un total de
470 millions de dollars américains), et la marine s’était vue
offrir des sous-marins et des corvettes. Cette lutte pour le
financement entre les différents corps d’armée a poussé
le ministère de la Défense à acheter de l’équipement lourd
pour l’armée de terre ; c’est pour cette raison que l’État
s’est retrouvé avec une centaine de Leopard. Encore
aujourd’hui, le gouvernement tente de justifier cet achat
sous couvert de « l’équilibre des puissances » par rapport
à la Malaisie et à Singapour qui ont déjà obtenu leurs chars
principaux de combats (cf. tableau en annexe). Selon lui cet
argument ne tient pas face à la topographie de l’Indonésie.
Toujours d’après cet ancien enseignant, c’est dans un
tel contexte que l’État a évoqué publiquement que cette
acquisition faisait partie du «  commerce des armes  »
(weaponery business). Cette situation d’achat illogique
ou contraire à une quelconque stratégique militaire n’est
pas isolée puisqu’il y a déjà eu des précédents cas –
l’armée a effectué des achats très onéreux au regard
du budget et des besoins – qui sont l’indicateur de
corruption. Des cas similaires à l’affaire des Leopard, de
suspicions de corruption, ont été mis en lumière par la
Commission d’éradication de la corruption9, notamment
lors de l’acquisition des Sukhoi. Aussi le contrôle public
des affaires relatives à la défense est-il devenu monnaie
courante dans un tel contexte de corruption10, notamment
avec la loi du 2 octobre 2012 (cf. infra) et même si, dans
la mentalité militaire, on cultive toujours la pensée anti-
critique vis-à-vis de l’armée. Cette pesanteur explique
d’ailleurs pourquoi Al Arafa été démis de ses fonctions au
sein de l’Indonesia Defense University, un établissement
où la majorité du personnel appartient au corps militaire ;
dans de telles conditions, l’université ne pouvait pas laisser
passer ces critiques sur les choix en matière de Défense.
3. Quand la logistique ne suit pas…
Cette acquisition qui fait débat pousse à se poser d’autres
questions quant au déploiement de ces chars et à
l’utilisation tactique que le gouvernement pourrait en faire.
Tout d’abord, un fait aggravant vient ajouter une certaine
incompréhension puisque selon les chiffres du Military
9
Komisi Pemberantasan Korupsi en indonésien, souvent abrégé
KPK.
10
Un rapport du cabinet du secrétaire Dipo Alam, secrétaire à
la Commission d’éradication de la Corruption (KPK), affirme que
trois ministres sont accusés de corruption, avec la complicité de
plusieurs parlementaires  : voir “Ministries ready for questioning
over Dipo’s report to the KPK”, The Jakarta Post, 17 novembre
2012.
3
Balance 2012, l’Indonésie ne possède quasiment pas
d’engins de déploiement ou de navires de débarquement.
L’armée serait donc incapable de déployer les chars
Leopard d’îles en îles au sein de l’archipel en cas de conflit.
En effet, le pays ne dispose que de quatre navires de classe
Makassar type LPD11, qui viennent en remplacement
de l’ancien navire de classe Tanjung Dalpele, également
acheté auprès de la Corée du Sud. Alors que si on prend
l’exemple de la Malaisie et de Singapour, ces deux nations
sont mieux équipées en navires pour déployer matériels et
troupes. La Malaisie possède cent quinze navires de type
LCM/LCU12 et la cité-État de Singapour est forte de quatre
navires de type LPD et trente-quatre navires de type LCU.

Conclusion

Finalement, comme l’explique le Professeur Bitzinger, on

peut supposer – même si cela est peu probable – que
les chars allemands pourraient être déployés sur l’île de
Bornéo par l’armée indonésienne afin de faire pression
sur la Malaisie orientale ou le Brunei ; ou bien être utilisés
contre le Timor Leste, au sud de l’archipel indonésien.

Surtout, l’Indonésie améliore peu à peu son équipement

militaire, principalement au regard de ses voisins  ; ces
dernières années, Singapour, la Malaisie, Brunei, Timor
Leste, les Philippines et éventuellement le Vietnam ont en
effet développé bien avant elle leurs armées. Tous avaient
surpassé l’Indonésie quand il s’agissait de se procurer des
chars, des avions de chasse ou encore des sous-marins.
Jakarta cherche aujourd’hui à rattraper son retard.

Epilogue : réforme dans l’acquisition du matériel

Jusqu’à présent, quand l’Indonésie désirait se procurer

des armes, le pays faisait appel à des intermédiaires ou
à des courtiers (broker) qui se fournissaient directement
à l’étranger en faisant gonfler «  artificiellement  » la note.
Dans le but d’endiguer de telles pratiques, sans aucun
sens et/ou trop coûteuses, l’exécutif et la Chambre des
représentants13 ont adopté une loi relative au complexe
militaro-industriel. Cette loi votée le 2 octobre 2012 –
entrée en application dès 2013 – a pour but de donner la
priorité à l’industrie nationale en matière d’armement, sauf
si l’équipement n’est pas disponible chez les constructeurs
indonésiens. Chaque corps d’armée ayant besoin de
nouveaux matériels doit en faire la demande auprès
du ministère de la Défense au lieu de le faire importer
directement.

Par ailleurs, l’acquisition, fin août 2013, de huit hélicoptères

de combat américains AH-64E Apache a commencé
à soulever une polémique comparable à celle ayant
accompagnée l’achat des chars allemands : pourquoi
des hélicoptères de combat mal adaptés à la surveillance
maritime – et trop coûteux pour ces missions ? Pourquoi
du matériel américain alors qu’il existe des hélicoptères
indonésiens ? Encore une fois, il semblerait que les soucis
d’image et de statut – voire de « snobisme militaire » ? –
l’aient emporté sur la raison et les finances.

11
 Landing Platform/Dock ou Amphibious Assault Vehicle
Transport Dock.
12
Landing Craft Medium /Landing Craft Utility.
13
Dewan Perwakilan Rakyat en indonésien, souvent abrégé DPR.

4
Annexe :
Comparaison des budgets et équipements en chars
entre Indonésie, Malaisie et Singapour

PIB en 2011 Budget Défense en 2011 Superficie totale Nombre de Nombres de

(en milliards US (en milliards US dollar) pays soldats actifs chars**
dollar) (en km²) (armée de terre)
IDN 704 4,7 1 919 000 233 000 504***
MYS 272 4,54 319 847 80 000 69
SGP 264 9,66 710 50 000* 446

Source : Military Balance 2012

Note :
* La particularité de l’armée singapourienne est qu’elle compte
un grand nombre de conscrits (300 000 hommes).
** Inclus « Chars de combat principal » et « Chars légers ».
*** Inclus l’achat des 104 Leopard et 50 Marder fin 2012.

5

Sittwe : point de (dés)équilibre social et diplomatique
au cœur d’une Birmanie en mutation ?14
- Éric Frécon
Sittwe est non seulement le nom d’un district mais
aussi celui de la capitale de l’État Rakhine (ex-Arakan,
dont le nom a subsisté en français) – peuplé en majorité
d’Arakanais, l’une des ethnies de la Birmanie, et séparé
du reste du pays par une chaîne de montagnes qui
culmine à 3 063 mètres d’altitude. La ville dispose d’une
université et d’un aéroport. Elle comptait un peu plus
de 180  000  habitants lors du recensement de 2006 et
est composée de bouddhistes et musulmans à parts
égales, même s’il n’existe aucun chiffre fiable relatif à la
ville. Historiquement, ce petit port de pêche fut le théâtre
d’une bataille entre Birmans et Arakanais en 1784 puis
s’est développé à partir de 1826 sous l’impulsion des
Britanniques au lendemain de l’invasion de l’Arakan, suite
à la première guerre anglo-birmane. Déjà, la géographie
– région enclavée et littorale – ainsi que l’histoire – conflits
contre les Birmans et les Anglais – laissent entrevoir les
deux principales données géopolitiques.
A elle seule, Sittwe incarne en effet les problématiques
majeures du pays, entre défis internes – à savoir la
coexistence de différents groupes ethniques et religieux –
et externes – avec les visées chinoises et indiennes, entre
autres, essentiellement aux abords des ports birmans.
Dans ce contexte, il parait judicieux de s’attarder sur le cas
de cette ville, dès lors à considérer comme indicateur de
premier plan.
1. Sittwe, les Rohingyias et le pouvoir central
1.1. Le constat : vers un divorce inéluctable
En ce qui concerne les heurts inter-religieux, la situation
se révèle particulièrement tendue à Sittwe, comme l’ont
encore dramatiquement illustré les violences du mois
d’août 2013  : la police a par exemple utilisé des balles
en caoutchouc pour disperser 500 déplacés en colère
le 9 août  : bilan, un mort15. Le paysage urbain a connu
d’importants changements. Il existe des zones vides où les
maisons ont brûlé, surtout – mais pas seulement – dans
les quartiers pauvres où se concentraient les musulmans. Il
faut dire que les derniers migrants musulmans occupaient
les emplois les plus difficiles ou les petits boulots.
Aujourd’hui, la vie économique est en berne. Il devient
même compliqué de manger du poisson, alors que les
musulmans constituaient le gros des embarcations de
pêcheurs. Il en va de même pour le tourisme qui essayait
pourtant de se développer.
Plus que jamais, l’heure est à l’émigration (tant pour les
14
L’essentiel de cette étude repose sur les précieux témoignages
d’Alexandra de Mersan (INALCO, CASE-CNRS), chercheur
qui travaille sur l’Arakan depuis quinze ans et qui a effectué un
travail de terrain à Sittwe en juillet 2013 – entretien téléphonique le
23 août 2013.
15
En 2012, on a compté environ 200 morts pour 140 000 déplacés
dans l’État Rakhine.
bouddhistes que pour les musulmans), tout d’abord vers
Rangoon, puis vers l’Indonésie et la Malaisie, où des
travailleurs birmans ont dû subir les affres des musulmans
locaux, en solidarité pour leurs frères de Sittwe. Dans un
village guère éloigné, 50 jeunes sur 600 habitants travaillent
aujourd’hui en Malaisie.
Les musulmans sont cantonnés dans des zones spéciales
ou dans un camp, visité par le rapporteur spécial des
Nations unies sur les droits de l’homme en Birmanie  :
Tomas Ojeo Quintana. La question se pose de savoir s’ils
ont encore leur liberté de mouvement. Mais, quelle que
soit la réponse, le gouvernement ose affirmer qu’il s’agit
d’ainsi protéger ces populations, ce qui est vrai : le danger
les encercle.
1.2. L’analyse : le poids de l’incompréhension
La rupture entre bouddhistes et musulmans s’élargit
de jour en jour, pour plusieurs raisons. Tout d’abord,
l’incompréhension gagne les Arakanais qui se voient
dépeints comme bourreaux par la communauté
internationale alors qu’eux-mêmes ont dû subir des
violences.
De plus, les Arakanais sont connus pour leur patriotisme,
à moins qu’il ne s’agisse de chauvinisme ou nationalisme,
sans jamais aller jusqu’à l’extrémisme. Pour eux, cette terre
de Bouddha est sacrée et les musulmans y ont toujours
été vus comme des étrangers gracieusement hébergés.
Aussi les 800 000 Rohingyias y sont-ils considérés de plus
en plus comme des immigrés illégaux.
Avec le développement d’Internet et l’ouverture du pays,
les images déferlent et attisent les rancœurs. L’absence de
l’enseignement d’une histoire nationale n’a rien arrangé.
De même, l’amalgame entre d’une part les musulmans
de Sittwe, d’autre part les terroristes en général ou
bien les Talibans détruisant les Bouddhas de Bamiyan
en mars 2001 en particulier, a été fatal à la paix inter-
communautaire. La peur s’est installée dans les interstices
de la méconnaissance entre les différentes communautés.
Comme le contexte national se montre plus favorable à
la libre expression, les Arakanais – à majorité bouddhiste
– n’ont plus aucune retenue lorsqu’ils évoquent les
musulmans ou les Birmans ; à ces derniers, ils réclament
notamment le droit de percevoir au moins 10  % des
dividendes des revenus gaziers et de bénéficier ainsi
directement de leurs ressources naturelles, comme celles
de Shwe field plus au large. En parallèle, la centaine
d’expatriés (en grande majorité les employés des ONG
et autres organisme internationaux) fait office de caisse
de résonnance au profit des populations musulmanes,
déstabilisant de fait la société locale, sans compter les
loyers dont les prix ont été multipliés par trente en certains
endroits, là où les ONG louent.
A écouter et lire les différents témoignages, les défis
semblent donc de taille pour espérer renforcer le
« vouloir vivre ensemble », surtout loin de la capitale. Or,
au même instant et au même endroit, d’autres acteurs
(internationaux) s’invitent, au risque de déstabiliser
l’équilibre non seulement social mais aussi diplomatique,
voire environnemental.
6
2. L’Arakan et les puissances étrangères
Si de plus en plus de pays cherchent à profiter de
l’ouverture birmane, Inde et Chine se montrent les plus
actives au sein de cet État écartelé entre les mondes sud
et est asiatiques.
2.1. L’Arakan et la Chine
La Birmanie permet à la Chine de résoudre son « dilemme
de Malacca  », tel que formulé par Hu Jintao en 2003.
L’idée est d’acheminer par voie terrestre les biens et
énergie depuis les ports birmans jusqu’au Yunnan.
A cette fin, Pékin n’a pas jeté son dévolu sur Sittwe, dont
le poids stratégique est finalement très relatif, malgré les
derniers aménagements, notamment de dragage par la
compagnie Jan de Nul pour améliorer le passage sur la
rivière Kaladan16. Le site est d’ailleurs pauvrement équipé
en défenses militaires17.
C’est finalement l’île de Ramree (ou Yanbye, Rambyé), de
1 350 km², qu’il faut cibler et plus précisément son port
de Kyauk Phyu (ou Kyaukpyu), toujours situé dans l’État
Rakhine, à 105 km en vol d’oiseau au sud-est de Sittwe
(mais 527 km par la route, soit huit heures de conduite).
Ce dernier est le port naturel déjà prisé par les militaires
britanniques au XIXe siècle avant que Sittway/Akyab ne
devienne un port commercial18. La ville jusqu’ici paisible
comptait 20  000 habitants dans les années 1980 mais,
depuis, les projets de développements s’accumulent.
Deux sociétés les encadrent  : la chinoise CITIC Group
et la birmane Htoo Group. C’est depuis cette (presqu’)
île de Ramree que partent les pipelines chinois ; il s’agit
en l’espèce de la tête de pont énergétique de Pékin
qui y a bâti un terminal pétrolier. La zone est moins
densément peuplée que Sittwe, à l’écart des heurts
de la capitale régionale qui se situe à seulement une
centaine de kilomètres de la frontière avec le Bangladesh.
Cet éloignement de Sittwe suffit d’ailleurs à démentir
les théories du complot qui voit derrière les heurts inter-
religieux une manipulation américaine pour déstabiliser et
contrarier les projets logistiques de la Chine.
Kyaukpyu se situe en revanche à seulement 250 km à vol
d’oiseau de NayPyiTaw (mais 559 km et 8 heures par la
route). Le premier pipeline vers Kunming en Chine, long
de 793 km, est déjà en service depuis cet été19 et l’argent
chinois est bien visible. Un fonctionnaire de Kyaukpyu a par
exemple été capable d’acheter pour 1,2 million de dollars,
dont 700 000 en cash, un appartement à Singapour. On
y compte déjà vingt « blocs » intacts, dispersés des deux
côtés de Kyaukpyu, et prêts à accueillir les navires.
D’autres ambitions affleurent20. La ligne ferroviaire à haute
16
Entretien par courrier électronique avec Jacques Leider, le
23 août 2013.
17
Entretien avec Robert Taylor, alors de passage à l’ISEAS de
Singapour, le 15 août 2013.
18
Entretien par courrier électronique avec Jacques Leider, le
23 août 2013.
19
Voir Gabriel Lubeigt, « La Chine en Birmanie à l’aube de la
présidence birmane de l’ASEAN », Etude quadrimestrielle, juillet
2013, pp. 15-17.
20
Voir le projet chinois en vidéo  : http://www.youtube.com/
watch?v=gJntaVuritU (consulté en août 2013).
vitesse pourrait partir d’ici. On évoque une autoroute vers
le Yunnan et des moyens considérables pour aplanir les
alentours. L’objectif à terme serait de rivaliser avec le hub
singapourien. Une université chinoise approfondirait la
question et des accords ont été signés à cette fin.
Pour accompagner le mouvement, le gouvernement local
soutient la Zone économique de Kyaukpyu, mise en place
par la junte en janvier 2011 pour accueillir les compagnies
étrangères et leurs capitaux. Un ministre, Myint Thein,
a même été désigné pour suivre le développement du
secteur. Enfin, Robert Taylor n’a pas manqué de souligner
que le commandement occidental de l’armée avait été
déplacé à Ann, qui dispose d’un aéroport et plus proche
de Kyaukpyu, situé à 207 km (3h20 de route), que de
Sittwe, à 323 km (4h45 de route)21.
Enfin, pour veiller entre autre au cadre environnemental,
un acteur non-gouvernemental a émergé  : Arakan Oil
Watch22. Quant à la population, on songe aussi à la
consulter. Toutes les précautions sont prises pour mener
à bien ce projet de Zone économique spéciale quand
d’autres périclitent en Birmanie.
2.2. Sittwe et l’Inde
Après l’échec du projet nippo-thaïlandais aux abords
de Dawei, à cause de sa proximité avec Bangkok plus
que Rangoon et du fait des craintes environnementales
liées aux projets pétrochimiques23, il reste le projet de
port indien vers Sittwe, à 550 km de Kolkata (2 096 par
la route). Là, les travaux ont commencé mais dans des
proportions différentes pour faire des rives de la Kaladan
une plateforme multimodale à l’horizon 2014. L’objectif
est d’ensuite débarquer les cargaisons plus en amont à
Kaletwa, non loin de la frontière, pour ainsi, entres autres,
décongestionner le sas terrestre de Siliguri, aux confins
de l’Inde, du Bhoutan, du Népal et du Bangladesh, point
de passage obligé pour atteindre l’Assam et le Far East
indien. La liaison se fera ainsi avec la mer mais aussi la
rivière, jusqu’à l’État limitrophe du Mizoram, en Inde.
En complément, et après avoir été attentive aux projets
vers Dawei, l’Inde est en train de réhabiliter 160 km de
routes entre Tamu-Kalewa-Kale(myo) ainsi que 71 vieux
ponts. The Shipping Corporation of India envisage d’ouvrir
une liaison régulière en paquebot avec la Birmanie et,
toujours en août 2013, l’Inde relance l’idée récurrente d’un
pipeline depuis la Birmanie, à travers le Bangladesh. En
parallèle, l’idée d’une autoroute trilatérale de l’Inde (Moreh
dans le Manipur) à la Thaïlande (Mae Sot) via le Myanmar
(the Rhi-Tiddim road) fait son chemin et devrait aboutir en
2016. De façon générale, si New Delhi investit actuellement
273,5 millions de dollars en Birmanie, le montant total
devrait s’élever 2,6 milliards de dollars dans les cinq
prochaines années. Plus que jamais, la «  connectivité  »
semble être le mot-clef en Asie du Sud-est continentale
et l’Inde saisit cette occasion pour accentuer sa Look East
Policy.
21
Entretien avec Robert Taylor, alors de passage à l’ISEAS de
Singapour, le 15 août 2013.
22
Voir le site officiel et les informations postées sur  : http://
arakanoilwatch.org/ (consulté en août 2013).
23
Les observateurs soulignent que la Thaïlande a toujours
la possibilité de faire passer ou transborder marchandises ou
hydrocarbures par son isthme de Kra.
7
New Delhi soutient ces efforts en ouvrant par exemple
un consulat à Sittwe, ce qui en faisait le premier pays,
fin 2012, avec trois missions diplomatiques en Birmanie.
Surtout, il a fallu rassurer le gouvernement birman en ce
qui concerne les possibles atteintes à sa souveraineté.
Conclusion
Au-delà de Sittwe, c’est tout l’État Rakhine qui se retrouve
au cœur du jeu géopolitico-énergétique entre Inde et Chine.
Il faudra surveiller les éventuels conflits sociaux puisqu’en
février 2013, sur 1 800 travailleurs sur le site de Kyaukpyu,
déjà surnommé «  le mini-Singapour  », seulement 400
étaient de nationalité birmane. De plus, bien que de moindre
ampleur par rapport à Sittwe, des affrontements entre
bouddhistes et Rohingyias y avaient été signalés. Surtout,
ce sont les questions environnementales et internationales
qui interpellent. Sur ce dernier point, il convient de veiller à
l’attitude des concurrents indiens, japonais et thaïlandais.
Ces derniers doivent d’ailleurs faire face aux récentes
évasions parmi les 300 Rohingyias réfugiés dans ses
camps frontaliers  ; la tendance ne devrait pas s’inverser
du fait de la prochaine fin de la mousson. Seront-ils une
source de déstabilisation  ? Par ailleurs, d’autres acteurs
étrangers pourraient intervenir plus vertement, comme
Human Right Watch qui a parlé de « nettoyage ethnique »
en Birmanie, ou l’OCI (Organisation pour la coopération
islamique), qui s’est déjà faite entendre.
Afin d’encadrer tous ces développements, peut-
être le Bangladesh–China–India–Myanmar Forum for
RegionalCooperation (BCIM), réuni pour la 11e fois en
2013 à Dakka, sera-t-il amené à prendre davantage
d’importance malgré sa nature dite Track 2 ?
Demeure une inconnue qui sous-tend ces
questionnements  : la réalité de la présence militaire
chinoise. En va-t-il de Sittwe et Kyaukpyu comme de
Gwadar à propos desquels les experts pérorent sur la
très hypothétique présence militaire chinoise ? Au gré de
ses enquêtes de terrain, Alexandra de Mersan n’y a pas
aperçu de forces chinoises, ce qui confirmerait le regard
tout en nuance à porter sur les perles du collier chinois,
plus commerciales que militaires24.
24
L’ancien ambassadeur indien en Birmanie Rajiv K. Bhatia
(directeur général l’Indian Council of World Affairs) n’apportait
guère plus de précisions, évoquant la présence de sociétés chinoises
mais admettant « position about ‘forces’ is not known » (entretien
par courrier électronique le 14 août 2013) ; même non-information
de la part du Commodore (retd) C Uday Bhaskar de la National
Maritime Foundation, ancien directeur de l’Institute for Defence
Studies and Analyses et de la National Maritime Foundation
(entretien par courrier électronique le 13 août 2013), alors que les
marins indiens sont souvent prompts à dénoncer les installations
chinoises, parfois pour simplement justifier des hausses de budget.
Ce dernier admettait une présence négligeable des forces indiennes
dans les alentours ; mais tenait-il compte des patrouilles de sous-
marins dans le golfe du Bengale ?
La dé-radicalisation en Asie du Sud-est : expériences
en cours…25
- Agatha Kratz
Le concept de dé-radicalisation a gagné en importance à
la suite des attentats du 11 septembre 2001. En parallèle
des efforts anti-terroristes fondés sur le renseignement,
la répression et la prévention, se sont développées de
nouvelles pratiques qui s’appuient sur la lutte contre-
idéologique. Parmi elles, la dé-radicalisation est devenue
une approche largement acceptée26.
Cependant, le concept manque encore de cohérence ; de
nombreuses ambigüités restent non résolues quant à sa
mise en pratique.
1. Quelques notions-clefs nécessaires pour
comprendre la dé-radicalisation
1.1. Lutte anti-terroriste et contre-idéologie
La dé-radicalisation est étroitement liée à la stratégie de
contre-idéologie (counter-ideology strategy ou ideological
response). Ces mesures visent à mener une guerre des
idées, et à affaiblir les appareils politiques des groupes
terroristes27.
Cette approche nouvelle découle du constat suivant : les
terroristes ont une vision du monde intransigeante, et ne
peuvent être achetés par des concessions politiques,
des amnisties, ou des récompenses personnelles. Par
ailleurs, les stratégies géopolitiques classiques pour lutter
contre le terrorisme sont coûteuses en vies humaines,
en biens stratégiques, et génèrent parmi les populations
concernées un sentiment de peur et d’insécurité. Souvent,
elles donnent aux terroristes des justifications pour leurs
actes, et facilitent leurs activités de recrutement ou de
communication. C’est pourquoi les méthodes de lutte
contre-idéologiques sont favorisées28.
1.2. Dé-radicalisation
En général, la dé-radicalisation est une méthode utilisée
pour cibler les éléments radicaux (connus ou non) dans
25
L’équipe de l’ICPVTR (International Centre for Political
Violence and Terrorism Research) à Singapour et Nasir Abas,
ancien chef terroriste, ont été les principaux interlocuteurs pour
cette recherche, de même que Sidney Jones et le professeur Sarlito
Sarwono en Indonésie. Ce rapport fait écho à l’étude de Nur Azlin
Mohamed Yasin sur le cyber-activisme, dont le processus se situe
en amont.
26
Entretien avec Muhammad Haniff Bin Hassan en août 2013.
27
Mohamed Bin Ali, « Coping with the threat of JI – The Singapore
Experience », disponible sur : http://www.pvtr.org/ICPVTR/index.
php?option=com_content&view=article&id=278&Itemid=217
(consulté en août 2013).
28
Voir Muhammad Haniff Hassan, Tuty Raihanah Mostarom,
A Decade of Combating Radical Ideology: Learning from the
Singapore Experience, 2001-2011, Singapore, RSIS Monography,
2011; Mohamed Bin Ali, « Ideological response to terrorism and
extremism », disponible sur : http://www.pvtr.org/pdf/Ideology%20
Response/Ideological%20Response%20to%20Terrorism%20
and%20Extremism.pdf (consulté en août 2013).
8
la communauté, et désigne le fait de réformer l’idéologie
de ces personnes afin qu’elles ne soient plus un danger
pour la société29. Dans la pratique, la dé-radicalisation
est souvent liée de près au processus de réhabilitation30.
Celle-ci consiste en quatre pans principaux  : le soutien
familial, le soutien financier, le soutien psychologique et le
conseil religieux.
Pour l’instant, peu d’ex-terroristes ont été directement mis
à contribution dans le cadre de la communication entourant
les programmes de dé-radicalisation (par opposition à
leur implication importante dans la conception de ces
programmes). Se référant à l’expérience singapourienne,
M. H. Bin Hassan et Kenneth George Pereire regrettent
que le rôle de ces ex-terroristes ait été limité à une aide au
RRG (Religious Rehabilitation Group) et à une action en
coulisses. Ceux-ci pensent que les programmes de dé-
radicalisation bénéficieraient grandement d’une implication
accrue et publique de ces extrémistes repentis, laquelle
serait plus utile pour convaincre le publique du danger
des idéologies radicales et des activités terroristes31.
Cette hypothèse est partagée par Sarlito Sarwono, qui l’a
appliquée au développement de la nouvelle génération de
programmes de dé-radicalisation en Indonésie, laquelle se
fonde sur un prêche anti-terroriste par d’ex-terroristes (cf.
infra).
2. Deux pays en pointe dans la dé-radicalisation  :
Singapour et l’Indonésie
2.1. Singapour et le RRG
A Singapour, les efforts de dé-radicalisation ont débuté
avec la formation du RRG le 23 avril 2003. Celui-ci a fait
suite à l’arrestation de membres de la Jemaah Islamiyah
(JI) qui prévoyaient des attaques terroristes à Singapour.
Le RRG avait comme but d’étudier le phénomène de
radicalisation à Singapour, l’idéologie de la JI, les croyances
des terroristes détenus, et de suggérer des explications
aux compréhensions erronées de l’islam proposées par
ces terroristes. Le RRG avait aussi pour rôle de produire
des matériaux, textes, et déclarations contre-idéologiques
sur des sujets religieux, et de conduire un effort d’éducation
publique pour la communauté musulmane, sur le sujet de
l’extrémisme religieux.
Dans cette optique, le RRG a mené de nombreuses
discussions avec les terroristes détenus ou en liberté
conditionnelle, et leurs familles. Ses membres ont
prononcé des conférences, mis sur pieds des méthodes
de dé-radicalisation, publié des livres sur le sujet, etc. Le
gouvernement et les organisations musulmanes locales
ont soutenu les efforts du RRG en finançant une aide
aux familles des détenus pour assurer leur subsistance
29
Entretien avec Muhammad Haniff Bin Hassan en août 2013 ;
John Horgan, Kurt Braddock, «  Rehabilitating the Terrorists?:
Challenges in Assessing the Effectiveness of De-radicalization
Programs », Terrorism and Political Violence, Vol. 22, Issue 2,
2010, pp. 267-291.
30
RSIS Pakistan Report 2010, disponible sur : http://www.rsis.edu.
sg/publications/conference_reports/RSIS_PakistanReport_2010.
pdf (consulté en août 2013).
31
Haniff Bin Hassan, Kenneth George Pereire, « An ideological
response to combating terrorism – The Singapore perspective  »,
disponible sur  : http://www.pvtr.org/ICPVTR/index.
php?option=com_content&view=article&id=278&Itemid=217
(consulté en août 2013).
et l’éducation des enfants. Un soutien psychologique et
émotionnel leur a également été proposé.
Pour aider l’effort de dé-radicalisation du RRG, le
gouvernement a dû montrer une grande sensibilité et une
grande retenue dans sa communication concernant le JI,
pour montrer notamment qu’aucun amalgame ne serait
permis entre terroristes et musulmans de Singapour.
Cet effort de communication a été complété par de
nombreux dialogues avec des leaders de communautés
musulmanes, pour promouvoir les relations inter-ethniques
et inter-religieuses32. Dans son travail, le RRG s’est associé
étroitement à des organisations musulmanes locales et à
des mosquées, pour organiser des séminaires. Le RRG
a même produit un manuel sur le travail de réhabilitation.
Selon Muhammad Haniff Bin Hassan33, la réponse à ce
travail a été positive, puisque quatre terroristes ont été
relâchés sous liberté provisoire, et deux ont été libérés
sans condition.
2.2. Indonésie
a. Un constat de départ : le radicalisme violent peut être
désappris
C’est après avoir visionné les vidéos des attentats de
Bali que plusieurs érudits et théologiens islamiques
indonésiens, dont Sarlito Sarwono, ont décidé de créer un
groupe de travail pour contrer les idéologies extrémistes
dans le pays. Celui-ci explique34 qu’en étudiant les
vidéos d’interviews des quatre terroristes, il a compris
que, contrairement aux convictions dominantes dans les
cercles d’experts occidentaux, aucun de ces individus
ne pouvait être considéré comme fou. Psychologue de
profession, celui-ci n’a détecté en eux aucune indication
de comportement antisocial ou psychopathe, ou même
de psychose. Il a donc décidé de continuer son étude avec
47 autres terroristes, détenus dans plusieurs autres prisons
en Indonésie, pour tester cette hypothèse. Cette seconde
série d’interviews a largement confirmé la conclusion de
la première étude : les terroristes sont pour la plupart des
gens normaux, ne souffrant d’aucun trouble psychique.
Ils apprennent le radicalisme et la violence à travers leur
expérience personnelle, des influences sociales, etc. Il
a donc fait l’hypothèse que, de la même façon que ces
croyances et attitudes étaient apprises, elles pouvaient
être désapprises.
b. Création et déroulement du programme
Sur la base de cette hypothèse, Sarlito Sarwono a mis
sur pied une expérience d’interventions en groupe.
Ce programme ne s’inspirait pas d’expériences
internationales, et d’ailleurs, cette première expérience a
32
Haniff Bin Hassan, Kenneth George Pereire, « An ideological
response to combating terrorism – The Singapore perspective  »,
disponible sur  : http://www.pvtr.org/ICPVTR/index.
php?option=com_content&view=article&id=278&Itemid=217
(consulté en août 2013).
33
Muhammad Haniff Bin Hassan, « Community-based
initiatives against JI by Singapore’s Muslim Community », IDSS
Commentaires (4/2006), 16 January 2006.
34
Discussion avec Sarlito Sarwono via courriers électroniques en
août 2013. Ce dernier est un professeur de renom en psychologie,
ayant déjà publié de nombreux ouvrages et conduit de nombreuses
recherches en psychanalyse.
9
convaincu Sarlito Sarwono que le terrorisme en Indonésie
est très particulier, et distinct des autres formes de
terrorisme dans le reste du monde35. Celui-ci consistait à
encourager les terroristes à altérer leur point de vue radical,
pour adopter une attitude moins ou non violente. Cette
expérience s’intitulait elle-même The Deradicalization
program. Ce n’était pas un programme national, mais
plutôt un travail ponctuel mené par un laboratoire. Cette
proposition d’expérience a été acceptée par l’University of
Indonesia, et lancée sous la direction de Sarlito Sarwono
en 2009. Deux groupes d’ex-terroristes (l’un en résidence
surveillée et l’autre dans une prison de Jakarta), et un
autre groupe d’anciens détenus terroristes libérés ont été
conviés à des sessions de discussions hebdomadaires de
deux heures, pendant douze semaines. Les coordinateurs
étaient des érudits et académiques religieux (ulama) de
l’Islamic State University de Jakarta, et des psychologues
de la faculté de psychologie de l’University of Indonesia. Le
financement de ce programme venait principalement de
l’université. Des fonds additionnels, non conditionnés, ont
été accordés par d’autres sponsors (gouvernement, aide
internationale, secteur privé, etc.).
Contrairement aux expériences yéménites et saoudiennes,
la principale méthode utilisée était avant tout une méthode
psychologique. Le noyau dur de l’équipe consistait en six
personnes formées à la psychologie, et d’un ex-terroriste
comme ressource annexe (M. Nasir Abas, dont les propos
sont recueillis plus bas). Cette équipe a utilisé un grand
nombre de techniques psychologiques pour convaincre
les terroristes de changer leur point de vue : des méthodes
d’écoute active (encourageant les participants à s’asseoir
ensemble, à s’écouter les uns les autres, à partager leurs
points de vue, à accepter la critique, à changer d’attitude),
d’empathie, des travaux de groupes et de dynamiques de
groupe, etc.
A la fin de cette première expérience, Sarlito Sarwono a
conclu que l’on pouvait effectivement changer l’attitude
violente de ces personnes en attitude moins ou non
violente. Par contre, cela n’était pas le cas de l’idéologie.
C’est pourquoi le nom du programme a évolué de la « dé-
radicalisation » au « désengagement ».
L’un des résultats importants de cette expérience a été la
fondation du FKAAI (Communication Forum of Afghanistan
Alumni in Indonesia), une organisation qui a pour but
d’encadrer les activités des ex-terroristes. L’organisation a
organisé à deux reprises (2012 et 2013) une Independence
Day Celebration.
35
Sur ce point, Sarlito Sarwono est rejoint par Sidney Jones,
ancienne spécialiste des questions de terrorisme en Indonésie pour
le International Crisis Group (ICG), laquelle nous explique au
sein d’une conversation par courriers électroniques en août 2013
que l’« Indonésie est une anomalie en termes de réseau terroriste
domestique. Ce n’est pas un pays occupé. Le pays ne compte
pas de groupes d’immigrants ostracisés. Il n’a pas de voisins
hostiles fomentant des troubles de l’extérieur. Et depuis plus de
dix ans, il n’a pas eu de gouvernement répressif. Néanmoins, il
héberge plusieurs groups de jihadistes militants, qui ont évolué et
se sont adaptés au fur et à mesure que les conditions politiques
se transformaient. Les membres de ces groupes représentent la
majeure partie des 170 prisonniers (en 2009) emprisonnés pour des
raisons de terrorisme, et des 200 qui ont été relâchés depuis 2002
après avoir effectué leur peine de prison. ».
En 2011, le programme a été transféré au Research
Center on Police Studies de l’University of Indonesia.
Celui-ci permet aujourd’hui à d’ex-participants, ainsi qu’à
de nouveaux membres sortis de prison, de développer
des projets non violents dans leur domaine d’expertise
respectif. Ces projets de réinsertion sont aujourd’hui aussi
divers que : des impressions de T-shirts, des émissions de
radio, des prêches locaux, encourageant tous un islam non
violent. L’hypothèse sous-jacente était que les personnes
feront plus confiance à d’ex-terroristes (et adhèreront plus
volontiers à leurs prêches non violents) qu’à des ulamas.
Le projet de 2011 a été développé dans dix grandes villes
indonésiennes.
Le programme est encore en activité aujourd’hui. Il
continuera jusqu’en 2014, et se spécialise désormais sur
la méthode du dakwah (prêche) par d’ex-terroristes. Les
membres de ce programme ont déjà mené et continueront
d’organiser des ateliers dans plusieurs villes avec la
participation d’ex-jihadistes. Aujourd’hui, Sarlito Sarwono
et Nasir Abas36 sont persuadés qu’à travers une pratique
non-violente et non radicale du dakwah, les individus
extrémistes abandonneront leurs points de vue radicaux.
c. Résultats du programme
En 2011, le programme comptait 50 ex-participants
(alumni) dans son réseau. Depuis, 20 ex-participants sont
venus s’ajouter à ce nombre.
Selon Nasir Abas, ces programmes ont déjà eu un impact
notable. Par exemple, d’ex-jihadistes ou terroristes
participent aujourd’hui activement à la prévention d’actes
terroristes. Pour les aider, des forums de communication
ont été créés, tels que le Forum Komunikasi Alumni
Afghan Indonesia (FKAAI). A travers cette plateforme,
ces personnes peuvent créer des projets pour prévenir
les actes terroristes et la radicalisation. Ce programme,
mené par Nasir Abas, est pour l’instant financièrement
indépendant et ne reçoit pas de fonds étrangers ou de
partenaires.
Sarlito Saworno est plus mitigé. Il explique qu’il est difficile
de juger du succès d’un tel programme. Ce genre de
programme absorbe un temps, une énergie, des ressources
et des fonds extrêmement importants. Il ne garantit pas, par
ailleurs, la non-récidive des ex-participants. Le problème,
nous dit-il, c’est qu’une fois hors du programme, les ex-
participants ne peuvent être suivis faute de ressources
(par exemple via un soutien social à la famille, un soutien
éducationnel aux enfants, etc.). Ce suivi devrait d’ailleurs
devenir un projet de la BNTP (National Agency of Counter
Terrorism), qui intervient comme agence de coordination
nationale pour le contre-terrorisme, et non rester sous la
responsabilité d’un petit groupe d’universités comme c’est
le cas aujourd’hui. Néanmoins, en général, le programme
est couronné de succès.
Sarlito Saworno conclut en expliquant que malgré
l’efficacité des techniques psychologiques pour changer
les points de vue d’ex-terroristes, il faudrait que les efforts
passés soient transformés par le biais d’un programme
national.
36
Ancien émir de la Jemaah Islamiyah, aujourd’hui repenti.
Entretiens à Jakarta en 2007, 2011 et par courrier électronique en
août 2013.
10
3. Succès et échecs de la dé-radicalisation
Alors que la plupart des efforts de dé-radicalisation ont
été menés sur le terrain ou dans le milieu carcéral et
post-carcéral, il est nécessaire, étant donné la place
prise progressivement par les médias et Internet dans
la radicalisation, de multiplier les programmes de dé-
radicalisation en ligne. A ce sujet, Rohan Gunaratna
explique qu’il est inefficace de bannir simplement le
militantisme radical en ligne puisque les sites web
concernés sont souvent une source précieuse de
renseignement. Il est plus intéressant de construire en
ligne un contre-argumentaire de qualité et d’œuvrer à sa
large dissémination37.
Surtout, la plupart des spécialistes s’accordent sur le fait que
la dé-radicalisation ne peut être que l’un des leviers d’une
stratégie étatique et même internationale plus globale et
diversifiée. Par exemple, Mohamed Bin Ali et Muhammad
Haniff Bin Hassan38 notent que la dé-radicalisation ne peut
remplacer des efforts supplémentaires du gouvernement
en matière de résolutions des problèmes au sein de la
communauté musulmane en général. Le terrorisme naît de
certaines perceptions d’injustice, de mauvais traitement, et
d’aliénation, lesquelles doivent être entendues, comprises,
et bénéficier d’une réponse de la part des gouvernements
concernés39. La dé-radicalisation doit d’ailleurs être
complétée par des programmes de développement
économique et social, et d’empowerment pour les
communautés à risque40.
37
Rohan Gunaratna, « Revisiting Challenges to De-Radicalization
and Community Engagement », Counter-Terrorist Trends and
Analysis, Volume 5, Issue 8, August 2013.
38
Mohamed Bin Ali, Muhammad Haniff Bin Hassan, Op. cit.
39
Voir par exemple le statut – officiel et officieux – très particulier
des Malais à Singapour  : cf. la nouvelle d’Alfian Sa’at, «  the
Convert », in Malay Sketches, Singapore, Ethos Book, 2013, pp.
16-19.
40
Rohan Gunaratna, Op. cit.
Le bouddhisme politique en Birmanie
- Kyaw San Wai
La transition que connait actuellement la Birmanie a
permis à divers forces politiques d’émerger (ou ré-
émerger) et de structurer le débat concernant l’avenir
politique du pays. Parmi ces forces, le «  bouddhisme
politique » est un courant diffus et profondément enraciné,
avec une longue histoire dans la politique birmane. Bien
qu’actuellement le bouddhisme politique manque d’une
structure cohérente et d’un message central, ce courant
peut servir d’un catalyseur pour mobiliser de très larges
segments de la population birmane (selon les chiffres
officiels, 89 % de la population birmane est bouddhiste),
et devenir une force influente dans une Birmanie en voie
de démocratisation. Comme dans les autres pays du
Theravada, le bouddhisme en Birmanie constitue un pilier
central de l’identité nationale41.
1. Arrière-plan
A l’image de leurs homologues au Sri Lanka et en
Thaïlande, les moines bouddhistes sont les leaders et les
agents du bouddhisme politique en Birmanie. Ce sont les
moines qui amènent la rue à protester, qui encadrent les
sujets politiques à travers les prismes de la tradition et de
la morale, qui utilisent leurs sermons pour disséminer des
idées et des désaccords, et dont le réseau mobilise les
bouddhistes séculiers autour d’engagements sociaux et
politiques. En tant que chefs de file d’une communauté,
qu’éducateurs et que dépositaires du savoir religieux,
les moines bouddhistes jouent un rôle central dans la
société birmane et sont vus comme étant irréprochables.
Ainsi, le bouddhisme politique en Birmanie est synonyme
d’activisme politique de l’ordre monastique bouddhiste (ou
Sangha). Comptant plus de 400 000 membres, le Sangha
birman est la plus importante et la plus vieille institution
du pays, rivalisant avec la puissante armée birmane en
taille comme en réseau. Le gouvernement a créé le State
Sangha Maha Nayaka Committee sous l’égide du ministère
des Affaires religieuses qui, selon les lignes hiérarchiques,
gère tous les moines et nonnes de Birmanie, mais qui, en
réalité, n’a qu’une influence limitée en raison de ses liens
avec l’État.
Le bouddhisme politique trouve ses origines dans les
mouvements nationalistes qui ont vu le jour au début du
XXème siècle. Puis en 1988 et 2007, la participation des
moines dans des manifestations anti-gouvernement,
ainsi que la réponse violente de l’armée, ont ranimé le
bouddhisme politique puisque le Sangha est devenu la
seule institution de taille à défier l’hégémonie politique
et à contester l’autorité morale de la junte. De la même
façon, les actions des moines bouddhistes et du réseau
monastique dans la distribution de l’aide d’urgence à
la suite du cyclone Nargis en mai 2008 ont confirmé le
rôle social de la communauté endossé par les moines,
socialement et politiquement engagés à travers tout le
pays. Avec les réformes initiées par le président Thein
Sein, les moines bouddhistes sont revenus aux sources de
41
Juliane Schober, Modern Buddhist Conjunctures in Myanmar,
Honolulu, University of Hawai’i Press, 2011, p.77.
11
l’activisme social et du débat politique. Plus récemment,
le mouvement 969 et ses moines militants tels que
U Wiseitta Biwuntha, mieux connu sous son nom de guerre
Wirathu, sont apparus et utilisent le bouddhisme politique
pour provoquer la violence anti-islamique à travers le pays.
2. Inquiétudes
Comment la majorité bouddhiste en Birmanie va-t-elle
coexister avec les minorités religieuses ? Telle est devenue
la question la plus pressante depuis les récentes poussées
de violence anti-musulmanes dans certaines régions
du pays. En raison de leur profonde implication dans la
résistance aux autorités depuis 1988, les moines politiques
ont bénéficié d’un regard positif dans l’histoire politique de
Birmanie. Cependant, l’implication de moines radicaux
chauvins dans le fort sentiment anti-musulman ainsi que
dans les actes de violence a soulevé des questions à
propos de la pertinence du bouddhisme politique dans ce
qu’est un pays multi-ethnique et multi-religieux.
L’attention s’est également concentrée sur le rôle du
bouddhisme dans le nationalisme birman, qui demeure en
grande partie fondé sur la race et la religion. Il y a eu des
appels pour remplacer cette forme de nationalisme ethno-
centré exclusif, avec une variante citoyenne qui identifie
tous les peuples de Birmanie. Cette approche signifierait
cependant la perte de la position privilégiée du bouddhisme
au sein de l’État et du nationalisme birman. Le rôle du
bouddhisme en tant que source de légitimité politique
des acteurs tant étatiques que non-étatiques complexifie
d’autant la dynamique. Tous les gouvernements post-
coloniaux – démocratiques, socialistes, et autoritaires
– se sont grandement reposés sur la mobilisation du
bouddhisme pour se sentir légitimes et recréer les relations
de patronage traditionnelles entre le bouddhisme et l’État.
De la même manière, les dissidents birmans tels que
Aung San Suu Kyi ont utilisé le bouddhisme pour
donner corps à leurs luttes, tandis que les moines
politiques utilisaient leur autorité morale pour contester
les revendications de légitimité de l’armée. Le débat est
seulement en train de s’éveiller, notamment au sein d’une
société civile bourgeonnante, mais le rôle du bouddhisme
politique en Birmanie devra être repensé dans le futur42.
Avec le desserrement des restrictions politiques, le
bouddhisme politique paraît jouir d’un regain de pertinence
au regard du bien-être social. L’expansion des médias
sociaux en particulier a aidé à renforcer et à étendre la
collecte de fonds, la mobilisation des ressources et les
efforts de communication pour une large part des charités
bouddhiques. De réels efforts ont été faits pour organiser
et mobiliser les laïcs dans des projets d’aide sociale durant
ces dernières années. Les moines et les nonnes ont
également utilisé leurs connexions monastiques, souvent
couplées à des réseaux ethniques, pour faire venir un
nombre grandissant de jeunes défavorisés originaires de
tout le pays dans les plus grandes villes du pays comme
Rangoun et Mandalay, afin d’y recevoir une éducation
religieuse et laïque. Les moines en charge de tels projets
apparaissent comme modérés ou même indolents dans
leurs opinions politiques. Ainsi, l’expansion du bien-fondé
de ces réseaux monastiques servent à accroître le poids
des moines modérés (et leurs dévots) par rapport aux
42
Elliott Prasse-Freeman, “The ties that bind in Burma”,
Democratic Voice of Burma, July 15, 2013.
membres les plus militants du Sangha. Cependant, les
rapports récents suggèrent que le mouvement 969 prévoit
également d’étendre ses activités à l’aide sociale, en
particulier à l’éducation43.
Les membres du Sangha ont commencé à s’intéresser
à l’environnementalisme, en y incluant des principes
bouddhistes pour conduire les efforts de préservation44.
Ces moines «  environnementaux  » ont également été
impliqués dans la maîtrise du mécontentement public
contre les investissements impopulaires et les projets de
développement. Plus visiblement, les moines bouddhistes
sont parties prenantes dans les protestations contre
l’agrandissement d’une mine de cuivre exploitée par
la Chine à Monywa, dans le nord de la Birmanie. La
répression des manifestants par le gouvernement s’est
soldée par de sérieuses blessures pour de nombreux
moines et a suscité l’indignation publique, ce qui a mené
à enquêter sur la mine45. De la même manière, les moines
ont été impliqués dans l’organisation de mouvements
populaires exigeant une meilleure compensation et une
plus grande responsabilité environnementale à propos de
la construction du port en eaux profondes à Dawei, au sud
de la Birmanie. Comme la Birmanie entreprend davantage
de projets de développement, et aussi longtemps que les
problèmes de confiscation des terres et du droit foncier
demeureront irrésolus, les moines bouddhistes ainsi
que les organisations environnementales serviront de
catalyseur pour mobiliser les soutiens locaux et nationaux
contre les projets jugés préjudiciables pour les habitants.
3. Millénarisme et mentalité d’assiégés
La mobilisation des militants bouddhistes birmans contre
les Britanniques durant l’ère coloniale, et contre la minorité
musulmane birmane sous la bannière du mouvement
969, est en partie fondée sur une prophétie millénaire
selon laquelle le bouddhisme serait entré dans une phase
de déclin. Selon une légende populaire, le bouddhisme
serait censé disparaître 5  000 ans après la mort de
Bouddha, soit aux environs du XLVIème siècle après J.-C.
avec un point de mi-chemin passé au milieu du XXème
siècle  ; le bouddhisme aurait donc entamé une phase
d’irréversible déclin. La transformation historique des
pays originellement bouddhistes (comme l’Afghanistan
et l’Indonésie) en des pays à majorité musulmane est vu
comme une « preuve » que l’islam constitue une menace
directe pour le bouddhisme, et que le même destin attend
les pays encore bouddhistes aujourd’hui. La destruction
des Bouddhas de Bamiyan par les Talibans en mars
2001 a été perçue comme la dernière salve ouverte
d’affrontements injustifiés entre le bouddhisme et l’islam,
tandis que les tensions communautaires dans l’Ouest de
la Birmanie et les insurrections musulmanes dans le Sud
de la Thaïlande servent à renforcer les affirmations d’un
« choc des civilisations » entre le bouddhisme et l’islam.
La sensation d’un état de siège démographique cohabite
avec la perception millénaire d’un état de siège religieux.
L’immigration illégale en provenance du Sud-ouest de la
Chine, et la croyance largement répandue selon laquelle
43
Andrew R.C. Marshall, “Ingraining the 969 Ideology”, The
Irrawaddy, June 27, 2013.
44
Dominic Nardi, “The Green Monks”, The Irrawaddy, February
2006.
45
Thomas Fuller, “Violent Raid Breaks Up Myanmar Mine
Protest”, The New York Times, November 29, 2012.
12
les musulmans de l’Ouest de la Birmanie sont des
migrants illégaux venant du Bangladesh, ont avivé les
peurs d’une Birmanie peu à peu engloutie par ses voisins
démographiquement plus puissants.
Cette mentalité d’assiégés transparait aussi dans les
réponses récentes des moines modérés et des laïques
aux médias internationaux qui couvraient le mouvement
969. Tandis qu’ils critiquaient la rhétorique islamophobe
de Wirathu et du mouvement 969, les modérés se sont
néanmoins précipité pour le défendre lorsqu’ils se sont
aperçus que la couverture des médias étaient biaisée
et présentait l’évènement comme une attaque contre
le bouddhisme46. Il existe aussi une appréhension selon
laquelle le bouddhisme birman a besoin d’accroître la
portée de ses efforts quand d’autres confessions ont
utilisé la pauvreté des Birmans et l’ouverture économique
pour obtenir des conversions. Il est aussi à craindre que le
réseau monastique bouddhiste décentralisé ne ferait pas le
poids face au soutien financier présumé des organisations
missionnaires occidentales et des États du Moyen-Orient.
4. Qu’est-ce qui attend la Birmanie ?
Avec le retour d’un semblant de politique participative,
le bouddhisme politique est en train d’évoluer  : de sa
raison d’être – la résistance à l’autoritarisme – à une
plus grande implication dans la politique « traditionnelle »
et les débats politiques. Le bouddhisme demeure une
plateforme de grande portée pour la mobilisation de
la population birmane qui peut être utilisée pour faire
monter ou faire obstacle à un candidat politique. Certains
des supporters d’Aung San Suu Kyi ont déclaré que les
violences communautaires et anti-musulmanes depuis
juin 2012 font en réalité partie d’un complot fomenté
par l’Union Solidarity and Development Party au pouvoir,
pour discréditer Aung San Suu Kyi dans la période pré-
électorale jusqu’à 2015. Cette théorie est soutenue par
des spéculations selon lesquelles le mouvement 969 jouit
d’un patronage officiel suspect47. Les partis politiques de
plus petite envergure qui fonctionnent sur des systèmes
nationaux et ethno-régionaux ont également incorporé le
bouddhisme dans leurs campagnes pour multiplier leurs
chances contre les partis politiques plus grands. L’un de
ces petits partis – la National Democratic Force, issue de
la National League for Democracy – a même pris à son
compte une revendication du mouvement 969 à propos
d’une loi controversée bannissant les mariages inter-
religieux48. Ces exemples donnent une idée de ce qui sera
probablement une implication accrue du bouddhisme
politisé dans la sphère politique birmane.
Le relâchement de la censure et l’accroissement de la
connectivité avec le monde extérieur ont ouvert la voie à
l’apprentissage par les moines politiques et les activistes
bouddhistes des techniques et de la rhétorique de leurs
homologues dans les pays voisins. Les développements
et les tendances du bouddhisme politique au Sri Lanka
et en Thaïlande donnent un bon aperçu des trajectoires
46
Matthew J. Walton, “A Primer on the Roots of Buddhist/Muslim
Conflict in Myanmar, and A Way Forward”, ISLAMiCommentary,
July 23, 2013.
47
Andrew R. C. Marshall, “Myanmar gives official blessing to
anti-Muslim monks”, Reuters, June 27, 2013.
48
“Controversial Myanmar Marriage Proposal Gains Two Million
Signatures”, Radio Free Asia, July, 17 2013.
possibles du bouddhisme politique birman. Les approches
dans le monde de la politique de la part du du Jahita Hela
Party et du Bodu Bala Sena, menées par des moines au Sri
Lanka, et les nombreux mouvements sociaux inspirés du
bouddhisme en Thaïlande, représentent des opportunités
pour créer une émulation du côté des moines birmans.
Cela peut aussi vouloir dire que le grand Sangha birman,
traditionnellement divisé entre les chapitres monastiques
et les lignes ethniques, aura davantage tendance à devenir
mieux organisé et plus solidaire, ainsi qu’un acteur plus uni
et revendicatif sur la scène politique birmane.
5. Conclusion
Avec l’ouverture de l’espace politique en Birmanie, le
bouddhisme politique passe du statut de mouvement
dissident à celui de mouvement proactif impliqué dans de
très nombreux sujets. Cela inclut aussi bien de l’activisme
inoffensif dans les domaines du bien-être social et de
la préservation environnementale, qu’une participation
militante dans la propagation de l’islamophobie. Puisque
la Birmanie émerge finalement d’un régime autoritaire, le
rôle du Sangha et du bouddhisme augmentera dans le
débat public au sein d’une société birmane pluraliste. Pour
l’instant, le bouddhisme politique semble surtout enclin à
devenir un acteur davantage revendicatif et visible sur la
scène politique birmane.
Quel soutien pour le mouvement 969 ?
Le mouvement 969 est originaire de l’État Mon mais
s’est disséminé à travers le coeur de la région du peuple
bama (ou birman), le long de la rivière Irrawady. Deux
abbés arakanais que j’ai interrogés partagent le profond
ressentiment à l’égard des musulmans (en particulier
des Rohingyias) mais se désolidarisent du mouvement
à cause de son message « non-bouddhiste ».
L’utilisation d’autocollants 969 est vue comme une
preuve du soutien au mouvement, mais les choses
ne sont pas si simples. Plusieurs taxis qui affichent cet
autocollant disent le faire uniquement par piété religieuse,
tandis qu’ils continuent à embarquer des passagers
musulmans. D’autres, en revanche, sans autocollant
et critiques à l’égard du mouvement, racontent que de
plus en plus de taxis bouddhistes refusent de prendre
des passagers musulmans par manque de confiance.
13

Privatiser la sécurité (maritime) en Asie du Sud-est :
tendances et inquiétudes
- Carolin Liss
L’Asie du Sud-est est aujourd’hui reconnue comme la
nouvelle aire de croissance de l’industrie de la sécurité
privée. Ces « sociétés militaires et de sécurité privées »49
jouent effectivement un rôle de plus en plus prépondérant
dans la gouvernance de la sécurité. Cet article va passer
en revue la courte histoire et le champ d’action des PMSC
(Private Military and Security Companies) en Asie du Sud-
est, en se focalisant sur la sphère maritime en particulier.
Il sous-entend qu’en dépit de la croissance de cette
industrie, des incertitudes subsistent.
1. Privatisation de la sécurité en Asie du Sud-est
En Asie du Sud-est, les PMSC offrent actuellement un
vaste panel de services militaires et de sécurité qui étaient,
par le passé, l’apanage des agences gouvernementales.
Des changements significatifs dans la perception des
atteintes à la sécurité et dans les réformes du secteur ont
facilité la croissance de l’industrie de la sécurité privée au
cours des deux dernières décennies50. Tim Huxley pense
que ces changements et ces réformes du secteur de la
sécurité sont dus en grande partie à la combinaison de
trois facteurs  : (1) importante croissance économique  ;
(2) modification de la perception interne et externe des
menaces à la sécurité ; et (3) une évolution des politiques
vers des systèmes de gouvernance plus démocratiques51.
Ces transformations sont le fruit d’un renforcement et
d’une modernisation globale des forces armées, de
l’établissement de nouvelles agences gouvernementales
et de la redéfinition du rôle de l’armée. C’est plus
particulièrement en Indonésie et aux Philippines que ces
réformes ont été introduites pour amoindrir l’implication de
l’armée dans la politique and la sécurité intérieure52. Ces
transformations ont également affecté la gouvernance de
la sûreté maritime, ce qui conduit à renforcer la puissance
navale, à définir des nouvelles agences maritimes et à
modifier les responsabilités des marines de la région.
En dépit de ce qui vient d’être dit, les problèmes
demeurent, et les réformes ont ouvert le secteur de
la sécurité à de nombreuses nations d’Asie du Sud-
est. Cette tendance donne lieu à l’entrée en scène d’une
grande variété «  d’acteurs  » dans la gouvernance de
la sécurité, impliquant de facto les PMSC qui se sont
sérieusement mises à lancer leurs opérations dans des
pays qui auparavant restreignaient ou n’autorisaient pas le
recours à ces sociétés de sécurité privées.
En plus de ces réformes, un large éventail de facteurs
sociologiques, politiques et économiques facilitent
49
Private Military and Security Companies ou PMSC.
50
Il existe évidemment des différences majeures à propos des
changements et conséquences entre les divers pays d’Asie du Sud-
est qui ne peuvent être rapportés dans cet article.
51
Tim Huxley, Reforming Southeast Asia´s Security Sectors, London,
Conflict, Security and Development Group, 2001, Chapter 2.
52
Ibid. Damien Kingsbury, “Security Sector Reform in Indonesia”,
Deakin Speaking, 3 novembre 2009 : http://communities.deakin.
edu.au/deakin-speaking/node/71 (consulté le 9 août 2013).
l’augmentation du recours à ces PMSC en Asie du Sud-
est. La demande de prestataires de sécurité privés dans
la région émane aussi bien du secteur privé comme du
secteur public, avec l’emploie de vigiles par les centres
commerciaux, les ambassades et les commerces. La
hausse de l’emploi de ces PMSC est, du moins en partie,
causée par le sentiment croissant d’insécurité. L’Asian
Professional Security Association53 estime que le marché
de la sûreté et de la sécurité atteindra trois milliards de
dollars américains en 2016, ce qui représentera 7,5 % du
taux annuel de croissance de l’industrie dans sa totalité.
La Thaïlande est actuellement le plus grand marché avec
un tissu industriel dédié à la sécurité estimé à quatre
mille entreprises, suivie par la Malaisie, Singapour et
l’Indonésie54.
2. Rôle des sociétés militaires et de sécurité privées
dans les eaux de l’Asie du Sud-est
Les PMSC d’Asie du Sud-est ne sont pas seulement
opérationnelles sur terre, mais également sur mer. Ce
qui n’est pas surprenant étant donné la géographie de
la région et l’importance du secteur maritime. Cette
région est également très riche en pétrole et en gaz ; des
opérations terrestres et maritimes d’exploitations y sont
en cours, souvent dans des pays économiquement sous-
développés ou dans un contexte de situation politique très
instable qui requiert des mesures de sécurité55.
Tandis que les accidents, les activités terroristes,
séparatistes et criminelles ne sont pas nouveaux dans la
région, l’environnement sécuritaire a, quant à lui, changé
de façon considérable depuis la fin de la Guerre froide, en
particulier depuis les attaques terroristes du 11 septembre
2001 qui ont créé une niche pour les PMSC en leur
permettant d’offrir des services de sécurité maritime. Les
criminels et les terroristes à l’origine de cette menace réelle
favorisent l’émergence d’une nouvelle prise de conscience
sécuritaire dans l’industrie du transport maritime et parmi
les gouvernements, ce qui a eu pour conséquence la mise
en place de nouvelles normes de sûreté et de sécurité
dans le secteur maritime. La plus importante de ces
normes est peut-être le Code international pour la sûreté
des navires et des installations portuaires56, qui est entré
en vigueur en juillet 2004 et qui inclut une liste détaillée
des mesures relatives à la sûreté, que ce soit à l’usage
des gouvernements, des autorités portuaires et des
compagnies de transport maritimes57.
53
Organisation internationale à but non-lucratif qui vise à
rassembler les professionnels du secteur de la sécurité.
54
Apiwat Ratanawaraha, Witchaya Pruecksamars, “Urban
Security is not Secure”, Trendnovation Southeast, 2011 : http://
trendsoutheast.org/2011/all-issues/issue-24/urban-security-is-
not-secure/ (consulté le 7 août 2013) ; Anasia Silviati, Indonesia:
Safety and Security Equipment, Washington D.C., US Commercial
Service, United States of America Department of Commerce,
2008  ; “Security Firms Prosper on New Construction, Concerns
over Safety”, The Nation, 7 juin 2010.
55
Phar Kim Beng, “No Relief in Indonesian Oil Slump”, Asia
Times, 4 septembre 2004 : http://atimes.com/atimes/Southeast_
Asia/FI04Ae05.html (consulté le 9 août 2013).
56
International Ship and Port Security Code ou ISPS.
57
 International Maritime Organisation, “IMO Adopts
Comprehensive Maritime Security Measures”, IMO,
13 décembre 2002  : http://www.imo.org/blast/mainframe.
asp?topic_id=583&doc_id=2689 (consulté le 9 août 2013).
14
Dès le début du XXIème siècle, les interventions des
PMSC dans les eaux de l’Asie du Sud-est ont été très
plébiscitées. A ce moment, le nombre d’attaques de
pirates augmentaient dans le détroit de Malacca au point
de devenir préoccupant. Les propriétaires de navires ont
commencé à employer des sociétés militaires et de sécurité
privées locales et internationales afin d’embarquer des
gardes armées ou de bénéficier de l’appui de bâtiments
de combat, pour escorter les navires dans le détroit. Par
exemple, l’entreprise domiciliée à Singapour, Background
Asia, a fourni un bâtiment pour escorter un pétrolier dans
le détroit de Malacca, tandis qu’une autre entreprise de
sécurité venue d’Australie, Counter Terrorism International
(CTI) a assuré la protection d’un navire et d’un remorqueur,
tous deux en provenance d’une plateforme pétrolière et
dont la route passait à travers le détroit58.
Pourtant, les services incluant l’usage d’armes à feu de ces
sociétés militaires et de sécurité privées ont été à l’origine
de polémiques puisque ces entreprises travaillent souvent
sans l’approbation des autorités et, par conséquent, les
interventions ne s’inscrivent pas dans un cadre légal.
Lorsque l’on a posé des questions aux employés de
différentes PMSC sur les opérations en cours en Asie du
Sud-est, ils ont déclaré, lors d’entretiens avec l’auteur, que
dans la plupart des cas les autorités locales – en général
du personnel naval ou des agents de maintien de l’ordre
en poste dans les zones d’intervention des PMSC –
étaient informées des opérations en cours. Dans les faits,
de l’argent était donné de la main à la main et l’entreprise
recevait la « permission » de mener à bien son travail, bien
que ces autorisations ne soient pas toujours formalisées
par écrit. Ces « habilitations » reçues par les PMSC ne sont
cependant pas les mêmes que les permis officiels délivrés
par le gouvernement59.
Pendant ce temps, les deux gouvernements indonésien
et malaisien ont tous deux condamné le recours à ces
prestataires de sécurité privés et ont déclaré que les
interventions armées sans autorisations sont illégales.
Cependant, depuis cette déclaration, une tolérance
à l’égard des sociétés militaires et de sécurité privées
(maritimes) de la région est admise. Pour illustrer ce
propos, de nouvelles lois et des recommandations ont vu
le jour afin de réguler l’emploi de PMSC dans les pays tels
que l’Indonésie, la Malaisie et Singapour. Par exemple, les
gouvernements singapourien et indonésien ont promulgué
un panel de lois qui visent à contrôler la création de
sociétés militaires et de sécurité privées, la formation des
gardes, l’utilisation d’armes à feu et tout autre aspect relatif
aux opérations de ces entreprises60.
58
Entretiens conduits par l’auteur avec des employés de PMSC
souhaitant rester anonymes, en Europe et Asie du Sud-est,
décembre 2005  ; David Boey, “Ship Owners Using Hired Guns.
Guards Provide Anti-piracy Security for Vessels in Regional
Waters”, Straits Times, 8 avril 2005, p. 3.
59
Entretiens conduits par l’auteur avec des employés de PMSC
souhaitant rester anonymes, Europe et Asie du Sud-est, décembre
2005.
60
En Indonésie, ces lois comprennent : la circulaire du Chef de
la Police nationale n°17/2006 sur le contrôle de la création des
PMSC  ; la circulaire du Chef de la Police nationale n°18/2006
porte sur la formation, et sur le programme des gardes de sécurité
privés ; la circulaire du Chef de la Police nationale n°24/2007 sur la
gestion des systèmes de sécurité des organisations, des entreprises
et des bureaux du gouvernement. Concernant Singapour, voir
Robin Lim, Towards Better Training & Career Prospects in
Un nombre croissant de sociétés militaires et de sécurité
privées s’est mis en place pour opérer dans ces cadres
légaux. Contrairement aux précédentes interventions
anti-pirateries des PMSC dans le détroit de Malacca, il y
a, du moins sur le papier, des signes d’encadrement et
de régulation de la part des gouvernements vis-à-vis des
activités de ces entreprises. Ces PMSC actives en Asie
du Sud-est sont soit des entreprises locales soit des
entreprises internationales qui ont chacune une succursale
dans un pays d’Asie du Sud-est où elles opèrent. Les
entreprises du cru sont souvent fondées par d’anciens
militaires ou par des personnes de leur entourage ou par
des personnes ayant des liens étroits avec les agences de
sécurité d’État. Certaines de ces entreprises font même
partie des activités commerciales de l’armée ou des forces
de police. Quant aux entreprises internationales travaillant
dans la région, elles sont également créées par d’anciens
militaires ou par d’anciens policiers, ce type de personnels
composant l’essentiel de leurs employés. Ces derniers
viennent du Royaume-Uni, des États-Unis d’Amérique,
d’Israël ou d’Australie ; il arrive aussi que le personnel soit
recruté dans la main-d’œuvre locale61.
Parmi les principales opportunités qui se présentent
aux sociétés militaires et de sécurité privées, nationales
et internationales, dans les eaux de la région de l’Asie
du Sud-est, la plupart sont des missions de protection
de ports ou de protection de plateformes pétrolières ou
d’extraction de gaz. Deux facteurs en particulier favorisent
le recours à ces prestataires de sécurité privés dans les
ports. Le premier facteur est la privatisation de nombreux
ports au sein de la région. La responsabilité en termes
de gestion et de sécurité des ports (du moins en partie)
incombe désormais au secteur privé62. Le port de Klang,
le plus grand port de Malaisie est un cas d’école. Depuis
que le port a été privatisé, les fonctions policières dans
les terminaux sont assurées par des entreprises privées
(à Northport et Westport)63. Le second facteur est l’entrée
en vigueur de nouveaux codes internationaux de sûreté
et de normes de sécurité qui facilitent le recours aux
entreprises privées. Un bon exemple est le code ISPS
(cf. supra) qui demande aux États d’améliorer la sécurité
des navires et des installations portuaires, notamment en
restreignant l’accès aux installations portuaires seulement
au personnel autorisé. Selon ce même code, du personnel
supplémentaire – tels que des agents de sécurité ou des
vigiles – est souvent nécessaire pour répondre à ces
besoins. Ces changements offrent indubitablement des
opportunités sans précédents pour les PMSC, là où les
autorités et les agences gouvernementales n’ont pu
fournir des services de sécurité, de l’entraînement et de
l’équipement technique pour répondre aux exigences des
nouvelles règles.
the Security Industry, Singapore, Asian Professional Security
Association : http://www.apsa.org.sg/wp-content/uploads/2012/04/
TowardsBetterTrainingCareerProspectsintheSecurityIndustry.pdf
(consulté le 12 août 2013).
61
Analyse effectuée à partir des sites Internet des PMSC (presque
100) et à partir d’une visite aux bureaux de PMSC en Asie du Sud-
est et en Europe entre 2005 et 2012.
62
Malcolm Tull, James Reveley (dir.), Port Privatisation: The
Asia-Pacific Experience, Cheltenham, Edward Elgar, 2008.
63
Periasamy Gunasekaran, “Malaysian Port Security: Issue and
Changes”, Australian Journal of Maritime and Ocean Affairs,
Vol 4 (2), 2012, p.59.
15
La transition de la sécurité publique à la sécurité privée
peut également s’observer à propos de la protection des
installations pétrolières et gazières en Asie du Sud-est.
Depuis la fin des années 1990, les PMSC sont de plus
en plus assignées à la protection des biens, par exemple,
en mettant à disposition gardes et navires de patrouille
pour les plateformes pétrolières et gazières en haute
mer64. Autre exemple en Indonésie où, par décret, l’armée
était la seule garante de la sécurité des projets nationaux
d’envergures concernant les ressources  ; de nouvelles
lois sont entrées en vigueur après la chute de Suharto
(ou Soeharto) dans le but d’autoriser d’autres prestataires
à prendre part aux charges de sécurité de ces projets
nationaux. Une entreprise très active dans ce domaine,
Group 4 Securicor (G4S)65, est l’un des plus importants
prestataires de sécurité privés. Elle a mené des opérations
en Indonésie pendant près de quinze ans, et emploie
plus de huit mille personnes dans les îles principales et à
travers tout le pays où l’entreprise G4S est présente via
de nombreuses succursales. L’entreprise offre une large
gamme de services (protection de ports, d’installations
gazières et pétrolières) et aujourd’hui fait figure de tête de
proue en matière de services de sécurité privés sur mer en
Indonésie66.
Un nouvel évènement a terni la perception des PMSC
opérant en et depuis l’Asie du Sud-est. Ce changement
est venu de la vision à l’échelle mondiale des PMSC
travaillant en mer, à la suite des récentes disputes lors
des violentes attaques de pirates au large des côtes de
Somalie. Jusqu’à la récente montée en puissance de
la piraterie somalienne, les institutions internationales
maritimes, les représentants des industries maritimes
et les gouvernements des quatre coins de la planète
étaient férocement opposés à l’armement des navires
marchands. Cependant les efforts des États dans leur
volonté de combattre la piraterie somalienne ont été
vains. Les mentalités ont évolué et dorénavant les navires
ont à leur bord des gardes lourdement armés, qui sont
mis à disposition par les PMSC. Cette mesure est jugée
nécessaire – même si elle n’est pas acceptable – pour
protéger les convois maritimes. De la même manière que
d’autres pays de par le monde, les États d’Asie du Sud-est
ont dû faire appel de plus en plus aux PMSC au large de
la Somalie, les contraignant ainsi à se pencher davantage
sur cet épineux problème. Tandis que certains États de
cette région d’Asie y restaient fermement opposés comme
l’Indonésie, d’autre en revanche ont autorisé l’utilisation de
PMSC à bord des navires battant leur propre pavillon67.
Par exemple, Singapour n’interdit pas l’emploie de PMSC
à bord de navires battant le pavillon singapourien. Les
gardes armés à bord des bâtiments de Singapour sont
sous l’autorité de la cité-État et peuvent être poursuivis
s’ils outrepassent les règles68. La ville de Singapour abrite
64
Entretiens conduits par l’auteur avec des employés de PMSC
et un employé de Shell Singapore, souhaitant rester anonymes, à
Singapour, 2010.
65
Group 4 Falck A/S and Securicor ont fusionné en 2004 pour
former Group 4S.
66
G4S, “Who We are”, G4S Indonesia Website  : http://www.
g4s.co.id/en-ID/Who we are/ (consulté le 9 août 2013). Entretien
conduit par l’auteur avec un ancien employé de G4S souhaitant
rester anonyme, à Singapour en 2010 et 2012.
67
Ridwan Max Sijabat, “RI Says No to Private Armed Guards
Aboard Vessels”, Jakarta Post, 13 juin 2012.
68
Autorité maritime et portuaire de Singapour, “Guidance on the
Use of Privately Contracted Armed Security Personnel on Board
plusieurs PMSC qui fournissent une protection anti-
piraterie au large de la Somalie. Certains clients paient
même des gardes armés pour les escorter à bord depuis
les zones infestées de pirates du golfe d’Aden, tout le
long du trajet jusque Singapour, ou pour prévenir de tous
incidents dans le détroit de Malacca et dans d’autres eaux
dangereuses d’Asie69.
3. Regard tourné vers l’avenir : conclusion
L’industrie de la sécurité privée en Asie du Sud-est
connait une croissance continue grâce aux sociétés, aux
particuliers et aux gouvernements qui font de plus en plus
appel aux services de protection privés sur terre comme
sur mer. La dépendance vis-à-vis des PMSC a ses atouts,
notamment en Asie du Sud-est où la protection militaire
de biens et d’infrastructures a suscité par le passé, entre
autre, des cas de conscience au sujet des droits de
l’homme. Cependant ce recours incessant aux PMSC
et la coopération entre prestataires privés et publics de
sécurité ne sont pas sans conséquences et soulèvent
un certain nombre de questions. Par exemple, est-ce
que les services de sécurité seront accessibles à tous
ou seulement à une partie de la population qui en a les
moyens70  ? Effectivement, on doit garder à l’esprit que
les PMSC sont avant tout des entreprises et, qu’en tant
que telles, elles cherchent plus à accroître leurs chiffres
d’affaires et à remplir leurs contrats auprès des clients,
qu’à améliorer la sûreté du client ou à s’attaquer aux
racines du problème.
Toutefois, étant donné que les PMSC sont susceptibles
de proposer davantage de services sur mer et sur terre,
il est nécessaire de s’assurer que leurs activités soient
efficacement régulées et contrôlées. Des mesures
doivent être prises afin de s’assurer que le personnel
est rigoureusement choisi, qualifié et surtout entraîné.
Les gouvernements ont donc besoin de se pencher
sérieusement sur les problèmes soulevés par cette
industrie de la sécurité privée afin de voter et d’appliquer
des normes et des certifications pour protéger le personnel
de ces PMSC. Il est également essentiel de redorer l’image
de cette industrie qui est entachée par l’image de basse
besogne pour «  retraités avec formation académique
limitée  », dans le but d’attirer du personnel qualifié et
compétent71.
Singapore-Registered Ships in the High Risk Area”, Circulaire sur
le transport, n°15 de 2012, 18 septembre 2012.
69
Entretiens conduits par l’auteur avec des employés de PMSC en
Europe et à Singapour, janvier-juin 2012.
70
Cependant dans certains pays dans la région telle que l’Indonésie,
il est d’usage que les agences gouvernementales facturent des frais
à chaque prestation de services de sécurité.
71
Lim, “Towards Better Training & Career Prospects in the
Security Industry”, Op. cit.
16
Annexe :
Les principales PMSC en Asie du Sud-est

Glenn Marine Group Maritime Defence G4S International Saint Security Consultants
Force Maritime Solutions

Basée à Singapour Basée à Basée à Dubaï Basée à Singapour

Singapour
Créé en 1946 nc Créé en 1901 (2004) nc

www.glennmarinegroup.com www.mdf.com.sg www.g4smaritime.com www.saintsecurity.com

17

Le cyber-extrémisme : son rôle dans le terrorisme
indonésien
- Nur Azlin Mohamed Yasin
Les activités extrémistes en ligne72 ont été décrites comme
ressortant du succès d’Al-Qaïda dans son processus de
préservation et d’expansion de sa lutte à travers le monde, en
dépit des pertes subies dans ses capacités opérationnelles
depuis l’opération Enduring Freedom en octobre 2001.
Les affaires aux titres médiatiques et accrocheurs tels
que «  DIY terrorists  », «  Underwear Bomber  », «  Jihad
Jane » et « Triple agent » ont interconnecté les terroristes
en herbe dans le monde – en particulier ceux aux États-
Unis, au Royaume-Uni et à Singapour – à des activités
extrémistes en ligne. Il n’est absolument pas surprenant
que ce « cyber-État » soit en continu sous la surveillance
des agences gouvernementales et des organisations
de sécurité. L’Indonésie, jeune démocratie faisant face
aux problèmes du terrorisme, ne fait pas exception.
Les activités extrémistes en ligne menées en langue
indonésienne témoignent de tendances inquiétantes :
• un accroissement de l’adoption d’une idéologie de
la haine parmi les participants indonésiens,
• une intensification des angoisses et griefs à
l’encontre du gouvernement indonésien et de
l’Occident,
• et un désir aggravé de prendre part au jihad, qu’ils
interprètent à tort comme une lutte qui doit être
menée avec violence contre qui n’adhère pas à la
même idéologie.
1. Tendances sur la toile
Tout d’abord, le nombre total des sites et pages extrémistes
en ligne est passé de 15 en 200773 à plus de 200 en
201374. Bien que cela ne traduise pas une augmentation
globale du nombre de contenus extrémistes en ligne (les
mêmes contenus étant publiés sur différents URL), deux
conclusions peuvent être néanmoins tirées à propos  :
d’une part de la dissémination de plus en plus efficace des
textes, d’autre part de la propension de la communauté
des extrémistes indonésiens en ligne à maintenir et étendre
leur cyber-présence.
Ensuite, la création de cyber-ummah (communautés),
accueillies par des forums et les réseaux sociaux tels que
Facebook ou Twitter, a créé une assurance psychologique
qui a rendu les sites officiels d’autant plus attrayants.
Ces ressources, qui incluent la création d’un sentiment
d’appartenance et d’intimité entre les membres en ligne,
mènent à une forte probabilité d’adoption de l’idéologie
de la haine à travers des effets tels que la «  pensée de
72
Dans cette étude, l’adjectif «  extrémiste  » est attribué à des
individus, des ressources et des sites Internet qui soutiennent
l’idéologie d’Al-Qaïda. Ainsi, les activités extrémistes en ligne font
référence à des comportements extrémistes d’individus en ligne.
73
Ces sites Internet sont ceux détectés et surveillés par l’auteur
en 2013. Il peut exister d’autres sites semblables et non surveillés.
74
Antony Bergin, Sulastri Bte Osman, Carl Ungerer, Nur Azlin
Mohamed Yasin, “Countering Internet Radicalisation in Southeast
Asia”, RSIS-ASPI Joint Report, March 2009.
groupe  »75 et la «  pensée sociale catégorique  »76. Un tel
cadre se normalise dans le monde du cyber-extrémisme
en langue indonésienne. L’usage des forums a débuté en
2007 avec alfirdaus.com77. Aujourd’hui, il est complété
par les comptes sur les médias sociaux, notamment sur
Facebook et Twitter, parmi lesquels on retrouve pour le
premier «  Free and Support Ustadz Abu Bakar Ba’asyir
(ABB) » et « Generasi Al Ghuroba » (« la génération aliénée »).
L’un appelle à la libération d’Abu Bakar Ba’asyir78, l’autre
milite sous la bannière idéologique d’Al-Qaïda.
Dernière tendance préoccupante  : la radicalisation
des individus. Cela a pu notamment être observé
lorsque des participants en ligne à un forum tenu en
langue indonésienne ont commencé à y partager leurs
expériences de piratage informatique, de fabrication de
bombes, d’armes et de matériel d’auto-défense depuis
200779. Aujourd’hui, de tels produits peuvent être trouvés
sur des comptes Facebook extrémistes. La présence de
ces produits semble avoir éveillé le désir des participants
d’être plus actifs dans ce qu’ils considèrent comme le
jihad. Cela apparait dans leurs commentaires, passant de
propos théoriques à l’éloge de ces contenus ainsi qu’à
l’encouragement réciproque à utiliser les informations
disponibles dans l’optique d’un engagement plus profond
dans le militantisme80.
2. Observations en ligne analysées par rapport au
« monde réel »81 indonésien
En elles-mêmes, les observations en ligne peuvent
apparaitre comme une menace imminente à la sécurité de
l’Indonésie. Lorsqu’elles sont analysées en rapport avec
le cadre du monde réel, une image différente se dessine.
Il n’existe pas de statistiques de terrain montrant que les
activités extrémistes en ligne ont favorisé le terrorisme
en Indonésie. Les profils des terroristes montrent des
individus radicalisés par des facteurs du monde réel tels
que le contexte social ou le niveau d’éducation dans les
pesantren (pensionnats islamiques en Indonésie)82.
De plus, en dépit de nombreux commentaires
encourageant l’usage des manuels, aucune discussion n’a
75
Marc Sageman, Leaderless Jihad: Terror Networks in the Twenty-
First Century, University of Pennsylvania Press, 2008, p. 113.
76
Carolyn A. Lin, David J. Atkin, Communication Technology
and Social Change: Theory and Implications, Lawrence Erlbaum
Associates Inc., 2006, p. 45.
77
Il s’agit du premier forum extrémiste en ligne en langue
indonésienne détecté par l’ICPVTR. Il contient également le
premier manuel de piratage informatique. Cependant, il est
inaccessible depuis la fin de l’année 2008. Les raisons derrière cela
sont inconnues.
78
Abu Bakar Ba’ayasir est le leader spirituel des groupes terroristes
Jemaah Islamiyah (JI) et Jemaah Anshorut Tauhid (JAT). Ce
prêcheur âgé de 73 ans a été emprisonné en mars 2011, et a été
condamné par la suite à une peine de quinze ans de prison pour
avoir fournit des soutiens à des militants à Aceh.
79
Antony Bergin, Sulastri Bte Osman, Carl Ungerer, Nur Azlin
Mohamed Yasin, Op. cit.
80
Mohamed Abdul Saddiq Abdul Haq, Nur Azlin Mohamed Yasin,
“Bahasa Indonesia and Malay Language Extremist Websites”,
Counter Terrorist Trends and Analysis, ICPVTR, February 2010.
81
Par opposition au cyber-espace et à Internet.
82
Kumar Ramakrishna, Radical Pathways: Understanding Muslim
Radicalisation in Southeast Asia, Praeger Security International
Security International Academic, 2009.
18
eu lieu sur leur contenu même. Des études ont montré que
la présence de livres en ligne est insuffisante pour assurer
aux individus des compétences nécessaires en vue de
mener une attaque terroriste. Dans son travail sur les
ressources extrémistes en ligne, Anne Stenerson souligne
leur manque de fiabilité et de crédibilité. Elle explique que
l’anonymat des participants soulève les questions quant à
la qualité des ouvrages83. Dans une autre étude, Michael
Kennel explique que les manuels opérationnels fournissent
aux lecteurs le seul savoir technique qui leur donne un
aperçu général, basique, du savoir-faire physique à usage
terroriste. A cet égard, les manuels en ligne sont jugés
« aspirationnels » et non « opérationnels », et comportent
principalement de «  longs articles  » et de «  courtes
leçons ». Ces manuels ont été jugés impropres à entraîner
des individus à conduire des attaques terroristes dans le
« monde réel », et sont efficaces seulement lorsqu’ils sont
combinés à des entraînements qui assureront au futur
terroriste la metis [« la ruse de l’intelligence » en grec] ou un
savoir-faire complet et détaillé sur les tactiques d’utilisation
de la violence84. De plus, les explosifs utilisés dans tous
les attentats à la bombe en Indonésie étaient le produit
d’un savoir-faire transmis directement par des terroristes,
tels que feu Dr Azhari et Noordin M Top ; ils n’étaient pas
fabriqués à partir d’un manuel en ligne. Cela signifie qu’il
n’y a pas de liens clairs et directs entre l’extrémisme en
langue indonésienne et le terrorisme en Indonésie. Mais les
inquiétudes relatives à la sécurité, qui tournent autour de
cette présence en ligne, ne sont pas pour autant invalidées.
Car la radicalisation – phénomène certes central – n’est pas
le seul aspect qui nourrit le terrorisme. Gagner le soutien
d’un public de plus en plus large, lever des fonds et recruter
des individus est tout aussi important, notamment dans le
contexte actuel où la capacité physique des terroristes est
continuellement démantelée par les autorités.
• Abu Musab al Zarqawi, ancien leader d’Al-Qaïda
en Irak, a établi la présence en ligne de son groupe
en 2004, après le commencement de la guerre
dans ce même pays en 2003. Sa communication
sur Internet informe un large public, y compris des
personnes intéressées par la conduite d’actes
terroristes au nom d’un groupe qu’elles peuvent
rejoindre et auquel elles peuvent être affiliées.
• Anwar al-Aulaqi, considéré comme l’idéologue à
la source de plusieurs cas de radicalisation aux
États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe, a été
le pionnier de la publication en ligne du magazine
Inspire en 2010. Cette mise en ligne a eu lieu
peu de temps après qu’il a été inscrit sur la liste
noire du gouvernement yéménite et qu’il a dû
se cacher en décembre 2009. Mises à part ses
vidéos, le magazine Inspire a été l’une des sources
retrouvées dans les lectures de plusieurs individus
radicalisés et arrêtés aux États-Unis  : parmi eux,
Naser Abdo, un soldat de l’armée américaine
qui avait monté une fusillade et une attaque à la
bombe à Fort Hood, dans le Texas, mais aussi les
terroristes de Boston.
83
Anne Stenerson, “The Internet: A Virtual Training Camp?”,
Terrorism and Political Violence (2008), 20: 2; pp. 215-233.
84
Michael Kenney, “Beyond the Internet: Metis, Techne, and the
Limitations of Online Artifacts for Islamist Terrorists”, Terrorism
and Political Violence (2010), 22: 2; pp. 177-197.
L’argument se vérifie pour les groupes terroristes en
Indonésie dont l’activité sur Internet constitue un facteur
de succès dans la « prolongation de la lutte ».
3. L’extrémisme sur Internet, part de la stratégie de
récupération
Face aux mesures répressives sur leur lieu de refuge,
menées par la force spéciale anti-terroriste indonésienne
du détachement 88, les groupes terroristes en Indonésie
ont élaboré une stratégie qui vise à se recentrer sur la
diffusion de leur propagande pour recueillir des soutiens et
attirer de nouvelles recrues afin de se reconstruire85. Tandis
qu’il existe des tactiques du « monde réel », telle que la
vente de publications et sermons extrémistes dans les
mosquées par des terroristes comme Abu Jibriel, les outils
Internet complètent le processus :
• les groupes Facebook et les publicités en ligne pour
mobiliser des soutiens à l’attention des terroristes ;
• la levée des fonds en aide aux familles des
terroristes arrêtés, perpétuant alors le cercle vicieux
de la radicalisation de génération en génération de
terroristes en Indonésie ;
• enfin, la présence efficace de « recruteurs » sur les
forums Internet et Facebook.
4. A la recherche de soutiens
Les terroristes en Indonésie sont capables de rassembler
des soutiens non seulement au sein de la communauté
extrémiste, mais également parmi divers groupes dans la
société indonésienne. En effet, de nombreux espaces tels
que les forums privés permettent l’inscription d’individus
partageant une communauté de pensée. Cependant,
les terroristes visent aussi un public indonésien plus
large. C’est particulièrement le cas via leurs groupes et
comptes Facebook. Par exemple, un coup d’œil rapide
aux soutiens de la page Facebook «  Free and Support
Ustadz Abu Bakar Ba’asyir (ABB) » montre des individus
aux orientations différentes. Certains ont des photos de
profil d’eux-mêmes portant des armes et des niqab tandis
que d’autres exhibent des tatouages, le tout sans voile
pour les femmes. L’adhésion via Internet n’est donc pas
homogène en termes de profils. Tandis que les extrémistes
au sein de la communauté reçoivent des commentaires
qui soutiennent directement les actes de terrorisme, les
commentaires non-extrémistes sont centrés sur leur haine
et leur scepticisme envers les autorités indonésiennes.
Ces différents groupes ont beau souscrire à des idéologies
différentes, leur réunion vient de leurs réclamations
communes envers le gouvernement indonésien. De ce
fait, ce rassemblement sur Internet ne peut être interprété
comme un soutien croissant au terrorisme. Cependant, il
prête ses forces à des groupes terroristes sur le long terme,
leur donnant un avantage politique parmi notamment les
hommes et femmes politiques d’orientation islamiste.
5. La collecte de fonds sur Internet
Les sites Internet liés à la Jemaah Islamiyah et les soutiens
extrémistes du groupe ont été vus collectant des fonds
pour les familles ou les terroristes recherchés depuis la
détention de Putri Munawaroh en 2009. Munawaroh a été
85
International Crisis Group, “Indonesia: Jemaah Islamiyah’s
Publishing Industry”, Asia Report n°147, 28 February 2008.
19
condamné à trois ans d’emprisonnement pour avoir caché
des terroristes : son époux Susilo ainsi que Noordin M Top,
en décembre 2009. Aujourd’hui, plusieurs programmes et
fondations mènent des campagnes de levées de fonds
sur Internet. Ils postent des publicités pour ces opérations
et persuadent les lecteurs en les amenant à croire qu’ils
sont « sur la voie de la vertu », en utilisant des nobles et
retentissants sous-titres tels que « Purifier vos possessions
en donnant aux familles des guerriers saints ».
• Le mouvement GASHIBU (Gerakan Sehari Seribu–
Mouvement des 1000 roupies par jour), par
exemple, conduit plusieurs activités de collecte
de fonds, sur Internet et dans le « monde réel »,
pour aider les familles des terroristes arrêtés. Le
mouvement promeut le message suivant : « donner
1000 roupies par jour est une petite contribution
qui peut faire beaucoup pour ces familles ».
• Un autre exemple est la fondation RUMPUT
(Rumah Putih – Maison Blanche). Elle vise à lever
des fonds pour aider les familles via des très
petites entreprises. Cela montre la continuité des
relations entre les familles des entités extrémistes,
soulevant des inquiétudes sur la perpétuation d’un
cercle vicieux de la radicalisation dans la prochaine
génération de terroristes en Indonésie.
6. Le recrutement sur Internet
Bien que les opportunités soient nombreuses pour les
terroristes d’embrigader sur le terrain via des réunions
ou autre, le recrutement sur Internet est de plus en plus
utilisé par les groupes. Il s’avère pratique et plus difficile à
détecter. Selon un analyste du Centre for Radicalism and
Deradicalisation Studies, M. Muhammad Taufiqurrohman,
50 à 100 militants indonésiens ont été directement
recrutés sur Facebook durant les deux dernières années.
Les autorités indonésiennes ont également observé des
individus se connectant ensemble sur Internet afin de
mener des attaques via des jeux en réseau.
7. Le rôle du renseignement et de la défense
En plus d’être impossible, il est tout à fait contreproductif
de fermer les sites extrémistes sur Internet, ainsi que
leurs pages sur les réseaux sociaux. Les mêmes sites
ou ressources seront reproduits sur une autre URL
dans les jours, ou même les heures, qui suivent. Ces
fermetures auraient également pour effet de nourrir le
mécontentement de cette communauté à l’égard des
autorités, et pourraient même les conduire à des opérations
souterraines qui seraient encore plus difficile à détecter. A
l’inverse, la capacité à rassembler des renseignements et
des informations sur les lieux virtuels où se trouvent les
terroristes et leurs soutiens devrait être continuellement
renforcée, non seulement avec des hommes, mais aussi
avec des technologies. Le renseignement et l’entraînement
aux attaques devraient nous aider à prévenir les menaces
réelles sur le court terme. Enfin, la collecte d’information sur
leur idéologie, leur propagande et d’autres activités nous
prépare à concevoir de meilleures approches, souples, qui
devraient donner l’avantage sur le long terme.
Alliance et alignement dans l’évolution des relations
entre le Japon et les Philippines
- Maria Theresa Anna Robles
Le Premier ministre Shinzo Abe a mené une offensive
de charme en Asie du Sud-est durant les derniers mois,
travaillant à renforcer la présence diplomatique du Japon
dans la région. La relation troublée du Japon avec la Chine
a donné l’impulsion à cette poussée vers les pays d’Asie
du Sud-est, dans la mesure où l’approfondissement des
liens avec cette région est recherché en tant que protection
économique et stratégique à l’encontre de la Chine.
L’attention sur les disputes territoriales tend à souligner
cette dimension particulière des dynamiques régionales,
mais une vue plus large de la situation suggère que le rôle
de l’Asie du Sud-est ne devrait pas être principalement
analysé en fonction des conflits en cours. Même en
excluant les tensions en mer de Chine du Sud, une Asie du
Sud-est en croissance et résiliente demeure cruciale pour
les intérêts économiques et sécuritaires du Japon ; et la
région pourrait également bénéficier d’un Japon plus fort.
Les liens renforcés entre le Japon et l’Asie du Sud-est
peuvent être observés en Indonésie, en Birmanie et au
Vietnam, avec pour preuve l’augmentation de l’aide, du
commerce et des flux d’investissement86. Les relations
Japon-Philippines sont également sur une pente
ascendante  ; la visite d’Abe aux Philippines en juillet
2013 a en effet affirmé et solidifié les liens entre Tokyo
et Manille. Cet évènement met en lumière les récents
développements dans les relations économiques et
sécuritaires entre le Japon et les Philippines et met en
perspective les évolutions du partenariat stratégique.
1. La dimension économique : du commerce à l’aide
Les liens économiques entre le Japon et les Philippines
ont été construits autour d’un large panel d’activités, parmi
lesquels : le tourisme, les travailleurs migrants, le commerce,
l’investissement et l’aide. Malgré une opposition politique
très forte, le Japan-Philippines Economic Partnership
Agreement a été ratifié en 2008 et sert de cadre à une
intégration économique entre les deux pays. La portée de
cet accord va au-delà du commerce et des facilités pour
l’investissement puisqu’il couvre la propriété intellectuelle,
les marchés publics et les mouvements de personnes,
entre autres87. Tandis que l’économie des Philippines
jouit d’une croissance solide, et que le Japon commence
à montrer quelques signes de reprise économique, les
perspectives d’approfondissement des liens économiques
sont encourageantes.
Durant la première moitié de l’année 2013, le Japon était
le troisième pays source de touristes pour les Philippines,
86
“Japan and South-East Asia Hand in Hand”, The Economist,
1er juin 2013.
87
Medalla, Erlinda, Catherine Vidar-Vale, Jenny D. Balboa,
Japan-Philippines Economic Partnership Agreement: Towards a
Framework for Regional Economic Integration, PIDS Discussion
Paper n°2010-19, Makati City, Philippine Institute for Development
Studies, 2010.
20
avec 209 812 visiteurs88. On peut s’attendre à ce que
le nombre de touristes philippins qui visitent le Japon
augmente, le Japon ayant récemment annoncé qu’il
assouplirait les règles pour les visas à court terme et à
multiples entrées. Le Japon accueille également plus de
200 000 Philippins, y compris des prêtres et des employés
de maison. Le gouvernement japonais a reconnu que
cette présence constituait une base solide pour une
relation «  plus complémentaire  » dans le futur, le pays
faisant face à un rétrécissement de sa population active et
à un vieillissement de sa population89.
Le commerce total entre le Japon et les Philippines s’est
remis de la crise financière mondiale de 2008-2009, et
dépasse aujourd’hui les niveaux d’avant-crise, avec un
volume total des transactions qui s’élève à 21,2 milliards de
dollars90. Le Japon continue d’être le premier marché des
Philippines pour l’exportation de marchandises, comptant
pour 19 % du total de l’exportation de marchandises pour
les mois de janvier-février 201391. Cette tendance est
prévue pour durer  : les analystes notent en effet l’attrait
grandissant des Philippines en tant que destination des
investissements directs à l’étranger (IDE) japonais. En
dehors de la croissance forte et stable du pays, et du
travail à bas coût et hautement qualifié, les Philippines sont
maintenant considérées par les multinationales japonaises
comme un élément d’alternative au regard de la Thaïlande
après les inondations de 2011, et en particulier à cause de
la plus courte distance entre Tokyo et Manille.
L’aide a toujours été un pilier important des relations
entre le Japon et les Philippines et, même si le Japon a
souffert plusieurs années de difficultés économiques, il
reste le premier donateur aux Philippines. En 2010-2011,
l’assistance officielle au développement (AOD) brute aux
Philippines était de 548 millions de dollars92. Cette AOD
japonaise couvre une longue liste d’activités y compris
des domaines tels que l’énergie et les infrastructures,
les réseaux de circulation et de transport ainsi que la
préparation et la réponse aux catastrophes naturelles.
Concernant la circulation et le transport, la Japan
International Cooperation Agency fournit une assistance
technique afin d’aider au développement d’une feuille de
route pour la zone du grand Manille (Metro Manilla). Un
prêt conditionnel post-catastrophe naturelle de 10 milliards
de yen a également été approuvé à travers le Stand-by
Emergency Credit for Urgent Recovery. Un autre point
dans les nombreuses AOD japonaises aux Philippines est
la Japan-Bangsamoro Initiative for Reconstruction and
Development (J-BIRD) lancée en 2006. J-BIRD soutient le
processus de paix à Mindanao à travers le développement
88
Department of Tourism, The First Half of 2013 Generated
2.38 Million Visitors: http://www.tourism.gov.ph/Pages/
IndustryPerformance.aspx.
89
Ministry of Foreign Affairs (Japan), Country Assistance Policy
for the Republic of the Philippines: http://www.ph.emb-japan.go.jp/
bilateral/image/oda%202010%20update/countryassistancepolicy.
pdf.
90
Asia Regional Integration Center, Integration Indicators: http://
aric.adb.org/integrationindicators.
91
Department of Trade and Industry (Philippines), Top 10
Markets as of February 2013: http://www.dti.gov.ph/uploads/
DownloadableForms/Top%2010%20Markets%20As%20of%20
February%202013.pdf.
92
Organisation for Economic Co-operation and Development-
Development Assistance Committee, Philippine ODA Statistics:
http://www.oecd.org/dac/stats/PHL.gif.
des ressources humaines, la formulation de projets
de développement et la mise en œuvre de projets de
développement communautaires93. Les dernières initiatives
impliquent la Bangsamoro Transition Commission autour
d’un projet de renforcement des capacités, qui vise à
faciliter l’établissement du gouvernement du Bangsamoro
en 2016.
La coopération économique entre le Japon et les
Philippines s’annonce particulièrement importante dans
les années qui arrivent puisque les deux pays voient ces
liens renforcés comme un instrument pour stabiliser et
soutenir leur croissance économique. Aux Philippines, on
espère que l’augmentation des investissements venant du
Japon conduira à l’expansion économique future du pays.
Aux côtés de l’investissement des firmes japonaises dans
le secteur manufacturier local, les contributions du Japon
au développement des infrastructures aux Philippines est
particulièrement bienvenu compte tenu de leur piteux état.
Dans le cas du Japon, le pays voit dans la région un marché
important pour ses exportations puisque les perspectives
économiques demeurent relativement solides au sein de
l’ASEAN. La Chine représente certes le plus gros marché
pour les exportations du Japon, mais le conflit autour des
îles Senkaku/Diaoyu a ravivé un sentiment anti-japonais en
Chine, et a eu des effets défavorables sur le commerce
entre les deux pays. Les hommes d’affaires japonais ont
également exprimé leurs craintes quant à la viabilité de
leurs investissements en Chine sur le long-terme94. Entre
2011 et 2012, les exportations japonaises vers la Chine
ont chuté de 10,4  % tandis que ces exportations ont
cru de 5,8 % vers l’ASEAN. Parmi les pays de l’ASEAN,
les Philippines se classent au cinquième rang dans les
principaux marchés d’exportation ; cependant, le potentiel
de croissance apparait solide puisque les exportations vers
l’archipel ont augmenté de 6,1 % sur la même période95.
2. La dimension sécuritaire : intérêts partagés et
menaces
Jusqu’à récemment, les discussions sur la coopération
militaire entre le Japon et les Philippines étaient assez
limitées. L’ancienne présidente des Philippines Gloria
Macapagal-Arroyo, et l’ancien Premier ministre japonais
Taro Aso avaient certes considéré la nécessité d’une
politique de dialogues et de consultation sur la sécurité
maritime durant une visite en 200996, mais de tels sujets
n’étaient pas mis en avant dans l’agenda politique
jusqu’au second mandat d’Abe. L’intérêt mutuel dans le
renforcement de la coopération de la sécurité maritime
provient des craintes grandissantes des deux pays face
à une menace sécuritaire croissante de la Chine. Durant
la dernière visite d’Abe, Aquino a affirmé l’engagement du
Japon et des Philippines afin « de coopérer dans la promotion
commune des actions responsables», afin de «  faire
respecter l’état de droit dans les affaires internationales »
et afin de «  trouver des solutions justes et pacifiques à
93
Aurea Calica, “Japan Presents Development Map for Mindanao”,
The Philippine Star, 28 July 2013.
94
The Economist, 2013.
95
“Value of Exports and Imports by Area and Country”, Japan
External Trade Organization, 2013.
96
“Fostering a Strategic Partnership for the Future between Close
Neighbors”, Japan-Philippines Joint Statement, 18 juin 2009.
21
nos différends territoriaux et inquiétudes maritimes»97.
Les projets concrets, à cette fin, sont encore en train d’être
affinés. Le Japon s’est engagé à aider les Philippines à
améliorer ses capacités de surveillance et a promis de
fournir au pays dix navires de patrouilles garde-côtes à
travers un accord de prêt. Il y a également des propositions
du Department of National Defense philippin pour donner
aux États-Unis et aux alliés japonais un plus grand accès
aux bases militaires locales, y compris à l’ancienne base
navale américaine de Subic Bay. A l’heure actuelle, les
projets sont encore à l’étude et aucun accord officiel
n’a été obtenu98. Cependant, Aquino s’est exprimé pour
soutenir les propositions de terrain, affirmant qu’accorder
l’accès aux partenaires stratégiques des Philippines est
nécessaire pour construire une «  alliance crédible  » et
faciliter l’interopérabilité ainsi que la connaissance du
terrain philippin par les alliés99.
Tandis que les hauts responsables ont rejeté les
revendications selon lesquelles une coopération
approfondie entre le Japon et les Philippines pourraient
provoquer Pékin, cela n’a pas stoppé les peurs et les
spéculations, étant donné la focalisation des discussions
à propos de la base navale de Subic Bay. Celle-ci peut
accueillir deux grands navires de guerre récemment
achetés aux États-Unis, et sa localisation stratégique à
80 kilomètres à l’ouest de Manille réduit le temps de
réaction des avions de chasse vers la mer de Chine du Sud
à moins de trois minutes, comparé au décollage de la base
aérienne de Clark où quelques avions sont actuellement
stationnés100. La très rapide augmentation des visites
militaires américaines à la base de Subic a également été
constatée – 88 navires de guerre et sous-marins y ont été
dénombrés en 2012, et déjà 72 pour cette année101.
Bien que le partenariat stratégique Japon-Philippines ait
été établi en 2011, un accord officiel sur la coopération de
défense entre les deux pays doit être formalisé avant que le
Japon ne puisse accéder à la base militaire des Philippines.
Julio S. Amador III, professeur invité dans le domaine des
études asiatiques au East-West Center de Washington,
note que l’accord sur le partenariat stratégique ne couvre
pas le problème de l’accès et soutient qu’«  un Visiting
Forces Agreement » (VFA – Accord sur les forces en visite)
préliminaire, ou un « Status of Forces Agreement » (SFA
– Accord sur le statut des forces) devrait être signé entre
le Japon et les Philippines avant que les discussions ne
puissent commencer102. Quand certains citent les tensions
historiques et craignent qu’un accès élargi mène à terme à
la création de bases militaires de facto sur des installations
philippines103, d’autres pensent que de tels problèmes
sont exagérés et que le peuple philippin a avancé à grands
pas depuis son conflit historique avec le Japon. L’analyste
97
“Loan Plan for New Philippine Patrol Ships Unveiled”, The
Japan Times, 28 juillet 2013.
98
“Philippines Exploring Allowing US and Japan More Use of
Bases”, US Naval Institute News, 27 juin 2013.
99
Michael Lim Ubac, “Aquino Defends Use of Bases by US,
Japan”, Philippine Daily Inquirer, 3 juillet 2013.
100
Associated Press, “Philippines to Move Air Force, Navy Near
Disputed Sea”, The Asahi Shimbun, 28 juillet 2013.
101
Miguel Mogato, “Manila Plans Air, Naval Bases at Subic with
Access for US, Officials Say”, Reuters, 27 juin 2013.
102
Correspondance par courrier électronique avec l’auteur.
103
My Sinchew, Strong Objection to Plan Allowing US, Japan
Access to Philippine Bases, 29 juin 2013: http://www.mysinchew.
com/node/88196.
senior Julius Cesar I. Trajano de la S. Rajaratnam School
of International Studies maintient que bien que « nous ne
puissions pas ne pas prendre en considération l’argument
historique cité par certains groupes, il n’existe pas de
fort sentiment anti-japonais aux Philippines qui pourrait
entraver un quelconque accord de défense »104.
Si aucun obstacle prévisible n’empêche la réalisation d’un
accord officiel de défense entre le Japon et les Philippines,
quelle serait la portée et les paramètres d’un tel accord ?
Aquino a répété que l’accès aux installations militaires ne
serait pas permanent105 mais d’autres détails opérationnels
doivent encore être fixés. Dans le cas des États-Unis, une
ébauche de l’Increased Rotational Presence Framework
Agreement106 (Accord-cadre sur une rotation renforcée) a
été rédigée et pourrait servir de précédent pour d’autres
accords de défense bilatéraux. Amador pense que ce
traité d’alliance entre le Japon et les Philippines n’est pas
nécessaire et qu’un VFA qui suit les limites constitutionnelles
philippines et les limites légales japonaises devrait suffire.
Trajano est d’accord pour dire qu’un accord de défense
Japon-Philippine pourrait prendre la forme d’un VFA et qu’il
devrait « permettre aux troupes philippines d’emprunter, ou
d’utiliser temporairement » l’équipement japonais déployé
dans des bases militaires locales, y compris des drones
de surveillance pour des patrouilles de reconnaissance en
mer de Chine du Sud.
La plupart des Philippins apprécient les bénéfices du
partenariat stratégique avec le Japon, en particulier
aux vues des limites flagrantes en ce qui concerne les
ressources et capacités militaires des Philippines  ; les
détails finaux d’un quelconque accord devraient cependant
être mis au clair et des restrictions raisonnables à une
présence militaire étrangère devraient être envisagées, le
tout en assurant un engagement suffisant et stable des
partenaires stratégiques, de telle façon que les intérêts de
la sécurité des deux partis soient assurés.
3. Remarques conclusives
Des intérêts économiques et sécuritaires communs,
certains façonnés par les conflits territoriaux avec la Chine
et d’autres par le résultat de conditions plus systémiques,
ont formé la substance et le minutage des récents
développements dans les relations entre le Japon et les
Philippines. Cependant, il serait prématuré de dire que
l’accord est conclu. L’engagement d’Abe et d’Aquino à
poursuivre leurs projets respectifs et tenir leurs promesses
dépend de leur soutien populaire, ce dont jouissent
largement les deux dirigeants, grâce aux promesses de
performances économiques dans leurs pays. Mais tandis
que les perspectives économiques pour le Japon et les
Philippine sont encourageantes, Abe et Aquino font tous
les deux face à des contraintes de politique intérieure.
• Dans le cas d’Abe, il fait face à des défis au sein de
son propre parti puisque le succès de sa politique
économique dépend de la mise en œuvre de
104
Correspondance par courrier électronique avec l’auteur.
105
Ubac, 2013.
106
Department of Foreign Affairs (Philippines), Frequently
Asked Questions on the Proposed Increased Rotational Presence
Framework: https://www.dfa.gov.ph/index.php/2013-06-27-21-
50-36/dfa-releases/554-frequently-asked-questions-faqs-on-the-
proposed-increased-rotational-presence-irp-framework-agreement.
22
 réformes structurelles et douloureuses, auxquelles
s’opposent des groupes d’intérêt puissants.
• Aux Philippines, Aquino se concentre sur la
résolution du scandale du « tonneau de porc »107 ;
son échec affaiblirait la légitimité de son leadership,
précisément construit sur des promesses de
bonne gouvernance.
Il est attendu que la coopération entre les deux pays
continuera de s’approfondir dans un futur proche, mais la
politique intérieure déterminera si l’urgence et le soutien
pour les projets débattus auparavant pourront être
soutenus.
107
Surnom donné au clientélisme pratiqué à travers le très critiqué
et officiel « Priority Development Assistance Fund ».
Le conflit de mer de Chine du Sud vu depuis l’archipel
indonésien des Natuna
- Siswanto Rusdi
Le conflit en mer de Chine du Sud se poursuit, et empire
de manière notoire en raison de manœuvres navales par
les protagonistes. L’Indonésie est restée relativement peu
impliquée dans le jeu puisqu’elle n’a aucune revendication
dans les territoires maritimes disputés. Jakarta observe très
étroitement les développements de ce conflit tout proche
qui pourrait affecter sa Zone économique exclusive (ZEE).
Cependant, la marine indonésienne (TNI-AL) ne procède
pas à des manœuvres navales intenses, sa présence
autour de la zone disputée assure simplement un accès
sécurisé à la ZEE aux habitants de Natuna.
Étant donné que le conflit pourrait s’intensifier jusqu’à
dégénérer en guerre navale, l’Indonésie enjoint les parties
impliquées de recourir à la Déclaration de conduite des
parties en mer de Chine du Sud (Declaration on the
Conduct of the parties in the South China Sea - DOC).
La raison est simple : des affrontements armés ouverts
seraient à même de réduire à néant la souveraineté
indonésienne sur les Natuna.
Cette approche traditionnelle de la mer de Chine du Sud
par Jakarta pourrait être un peu différente vue des Natuna.
Ce point de vue est apparu assez clairement durant les
entretiens avec des personnes de premier plan tels que
les représentants officiels de la province des îles Riau et
les leaders informels à Tanjung Pinang, la capitale. Les
entretiens ont aussi impliqué les dirigeants de la marine
marchande à Jakarta. Selon eux, l’Indonésie est capable
de jouer un rôle plus actif.
1. État des lieux aux Natuna
Les îles Natuna sont à l’heure actuelle un district de la
province des îles Riau. Auparavant, lorsque cette province
était elle-même un district de la province des Riau, les
Natuna étaient un sous-district, kecamatan en indonésien.
Son nouveau statut administratif est régi par l’Act n°53
de 1999. De plus, avec la promulgation de l’Act n°43
de 2008, qui entérine la naissance de la National Border
Management Agency (BNPP), les Natuna obtiennent un
autre avantage, puisqu’elle fait désormais partie des douze
provinces/zones indonésiennes bordant officiellement un
pays étranger108. Par conséquent, et étant donné leur
statut, les Natuna reçoivent d’importants financements
pour développer les infrastructures, le logement, les
écoles, et autres. L’argent vient du gouvernement central,
via la BNPP, la province des îles Riau, et le budget interne
du district.
Les données disponibles au bureau du gouverneur de la
108
Aux Natuna, trois îles font directement face aux pays voisins –
Malaisie et Vietnam : l’île Sekatung, l’île Sebetul, et l’île Semiun.
Toutes sont sous administration du sous-district de l’île de Laut.
La province des îles Riau compte à elle seule 2 408 îles. Le 18
septembre 2013, 1 euro valait 15 100 roupies ; mais cette dernière
est actuellement très fluctuante et au plus bas : http://www.xe.com/
fr/currencyconverter/ (consulté en septembre 2013).
23
province des îles Riau indiquent que les Natuna ont reçu
en 2011 160 milliards de roupies indonésiennes venant du
BNPP pour développer les services publics109. De la part
du bureau de la province des îles Riau, les Natuna ont reçu
43 milliards de roupies en 2010, 60 milliards de roupies
en 2011, et 65 milliards de roupies en 2012 pris sur le
budget provincial, qui atteint lui-même 2 000 milliards de
roupies chaque année. Cette année, il atteint même les
2 400 milliards de roupies. Les fonds ont été alloués pour
développer, entre autre, une jetée à Pulau Laut et à Subi,
des sous-districts des Natuna110. Le budget interne au
district des Natuna, de 1 000 milliards de roupies par an,
est également en grande partie utilisé pour la construction
d’infrastructures publiques111.
Néanmoins, avec tout cet argent, les Natuna, à l’image
du district voisin d’Anambas, sont encore considérées
comme sous-développées, selon les données compilées
par le ministère des Zones sous-développées en 2009112.
Les raisons de ce sous-développement persistant
sont dues aux fonds alloués à trop de projets de
développement, sans qu’aucune priorité n’ait été fixée par
les différents gouvernements au niveau local, régional et
central. En d’autres termes, chaque secteur a reçu des
fonds trop limités pour leur permettre d’avoir d’excellentes
performances.
M. Sardison l’a admis et a donné un exemple : le BNPP a
alloué en réalité 6 000 milliards de roupies pour les douze
régions frontalières en 2006. Cependant, les fonds sont
allés à de nombreux secteurs différents, si bien que chacun
d’entre eux n’en a reçu qu’une très petite part. De plus,
le budget n’a pas été directement cédé à l’administration
provinciale, mais a été réparti entre divers ministères qui
ont ensuite pris la direction des projets aux Natuna ou
dans d’autres zones de l’archipel.
Dans le même temps, M. Loriaux a révélé que le budget
finalement alloué aux Natuna par l’administration provinciale
n’était pas conséquent, « mais, avec son budget interne,
je pense que les Natuna peuvent développer de bien
109
Entretien avec M. Sardison, chef de bureau, département de
l’administration du développement, bureau provincial des îles Riau
à Tanjung Pinang.
110
Entretien avec Robert Iwan Loriaux, secrétaire provincial des
îles Riau à Tanjung Pinang. Le secrétaire provincial est le plus
haut poste apolitique occupé par un fonctionnaire dans toutes les
administrations du pays. Il ou elle est directement sous les ordres
du gouverneur ou vice-gouverneur, lui-même directement élu
lors d’élections locales. Cette nomenclature existe dans toutes les
administrations du pays.
111
Le budget des Natuna est le deuxième plus important de
la province des îles Riau, derrière celui de la municipalité de
Batam. Les Natuna bénéficient de fonds relativement importants
puisqu’elles reçoivent du gouvernement central des fonds de
compensation provenant des compagnies pétrolières en activité
dans le district. Actuellement, douze compagnies pétrolières et
gazières, étrangères pour la plupart, opèrent aux Natuna (Pearl
Energy Group Indonesia, Lundin Oil & Gas BV, Star Energy,
Australia Worldwide Exploration Ltd, Premier Oil Ltd, Mandiri
Pasca Usaha, Natuna Ventures BV, Conoco Phillips Indonesia,
West Natuna Exploration Ltd, Indoreach Exploration Ltd, Titan
Resources (Natuna) Indonesia Ltd, et Exxon Mobil Oil Indonesia
Inc).
112
Badan Perencanaan Pembangunan Daerah Provinsi Kepulauan
Riau, Rencana Pembangunan Jangka Menengah Provinsi
Kepulauan Riau 2010-2015, Tanjung Pinang, Badan Perencanaan
Pembangunan Daerah Provinsi Kepulauan Riau, 2011, p. III-39.
meilleurs services publics ».
L’impact d’une telle approche de développement peut
être observé dans le sous-district de l’île de Laut. Ce
sous-district est si isolé des autres îles que pour rejoindre
les autres sous-districts tels que West Bunguran et East
Bunguran, les habitants doivent parcourir 65 miles marins.
De même, 137 miles marins séparent le sous-district de
Midai et le sous-district de l’île de Laut. En revanche, la
distance pour aller au Vietnam est de seulement 60 miles
marins, soit trois heures de bateau113.
Ces conditions géographiques alarment évidemment les
autorités en poste à Tanjung Pinang puisque la mer de
Chine du Sud est une zone de disputes permanentes. Elles
craignent sérieusement que ces conflits puissent menacer
des territoires fragiles et/ou isolés. Selon Marlis Markan,
de nombreux cercles d’opinion parmi les habitants «  se
plaignent de leur isolement ainsi que de leurs conditions de
vie, et ils continuent de demander s’ils font toujours partie
du peuple indonésien ».
2. Autorités, pétroliers, pêcheurs : des perceptions
différentes
Le gouverneur de la province des îles Riau, Muhammad
Sani114, considère que le conflit en mer de Chine du Sud
n’a pas de lien avec l’archipel des Natuna. «  Pour moi,
explique-t-il, le conflit dans cette mer n’existe pas, donc le
district et les autres zones de l’archipel vivent à un rythme
normal. En termes de manœuvres de bâtiments militaires,
il n’y a pas eu d’élargissement du déploiement des
forces navales indonésiennes (TNI-AL), qui se contentent
simplement de maintenir une présence régulière dans nos
eaux territoriales. Vous pouvez penser que mon opinion
est assez similaire à celle des autorités à Jakarta, mais en
tant que personne voyageant beaucoup dans ces îles, j’y
vois la situation en direct ».
« Si les Natuna faisaient l’objet d’un conflit, ajoute M. Sani,
les compagnies gazières et pétrolières pourraient dès à
présent quitter la zone. En réalité, elles continuent leurs
activités ici. »
Bien que les Natuna ne fassent pas parti du conflit, les
évènements en mer de Chine du Sud influencent malgré
tout les activités des habitants de l’archipel, en particulier
des pêcheurs. M. Markan explique que le Vietnam, en tant
que partie au conflit, a accru sa présence en mer de Chine
du Sud, jusqu’aux eaux territoriales indonésiennes.
«  Cela devient manifeste lorsque les navires de pêche
vietnamiens sont arrêtés par les patrouilleurs du ministère
de la Pêche et des affaires maritimes (KKP) pour pêche
illégale dans les eaux indonésiennes des Natuna. Peu
de temps après arrivent de gros bateaux [vietnamiens]
exigeant la relaxe des bateaux de pêche précédemment
arrêtés. J’ignore ce qu’il se passe ensuite avec les
responsables du ministère, mais les bateaux arrêtés
finissent par bel et bien quitter le port ».
113
Marlis Markan est un activiste d’ONG exerçant à Tanjung
Pinang et natif des Natuna.
114
Entretien à Tanjung Pinang. Le 13 août 2013, il a été décoré de
la Bintang Mahaputra Utama remise par le président indonésien
Susilo Bambang Yudhoyono pour son service exemplaire du
peuple.
24
Les activités de pêche illégales, non-réglementées,
non-signalées (INN) par des pêcheurs étrangers dans
les eaux des Natuna ne représentent pas une menace
nouvelle mais le phénomène est accentué par la pauvreté
et la limitation du système de surveillance – navires
patrouilleurs et personnel navigant. M. Markan révèle que
pour la surveillance des activités de pêche dans les eaux
de la province des îles Riau, le KKP ne dispose que de
27 navires patrouilleurs. Malheureusement, sur 27 navires,
seuls 24 sont en état de naviguer et conçus pour une
portée de navigation limitée.
«  Si l’on en croit le programme du ministère pour le
développement de la flotte, la province des îles Riau
requiert 80 navires patrouilleurs à large rayon d’action.
Pour le moment, seuls quatre navires de ce type sont en
construction dans les chantiers navals locaux », dit-il.
M. Sardison indique que les activités de pêche INN
n’impliquent pas que les étrangers, mais aussi les
autochtones. « Evidemment, les pêcheurs étrangers sont
plus actifs que les locaux parce qu’ils ont de meilleurs
navires. De plus, ils sont assez audacieux pour pénétrer
par effraction dans les eaux nationales d’un pays tiers.
De ce point de vue, les pêcheurs indonésiens sont
davantage respectueux de la loi que les Vietnamiens. J’ai
rarement entendu parler de pêcheurs indonésiens entrant
illégalement dans les eaux vietnamiennes et se faisant
arrêter pour cela ».
Selon lui, il existe un obstacle qui empêche de lutter
contre les activités de pêche illégales, non-régulées,
non-signalées, de la part tant des Vietnamiens que des
locaux. Comme des officiers de la marine (TNI-AL) le lui
ont rapporté, il s’agit des changements dans la nature
des crimes commis : du simple vol à la pêche INN. Avec
ces changements, si un bateau est arrêté pour cause de
pêche INN, les autorités locales ne peuvent pas grand-
chose à cause du manque d’équipements et de volonté
politique de la part du gouvernement central ainsi qu’en
raison de la communauté internationale.
M. Loriaux admet que les activités de pêche INN posent
de gros problèmes aux Natuna, puisque les pertes sont
énormes du côté indonésien. « D’un point de vue politique,
nous ne sommes pas aptes à y faire face, parce que les
acteurs étrangers sont pleinement soutenus par leur
gouvernement ».
3. Orientations futures
La non-implication dans le conflit de mer de Chine du Sud
ne signifie pas qu’il n’existe pas de difficultés. En effet,
il y a des problèmes aux Natuna, et ce conflit pourrait
les faire empirer. Cependant, des mesures pourraient
être adoptées pour atténuer ces possibles éléments de
détérioration.
M. Sardison souligne que le meilleur moyen pour cela est
de développer plus d’infrastructures afin de libérer l’archipel
de ses problèmes d’isolement et de pauvreté. «  Nous
avons des projets pour cela au bureau du gouverneur de
la province des îles Riau ».
Par exemple, le bureau a demandé au gouvernement
central de prêter une attention particulière aux zones
archipélagiques telles que la province des îles Riau. Cette
attention est nécessaire pour augmenter l’allocation
attribuée par ce même gouvernement central.
«  Cette approche du développement ne convient
cependant pas parfaitement aux caractéristiques
naturelles des Natuna. Une province archipélagique est
très différente d’une province «  continentale  » comme
Java. Aussi, la manière dont nous allouons les fonds est
également différente. Nous espérons que la mise en place
de ces financements se fera le plus rapidement possible »
ajoute M. Sardison. Cette attention particulière devrait être
suivie de la désignation des districts des Natuna, Anambas
et Lingga comme Zones économiques spéciales (ZES).
Dans la province des îles Riau, les districts des Natuna,
Anambas et Lingga (NAL), sont désignés pour entrer en
compétition avec les ZES déjà existantes dans la province :
Batam, Bintan et Karimun.
Dans le même temps, M. Loriaux a expliqué que
l’administration provinciale demandera à l’armée de l’air
indonésienne (TNI-AU) de faire de sa base aux Natuna
un aéroport commercial, pour augmenter ses activités
économiques. De plus, il existe également un plan pour
établir des marinas dans le NAL. Selon lui, de nombreux
lieux aux Natuna et Anambas conviendraient pour
développer ces services.
« Actuellement, les yachts souhaitant visiter Nongsa Point
à Batam en partant des complexes hôteliers de la côte
malaisienne doivent compter 20 heures de trajet ; tandis
que s’ils voulaient se rendre aux Natuna, ils devraient
simplement compter deux heures de trajet. Ce site est donc
bien plus intéressant que celui de Batam  », déclare-t-il.
M. Paulis A. Djohan, PDG de PT Era Indonesia, une
compagnie maritime spécialisée dans le transport du
charbon basée à Jakarta, a une position plus dure vis-à-vis
du conflit en mer de Chine du Sud. Mise à part l’approche
économique, il demande au gouvernement qu’il prenne
directement part au conflit. « Nous sommes le plus grand
territoire côtier de cet espace maritime, donc nous serons
impliqués tôt ou tard. Pourquoi ne pas rejoindre le club
dès à présent ?  », demande-t-il. Il omet cependant de
mentionner quelle action concrète devrait être adoptée par
le gouvernement pour matérialiser sa suggestion.
25
La Chine et les Natuna
La marine indonésienne, (Tentara Nasional Indonesia
– Angkatan Laut – TNI-AL) n’a jamais connu
d’échauffourées avec la flotte chinoise en mer de Chine
méridionale. Mais les relations entre les deux pays ont été
quelque peu tendues en 1993 lorsque Pékin a publié une
carte indiquant les revendications historiques du pays et
incluant un champ gazier au nord-est de l’archipel des
Natuna. Jakarta a rejeté ces revendications jugées sans
fondement légal en droit international. Depuis, la Chine
a cherché à rassurer l’Indonésie en soutenant qu’elle ne
revendiquait ni les Natuna, ni l’ensemble des eaux de la
mer de Chine du Sud. Aussi a-t-elle renoncé à ses vues
sur les Natuna en 1995, mais pas sur le champ gazier.
En ce qui concerne le projet d’établir une station
de recherche sino-indonésienne dans les Natuna
(Indonesia-China Centre for Ocean and Climate –
ICCOC), il serait toujours sur les rails d’après Budi
Sulistiyo, un dirigeant du Research and Development
Center, au sein du ministère des Affaires maritimes et
de la pêche. Toutefois, ce-dernier ne donna aucune
indication supplémentaire s’agissant du calendrier
précis, avant d’ajouter  : «  pour votre information, il
existe déjà une station fonctionnant selon ce modèle de
coopération à Bungus, à Sumatra-Ouest ».
La Chine dans la région du Mékong115
- Kearrin Sims
La montée en puissance de la Chine durant les deux
dernières décennies représente un des changements
majeurs dans la géopolitique mondiale. Nulle part
l’influence grandissante de la Chine n’a été plus fructueuse
qu’en Asie. Cet article analyse l’intérêt croissant de la
Chine au sein de la sous-région du grand Mékong (en
anglais Greater Mekong Subregion – GMS). Reliant la
Birmanie, la Thaïlande, le Laos, le Cambodge, le Vietnam
et la Chine, la GMS est l’une des initiatives d’intégration les
plus réussies d’Asie de l’Est. A travers le développement
de l’assistance bilatérale et les investissements du secteur
privé, la Chine a joué un rôle clef dans la connectivité du
Mékong. Cependant, les intérêts de la Chine dans la région
n’ont pas toujours été bien accueillis. Cet article examine
certains des défis que l’aide chinoise et les investissements
dans le secteur privé ont suscités pour les habitants de la
région du Mékong.
1. La Chine et la région du Mékong
L’intérêt croissant que porte la Chine à la région du
Mékong s’est en premier lieu focalisé sur deux secteurs :
les investissements directs à l’étranger (IDE) du secteur
privé, et l’assistance officielle au développement (AOD) du
gouvernement chinois. Dans une région qui demeure peu
attractive pour de nombreuses entreprises occidentales en
raison de droits de propriété peu fiables, d’une intervention
étatique assez intense et d’une gouvernance opaque
des entreprises, les sociétés chinoises ont prospéré116.
L’investissement chinois s’est développé à de multiples
échelles, des marchands locaux vendant les produits du
quotidien tels que des jouets, des vêtements, du petit
matériel électronique et électroménager, des ustensiles de
cuisine, jusqu’aux concessions automobiles, en plus de
la construction d’hôtels et de restaurants, l’agribusiness,
les exploitations minières, et les projets d’infrastructures
à grande échelle, tels que des routes et des barrages
hydroélectriques. Aspect important de la stratégie du
« soft power » chinois dans la région, ces investissements
ont fréquemment bénéficié de subventions ou d’autres
formes de soutien financier ou politique de la part de l’État
chinois117.
La Chine a également joué un rôle clef dans les processus
d’urbanisation et d’industrialisation dans la région du
Mékong. Dans la capitale laotienne, Vientiane, par
exemple, les IDE et AOD chinois ont largement contribué
à la construction du Lao International Convention Center,
du National Culture Hall, du complexe hôtelier Vientiane
New World, de la Zone économique spéciale (ZES) de
That Luang, de complexes hôteliers et de bureaux, du
115
Cette étude repose sur dix mois de recherches ethnographiques
sur le terrain en 2011-2012, au Laos ainsi qu’en Chine, Thaïlande
et Vietnam.
116
Voir Morck, R., Yeung, B. and Zhao, M., “Perspectives
on China’s outward foreign direct investment”, Journal of
International Business Studies, 39, 2008.
117
Li Mingjiang, Soft Power: China’s Emerging Strategy in
International Politics, Lanham, Lexington Books, 2009.
26
stade national, et des nombreux centres commerciaux,
notamment le Regal Megamall et le San Jiang market.
Les investissements dans les ZES ont été un élément clef
des investissements chinois dans la région du Mékong. En
Birmanie et au Laos, la « souveraineté graduelle »118, que
les ZES provoquent, a permis la construction d’un certain
nombre de casinos tenus par des Chinois. Beaucoup de
ces projets sont localisés sur des concessions foncières
à grande échelle fournies par les États du Mékong à des
taux considérablement réduits.
En plus de ces investissements dans le secteur privé, l’aide
chinoise dans la région a également augmenté durant la
dernière décennie. Bien que n’équivalant pas encore l’aide
japonaise dans la région, l’aide chinoise dépasse néanmoins
aujourd’hui celle de nombreux donateurs occidentaux119.
La raison pour laquelle l’aide chinoise est particulièrement
influente dans la région est sa mise en œuvre en général
très rapide ainsi que le manque d’exigences en matière
de protection sociale ou environnementale, à la différence
désormais des donateurs occidentaux traditionnels. De
plus, l’aide chinoise est souvent accordée à des taux
d’intérêt avantageux, et fournit aussi des fonds pour des
projets tels que des stades, que les donateurs traditionnels
sont peu enclins à financer120. Dans la lignée de son propre
mode de croissance, l’aide chinoise à la GMS a en premier
lieu été dirigée vers le développement des infrastructures.
Souvent liées aux entreprises d’État ou à d’autres
sociétés chinoises, les accusations d’appropriations
illicites des terres ont été nombreuses concernant
l’aide et les investissements chinois121. S’agissant de la
protection de l’environnement, de nombreuses sociétés
chinoises utilisent souvent des moyens qui manquent
de considération envers les populations locales et
l’environnement122  ; néanmoins, l’ancienne coordinatrice
de M-POWER (Mekong Program on Water, Environment
and Resilience), Kate Lazarus, notait à propos de l’hydro-
électricité :  «  les entreprises chinoises se sont montrées
plus accessibles dans le dialogue que les entreprises
thaïlandaises ou vietnamiennes, et elles ont peut-être
essuyé des critiques imméritées123. »
Au-delà des intérêts financiers croissants de la Chine
dans cette région, il y a également eu d’importants liens
interpersonnels et des échanges interculturels. Les
membres des gouvernements des États de la région
voyagent désormais assidûment en Chine pour traiter
de divers sujets, et des étudiants venant du Vietnam, du
Laos et du Cambodge, sont de plus en plus nombreux
118
Aihwa Ong, “Scales of exception: Experiments with knowledge
and sheer life in tropical Southeast Asia”, Singapore Journal of
Tropical Geography, 2011, 29 (2), pp. 117-29.
119
Joshua Kurlantzick, Charm Offensive: How China’s Soft Power
is Transforming the World, New Haven, Yale University Press,
2009.
120
Jin Sato, Hiroaki Shiga, Takaaki Kobayashi, Hishahiro Kondoh,
“Emerging Donors from a Recipient Perspective: An Institutional
Analysis of Foreign Aid in Cambodia”, World Development, 2011,
39 (12), pp. 2091-2104.
121
Martin Stuart-Fox, “Laos: The Chinese Connection”, Southeast
Asian Affairs, 2009 (1), pp. 141-169.
122
Houmphan Rattanavong, The Changing Livelihoods of the Akha
in Muang Sing and Muang Long in Laos, in Don McCaskill, Prasit
Leepreecha & He Shaoying (ed.), Living in a Globalized World:
Ethnic Minorities in the Greater Mekong Subregion, Chiang Mai,
Mekong Press, 2008, pp. 259-276.
123
Entretien sur place le 14 février 2012.
à obtenir des bourses pour étudier en Chine124. Des
Instituts Confucius ont vu le jour dans toute la région,
et les magazines de la compagnie aérienne Lao Airlines
ont désormais une édition anglaise et une édition
chinoise, cette dernière détaillant diverses prouesses
technologiques chinoises. Cependant, l’intensification des
flux migratoires en provenance de la Chine vers les pays de
la région du Mékong s’est accompagnée d’une vague de
peur dans ces mêmes pays, avec l’idée que les migrants
chinois noieraient sous leur nombre la population locale,
et siniseraient les alentours. Comme l’explique un étudiant
laotien anonyme de l’International Development Masters :
« permettre aux Chinois de remplacer les Laotiens n’est
pas une bonne chose… La plupart des bénéfices du
développement iront aux Chinois… Ce que le Laos en
retirera sera : plus de crimes et plus de pauvreté »125.
Le tourisme a été un secteur important pour renforcer les
liens entre la Chine et les autres pays de la GMS. Selon
l’associate professor Ng Beoy Kui126 « la Chine représente
la seule et la plus grande opportunité de croissance » pour
le tourisme sud-est asiatique. La Chine investit dans des
hôtels et restaurants sur les principaux sites touristiques de
la région et, en général, le tourisme chinois diffère du style
«  bag-packer  » et écotourisme, très répandu parmi les
voyageurs occidentaux. Jouer dans les casinos construits
par des Chinois, s’adonner à la pornographie et recourir
à la prostitution, séjourner dans des hôtels «  de luxe  »
construits par des Chinois, comptent parmi les activités
les plus populaires des touristes chinois. Tandis que la
Chine joue un rôle important dans la construction des
infrastructures et la modernisation des environnements
urbains dans toute la région, ses intérêts ont aussi un
coût pour les habitants. Un problème sérieux résultant des
investissements chinois est celui des déplacements de
population induits par le développement.
2. Les déplacements de population induits par le
développement
Les déplacements de populations résultant de
l’appropriation des terres, de l’amélioration des
infrastructures, de l’agribusiness et de l’urbanisation ont
été une des caractéristiques les plus marquantes de la
« montée en puissance de la Chine »127 ; or cette dernière
apporte à présent ce modèle de développement dans la
région du Mékong. Comme le rappelle très simplement
M. Sengdara Douangmyxa, chef adjoint de la division
de l’urbanisme au ministère des Travaux publics et des
transports – département du logement et de l’urbanisme
au Laos : « la plupart des programmes de relocalisation
urbains sont liés à des investissements privés provenant
de projets chinois »128.
124
Joshua Kurlantzick, Charm Offensive: How China’s Soft
Power is Transforming the World, New Haven, Yale University
Press, 2009; Martin Stuart-Fox, “Laos: The Chinese Connection”,
Southeast Asian Affairs, 2009, (1), pp. 141-169.
125
Entretien sur place le 5 juin 2011.
126
Ng Beoy Kui, The Economic Emergence of China: Strategic
Policy Implications for Southeast Asia, in Ho Khai Leong (ed.),
Connecting and Distancing: Southeast Asia and China, Singapore,
Institute of Southeast Asian Studies, 2009, p. 202.
127
Fulong Wu, Chris Webster, Shenjing He, & Yuting Liu, Urban
Poverty In China, Cheltenham, Edward Elgar Publishing Limited,
2010.
128
Entretien sur place le 15 janvier 2012.
27
Du fait des hommes d’affaires chinois achetant les terres
locales, déplaçant les agriculteurs de subsistance et
construisant des complexes de loisir dont les locaux sont
exclus pour la plupart, le sentiment anti-Chinois devient
de plus en plus évident129. Les zones abritant les barrages
hydroélectriques financés par des fonds chinois au Laos
ont subi des déplacements de populations locales à
grande échelle, la perte de terres agricoles locales,
la détérioration de la sécurité alimentaire et les effets
écologiques gigantesques, en particulier sur les pêcheries
du Mékong. A Luang Prabang, les coûts de l’amélioration
de l’aéroport ont inclus le déplacement de 420 familles,
certaines d’entre elles étant restées sans logement et
toujours sans accès à l’eau potable un an après avoir été
relogées. Comme le souligne un informateur au sein d’un
site de relogement : « nous vivons comme des poulets ;
quand il fait chaud nous avons chaud, et quand il fait froid
nous avons froid. Quand il pleut nous sommes mouillés »130.
De même, sur un autre site de relogement à Vientiane
où une société chinoise a bâti un complexe hôtelier pour
accueillir la visite des délégués de l’Asia Europe Meeting,
les villageois déplacés ont fait face à de l’extorsion et à des
taux de compensation insuffisants pour leur relogement :
« la première fois qu’ils [les représentants du gouvernement]
sont venus, ils m’ont donné 13  000 dollars… Mais ma
maison en valait plus que ça, donc je leur ai dit de refaire
leurs calculs. La seconde fois [que la maison a été évaluée],
ils m’ont seulement donné 10 800 dollars. Je leur ai dit que
ce n’était pas assez, mais ils m’ont dit que s’ils refaisaient
les calculs encore une fois, je n’obtiendrai peut-être que
5 000 dollars »131.
Dans les casinos tenus par des Chinois en Birmanie et
au Laos – beaucoup d’entre eux ont été fermés de force
par les gouvernements locaux – les déplacements, la
prostitution, la pauvreté causée par des dettes de jeu, et
le signalement de meurtres et d’actes de torture se sont
largement répandus. Plusieurs casinos ont été fermés en
Birmanie à la suite de leur implication dans des meurtres,
kidnappings et autres activités violentes. Un informateur
au Laos, qui estime qu’il a perdu près de 70 000 dollars
au Kings Roman Casino de Tong Peun, explique : « mon
ami est un officier de police et il est allé voir une femme
chinoise qui avait été attachée à des arbres dans la jungle
dans la montagne à environ 10 kilomètres du casino. Elle
avait des dettes qu’elle ne pouvait rembourser. Elle a dû
aller à l’hôpital à Houay Xai durant trois jours avant de
pouvoir rentrer en Chine… J’ai aussi un ami qui a perdu
40 millions de baht : sa femme et ses parents étaient si
bouleversés qu’il a fini par se suicider »132.
Les intérêts chinois répandus dans le nord du Laos, exposés
dans ce texte, ont mené au constat que certains aspects
de l’implication de la Chine au Laos constituent des actions
d’extraterritorialité133, ou même de néocolonialisme. Étant
donné le niveau de l’implication de l’État dans ces projets,
129
Joshua Kurlantzick, Charm Offensive: How China’s Soft Power
is Transforming the World, New Haven, Yale University Press,
2009, p. 105.
130
Entretien sur place le 12 décembre 2012.
131
Entretien sur place le 19 décembre 2011.
132
Entretien sur place le 5 mars 2012.
133
   Pal Nyiri, Extraterritoriality. Foreign Concessions: The
Past and Future of a Form of Shared Sovereignty, Lecture for
Amsterdam’s Free University, 2009.
au sein des pays du Mékong, ces commentaires peuvent
paraître excessifs. Les intérêts régionaux de la Chine sapent
rarement les intérêts des États du Mékong. Ils sont plutôt
devenus de nouveaux mécanismes de promotion de la
croissance économique tout en continuant de restreindre
les libertés politiques. Bien que la Chine ait été critiquée
par certains pour soutenir le régionalisme économique et
les infrastructures, plutôt que les liens politiques, la même
approche a été recommandée par la Banque asiatique de
développement (BAD) dans sa stratégie régionale pour le
Mékong – et sans doute par tous les pays de la GMS eux-
mêmes. Ce que la Chine représente, plus que toute autre
chose, n’est pas une menace pour les pays du Mékong,
mais un puissant investisseur qui ferme les yeux sur les
atteintes aux droits de l’homme parmi les États du Mékong
pour son propre gain financier.
3. Conclusion
La montée en puissance de la Chine s’est traduite par
une croissance substantielle de l’aide au développement
et des investissements privés dans la région du Mékong.
Les IDE et AOD chinois ont été des contributeurs
cruciaux pour les projets d’infrastructures et ont assuré
l’accès à de nouveaux produits aux populations du
Mékong. Ces financements ont également fourni des
bourses d’études aux étudiants et des programmes
de formation aux membres des gouvernements des
États du Mékong. Malheureusement, ces financements
ne sont pas arrivés sans générer des coûts sociaux et
environnementaux élevés. Les AOD chinoises ont été
critiquées par beaucoup comme étant mercantilistes,
relevant de l’exploitation, axées sur les ressources134, et
fournissant injustement un soutien à des « États voyous »
tels que la Birmanie. Elles ont été condamnées pour leur
manque de transparence, le peu de cas qu’elles portent
aux standards sociaux et environnementaux et pour les
déplacements massifs de populations locales de leurs
terres. Avec les améliorations des infrastructures, routes et
aéroports, qui rendent les voyages à l’international de plus
en plus faciles et une demande croissante en caoutchouc,
bauxite et autres ressources naturelles, l’augmentation des
migrants, touristes et investisseurs chinois dans la région
du Mékong semble ne pas devoir cesser de si tôt. A moins
que d’importantes réformes n’aient lieu en Chine et dans
les États du Mékong, il est probable que les AOD et IDE
du prétendant hégémon local continuent de menacer les
moyens d’existence des habitants les plus vulnérables du
Mékong.
134
Yongjin Zhang, The Discourse of China’s Soft Power and Its
Discontents, in Li Mingjiang, Soft Power: China’s Emerging
Strategy in International Politics, Lanham, Lexington Books,
2009, pp. 45-60.
28

L’Asie du Sud-est et le déni d’accès à la mer : la
défense des mers étroites
- Ristian Atriandi Supriyanto
La plupart des mers sud-est asiatiques appartiennent à
la catégorie des « mers étroites » établie par Milan Vego,
qui désigne les mers fermées ou semi-fermées135. En Asie
du Sud-est, les mers étroites sont présentes partout. On
y retrouve la mer de Chine du Sud et la mer du Timor
(nord et sud), la mer d’Andaman et la mer d’Arafura (est et
ouest). Les mers étroites peuvent également être situées
au sein des eaux archipélagiques des États de la région
– selon la définition de l’UNCLOS – telles que les mers
de Java et de Banda au sein de l’archipel indonésien, ou
encore la mer de Bohol aux Philippines136. Quelle pourrait
être l’influence de ces caractéristiques géographiques des
mers étroites sur la défense maritime ?
1. Le déni d’accès
A l’inverse de l’océan, la défense des mers étroites est
principalement caractérisée par le manque d’espace et
la proximité des terres137. Ces deux limites influencent les
forces navales, en termes de manœuvrabilité, d’intensité
de combat, de spectre de l’espace de bataille, et
l’utilisation des forces aériennes138. Dans les mers étroites,
la manœuvrabilité de grand navires de combat, tels que la
majorité des navires de surface et sous-marins, est souvent
restreinte en raison de la géographie complexe du littoral et
des conditions hydrographiques. Les actions de combat
sont également plus dispersées, sur toute la mer, et
décisives, en raison de l’usage potentiellement intensif de
missiles et armes de haute précision. Cela étend le champ
de bataille à d’autres espaces, puisque les mers étroites
sont habituellement à portée des forces stationnées à
terre et sous la couverture de ces dernières. Finalement,
puisqu’une large bande, si ce n’est l’intégralité, de la mer
étroite est souvent située à la portée des avions de combat
basés à terre, les raids aériens en mer, et le support aérien
aux forces navales peuvent être soutenus plus longtemps,
et le retour des avions sur leur bases à terre plus fréquent,
les sécurisant ainsi face aux ennemis139.
La proximité des forces basées à terre dans une mer
étroite influence la conduite du contrôle en mer et le déni
d’accès maritime. Le contrôle maritime vise à l’usage de
la mer pour soi, et si nécessaire, à empêcher les ennemis
d’y circuler. Le déni d’accès maritime, lui, a pour but de
s’opposer aux opérations d’une flotte adverse dans une
zone maritime spécifique. En dépit des différences, le
contrôle maritime et le déni maritime peuvent être menés
en complémentarité.
135
Milan Vego, Naval Strategy and Operations in Narrow Seas,
London, Frank Cass, 2003, 2nd ed., pp. 5-6.
136
Le terme « eaux archipélagiques » s’applique spécifiquement
aux États archipélagiques. Cela signifie que les mers sont situées
à l’intérieur des lignes de base d’un État archipélagique. Voir
UNCLOS, article 2, p. 27 et article 49, p. 41.
137
Milan Vego, Op. cit., pp. 11-12.
138
Ristian A. Supriyanto, “Defence of Narrow Seas in Southeast
Asia”, RSIS Commentaries, n°184/2012, 3 octobre 2012, p. 1.
139
Milan Vego, Op. cit., p. 12.
2. Le contexte sud-est asiatique
Dans quelle mesure la défense des mers étroites serait-
elle pertinente en Asie du Sud-est ? Evidemment, la région
compte un grand nombre de mers étroites, avec certaines
zones contestées par les différents États côtiers comme la
mer de Chine du Sud et la mer de Sulawesi. Le conflit en
mer de Chine du Sud implique la quasi-totalité des États
côtiers : Brunei, la Chine, la Malaisie, les Philippines, Taïwan
et le Vietnam. Dans le même temps, les États côtiers qui
n’ont pas de revendications – Singapour et l’Indonésie –
sont devenus de plus en plus inquiets quant à la possibilité
d’erreurs de jugement qui pourraient par inadvertance
mener à l’usage de la force. Dans la mer de Sulawesi,
l’Indonésie et la Malaisie sont impliquées dans un différend
sur le bloc Ambalat140. En dépit des affirmations des deux
parties à la recherche d’un accord pacifique, une grande
incertitude plane sur le futur de cette contestation, vue la
nature intraitable de ces conflits. En attendant une solution
diplomatique, qui a peu de chance de survenir rapidement,
les États demeureront tenaces dans la tendance actuelle –
c’est-à-dire investissant plus largement dans les capacités
de défense maritime pour affirmer leur présence, renforcer
leur revendications de souveraineté et, si besoin, protéger
leurs propriétés nationales dans la zone contestée. Pour
entreprendre d’autres opérations, la plupart des pays
ont montré un intérêt profond dans les capacités de déni
d’accès, en particulier les sous-marins, navires de surface
légers, des avions de combat agissant en zone maritime,
et mines marines.
En partie pour cette raison, l’Asie du Sud-est a vu une
augmentation de ses dépenses et capacités militaires.
En 2012, les dépenses militaires totales de la région
représentent 33,7 % du total mondial, une augmentation
de 6 % par rapport à 2011141. Une part significative de ces
dépenses sont consacrées à la défense maritime142. AMI
International projette que les marines de la région Asie-
Pacifique dépenseront en tout 180 milliards de dollars
répartis entre 800 nouveaux navires, navires de surface,
et sous-marins, le tout échelonné jusqu’en 2031143.
Durant la période 2011-2020, les pays d’Asie du Sud-est
acquerront douze sous-marins pour un coût annuel de
4,7 milliards de dollars144. Ces capacités, telles que des
avions de patrouille maritime et des navires patrouilleurs,
pourraient être utilisées pour affirmer sa présence dans la
zone et appliquer les revendications, tandis que les sous-
marins pourraient être déployés pour des activités de
surveillance dans les zones contestées contre les autres
requérants.
En tant qu’unités propices au déni d’accès, les sous-
marins diesel-électriques ou conventionnels sont
devenus de plus en plus populaires auprès des marines
140
Tunggadewa Matangkilang, “Ambalat Border Dispute Ignored
for Joint Indonesia/Malaysia Exploration Efforts”, The Jakarta
Globe, 17 juin 2013.
141
Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), SIPRI
Yearbook 2013: Armaments, Disarmaments and International
Security: Summary, p. 6.
142
John O’Callaghan, “Southeast Asia splashes out on defense,
mostly maritime”, Reuters, 7 octobre 2012.
143
Wendell Minnick, “Asia’s Naval Procurement Sees Major
Growth”, Defense News¸ 19 mai 2013.
144
Mrityunjoy Mazumdar, “Underwater aspirations break the
surface in SE Asia”, Jane’s Navy International, 7 octobre 2011.
29
nationales. L’Indonésie est le plus grand opérateur sous-
marinier de la région depuis les années 1960, avec douze
sous-marins soviétiques de classe Whiskey. Après avoir
souffert de difficultés de maintenance chroniques, ils ont
été remplacés par deux sous-marins allemands Type-
209 (de classe Chakra) dans les années 1980, toujours
en service aujourd’hui. En décembre 2011, l’Indonésie
décide d’acheter en plus trois sous-marins Type-209
(Chang Bogo) à la Corée du Sud145. Une base navale est
également en construction à Palu, sur l’île de Sulawesi,
pour y faire stationner les sous-marins plus près des
eaux Ambalat, contestées par la Malaisie, que de la base
actuelle à Surabaya (à l’est de Java)146. Les sous-marins
pourront être ainsi déployés dans les eaux de l’archipel
des Natuna, où la ZEE indonésienne et les revendications
chinoises, englobant l’intégralité de la mer de Chine du
Sud, se chevauchent147. Il n’y a que peu de possibilités,
cependant, qu’un sous-marin indonésien se déploie dans
cette zone148.
Dans le même temps, Singapour a fait l’acquisition de
quatre sous-marins de classe Challenger (Sjöormen)
suédois dans les années 1990, ainsi que deux classe
Archer (Västergötland) en 2011 et 2013. Les sous-marins
de classe Archer sont équipés d’un système de propulsion
anaérobie pour renforcer leur discrétion et leur endurance
sous-marines149.
La Malaisie, elle aussi, a acheté deux sous-marins
Scorpene, à la France, en juin 2002 (livrés en 2009 et
2010). Elle les a stationnés dans la baie de Seppangar,
dans l’État du Sabah, faisant face à la mer de Chine du
Sud. L’idée est d’y surveiller la zone de revendication
chinoise, vietnamienne et taïwanaise, mais administrée
par Kuala Lumpur, qu’est le récif Swallow150. Ces sous-
marins peuvent également patrouiller le long des lignes
reliant la péninsule aux territoires de Bornéo, officiellement
reconnus comme vulnérables151.
Le Vietnam sera le prochain opérateur en sous-marins
de la région, avec les six sous-marins de classe Kilo,
commandés à la Russie en 2009 pour 2 milliards de
dollars152. Les Kilo pourront opérer dans le voisinage des
145
“S. Korea’s Daewoo wins submarine contract for Indonesia
over Turkish-German bid”, World Tribune, 21 février 2013 ; Ristian
A. Supriyanto, “Indonesia’s New Submarine Bids: An undersea
buildup?”, RSIS Commentaries, n°159/2011, 4 novembre 2011.
146
Ruslan Sangadji, “Navy opens new base prepared for
submarines”, The Jakarta Post, 6 avril 2013.
147
Ristian A. Supriyanto, “Indonesia’s South China Sea Dilemma:
Between Neutrality and Self-Interest”, RSIS Commentaries,
n°126/2012, 12 juillet 2012.
148
Ade Marboen, “TNI antisipasi Laut China Selatan” [TNI
anticipates the South China Sea], ANTARA, 3 octobre 2012.
149
“Deputy Prime Minister Tharman Shanmugaratnam
Commissions RSS Swordsman”, Ministry of Defence of the
Republic of Singapore, 30 avril 2013  : http://www.mindef.gov.
sg/imindef/press_room/official_releases/nr/2013/apr/30apr13_
nr.html#.UhnoBxunoj4 (consulté le 22 août 2013).
150
Tim Fish, “Malaysia reveals value of Scorpene deal”, IHS
Jane’s Navy International, 23 juin 2006.
151
Malaysia’s Ministry of Defence, Dasar Pertahanan Negara
[Elements of National Defence] 2010, p. 12 : http://www.mod.gov.
my/images/dpn-terbuka.pdf  ; Dzirhan Mahadzir, “Malaysia is a
country split into two halves”, Defence Review Asia, 7 mars 2013.
152
“Two Kilo submarines to be handed over to Vietnam this Sept.”,
Vietnamnet, 6 juillet 2013 ; Igor Chuprin, “Russia to Deliver First
Kilo Class Sub to Vietnam in 2013”, RIA Novosti, 29 mars 2013.
archipels Paracels et Spratleys, revendiqués par le Vietnam
pour défier la maîtrise chinoise de la mer de Chine du Sud,
et pour des questions de surveillance. Leur présence
silencieuse pourrait compliquer les considérations
tactiques de la Chine lorsqu’elle déploie des bâtiments de
surface à proximité des zones revendiquées par le Vietnam.
Un amiral chinois a admis que la présence de sous-marins
dans cette zone pourrait être un défi pour la Chine153. De
plus, le Vietnam pense à acquérir un avion de patrouille
américain P-3 qui pourrait substantiellement améliorer la
maîtrise de la situation en mer de Chine du Sud154. Une
fois ces plateformes combinées, le Vietnam pourrait d’ici
à 2020 disposer d’une marine côtière efficace, pour des
opérations de déni d’accès dans les eaux revendiqués par
le Vietnam.
La Thaïlande et les Philippines, elles aussi, songèrent
sérieusement à se procurer des sous-marins, mais leurs
projets ont été mis de côté en raison de contraintes
financières155. Les deux vont acquérir des frégates et
des corvettes à la place de sous-marins. Bangkok a fait
savoir qu’elle pourrait acheter deux frégates polyvalentes
à la Corée du Sud, pour une valeur de 977 millions de
dollars pour remplacer ses deux bâtiments de classe
Knox actuels, construits aux États-Unis156. Dans le même
temps, Manille convoite deux nouvelles frégates italiennes
de classe Maestrale pour compléter l’acquisition de trois
vedettes gardes-côtes américains de classe Hamilton157.
Achetées à 18 milliards de pesos (407 milliards de dollars),
les Maestrale sont en premier lieu destinées à la lutte anti-
sous-marins (anti-submarine warfare – ASW), et peuvent
aussi posséder des capacités de lutte anti-aérienne (anti-
aircraft warfare - AAW) et antisurface (anti-surface warfare
– ASuW)158. Bien qu’il nie que la Chine soit la cible de
ces acquisitions, le président philippin, Benigno Aquino
III, explique que ces navires pourront néanmoins être
utilisés pour « asseoir notre souveraineté dans la mer des
Philippines de l’ouest » – nom sous lequel Manille désigne
la mer de Chine du Sud159.
Moins silencieux que les sous-marins, des bâtiments de
surface légers, telles que les frégates et les corvettes,
pourraient être effectives dans les mers étroites. Leur
plus grande vitesse et leur plus faible tirant d’eau que des
grands navires de combat, tels que des porte-avions ou
même des destroyers, leur permettraient d’être très agiles
pour opérer le long des littoraux et dans des conditions
hydrographiques complexes comme en mer de Chine du
153
“China concerned by ASEAN subs-admiral”, RIA Novosti,
27 février 2010.
154
Gareth Jennings, “LAAD Defence and Security 2013: US mulls
P-3 MPA sale to Vietnam”, IHS Jane’s Defence Weekly, 10 avril
2013.
155
Voir : “Submarine plan torpedoed”, Bangkok Post, 20 septembre
2011 ; Katherine Evangelista, “Philippines eye submarines to boost
Navy”, INQUIRER.net, 17 mai 2011 ; William Depasupil, “Next on
Navy’s list: New frigate, anti-submarine helicopter”, The Manila
Times, 12 juin 2013.
156
Surasak Tumcharoen, “Thai Navy to acquire 2 frigates to beef
up maritime force”, Xinhua, 24 septembre 2012.
157
“PH to buy two Maestrale frigates from Italy”, Philippine
Daily Inquirer, 3 juillet 2013 ; Alexis Romero, “DND eyes 3 more
Hamilton-class ships”, Philippine Star, 14 décembre 2011.
158
“Maestrale Class Frigates, Italy”, Naval-technology.com :
http://www.naval-technology.com/projects/maestraleclassfrigat/
(consulté le 22 août 2013).
159
“PH to buy…”, Loc. cit.
30
Sud, où certaines zones demeurent non-cartographiées.
Ces navires pourraient même être modifiés en bateaux à
capacité côtière, ou déployés en combinaison avec des
navires de combat en zone littorale (Littoral Combat Ship
– LCS). Par exemple, la Malaisie a décidé de se procurer
six LCS sur le modèle des corvettes françaises de classe
Gowind, pour 2,8 milliards de dollars, qui pourraient
accroître les capacités de ses frégates existantes160.
L’Indonésie prévoit de développer vingt frégates
lance-missile (Sigma Type-10514) avec la compagnie
néerlandaise de construction navale basée aux Pays-
Bas, Damen Schelde, ceci en plus des vingt navires
d’attaque rapides KCR-40 armés avec des missiles
antinavires chinois C-705161. Dans une large mesure, le
déploiement américain de quatre LCS à Singapour prend
en considération la dimension des mers étroites comme
une composante majeure de la géographie maritime de
l’Asie du Sud-est162. Les LCS vont participer à divers
exercices militaires de la marine américaine avec des pays
de la région, et seront engagés dans des opérations de
sécurité non-traditionnelle, de type lutte contre la piraterie,
qui ont lieu principalement dans des espaces littoraux163.
En cas de nécessité, les LCS pourraient être déployés
dans les zones hydrographiques complexes de la mer de
Chine du Sud, pour montrer une présence, et rassurer les
alliés tels que les Philippines.
En plus des sous-marins et des navires de combat de
surface légers, le déni d’accès à la mer et le contrôle
maritime, dans des mers étroites, pourraient être réalisés
par des forces stationnées à terre, tels que des systèmes
de missiles déployés sur les côtes, et des avions avec une
capacité antinavire. Le Vietnam a fait l’acquisition de deux
systèmes de missiles Bastion russes, qui peuvent faire feu
sur des navires situés jusqu’à 300 km de distance, pour
compléter son système de missile Shaddock164. Vue des
côtes vietnamiennes, cette portée couvre une large partie
des archipels Spratleys et Paracels. Hanoï a également
commencé à produire conjointement avec la Russie des
missiles antinavires Uran, qui pourraient permettre au
Vietnam d’armer localement ses navires165. De plus, Hanoï
a acheté vingt avions de combat Su-30, avec douze
encore en commande auprès de la Russie166. Un genre
similaire d’avion a été acheté par l’Indonésie et la Malaisie.
L’acquisition indonésienne récente de missiles antinavires
Yakhont pourrait potentiellement armer sa flotte d’avions
Su-30, ce qui augmenterait grandement la manœuvrabilité
et la portée des missiles167. A l’heure actuelle, cependant,
160
Dzirhan Mahadzir, “BNS to build Malaysian patrol ships”, IHS
Jane’s Navy International, 21 décembre 2011.
161
Jon Grevatt, “Indonesia and China to move closer to deal on
C-705 production agreement”, IHS Jane’s Navy International, 23
août 2013; Jon Grevatt, “Indonesia and Damen finalise delayed
frigate construction programme”, IHS Jane’s Navy International,
8 juin 2012.
162
Grace Jean, “Freedom set to deploy to Asia Pasific”, IHS Jane’s
Navy International, 28 février 2013.
163
Grace Jean, “‘No Big surprise’ for USS Freedom in Singapore,
officials say”, IHS Jane’s Navy International, 23 mai 2013.
164
Ristian A. Supriyanto, “Defence of Narrow Seas…”, Loc. cit.,
p. 2.
165
Alexandr Natruskin, “Russia, Vietnam to Jointly Manufacture
Anti-Ship Missiles”, RIA Novosti, 15 février 2012.
166
Maya Mashatina, “Russia to Deliver 12 Su-30 Fighter Jets to
Vietnam – Source”, RIA Novosti, 21 août 2013.
167
Vladimir Fedorenko, “Indonesian Navy successfully tests
Russian anti-ship missile”, RIA Novosti, 21 avril 2011.
ces missiles arment seulement les frégates indonésiennes
vieillissantes de classe Van Speijk, construites dans les
années 1960.
Enfin, l’utilisation de mines marines fournit une autre
gamme formidable de capacité de déni d’accès à la mer.
Les mines marines pourraient dissuader les commandants
de navires de surface ou de sous-marins à opérer dans
des zones potentiellement minées. Leur effectivité pourrait
être améliorée lorsqu’elles sont déployées dans le champ
d’action des missiles côtiers et des avions. L’Indonésie
possède deux navires ex-néerlandais de classe Tripartite
(Pulau Rengat) commandés en 1988, qui sont capables
de procéder à des dragages de mines mécaniques,
magnétiques et acoustiques168. L’Indonésie possède
un grand nombre de bateaux anti-mines Kondor II ex-
est-allemands, mais tous on été transformés en navires
de patrouille169. Dans le futur, la marine indonésienne
prévoit d’acheter 18 navires de lutte anti-mines :
6 chasseurs de mines, et 12 navires de lutte anti-mines
(mine countermeasures – MCM)170. Ce projet d’achat est
cohérent avec la stratégie navale de l’Indonésie, qui a fait
de la lutte anti-mines un de ses éléments clefs171. De la
même façon, les quatre navires MCM de classe Mahamiru
(Leciri) construits en Italie ont été commandés dès 1985,
avec deux véhicules de déminage télécommandés
(Remotely-operated Mine Disposal Vehicles – ROVs)172.
Singapour semble être en pointe de la technologie de lutte
anti-mines dans la région, avec ses quatre navires MCM
de classe Bedok (Landsort) de conception suédoise, qui
transportent des ROV sophistiqués173. Pour renforcer le
professionnalisme mutuel et l’interopérabilité, Singapour
et l’Indonésie conduisent également des exercices MCM
annuels conjoints : MINEX.
3. L’importance des radars et de la surveillance
côtière
Toutefois, l’amélioration de ces plateformes demanderait
à ce que les pays de la région fassent également des
efforts en termes de systèmes de surveillance et d’alertes
anticipées, surtout de radars, et plus spécialement
de «  maritime domain awareness  » (MDA). A ce titre, le
Vietnam cherche à acquérir le système de radar pour
la défense côtière Raytheon174. Il s’appuie aussi sur
des accords avec la Russie et la Suède pour mettre au
point des drones, en plus d’initiatives plus locales175.
168
“Pulau Rengat (Tripartite) class”, Jane’s Fighting Ships,
11 février 2013.
169
“Kondor II (Type 89) class”, Jane’s Fighting Ships,
11 février 2011.
170
Indonesian Ministry of Defence, Postur Pertahanan Negara
2009-2029 [State Defence Posture 2009-2029], Jakarta, 2007
(exemplaire de l’auteur).
171
Mabes TNI-AL (quartier general de la marine indonésienne),
Gagasan Tentang Strategi Pertahanan Maritim Indonesia (SPMI)
sebagai Strategi Pertahanan Negara Kepulauan [Proposal
on Maritime Defence Strategy as the Defence Strategy of an
Archipelagic State], Jakarta, juillet 2005 (exemplaire de l’auteur).
172
“Mahamiru (Lerici) class”, Jane’s Fighting Ships, 11 février
2013.
173
“Bedok (Landsort) class”, Jane’s Fighting Ships, 21 mars 2013.
174
Jon Grevatt, “Briefing: Vietnam’s surveillance and
reconnaissance investment plans”, IHS Jane’s Defence Weekly,
2 février 2013.
175
“Vietnam, Sweden to cooperate in unmanned aircraft
manufacturing”, SUAS News, 21 novembre 2012 ; “Russia to Build
31
Les Philippines aussi, ont décidé d’étendre leur système régions depuis un certain temps. Intégrer ces programmes
Coast Watch South (CWS) pour couvrir tout leur archipel, au sein de flottes existantes et les déployer efficacement,
dans la lignée du programme National Coast Watch mis ensemble, demeurent un défi. Des questions se posent
en place en septembre 2001176. Manille a en sus décidé également quant à la capacité des pays de la région à
d’améliorer sa MDA aux abords de sa ZEE Nord et Ouest, fournir une maintenance et un service adéquats, à former
notamment en mer de Chine méridionale, à hauteur de des marins professionnels à les armer en tant qu’équipage
24  millions de dollars américains, en coopération avec et à assurer une sûreté opérationnelle184. En dépit de ces
Washington177. De même, l’Indonésie a progressivement préalables, ces programmes pourraient au moins résoudre
amélioré sa MDA au fil de coopérations avec l’étranger. En le défi du contrôle maritime par des puissances navales
octobre 2011, Jakarta a bénéficié de l’Integrated Maritime plus fortes dans des mers étroites contestées, telles que la
Surveillance System (IMSS), estimé à 57 millions de dollars mer de Chine du Sud.
américains et financé par le département de la défense
américain178. L’IMSS est manœuvré par des Indonésiens
et consiste en 18 stations de surveillances côtières,
11 radars embarqués, deux centres de commandements
régionaux, deux centres de commandements des
flottes, à Jakarta et Surabaya. Ce système couvre la
mer de Sulawesi et les détroits de Malacca ainsi que de
Makassar  ; il est crucial pour combattre la piraterie, la
pêche illégale, la contrebande et le terrorisme autour des
frontières maritimes. La Chine n’est pas en reste : en mars
2012, elle a elle aussi offert à l’Indonésie un système de
surveillance côtier d’une valeur de 158 millions de dollars
américains afin de surveiller les détroits de Karimata, de
la Sonde et de Lombok179. Néanmoins, certaines sources
soutiennent que les systèmes autant américains que
chinois ne garantissent pas une maintenance et des
opérations indépendantes pour l’Indonésie. Par exemple,
même si ce sont des marins indonésiens aux commandes
de l’IMSS, les contraintes de maintenance et de mises à
niveau qui sont confidentielles, exigent l’intervention des
partenaires américains180. De même, les systèmes chinois
exigent que l’Indonésie partage ses données avec la
Chine, pourquoi pas en ce qui concerne les mouvements
de bâtiments américains. Notons que l’IMSS a aussi
été fourni à la Malaisie avec 8 stations de surveillances
côtières, un centre de commandement régional conjoint
et une interface de base de données pour les systèmes
de commandement et de contrôle au Sabah181. Pour ne
pas être en reste, Le Brunei s’est renseigné pour mettre
en place un système de surveillance côtier national182. Tout
comme les systèmes indonésiens et malaisiens, celui-ci
disposerait du package complet : radar, caméras électro-
optiques, capacités de commandement et de contrôle et
diverses technologies de communication183.

4. Quelle efficacité ?

Plusieurs pays de la région ne font qu’introduire des

programmes qui ont été expérimentés dans d’autres
Mini Drone for Vietnam”, RIA Novosti, 15 mars 2012.
176
Delon Porcalla, “Aquino forms National Coast Watch System”,
The Philippine Star, 12 septembre 2011.
177
Alexis Romero, “DND to buy P979-M coast watch system”,
The Philippine Star, 21 février 2013.
178
Office of the Spokeperson, “Fact Sheet: Indonesia’s Integrated
Maritime Surveillance System”, IIP Digital, 18 novembre 2011.
179
 “China offers to build coastal surveillance system for
Indonesia”, IHS Jane’s Intelligence Weekly, 15 mai 2012.
180
Entretiens avec des officiers indonésiens responsables des
opérations au sein de l’IMSS.
181
“Malaysian Integrated Maritime Surveillance System (IMSS)
System Operational Verificational Test Coastal Surveillance Station
#8”, Techno-Sciences, 1er août 2012.
182
“Royal Brunei Technical Services”, Pelita Brunei, 1er mai 2013.
183
Ubaidillah Masli, “To keep an eye on Brunei waters”, The 184
Ristian A. Supriyanto, “Defence of Narrow Seas…”, Loc. cit.,
Brunei Times, 30 juillet 2011. p. 2.

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