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Jacques Rigaud, Rapport au ministre des Affaires étrangères sur les relations culturelles
extérieures [rapport remis en 1979, publié à la Documentation française en 1980].
[Extraits = premières pages du rapport]
technologies, à l'identité culturelle ; le thème des droits de l'homme, l'affirmation renouvelée des Églises
dans la vie internationale, les conflits souvent violents entre les exigences du modernisme et celles des
croyances — qu'il s'agisse d'une foi séculaire comme l'Islam ou de ces spiritualités confuses qui attirent
la jeunesse —, la difficulté d'être des États pluralistes du point de vue de la langue, de la culture ou de
la religion ; la revendication de dignité des peuples asservis : tout exprime ce mélange des données
politiques, économiques et culturelles dans la vie internationale. On se tromperait si l'on ne voyait dans
cette situation qu'une crise passagère, une irruption de l'irrationnel qui pour un temps trouble l'ordre des
choses et les rapports entre États. Il s'agit en réalité des conséquences d'un phénomène majeur : l'entrée
des peuples dans les affaires internationales.
Aucun État ne peut, dès lors, être indifférent à cette dimension nouvelle des relations
internationales, qu'il s'agisse d'affirmer et d'organiser sa présence au monde, d'accompagner l'expansion
de son économie, de sauvegarder l'intégrité ou de maintenir, voire d'étendre les positions de sa langue,
de défendre sa propre identité culturelle ou de développer les solidarités de toute nature qui le relient à
d'autres pays proches ou lointains. Un État serait-il tenté d'ignorer cette dimension nouvelle, le
comportement de ses partenaires le contraindrait bientôt à en tenir compte : car du Nord au Sud et de
l'Est à l'Ouest, tous les États, chacun à sa façon, l'intègrent dans leur politique extérieure.
l'universel a besoin d'être chaque jour démontrée, tant notre hexagonalisme de fait et d'attitude la
contredit.
Dans un monde marqué par l'interdépendance des cultures et par la multipolarité, la France ne
peut plus se contenter de gérer un patrimoine prestigieux, et de faire entendre une voix respectée. Elle
doit apprendre à écouter et à proposer, à accueillir et à partager. Elle doit prendre en considération la
revendication de dignité des nouveaux États. Elle doit aussi renouveler son image de manière à enrichir
de nouveaux traits les représentations traditionnelles dans lesquelles on a trop tendance à l'enfermer. La
culture qu'il s'agit de proposer au monde, ce n'est pas seulement le fruit de nos arts et de nos lettres, c'est
la science française et nos techniques de pointe, c'est notre savoir-faire dans les domaines de
l'administration publique, de l'action culturelle, de l'audio-visuel ; c'est notre tradition d'accueil qui fait
que de grands créateurs proscrits ou méconnus viennent chez nous recevoir protection et consécration ;
c'est tout ce qui peut conduire Paris et la France à jouer à nouveau, dans un monde transformé, le rôle
de carrefour, à être l'un des lieux majeurs de référence et d'expérience dans tous les domaines de l'esprit ;
c'est enfin tout ce qui peut donner aux pays en développement la conviction que la France, par son
concours, peut mieux que d'autres les aider à accéder au monde moderne sans perdre, ni leur
indépendance, ni leur identité propre.
Rien de tout cela n'est acquis, ni ne découle d'un décret de la Providence. Il s'agit d'une création
continue, qui suppose le concours actif de tous ceux qui, en France, animent la vie de l'esprit sous toutes
ses formes ; dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, l'État, s'il doit coordonner et soutenir leurs
efforts, ne saurait se substituer à eux.
Gérant d'une tradition, détenteur de moyens impressionnants, bénéficiaire, dans ses relations
diplomatiques, du rang privilégié que lui confère encore le rayonnement culturel de la nation française,
l'État est aujourd'hui placé devant une lourde responsabilité : va-t-il continuer à gérer par inertie cet
héritage ? va-t-il insensiblement chercher à l'alléger, en raison du malheur des temps et d'une vision
courte de la rentabilité ? va-t-il au contraire assumer pleinement sa responsabilité et décider, au prix des
révisions nécessaires, une relance de ces relations culturelles qui seront de plus en plus un élément
important de la présence et de l'action de la France dans le monde ?
La question mérite une réponse claire, faute de quoi la dispersion des efforts, le tassement des
crédits publics, les misères d'un redéploiement subi aboutiront, à travers une retraite stratégique
inavouée, à un affaiblissement de la voix de la France. Celle-ci se réveillera un jour réduite à ce qu'elle
est : une puissance moyenne dans un continent en déclin.