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CATÉGORIES ET MÉTAPHYSIQUE
Kristell Trégo
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4. Quaestiones in Metaphysicam, V, q. 5-6, n. 73-80, OP III, 464-466. Voir E. P. Bos
et A. C. van der Helm, « The Division of Being over the Categories According to Albert the
Great, Thomas Aquinas and John Duns Scotus », in John Duns Scotus (1265/6-1308). Renewal
of Philosophy, éd. E. P. Bos, Amsterdam, Rodopi, 1998, 2007, p. 183-196.
5. Voir Georgio Pini, Categories and Logic in Duns Scotus, Leyde/Boston/Cologne,
Brill, 2002, p. 185-188, ainsi qu’Olivier Boulnois, « Les catégories selon Duns Scot »,
in Giovanni Duns Scoto, Studi e ricerche nel VII Centenario della sua morte, in onore di
P. Cesar Saco Alarcon, éd. Martin Barbajo Nunez, Rome, Antonianum, 2008, I, p. 357-
377.
6. Sur cet ancien titre, voir M. Frede, « Titel, Einheit und Echtheit der aristotelischen
Kategorienschrift », Zweifelhaftes im Corpus Aristotelicum. Studien zu einigen Dubia, Berlin,
New York, De Gruyter, 1983, p. 11-18.
7. Sur l’importance de l’école de Bagdad, voir John W. Watt, Rhetoric and Philosophy from
Greek into Syriac, Farnham, Ashgate Publishing, 2010, art. XV et XVI. Les travaux récents
ont souligné la proximité d’Avicenne avec non seulement Fârâbî mais également Yaḥyâ Ibn
‘Adî ; voir Marwan Rashed, « Ibn ‘Adî et Avicenne : sur les types d’existants », in Aristotele e i
suoi esegeti neoplatonici, éd. V. Celluprica et C. d’Ancona, Naples, Bibliopolis, 2004, p. 107-
171, Fedor Benevich, « Fire and Heat », Arabic Sciences and Philosophy, 2017, p. 237-267,
ou encore Oufae Nahli, « Yaḥyâ ibn ‘Adî sulla differenza fra la logica greca e la grammatica
araba », Studia graeco-arabica, 2011, I, p. 47-67, p. 57-59.
8. On lui doit des gloses sur la substance (mns Paris, BNF, ar. 173, f. 75r-76r), qui
retiennent sa détermination ontique. Sur cet auteur, voir Cyrille Haddad, ʻÎsâ ibn Zurʻa,
philosophe arabe et apologiste chrétien, Beyrouth, Dar al-Kalima, 1971, 2e éd. Beyrouth,
CERPOC, 2013.
9. Sur Ibn al-Samḥ, et notamment son travail d’exégèse de la Physique, voir S. M. Stern,
« Ibn al-Samḥ », The Journal of the Royal Asiatic Society of Great Britain and Ireland, 1956,
p. 31-44.
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10. Celui-ci a été édité par Cleophea Ferrari, qui le resitue dans le cadre de la tradition
exégétique héritée des grecs (Der Kategorienkommentar von Abû l-Farağ ‘Abdallâh ibn aṭ-Ṭayyib,
Leyde/Boston, Brill, 2006). Outre différents commentaires des œuvres aristotéliciennes, on lui
doit aussi un épitomè des Catégories, voir C. Ferrari, Der Kategorienkommentar…, p. 27-42.
11. Le manuscrit Paris, BNF, ar. 2346, est un témoin du travail critique en même
temps que du travail d’exégèse de l’Organon. Voir Henri Hugonnard-Roche, « Remarques sur
la tradition arabe de l’Organon d’après le manuscrit Paris, Bibliothèque nationale, ar. 2346 »,
in Glosses and Commentaries on Aristotelian Logical Texts. The Syriac, Arabic and Medieval Latin
Traditions, éd. C Burnett, Londres, The Warburg Institute, 1993, p. 19-28.
12. Voir Emilio Platti, Yaḥyâ ibn ‘Adî, théologien chrétien et philosophe arabe, Louvain,
Departement Oriëntalistiek, 1983, p. 29-32, Philippe Vallat Farabi et l’école d’Alexandrie,
Paris, Vrin, 2004, Kamran I. Karimullah, « Influence of Late Antique (ca. 200-800 a. d.)
Prolegomena to Aristotle’s Categories on Arabic Doctrines of the Subject Matter of Logic :
Alfarabi (d. ca. 950 a. d.), Avicenne, Baghdad Peripatetics, (d. 1037 a. d.) », Archiv fûr
Geschichte der Philosophie, 2017, XCIX, 3, p. 237-299 ; Hawdath Jabbour, L’Âme et l’unité de
l’homme dans la pensée de Fârâbî, thèse de doctorat, sous la dir. de D. De Smet, Paris, EPHE,
2016, p. 44 sq., 91 sq. et 109 sq. ; ainsi que Mario Grignaschi, « Al-Fârâbî et l’épître sur les
connaissances à acquérir avant d’entreprendre l’étude de la philosophie », Türkiyat mecmuası,
1969, XV, p. 175-210. Retenons également la médiation syriaque ; voir John Watt, Al-Farabi
and the History of the Syriac Organon, Piscataway, Gorgias Press, 2009.
13. Cette perspective théologique était déjà celle de Sergius de Resh‘ayna, qui infléchit
en ce sens la tradition exégétique de l’école d’Alexandrie. Voir John Watt, « From Sergius
to Mattâ : Aristotle and Ps-Dionysius in the Syriac Tradition », in Interpreting the Bible and
Aristotle in Late Antiquity, éd. J. Lössl et J. W. Watt, Farnham/Burlington, Ashgate, 2011,
p. 239-257, p. 239-246.
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14. L’attention aux catégories implique une analyse du nom d’étant (ism al-mawjûd ),
voir ainsi skakk fî qâṭîghûriyas, éd. S. Khalifat, Amman, University of Jordan, 1988, p. 182-
183. Cf. Risâla fî an al-‘araḍ laysa huwa jins li-l-tis‘ al-maqûlât al-‘araḍiyya, éd. Khalifat,
p. 144 sq, et Fî tabyîn wujûd al-umûr al-‘âmmiyya, p. 154-155. Voir M. Rashed, « Ibn ‘Adî et
Avicenne : sur les types d’existants », p. 119 sq.
15. Sur l’apprentissage des catégories comme voie d’accès à la métaphysique, voir
Al-Mas‘ûdî (m. 956), Murûj al-dhahab, chap. 67, § 1396, éd. A.-C. Barbier de Meynard et
P. Courteille, Paris, Imprimerie impériale, p. 1861 sq., t. IV, p. 67 (éd. revue par C. Pellat,
Beyrouth, Presses de l’Université libanaise, 1966, t. II, p. 394).
16. 1re q., § 16, éd. E. Platti, Yaḥyâ ibn ‘Adî, théologien chrétien…, p. 21*, l. 17-22*,
l. 1 (trad. p. 151).
17. Voir Fî mâ ikhtalafâ min anna al-jism jawhar wa-‘araḍ, éd. S. Menn et R. Wisnovsky,
Arabic Sciences and Philosophy, 2017, XXVII, p. 1-74, § 4, p. 22 ; § 14, p. 26 ; § 37, 71b16-17,
p. 33.
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18. Les œuvres philosophiques éditées par S. Khalifat manifestent cet intérêt pour la
doctrine catégoriale : il s’interroge ainsi sur l’idée d’accident (p. 144-147), revient sur les
catégories et leur nombre (p. 167-200) et discute encore ces questions avec Bishr al-Yahûdî
(p. 314-336).
19. Voir Gerhard Endress, The Works of Yaḥyâ ibn ‘Adî: An Analytical Inventory,
Wiesbaden, Reichert, 1977, p. 48-49, et p. 90.
20. Fî mâ ikhtalafâ min anna al-jism jawhar wa-‘araḍ, discussion avec Ibrâhîm Ibn ‘Adî
et Sayf al-Dawla, éd. S. Menn et R. Wisnovsky.
21. Al-Jubbâ’i est cité dans la discussion concernant la substantialité des corps (§ 5, éd.
Menn-Wisnowsky, p. 22), comme en contexte théologique (Discussion entre Yaḥyâ ibn ‘Adî et
al-Miṣrî, IIe partie, § 188, t. II, p. 239). Je cite l’édition de E. Platti, La Grande Polémique anti-
nestorienne de Yaḥyâ ibn ‘Adî, Louvain, Peeters, 1981-1982, 2 t. en 4 vol. (CSCO CCCCXXII,
CCCCXXVIIII, CCCCXXXVII, CCCCXXXXVIII) ; je reprends la traduction proposée en
la modifiant au besoin.
22. Le mutazilite Abû l-Ḥusayn al-Basrî (m. 1044) témoigne inversement d’une
connaissance de la philosophie, qu’il étudia auprès d’Ibn al-Samḥ ; voir S. M. Stern,
« Ibn al-Samḥ », The Journal of the Royal Asiatic Society of Great Britain and Ireland, 1956,
p. 31-44, p. 36-37, et Elias Giannakis, « The Structure of Abû l-Ḥusayn al-Basrî’s Copy of
Aristotle’s Physics », Zeitschrift für Geschichte der Arabisch-Islamischen Wissenschaften, 1993,
VIII, p. 251-258, et, pour plus de précisions, sa thèse de doctorat, sous la dir. de F. W.
Zimmermann, Philoponus in the Arabic Tradition of Aristotle’s Physics, University of Oxford,
1992.
23. Discussion avec al-Miṣrî, IIe partie, § 93, t. II, p. 130 (trad. p. 111).
24. Cf. Rasâ’il Ikhwân al-Ṣafâ’, XLI, éd. Baffioni, 2017, p. 182, qui présente al-jawhar
comme réceptacle des attributs (al-ṣifât).
25. Sur la trinité et l’unité, § 1, éd. G. Troupeau, Bulletin d’études orientales, 1972, XXV,
p. 105-123, p. 109. Nous le verrons : le terme ma‘nâ est un élément central de la lecture
bagdadienne des catégories. Voir encore les gloses d’Ibn Zur‘a sur la substance, mns Paris,
BNF, ar. 173, f. 75v. Je traduis ma‘nâ par « intention » conformément à la traduction commu-
nément admise du terme, depuis les traductions latines d’Avicenne.
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26. Sur cette difficulté qu’eurent à affronter les théologiens chrétiens, voir Rachid Haddad,
La Trinité divine chez les théologiens arabes (750-1050), Paris, Beauchesne, 1985, p. 130 sq.
Sur l’usage des catégories pour l’âme humaine, voir Peter Adamson et Peter E. Pormann,
« Aristotle’s Categories and the Soul: An Annotated Translation of Al-Kindî’s That There Are
Separate Substances », in The Afterlife of the Platonic Soul: Reflections of Platonic Psychology
in the Monotheistic Religions, éd. M. lkaisy-Friemuth et J. M. Dillon, Leyde, Brill, 2009,
p. 95-106.
27. Le Kitâb al-jam‘ bayna ra’yay al-ḥakimayn Aflâṭun al-ilâhî wa Arisṭâṭâlîs présente la
position aristotélicienne faisant prévaloir la substance individuelle comme une approche logi-
que et physique (éd. C. Martini Bonadeo, Pise, édizioni Plus, 2009, p. 45, l. 12-14) : la prise
en considération de « états de l’étant proche en tant que sensible » (aḥwâl al-mawjûd al-qarîb
ilâ al-maḥsûs) est le préalable pour parvenir au « concept universel » (al-kulli al-mutaṣawwar).
Rappelons que l’authenticité farabienne de ce traité est aujourd’hui discutée. Joep Lameer
(Alfarabi and Aristotelian syllogistic, Leyde, Brill, 1994, p. 35) s’étonnait de ne pas y retrouver
la conceptualité du Kitâb al-ḥurûf. Marwan Rashed (« On the Authorship of the Treatise on
the Harmonization of the opinions of the two Sages attributed to al-Fârâbî », Arabic Sciences
and Philosophy, 2009, XIX, p. 43-82) propose d’attribuer le traité à Yaḥyâ ibn ‘Adî.
28. IIe partie, § 129, p. 172 et § 130, p. 174.
29. II, § 93, p. 130.
30. Discussion avec al-Miṣrî, IIe partie, § 188, t. II, p. 239.
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31. Tandis que pour les jacobites, le Christ est une substance une, il est, pour les
nestoriens, deux substances, deux substances qui trouvent leur union dans al-barṣûb (tran-
scription de prosôpon), c’est-à-dire le visage, ainsi que dans la volonté et le choix, comme
Yaḥyâ l’explique en ouverture de sa lettre à al-Qâsim, § 3, t. I, p. 7-8.
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Il n’est pas impossible que les définitions multiples soient véritablement attri-
buées à une substance (jawhar) unique bien que cela ne le soit pas en tant qu’elle est
une, mais en tant qu’elle est plusieurs choses (ashyâ’)38.
36. Voir la réponse à Ibn Jarrâḥ sur la Trinité et l’unité, A. Périer (éd.), Petits traités apolo-
gétiques, Paris, Gabalda – Geuthner, 1920, p. 65-67. Sur cet usage trinitaire de ma‘nâ, voir
R. Haddad, La Trinité divine…, p. 168-169.
37. Cf. Fârâbî, Falsafat Arisṭûṭâlîs, III, 18, éd. M. Mahdi, Beyrouth, Dar Majallat Shi’r,
1961, p. 88, l. 1-2 : une « chose » (shay’) unique peut être un unique sujet (mawḍû‘ ), tout
en jouissant d’une multiplicité d’attributs (ṣifât) ou de prédicats (maḥmûlât). Constatant
que l’on dit que Zaïd « est » (yûjadu) un animal, « est » blanc, « est » grand, Fârâbî va jusqu’à
parler d’une multiplicité d’êtres (wujûdât) : « ainsi, nous intelligeons qu’il a de multiples êtres
(na‘qulu la-hu wujûdât kathîra) » (l. 5). Une unique chose se voit ainsi dotée de multiples
« êtres », tout du moins pour ce que nous en concevons.
38. Discussion avec al-Miṣrî, IIe partie, § 109, t. II, p. 147, l. 7-8 (trad. p. 125).
39. Ibid., § 102, p. 139, l. 10-140, l. 5.
40. Voir à al-Qâsim, § 6-7, t. I, p. 12-16.
41. À al-Qâsim, § 7, t. I, p. 14, l. 15-15, l. 1 (trad. p. 11).
42. On trouve en un même homme différentes intentions (ma‘ânî), apparemment
incompatibles comme le bleu, le noir et le blanc (Discussion avec al-Miṣrî, IIe partie, § 124,
t. II, p. 163-164).
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43. Pour l’usage en grammaire du concept de ma‘nâ, voir Djamel Kouloughli, « À pro-
pos de lafẓ et de ma‘nâ », Bulletin d’études orientales, 1983, 35, p. 43-63, repris dans Histoire,
Epistémologie, Langage, 2014, 36, p. 15-43.
44. Discussion avec al-Miṣrî, IIe partie, § 95, t. II, p. 133-134 (trad. p. 114).
45. Concernant Fârâbî, voir Fuad Haddad, « Alfarabi’s Views on Logic and its relation
to Grammar », The Islamic Quarterly, 1969, XIII, p. 192-207.
46. Éd. Kh. Georr, in Les Catégories d’Aristote dans leurs versions syro-arabes, Beyrouth,
Institut Français de Damas, 1948, p. 361.
47. Ibid., p. 361.
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Toute intention intellectuelle (kull ma‘nâ ma‘qûla), que l’on désigne par un cer-
tain mot, et par laquelle on montre une chose (shay’), nous l’appelons catégorie
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55. Je cite le Kitâb al-ḥurûf, d’après l’édition de M. Mahdi, Beyrouth, Dar el-Machreq,
1968. Je m’appuie en outre sur la traduction proposée par Aziz Hilal, Le Livre des lettres de
Fârâbî, université de Bordeaux III, 1998, 2 vol., et la modifie lorsque nécessaire.
56. Sur cette interprétation « métaphysique » de l’ouvrage, voir Ian Richard Netton,
Al-Fârâbî and his School, Londres, Curzon, 1992, p. 44.
57. Sur ce texte, voir notamment Stephen Menn, « Al-Fârâbî’s Kitâb al-Ḥurûf and his
analysis of the Senses of Being », Arabic Sciences and Philosophy, 2008, 18, p. 59-97 ; Jacques
Langhade, Du Coran à la philosophie. La langue arabe et la formation du vocabulaire phi-
losophique de Farabi, Damas, IFEAD, 1994, p. 357-374 ; Stéphane Diebler, « Catégories,
conversation et philosophie chez al-Fârâbî », in Les Catégories et leur histoire, éd. O. Bruun et
L. Corti, Paris, Vrin, 2005, p. 275-305 ; Amina Rachid, « Dieu et l’être selon al-Fârâbî. Le
chapitre de “l’être” dans le Livre des Lettres », Dieu et l’être. Exégèses d’Exode 3, 14 et de Coran
20, 11-24, Études Augustiniennes, Paris, 1978, p. 179-190 ; et Rafael Ramon, « Al-Farabi:
el concepto del ser », Revista di filosofia, 1994, p. 27-49 (avec une traduction du chapitre sur
l’étant). Voir en outre Mauro Zonta, « “Sostanza”, “Essenza” e “Quiddità” nelle diverse lingue
delle letterature filosofiche medievali: una proposta di comparazione storico-linguistica »,
Studia graeco-arabica, 2012, II, p. 321-330, p. 325 sq., ainsi que mon article « Ce qui se
trouve là et ce qui est fait. Le nom de l’être et la réception d’Aristote dans la falsafa », Quaestio,
2017, XVII, p. 111-131.
58. Voir Thérèse-Anne Druart, « Al-Farabi, the Categories, Metaphysics and the Book
of Letters », in Medioevo, 32 (2007), p. 15-37. D’une manière remarquable, le Kitâb al-ḥurûf
s’ouvre par une réflexion sur l’être, et convoque la distinction (Fârâbî transcrit les termes) de
un (c’est-à-dire ὄν) et ûn (ὤν), ce dernier terme ne s’appliquant qu’à Dieu (I, § 1, p. 61). Sans
doute la mention de cette distinction témoigne du milieu des chrétiens hellénophones dans
lequel évolue Fârâbî.
59. Kitâb al-ḥurûf, Ire partie, chap. 3 (les catégories), § 4, p. 62, l. 21-22
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mier lieu, la catégorie se conçoit aux yeux de Fârâbî comme une « intention
intellectuelle60 ». La catégorie est donc bien d’ordre noétique : elle relève
d’une visée de l’intellect (‘aql )61. En second lieu, notons que Fârâbî parle
d’une intention, en arabe ma‘nâ62. Or, ma‘nâ ne désigne pas simplement un
concept ; le terme renvoie à une forme de réalité. La catégorie peut donc bien
être d’ordre intellectuel ; il convient de garder à l’esprit que le concept ainsi
pris en considération n’est pas disjoint du réel. D’une manière remarquable
dans cette perspective, Fârâbî explique que l’intention intellectuelle sert à
désigner une chose (shay’ ). Enfin, la question du langage n’est pas absente.
L’intention intellectuelle est en effet désignée par un mot pour montrer une
chose. Le terme maqûla renvoie au discours : al-maqûla signifie « ce qui est
dit ». Ainsi se met en place le triangle théorique mot, concept, chose. L’accent
est toutefois mis sur l’intention intellectuelle, dans sa relation au réel.
Les catégories apparaissent, de ce point de vue, irréductibles à des
faits de langage. Comme Abû Bishr Mattâ, qui avait défendu les droits
de la logique contre la grammaire, Fârâbî refuse toute interprétation des
catégories qui les ramèneraient à de simples paroles. Deux décisions sont
prises.
1/ Tout d’abord, Fârâbî réinterprète l’usage du terme maqûlat, « dits »,
utilisé pour signifier les catégories. Il distingue pour ce faire différents sens
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De ce fait, on a appelé les catégories (maqûlât) des dits (maqûlât), parce que
chacune d’elles réunit en elle le fait qu’elle est indiquée par une énoncé (lafẓ) et
qu’elle se prédique d’une certaine chose (shay’ mâ) désignée (mushâr ilayhi) sensible
(maḥsûs)64.
60. Sur le rapport entre les catégories et les étants naturels, sensibles, voir Falsafat
Arisṭûṭâlîs, III, 17, p. 86, qui les présente comme des « états logiques » (aḥwâl manṭiqiyya,
l. 9).
61. Sur cette dimension intelligible des catégories reconnue par Fârâbî, voir
Kamran I. Karimullah, « Influence of Late Antique… », p. 254 sq.
62. Les « Frères de la pureté » présentent les dix termes catégoriaux comme indiquant les
« intentions (ma‘ânî) de tous les étants (al-mawjûdât) » (Rasâ’il Ikhwân al-Ṣafâ’, XI, chap. 2,
éd. C. Baffioni, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 48). L’identité de ces « Frères de la
pureté » est discutée. Guillaume de Vaulx d’Arcy a, dans sa thèse de doctorat (Les épîtres des
Frères en Pureté, une pensée de la totalité. Détermination des conditions historiques de rédaction
et commentaire philosophique de l’ouvrage, sous la dir. de M. Rashed, Paris-Sorbonne, 2016),
proposé d’attribuer ces épîtres à Aḥmad Ibn al-Ṭayyib al-Sarakhsî (m. 899) ; rappelons que
celui-ci étudia la philosophie auprès d’al-Kindî et, comme nous l’indique ibn al-Nadîm dans
son Fihrist, proposa un épitomè des Catégories, voir F. E. Peters, Aristoteles Arabus, Leyde,
Brill, 1968, p. 7-11 ; il nous en reste un vestige, qu’édite ici même Elvira Wakelnig.
63. Kitâb al-ḥurûf, Ire partie, chap. 3, § 6, p. 23, l. 22
64. Kitâb al-ḥurûf, Ire partie, chap. 3, § 6, p. 64, l. 2-4.
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Ce qu’il faut savoir, c’est que la plupart des choses (ashyâ’ ) que l’on interroge au
moyen de ces particules (ḥurûf ), et pour lesquelles on attend une réponse, les philo-
sophes l’appellent par le nom de ces particules (ḥurûf), ou par un nom dérivé à partir
d’elles. Tout ce qui apporte une réponse à la particule « quand ? » (matâ), si elle est
employée, ils l’appellent par l’énoncé « quand » (matâ). Ce qui apporte une réponse
à la question « où ? » (ayna), ils l’appellent par l’énoncé « où » (ayna). Ce qui apporte
une réponse à « comment ? » (kayf ), ils l’appellent par l’énoncé « comment » (kayfa)
et par « commentité » (kayfiyya). De cette manière, ce qui apporte une réponse à
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65. « Catégories, conversation,… », p. 281 sq. Sur les particules interrogatives, voir
Angela Saffrey, At the threshold of philosophy: A study of al-Fârâbî’s introductory works on logic,
thèse de doctorat, sous la dir. de R. Wisnovsky, Harvard University, 2000, p. 259 sq.
66. Pour la traduction de la particule inna par « il y a », plutôt que « certes » (qui
implique une nuance concessive), voir Djamel Eddine Kouloughli, Le Résumé de la grammaire
arabe par al-Zamakhsharî, Paris, ENS Éditions, 2007, p. 48-49.
67. Kitâb al-ḥurûf, Ire partie, chap. 3, § 3, p. 62, l. 12-20. Rappelons que le suffixe iyya
en arabe (comme uta en syriaque) permet de forger des substantifs abstraits. Pour son utili-
sation dans les traductions philosophiques, voir Khalil Georr, Les Catégories d’Aristote dans
leurs versions syro-arabes, Beyrouth, IFD, 1948, p. 58 sq. Dans sa paraphrase des Catégories
(§ 2, éd. Dunlop, p. 170, l. 2-3), Fârâbî utilise les termes kayfiyya et kamiyya. Le Naqd al-nathr
(d’Ibn Wahb, plutôt que d’Ibn Ja‘far) attribue aux mutakallimûn de recourir à des termes qui
n’existent que dans leur langage, et cite kayfiyya, kamiyya, mâ’iyya (éd. T. Husayn, Le Caire,
Dar al-Kutub al-Misriyah, 1933, p. 116).
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68. Cette attention, en grammaire, aux particules, se rencontre par exemple chez Ibn
al-Sarrâj. Voir Gérard Troupeau, « Les partes orationis dans le Kitâb al-Usûl d’Ibn Al-Sarrâj »,
Historiographia linguistica, 1981, p. 379-388, et Zakaria Abouyoub, Les Catégorisations syn-
taxiques chez ibn as-Sarrâj, thèse de doctorat, université Lyon II, 1998.
69. 1a25 sq, éd. Georr, p. 321.
70. Sur cette interrogation relative au « est-ce » (hal ), voir Shukri B. Abed, Aristotelian
Logic and the Arabic Language in Alfârâbî, New York, SUNY, 1991, p. 105 sq. Voir aussi Kitâb
al-alfâẓ al-musta‘mala fî al-manṭiq, II, 7-11, éd. M. Mahdi, Dar el-Mashreq, Beyrouth
1968, p. 47.
71. Cf. Kitâb al-alfâẓ, II, 7-1, p. 45, sur l’être comme inniyya, vocable dérivant de inna.
Le terme inniyya dépasse le simple fait d’être, et se laisse dire de l’essence : « yusammâ dhât
al-shay’ inniyya (on appelle l’essence de la chose inniya) » (l. 7) ; cf. II, 7-12, p. 50, l. 5-7.
Pour Sergius de Resh‘ayna, les dix genres sont posés dans l’être (itawhi) ; voir Commentaire
aux Catégories, adressé à Philotheos, notamment § 9 et § 20, éd. Aydin, p. 100, l. 23 et p. 106,
l. 3. Les auteurs syriaques ont insisté sur le fait d’être (it) pour penser l’ousia comme ituta.
Voir Henri Hugonnard-Roche, « Le vocabulaire philosophique de l’être en syriaque, d’après
des textes de Sergius de Resh‘aina et Jacques d’Édesse », Arabic Theology, Arabic Philosophy.
From the Many to the One: essays in Celebration of Richard M. Frank, Louvain, Peeters, 2006,
p. 101-125.
72. Il convient de s’interroger sur le fait que la chose soit : inna al-shay’ (Falsafat
Arisṭûṭâlîs, I, 7, p. 74, l. 19) ; voir aussi Kitâb taḥṣîl al-sa‘âda, I, éd. A. Abu Melehem. Beirut,
Dar wa maktaba al-Hilal, 1995, p. 49. Une telle interrogation se retrouve chez les « Frères de
la pureté » : la question sur l’être (wijdân), formulée sous la forme : « hal huwa (est-ce ?) »,
précède ainsi les questionnements sur la mesure (kam huwa), la qualité (kayfa huwa), mais
aussi la distinction, le lieu, le temps, la cause, et la reconnaissance ; voir Rasâ’il Ikhwân al-Ṣafâ’,
X, chap. 10, éd. C. Baffioni, p. 46-47. La liste ainsi proposée démarque indéniablement la
liste catégoriale classique.
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qui réinvestit la distinction, énoncée dans les Seconds analytiques, des ques-
tionnements sur le « est-ce ? » (ei esti ) ou le « qu’est-ce ? » (ti esti)73. Ces
questionnements avaient été repris par Kindî en ouverture de sa Philosophie
première, qui proposait une quadripartition en s’appuyant sur les différents
interrogatifs74 : la question « est-ce » (hal ), concernant le fait d’être (inniyya),
précède ainsi les questions « quoi » (mâ) portant sur le genre, « quel »,
s’enquérant de la différence et enfin « pourquoi » (limâ) à propos de la cause
finale75. Le geste de Fârâbî n’en est pas moins déstabilisant, puisqu’il met sur
le même plan théorique la question du « est-ce ? » et celles concernant les dix
catégories héritées d’Aristote. Avant Kant, et contre Aristote, qui associait
l’ousia au fait d’être, Fârâbî fait de l’existence une catégorie à part entière.
Cette intégration du questionnement sur l’existence de la chose à la liste des
catégories n’est pas anodine. La « chose », dont parle Fârâbî, ne se présente
pas comme une ousia qui serait déjà et d’emblée, mais comme une quiddité,
dont on peut se demander si elle est ou non. S’esquisse dès lors une distinc-
tion de l’essence et de l’existence76.
Résumons ce premier parcours. La réécriture de la doctrine catégoriale
d’Aristote à partir des particules interrogatives marque ses distances avec
l’approche grammaticale, en proposant un discours sur le réel. Avec l’atten-
tion à la quiddité distinguée du fait que la chose soit, Fârâbî témoigne d’une
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73. Voir Seconds analytiques, II, 1, 89b21 sq., qui distingue (dans cet ordre) les ques-
tions : hoti, dioti, ei esti, ti esti.
74. L’ordre suivi par Kindî correspond à celui retenu par Elias et David, voir respecti-
vement In Isagogen, CAG XVIII-1, 3, 4-6 et In Isagogen, CAG XVIII-2, 1, 14-15. Sur cette
médiation, voir A. Altmann et S. M. Stern, Isaac Israeli, Oxford, OUP, 1958, p. 10 sq.
75. Fî-l-falsafa al-ûlâ, éd. J. Jolivet et R. Roshdi, Leyde, Brill, 1998, p. 11. Une telle
interrogation sur l’existence se retrouve chez Ibn ‘Adî, qui parle de la question relative
à l’haliyya, littéralement l’« est-ce-ité » (Maqâla fî-l-buḥûth al-‘ilmiyya al-arba‘a, § 5, éd.
S. Menn et R. Wisnovsky, MIDEO, 2012, p. 73-96, p. 80). Abû Sa’îd al-Sîrâfî reproche aux
philosophes l’usage de terme tels haliyya, mais aussi mâhiyya, kayfiyya, kamiyya, dhâtiyya,
jawhariyya… (éd. Margoliouth, p. 105). La distinction de la question « est-ce » (haliyya)
et « ce que » se retrouve ensuite chez Avicenne ; voir Ricardo Strobino, « What if that
(is) why. Avicenna’s Taxinomies of Scientific Inquiries », Aristotle and the Arabic Traditon,
éd. A. Alwishah et J. Hayes, Cambridge, Cambridge University Press, 2015, p. 50-75.
Sur ce vocabulaire, voir Amos Bertolacci, « A Hidden Hapax Legomenon in Avicenna’s
Metaphysics: Considerations on the Use of Anniyya and Ayyiyya in the Ilâhiyyât of the
Kitâb al-Shifâʾ », The Letter before the Spirit: The Importance of Text Editions for the Study of
the Reception of Aristotle, Leyde, Brill, 2011, p. 289-309. Sur l’usage farabien des différents
termes abstraits ainsi formés à partir des particules, voir Stephen Menn, « Al-Fârâbî’s Kitâb
al-Ḥurûf… », p. 92. Une telle similitude lexicale est suggestive. Sans doute ne doit-on pas
mésestimer la contribution de l’école de Bagdad à l’émergence de la question de l’existence,
en sa distinction d’avec l’essence.
76. La question « quoi » (mâ) porte sur « l’essence, et rien d’autre » (dhât al-shay’, lâ
ghayr), sans s’interroger si la chose est (inna al-shay’), explique le Kitâb al-alfâẓ, II, 7-12,
p. 48, l. 8-9. Citons encore le karaïte Dâwûd ibn Marwân al-Muqammaṣ, ‘Ishrûn maqâla,
chap. 1, § 2 (éd. S. Stroumsa, Provo, Brigham University Press, 2016, p. 3), qui fera précé-
der le questionnement sur la quiddité (mâhiyya) de la chose (shay’ ) par la question de l’être :
wujûd al-shay, à entendre au sens du : est-ce ? (hal ). Al-Muqammaṣ reprend ainsi, dans une
perspective aristotélicienne, la distinction du kalâm jubbaïte (ou bahshamite) entre la chose
(shay’ ) et l’étant (mawjûd ), pour faire droit avant toute chose à la question du : est-ce ?
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travers des catégories. Si les catégories permettent de référer aux choses sen-
sibles, elles en révèlent la dimension intellective. La chose (shay’ ) est en effet
intelligée (ma‘qûl )77, précisément ce qui est intelligé en premier. Les premiers
pages du Kitâb al-ḥurûf nous montrent dès lors que, s’il y sera question de
catégories (maqûlât) et de particules (ḥurûf), c’est bien en métaphysicien, et
non en grammairien, que Fârâbî s’exprime.
Le prix de la substance
Certains prétendent que les catégories sont au nombre de deux : ce qu’est ceci
de désigné (mâ huwa hâdhâ al-mushâr ilayhi) et son accident. Ils appellent ce qu’est
ceci de désigné la substance (al-jawhar). Ils ont ainsi réduit les catégories à deux : la
substance et l’accident79.
C’est comme s’ils disaient que les catégories sont au nombre de deux : d’un
côté l’essence du sujet (dhât al-mawḍû‘ ), de l’autre ce qui fait connaître ce qui est
extérieur à l’essence83.
77. § 6.
78. Voir T.-A. Druart, « Substance in Arabic Philosophy: Al-Farabi’s Discussion »,
Proceedings of the American Philosophical Association, 1987, LXI, p. 88-97.
79. Kitâb al-ḥurûf, Ire partie, chap. 11, § 54, p. 93, l. 18-20.
80. La substance est présentée en second (chap. 13), après donc les accidents (chap. 12).
Elle a ainsi perdu son primat.
81. Sur al-mushâr ilayhi comme traduction du tode ti des Catégories, voir K. Georr, Les
Catégories, lexique, n° 120, p. 224.
82. Cf. Falsafat Arisṭûṭâlîs, III, 18, p. 87, l. 8-11.
83. Kitâb al-ḥurûf, Ire partie, chap. 11, § 54, p. 93, l. 21-94, l. 1.
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Il est patent que la nature originelle (fiṭra) par laquelle on agit a pour l’homme le rôle
que le tranchant a pour l’épée, et c’est cela que l’on appelle la forme (ṣûra) En effet l’acte
de toute chose (fi‘l kull shay’ ) ne procède de sa forme que si la matière (mâdda) s’adjoint
à la forme pour que l’acte en provienne. Il est patent que la quiddité de la chose (mâhiyya
al-shay’ ) n’est parfaite (kâmila) que si la forme est dans une matière qui concourt avec elle
pour que l’acte en provienne. Et ainsi la matière est intrinsèque à sa quiddité95.
La fiṭra que les gens du commun identifient à jawhar n’est jamais que la quiddité
(mâhiyya) de l’homme97.
92. De ce point de vue, Fârâbî s’éloigne de l’interprétation jabirienne : pour Jâbir Ibn
Ḥayyân, en effet, la substance (al-jawhar) se laisse appréhender comme matière (hayûlâ) ; voir
Taṣrîf, éd. P. Kraus, Le Caire/Paris, El-Khandgi/Maisonneuve, 1935, p. 407, l. 14-15 ; Sab‘în,
p. 482, l. 5-6. Voir Syed Nomanul Haq, Names, Natures and Things, Dordrecht/Boston/
Londres, Kluwer, 1994, p. 51 sq.
93. Kitâb al-ḥurûf, Ire partie, chap. 13, § 63, p. 98.
94. Kitâb al-ḥurûf, Ire partie, chap. 13, § 63-64, p. 98-99
95. Kitâb al-ḥurûf, Ire partie, chap. 13, § 65, p. 99, l. 13-18
96. Sur la réception de l’energeia aristotélicienne, et sa traduction en arabe par fi‘l,
qui indique l’idée d’activité, voir mon ouvrage La Liberté en actes. Éthique et métaphysique,
d’Alexandre d’Aphrodise à Jean Duns Scot, Paris, Vrin, 2015, p. 187 sq.
97. Kitâb al-ḥurûf, Ire partie, chap. 13, § 65, p. 99, l. 19-20
98. Kitâb al-ḥurûf, Ire partie, chap. 13, § 68.
99. La substance de la chose s’entend de ce que (mâ) nous concevons qu’elle est (Falsafat
Arisṭûṭâlîs, III, 18, p. 88, l. 8).
100. Kitâb al-ḥurûf, Ire partie, chap. 13, § 67, p. 100, l. 17 sq.
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dans un sujet101. En un second sens, elle dit tout attribut (maḥmûl) qui fait
connaître (‘arrafa) ce qu’est ce qui est déterminé102, autrement dit l’intelligé
de ce qui est désigné (ma‘qûl al-mushâr ilayhi)103. Ces développements
sont remarquables : l’examen de la substance la découvre dans sa relation à
une intellection. Or, cette acception noétique de la substance n’exhibe pas
seulement un autre sens de la substance104, mais elle est révélatrice de sa
compréhension farabienne. Fârâbî expose en effet en ces termes le rapport
entre ces deux sens philosophiques de la substance :
L’intelligé d’une chose est cette chose même (ma‘qûl al-shay’ huwa al-shay bi-
‘aynihi), si ce n’est que l’intelligé est cette chose en tant qu’elle est dans l’âme, et que
cette chose est l’intelligé en tant qu’il est hors de l’âme105.
Le mot chose (shay’) se dit de tout ce qui a une quiddité (mâhiyya), quel qu’il
soit, qu’il soit extérieur à l’âme ou conçu selon quelque point de vue que ce soit […].
Dire : ceci est une chose signifie qu’il a une certaine quiddité (mâhiyya)109.
Concluons
115. Voir Olivier Boulnois, Être et Représentation, Paris, Puf, 1999, p. 444 sq.