DE L’ART POSTCONTEMPORAIN
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2019 / Méthodologie Artistique
On esquissera ici trop brièvement une dé nition de l’art postcontemporain dont l’objet ne sera pas d’ajouter
un nouveau mot fétichisé à la panoplie des discours, mais de répondre de quelques façons à la notion d’art
contemporain qui reste dominante. Qu’il soit immédiatement signalé que l’auteur n’est pas historien ou
critique d’art, mais artiste et qu’ainsi son point de vue est impliqué, plutôt qu’engagé, dans une pratique qui
surdétermine sans doute la dé nition qu’il proposera. Mais il souhaiterait que sa ré exion ne soit pas limitée à
illustrer sa pratique et puisse servir à donner une lecture possible, et seulement possible, d’un tournant
d’époque.
On peut considérer la production artistique comme se constituant autour de récits temporels. Chaque époque
semble avoir construit une relation à un autre temps que le sien propre, se dissociant et s’associant, selon une
promesse parfois messianique, et avoir « utilisé » les représentations artistiques pour en proposer une image.
Ce n’est pas qu’il faille identi er une époque à un récit temporel déterminé, mais plutôt que coexistent à une
même époque plusieurs temporalités que nous devons considérer comme de mouvantes polarités dont les
relations dé nissent la tonalité de l’époque.
Nous allons balayer des pans d’histoire qui mériteraient des développements in niment plus précis, mais
nous poursuivons ici un objectif qui n’est pas d’historien.
Si la peinture chrétienne s’est donnée comme la répétition du chemin de croix, c’est que chaque croyant
devrait suivre, c’est-à-dire répéter, la passion du Christ, un évènement passé devant revenir sans cesse (le
corps chrétien ne cesse de couler par les stigmates). Cette répétition ne pouvait jamais avoir lieu à l’identique,
le chemin initial reste irréductible, mais elle permettait du moins d’orienter l’existence du chrétien. Certaines
représentations picturales de la Renaissance donnent quant à elles à voir un idéal antique, redécouverte des
Anciens, répétition là encore d’une renaissance qui est aussi une première fois. C’est un passé qui ne passe
pas parce qu’il ne s’était pas pleinement réalisé et qu’il faut en n le faire advenir au présent pour le rendre
identique à lui-même. La modernité a construit le temps comme futur promettant l’émancipation et les
artistes apparaissaient comme étant à l’avant-garde de ces changements vers une autonomie plus grande de
sorte que s’identi ait l’autonomie du médium, par exemple par l’abstraction, et l’autonomie en tant que liberté
de l’individu. L’art contemporain a été en n l’adhésion du présent avoir lui-même. Devenir contemporain à soi
devant l’effondrement des promesses modernes, regard amusé quant à ces discours et à ces images qui ne
faisaient que promettre. Désillusion, n de fête. Ne reste plus que le présent dans son actualité, déferlement
des publicités et des objets industriels, dont il faut saisir les déchets pour les désimpli er et aider, du moins, à
comprendre et à ressentir ce présent dont nous sommes tissés.
Ces récits, ici suggérés, sont des temps seconds, comme il y a une Terre seconde, des temps syncopés qui
scindent le présent en deux, le mettant en relation à un autre où la relation va parfois en amont ou en aval.
Depuis quelques années, l’art contemporain apparait aux yeux de certains comme excessivement cynique,
parfois bêtement décoratif, répétant certains lieux communs esthétiques, et ayant souvent partie liée à
l’économie nancière tant et si bien qu’il a perdu toute force de décalage et de ré exivité. L’adhésion du
présent avec lui-même qui permet de dé nir le contemporain, apparait alors comme étant devenue une
mauvaise stratégie pour comprendre le retour des drames historiques, les guerres, les crises
environnementales, etc.
Certains artistes, sans toujours le conceptualiser comme tel, ont développé un temps qui n’est déjà plus
contemporain. Ce sont souvent des environnements étranges, dont l’être humain est absent, et qui mêlent des
organisations naturelles et techniques comme si la différence entre les deux ne tenait plus dans leur
autonomie à notre égard.
Quel est donc ce temps ? Il est a proprement parlé celui après le contemporain : ces environnements se
placent après notre présent, dans un futur qui n’est plus celui de la modernité, car son moteur n’est plus la
volonté du collectif humain. Le présent ne promet plus le futur, c’est ce dernier qui détermine le présent. C’est
un futur qui pourrait être proche ou lointain, peu importe, car sa nature est moins temporelle que structurelle
: nous n’y sommes pas, notre espèce a disparue et ne reste plus alors que les traces techniques, c’est-à-dire
logistiques, de ce que nous avons été, ne subsistent plus que nos déchets dont certains sont peut être dotés
d’une quasi-autonomie de mouvement. Ils continuent à bouger sans nous, sans témoin, sans personne. Quasi
vivant, technique zombie. La révolution industrielle nous a dotés d’une puissance hantée par mille fantômes
techniques nous entourant sans que nous le sachions.
Une exposition pourrait alors être strictement dé nie comme un espace de projection dans cet avenir
incertain et nous y jetons par anticipation un regard puisque précisément ce regard, le regard humain, s’en
sera absenté. Nous imaginons l’absence de notre regard, nos yeux se creusent non pas par aveuglement, mais
par doublement de l’absence. Nous avançons dans un espace géologique, il y a les ruines des datacenters, une
activité informatique résiduelle, mais qui serait capable d’en décrypter la présence ? Les pierres sont posées
au sol dans une éternité qui ne s’adresse à personne. Des images dé lent, synthèse de cette mémoire passée
accumulée sur Internet. Un organisme ou une maladie se perpétuent sans que personne ne le sache.
L’art postcontemporain est à entendre comme un futur sans nous et c’est paradoxalement la spéculation de
cette absence qui permet la ré exion sur notre condition présente, car le présent ne se laisse plus aborder
dans sa contemporanéité sans répéter la domination dont elle est l’objet. Elle doit être décalée non seulement
temporellement, mais aussi anthropologiquement. La question n’est même plus celle de la survie car cette
volonté n’est pas sans rapport avec le mal qu’elle souhaitait résoudre. L’espèce humaine a donc disparu. Il
restera tant de choses de ce que nous avons été. Mais elless ne se destineront à personne. La Terre sera vidée
de notre présence et cette lacune béante permet de mieux percevoir le mouvement involutif, disnovatif
brouillant les frontières entre l’organique et l’inorganique, le vif et le mort dont nous sommes les sujets et les
objets. L’autonomie du sans nous est fort différente de l’autonomie greenbergienne ou du sublime burkien et
kantien. Elle permet d’intuitionner la déliaison, c’est-à-dire l’absolu. Voici donc notre époque. Sa mémoire, à
nouveau.
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