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Master 

: Littérature, éducation et culture humaniste

Professeure : M. El mederssi Hafida

Etudiant : Berri Oussama

TRAVAIL : Le théâtre de l’absurde


Rhinocéros d’Eugène Ionesco

INTRODUCTION

Le terme « théâtre de l’absurde » a été inventé par le critique anglais Martin


Esslin en 1961, dans un livre qui regroupe Beckett, Adamov, Jean Genet, et bien
d’autres. D’autres dénominations, « nouveau théâtre », « antithéâtre », « théâtre
de dérision », renvoient à ce mouvement, dont les deux piliers sont Beckett et
Ionesco.Cette étiquette présente l’inconvénient d’enrôler dans le même camp
des auteurs très différents : il serait facile de montrer tout ce qui sépare le théâtre
de Beckett de celui de Ionesco. Tandis que Beckett réduit ses personnages à
l’essentiel en les dépouillant de tous leurs attributs traditionnels, Ionesco, lui,
mécanise ses personnages pour faire d’eux des marionnettes. D’un côté, un
théâtre minimal, où tout repose sur la rareté, de l’autre, un théâtre de l’excès et
de la prolifération. Ionesco s’est lui-même défini comme un baroque, par
opposition au classique Beckett.Mais au-delà de ces différences, les nouveaux
dramaturges du début des années 50 présentent de nombreux points communs.
Au moment où les écrivains du nouveau roman, Robbe grillet, butor, ou
sarraute, remettent en question les certitudes du récit traditionnel, Ionesco et
Beckett font entrer le théâtre dans l’ère du soupçon ; ils rompent avec la
tradition du théâtre occidental en refusant de raconter une histoire et de faire
vivre des personnages, en rejetant l’intrigue et la psychologie : ils inventent un
théâtre de l’inaction et de l’anonymat.
Enfin, Ionesco, Beckett, Adamov, d’origine roumaine, irlandaise et arménienne,
écrivent tous les trois dans la langue de l’autre, et tous s’en prennent au
fonctionnement du langage : ionesco en jouant sur le son et le sens, Beckett en
mettant l’accent sur les ambiguïtés de la parole. Mais il s’agit toujours de
montrer l’imperfection du langage et de mettre en scène ce qu’antonin artaud,
l’un des inspirateurs du théâtre de l’absurde, appelle « la rupture entre les
choses, les paroles, les idées, et les signes».

Biographie de l’auteur

Né le 26 novembre 1909, Eugène Ionesco est un dramaturge français qui a vu le


jour en Roumanie. Toute sa vie il cherche à combattre le fascisme qui lui a fait
fuir son pays natal en 1938. Provocateur et avant-gardiste, sa première pièce La
Cantatrice chauve en 1950 ne séduit pas immédiatement le public. Pourtant,
Eugène Ionesco continue et rencontre enfin son public. Sa célébrité dépasse
même les frontières françaises. Il a donné naissance à un nouveau genre théâtral,
le théâtre de l'absurde.

Eugène Ionesco décède à Paris en 1994, à l'âge de 84 ans. De santé fragile à la


fin de sa vie, le dramaturge s'est éteint après avoir donné ses lettres de noblesse
au genre du théâtre de l'absurde. Il repose au cimetière du Montparnasse.

Résumé de la pièce

Rhinocéros d'Eugène Ionesco est une pièce de théâtre en trois actes et quatre


tableaux, publiée en 1960.

L’histoire se déroule dans une petite ville de province, un dimanche matin, où


l’apparition soudaine d’un rhinocéros fait scandale. L’animal est bientôt suivi
d’un deuxième puis les rhinocéros se multiplient et envahissent peu à peu la
ville. Mais on découvre qu’il ne s’agit pas d’une invasion : ce sont les hommes
qui, les uns après les autres, se métamorphosent en animaux jusqu’à ce qu’il ne
reste plus qu’un seul être humain à la fin de la pièce qui est le personnage de
Bérenger.
Des personnages archétypes

Chez les écrivains du nouveau roman comme chez les dramaturges de l’absurde,
la critique de l’anecdote et de l’intrigue implique celle du personnage et de la
psychologie. Nathalie Sarraute affirme dans l’ère du soupçon que le personnage
du roman moderne a perdu tous ses attributs traditionnels, ses ancêtres, ses
biens, sa profession, et surtout, ce bien précieux entre tous, son caractère qui
n’appartenait qu’à lui, et souvent juqu’à son nom. Cette définition conviendrait
parfaitement aux personnages de Beckett ou de Ionesco. Les nouveaux
romanciers se proposent de dépersonnaliser le personnage selon la formule de
roland barthes alors que les nouveaux dramaturges entreprennent d’amener le
personnage au degré zéro de la personnalité.

Dans les pièces de Ionesco, la trajectoire de chacun des personnages et la


progression inévitable de la métamorphose impliquent un dépassement de la
psychologie vers la métaphysique.

Au-delà de leurs rapports individuels, de leurs oppositions de caractères, les


protagonistes de la pièce ont tous une dimension symbolique, qui se dévoile peu
à peu. Elle se lit dans leur parcours, à travers leur modification progressive.
Chacun n’atteint sa vérité qu’au terme de cette trajectoire révélatrice.

Jean et botard : les figures du dogmatisme

Jean, jouant le rôle du raisonneur, ne supportant pas d’être contredit, et


n’acceptant plus d’avoir tort, passe de la défense apperemment banale de
l’hygiène de vie, de la santé physique et morale, à un éloge de la force pour la
force et à un éloge de l’homme supérieur ; il ne lui reste qu’un pas à franchir
pour prendre le parti de la nature, qui le mène à la rhinocérisation. Son cas
illustre les dangers du conformisme, qui conduit à glisser insensiblement de la
leçon à la condamnation, de la tolérance à l’intolérance.

Botard, lui, incarne un autre type de dogmatisme, qui se situe politiquement aux
antipodes de celui de Jean, mais dont le mécanisme est le même. Botard fait
d’abord penser à une figure historique traditionnelle : celle du rationaliste et
anticlérical, luttant contre toutes les superstitions, qui pourrait se réclamer des
philosophes du 18 siècle. Mais en quelques minutes, le rationaliste se transforme
progressivement en militant puis en un dangereux fanatique qui réveille les
fantomes de l guerre froide et du stalinisme. Ses allusions répétées à la
propagande et à un mystérieux complot universel font de lui un véritable
paranoique, ce qui le destine de toute évidence à la rhinocérisation. Son exemple
offre donc un contrepoint à celui de Jean : les deux personnages, à leur échelle
médiocre, reflètent les deux grands totalitarismes du 20 siècle, à savoir le
fascisme et le communisme, que Ionesco met sur le même plan et attaque avec
virulence.

Bérenger ou l’individu

Bérenger décrit une trajectoire inverse de celle des autres personnages,


puisqu’elle le conduit de la passivité à la révolte, sinon à la résistance. D’abord
apathique, et comme étranger au monde qui l’entoure, ensuite complexé et
culpabilisé face à l’amour, l’amitié, au travail, il se transforme à partir de sa
visite chez Jean : il s’affirme peu à peu, contre Jean, Duard, Daisy, comme s’il
devenait lui-même au fur et à mesure que les autres l’abandonnent.

Mais cette trajectoire n’est pas droite, et donc pas « rhinocérique ». Bérenger ne
cesse de retomber dans ses doutes, dans ses peurs, dans l’alcool. Son monologue
final traduit la persistance de ses angoisses, de ses hésitations, de son
impuissance, qui sont justement le signe de son humanité.

Il est à la fois le moins symbolique et le plus vivant de tous les personnages de


la pièce. Il ressemble à Ionesco, à ce que nous savons de l’auteur à travers sa
biographie et ses nombreux textes autobiographiques. Le mal d’exister, le
sentiment de culpabilité, l’esprit d’enfance, la faculté d’étonnement,
l’individualisme : ces caractéristiques font l’unité profonde de ce personnage.
Bérenger apparaît non comme le porte-parole mais comme le double de Ionesco,
confronté d’une pièce à l’autre à son angoisse fondamentale : celle de la mort.

Au-delà des différences individuelles, de la diversité des caractères, des


conditions sociales et des options philosophiques et politiques, c’est cette
conscience de la finitude, c’est-à-dire de la condition humaine, qui domine la
pièce.
« Il y a le refus de la psychologie, et par conséquent le désir, que ce soit par
l’imaginaire ou que ce soit par la brutalité réelle, de s’adresser à nos vraies
forces profondes », écrit Sartre du Théâtre de l’absurde.

On pourrait rapprocher cette analyse d’une note de Ionesco : « éviter la


psychologie, ou plutôt lui donner une dimension métaphysique. Le théâtre est
dans l’exagération extrême des sentiments, exagération qui disloque la plate
réalité quotidienne ».

Rhinocéros illustre exemplairement ce dépassement de la psychologie par la


métaphysique.

Les ambiguités du langage

C’est sans doute dans Rhinocéros que Ionesco entretient avec le langage le
rapport le plus paradoxal. La pièce oscille entre deux pôles : la méfiance de
l’auteur à l’égard de la parole. On retrouve dans Rhinocéros la critique virulente
des lieux communs de la conversation, et la dénonciation féroce de toutes les
langues de bois.

Un langage déstructuré

Comme dans la majorité de ses pièces, Ionesco utilise un langage déstructuré


pour symboliser des pensées déréglées.Ceci apparaît à plusieurs reprises
dans Rhinocéroset de façon plus évidente dans le discours du Logicien au
vieillard. Dans ce discours, le Logicien utilise – à tort et à travers – plusieurs
syllogismes erronés dans le but de convaincre le vieillard de l’importance de la
logique.

« LE LOGICIEN :: tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc
Socrate est un chat.
LE VIEUX MONSIEUR : Et il a quatre pattes. C’est vrai, j’ai un chat qui
s’appelle Socrate.

LE LOGICIEN : Vous voyez…

LE VIEUX MONSIEUR : Socrate était donc un chat !

LE LOGICIEN : La logique vient de nous le révéler… »

L’emploi du syllogisme symbolise la pensée chez Ionesco et son dérèglement


annonce la folie. Ainsi, pour l’auteur,toute forme de fanatisme est une forme de
folie au même titre que la« rhinocérité » de ses personnages. Mais encore, le
langage stéréotypé devient un indicateur du conditionnement de tous.
L’uniformisationdes modes de pensée, des modes d’action et de la parole dénote
une perted’individualité et sous-tend le refus des rhinocéros de remettre en
question lesystème dans lequel ils sont intégrés.

Il est intéressant de constater que la rupture avec la civilisation par l’animalité


ôte la parole auxpersonnages. Et donc succomber à ces mouvements de masse,
c’est abandonnertoute forme de pensée.

Le débat philosophique

L’échange de l’acte 3 entre Dudard et Bérenger relance la question de la


rhinocérisation :

Dudard : Je me dis qu’il n’y a pas de vices véritables dans ce qui est naturel.
Malheur à celui qui voit le vice partout. C’est le propre des inquisiteurs.

Bérenger : Vous trouvez, vous, que c’est naturel ?

Dudard : Quoi de plus naturel qu’un rhinocéros

Bérenger : Oui, mais un homme qui devient rhinocéros, c’est indiscutablement


anormal.
Ici Bérenger soulève la question essentielle, qui constitue l’enjeu central de ce
dernier acte, celle du normal et de l’anormal.

Dudard relance le débat, sur le ton du défi :

Vous me semblez bien sûr de vous. Peut-on savoir où s’arrête le normal, où


commence l’anormal ? Vous pouvez définir ces notions, vous normalité,
anormalité ?

Ces débats philosophiques ou pseudo-philosophiques n’aboutissent donc


jamais. Ils mettent en lumière l’échec de la pensée dialectique, présentée comme
stérile, purement formelle, et impuissante. Ils contribuent à isoler Bérenger, mis
en difficulté chaque fois qu’il s’agit de manier et d’articuler des concepts. Mais
en dépit de cette maladresse, ou peut-être à cause d’elle, c’est lui le vrai
« philosophe » de la pièce, au sens ionesquien du mot : celui qui ne cesse de
s’étonner devant le monde et l’existence.

CONCLUSION

Ionesco emprunte au conte le fantastique et le merveilleux pour donner au réel


une dimension anormale créant ainsi une confusion entre l’explication
rationnelle et l’intervention du surnaturel. Le rhinocéros apparaît comme une
allégorie (personnification d’une idée abstraite). Cette fable moderne des
rhinocéros symbolise alors la brutalité, la violence aveugle et dénonce le
fanatisme et le totalitarisme. Enfin, l’épidémie de la rhinocérite est traitée
comme une allégorie politique puisque comme dans La Peste de Camus, la pièce
enseigne que seul la révolte de l’individu peut mettre fin à la progression du
mal.

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