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CHAPITRE VII

La misère et le relèvement

Sommaire. La peste et les soudards(175). Les témoignages contemporains (176). Les


foires et les étrangers (176). L'amoindrissement de l'industrie et la dépopulation (177).
Les ruines á paris (177). Diminution du commerce (178). Immunité de la Bourgogne et
de la Flandre (178). La relèvement (179).

La peste et les soudards


Nous avons vu dans les chapitres précédents comment le développement
économique qui s'était produit sous les Capétiens directs s'était trouvé arrêté sous les
Valois par la guerre de Cent Ans et par les fléaux qui l'ont accompagnée. Au
commencement de cette guerre, la peste noire, venue d'italie, atteignit la Provence à
la Toussaint de l'an 1437 et sévit pendant un an et demi sur presque toutes les
provinces de France. < La tierce partie du monde mourut> , écrivait vingt ans après
Froissart sans ajouter d'ailleurs un mot de pitié. Le manque d'ouvriers fut tel que les
salaires, sous l'influence de la rareté et des changements dans la monnaie,
renchérirent et que le roi crut devoir y opposer un tarif maximum du prix des
marchandises et du travail.

Pendant la guerre, les grandes défaites firent au pays des blessures profondes, moins
étendues cependant que les ravages continus des bandes d'aventuriers armés. Quel
que fût le prince qu'elles servissent, ces bandes vivaient à discrétion sur le paysan,
volant l'argent, quand il y en avait, et le mobilier, brûlant souvent les maisons et
laissant après leur passage la ruine et la désolation. Lorsqu'une trêve suspendait les
hostilités, elles devenaient encore plus redoutables parce que, ne recevant plus de
solde, elles ne subsistaient que par le pillage.

Charles V parvint à purger quelque temps le pays des compagnies les plus
redoutables mais il s'en forma d'autres et tes excès recommencèrent après sa mort.
Lorsque, pendant la folie de Charles VI, la France, qui semblait ne pouvoir être affligée
de maux plus grands, fut déchirée par la guerre civile, la lutte des Bourguignons et des
Armagnacs fournit matière à des atrocités nouvelles el détruisit dans les provinces du
centre et du nord ce qui avait échappé aux ravages précédents. une partie des terres
restant sans culture, les famines furent fréquentes et causèrent de grandes mortalités.

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Les témoignages contemporains.
Déjà, après le règne du roi Jean, Pétrarque, traversant Paris en 1368, š'apitoyait; il
était d'ailleurs quelque peu pessimiste. < Je pouvais à peine reconnaître quelque
chose de ce que je voyais. Le royaume le plus opulent n'est plus qu'un monceau de
cendres; il n'y avait plus une seule maison debout, excepté celles qui étaient
protégées par les remparts des villes et des citadelles. Où donc est maintenant ce
Paris qui était une si grande ville?>*

Au siècle suivant, le témoignage du moine qui écrivait la Chronique de Charles VI est


encore plus désolant. <Le meurlre, la rapine, l'incendie, le pillage des églises, le viol
des jeunes filles et tout ce qu'une rage sarrasine peut imaginer s'en était suivi. La
France n'avait pas seulement à gémir de se voir ainsi maltraitée par ceux qu'elle avait
doucement élevés et qui, montés sur des chevaux caparaçonnés, portant casque et
aigrettes, se disaient nobles mais ce qu'elle regardait comme affligeant au delà de
toute mesure, c'est que des paysans et des vilains, laissant l'agriculture et les arts
manuels, sortissent armés des forêts et des retraites et dépouillassent les voyageurs
et ceux qui portaient les marchandises du pays ou de l'étranger dans les villes... >.
Mêmes plaintes dans le Midi. Dom Vaisselle dit que la captivité du roi Jean ne
permettant pas de payer les soudards, ceux-ci se sont formés en compagnies qui
désolent le pays; ils le désolent encore après le traité de Brétigny; ils ont pris plusieurs
villes, Brioude, Frontignan ils ont incendié un faubourg de Montpellier; ils battent le
duc de Bourbon à Brignais (1362). Les Bordelais se plaignent d'un appauvrissement
tel <qu'il y a seize ans on environ le dist pais eût plutost porté et payé un ayde de
cent mille francs qu'il ne feroit à présent de dix mille>. L'aggravation des impôts
s'ajoutait aux autres causes d'épuisement de la France.

Sous Charles V le pays fut moins foulé par les grandes compagnies, mais le poids des
impôts devint plus lourd.

t. Le roi atteste lui-même dans l'ordonnance monétaire du 5 décembre 1360 le changement qui s'est
produit pendant ces quatre années de sa captivité. < Les gens de nostre royaume estoient divisés et
destruisoient et dommagoient l'un l'aultre et se mettoient les uns après autres en rébellion et
désobéissance et commettoient plusieurs énormes et horribles crimes et tels dont il estoit tout
apparent, si les choses se feussent continuées, nostre dit royaume et peuple fussent venus á
destruction et perte de tout. >

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Les foires et les étrangers.


Nous avons vu que le commerce de foires avait dépéri. Une ordonnance de l'an 1395
nous fait savoir que les dix-sept villes qui formaient antérieurement le noyau des foires
de Champagne les avaient désertées. L'occupation anglaise interrompit la foire du
Lendit qui n'a pas été tenue de 1426 à 1444. L'entrée du royaume fut à plusieurs
reprises, depuis Philippe le Bel jusqu'au traité d'Arras(1435), interdite aux Flamands;
aux Anglais elle le fut jusqu'au temps de la trêve de Picquigny (1676),ainsi que nous
l'avons dit. Les Juifs, plusieurs fois expulsés du royaume, allèrent, surtout à partir de
1410, s'établir en Allemagne, en Savoie, à Avignon, en Provence. Les Italiens allèrent
trafiquer à Genève, d'où les foires de Lyon ne parvinrent à les détourner qu'au xvi*
siècle; ils avaient remplacé la fréquentation des foires de Champagne par celle des
foires de Flandre, à Anvers, à Gand, à Bruges, où ils se rendaient par mer.

L’ámoindrissement de líndutrie et la dépopulation


Des plaintes s'élevaient de tous tes côtés. Nous avons dit qu'à Provins, une des
grandes villes de foire, il ne restait que 300 métiers ballant au lieu des 3.200 qu'on
comptait autrefois. Harfleur accusait la guerre d'avoir anéanti le commerce de draps
qui faisait sa richesse. Mêmes plaintes à Rouen, à Arras, à Laon, à Reims, à Troyes, à
Langres, à Carcassonne, à Montpellier; à Rouen, pour ne citer qu'un exemple, un
délégué exposait au roi, en 1451.< la misère de la ville; la mortalité depuis dix ans a
diminué la population de moitié >. Elle avait diminué à peu près partout. La campagne
n'avait plus de laboureurs et les cens des seigneurs se trouvaient très amoindris. M.
de Beaurepaire a pu comparer la population de 221 paroisses de la Haute-Normandie
au xiii* siècle et dans la seconde moitié du xv* et il a constaté que leur population
avait été réduite de 14.992 paroissiens à 5.976. Jean Masselin parlait ainsi (non sans
exagération) de la population de la Normandie aux Etats généraux de 1484. < La
population était réduite à si peu qu'on a pensé que le pays de Caux n'avait conservé
qu'à peine la centième partie de ses habitants car il avait été peuplé et heureux. Dans
ce pays on rencontre une infinité de villages qui renfermaient autrefois 100 feux ou
familles et qui aujourd'hui n'en ont que 40.>

Les ruines à Paris.


A Paris la dépopulation et la misère étaient telles que les halles abandonnées étaient
transformées en voirie et que nombre de maisons tombaient en ruine. < La plupart des
estaux d'icelles halles sont tombés en ruine, tellement que les demourans à l'entour y
viennent faire leurs voiries et immondices > (Ord. des 2 mai 1454 et 3 mai 1497). <
Grant partie des maisons et habitations ont été et sont demeurées vuides, vagues,
ruineuses et inhabitées et tournées en non valoir et en si grant ruine qu'il a convenu
les aucunes desmolir et abbattre, autres sont cheres par deffault de réparation tant de
couverture que autres édifices. Très grands inconvénients en sont déjà ensuivis en
plusieurs lieux et rues, et mesmement sur plusieurs bonnes personnes passant leur
chemin pardevant icelles maisons dont les aucuns ont esté tuez, meurtris et occis
piteusement, et les autres affolez et mutilez de leurs membres>. (Ord. du 24 avril
1448). Un bourgeois de Paris évaluait à 24.000 le nombre des maisons abandonnées.
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C' est en vue de repeupler Paris que le duc de Bedford fit vendre à la criée tes
maisons abandonnées; mais les acquéreurs trouvaient plus de profit à les abattre pour
utiliser les matériaux qu'à les réparer pour les louer à des locataires qui ne se
présentaient pas. C est aussi, <pour bien repeupler sa ville de Paris, fort dépeuplée
tant par les guerres, mortatitez ou autrement>. que Louis XI prescrivait que, < toutes
les gens de quelque nacion qu'ils feussent peussent de la en avant venir demeurer
dans la dicte ville>.
Quarante ans après la lin de la guerre de Cent ans les Etats généraux de 1484
assignaient comme cause principale du mal la guerre <qui affaiblit ce royaume si
piteusement qu'il cuida périr, laquelle guerre fut cause de la destruction de la
population et quasi de toute la ruine et désolation de ce povre royaume>.
<Les gens de guerre, disaient les députés de la Bourgogne, sont soudoyés pour le
deffendement et ce sont eux qui le plus oppressent. > El ceux du pays Chartrain < Ce
pays a été assommé de charges importables>

Diminution du commerce.
Nous sommes dans l'impossibilité de savoir quel a été le chiffre total du commerce de
la France avant, pendant et après cette guerre; mais il ressort avec évidence des faits
que nous venons de citer et que nous pourrions multiplier que la diminution de ce
commerce a dû être énorme, en rapport avec la diminution de la puissance de
production et de consommation de la population.

Immunité de la Bourgogne et de la Flandre.


- Le nord-ouest de la France, Normandie, Picardie, Artois, Ile-de-France, Champagne,
est la partie qui avait le plus souffert; au sud de la Loire, la dévastation, quoique
grande dans certaines parties, avait été cependant moindre, surtout dans les
provinces du centre. La Bourgogne, pendant la plus grande partie du temps, fut
privilégiée. Cependant elle ne fut pas elle-même entièrement indemne au
commencement du xv siècle, la population de ses villes avait diminué et dans les
campagnes beaucoup de terres étaient abandonnées, à cause, disait-on,de la
mainmorte. La Bourgogne se releva dans la seconde moitié de ce siècle. La Flandre
sous le gouvernement des ducs de Bourgogne, fut florissante par l'industrie, par les
arts et par le commerce. <En Flandre. dit un contemporain, l'opulence régnait partout
et tous les genres de commerce avaient pris un grand essor. La France, au contraire,
était si désolée que non seulement on n'y ensemençait plus tes terres, mais que les
bruyères et les herbes naissantes croissant partout lui donnaient l'aspect d'une
immense forêt, d où sortaient, les loups et les bêtes féroces pour attaquer et emporter
les hommes>
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Le relevement.
- Nous avons dit dans le chapitre de ce livre, que le relèvement commença après le
traité d'Arras et la rentrée de Charles VII à Paris. La formation d'une armée
permanente et la dissolution des grandes compagnies furent les premiers grands faits
réparateurs. Charles VII et Louis XI s'appliquèrent à réformer les groupements de
gens de métier en sanctionnant leurs statuts, à ranimer les foires anciennes, à en
créer de nouvelles. Des traités de commerce furent conclus; le droit d'aubaine fut
supprimé dans le Languedoc; plusieurs nations étrangères en furent exemptées.

Louis XI fut, par système, protecteur de la bourgeoisie. Le règne de Charles VIII,


malgré certaines tendances aristocratiques qui le signalèrent, fut, relativement au
commerce, la continuation de ceux de Charles VII et de Louis XI. Quoiqu'il s'en fallut
de beaucoup que toutes les blessures du pays fussent cicatrisées en 1498, l'industrie
et le commerce renaissant attestaient que la France commençait à recueillir les fruits
de la paix.

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