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D I - Principes biologiques
ans les années 1980, le chimiste Robert Langer et le
chirurgien Joseph Vacanti émettaient l’hypothèse qu’il
était possible de régénérer un tissu ou un organe en de l’ingénierie tissulaire
cultivant des cellules spécifiques sur un matériau biodégra-
dable (Langer et Vacanti, 1995). C’est ainsi qu’est née l’ingénie- Essentiel : pour imaginer pouvoir reconstruire un système
rie tissulaire. Cette approche interdisciplinaire de la médecine vivant et remplacer chez l’homme une structure détruite
fait appel aux principes de l’ingénierie de la science du vivant ou détériorée, il est primordial de connaître les principes
fondamentaux à partir duquel ce tissu s’est formé initiale-
et des effets biologiques qui permettent de restaurer, main-
ment. C’est la raison pour laquelle une connaissance par-
tenir ou améliorer la fonction d’un tissu (Skalak et Fox, 1998). faite de l’embryologie ou du développement initial est
La première application d’ingénierie tissulaire a été publiée nécessaire pour pouvoir créer de nouvelles thérapeutiques.
en 1990 et démontrait la possibilité de régénérer un tissu car-
tilagineux en forme d’oreille humaine dans le dos d’une souris
(Cao et al., 1997). Cette application très spectaculaire a réel- On reconnaît actuellement deux applications principales à la
lement fait prendre conscience à la communauté scientifique médecine régénératrice :
de l’intérêt de cette nouvelle approche médicale. Depuis, le - le traitement des maladies dégénératives (par exemple la
nombre d’applications d’ingénierie tissulaire n’a cessé de maladie de Parkinson), dans lesquelles la destruction des
croître et celles-ci permettent aujourd’hui d’avoir une cellules ou d’organes est à l’origine du développement de la
approche thérapeutique différente. La régénération de la pathologie ;
peau pour les grands brûlés et la reconstruction d’os dans les - la régénération partielle ou complète d’un organe détruit
cas de perte sévère sont des exemples de stratégies médi- par la maladie ou un accident.
cales qui sont dorénavant couramment utilisées en méde- Sur le plan pratique, il existe deux stratégies :
cine. - la thérapie cellulaire, qui consiste à transplanter des cellules
La demande médicale est parallèlement de plus en plus forte, directement dans l’organe receveur afin de permettre le
puisque le manque d’organes humains s’aggrave chaque développement ou la régénération d’un tissu ou d’un organe.
année. En 20 ans, la liste d’attente aux États-Unis pour les Cette approche permet de prévenir ou de traiter des patho-
transplantations a quadruplé (selon l’United Network for logies humaines en administrant des cellules qui ont été
Organ Sharing). sélectionnées, voire modifiées pharmacologiquement en
dehors de l’organisme à traiter ;
La découverte de niches de cellules souches adultes au - l’ingénierie tissulaire vraie qui consiste à implanter des subs-
sein de la plupart des organes, ainsi que leurs possibles tituts biologiques précédemment générés in vitro. Ces
applications thérapeutiques ont largement participé à techniques appliquent les principes de l’ingénierie et des
l’émergence de la médecine régénérative. sciences de la vie afin de créer des substituts biologiques
L’odontologie et, plus récemment, l’endodontie n’ont pas qui vont restaurer, maintenir ou améliorer la fonction du
été épargnées par l’engouement pour cette nouvelle tissu.
conception de la médecine ; l’innovation et l’intérêt crois- En odontologie, pour des raisons évidentes d’ordre écono-
sant pour cette discipline justifient à elles seules la place mique et éthique, la thérapie cellulaire trouve encore peu
de ce chapitre au sein de d’un ouvrage consacré à l’endo- d’indications. L’ingénierie tissulaire quant à elle, qui permet
dontie.
d’améliorer ou de remplacer des fonctions biologiques par la
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combinaison de cellules, de biomatériaux et de facteurs bio- thélium et le mésenchyme dérivé des cellules des crêtes
logiques, constitue un champ d’investigation pluridiscipli- neurales (ectomésenchyme). Ces signaux permettent égale-
naire qui trouve tout son intérêt dans cette discipline et qui ment de guider le positionnement des cellules le long du
fait appel à de nombreux domaines de la recherche, notam- front de minéralisation et de sécréter de nouvelles molé-
ment : cules. Ces protéines de la matrice extracellulaire vont partici-
- aux biomatériaux employés pour diriger l’organisation, la per au processus de minéralisation de la dent. L’implication
croissance et la différenciation des cellules. Ils se com- notamment des BMP (bone morphogenetic protein) et du
portent comme un support physique permettant la crois- TGF-β (transforming growth factor beta) au cours de ces
sance du tissu et, grâce à la chimie, une signalisation phases précoces ont été décrits dans le chapitre 1er de cet
physique ou biochimique peut être envisagée ; ouvrage. Ce sont ces voies de signalisation qui sont utilisées
- aux cellules. La source de cellules utilisées peut provenir de pour les approches d’ingénierie tissulaire en odontologie,
l’organisme du malade (source autologue), d’un autre indi- que ce soit pour régénérer aussi bien le complexe pulpo-
vidu de la même espèce (source allogénique) ou encore dentinaire qu’un tissu pulpaire, voire une dent entière.
d’un individu d’une espèce différente (source xénogénique) ;
- aux aspects biomécaniques qui permettent d’étudier les Cette signalisation moléculaire spécifique à l’organe den-
propriétés des tissus originaux et d’identifier les propriétés taire reste également un modèle d’étude de la signalisa-
minimales requises pour assurer la fonction de l’organe à tion épithélio-mésenchymateuse dans les autres organes.
régénérer. Ces connaissances permettent d’assurer l’effica-
cité et la sécurité des tissus néoformés ;
- aux biomolécules, regroupant les facteurs de croissance, les Quotidiennement, le chirurgien-dentiste doit gérer des
morphogènes, les facteurs angiogéniques, les facteurs de pertes tissulaires. La destruction de l’émail par la carie, d’une
différenciation et toute autre molécule qui permet d’in- part, et de la dentine, d’autre part, l’oblige à user de subter-
duire, d’inhiber ou de contrôler une signalisation cellulaire ; fuges qui doivent permettre à la fois de stopper la progres-
- au « design » tissulaire, qui permet d’envisager une expan- sion de la maladie carieuse et de restaurer la fonction sans
sion cellulaire en deux dimensions et une croissance tissu- nuire au reste de l’organe. Pendant très longtemps la mise au
laire en trois dimensions. Ces amplifications cellulaires font point de matériaux et de systèmes adhérant aux structures
appel à des bioréacteurs et à des conditions de stockage et dentaires a représenté la quasi-totalité du domaine de la
de distribution de cellules dans les tissus ; recherche en odontologie. Néanmoins, les cliniciens savent
- à l’informatique utilisée pour le séquençage génétique et pertinemment qu’aucun matériau n’est capable de mimer
protéomique des tissus. Elle est également sollicitée pour la complètement la structure dentaire sur les plans physique,
modélisation des cellules et des tissus et, évidemment, mécanique, esthétique et biologique. Si ces matériaux ne
comme outil de gestion des données. représentent pas la panacée, il convient cependant de recon-
naître qu’ils restent encore aujourd’hui les seuls moyens
fiables et stables à long terme pour remplir les missions
II - Ingénierie tissulaire imposées.
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Figure 3.2 Situation clinique. En rouge est Figure 3.3 La cavité d’accès permet d’accéder
schématisée la papille apicale contenant les au canal. Il est nettoyé sans instrumentation,
SCAP (stem cells of apical papilla). simplement avec un rinçage au sérum physio-
logique.
Figure 3.4 Une application d’adhésif sur les parois dentinaires Figure 3.5 Le gel contenant les trois antibiotiques est mis en
de la cavité d’accès permet de limiter les risques de coloration place directement dans le canal après séchage avec des pointes
de la couronne de la dent inhérente à la technique. de papier stériles.
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Figure 3.6 Schématisation de la dent traitée, Figure 3.7 Vue clinique de la médication antibiotique en place
médication en place. dans le canal.
Figure 3.8 Schématisation du canal désinfecté Figure 3.9 Création d’un saignement intraca-
au bout de 2 semaines, prêt à être traité. nalaire avec un instrument endodontique
manuel passé au-delà du foramen de la dent.
La papille apicale est désorganisée.
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Figure 3.10 Vue clinique du canal rempli de sang. Figure 3.11 Schématisation du canal rempli
d’un caillot sanguin, surmonté par une obtura-
tion au ProRoot MTA® blanc, et de la cavité
d’accès obturé avec une restauration collée.
Figure 3.12 Vue clinique du bouchon de ProRoot MTA® placé au Figure 3.13 Radiographie de contrôle à 10 mois
contact du caillot sanguin intracanalaire. postopératoires. Noter la cicatrisation de la
lésion apicale osseuse, l’élargissement des
parois radiculaires et la probable légère édifi-
cation canalaire, laissant suspecter une apexo-
genèse en cours.
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Si la recherche est particulièrement active et fournit de nom- Idéalement, le remplacement d’une dent absente ou détruite
breux résultats sur les précurseurs et progéniteurs susceptibles devrait se faire par une dent autologue. Depuis quelque
d’intervenir dans le processus de cicatrisation, l’évolution est temps, cette stratégie thérapeutique est envisageable grâce,
cependant plus lente dans la mise au point des matériaux qui encore une fois, à l’ingénierie tissulaire et aux progrès faits
permettraient de recruter les cellules et de se comporter dans le domaine du développement et de la biologie des cel-
comme un environnement favorable à leur développement et lules souches. La première publication démontrant la faisabi-
à la régénération proprement dite. La création de nouveaux lité d’une régénération d’une dent avec de la pulpe, de la
biomatériaux qui présenteraient les qualités idéales pour l’in- dentine et de l’émail date des années 2000 (Young et al.,
génierie tissulaire de la pulpe a commencé il y a de nombreuses 2002 ; Duailibi et al., 2004). Ces auteurs démontraient que
années. Les matrices synthétiques fabriquées à partir de fibres non seulement la régénération d’une dent à partir d’une
d’acide polyglycolique ont été les premiers matériaux propo- biopsie autologue était possible mais également que le pro-
sés et restent à ce jour les plus utilisés. Les cellules sont cessus de régénération mimait de très près celui du dévelop-
capables d’adhérer à ces fibres, de proliférer et de se différen- pement initial comme cela avait été suggéré depuis des
cier, fournissant à terme un tissu conjonctif lâche dont la den- années. La première régénération dentaire in vitro à partir de
sité est proche de celle de la pulpe. D’autres matériaux, tels cellules souches a, quant à elle, été démontrée par Paul
que les hydrogels à base de collagène et d’alginate, ont été Sharpe et son équipe en 2005 (Sharpe et Young, 2005). Et
également utilisés, mais avec des résultats plus aléatoires. c’est finalement en 2009 qu’Ikeda et son équipe sont parve-
Enfin, d’autres biomatériaux plus rigides, tels que des phos- nus à régénérer et réimplanter une dent dans une mâchoire
phates de calcium, semblent avoir un comportement compa- murine. Cette implantation s’est avérée être viable et asso-
tible avec l’utilisation de cellules pulpaires. En présence de ce ciée à un recouvrement de la physiologie pulpaire et desmo-
matériau, les cellules sont capables d’induire des processus de dontale (Ikeda et al., 2009). Pour certains, le rêve était donc
minéralisation en sécrétant des vésicules matricielles (Wang devenu réalité, pour d’autres les choses sérieuses pouvaient
et al., 2006). Cordeiro et al., (2008) ont, quant à eux, utilisé de commencer !
l’acide polylactique (PLA, polylactic acid) pour ensemencer
des cellules souches pulpaires (DPSC et SHED) dans des
tranches de dents secondairement implantées en sous-cutané
dans le dos de souris. En 28 jours, ils ont observé la présence V - Conclusion
d’un tissu conjonctif dont la nature histologique était très
proche de celle de la pulpe. L’ingénierie tissulaire est une discipline particulièrement
excitante et l’odontologie ne sera pas épargnée par cette
évolution. Le coiffage pulpaire et la revascularisation
Toutes ces études suggèrent la possibilité de régénérer de canalaire de la dent immature représentent les premières
la pulpe dentaire avec des caractéristiques morpholo- illustrations de l’évolution de l’endodontie dans les années
giques proches de celles du tissu physiologique. Cepen- à venir. D’ores et déjà, nous devons prendre conscience de
dant, beaucoup de travail reste à faire avant d’obtenir des la tournure que vont prendre les événements, tout en
résultats cliniquement reproductibles. acceptant également l’idée que la biologie est particuliè-
rement complexe et ne nous permettra probablement pas
S’oriente-t-on vers une régénération complète de l’organe de faire autant d’erreurs que celles qui étaient tolérées
avec l’approche mécanique.
dentaire ?
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