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L'origine virale est privilégiée, eu égard aux modes de transmission alors identifiés (sanguin4 et

sexuel). Plusieurs virus sont mis en cause5, mais on s'aperçoit qu'ils ne sont qu'une conséquence.
Robert Gallo et son équipe, qui ont découvert le premier rétrovirus humain, le HTLV-1, pensent qu'un
mutant de ce dernier est la cause du sida. Il explique cela par le fait que le HTLV-1 fait proliférer les
lymphocytes T4, cet agent infectieux faisant l'inverse, une mutation peut donc en être la cause. Cette
hypothèse est renforcée par le fait que certains des cas haïtiens sont positifs à un test de dépistage
du HTLV-1. Cette positivité se révèlera être causée par un biais, le HTLV-1 étant très présent à Haïti3.

À partir de 1982, avec les premiers cas identifiés en France, la recherche française débute. Willy
Rozenbaum, médecin à l'hôpital Bichat de Paris, veut inciter les chercheurs à étudier plus en avant le
sida et à en trouver la cause. Par l'entremise de Françoise Brun-Vézinet, une collègue médecin, Willy
Rozenbaum contacte Jean-Claude Chermann, Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier, de l'unité
d'oncologie virale de l'Institut Pasteur, qui avaient les outils pour étudier les rétrovirus. Ces derniers
acceptent de commencer les recherches.

En 1983, Robert Gallo n'est pas parvenu à isoler le virus dans les échantillons sanguins de patients
atteints du sida. Willy Rozenbaum pense alors que chez les malades du sida, la plupart des cellules
infectées sont détruites et que c'est la raison du manque de résultats dans ces tentatives d'isolement
du virus. Il a alors l'idée de chercher le virus dans un organe riche en lymphocytes, les ganglions
lymphatiques de personnes malades mais qui ne sont pas encore en phase de sida. En janvier 1983,
Willy Rozenbaum prélève un échantillon d'un patient atteint d'une lymphadénopathie, pathologie
identifiée comme une maladie opportuniste du stade pré-sida. L'échantillon est mis en culture et
Françoise Barré-Sinoussi découvre une activité de transcriptase inverse, confirmant la présence d'un
rétrovirus. Une apoptose apparaît et l'adjonction de globules blancs à la mise en culture relance alors
l'activité de transcriptase inverse. Un examen au microscope électronique a permis de visualiser,
pour la première fois, le virus6, le 4 février 1983.

Le VIH en microscopie électronique à transmission, image de 1985.

Après une prise de contact avec Robert Gallo, pour un échange d'informations, l'équipe de l'Institut
Pasteur confirme que le virus identifié chez le patient lymphadénopathique n'est pas le HTLV-16. Ce
nouveau rétrovirus est alors appelé Lymphadenopathy Associated Virus (LAV) et les résultats sont
publiés dans Science le 20 mai 19837. À ce stade, le lien entre le LAV et le sida n'est pas clairement
établi par l'équipe de Luc Montagnier. Luc Montagnier et David Klatzmann découvrent que ce virus
détruit les lymphocytes T4 (LT4) avec lesquels il est mis en culture. On savait que le nombre de LT4
diminuait beaucoup chez les malades atteints de sida. Le LAV était donc sûrement l'agent provoquant
le sida.

L'équipe de Robert Gallo publie le 4 mai 1984, dans Science, les résultats de l'isolement d'un virus
qu'elle considère comme responsable du sida et le nomme HTLV-38, qui s'avérera, bien plus tard,
provenir d'un échantillon envoyé par l'Institut Pasteur. L'équipe de Jay A. Levy à San Francisco fait de
même le 24 août 1984 et trouve plusieurs rétrovirus, qu'elle nomme AIDS-associated retroviruses
(ARV)9.

Pendant un temps, les trois dénominations HTLV-3, LAV et ARV cohabiteront. En 1986, le sigle VIH
(ou HIV) est choisi.

Controverse sur la paternité de la découverte

L’équipe de l’Institut Pasteur et celle de Robert Gallo ont d’abord volontiers échangé réflexions,
informations et matériels biologiques : l’urgence des enjeux sanitaires, des considérations
stratégiques de part et d’autre, et des relations personnelles y avaient d’abord concouru. Divers
comportements de l’équipe américaine commencent par étonner les Français, puis finissent par
éroder leur confiance qui pâtit beaucoup de la conférence de presse organisée par le HHS le 23 avril
1984 quand la secrétaire américaine à la Santé Margaret Heckler affirma que Robert Gallo avait
découvert le virus du sida. C’est à l’occasion de cette même conférence que les Américains
annoncèrent la prochaine distribution d’un test de diagnostic10 pour lesquels Gallo et le HHS avaient
déposé une demande d’enregistrement juste quelques heures auparavant. Or l’Institut Pasteur avait
déposé une demande de brevet de test de dépistage devant le Bureau américain des brevets le 5
décembre 1983. Cette demande s’était heurtée à un premier refus pour des raisons administratives.
Tandis qu’une deuxième demande se voit refusée, la demande de Gallo et du HHS est acceptée en
mai 198511. C’est ce traitement inégal concernant les brevets qui conduira l’Institut Pasteur à
engager quatre actions en justice12. La polémique scientifique concernant la priorité des
découvertes, qui faute d’éléments définitivement concluants à l’époque, ne faisait que commencer,
allait trouver dans ces actions judiciaires un écho tout autant qu’un point d’appui13 : l’enjeu
financier considérable représenté par les royalties dues sur la vente des tests sera une des clefs de
cette controverse. La presse généraliste, surtout américaine, interviendra plutôt14 dans un deuxième
temps pour relancer la controverse, en n’hésitant pas à soulever des soupçons de fraudes
scientifiques à l’encontre de Robert Gallo et d’un de ses collègues15,16.

Robert Gallo en 1995.

L’Institut Pasteur porte d’abord plainte contre le NIH17 le 13 décembre 1985 car il pense que la
souche utilisée pour mettre au point le test VIH américain a été conçue à partir de la souche envoyée
par Montagnier à Gallo. L’Institut Pasteur demande au tribunal de reconnaître que le National Cancer
Institute, où travaille Gallo, a violé un contrat en faisant une utilisation commerciale du virus Lav qui
leur avait été pourtant transmis à seule fin d’étude. Pasteur demandait également au tribunal
d’affirmer la priorité de leur découverte du virus du sida et de les déclarer seuls bénéficiaires des
royalties sur les tests de dépistage développés à partir de celui-ci18. L’Institut Pasteur perd en
première instance pour des raisons formelles qui seront invalidées en appel en mars 1987 quelques
jours seulement avant un compromis19 dont le premier effet est de mettre un terme aux différentes
actions judiciaires entreprises — le procès auprès de l’United States Court of Claims principalement,
mais aussi les actions auprès de l’office américain des brevets (USPTO) ou au titre de la FOIA. Le
différend ne se règle donc pas par une décision de justice mais par un compromis entre les parties («
out of court agreement »), paraphé solennellement le 31 mars 1987, lors d’une rencontre entre le
président des États-Unis, Ronald Reagan, et le Premier ministre français de l’époque, Jacques
Chirac20. L’accord n’est toutefois définitivement21 signé que le 4 décembre 1987 : la question de la
priorité est résolue en qualifiant Gallo et Montagnier de « co-découvreurs » du virus du sida ; les
Français renoncent aux redevances déjà encaissées par leurs adversaires américains ; les redevances
associées sont partagées entre les instituts américains alors que, en Europe, elles reviennent
intégralement à l’Institut Pasteur22. Les deux parties se sont en outre mises d’accord sur une
chronologie des découvertes, Gallo et Montagnier s’engageant à ne publier aucune déclaration qui
contredirait ce canon23.

Le 19 novembre 1989 dans le Chicago Tribune, John M. Crewdson signe un très long article intitulé
The Great AIDS Quest-science under the microscope : Robert Gallo y est, au mieux, accusé d’avoir fait
une erreur en contaminant sa souche avec celle de l’Institut Pasteur et, au pire, d’être coupable de
fraude scientifique. Par la suite, différents articles de Crewdson24 ou d’autres personnes25 suivent,
relançant la controverse, ce qui conduit les autorités américaines à diligenter plusieurs enquêtes
administratives, tandis qu’une commission parlementaire menée par le démocrate John Dingell
lancera aussi des investigations poussées26. Dans une lettre publiée le 30 mai 1991 dans la revue
Nature, Gallo reconnaît — de façon alambiquée — que la souche utilisée par les NIH a été
contaminée par celle de l’Institut Pasteur ; il dément toute fraude scientifique22,27. Au cours de l’été
1991, un rapport préliminaire de l’OSI disculpe Gallo de toute accusation de mauvaise conduite tout
en le critiquant pour avoir censuré certains articles ; l’OSI se montre plus sévère à l’égard de Mikulas
Popovic, qui, refusant le rôle de bouc émissaire, révèlera en septembre 1991 que le professeur Gallo
lui aurait demandé de ne pas faire référence au virus envoyé quelques mois plus tôt par l’Institut
Pasteur. En janvier 199228, l’OSI, dans son rapport final, reconnaît Popovic coupable de mauvaise
conduite scientifique (sans pour autant l’exclure des NIH) mais acquitte Gallo au bénéfice du doute.
Le rapport est contesté par une commission d’évaluation. Le 10 février 1992, le Chicago Tribune
confirme les « falsifications » américaines sur la découverte du virus du sida. Le 17 juillet 1992, les
États-Unis rejettent la demande française de renégociation de l’accord de mars 198729. L’arrivée à la
présidence des États-Unis de Bill Clinton va infléchir le cours de la controverse : la directrice du NIH
est remplacée (par le docteur Harold Varmus), l'enquête de l’ORI débloquée et les négociations pour
une réévaluation des royalties sur les tests reprises. En décembre 199230, le professeur Gallo,
disculpé de toute accusation de vol, est reconnu coupable — par le Bureau de l'intégrité de la
recherche (ORI) du ministère de la Santé — de « mauvaise conduite scientifique » pour avoir omis de
créditer les apports de l’équipe de Montagnier dans ses propres travaux31. Gallo fit ensuite appel de
cette décision. En novembre 1993, l’ORI choisit d’abandonner l’enquête avant même que Gallo ait
été entendu par le bureau d’appel : Popovic ayant été disculpé de toute faute quelque temps
auparavant par le bureau d’appel, l’ORI — comme tous les observateurs — anticipa qu’il en serait de
même pour Gallo32,33.

En janvier 1994 l’Inspecteur Général du HHS préconise que Gallo soit poursuivi — au pénal — par le
procureur des États-Unis de l’État du Maryland qui refuse de se saisir de l’affaire.

Finalement, et à la suite notamment d'un Investigative Memorandum de l’inspecteur général June


Gibbs Brown daté du 6/10 juin, des institutions fédérales américaines reconnaissent, le 11 juillet
1994, que la découverte du VIH est purement française et que Robert Gallo est coupable de fraude
scientifique22. Ce même 11 juillet, le conseil d’administration de la Fondation franco-américaine
(créée par l’accord de mars 1987) reconnaît la priorité des chercheurs français et institue une
répartition des redevances plus favorables à l’Institut Pasteur. En octobre 2010 cette affaire connaît
un nouvel épisode mineur opposant l’Institut Pasteur aux laboratoires Abbott34. La reconnaissance
de cette paternité est confirmée en 2008 par le Comité Nobel, lorsqu’il attribue le Prix Nobel de
Médecine à Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi, sans mentionner les travaux de Robert Gallo
sur le sujet35. Lors d’un entretien, peu de temps après l’attribution des Nobel, Robert Gallo se
déclare « déçu » de ne pas être également honoré, mais considère que tous les récipiendaires
méritent ce prix36.

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