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TRAITÉ DES ...
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OBJETS MUSICAUX PlERRESVIVES
ESSAI INTERDISCIPLINES
Nouvelle édition
SEUIL
DU �ME AUTEUR
ÉDITIONS DU SEUIL
�7, "" JtUOb, Paris VI•
tmN 2-oz-ooa6o8-z
9
TP.AI'ri DES OBJETS MUSICAUX
11
TRAITÉ DSS OBJETS MUSICAUX
u
AVANT-PROPOS
s'élargir. Les faits nouveaux qui sont su.rvcnus soat moins connus
du gnnd public, plus mal connus des amateurs que ne le sont,
en peinture par exemple, le surréalisme, le cubisme, l'art a�t
ou l'influence grandissante que prennent, dans chaque Musée
imaginaire, les arts prinùtifs. lis n'en sont pas moins de nature
à bouleverser la musique, non seulement dans ses manif�ations,
mais aussi dans ses principes.
1. Litœrakment " m!lodie de tlmbies ", qui co.osifte en une ,uceession de son5
de � hauteur, mais de timbces difl'âults.
16
SITUATION HISTORIQUE DE LA MUSIQUE
17
TRAiri DES OBJETS WS!CAUX
18
SITUA.TlON ms ·roRIQUE DE LA MUSlQUB
_____________
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TRAITÉ DES OBJETS MUSICAUX
LA MUSIQUE A PRIORI.
-
SIIUATION HISTORIQUE DE LA MUSIQUE
--------------------
-------------
TIUI'Œ DES OBJETS MUSICAUX
LA MUSIQUE CONCRBTB,
•
SITUATION HISTORIQUE DB LA MUSIQUE
1. 11s'agit d'un sillon refermé sur lui-~me, isolant par conséquent un fragment
d'enregistrement, dont l'écoute peut se r!pétcr indéfiniment.
z. Par opposition au monde extérieur m1l11r1I,les valeurs sont des normes élaborées
au sein d'une colle8ivité t1tlt11TeU,déterminée.
3. Par objet sonore nous désignons ici le son lui-m!me, considéré danssa nature
, et non pas l'objet matériel (innrumcnt ou· dispositif quelconque) dont il pro-
s11nor1
vient.
TP..AITÉ DES OBJBTS MUSIC.AUX
LA MUSIQUE EXPÉRnfBNTALE.
2.j
TRAITÉ DES OBJETS MUSICAUX
LE NO MAN'S LAND,
2.7
TRAITÉ DES OBJETS MUSICAUX
------·.
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i
SITUATION HISTORIQUE DE LA MUSIQUE
Il
. ···--·----- --------
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d'enten3re des sons depuis que notre sens de l'ouie s'eft éveillé, ;
et il ne s'eft pas éveillé dans n'importe quelle époque ni dans
n'importe quelle civilisation.
Des objets aux §truétures, des fuuétures au langage, il y a donc
une chaine continue, d'autant plus indiscernable qu'elle nous
eft absolument familière, spontanée, et que nous y sommes entiè-
rement conditionnés. On retrouve ainsi le second aspea du
magnétophone, q1,1'onavait tout d'abord pris pour une machirie
à faire des sons, à les assembler, à créer des objets nouv~ux, voire
de nouvelles musiques. C'eft aussi, c'eft d'abord (pour la recherche)
H
•
TRAitt DES OBJETS MUSICAUX
une machine à observer !es sons, à les " décontexter ", à redécouvrir
les objets traditionnels , à réécouter la musique traditionnelle
d'une autre oreille, d'une oreille sinon neuve, du moins aussi
déconditionnée que possible .
Il faut bien comprendre ici la dissymétrie de l'emploi. Dans
le sens du faire ou même de l'analyse du sonore, le magnétophone
e~ un outiJ de laboratoire ou de lutherie. Il trav2ille au niveau
élémentaire, mettons celui des objets. Dans le sens de l'entendre,
le magnétophone devient un outil à préparer l'oœille, à lui ména-
ger un écran, à lui créer des chocs, à lui lever des masques. Le
magnétophone, pas plus d'ailleurs qu'aucun appareil acou~que,
ne peut dispenser d'un travail de pensée sur l'écoute, mais il
en prépare les voies par de nouveaux contextes. Grâce à lui, on
peut se demander pourquoi, et comment, et au moyen de quelles
références (ance~rales, traditionnelles, conventionnelles, natu-
relles, etc.) on entend.
Ce mécanisme pourra surprendre et on pourra même se deman--
der le sens de ce propos sibyllin que le magnétophone peut placer
l'oreille hors des contextes habituels . Ne re~itue-t-il pas fidè-
lement ce qu 'on lui a fait enregi~rer? Ce phénomène surprenant i.
dans sa simplicité n'a rien de proprement technique; pour le l
J4
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..... - . ------- --- -----
LA RECHERCHE MUSICALE.
3S
TRAITÉ DES OEiJBTS MUSICAUX
On ne doit pas se méprendre sur une telle attitude. Non seule- ~ '
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'fRAITÉ DE.S 013JE TS MUSICAUX
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LIVRE I
FAIRE DE LA MUSIQQE
I
LE PRÉALABLE INSTRUMENTAL
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PAIRE DE LA MUSIQUE
1 , 2. LA MUSIQlJE DE NEANDERTAL.
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LB PRÉALABLE. lNSTRtJMJ!.NT.AL
t ,$• LB PAR.ADOXEINSTIWMENTAL:
NAISSANCE DE LA. MUSIQUE,
Une seule calebasse sans doute n'e-0.t pas suffi. Mais deux, trois
calebasses ? Le signal, qui renvoyait à l'ustensile, forme pléonasme,
s'annule pa: répétition . Seuls demeurent les " objets sonores "
perçus en tout désintére.ssement qui " sautent à l'oreille" comme
quelque chose de totalement inutile, mais dont l'~ence cepen-
dant s'impose et suffit à transformer le cuisinier en musicien expé-
rimental
Il vient de découvrir, liée à sa propre aétivité et a,1corps sonore,
mais aussi, puadonlement, indépendante d'eux, /a M.1ui(jtll - ·i
1
car c·~ bien d'elle déjà qu'il s'agit - et, du même coup, la possi-
bilité dejou,r de ce qu'on appellera plus tard un ini1r11111mt. l
ExP.liquons-nous. L'aélivité infuu.mentale, cause visible et 1
11
première de tout phfoomène musical, a ceci de particulier qu'elle
tend avant tout à s'annuler comme cause matérielle. Et cela de
deux manières :
La rlpllilio11du même phénomène causal, par saturation du
sigoal, fait disparaître la signification pratique de cc signal (par
exemple, tel objet frap~ tel autre de telle façon) et propose une
aaivité désintéressée: c ~ le passa~e de l'wtensile à l'i.nftrwnent.
au sein de la répétition causale, de q,MHJI#
La "'1rittlio11, ,1»11dl :·
p,r,,ptibû,accentue le caraélère désintéressé de l'aaivité par rap-
port à l'i.nftrwnent lui-même et lui donne un nouvel intér~t, en
créant un événement d'une autre sorte, événement que nous sommes
bien obligés d'appeler musical. De la musiq,uc, ce sera la défini-
tion la plus simple, la plus générale et la moins préconçue. Mbnc
si le ;oueur de calebasse ne sait pas encore en ;oucr, n'exprime
rien ou ne se &.it pas comprendre, il " fait de la musique ". Qge
ferait-il donc d'autre ?
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I.-E PRÉALABLE INSTRUMENTAL
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FAIRE I>B LA MUSIQUE
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l -E PRÉ.ALABL~ INSTRUMENTAL
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FAIRE DE LA MUS!QUE
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l.B PRÊ/ü,lù3LE INSTRUMENTAL
49
FAIRE DE LA MUSIQUE
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Une fois découverte une sow:ce sonore, deux sottes de possi-
bilités s'offrent au luthier : répéter la m~me source et la multi-
plier en divers calibres ou, au contraire, r~er sw: la m~me source
1. La {ma B.ucHBT~lent très jdemcnt d'adapweun plutôt qµe de raooa-
tmn: c'dt le dispositifqwcouple le vibrateur à l'air, en tenant compte des i~
acoatlJques.
----------------
-----~
PAIRE DB LA MUSIQUE
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JOUER D'UN INSTRUMENT
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PAIRE DE LA MUSIQUE
2, 6. L'INSTRUMENT ÉLBCTRONIQUE.
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FAIRE DE LA MUSlQUE
2, 7• LA MUSIQUE CONCRÈTE .
59 1·
------------------
PAIRE DE LA MUSIQUE
6o
JOUBR D'UN INSTRUMENT
1. Qge dfoonce, non sans r:tison, John CAGf, mal informé de notre position .
6.t
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FAIRE DE LA MUSIQUE
,. Cf.Unem
œrrrmezrzz · · t ,r fll
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JOUBR D'UN INSTRUMBNT
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-1
le sous-produit d'un jeu de paramètres, l'autre une simple juxta-
position d'objets .
a) Excès de timbre.
Des sons accélérés ou ralentis sans précaution font apparaître
une variation si liée à la cause qu'il n'y a plus dissociation des
deux, et donc elus, à proprement parler, d'équilibre entre perma-
nence et variation. L'tn~ment ~ nié dans sa définition même.
Il ne se fait plus oublier, il impose sa présence comme événe-
ment. Nous sommes en dehors de l'épure musicale. C'~ ainsi
que tout cc qui évoque sans précautions le trainage mélodique
des sirènes semblera toujours un corps étranger au discours musi-
cal, encore qu'il puisse être parfaitement jurufié comme ~ruéture.
Si l'accéléré et Je ralenti affeétènt à Ja fois le rythme et la tessi-
ture de l'objet, la relation permanence-variation semblera si rigide
que l'événement, avec ou sans effet de sirène, apparaîtra comme
un truquage, c'~-à-dire totalement lié à la causalité, privé de la
liberté nécessaire à la musique.
On voit à quelle extension de sens nous entraîne notre défi-
nition du timbre, permanence in~rumentale. A.musons-nous
à la rapprocher de sa définition traditionnelle, à propos de ce qui,
pour nous, représente" le timbre de l'accéléré". Si nous accélérons
un son de voix ou de piano, en prenant soin d'éliminer l'effet
rythmique parallèle, rien ne sera changé selon les acomticiens :
seule ~ opérée une translation de l'ensemble du speétre des
fréquences. Le timbre du son considéré, caraaérisé pour eux
66
-
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JQUBR D~UN L1'lSTRUMENT
-; .
•1
b) Excès de regiflre
.
Corollaire de la remarque précédente : une registration qui
dénonce l'in§trument au lieu de modeler l'objet, se fera également
entendre comme un effet d'appareil (encore un timbre si l'on veut).
Un filtrage, par exemple, peut être présenté comme l'emploi
d'une regi§tration. Dans le processus de synthèse, on va combtner
tel ou tel groupe de fréquences en vue d'un objet ultérieur. Dans
le processus d'analyse, appliqué à un objet antérieur, on va extraire
par filtra$e tel ou tel groupe de fréquences. Résultat ? Identique
parfois, s1 l'on a pratiqué le filtrage grossièrement ou intensément.
C'est le filtrage qu'on entend. La causalité opératoire s'impose
plus que la variété exposée dans les objets ainsi fabriqués. Conten-
tons-nous pour l'in~nt de signaler, sans l'expliquer, cet étrange
phénomène. L'opération oblitère l'objet, le aégrade, le marque
ae son timbre, au sens indésirable du terme.
c) Excès deje11.
Les analyses précédentes rendent déjà compte de certaines simi-
litudes qui n'ont pas tardé à se mmif~e.r, au cours des premières
PAIRE DE LA MUSIQUE
m
CAPTER LES SONS
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~-
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J, I, PARADOXE DE LA TROUVAILLE.
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Tandis que les publications des demièrcs décennies ont attiré
j l'attention sur les iœtrumcnts nouveaux issus de l'élcétton -
du théréminc au mixtur-trautonium en passant par le Martenot
l'
- je ne connais en vérité guère de textes qui aient mis en relief
l'étonnante révolution qu'a représentée i'mregistr1111mt des sons.
C.Ommeil arrive souvent dans ce genre d'aventures où la machine
offre, à la fois brusquement et progressivement, un potentiel
nouveau à l'afüvité humaine, on n'eut pas le temps de s'étonnct
1
:1
de la trouvaille, tant on était occupé dijà à la pcrfefüonner. Du
cylindre à la cite, du pavillon au baffle,du gramo au pick-up,
du 78 tours au Jongplaying,de l'ébonite à la vinylite, du phono
au magnéto, de la mono à la §téréo, cc fut, depuis Edison et Char-
les Cros, un long chemin, avec ses haltes, ses surprises, ses dq,as-
scments. Ces erogrès furent si voyants que le phénomène lui-meme
~pa. D'àilleurs, la trouvaille, à ses débuts, était si fru§te,
si éloignée apparemment de tenir ses promesses, qu'il &llait une
foi rol:iu§te,une imagination vive, pour escompter des développe-
ments que - scmble-t-il, aujoUl'd'hui - tout le monde aurait
d\\ pi:évoir.
Ainsi le pamdoxe dt celui-ci: lorsque s'affirmeun principe nouveau :1,
. t
trahi par ses premières réalisations, les contemporains entrevoient
bien, à la faveur d'un premier émerveillement, ses implications
bouleversantes; mais tout aussitôt ils s'en détournent,remcttant
à plus tard d'en vérifier la généralisation, pour s'attacher aux
preuves, aux résultats immédiats. Puis, le proc:èssUs technique
une fois engagé, ils ne prêtent plus attention qu'au segment
FAIRE DE LA MUSIQUE
71
•
PAIRE DE LA MUSIQUE
ner sur ses propres traces et les interpréter. Pour voir éclore pres-
que insidieusement une nouvelle attitude d'observation du
phénomène musical, la radiodiffusion dut se dépasser elle-même.
Elle en offrait les circon~nccs hi~oriques : fuldios, financement,
présence surtout d'un personnel tout différent des musiciens
traditionnels, quoique spéciali~e, lui aussi, du son. Négliger
l'analyse de cette situation hi~orique serait se priver, dans l'étude
que nous entreprenons, d'un puissant ~lk·
Q!!e s·~-il donc passé depuis que l'appar · ge de prise de son,
joint à celui de l'enregifuemcnt et à celui de la radiodüfusion,
a répercuté à tous les échos de la planète le son du violoni~ ou
la voix de la chanteuse en §tudio ?
On a vu se manif~er deux courants de recherche pratique,
également modernes et également anachroniques. Modernes
parce qu'Hs utilisaient et perfeénonnaient sans cesse de nouvelles
inventions, anachroniques parce qu'ils ne laissaient guère le loisir
de réftéchir aux postulats, négligeaient la recherche fondamentale
pour une technologie Mtive des applications.
L'une de ces recherches tentait la reproduaion intégrale du
champ acousti~ue à trois dimensions: c'dt celle qui mène à la
~éophonic. L autre, celle de la ense de son, qui vint en premier,
dut triompher, dans le cadre exigu de la monophonie, de diffi-
cultés singulières. Elle mit en évidence, peu à pe~ l'habileté qu'il
fallait aux praticiens de ce nouvel art. Comment expliquer que ces
deux recherches n'aient pas apporté, dans les idées musicales, le
renouveau dont on les juge capables apr~ coup, ni des clartés
suffisantes sur la nature m~me de leur propre entreprise? C'~
un peu comme si on avait pensé à pcrfeéüonner la loupe en micro-
scope sans s'interroger sur la façon particulière dont ce
prolongement de la vision permettait l'approche de l'infinimeot
petit, laquelle pose le problème des préparations (coupes, éclai-
rages spéciaux) et des exigences et des toMranccs de l'œil (pouvoir
s~parateur, grossissement maximum, etc.). A cette lacune impor-
tante, cet ouvrage tente de rem~dier.
'·'
a.
r.
blantC$ e~rienecs de pseudo-sté~phoaie réa~
T"
par exemple l'article de R. Kot.BEN: S11rtopl,o1111~
rapportant les trou·
pu H. Sdlcn:hcnà puûr d'enie-
gift.rcmeots mooophoniques (Gr-saMr B/att,r, I9J9, aO IJ),
-~- -- -- _______.
3, j. D'UN CHAMP SONORE A L' AUTI\B.
Un orchefue joue dans une salle: Ailleurs, plus tard, gravé sur
disque, ce même orchdtre joue pour un auditeur, chez lui. Comme
tout porte, de la technique au commerce, à faite croire à l'auditeur
qu 'il possède prati~uemcnt cet orchefüe à donùcile, on ne s'éton•
nera pas que tout 1accent ait été nùs, par une sorte de convention
sociale, sur la fidélité,et que rien de bien clair n'ait été pensé sur la
transformationque représente la su~tution d'un champ sonore
à un autre.
Ajoutons que le secret n'est si bien gardé que grâce à la compli·
cité de notre oreille : cet étonnant organe est tout aussi capable de
nous faire saisir des nuances avec raffinement que de nous masquer
des évidences : cette sub§titution d'un univers sonore à un autre,
cc bouleversement des règles d'unité de temps et de lieu doivent bien
avoir leur importance. Comment se fait-il que le tour de passe-
passe semble si parfait, que l'orcb~e vienne jouer chez nous
comme si de rien n'était?
Pour etre complète, une réflexion sur ce sujet doit, au départ,
tenir compte des données physiques comme des données psycho-
logiques. Le changement de champ a en effet des incidences sur les
deux plans. N'oublions pas que l'audition ne se fait pas sans l'au.
diteur ; lui aussi est ailleurs et après, comme le son reproduit.
A l'occasion des phénomènes qui apparaissent les plus objefüfs au
moment de l'enregifuemcnt, on verra <JUC des fa&urs psycholo-
giques interviennent de façon plus· décisive que ne le font les hertz
ou les décibels.
Comment nous y prendre alors si nous devons tout aborder à
la fois, une réflexion psychologique et certaines descriptions phy-
siques des phénomènes ? Renvoyant au livre IV pour la notion
d'objet, nous nous en tiendrons pour l'io~nt à une description
en termes usuels de la transformation psycho-acouruque due à
l'enregi~ement des sons. Les praticiens du son s'y retrouveront
aisément Nous ne rappelons ici que des faits qu'ils connaissent
fort bien. Si nous ne leur apprenons rien, ils nous en excuseront:
en pensant que nombre de lcéteurs ignorent presciue tout de cetté
expérience récente et capitale, de la transfonnauon d'un champ
sonore en un autre.
74
1wrt
CAPTER LES SONS
a. <:eue
foia.au aemde Ill psychologie.
a) Transformation
d, l'eifau, tUoldliqm.
D'un espace acou§tiquc à quatre dimensions 1, on tire un espace
à une dimension, dans le cas de la monophonie, ou à deux dimen-
sions dans le cas de la ftétéo. Considérons le cas de la monophonie,
plus significatif. Le ou les microphones, quels que soient leur em-
placement et le dosage de leur mélange, livrent 6.nalement 11111
modulation, c'eft-à-dire un courant éleB:rlque qui représente la
sommation des clliférentes vibrations acowtiqucs captées parchacun
d'eux. Supposons, pour simplifier, un seul microphone : il cft le
point de convergence de tous les " rayons " venant des points
sonores de l'espace environnant. Après les diverses transformations
élcfuo-acou~ques, tous les points sonores de l'espace initial se
trouveront conc:lcnsésdans la membrane du haut-parleur: cet espace
~ remflacé par un point sonore, lequel va engendrer une nouvelle
répartition sonore dans le nouvel espace du lieu d'b:outc. En tout
cas, l'étagement des sources dans l'espace initial n'eft percertible
dans le .. point sonore ., qu'eft le haut-parleur que sous forme de
différences d'intensité : dans le haut-parleur, le son n'eft pas plus
ou moins loin, il eft plus ou moins fafülc, selon que le rayon qui le
liait au microphone était plus ou moins long.
1. Trois dimenslooa
spadala plua l'i~
77
FAIRE: DE J,A MUSIQUE
b) Tra1uformatio11
d'ambiance,011J'éco111,
inleUig,nl,.
On ne peut rappeler le phénomène précédent, purement phy-
sique, sans le lier intimement à l'espace subjeélif de l'écoute : on
comprendrait mal la profonde transformation du son si l'on ne
tenait pas compte de la transformation de la perception de l'auditeur
"indirea "pax rapport à celle de l'auditeur" direa ". Ce dernier,
présent au phénomène sonore, l'écoute avec ses deux oreilles, dans
l'enceinte acou~que d'origine, à l'imtant où ce phénomène se
déroule, et son audition s'accompagne de vision, entre autres
perceptions concomitantes. L'auditeur " indirea " écoute bien
aussi avec ses deux oreilles, mais à partir du point sonore qu'~
Je haut-parleur, dans une enceinte différente,loin de l'in~ant, des
circon§tances et du lieu où s' ~ produit le phénomène original. Il
n'a le secours, ni du spectacle, ni d'aucune autre manifestation
directe de l'environnement.
Pour être autant de vérités de La Palisse, ces con§tatations n'en
sont pas moins lourdes de conséquences souvent mal aperçues,
qui se présentent sous deux aspeas :
ainsi dans le haut-parleur final un produit qui n'a pas été séleaionné
comme il l'aurait été en diretl: par nos deux oreilles dans une écoute
a8:ive. C'~ ainsi que les salles qui nous paraissaient convenables
à l'écoute direae semblent à l'écoute indire8:e douées d'une réver-
bération apparente qui peut les rendre impropres à la pn.·ssede son.
De là les pr~utions prises dans les ~dfos âe radiodiffusion. On
peut d'ailleurs faire approximativement l'expétjence de la réverbéra-
tion apparente et de la non-localisation en se bouchant une oreille
et en conftatant la confusion qui en résulte.
Le terme cl' " écoute intelligente ,, désigne, chez les praticiens,
l'ensemble de ces affivités de l'oreille en direa, que découvrent
avec tant de surprise les débutants en prise de son. Tandis que les
autres perceptions, notamment visuelles, interviennent dans l'a~-
préhension du ,onlen11 du son, i1 faut bien admettre que l'œil n a
aucune part dans cette écoute sélefüve du son direa et du son ré-
verbéré, qui rend si claire. notre audition dans les salles cependant
déjà fort réverbérée s. Le pai:ado:Keveut qu'on dise que de telles
salles out une " bonn e acousüque " précisément parce que la
voix des chanteur s s'y amplifie, ce qui prouve bien que l'oreille
s'aide aussi des sons r~verbérés.
Q!!clle que soit d,ailleurs l'inte,:prttation des physiciens, les
faits sont là: à l'écoute dire&, à deux oreilles, les salles ont moins
de réverbération ~pparente qu'à l'écoute après passage par une
chaîne éleéb:o-acouft.ique. Comtatation toute simple, dont le mys-
tère n'dt pas si aisément élucidé.
b) Transformation du contenu :
Il eSl:plus surprenant peut--être, mais sans doute moins embarras-
sant, de conftater que dans un enregi~rement nous nous mettons
à entendre bien des choses que nous n'entendions _easdans l'écoute
direéte : bruit de fond, bruits parasites, toux du voisin, incidents de
l'orch~ce, voire fautes ou fébrilités de l'exécutant.
C'~ que l'auditeur ~ présent tout entier avec tous ses sens
lorsqu'il écoute en direa. On a cherché à expliquer en vain et bien
sottement la supériorité du direét par quelque ümrmité des machi-
nes à reproduire le son. Les machines sont inanimées : c'eft nous
qui avons des nerfs, des sens, une conscience, qui choisissons
parmi les milliers d'informations hétéroclites qui nous traversent,
même dans la salle de concert la plus recueillie. Dans l'écoute
indire8:e, l'aaivité de l'auditeur s'exerce dans un tout autre con-
texte. Q_g•onne s'étonne pas d'une transformation du champ psy-
chologique, plus radicale ·encore que celle du champ aco~que.
79
J, 8. PROPB.Œ'fts DU SON ENREGISTRÉ.
f.
CaJrag, (plans) 11 groui111111111t
(détails).
Conséquences à la fois de ces deux aspe& de la transformation :
celle du champ acowtique et celle du champ psycholo~que,
indiquons quelques propriétés du son enregifué, apparrussant
désormais comme objeétivcs.
L'espace à trois dimensions est devenu espace à une dimension,
mais s1 on a perdu quelque chose (l'écoute intelligente localisée),
on a gagné, en revanche, autre chose : le grossissement, d'une part,
qui cons~e à entendre le son " plus grand ~ue nature ", et le ca-
drage,d'autre part, <Juiconsiste à "découper' dans le champ auditif
un se&ur pnvilég1é.
On retrouve ici, bien sûr, les expériences déjà connues et com-
prises, depuis la photographie, dans le domaine visuel. On sait que
si la photo~raphie nous prive de la fluidité de la vision, elle nous
apporte, à 1intérieur d'un cadre (qui nous cache fort heureusement
le reste),une fixation sur l'objet, sur un détail de l'objet, dont, par
ailleurs, elle grossit les dimensions autant qu'on le veut. Pour liés
qu'ils soient en pratique, ces deux pouvoirs sont bien diftinéb :
par le grossissement, faéteur positif, on nous " donne à voir "
ce qu'on ~e voyait pas: le grain de la peau, le détail d'un sourcil.
Par le cadrage, on nous dispense de voir le reste, on fixe notre
attention sur ce qu'il faut voir.
Il en sera de m~e du son. Mais comment? D'abord, les Jimen.-
sionsdu son vont changer, par un simplecoup de potentiomètre, et
du m~me coup la source va se présenter au loin, ou dans un plan
moyen, ou en gros plan. D'autre~ à quoi le ,adrag,correspon-
dra-t-il ? Il consi~era en premier lieu à avantager une source, prise
de près, au détriment des autres, éloign~ : c'~ là l'opération la
plus é16nentai.re. Mais il y a plus subtil : dans l'écoute dire&, on
n'a jamais l'oreille dans la table d'harmonie du piano, ou collée
à l'âme du violon, ou à la glotte du chanteur; or, le nùcro peut se
permettre ces approches indiscrètes et non seulement donner des
gros plans d'intensité, mais être placé de telle façon que les pro-
portions internes du son en seront renouvelées. C'~ ici que le
micro prend sa revanche : si l'on peut dire qu'il n'a pas, comme
80
CAPTSR LES SONS
FAIRE DE LA MUSIQUE
1
CAPTER LE.S SONS
-1-
PAIRE DE LA MUSIQUE
3, I }• LB THÈM E BT LA VERSION .
h 16 . RIEN DE SI NOUVEAU.
: .
..
. ,..,
IV
L' ACOUSMATIQUE
L' ACOUSMATIQUE
r
4,}• LE CHAMP ACOUSMATIQUE -
a) La purt éro/111.
Pout le musicien traditionnel et pour l' acoufticien, un aspea
important de la reconnaissance des sons consi~e dans l'identi-
fication des sources sonores. Lorsque celle-ci s'effeau.e sans le
secours de la vue, le conditionnement musical en dt bousculé.
Surpris souvent, incertains parfois, nous découvrons que beau-
coup de ce que nous croyions entendre n'était en réalité que vu,
et expliqué, par le contexte. C~ ainsi qu'on peut confondre, à la
limite, certains sons produits par des imtruments aussi différents
que des cordes et des vents.
b) L'l,011/edes effets.
i A force d'entendre des objets sonores dont les causes inftru-
1
mentales sont masquées, nous sommes conduits à oubliez ces
-! dernières et à nous intéresser à ces objets pout eux-mêmes. La
1 dissociation de la vue et de l' ouie favorise ici une autre façon
! d'écouter: l'écoute des formes sonores, sans autre propos que de
mieux les entendre, afin de pouvoir les décrire par une analyse
du contenu de nos perceptions.
A vrai dire, la tenture de Pythagore ne suffit pas à décourager
une curiosité des causes à laquelle nous sommes in~inéHvcment,
93
PAll\E DE LI\. MUSIQUE
94
4,4. DB L' OBJET SONORE. : CE QU'IL N 'EST PAS.
______....._
__ _;,_________ J
FAIRE DE LA MUSIQUE
c) Le.r ml111e.r
q11elq11es ,entimètresde bamlemal/flliq11e pe11Venl ,ontm,r
d'objets J'Oltore., diffirentJ.
une q11t:J11tité
Cette remarque découle de la précédente. Les manipulations
que nous venons de mentionner n'ont .pas modifié 1111 objet
sonore ayant une exi~ence intrinsèque. Elles en ont çrli J'QJJ/r11.
ll y a, bien entendu, ,o"élation entre les manipulations qu'on fait
subir à une bande ou ses diverses conditions de letture, les condi-
tions de notre écoute et l'objet perçu.
Corcélation simple ? Non point, il faut s'y attendre. Supposons,
par exemple, que nous écoutions un son eoregifué à la vitesse
normale, puis ralenti, puis de nouveau à la vitesse normale . Le
ralenti, agissant par rapport à la ~ruaure temporelle du son à la
manière d'un verce grossissant, nous aura permis de discerner
certains détails, de grain par exemple, que notre écoute ainsi
alertée, informée, retrouvera dans le second passage à vitesse
normale. Il faut nous laisser guider ici par l'évidence, et la manière
meme dont nous avons dû formuler notre supposition nous diae
la réponse : il s'agit bien ici du 111l111e objet sonore soumis à diffé-
rents moyens d'observation, que nous comparons à lui-meme,
original et transposé. Mais ce qui en fait un m~me objet, c'~
précisément, notre volonté de comparaison (et aussi le fait que
l'opération que nous Jui avons fait subir, dans cette m!me inten-
tion de le comparer à lui-même, l'ait modi1ié sans pour autant le
rendre méconnaissable).
Proposons maintenant ce son ralenti à un auditeur non pré-
venu. Deux cas peuvent se présenter. Ou bien l'auditeur recon-
ruût encore l'origine imtru.mentale et, du mbne coup, la mani-
pulation. Il y aura pour lui 1111e sonoreoriginal,q,l il n'entmdpm
so11rçe
dfeélivement, mais à laquelle, néanmoins, son écoute se réfère :
cc qu'il entend effeaivement dt 1111et1ersiontraniposle. Ou bien il
n'identifiera pas l'origine réelle, ne soupçonnera pas la transpo-
sition, et il entendra alors 1111objll sonoreoriginal,et qui le sen dt
plnndroit. (Il ne peut s'agir d'une illusion ou d'un manque d'infor-
mation, puisque dans l'attitude acousmatique nos perceptions ne
peuvent s'appuyer sur rien d'extérieur.) Inversement, pour nous
qui venons de soumettre l'objet sonore à une ou plusieurs trans-
positions, il dt probable qu'il y aura un objet unique et ses dUfé
96
L 1ACOU SMATIQUE
____
___________
;.._____________
..
97
......
":W
,.
\ .: On passe ainsi du " faire " à P " entendre ., par un renouvelle-
ment de l' " entenche ,, par le " faire ,,• C'~ en quoi le livre sui•
vant pourra confronter à son tour aussi bien les plus anciennes
définitions de l'entendre que les plus nouvelles façons de faire
entendre.
LIVR.E lT.
ENTENDRE
1 J
.......
5 ,2. Ou!R.
- 104
__l
LE " DONNÉ A ENTENDRE "
IOJ
L
L }· ÉCOUTER .
·'
Mais supposons à présent que j'écoute cet interlocuteur. C'~
dire, par la même occasion, que je n'écoute pas le son de sa voix.
Je me tourne vers lui, docile à son intention de me communiquer
quelque chose, prêt à n'entendre, de ce qui s'offre à mon ouïe,
que ce qui a valeur d'indication sémantique. D a, par exemple,
un accent du Midi qui a pu m'amuser, lorsque j'ai fait sa connais-
sance, que je remarque encore lorsque je le retrouve après une
absence, qui me difuait alors de ses discours les plus sérieux,
mais qu'à l'in~t présent je néglige. (Pourtant, lorsque je me
remémorerai cette conversation, non point intelle&ellement,
pour récapituler les éléments échangés ou en tirer des conclusions,
mais spontanément, en revenant plus tard à l'endroit -où elle a eu
lieu, par exemple, je retrouverai, non seulement les propos tenus,
mais aussi cet accent d'un certain Midi, ce phrasé particulier,
cette voix que je reconnais sans hésitation paf!DÏbeaucoup d'autres,
à un ensemble de caraaères que je n'avw donc pas cessé d'ouîr,
même si je suis parfaitement incapable de les analyser.)
Écouter, nous venons de le voir, n'c§t pas forcément s'intéres-
ser à un son. Ce n'c§t m!me qu'exceptionnellement s'intéresser à
lui, mais par son intermédiaire, viser autre chose.
On en vient même, à la limite, à oublier ce passage par l'ouïe.
Écouter quelqu'un devient alors pratiquement synonyme d'obéir
(" Écoute ton père 1 ") ou d'accorder foi (ainsi Pacuvius nous
recommande-t-if de ne point écouter les aftrologues, même si
nous ne pouvons nous dispenser de les ouir). Écoutant ce qu'on
me dit, je tends, à travers les paroles, mais aussi au-delà d·une for-
mulation qui peut être imparfaite, vers des idées que je m'efforce
de comprendre .
J'écoute une voiture. Je la situe, ~e sa di~ce, en recon-
OaJS éventuellement la marque. ~e sais-je du bruit qui m'a fournf
cet ensemble de renseignements ? La description que j'en ferais,
si on me la demandait, sera d'autant plus pauvre qu'il m'aura
renseigné plus sllrement et plus rapidement.
Par contre, c'clt bien précisément au bruit de la voiture que je
prête l'oreille si cette voiture c§t la mienne et s'il me semble 9ue le
moteur" fait un drôle de bruit". Mais mon écoute rclte utilitaire,
106
LB " DONNÉ A ENTENDRE "
j, 4. ENTENDRE.
a) Ollir.mtenàre
.
Commençons -par observer qu'il m'clt pratiquement impossible
de ne pas exercer de séleaion clans ce que j' ouîs. Le fond sonore
n'dl: pas ercmïcr; il n'dt tel que dans un ensemble organi,é où
il a effeaivement ce rôle. Aussi longtemps que je suis occupé
par ce que je regarde, cc que je pense ou cc que je fais, je vis en
fait dans une ambiance indifférenciée, ne percevant guère ~u·une
qualité ~lobale. Mais si je rdl:e immobile, les yeux fermés, l esprit
vacant, il dt bien probable que je ne maintiendrai pas plus d'un
instant une écoute unpartiale. Je _situe les bruits, je les sépare par
exemple en bruits proches ou lointains, provenant du dehors ou
de l'intérieur de la pièce, et, fatalement, je commence à privilé-
gier les uns par rapport aux autres. Le tic-tac de la pendule s'im_posc,
m'obsède, efface tout le reste. Malgré moi, je lui impose un .rythme:
temps faible, temps fort. Impuissant à détruire ce .rythme, j'essaie
du moins de lui en substituer un autre. J'en suis à me demander
comment j'ai jamais pu dormir dans la mtme pike que cette
exaspérante pendule... et pourtant, il suffit qu'une voiture dans
la rue freine brutalement pour me la faire oublier. A présent,
pour ce que j'en sais, la pièce où je me trouve pourrait bien ttre
107
i...
ENTENDRE
b) 'b,011/er-tnlendre.
Q!!e va-t-il se passer daos le cas où, au contraire, j'écoute pour
entenche, soit parce que j'ignore la provenance de l'objet sonore,
ce qui m'oblige à passer par sa description , soit parce ql1c je veux
ignorer cette provenance et m'intéresser exclusivement à l'objet?
On aurait bien tort de croire que celui-ci va se révéler à moi,
avec toutes ses qualités, parce que je l'aurai tiré de l'arrière-plan
dans lequel je le reléguais : je vais continuer à exercer des sélec-
tions successives, à envisager tour à tour tel ou tel de ses aspeéts.
C'~ ainsi que, lorsque je regarde une maison, je la place dans
le paysage. Mais si je continue à m'y intéresser, j'examinerai
tantôt la couleur de la pierre, sa matière, tantôt l'architcéhu:e,
tantôt le détail d'une sculpture, au-dessus de la porte, je reviendrai
ensuite au paysage, en fonfüon de la maison, pour con.ftater qu'elle
a une " belle vue ", je la verrai une fois de plus dans son ensemble,
comme je l'avais fait au début, mais ma perception sera enrichie
pat mes invcltigations précédentes, etc. Il clt, de plus, à peu près
hors de mon pouvoir de la regarder du meme œil que si c'était
un rocher ou un nuage. C'~ une maison, une œuvrc humaine,
conçue p<>u.r abriter des humains. C'~ en fonai.on de ce sens que
je la vots et l'apprécie. Et mon cnquete, ainsi que mon apprécia-
-- Jo8
__,,,,, ""'!.
~ -..,
LE " DONNÉ A. ENTENDRE ,,
tion, seront ég-alement différentes, selon que mon œil sera celui
d'un futur propriétaire, d'un archéologue, d'un promeneur ou
d'un esquimau connaisseur en igloos.
Nous trouverons dans le chapitre suivant une approche (>lus
détaillée du processus de l' é,011tetpalijile, dont la diversité ttent
donc à une loi fondamentale de la perception qui ~ de ~rocéder
" par esquisses ,, successives, sans jamais épuiser l'objet, à la
multiplicité de nos connaissances et de nos expw.ences antérieures
(en fonaion desquelles l'objet se présente <l'embl~ avec diffé-
rents sens ou signmcations), et à la variété de nos intentions
d'~oute, de ce vers quoi nous tendons. Contentons-nous ici
d'un exem,Ple caraaérutique que nous ,..mpruntons à un roman
de Max Fnsch : Ho1110 Faber.
" Le ma~ à chaque fois, w1 bruit bizatrc me réveillait, mi-
indufuiel mi-musical, rumeur que je ne pouvais pas m'expliquer,
non pas forte, mais frénétique comme des grilfons, métallique,
monotone, cela devait être une mécanique, mais je ne devinais
pas laquelle, et après, quand nous allions prendre notre petit
aéjeuner au village, cela avait cessé, on ne voyait rien.
'• ..• Nous fîmes nos bagages le dimanche ... Et l'étrange bruit
qui m'avait réveillé chaque matin se révila ~tre de la musique,
tintamarre d'un antique marimba, martèlement sans timbre, une
effroyable musique, absolument épileptique. Il s'agissait de
quelque fête, en rapport avec la pleine lune. Chaque matin, avant
les tra"'Jaux des champs, ils s•étaient ent1-aînés pour accompagner
Ja danse, cinq Indiens qui, avec de petits marteaux, tapaient
furieusement sur leur imtrument$ une sorte de xylophone long
comme une table 1.,,
Les deux descriptions sont évidemment en correspondance :
frénésie, monotonie et martèlement, rumeur et absence de timbre,
bruit métallique et cou\'s de marteau sur un xylophone. De son
lit, tous les matins, pws dehors, sur le point de partir, Walter
Fabcr a, pratiquement, oui la mime ,hos,.
Nous n'en dirons ,Pa5autant de ce qu'il a entendu.Dans le pre-
mier cas, il entendait un !mlit dont il cherchait à s' expliq11erla
cause ; dans le second, rc.oscig.oé sur les causes, il appré,i, une
IIIIIIÎIJIII.Du coup, ce qui n'était que " bi%arre ,, devient
" effroyable ,, . La " frénésie ,, qui apparaissait dans le premier
cas comme une simple analogie descriptive (notre héros ne son-
geant pas à l'imputer diteaeinent aux grillons), eft petçue a-.cc
,J
..::';·;
ENTENDRE
-
plus de force lorsqu'elle se révèle être le résultat d'une furieuse
aaivité in§trumentale et devient alors " absolument épileptique ".
Par contre, la monotonie du martèlement, qui pourrait évoquer
une mécanique, clt devenue moins sensible. Etant parvenu à
q1111/ifar
l'écoute, Walter Paber a commencé à entendre,puis à
,0111prt1ulre
en fonélion d'une s1gnification précise.
.S, S• COMPRENDRE. i
t
1
l
En effet, renseigné non point direétement par l'objet sonore
qui rcltait équivoque, " mi-indufuiel mi-musical ., , mais par le
ti
secours de la vue, il a compri&qu'il s'agissait de musique.
Comme le héros de Max Frisch, je peux comprendre la cause
exalte de ce que j'ai entendu en le mettant en rapport avec d'au-
tres perceptions, ou par un ensemble plus ou moins complexe de
déduélions. Ou encore, je peux comprendre, par l'intermédiaire
de mon écoute, quelque chose qui n'a, avec ce que j'entends, qu'un
rapport indireét : je confute à la fois que les oiseawt se taisent,
que le ciel clt bas, que la chaleur e~ oppressante, et je com-
prends qu'il va faire de l'orage.
Je comprends à l'issue d'un travail, d'une affivité consciente
de l'esprit qui ne se contente plus <l'accueillit une signi6catioo,
mais ab~rait, compare, déduit, met en rapport des informations
de source et de nature diverses ; il s'agit de préciser la significa-
tion initiale, ou de dégager une si~nification supplémentaire.
Ce bruit, qui lui parvient de la pièce voisine et fa fait sursauter,
clt, pour la maîtresse de maison, lourd de sens : c'~ un bruit
de chute ou de bris. Elle l'entend comme tel. Elle s'aperçoit en
outre que son fils n'clt plus là, se souvient que le vase de Chine
clt placé fort imprudemment à sa portée, sur une table, et com-
prend bien facilement que l'enfant vient de casser le vase de Chine.
J'écoute et j'entends ce qu'on me dit, mais relevant des contra-
diàions dans le récit, et rapprochant ce récit de certains faits dont
l
.,ai par ailleurs connaissance, je comprends aussi que mon inter-
ocuteur me ment. Du coup, ma méfiance éveillée oriente ditfé-
remmcnt mon écoute, et je comprends aussi des hésitations,
certaines f~lures de la voix, et " Jusqu'à des regards que vous
croiriez muets ". ,l r
.;·:
Comme ce dernier exemple le laisse prévoir, on emploie parfois 4·
·-,
;;,
j
IIO
.,.r
,
:,
VI
•
LES QUATRE ÉCOUTES
Bien que ce traité prenne l'objet musical pour cible, nous devons
bien reconnaitre que ce qui e~ évident, donné, pour l'expérience
musicale de tous les temps, n'~ pas l'objet musical mais, comme
ort l'a vu, l'aaivité in~rumentale, génératrice des langages musi-
caux. N'~ pas non pJus premier, pour la conscience musicale, i
le mécanisme de l'oreille si volontiers analysé dans les manuels. \
L'aaivité quotidienne d'entendre, elle-même, qui semble élémen-
taire, ne l'~ pas.
Si cet objet~ à la rencontre de notre façon de fair, et d'mt111dr1,
il nous faut bien, pour l'approcher, faire un tour de simple bon
sens dans ces deux domaines de notre afüvité la plus banale. Le
premier livre a été consacré à un examen global des diverses aai -
vités se rapportant au faire musical. Ce deuxième livre ~ consacré
à l'entendre; et le chapitre précédent a entrepris une première des
cription des acceptions possibles du mot, en partant de ses sens
courants.
\Dans le présent chapitre, nous nous proposons d'approfondir
méthodiquement ces significations, en essayant de les rattacher à
des attitudes typiques, à des comportements caraél:ériruques,
quoi9ue en pratique indissociables. En effet, plutôt que d'aborder
dirclkment, pour rechercher ce qui s'y ct>.che,le simple adje8:if
" musical ", il nous semble meilleur de repartir des sens usuels
du verbe entendre et de mettre en lumière, en relation avec ces
diverses significations, des fontlions correspondantes de l'écoute. k
Dans l'esprit d'une description tout empirique de " cc qui se 1
passe " quand on é&oute, nous allons proposer une sorte de bilan !
II2
1
LES QUA11Œ ÉCOUTES
4 I
comprendre écouter
3 1.
i entendre ouïr
1
'
regarderet i,011/er,olliret voir, mtendr, et aperuvoir.La différence~
i moins sensible, il cl\: vrai, l'étymologie plus proche, entre voir et
llJ
------
----
-- ~-~ ...... ---····· ·
: 1
·j
ENTENDRE l,;;~
....
apercevoir qu'entre ouir et entendre. Sans doute parce que nous r
avons plus souvent l'expérience_~'un acco~pagneme!lt s~nore m~-
chlnalement perçu, que d'une v1s1onmachinale. ~01 qu'il en sou,
on imagine facilement une transposition au domaine de la vision,
Reprenons chacun de ces points :
1 . Le silence, supposé univ.!rsel, est troublé par litt évén
ement
sonore. Il peut s'agir d'un événement naturel (une pierre qui roule,
une girouette qui grince) ou de l'émission volontaire d'un son,
par un inruumenti~e par exemple. De toute façon, ce que nous
écoutons spontanément à ce niveau, c'est l'anecdote énergétique
traduite par le son .
.1. Correspondant à l'événement objeétif, nous trouvons chez
l'auditeur l'événement subjeétif que représente la perceptionbrute
du son, qui est liée d'une part à la nature physique ae ce son,
d'autre part à des lois générales de la perception qu'on est en droit
de supposer grouo modo les mêmes pour tous les êtres humains
(comme le font par exemple les descriptions des gestalti~es).
3. Cette perception , rapportée à des expériences passées, à des
intérêts dominants , aél:uels, donne lieu à une séletlionet à une
apprériation.Nous dirons qu'elle est tJllllliftée.
4. Les perceptions qualifiées sont orientées vers une forme
particulière de connaissance et c'est finalement à des 1igniftçatio111,
abllraitu par rapport au concret sonore lui-même, que le sujet
aboutit. D'une façon générale, à ce niveau l'auditeur comprend
un certain langagedes sons. .
- ·· . ··-- · . . . . _____- - - -
,. --- ··-· ·-- ·--
LES QUATRE ÉCOUTF.S
IIS
••,4 •••• J .. ..
.,;:
ENTENDRE ...
•
."
~....
r
4• COMPRENDRE I. ÉCOUTER
3. ENTENDRE a. OUÏR
3 et 4 : aMtrait 1 et 2 : concret
1. Les images de la couverture de cet ouvrage ont été choisies pour illuftrer ce
tableau. Voici comment il convient d'intetpréter la métaphore visuelle qu'elles pro-
posent : les deux façons de jouer d'un irulrumeot tel que Je violoa évoquent deux
" événements " du sellcur 1 ; Je _profil perdu d'une écouteuse met en évidence
l'oreille, mais aussi toute l'aaivité globale qui l'accompagne ; au selleur ), on peut
trouver divers objets sonores qualinés (aussi bien la perception musicienne du
" pizz " et du " son 6.lé ", que l'appréciation par l'acoufticieo de tel ou td profil
dymmique) ; enfin, ces deux sons émergent en tant que " signes" et preMCnt leur ï
" 11CN " au aeaeur 4. S'il y II cinq images ainsi présentées pour des raisons de
mise en page, on voit que les deux " violons " pouuaicot tout aussi bien figurer
au sellcur I qu'au sellcur J, dans des acceptions clifiërentes de la métaphore :
dans le premier cas, on hoque l'événement " antérieur "; dans Je sccood, on évoque
Ja perc:q>tioo musicienne, propre au sujet écoutant.
'
n6
J
..•.
LES QUATRE ÉCOUTES
.~ 117
J, 4
ENTJ!.NDP.E
-
1
rMérence 4 1 référence
.
aux signes t3 t2 - aux indices
- tant
de l'objet
1~:i rdte une incertitude dans la perception au regard
de l'écoute, dans quelque seél:cur que se trouve
cdui-ci, l'inv~gation consi~era à mettre en évidence et à référer
les uns aux autres les objets " partiels ,, de l'ensemble de l'aaivité
auditive ; c'~ ainsi qu'une série d'écoutes, en approfondissant
le phénomène, précisera simultanément les résultats dans les
quatre direél:ions.
; -·.
- des écoutes colleaives d'objets nouveaux manifesteront pro-
bablement au départ des divergences importantes entre les divers
auditeurs. C'cft seulement à la suite d'un grand nombre d'écoutes
réitérées, permettant une exploration poussée de l'expérience per-
ceptive à chaque niveau, à la fois colleéüvement et individuelle-
ment, que les auditeurs pourront mettre en commun des résultats.
On parviendra ainsi à une sorte de dépouillement qui épuiserait,
à la limite, les virtualités du scaeur z. (objet sonore brut) : une
certaine objcaivité, ou du moins un certain nombre d'accords inter-
subjcaifs se dégagera alors de la confrontation des obse.rvations.
t
1
1
'
:•
Lf.S QUATRE ÉCOUTES
l
·!
bien le couple ~u s_ubjeaif et de l'objeaif, <>,~, mieux, du subjefüf .;
>
et de l'intersubJeéèif. Chacun entend cc qu d peut au se&ur 3,
sachant que la J?OSsibili~éd'~ntcndre 9uelque chose préexifteau · '>
secteur 2. Par ailleurs, 11 ext~e des signes (sonores, musicaux)
de référence (secteur 4) et des techniques d'émission des sons
(se&ur 1) propres à une civilisation donnée, donc objeaivemcnt
présents dans un certain contexte sociologique et culturel. De
même, dans l'expérimentation scientifique on trouvera, cor.res·
.!
. pondant aux selœurs 2. et 3, des observations qui dépendront
assez étroitement des observateurs, s'opposant à l'ensemble des
connaissances auxquelles ces observations sont rapportées (4) afin
d'aboutir à une explication ou à une détermination de l'événe-
ment (1).
D'autre part, la verticale qui coupe le schéma oppose, à gauche,
les deux seéteurs abruaits (3 et 4) et, à droite, les deux seél:eurs ~
concrets (r et 2). Qg'il s'agisse de l'écoute qualifiée au niveau -·
subjeél:if, ou des valeurs et connaissances émergeant au niveau
colleaif, tout l'effort, en 3 et 4, est de dépouillement et consifte
à ne retenir de l'bbjet que des fjllalitls qui permettront de le mettre
en rapport avec d'autres, ou de le référer à des syftèmcs signifiants.
Au contraire, en 1 et z, qu'il s'agisse de toutes les virtualités de
perception contenues dans l'objet sonore, ou de toutes les référen-
ces causales contenues dans l'événement, l'écoute se toume vers un
}.
donné concret, en tant que tel inépuisable, bien que particulier.
Dans toute· écoute se manif~e donc la confrontation entre
Î un sll}etréceptif dans certaines limites, et une rlalitl obj,tm,e,d•une
'';
.1 part ; d'autre part, des 11akJmations abflrailes, des qualifications
logiques se détachent par rapport au Jonnlto11tr1t qui tend à s'or-
ganiser autour d'elles sans jamais pourtant s'y laisser réduire.
Bien entendu, chaque auditeur différent mettra l'accent différem-
ment sur chacun des quatre pôles résultant de cette double ten-
sion, et fera ressortir celui-là seul d'entre eux qui correspondra
à la finalité explicite de son écoute ; il apparaît.ra donc des spé-
ciali~es de chaque fonffion de l'écoute. Ne commettons pas ici
l'erreur de croire que tel d'entre eux (par exemple l'auditeut mu-
sicien) ne met en œuvre que la fonltion correspondant au but
j
évident de son aéüvité (ici l'écoute orientée vers la signification
.1
1 musicale). Pour employer un lan~age en rapport avec notre des•
<l· cription, disons qu'aucun spéciali~e ne saurait en fait se dispen-
ser de " parcourir ,, à plusieurs reprises le cycle entier des qua-
drants ; car aucun d'eux n'échappe ni à sa propre subjeaivitéen
face d'un sens ou d'un événement présumés objeaifs, ni au décbif-
\' 1I 9
~•,..
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§04#-ZC::Z!C$ZG- .-:--. u ..... . i . , _. ' ... a.s •••. u .. . •• if
-·~
..
-·
Wl"ENDRE .!..,..._, r
\
Si nous avons pu, nous se[vant de notce " bilan " théorique,
di~nguer les deux couples d'opposition du paragraphe précé-
dent, nous pouvoos retrouver les mêmes symétries dans les atti-
tudes d'écoute, ordinairement ou spontanément pratiquées. Cette
analyse aura l'intérêt de préciser une terminologie dont nous
nous servirons con!tamment par la suite. ,
Nous allons e::-taminerainsi deux couples de tendances caraél:é- l·
ri~iques de l'écoute : il s'agit d'abord d'opposer l'écoute naturelle if
à J'écoute mlt11reUe,puis de comparer l'écoute banale à l'écoute
spécialisée ou praticie1111e.
i
et à certains animaux. Nombre d'animaux ont l'ouïe plus 6ne que
l'homme. Cela ne veut pas dire seulement qu'ils entendent " phy-
siquement ,, mieux, mais qu'ils induisent plus facilement, à partir
de tels indices, les circon~ces qui ont provoqué ou que révèle
l'événement sonore. La tendance ~ ici visiblement au seél:eur I
comme finalité, et l'on suppose une 011ieparticulièrement fine au ': :..
seéleur z.. C'~ le ,onrret, la partie droite du tableau, que l'on re-
uo
,
., LES QUATRE ÉCOUTES
... h
ENTENDRE
--
Mverte dans bien des direaions que la f}écit1/ûatio11lui fermera par .,
la suite.
Prenons au contraire un acomticieo, un musicien et ... un Indien
du Far Wclt. Le même galop de cheval sera entendu par eux de
façons bien différentes. Aussitôt l'acou~iden aura une idée de
la coa~itution du signal physique (bande de fréquence, affaiblis-
l
sement dû à la transmission, etc.) ; Je musicien ira spontanément
aux groupes rythmiques, le Peau-Rouge conclura au danger d'une
approche ho§tile, plus ou moins nombreuse ou éloignée . On aura
donc tendance à trouver plus objeaives de telles écoutes. Oui
clans la mesure où, ne se préoccupant pas des mêmes objets Qe
son n'en e~ que le support), el!es les explicitent et les réfèrent
aussi bien au seaeur 1 que 4. Mais on voit aussitôt qu'elles n'y
parviennent si bien que par un apport renforcé du subjeél:if, du
fait que, daJlS la consdence de chacun de ces divers auditeurs,
l'objet sonore brut ou quahfié e~ chaque fois tout autrement
perçu ou dépouillé . On :ne s,~tonnera donc pas des malentendus
susceptibles de naître entre des gens aussi compétents. Ils le sont
d'autant plus qu'ils ne parlent p:as de la même chose. ~oi , n'en-
tendent-ils pas le même son ? ~e si, on ne peut nier que le même
signal physique parvient à des oreilles qu'on suppose identique-
ment humaines, potentiellement semblables, mais leur aéüvité per-
ceptive, du sensoriel au mental, ne fonéHonne pas du tout pareil-
lement.
On voit ainsi combien il faut se défier des termes obl'eélivité
et subjeaivité, si l'on veut les appliquer, le premier à 'écoute
praticienne, le second à l'écoute banale. Car on peut tout aussi
bien soutenir le contraire : que l'écoute banale re$1:eplus ouverte
à J'objeaif (bien que le sujet soit peu compétent), tandis que
l'écoute spécialisée clt marquée profondément par {'intention du
sujet (bien que son aél:ivité soit tournée vers des objets autrement
précis).
Ce paragraphe fera mieux comprendre, nous l'espérons, ce
que nous exposons au paragraphe suivant : qu'un parçours pra-
liden d'une certaine écoute n'a 9ue peu à voir avec le parcours
d'un autre praticien : chacun a pns parti dans une curiosité poten-
tielle de l'écoute banale, en a développé aussi bien les visées que
les ap~rentissages.
Ins1ftons encore sur cette spécialisation des écoutes.
122
·., .·
.
,:
6, 7. EXCLUSIVES DES ÉCOUTES PRATICIENNES.
_. _____________
modité" sonogramrne ".
U)
__,
--~
ENTENDRE
blbne limité des corrélations entre ses propres résultats et les signi-
6cations sonores banales, t•acoufticien approfondit son invcftigation
spécifiquement physicienne, définit des gtandeurs, établit des
rapports, inftitue des txpérienccs, confronte largement son aaî-
vité à celle de ses collègues, entreprend en somme d•habiter le
monde 'lue lui ouvre son écoute praticienne. Le musicien de
même, vite indifférent à l'ordinaire signification mécanique des
sons, s•iœtalle dans l'écoute et la pratique musicales, façonne des
objets, recherche un langage expressif, écrit, chante, joue, écoute,
innove.
Ainsi prennent corps des pratiques colletüves, basées sur une
communauté de parti p.ris dans l'écoute. Nous avons vu au para-
graphe précédent qu'on ne saw'llit comprendre de telles pratiques
en les localisant dans un seul seéteur de notre tableau. En effet il
f.aut considérer que lorsqu'on passe de l'écoute banale à l'écoute
pBticienne, le circuit de communication correspondant aux signi-
fications banales Se voit remplacé par un nouveau circuit lié à une
accentuation différente des qualifications et des valeurs. Accen-
tuation que l'écoute banale se bornait à rendre possible : j'enten-
dais que l'ou faisait de la musique ou que l'on parlait avec l'accent
du Midi ; devenant musicien ou phonéticien, je vais m'attacher
exclusivement à l'une ou à l'autre de ces qualfficatioos particu-
lières de mon écoute banale, et définir alors, à partir d'elle, un
domaine gén~ d'aéüvités où vont jouer à nouveau, et de façon
inédite, les deux couples d'opposition ab§trait-concret et sub-
jeaif-objeéüf, en relation avec des visées originales.
Ces de111ières réflexions nous permettent de reprendre et de
corriger dans une perspeéüve plus générale notre idée initiale
d'un dualisme entre l'écoute banale et l'écoute praticienne. Le
spécialifte s'isole par rapport au monde des significations bamles
ptenant naissance au scaeur 3 ; mais ce faisant, il inftitue Wl nouveau
monde de significations, lequel à son tour met en jeu dans un
nouveau seaeur 3 des finesses de perception - finesses dont
l'habitude consacre bientôt la banalité - qui conftituent peut-
être le germe du développement d'autres pratiques auditives ulté-
rieures. Ainsi la surenclière des qualifications apparait comme
illimitée. Autrement dit, toute écoute praticienne suggère des
attentions spécialisées qui la rendront banale.
La portée de ces <3.uelquesrésultats eft générale. Nous n'en
retiendrons CJUecc qw concerne notre propos : si l'aéüvité audi-
! tive du spéc1ali§te dt ainsi appelée à se dépasser elle-même par
une perpétuelle relance de l'écoute, on comprend qu'il serait pour
t1 us
l
•
ENTENDRE
12.7
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ENTENDRE
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LE P~JUG8 SCIENTIFIQUE
7, 1, PRESTIGE DB LA LOGIQUE.
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ENTENDRE
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1 IJI
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BNTENDRE
1, E. HUSSERL, ugif,11 f-,/11 Il mgifllf lr4lll l'tmi a11/alt, traduit de l'allemand par
Suzanne Bachelard, P.U.P.
IJ.1
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LB P.aBJUGé SCIENTIFIQUE
l
t111antet aft.nde comprendre. Nous tenons pour certain que, m!me
si /' Art â4 la f11g11te$l' entièrement réduénble à un jeu numérique,
le sens de ce jeu consifte dans sa manifestation sonore, parce qu'il
est au départ entièrement bué sur des critères de prmplio11111lllilale,
que l'arithmétique traduit peut-être, mais ne détermine s<ttement
pas.
7, 5. DE LA PHYSIQUE A LA MUSIQUE.
'
1
Examinons de plus près ces assertions. l
Tout d'abord, Meyer-Eppler tient pour acquise la possibilité •
- -- - -~ -~~
1 34
- ·--·------
~- ------ -----
l
LE PRÉJUGÉ SCIENT I FIQUE
l
de l'influence de la musique sur l'homme. D'aucuns peuvent se
..
ENTENDRE
7, 6. LE SYSTÈME,
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:?.:· LE PRÉJUGÉ SCIENTIFIQUB
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l.E PRÉJUGÉ SCIENTrFIQUE
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1
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Vlll
L'INTENTION D'ENTENDRE
8, I, PLÉONASME.
l
ENTENDRE ~~
~ ~·
tants, mais dépassés par la technique ; un ~ompagnoonage de ~u- ~
dio et bientôt de pensée les rapproche de l'ingérùeur bien plus que (t
·:-,
du philosophe. ~
~
Le musicien contemporain qui se veut progressi~e n'a donc
guère d'hésitation quand il s'agit de rejoindre le camp ami. Il possède
en définitive une parenté de conduite avec le scientüique , usant
comme lui d'instruments, apprenant à s'en servir, peut-être à en -:
~.:
construire de nouveaux ; que fait-il, sinon mettre en relation des
causes et des effets ? ~ant à ses partitions, ne sont-ce pas aussi
des épures ? Les ~élures qui y figurent ne découlent-elles pas,
à leur manière, de formules chiffrables ?
C'~ pour terùr compte de cette tendance in~füve à retrouver
le schéma de la " causalité " expérimentale que nous ouvrons
d'abord le livre m, de~né à montrer les rossibilités et les limites
de l'attitude physicienne en musique. Cc n ~ qu'ensuite, l'explora-
tion faite, que nous espérons, _au livre IV, intéresser notre leél:eur
à une approche phénoménologique.
Encore devons -nous tenter ici, au cours de ce chapitre fingl
sur l' " entendre ", d'esquisser ces deux chemins, et de voir com-
ment ils s'amorcent, de façon en effet divergente, à piutit de l'ana-
lyse sommaire des " quatre écoutes".
L'un des chemins consi~e à reprendre des parcours " expérimen-
taux '\ mettant en relation cause et effet, ma.is correspondant
en fait à deux exemplairu diffinfls du tableau, à deux parcours
parallèles, non confondus. De cette première approche, celle du
livre m, nous allons donner un aperçu dans les prochains para-
graphes. L'autre chemin consi~e à tirer la philosophie de ce tableau,
et à voir qu'il dissimule deux jeux de q11aârants : celui des verbes,
et celui des sub~tifs, autrement dit celui des aélivités, et celui
des objets de la perception. Nous en ferons à la 6n de ce chapitre
un bref exposé qui annonce le livre IV.
On aura ainsi tenté de répondre à ce que nous avons supposé
~tre le désir du leél:eur : exploiter sans rupture les données du sens
commun par l'une ou l'autre des attitudes, et dans l'o"rdre qui lui
~ le plus naturel ou lui paraît le plus a&el.
•••
: 4.1 I • .1
___________
..._..._
' ___
____
Iniliati11tiÛI phy1kil11 dtJm11riti1n
lrtiliati11e
r mesures
ou valeu1·s
physiques
générateur Trajet d11musiâm
MUSICAL
l
Z ----+---+---+--- 4 1
0 3 2
~ Leélure du signal
,r- - -SONORE
~ signal
PHYSIQUE
8 Point
commun
l valeurs
musicales t
1 valeurs
musicales
instrument
l
. 3' 2'
~ 4' 1' -t---
NIVEAU perceptions objet t-' perceptjons objet
SONORE qualifiées ~ sonore j qualifiées - sonore
OBJECTIF ill 3' i'
Lelture du signal
Tr'!/et du phy.ricim signal
3 2
1
PHYSIQUE
MUSICAL
Dictionnaire des notions
't..._
__ __ SONORE
Musique~ Physique
FIGURE 1
Corrtlationmire objetphy1iq11e,
objet sonor,.el objet musical.
_______
.. ___
______ Les trois niveaux
,_
~
: · !,
l}!NTB1'1TION D'ENTENDR E
145
..
· --- ~
ENTENDRE
~
..,
--
8, ) . LES CORRÉLATIONS.
147
.J
ENTENDRE
• L'INTENTION D'ENTEND&E
- Situation de l'infuwncoti~e :
On demande au jeune violooi~e d'assurer la justesse d'une note,
et un son pas trop grinçant. La situation est beaucoup plus compli-
quée.
- Situation de l'auditeur :
L'auditeur peut se conteotct de dire: c'clt un violon, ou: c'cst
une note aiguë. Si cet auditeur cst musicien, ou encote si c'eft le
professeur de violon, il compare le résultat à d' autres. Il dit : c'clt
mieux, c'est moins bien . Il peut être indulgent ou sévère, preuve
qu'il n'apprécie pas uniquement le résultat, mais aussi l'intention.
Il dita : c'est bien, à Wle note (fausse ou 19ide) du débutant, et :
c'est mal, à la même note faite par un élève avancé. Un critique
ditait de memc d'un virtuose : il est en fotme, ou : il a le trac.
Tout cela sous-entend beaucoup d'objets divers de l'intention
d'entendre, et beaucoup de mécanismes de l'écoute, pour une sim- 1 1
Elc note de violon des plus traditionnelles. Qye dire de l'écoute
a•u.ason incongru, dont on peut apprécier bien des aspe& diffé-
rents : qu'il ne ressemble à rien d'autre, qu'il fait émerger une valeur
inconnue, 9u'il révèle une intention ou non ?
Q!!elle différence entre un piani~e et un violoniftc ? Le pianifte
ne disposc-t-il pas, à peu de chose ptès, d'objets sonores ptéfabri-
~ués que le violooiftc doit créer ? Et le chantcut, qui cft à la fois
1 oreille et l'imttumcnt ? L'irutrumentifte n'cst-il pas dans une situa- :
~.
"·,
'
tion très diffétentc selon qu'il joue d'un inftrumcnt ou d'un autre ? 1!
149
____________ _ ·Jt
ENTENDRE -~-~ .-,
musique, pour ne retenir que le circuit de communication, du com-
(·'-.:
positeur à l'auditeur, cette communication n'a-t -elle pas à son tour
un objet spécifique, visé par l'un ou l'autre des protagoni~es ?
En particulier, comment entend, et que s'efforce de faite entendre
le chef d'orchcltre, responsable principal de cette communication
(et avec lui, aujourd'hui, l'ingénieur du son)?
-~---------------------------------
L'INTENTION D'ENTENDRE
plus compliqu ée. On voit qu'elle combine quel<Jue chose des deux
premières. Elle ~ passive mais non acousmat1que, en raison des
perceptions associées, motivées par une curiosit~ s~ntanément
tournée vers l'émetteur, qui, cette fois, dt un véritable autrui.
Mais d'autre part, elle ne peut comprendre l'autre qu'en" simulant"
implicitement son aaivité, qu'en se su~tuant à lui, autant qu'elle
le peut .
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ENTENDRE
. -·--·.·..·--'''-;,~.
L'INTENTION D'ENTENDRE
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signifiés
f
~ SONORE :g_
·!!
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FIGURE 1,
Bilanfinal des i11tenfio1ud'l1011le.
1 .•
.
.. L' D-lTENTION D'P..NTENDRE
j
ENT.ENDRE
.~
cours, un regroupement de ce qui semblait au départ conduire
inévitablement d'un côté à l'origine concrète des sons et de l'autre
~
.
'~
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à leur sens abfuait ; en refusant d'écarteler l'écoute entre cet événe-
ment et ce sens, on s'applique de plus en plus à percevoir ce qui
constitue l'unité originale, c'dt-à-dire l'objet sonore. Celui-ci
représente donc la synthèse de perceptions d'habitude dissociées.
On ne saurait en fait nier les adhérences aux significations et à
l'anecdote, ni les rompre ; mais on peut en inverser la visée, pour en
saisir l'origine commune. Nous retrouverons cet objet sonore,
objet de l'aaivité que nous dénommerons étouteréduite, avec les
·philosophes au livre IV, et avec les musiciens aux livres v et VI. '-'ll
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~. 1 • LIVRE III
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IX
9, 1. VISION ET AUDITION.
163
LE SIGNAL PHYSIQUE ET L'OBJET MUSICAL
e~ l'art des sons ", nous mène à une note en fin de volume, que
nous allons également transcrire . Nous posséderons alors tout le
bagage dont dispose le musicien, jusqu'au Prix de Rome inclu-
sivement, sur la génétique musicale. La voici.
9, 4. LA DOCTRINE TRADITIONNELLE :
FONDEMENT ACOUSTIQ!;!E DE LA MUSIQ!;!E,
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9,6. PSYCHO-ACOUSTIQYE El' MUSIQ!!E EXPÉRIMENTALE,
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PHYSIQUE PSYCHOLOGIE
Jl'PPO SÉE ELEMENTAlllE
physiquement
(boit.: noire)
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simples
r:::-1 pcr«ptions
(fréquences pures ,
nive11uxfixes)
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L:~~-) d'iotalsitt et de
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QUELLE coRR.aLA TJON
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[ ENTRE CES NIVE.AUX
PSYCHO-·ACOUSnQUE' :
" l:.Ll:.MBNT
AIRES"?
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,,
170
+*· --,
(boite ooi.re).
objets (sons)
JIITUs, évencucUcment
rq,ml,les .physlquc:mcnt ~
~:l
L:J-~ pecceptioos divcraes
(objets J'uiaux}
QUELLES PERCEPTIONS
r . DOMINANT ES ?
l'....
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\ -:9
! .~
·!
· : ;' physiologiques d'abord, psychologiques ensuite, - et c est bien
· '" la tendance de l'expérimentation aéfuelle. Au contraire le musi-
: ·{ cien, placé d'emblée dans un monde original q1.1'ilétudie pour
·• lui-même, celui des perceptions musicales, cherche à découvrir,
à peupler, à comprendre ce monde, ce qu'il a d'autant plus de
t &alité à faire que les techniques a&elles àe production et de mani-
. ·;:;_.':
. pulatlon des sons lui peancttent de devenir un " luthier des sons "
.'.:. aux ressourcespratiquement illimitées.
f :·
~~ ,, --,;.
.....
J
LE SIGNAL PHYSIQUE ET L'OBJET MUSICAL
ils ont " entendu les harmoniques ". La cause es't entendue ...
Helmholtz poursuit, d'ailleurs, son avantage. Cette m~e pro-
priété de l'oreille de distinguer les harmoniques explique, selon
lui, l'écoute des sons simultanés . Citons-le 1 :
'' Le mouvement de l'air dans le conduit auditif n'a aucune ..
t~
propriété par laquelle le son musical composite (en provenance
de plusieurs corps en vibration) peut être di~ngué du son musical
unique (en provenance d'un seul corps en vibration). Si l'oreille
n'est pas guidée par quelque circon§tance accidentelle, par exemple
par un diapason commençant à vibrer avant l'autre, de sorte qu'on
les entendra frapper, ou, dans l'autre cas, le bruit de l'air contre
l'embouchure de la fl-Ote ou la fenêtre du tuyau d'orgue, elle
n'a pas de moyen de décider si le son musical es't unique ou compo-
site.
« Or, comment l'oreille se comporte-t-elle par rapport à ce mou-
vement de l'air? L'analyse -t--elle ou non? L'expérience nous
montre que quand deux diapasons dont les hauteurs diffèrent d'une
ofuve ou d'une douzième sont excités ensemble, l'oreille es't tout
à fait capable de distinguer chaque son simple, bien que cette distinc-
tion soit un peu plus âifficile avec ces intervalles qu'av ec d'autres.
Mais si l'oreille est capable d'analyser un son musical composite
produit par deux diapasons, il n'y a pas de raison pour qu'elle
ne puisse pas opérer de la même façon quand ce même mouve-
ment de l'air est produit par une unique fülte, ou un tuyau d'orgue
unique. Et c'est bien ce qui se passe. Le son musical unique de
tels instruments, en provenance d'une source unique, est, comme
nous l'avons déjà signalé, analysé en sons simpfes partiels, soit
dans chaque cas un son fondamental et un partiel plus élevé, celui-
ci n'étant pas le même dans les deux cas.
" L'analyse d'un son musical unique en une série de sons e,artiels
dé_pend, par conséquent, de cette même propriété de l'oreille qui
lw permet de cllitinguer différents sons musicaux l'un de l'autre,
et elle doit nécessairement effeéluer les deux analyses d'après une
règle indépendante du fait que l'onde sonore provient a•unou
de piusicurs inftruments.
• La règle d'après laquelle l'oreille procède dans son analyse a
été aionœe en premier comme règle générale par G. S. Ohm:
seul ce mouvement particulier de l'air que nous avons appelé
,ibralÏ<Jnrimpk, dans IC<{uelles particules se meuvent en avant et
en amère selon la loi du mouvement pendulaire_ ~ susceptible
174
, *"
COR.JlBLATION ENTRE SPECTRES ET HAUTEURS
I O, 3, LA SÉRIE DE FOURIER,
.,
Le physicien ayant ainsi harmonieusement relayé le musicien,
on peut s'attendre à ce que le mathématicien vienne, à son tour.,
relayer le physicien.
Si en effet, nous nous " expliquons " aisément le frémissement
des cordes, mal~ré l'extrême complexité des dessins qu'elles for-
ment à chaque i.nS'tant,nous nous expliquons moins bien ce qui
arrive au niveau du tympan : celui-ci ne connaît que la pression
de l'air, qui a véhiculé l'énergie du " champ acou§tique,, engendré
par l'agitation des cordes ou des anches. On sait, par exemple,
que si on remplace le tympan par un microphone, relié à un oscil-
lographe cathodique, qui visualise les pressions exercées sur la
membrane, on voit s'agiter un point lumineux d'une manière
apparemment fort désordonnée. Enreg~ée, cette agitation en-
gendre, selon l'axe du temps, un tracé oscillographique absolu-
ment hermétique : c'~ bien là la trace du son, mais elle ~ illi-
sible.
1. H. HELMHOLTZ , ibid.
).
-:---
· CORRÉ LATION ENTRE SPECTRES ET HAUTEURS
,.~
Avec Fourier, tout redevient simple . Fourier nolASa appris à
" décomp oser en série " la fonfüon ia plus compliquée, füt-ellc
celle qui donn e polli'.toute valeur de t la pression ou l'élongation
du tympan 1 •
Les différents termes de la série de Fourier sont des termes sinu-·
soïdaux, des vib !ations " pendulaires " , c'clt-à -dire ce sont les
fonaions qui pr écisément représentent les sons déteaés pat les
résonateur s de Helmholtz . Il ne resle plus alors qu'à ima~iner, pour
parfaire l'explication scientifique, un mécanisme de 1oreille in-
terne qui se comporterait comme une série de résonateurs, pour
en conclure que l'oreille entend les sons en les décomposant en
série de Fourier. C'esl effeélivement cc que Helmholtz pensait
et qu'il a essayé de prouver, en s'entourant de beaucoup de pré-
cautions. Il ~ regrettable que certains leaeurs hâtifs aient oublié
ses mises en garde et aient bâti une théorie générale de l'écoute
musicale qui comporte , outre des erreurs grossières et des simpli-
fications indues, des cneurs de méthode encore plus graves.
Voici les sages propos de Helmholtz 1 :
" Le théorème de Fourier, présenté ici, montre d'abord qu'il
~ matMmatiquemen t possible de considérer un son musical
comme une somme de sons simples, avec le sens que nous avons
donné à ces mots, et les mathématiciens, de fait, ont trouvé com- ,.
~
mode de baser leurs recherches en acouAl:i9uesur cc moyen d'ana-
lyser les vibrations . Mais il ne découle de cela en !lucune façon
qu'on dt obligé de considérer les choses ainsi. Il faut bien plutôt
se demander : ces composants partiels du son musical, que la théo-
1 'l
I
. ,,
De plus, cette s~rie dl unique (c'dl" -à-dire que les a,. et b,.,ou les c,. sont cUtumln~ • l
de façon univoque ). ·:
j
En termes" musicaux ", ceci poumait s'énoncer: toute vibration piriodique dgu-
lière peut t u e obtenue J)l".r une somme de vibrations simplc1., chacune d'cllea ayant
une fréquence qui dl un mult iple entier de la fréquence fondamentale/o(/o _, ;}
et une amplirude d~tcrminée.
2.. Ibidnw.
177
LB SIGNAL PHYSIQUE ltt L'OBJET MUSICAL
.·..,...
'.)..,:t
·'!ft•
~
.·,
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10,4. LA PERCEPTION DES HAUTEURS,
179
LE SIGNAL PHYSIQUE ET L'OBJET MUSICAL
181
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LE SIGNAL PHYSIQUE ET L'OBJET MUSICAL
·-,, ;
CO,7. ÉCHELLE MUSICALE ET ÉCHELLE PSYCHO-ACOUSnQUE,
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1/
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100 200 400 1000 2000 4000 10000
.. FIGURE 3•
1 1 }:j,çl,el/e
d'appré&iaJion des hauteurs mélodiques
t .
d'apriJ Slt11tns tl Vo/kmnn.
..L
LE SIGNAL PHYSIQUE ET L'OBJET MUSICAL
Ces seuils sont l'objet d'une audiométrie précise, dans des condi.
tions bien déterminées : léger déplacement d'une fréquence, à un
certain niveau, en l'absence de tout autre son ou masque sonore.
Dès qu'un musicien emploie un son naturel ou synthétique, il
doit savoir, comme nous l'avons vu, qu'il ne mobilise pas seule-
ment les fr~uences nominales de sa partition. Il fournit wi objet
déjà volumineux en fréquences, qui opère su.r toute une zone de
seuils différentiels. D'autre part, ce son ~ en présence d'autres
sons, qui produisent des effets de masque, et tenden t pst consé-
quent à bouleverser les prévisions qui pourraient ~tre faites dans
une hypothèse mathématique simple. Cependant, dans les calculs
de brwt, à partir des courbes de ~uli élémentaires, Fletcher et
d'autres chercheurs sont parvenus à des résultats très remarqua-
bles ; en choisissant chaque fois leur terrain de référence, ils ont
étudié le relèvement ou l'abaissement des seuils lorsque le son
e§t continu ou discontinu, etc. On conseille au musicien, bien
dépassé par de tels calculs, de s'adresser à la machine élefuonique
la plus proche, et aussi la plus rrécise en musique : son oreille.
Il con§tate.ra alors ceci : si 1 on doit tenir compte en musique
de la notion de seuil, on devra probablement la chercher aux deux
extrémités d'une" polarisation' de l'oreille par Je contexte. Boule-
versez en effet l'oreille par des écarts énormes de hauteur et d'in-
., tensité ou des effets d'accumulation d'objets : les perceptions de
faibles différences de hauteur vont s'émousser. Préparez-la à per-
L
!
cevoir de façon de plU&en plus fine, au cours d'un pianissimo,
' dans un grand dépouillement d'objets : d'infimes variations lui
deviendront alors sensibles.
D'autre part, un apprentissage de l'écoute peut nous apprendre
à mieuJÇentendre des objets ou des nuances à l'intérieur d'objets.
C'est dans cc sens qu'un autre expérimentateur, Heinz Werner,
éveille notre curiosité. Il fait écouter cinq fois de suite un groupe
de deux sons toniques (c'~-à-dire de hauteur bien déterminée)
peu différenciés en hauteur. L'intervalle que ces sons constituent
~ nettement plus faible que l'intervalle minimum que perçoit
normalement l'oreille (évalué à un vingtième de ton dans le registre
considéré) ; ainsi, il n'~ pas perçu lors de la première écoute.
Mais la répétition permet de le mettre de plus en plus en évidence
jusqu'à cc qu'il apparaisse comme un intervalle bien défini. Non
seulement cette expérience eft simple, et convaincante, mais elle
eft aussi d'un intérêt fondamental, car elle apporte un démenti
aux théories qui fixent les normes de l'écoute dans l'absolu, saos
tenir compte ni du contexte, ni des entrainements.
186
OORIŒLATIONBNTRE SPECTRES BT HAO'l'BURS
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LB SIGNAL PHYSIQUE El ' L'OBJE T MUSICAL
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Ces seuils sont l'objet d'une audiométrie précise, dans des condi-
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tions bien déterminées : léger déplacement d'une fréquence, à un
certain niveau, en l'absence de tout autre son ou masque sonore.
Dès qu'un musicien emploie un son naturel ou synthétique, il .,
doit savoir, comme nous l'avons vu, qll'H ne mobilise pas seule- ~-
ment les fréquences nominales de sa partition. Il fournit un objet
déjà volumineux en fréquences, qui opère sur toute une zone de
seuils différentiels. D'autre part, ce son e§t en présence d'autres
sons, qui produisent des effets de masque, et tendent pat consé-
quent à bouleverser les prévisions qui pourraient ttre faites dans
une hypothèse mathématique simple. Cependant, dans les calculs
de bruit, à partir des courbes de rumuli élémentaires, Fletcher et
d'autres chercheurs sont parvenus à des résultats très remarqua-
bles ; en choisissant chaque fois leur terrain de référence, ils ont
étudié le relèvement ou l'abaissement des seu.ils lorsque le son
~ continu ou discontinu, etr:. On conseille au musicien, bien
dépassé par de tels c.alculs, de s'adresser à 12.machine éle& onique
fa plus proche, et aussi la plus précise en musique : son oreille.
Il con§tatera alors ceci : si l'on doit tenir compte en musique
de la notion de seuil, on de·vra pr obablement la chercher aux deux
extrémités d'une" polarisation" de l'oreiJle par le contexte. Boule-
versez en effet l'oreille par des écarts énormes de hauteur et d'in-
tensité ou des effets d'accumulation d'objets : les perceptions de
•· faibles différences de hauteur vont s'émousser. Préparez-la à per-
L cevoir de façon de plus en plus fine, au cours d'un pianissimo,
dans un grand dépouillement d'objets : d'infimes variations lui
deviendront alors sensibles.
D' autre part, un apprentissage de l'écoute peut nous apprendre
à mieu,ç entendre des objets ou des nuances à l'in térieur d'objets .
C'est dans ce sens qu'un autre expérimentateur, Heinz Werner,
éveille notre curiosité. Il fait écouter cinq fois de suite un groupe
de deux sons toniques (c'est-à-dire de hauteur bien déterminée)
peu différenciés en hauteur. L'intervalle que ces sons con§tituent
est nettement plus faible que l'intervalle minimum que perçoit
normalement l'oreille (évalué à un vingtième de ton dans leregirue
considéré) ; ainsi, il n'est pas perçu lors de la première écoute.
Mais la répétition permet de le mettre de plus en plus en évidence
jusqu'à ce qu'il apparaisse comme un intervalle bien défini. Non
seulement cette expérience est simple, et convaincante, mais elle
est aussi d'un intérêt fondamental, car elle apporte un démenti
aux théories qui fixent les normes de l'écoute dans l'absolu, sans
tenir compte ni du contexte, ni des entraînements.
186
CORRÉLATION ENl'RE SPECTRES El ' HAUTEURS
· •.
*'·
10,9. CONCLUSIONS :
LES DIVERSES STRUCTURES DE HAUTEURS.
a) &he/Je.ri11llr11111,11tale.r
(regIBtrcdes sons d'infuuments donnés).
Nous patlons ici du son des musiciens, et non de celui des hétéro-
dynes des acowticiens. Les musiciens ont des claviers, des p~ons,
des doigtés, etc., qui produisent des notes fixées ou du moins
convenues à l'avance. Ces regi~res accordés tant bien que mal sur
un " tempérament " sont utilisés, dans le cas du piano et des
imtruments à claviCt",mélodiquement et harmoniquement. L'ins-
trument invite autant à l'un qu'à l'autre de ces usages, bien que
l'oreille fasse entre eux une di~B:ion fondamentale : pour elle,
il n'e$t pas du tout indifférent d'entendre deux hauteurs ensemble
(accord) ou successivement (mélodie). Rcmar9uons, commenous
l'avons déjà vu, que l'embarras qui se prodwt à propos d'un la
grave de piano, entendu l'oélave au-dessus d'une fréquence pure,
acm!me valeur nominale, ne risque pas de se répéter quand on
joue du piano, ou quand le piano joue à l'orchefue. L'expérience,
tout autant que la convention orche~rale occidentale, assure à
l'oreille que fe la grave ~ bien un la grave, et non son otl:ave
supérieure.
Q!!e l'acowticien ne trouve aucune énergie acouruque en regard
de la fréquence de référence ne fait rien à l'affaire. Il s'agit d'un
fait musical, diruna du fait acouftiquc. Il y a donc, inscrits au mtme
endroit de la portée musicale, des do, des la acouftiquement dif-
férents suivant qu'ils sont émis par td ou tel ~ument : à chacun
correspond un certain speéuc, une certaine localisation de l'énergie,
q_uise trouve " quelque part " dans la tessiture, plus ou moins ef
a.aguëou grave. On voit donc à quel point une partition peut être <·,-
trompeuse quant au contenu " acowtique " de l'œuvre, et, réci· · j
1. Selon la terminologie de Helmholtz. Un musiciCtl <'ft à l'inverse fonc!i à dire : •!
.l
d11plus" naturel "au plus "artificiel ", ell'cct\lant le même trajet du musical au
physique.
J
i
...
188 i
..
CORRÉLATICN EN'!'R.B SPECTRES ET HAUTE.URS
c) &heQes/011Elio11neUes
, expérimentales.
Dans les deux cas précédents, l'oreille situe les hauteurs à l'inté-
riew: d'un contexte i.mtrumental (les regi~res) ou d'un contexte
~&tal (intervalle).
Mais elle~ prête également - comme elle le fait dans l'expé-
rience des résonateurs de Helmholtz - à se libérer de ces con-
textes et même à décomposer en harmoniques, lorsque l'occasion
s'en présente, l'unité imtrumentale dans laquelle ces harmoniques
se " fondent ".
Ainsi, dans un son riche harmonique entendu plusieurs fois,
nous n'entendrons tout d'abord qu'une hauteur prise comme
tonique, couronnée d'un timbre harmonique. Puis, nous di~-
guerons mieux diverses " composantes ", qui nous sembleront
jalonner ce son de " condensations " ; puis écoutant l'hl~oire
de ces tésonances nous verrons émetger telle résonance plutôt que
telle autre. Bien mieux, si nous comparons ce son (que nous sup-
r,oscrons maintenant très équivoque harmoniquement) à une ..
..J
' résolution en accord " que lui propose le piano, ou tout autre ''t
imtrument à regi~ce, l'expérience montre qu'il y aura attraétion ou
répulsion en fonéüon des<luellesnous n'entendrons pas toujours
Je son à la même hauteur : il sera perçu par rapport au schéma que ,.
: f_; le piano en propose. Ainsi nous co~tons qu'un objet donné, -~r.
·J
qw possMe certains caraaères harmoniques, pow:ta prendre en
fon8:ion de l'environnement des valeurs diverses. '-;.~
:rut-illégitime de qualifier de " subjeaives " de telles échelles
éventuelles d'appréciation selon la hauteur? Non, si l'on consi-
dère qu'elles émergent d'une reJation entre les objets, elle-même
fonaion de conditionnements collectifs et d'apprcotissages indivi-
duels.
,:·
~
...,i de nouvelles séleéaons, ou ser2ient écoutés de nouvelle façon .
,.. DHtinguons bien ici entre la notion de hauteur liée aux regi~res
{ infuumentaux, et celle liée à la percertion des intervalles : le regifüe
:..:
I
-~ vient évidemment de la lutherie, l intervalle du solfège. Si nous
espérons généraliser la. perception des hauteurs, c'e§t évidemment
à partir de l'oreille. La notion meme de regi~rc au sens tradi-
tionnel perd son sens dès qu'on abandonne le domaine des imtru-
. ments classiques : une gamme que l'on fait parcourir, grâce au
.
phonogène, à un son concret quelconque, ne signifie plus rien.
'
Mais ce son concret quelconque, si nous l'écoutons soigneuse-
t~. .
\
ment (par exemple, .il provient d'une membrane, d'une tôle, d'une
tige...), nous nous apercevons que Hns avoir, comme les sons
traditionnels , une hauteur bien repérable, il présente ccpcodant
une " masse " sonore située ~uelque partdans la tessiture, et plus
· ou moins caratlérisée par 1 occupation d'intervalles assez bien
déchiffrables. Il comporte, par exemple, quelques sons de hauteur
lentement évoluante, surmontés ou entourés d'un a$régat de
partiels eux aussi évoluants, le tout étant plus ou mo10s locali-
sable dans une certaine zone de hauteurs. L'oreille parvient bientôt
à en re~rer les composantes et les aspe& les plus saillants, pour
peu gu on l'y entraîne; de tels sons peuvent alors lui devenir aussi
familiers que les sons harmoniques traditionnels : ils présentent
une mtllsecaraaéri~que.
Si l'on préjugeait de ces sons comme on a préjugé des sons har-
moniques, on s'attendrait à cc que leur filtrage les limite à des
tranches de hauteurs rigoureusement déterminées par les fré-
quences de coupure des filtres. Nous avons déjà vu, à propos des
LE SIGNA.L PHYSIQUE ET L'OBJET MUSICAL
.:.
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..... 7
ANNEXE
(Cf. pal'agraphe 10,6)
..
·.: /,..
.' f
EXPÉRIENCE SUR LES UNISS')NS
.;,
!(.
en:Jl/$td, supérieur à 40 dB, alors que nous voulions obtenir 50 dB.
L' cacité de notre distositif a été vétl6ée à l'aide d'un micro étalon
pJacé devant les haut-par eurs, dans le local d'écoute.
-·
F
r.a. commwùaltioo du G.R.M. au Cmqui=e coo.gœs intumtiooal d'IICOldtique, _:., .... ~..
,• 41
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d 111t11t111,,,,.;'4/,
mm '4 "'"'""' ,1 /, fllfllla,,,,111al
Liqe, acptembrc t96h P.JJppo,1 :'f
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XI
SEUILS ET TRANSITOIRES
198
l
SEUILS ET TRANSITOIRES
--~
.·. .
i.nfinùnent trouble de ia perception des objets musicaux. Mais
il est à redouter qu'on ne perpétue, en perfefüonnant l'approche
acouruque elle-même, une erreur fondamentale de méthode. Le pro-
-.~ . blème n'e~ si trouble que parce qu'i! est posé dans le contexte
de postulats fort contcltables, dont nous avons souligné les
diverses manife§tations dans le texte <le M. Pimonow, avec
lequel celui de Winckel concorde quant au point particulier
qu'il aborde. Considé~ons le P!e!Ille~de ces textes.
M. Pimonow établit une clirunfüon entre des ordonnances de
sons d'origine hi~orique , telles que la gamme, et la liberté d'utili-
sation des sons à l'intérieur de telles ~ru&ires : " liberté d'utiliser
les transitoires ", dit l'auteur exaél:ement; et, passant d'un sens
précis à une acception large, il localise le musical dans le change-
ment, la succession des sons en général. Évidemment, il e§t tentant
d'accorder qu'une note ou un accord isolés " 11'ontpas de valeur
musicale ,,: il est clù r en tout cas qu'il s ell ont moins que l'œuvre
dont ils font partie. Toute no~e isolée cependant ne s'établit-elle
pas après une période transitoire ? Et ne véhicule-t-elle pas par
conséquent un certain contenu musical ? Et d•autre part, si la
musique réside dans l' arl d'utiliser ies transitoires, comment se
fait-il que /'Art de la f11g11e joué à !'harmonium, in~rumeot qui
ne donne matière à aucun choix d'un transitoire plutôt que
d'un autre -- tous étant également Sl:éréotypés- re§te pourtant
I'Art de la fugue? On voit que le texte critiqué tente de faire coïnci~
der, en jouant sur le double sens possible, le " transitoire ", éta-
blissement physique du son, et le " tr2nsitoire ", enchalnement
de notes con$l:ituant la musique .
Par ailieurs, M. Pimonow lie le « progrès musical ,, :\ l'étude
des transitoires ·- sans plus de précisions concernant l'équivoque
dénoncée ci-dessus -, étude qui consi~erait à mettre en rapeort
des speél:resde fréquences et des sensations. Si le progrès musical,
comme nous sommes en droit de l'espérer, concerne les musiciens,
ceux-ci seraient donc invités simultanément à user librement
des transitoires, ainsi que nous l'avons vu plus haut, et à subor-
donner cet usage aux résultats d'une expérimentation psycho-
acou$l:ique? Conjonaion pour le moins inattendue. Admettons
qu'elle soit nécessaire. Selon quelles normes l'amélioration promise
va-t-elle se produire? l/~uteur nous l'inclique explicitement :
la musique a pour but de " fournir des sons agréables ", c'est-à-
1 dire " qui ne soient pas en dissonance ". C'e§t là une position déjà
suggérée par Helmholtz.
Précisons ici la pensée orclinaire des acousticiens concernant
1 101
..
LB SIGNAL PHYSIQUE ET L'OBJET MUSICAL
avec les stimuli , les objets complexes ou les attenrlons pntkulières --~
qu 'on lui propose . On. peut id cfüting12er.; -
;
<tuencespures de valeurs peu différentes. On tmagine que les condi-
oons de telles expériences sont rarement celle~ d~ Ja pratiq_ue musi-
cale. Elles intéressent surtout le physicien.
..
ka ssœe: ...,., ··,·· · ;· r · :n
1
..
:,.:·· SEUILS ET TRANSITOIRES
i,, !.
Cc deuxi~me type: d:~te~o~ati<?n ~ moins ~quivoque qa~ le
premier. Dans œlw-o il s agissait en effet d'evaluer des obJets
perçus _les uns _par r~PP?rt aux .au_tres sur la sei~e base de leur
prox:imlté physique, Ulrutuant ainsi des compawsons probléma-
tiques; à présent, au contraire, on se borne à repérer physiquemen t
des ~rceptions caraaéristiques, précisant par 11des normes utiles
pour la manipufation des sons en vue d'effets perceptifs détermi -
nés; c'est ains1 '{U•on rejoint, ~~enque de_façeintr~s fru~e. le dom'<lioe
des préoccu1>4ttons du mus1c1en expérunental.
1 J , j. SEUILS TEMPORELS ,
·~
i·
.,,!
· .: Nous de·Qons donc être at"te~tifs à l'étude , entreprise par les
acouruciens , des seuils temporels. Autant, en effet, les expériences
sur les perr.eptions différentielles (en fréquence ou en intensité)
de sons purs et de durée illioùtée sont des <.:uriosités de labora-
toire , autant ceJles sur les sons brefs, quels qu'ils ·oient, recoupent
,. la pratique musicale quotidienne.
' Des chocs espacés nous placent dans le royaume des rythmes. Nous
•: parvenons à les di~nguer encore s'ils se rapprochent, puis, au-delà
i.,
., ac la quadruple croche à peu près, tout s'embrouille. Me tto ns
• qu'on batte la noire à la seconde, ces quadruples croches durent
··,;.-
1/16 de seconde : c'~ à ce moment même qu'on commence à
entendre une hauteur très grave, sans pour cela cesser de perce-
yoir une succession très rapide de chocs q,ui donne à la note une
consistance râpeuse caraétéristique. Ainsi le registre grave du
basson permet-il d'écouter simultanément et une note tonique
grave, et ce que nous appelons le " grain ", qui n'eSl autre que
cette perception des chocs distin&. Plus rapprochés encore,
les chocs cessent d'être sensibles comme tels, et le grain qui eo
résulte devient une donnée secondaire de la perception, par rap-
port à la hauteur de la note.
Ainsi un phénomène de nature physique discontinue (une répéti-
tion de chocs)~ perçu, lorsqu'une de ses dimensions physiques varie
contiofunent (ici, le temps) , cfansles trois registres diflinllssuivants:
celui du rythm~, celui du grain, et celui des hauteurs. Ces percep-
tions sont autant de suggestions musicales : on aperçoit ainsi
comment la connaissance des seuils fhysiques de l'oreille concerne
direétemenl !e musicien expérimenta . Résumons quelque.s résultats
zos
LE SIGNAL PHYSIQUE ET L'OBJET MUSICAL
'
._...._
etc.,
mais cc sont jwtement les réponses que l'on attend d'une théo-
rie générale de l'audition ... Le le&::ur intéressé trouvera un très
bel exemple d'une telle théorie dans le livre déjà cité du Dr Pimo-
now.
Qyant à nous, peu soucieux de théories acou$tiqucs, nous nous
contenterons d'énoncer encore quelques résultats expérimentaux
intéressant cette fois dire8:ement la pratique musicale, c'eâ't-à-
dire décrivant l'oreille en tant qu'imtrument de perceptions d'une
espèce particulière.
:;J.
··~
~
.. :1
petits décalages d'attaque entre les iœtrumcnts d'un m~me groupe '·!
- les cordes par exemple - ne soient pas perçus, et que leur son
: -,· 1
, ..·
global s'établisse par degrés dans le temps, ce qui rendrait plus
vivants le caraaèrc et le timbre des obJets sonores. C esl: sans
doute pour cette raison que le timbre d'un ensemble d'infuuments
dans l'orchestre ~ plus brillant que celui d'un seul d'e.ntre eux.
On peut aussi imaginer que l'attention de l'auditeur se dirige
vers les premiers sons qui lui parviennent di.teékment et se main-
tient pour les sons réfléchis qui suivent à moins de 0,05 s : on
pourrait tenter d'en déduire certaines propril:tés spatiales de
l'orch~e, en particulier ses effets dite8:ionncls 1 • "
L'important est de noter qu'il n'y a pas contradiéüon entre nos
r~marques et les ~périences rapportées par Winckel. Ces e~
nenccs mettent en Jeu le pouvott séparateur temporel de r oreille,
laqueJle cc fond ,, en effet les objets sonores qui se présentent dans
un intervalle de temps inférieur à un vingtième de seconde
(soit dans un" tutti,, où les attaques sont toujours légèrement
!. Op. dl.
%U
kt r zr . C w
SliPS Tf1
, i ::.
,•
SEUILS ET l 'RANSITOIRES
,~.-. -(~,i~·/
~ (licalées, soit lors des réflexions multiples sur les parois de la salle).
Or nos remarqu~s pr~cédentes f~nt état ?e la perc,ep~ion ~e pho,
1··.~-
..,;;
-~ ;--h.'.: 0 ~es ou de p~c~ar1~és dynanu'lues dune âw:ee 1nf~r1eure ~-
cinq_uantcms ; l explication est la sU1vante : dane le premier cas, il
,:.;f-< ,'agJt de ." s~paret " deux évé1;1ementsavec un décalage ~s~t
--~ -··:.(t paur qu'il s01~nt perçus J11Çcess111e"!entet convena~lement 1dent1~
:~~ "·: fiables. Dans _l~~ tre ~as, on per501t en blof deux ~~ements soo?res
.,·..:· .i sans doute mdissoci.ablcs mais dont 1cs qua..ttés respectives
't-- demeurent i:!.ppréciablesdans leur fusion.
~-· · ' Nous serons à même d'apporter des précisions sur ce second
... point au prochain chapitre dans l'étude àes coupures d'attaque, et
' nous verrons alors que l'oreille est capable de qualifier précisément
)a raideur des attaques jusqu'à une durée d'apparition de l'énergie
sonore de cinq ms.
J J, 1 J. MÉCANISME ET FONCTION.
~- .:f'f. .p_hJ.riqms,
notre étude des seufü: n~ms o~~re à cell~, plus gén~rale,
~ •.,;~:.âcs aspe~ temporels de la perceptionaud1ttve: ~u lieu d'~o assiéger
~ ..;•:
r le 111é,~nume, nous c~erchons â comprendre _lécoute comme une
~-~':..
:'~f:opérat10!1de préhension ~~ la durée, et en visons par conséquent
} ·:.;;:r_'.
les Jonllronstemporellesorz,gmales.
,·. ~-·
,~ ~1 ·"1
·'/'i-:!;~
"\"\.
.··'.'
·
-~: ~\
.9._ .
XII
ANAMORPHOSES TEMPORELLES I :
TIMBRES ET DYNAMIQUES
I 2, I . LA LOCALISATION DU TEMPS.
116
·.:-.::..
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·... ·. ·.
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.· . .: ·. . .· ..
·..
FIGURE 7
( paragrapheI 2,J) .....•'i .
ANAMORPHOSES TEMPORELLES ! TIMBRES ET DYNAMIQUES
J~1 ments de temps à J•idée que tous les imtants du son ne s'é~ui
viùcot pas dans la dur~. rien ne nous éloignait du schéma bien
cartésien d'une succession d'imtants ; le premier avant le
deuxième, celui-ci avant le troisième. Rien par conséquent ne nou s
:_
I suggérait de chercher l'attaque d'un son ailleurs qu'à ... son début.
C~ do.oc là. que nous la cherchâmes, après tant d'autres.
.1:. 2.17
...
!-: LE SIGNAL PHYSIQUE ET L'OBJET MUSICAL
u8
ANAMORPHOSES TEMPORELLES • TLrdBR..ES ET DYN..-.MIQUES
·ano (bien au-delà des premiers insc~nts) se!o11qu 'elle était frap-
~ piano, mezzo forte et forte , et ne trouvait évidemment pas
1~même spelhe ; il concluait don c... au timbre variable, bien
entendu toujours en relation avec les spetl:res.
" Par' contre, nous confie F. Winckel, oo n'a pas encore réussi
à t.rouver une explication satisfaisante de l'influence de l'?.ttaque
ersonnelle de fa touche d'un piano sur l'objet sonore. Nous
~'ignorons pas, bien sûr, qu.e le timbre se modifie selon la force
de l'attaque comme le montrent les spell-res... Une :attaque moyenne
rend Je son plus dur; tandis qu'une attaque puissante donne un
timbre br.illant qui se rapproche de celui des in~ments à vent.
Ceci ne suffit pas à renç:lrecompte des différentes nuances de sono-
rité que le piani~e peut provoquer par des variations secondaires du
coucher; des chercheurs de l'Université de Pennsylvanie (U.S . A.)
ont comparé les spell:res sonores provoqués sur le même piano
par le touchei' d'un piani~e célèbre et par un poids qu'on laisse
tomber sur la touche : les oscillogrammes enregi~rés ne mon-
trent aucune différence 1• ,. .
On voit bien là le point faible de l'ac;ouscique musicale : mesures
et hypothèses problématiques, défaut d'ob servations spécifiques.
On perd ainsi la proie pour l'ombre. Poursuivons notre 1'écit.
1'
, . lbidm,.
2.19
1
1
--
[..,,
LE SIGNAL PHYSIQUE ET L'OBJET MUSICAL
.rr
it:.'
U.J
8
LE SIGNAL PHYSIQUE ET L'OBJET MUSIC AL
un début par un autre. Dans quelle mesure cette " attaque ciseaux "
joue-t-elle un rôle parasite ?
Réglons d'abord une question de terminologie . Appelons " début
du son " le début du signal, matérialisé par la bande , et " attaq11e "
la perceptionlocalisée à l'in§tant initial. Reprenons notre son grave
de piano : dans notre première expérience, nous avons fait dans la
bande des coupures droites . Au même endroit , faisons maintenant
une coupure inclinée à 45 degrés : l'attaque e§t très légèrement
adoucie. Répétons l'expérience sur différentes notes du piano ·
nous con§tatons que, dans tous les cas, les coupures inclin~
donnent des attaques plus douces que les coupures droites. :~
celles-ci sont donc les seules susceptibles de re§tituer, le cas échéao~
(pente convenable de la dynamique), l'attaque percutée du
piano .
Notons encore que, pour le piano comme pour le vibraphon e, une
inclinaison plus ou moins grande de la coupure semble moins
déterminante, pour la perception d'attaque, que la pent e de la dyna- _{
mique du son à l'endroit où l'on pratique la coupure : on dira
que l'effet de l'inclinaison de la coupure e§t de second ordre devant
cdui de la pent e dynamiqu e du son .
Résumons notre acquis à la suite de cette première série d'expé-
riences: :;
- dans le cas du piano grave , les attaques obtenues par
coupures droites sont identiques à l'attaque originale (ainsi que
le timbre d'ailleurs).
- ces coupures donnent, dans le cas du piano médium,
des attaques plus ou moins raides selon que la pente de la dyna-
mique décroissante du son l'e§t elle-même au point où la coupure
clt effeéruée; si l'on coupe très près du début du son, où la pente
clt la même qu'immédiatement au début, on retrouve intégrale-
ment la note originale en raideur d'attaque et aussi en timbre.
- si la coupure clt inclinée, l'attaque semble légèrement
adoucie, mais cet effet e§t du deuxième ordre face au précé-
dent.
- pour les percussions comme le vibraphone, ou les notes
aiguës de piano, pour lcs9uclles il se produit un important change- :··.-
ment de contenu harmoruquc au cours du son (disparition du bruit
dû au choc initial très bref), de telles coupures donnent des sons .;.
dont le timbre e§t modifié, mais les règles précédentes re§tent
valables en ce qui concerne la qualité perçue désormais, après
entraînement , comme étant fa raide11rd'attaque .
Rapprochons ces expériences sur l' " attaque ciseaux " des
2.22.
...
.ANAMORPHOSE S TEMPORELLES : TIMBRE S ET DYNAMIQUE..:.
pente dynamique.
'l
i~~- Notons que so~vent, ces trois phases
-~ i: .. :,nt tellement liées les unes aux autres
t:~·.·· · -~l'on éprouve une certaine difficulté A l3 C 1
1
.::~~:,
. •.. )es ~épa~er. Pour les sons à percus· PIG. 8. Pham J.,11a11tiq,,e.1
.., 0 swvie de résonance, la phase B
::-~ .: ._,_:
dNJon e11lre/e1111.
!' ;):·.;-, n'e~ste pas ; As' enchaine ~ectement
;_·,__ :. i C, qw dure plus ou moins long- amplitud e
.
~ i/ ·
-
r .. ·
temps (ftg11re 1).
..
f· · musicale d'attague était liée à la ~c-
"··: ··:; turc physique du signal sonore pat une ....,..·
~ ~·-· double corrélation, qui met en jeu
,.. :,.;__d'une part la dynamique générale du A C
r~·
.- : -~ . 100, liée à son hi~oire énergétique, et
d'autre part son contenu harmonique.
PIG. 9. Phasu dy11t111tùpes
de la ptmusion-rlsonançe.
Face à ces deux sortes de " varfab!es " physiques, nous trouvons ··
deux types différents de perceptions pour caraétériser l'attaque . ·-:~
- un premier, que nous appelons la raideur de l'attaqu~
en relation avec les phénomènes aynamiques;
- un second, que nous appelons la ,011/e11r de l'attaque,
en relation avec les phénomènes harmoniques.
C.CSdeux perceptions sont en principe indépendantes. Toute-
fois, il ~ fréquent qu'une attaque soit à la fois raide et riche
(choc brutal mettant en jeu un nombre de partiels élevé), ou bien
èfouce et pauvre.
Les lois qui vont suivre portent d'abord sur !es sons entretenus
puis sur les sons percutés suivis de résonance. Dans les de~
cas, elles étudient tôut d'abord la perception de la seule raitk11r
d'attaque, sans tenir compte de sa couleur. Nous parlerons ensuite
,·:i ··.
de la perception globale des attaques : raideur + couleur.
},~
·
.-. •.
'
i : . •• 1re loi: pour les son.renfrelen111, tk fa;on générale,l'oreille ell sen-
: ~ : 11 sible,~lff q11alifter sa pemplion de la raideurde J'attaque,à la f 4f01l
don/ l lnergiesonoreapparaitdans le 1e111ps (phase A).
Il s'agit ici, remarquons-le, de l'énergie totale et non pas de l'une
ou l'autre des compoS1lntesharmoniques isolées du son.
/ +-identiques~
-
3 ms temps
FIGURE JO.
-
j ms temps
L'IMrgieapparaitdans1111fe,,,psi11/lrie11r
011 lgal à J 111.r:
IO#fts les altaq,,es so11t
J>erfNU an&la 111l/fle
raideur.
u6 '·
/
amplitude amplitude
globale globale
attaques
~ identiques -~
~
,· ---
L.---'l---'----+
40 ms temps 40 ms temps
f{
.,.
FIGURE !I.
L' l11ergieapparait dans 1111temps comprù entre 1o
el fO ms : l'oreille esl sensible,po11rq11aliforsaper-
}~1~
· -:-·
:~ '
te,f_tionde raideNTd 1allaq11e,à la âlU'éeâ'apparition d~
divarsuq11iaççompagnenl
l lnergie,ei 1to11aNXjl11&t11ation.r
'"
..--~ &elle-ci
•
amplitude
~
globale (son entretenu,
j
de niveau constant)
/
1 I
/
/
I
I
J
-
- \
t
•. 1e
~
t
C
temps
attaque oagma
.
Coupure pratiquée ici
avec une inclinaison
T doMant une durée
d'apparition égale à t.
FIGURE 12.
ù ,011/e,,11
har111oniqt1t
est stable,· dans ,e cas, qt1el
(j1ll soit T el .1i t reste le mime, la ,011pllf'erestilt1tra
1111Ç allaq11eidentique à l'allaqt1eoriginflleen raide11r
et en a111lellf'.
1 ,.
--:
:-.
\~
·-. ~-.. l Z., 8. INCIDENCE DE LA DYNAMIQUE SUR LA PERCEPTION
DES TIMBRES.
~-
~
;:f--
:&l
~~;
Les expériences précédentes nous ont aidés à mieux situer ,;..
l'importance de l'attaque comme élément d'identification du ~
timbre in~rumental. Bien que nous n'ayons pas manqué de noter ·:f
les résultats correspondants, nous voulons en résumer ici les J
conclusions. Nous avons con~até par exemple qu'on pouvait, ·'h'.
ear une attaque exagérément adoucie, transformer un son de piano ..~;
(dans le médium) en un son de tlûte; qu'un son de vibraphone :·s-:
amputé de son début naturel devi~nt méconnaissable ... Autrement :j
dit, pou,r un certain type de sons du moins, l'oreille déduit de ·::
l'attaque les éléments nécessaires à l'identification de l'in~ment. ·..;
Nous avons vu qu'il en clt presque de même pour les sons entre- .:~~
tenus " filés ", brefs ou sans évolution; par contre, l'attaque ;::
devient secondaire comme élément d'identification du timbre ,-:y_
.
lorsque les sons sont affeaés de variations dynamiques ou harmo-
niques au cours de leur durée (vibrato par exemple), et cela d'au-
:tt:
~
·:a ...)
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.,
xm .:-«
·
,.
ANAMORPHOSES TEMPORELLES Il :
TIMBRE ET INSTRUMENT
.,'·
seradonc en vertu d'une habitude musicale, et pour retrouver
une expression familière aux musiciens qui sous-entendent son
appartenance à une colleaion bien d6finie d'objets. Il rdte cepen-
dant à mieux comprendre cette dernière utilisation du terme,
.:v- e11 klaitcissant le paradoxe qui veut à la fois que les .inruuments
,. aient "" timbre, et que chaque objet sonore qu'on, en tire ait,
pourtant, sontimbre particulier. 1
,.
\.
La considération simultanée du contenu harmonique et du
profil dynamique de chacune des notes nous met sur la voie.
En effet, cette dynamique e~ d'autant plus raide que la tessiture
~ aiguë, en m~me temps que Ja complexité harmonique ~
d'aut ant plus riche que la tessiture ~ grave . On peut mettre en
lumière ces variations contraires de Ja façon suivante : une mélodie
jouée dans le médium du piano ~ enregifuée sur bande magné-
tique, puis transposée par accélération à ]a double oélave supé-
rieure, et par ralentissement à ]a double oélave inférieure. Ce
faisant, on modifie la raideur dynamique naturelle par un faéteur
..- con~nt (égal ici à 4 ou 1/4), tout en Jaissant inchangée la compo-
sition harmonique relative de chaque note (puisque le spefue
tout entier ~ transposé avec le fondamental) .
On obtient alors un son tout à fait différent de celui du piano
naturel aux m~mes hauteurs : mélodie jouée s11rle pi(1110deux
o&ves plus haut ou deux o&ves plus bas; mais par ailleurs, c•~
un son tout à fait reconnaissab]e, comme s'il prov enait en quelque
sorte d'un nouvel in~ment, qui ~ sim~lement Je " piano trans-
posé ". Comparons le " piano transposé • avec le piano naturel :
on con~ate d'une part que le grave naturel ~ à la fois plus raide
quant à la dynamique, et plus riche harmoniquement que le grave
obtenu par ralenti; d'autre part, que l'aigu naturel ~ à la fois
plus mou et plus pauvre que l'aigu obtenu par accélération. On
remarque enfin que le piano transposé, qui garde con~ntes les
propriétés de la note, ~ insupportable et " disparate ". Ses re~fues
semblent s'opposer, alors que ceux du piano naturel s'équilibrent
et se complètent. On peut donc dire qu'un in~rument comme le
piano, générateur d'une famille d'objets musicaux différents
mais ap~rtenant incont~blement à un m~me type, relève, en
tant qu in~ent, d'une corrélation caraétéri~que entre les
données suivantes :
4?
i ,.:
ANAMORPHOSES TEMPORELLES : TIMBRE ET INSTRUMENT
~!m- l.
I
--:.._
- les dyn~.miques (donc la raideur d'attaque) varient en
fonéoon direae des tessitures,
..
.fi.
~
- la complexité harmonique varie -en fonétion inverse des
tessitures. On pour!ait alo!s ~cri.re, tout ~ fait _symboliquement
~~
-;:_
«: (puisque aucune 101 quantitative ne sauratt régir de telles per-
-~
"' ceptions) :
~-
-~- Raideur dynamique X Richesse harmonique = con~ante,
.,.,..
..:.
expression qui représente cette " loi du piano ,, !lue nous
cherchions pour expliquer la " convenance musicale ' caraa~
ffitique des objets que cet infuument présente à l'oreiUe.
a) Tran111111lalions
:
Imaginons qu'on puisse tirer du piano dans le médium un son
qui soit à la fois plus riche et plus raide que celui donné par l'attaque
ordinaire : il y a des chances, s'il ~ transposé dans Je grave par
ralentissement, que sa richesse harmonique corresponde alors
:J précisément à celle du regifue grave et que sa dynamique, égale-
ment aplatie par la transposition, soit aussi la même que celle
des notes graves. On obtient effefüvement un tel son en attaquant
au plefue une corde médium de piano, ce 9.uidonne évidemment
un objet musical différent de l'objet habituel correspondant à
cette note lorsque la corde ~ frappée. Par contre, par transposi-
tion totale dans le grave, elle e~ fort voisine d'une note frappée
au clavier dans ce regi~re. Ce piano-pledre ressemble d'ailleurs
à une guitare. En opérant sur un son de guitare ralenti, on se rap-
proche de même du piano grave .
.1 b) Filtrage:
1. Prenons un son grave de piano (/0-i,ss Hz). Si, à l'aide d'un
filtre passe-haut, on supprime la zone des aigus, le son devient
rapidement insolite, voue méconnaissable : l'oreille dt donc
~.
~ LB SIGNAL PHYSIQUB ET L'OBJET MUSICAL
..
!.
sensible à la moindre amputation du côté des aigus. Plus P,récisé-
ment, si l'on filtre à fartu de 400 lh, le piano ainsi mutilé n•~
pas recoonai~able. I ne l'est que si on le laisse intacr jusqu'à
1 ooo H2 envuon.
Effe&ions la manipulation inverse : sans toucher aux aigus
cette fois-ci, supprimons une partie des graves : on con~ate que
l'on peut en enlever bien plus que ce que l'on aurait supposé
a priori, sans que l'oreille en soit gênée pour reconnaître le son·
en pratique, la suppression des fréquences graves jusqu'à 200 fu
(ce qui revient à faire disparaître le fondamental et les deux premiers
harmoniques) laisse intaél:e la perception aussi bien de l'origine ·-·
,.,
infuumentale que de la hauteur initiale (voir figure 14).
J>!ûUIU! 14 .
'Filtrages11r1111e
notegra11t1(J f Hz) •
.\mplitude ~~~ -~
Z.onc 1nnsmise
m ile ~ panic
~ suppr1mécW
)~~~-~ Zone tnnsmisc
de JooHz ~
FIGURE IJ•
FiltrageSllf' 1111e110/e aiglli (2 012 Hz.).
----------------------
·-· ... . .. ...
LB SIGNAL PHYSIQUE B'l' L'OBJET MUSICAL
I ~, j. TIMBRES BT CAUSALITÉS.
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. ., 1 :-cc .
sec. sc.:c
. sec.
(1) (3) (4) (5) (6) (7)
E : pbau d't11/ulit11
R : pbt1st dt riJ011n1t<t
17 (para_grapbt 14,J)
1
FIGURE
Bal,JJ;~r11n11nu
du'' Jtpl JOflJ" diJJ.Jmélriquu
.
. ;/
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~ ,. ... . - ... ....-... .........
~ ,. ~
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i.
ANAMORPP-0S1!.S TEMPORELLES : TZM1'R.E 81 ' iNS 'tlUJMEN'l '
~~::::2.·
venant par des coupures, en ne retenant du " morceau de piano
·:l .~ ·... u
~ ~: que sa résonance finale, non seulement qu'on renouvelle les rela-
:.-· tions fonfüonnelles des objets ainsi fragn1entés, ttws qu'on révèle
une véritable parenté de fttu&re, en place de l'imitation grossière
et anecdotique précédente .
Appelons A l'objet-tige, et "sa " réduaion " au piano. Pour
ne pas nous contenter d'WJe seule expérience, nous comparerons
aussi UJ1 coup d'archet sur une tôle, son B, avec et " œauaion"
au piano b. Coupons ces sons en deux morc:eàu.xA = A 1 + A.,
11= +a1 a., etc.
a1 .,.
A~ (piano)
! (tige)
·/
A a
i>IGUI.Œ l 6.
fonllio1111
ÀNZ111orphoses 1/k1.
r
D ~ bien . entendu que CXJ?érlenœ dont nous parlons doit
se dérouler de façon acousmattque, sur des auditeurs plus ou
moins musiciens, mais moins prévenus que Je leéœur ne vient de
l'ffl'C.
rr•exj>irimçe,· portions ltrmÎlkm.r : relations de ftruéhttes ;
on fera entendre le son Aa suivi du son 11., puis le son Basuivi de b..
On observe ce qui suit :
1. causalité (écoute anecdotique) : l'oreille sent que Aaet B 8
proviennent sans doute de phénomènes acouftiques (et sonores)
analogues, sans pouvoir, d'ailleurs, préciser lesquels, et que, de
même, les sons a 2 et b1 proviennent éUJt aussi d'un m~me phéno-
mène aco\lfflque, sans doute d'un même in~ment (qui, par une
oreille exercée, clt vite identifié comme étant U1l piano);
1. caratlère musical : mais on con~te aussi que l'oreille ~ut
admettre entre ces sons un autre parallélisme qui présente plus
d'intérêt musical que la recherche des causes, à savoir uae cer-
taine parenté de caratlère harmonique. D ne s'agit ici que d'un
rapprochement très $rossier où il ~t de conftater que l'auditeur
perçoit clairement l'mtention qu'on a eue de tapprochet A, de a11,
et Ba de b1 : musicalement le son a 1 ressemble plus au son A.,
et le son b2 à B2 (quoique les provenances soient hétérogœes),
que le son ~ ne ressemble au son Ba ou que le son aa au son b1
(de même pro venance mais de caraaères harmoniques différents).
LE SIGNAL PHYSIQUE ET L'OBJET MUSICAL
t
· , I!
:•
.
; !
veau type de relations musicales va apparaître, un.iquement dépen-
dant des qualités du contenu, de sorte que nous pouvons es~rer
mettre en relation entte eux des sons disparates quant à la pro-
venance et établir ainsi des reg.ifucs d'objets sonores &Ofl'1'8lt.
Cela suffit-il à rccon~tuer un timbre ? Cela ne revient-il pas à la
.,
-· fusion éleél:ronique ? Non plus. Pout retrouver un timbre, il faudra
rééquilibrer du côté d'un invariant évoquant une " ~enté ,. .
Les matériaux concrets, par leur disparate, le nombre de leurs
sources caraaétIBl:iques, permettent, mieux que les sons é!eéb:o-
niques, de façonner de tels timbres, et de faire ainsi apparaître
un " pseudo-imtrument •• dont semblent provenir des colleélions
.d'objets.
I J, 7. CAUSA.LIT! BT MUSIQ!!B.
XlV
TEMPS ET DURÉE
-
_,. ;,
*' .
TIWPS ET DURÉE
:..;
-~·
.' 14,2. RYT"tlMES ET DURÉES.
'
!
••
t.
mettant en lumière le décalage qui se manifefte entre les durées
perçues et les temps physiques lorsque les contenus sonores à
l'intérieur d'un objet (ou d'une ~tfure d'objets, ce qui revient
au même de notre point de vue a&el) sont très disparates.
: :
parlerde " quantité d'information " en rapport avec une aaivité
·
' \
œus.icale qui échappe à toute mesure, et vouloir la diviser par une
·:":
; . unité de tr.~mpsproblématique ? Nous nous satisferons des mots
" densité d'information " dans un sens analogique, qui suggère
sunplemeo.t alors une quantité relative plus ou moins élevée d'évé-
neD'.lCO.tsénergétiques différenciés (et différenciables) d~s une
phase donnée a•un objet musical donné.
On précisera quelque peu une telle notion aux chapitres typo-
logiques, en relation évidemment avec les variations des qualités
~çues dans l'objet.
<:omment interpréter de tels résultats ? Les courts imtants
d'attaque ou d'entretien fixent doublement l'attention, et par la
présence d'une causalité en aaion (faéture), et parl'ime,<;>rtancedes
..:....
évolutions dont le son e§t le siège (variation): l'oreille e§t ainsi
attelée aussi bien à l'analyse des causes qu'à celle des effets. Dès
que ce premier événement~ fini, l'oreille sent, ou présume, que
tous les caraaères qui se développent par résonance ont déjà
Eréexi~é dans la phase d'entretien . Dan s la première phase, l'effort
â'attention accroit le sentiment de la durée de l'événement dont
la mémoire garde, semble-t-il, une . trace majeure; la seconde
phase n'exige _plus qu'une attention diffuse, la curiosité faiblit : la
tmce en clt bien moins importante .
Pour corroborer les résultats précédents, on s' c~ proposé de
"? . faire entendre, en plus de la série initiale des 7 sons :
J. Leur version ralentie deux fois , pour les 5 premiers;
1. Le début de ces sons, isolé des résonances .
Le disque d•exemples sonores édité par lès soins de Hermann
Scherchen 1 pour accompagner notrecommunicationfaisait entendre ,
aptès les cinq premiers sons ralentis, les débuts des mêmes sons .
coupés à 15o ms pour les 4 premiers, à 300 ms pour le 5e, à près de
,oo ms pour le 68 , à 500 et 15omspourledetnier.Onobservececi:
1. Sons ralmtü: l'oreille, nettement plus à l'aise dans le déchif-
frage des sons que, par ailleurs, elle connaît déjà, va pouvoir
préciser ses jugements (d'autant plus que les densités d'information
présenteront cette fois un moins grand écart entre phase active et
phase passive). On ass~era donc à un phénomène très important.
1. Rsppeloos à cette ocasioo le soutico et les cooaeils que oe cessa de nous pro-
diguerœ Maîtœ et animateurincomparable de la musique cootemporaioe.
LE SIGNAL PHYSIQUE ET L ' Oi3Jë1" MUSICAL
.iso
J.
.. TEMPS ET DURÉE
:51
l. 9
.i
,...
LB SIGNAL PHYSIQUE ET L'OBJE.T MUSICAL .·....
.
en t~te, à savoir le contenu harmonique. Q!!ant à la queftion de
savoir si le son inverse paraît plus long ou plus court , elle pro-
v~u e des réponses très variées, parfois contradiaoires. Aux uns
le ' suspense ., f.ùt trouver le temps long, aux autres il l'occupe
et le raccourcit. L'important ~ de comtater que le trajet de l'écoute ·-·
ne s' dfeétue ~ à la ~me vitesse ni de 12.même façon, dans le
son direét et dans le son inverse. Nous entendons par trajet la
conscience que nous prenons de parcourir la durée du son de fuçon
c-.araéMristique.
Le troisième exemple sonore de cette série ~ encore plus inté-
ressant : en version dire8:e, il fait entendre difunélement deux
phases (entretien-résonance) ; en version inverse, le passage de
la résonance à l'entretien paraît continu. On ne dirun~ue plus
les deux phases. L'inversion des parcours transforme l' obJet com-
posite en un objet mieux fondu.
Tl \ 1PS J T 1)111\~I
255
..
,·.''
Mieux éclairés à présent sur les relations entre le temps physique ....
et la durée perçue, examinons les usages de la musique classique
et les possibilités de la musique expérimentale . '
Voyons comment ]a musique traditionnelle a pu, à fa rigueur
confondre durée et espacement des objets . Voyons, en revanche'
combien la musique contemporaine ne peut en faire autant. '
On peut dire, en effet, que la musique traditionnelle emploie
de préférence : ~}
\,
TEMPS ET DURÉE
. ..
.......
l
UVRE. IV
OBJETS ET STRUC'fTJRES
-:
.-
..~.·
'
'
._;
XV
RÉDUCTION A L'OBJET
......
,· ,
.~..:· RÉDUCTION A L OBJET
.....
~rf•..:"
J f rt.vons déjà indiqué au § 7,4) q~ ne se présentent pas comme
' :p.Jtaot ailleurs que dans ~ ~oosaen~e.
iiif...~
\-:/;,
); (h!elles sont les caraaér1sttqu:5 9~. permettent de reco!lJlaître»
~...· · f\UX uns comme aux autres, I'objelli111te
? Husserl nous en informe
il ·",tôt abruptement. L'objet dt « le pôle d'identité immanent aux
~~~~-- ~us particuliers, et .Po~rtan~ .~anscendant dans l'identité qui
.'.\~ _- -· ;~se ces vé~us ptrttculiers .
. "l.i.t: -
'.''t. Q!!'dt-ce à dire ?
~; ~"\; Ces vécus parti~ers, ~c sont le!multiples imprcss}ons visuel-
'.~~i i les auditives, taailes, qw se succedent en un flux mcessant, à
t~~'-' J.
us~ers lesquelles e tends vers un certain objet, je le " vise ",
?~~ -· · .et tes ~vers mo ~s selo,:i-l~que~s j~ me rapporte à cet objet :
./ ~-:::: percepoon! souyerur, désir,. u~1agtoat1on, etc. . .
'/ ~ ';:- En quoi l'obJet leur dt-11 immanent?C'dt qu'il confütue une
•::; .:. t111ité correspondant à des aflu de synthèse.C'eft vers
i11tentionneUe,
_.-;:"·: lui que se dirigent ces multiples vécus, a~tour de lui qu'ils s'ordc,n-
;_ :;f~ ~ ncnt si bien ~ue je ne peux rendre compte de la fuutb.u-e de ma
·.··· conscience qu en ]a reconnaissa~t perpétuellement comme " con-
~;i{
:.
. -.,.___,
:_-
science de quelque chose ". Dans cette mesure, l'objet y ~ contenu.
Mais il ne s'en présente pas moitis comme lran.mnda,,I, dans la
(
t
•
-~
. , .,.- mesure où il demeure le même, à travers le .8ux des impres· )
f;_:. sions et la diversité des modes. L'objet perçu ne se confond nulle-
ment avec la perception que j'en ai, par exemple , Sur ce point,
·,lt . nous citerons un passage bien connu des Idées direllritespo11r 1111e
~=.,
;~ phinominologje
:
':-~"t
- " Partons d'un exemple. Je vois continuellement cette table ;
r_~,~_
-, ;'~
.-~-~-
·,;:·:~~-.~
,::_.:=
_:·,
·_:_-_: j'en fais le tour et change comme toujours ma posiùon dans l'es-
:_ pace; j'ai sans cesse conscience de l'exi~ence corporelle d'une seule
et même table, de la même table qui en soi demeure inchangée. Or la
-~/) perception de la table ne cesse de varier ; c'e§t une série continue de
.\\:, perceptions changeantes. Je ferme les yeux. Par mes autres sens
Je n'ai pas de rapport à la table. Je n'ai plus d'elle aucune percep-
tion. J ouvre les yeux et la perception reparaît de nouveau. La
perception ? Soyons plus exaa. En reparaissant, elle n'~ à aucun
. ... égard individuellement identique. Seule la table dt la même : je
-.,.·.· prends conscience de son identité dans la conscience synthétique
:<L:
-· qui rattache la nouvelle perception au souvenir. La chose perçue
;:;-·j· peut être» sans être perçue» sans même que j'en aie cette conscience
:::.r< simplement potentielle ... elle peut être sans changer. Q_uant à la
.-··,, perception elle-même, elle dt cc qu'elle~ entraînée dans Je fiux
• t.; •
-:1.:
•
,....
•-,1:
· . I . HUSSEI\L, Logiq,ttJor1111/û
tJ Logiq111 P.U.F.
Jr11111mldanlal1,
~!~~J
~~ - ~3
-~-.
OBJETS ET STRUCTURES
1. Hun2iu., op.ût.
RÉDUCTION A L•OBJBT
1. MAutua MaJUJ1.Au,PoNTT,
Pbmo1t11M"11i1
IÛ /q prmplim, Gallimard.
RÉDUC1'10N A L>OBJE'f
J. .
I j,4, L'ODJEI' SONORE.
t. Cu le cbenl n'dt pas moins pdscnt dans l'enrcgirucment (sans vision) que
damla photo (sans audition). L'acousmatique ne crée pas, ip,o falk, l'objet sonore.
a. Nous avons abandonné les teunes signal et plus encore sig,,1pour cette réCé·
J"CDCe.
5. Cette intention de n'écouter f/1# l'objet sooore, nous l'appclona, l'lt011t1,-/ail#.
Elle a ~ annoncée à la fin du chapitre vm ; elle sera décrite plus en détail au para-
gœpbe twftllt.
· ··· ···- ·- -,
Rm>fJCTION A L'OltJE.l
l j , j. L'ÉCOUŒ RÉDUITE.
.. ~
! j , 6. LA GESTAL'f'I'HEORIE.
J,..
RÉDUCTION A /}OBJET
t. Vuiante, de sens identique:" Uoe partie dans un tout efl autre chœe que cette
partie iso~ ou dans un autre tout. "
. J,,:.,
••
OBJETS ET STRUCTURES
les notes sont modifiées, mais où les rappor ts de ces hauteurs sont
préservés.
Par contre , l'altération de ces rapports , par la modification
d'une seule not e, en fait une autr e mélodie.
Mais une note isolée, sur un fond de silence, est, elle aussi
nne form e. Elle apparaît comme une figure se détachan t sur ~
f ond. Ain si, dan s le domaine visuel, une tache color ée sur une
feuille de papier blanc.
Nou s ne perc:evons jamais rien d'élémentaire ou , du moins
l'élément ne se donne jamais que comm e unité détachée d'~
ensemble complexe. Plus la forme d'ensemb le clt solide, plus ses
éléments nous paraîtront stables, solidement individualîsés, et
moins, paradox alement, nous aurons l'impression qu'ils sont -~
conditionnés par cette forme. i,
Aussi , la plupart des expériences des gestaltistes vont-elles l
consister à déconc erter l'organisation perceptive , à ébranler la
solidit é du mond e pour le surprendr e en train de se faire : étude des
cas patholo giques et des illusion s d'op tique ; pr ésentatio n de for-
mes ambiguës où la figure et le fond peuvent s'intervertir : tantôt
vase noir sur fon d blanc., tantôt dewc profils blancs sur fond noir ;
' altération de notre système de références : obscurité totale où se
t .
déplace un point lumineux, nùroirs inclinés, lun ettes à redresser
r· les images rétiniennes, etc.
A la faveur de tels glissements , un problèm e se démasque :
celui de la délinùtation de l'objet que nous dissimulait sa trop
grande évidence . C'clt qu'en effet les unités qui nous apparais-
sent ne risquent pas seulement, replacées dans un autre ensemble,
d'êtr e différentes. Elles risquent de n'apparaître même plus comme
unités. Les images-devinettes où l'on nous convie à retrouver le
profil d~ Napoléon dans ce qui se présente, au prenùer coup d'ceil,
comme un coin de forêt, nous en offrent un bon exemple : telle
ligne, qui représentait le contow: d'une branche se détachant du
ciel, change subitement de fonaion, pour devenir le contour d'un
profil se détachant sur le fond amorphe qu'~ devenue la branche
de tout à l'heure. Certains traits, il y a un imtant indépendants
les uns des autres, se sont regroupés en une nouvelle figure. Tel
détail, tout à l'heure essentiel, recule au second plan, tel autre
surgit au premier plan, tel autre ~ franchement omis parce qu'il
,n·~ pas cohérent avec la form e pàocipalc.
174
.·,·....·..
·:(·..
.~ ..
· ~~ l), 7. GESTALT . FORME. STRUCTURE
'I'~
~'\:r
-:~
~f - Q!!el usage allons-nous, pour notre compte, faire de ce concept ?
~t....
• 6~
.~. -··
,.
,
·-.
';~ t
' ..
• ~
;.
1 j, 8. LS COUPLE OBJET·STRUCTUR.E .
,l .-.
mêmes, quel que soit leur domaine sensible ?
Dans le premier cas, la musique, domaine clos, ne devra qu'à
1_.,
r-1 l'empirisme de ses expériences propres de distinguer peu à peu ses
objets, ses §truérures, ses systtmes.
l '.
..",
........
:i:
'- -.~
1 Dans le second, elle serait l'un des terrains de manceuvre d·une - ?-
1 recherche plus générale, interdisciplinaire, souvent annoncée :\
1
sous le vocable de llr11flNralù111e. l
î
; Saussure pour une part, Troubetzkoi et Jakobson surtout, avec f.
l'École de Pra~ue, ont été les promoteurs d·une démarche aujour- ..
f,
STRUCTURES DE PERCEPTION
'\ ..
16,I . LES DEUX INFINIS .
;!.' ·<;._-::
. ··,.
Ce qui foudetait la génénlité des règles de la perception, appli-
.· .. cables à la musi9.ue aussi bien qu•aux langages , et, pourquoi pas,
,
...:~ nance
à J'image aussi bten qu'au son, ce n'e§t pas une miraculeuse conve-
des choses les unes aux autres, mais évidemment une même
.j aaivité de l'e~rit devant elles. Cet argument prom etteur nou s
·f promet aussi bien des peines. .
.......
'\ Puisque l'objet perçu (comme unité intentionnelle) répond à
:. une fuuéh.tt e (de l'expé rience perceptive), nous avon s toujour s
--
=~·· .
,:- \- tendance à séparer ces deux asÊ:
.l '· · et l'~ricnce,
l'objet, qui serait d'un côté,
qui serait de 1 autre ; ou encore la §truthu e per-
çue et l'aéüvité conStituante. Nous savons qu'en fait C-e$ldéjà
.
"t-- Mais
t~
ruiner la notion d'objet, oublier l'authenticité de la perception ,
prendr e conscience de cette expérience, c'e§t se donne r un
nouvel objet de pensée, c'eft user d'un certain recul sur la pet··
~ ception four mieux examiner son mécanisme. Ce n'e§t plus en-
'·l tendre, c c§t s'entendre entendre. A son tour ce mécanisme, si je
~ l'examine, c'e§t en vertu d'une §truérure de la conscience réflexive
r"
y. qui me demeure cachée à son tour... Ainsi de suite, .\ l'infini.
~~ De la meme manière, en conclusion du chapitre précédent, nous
avons parlé de l'imbrication des niveaux de ftru&ration qui cons-
tituait une chalne sans 6.n dont le maillon était double. Dès que
j'examine les m&:anismes d'une perception, je suis obligé de la
rapporter à un niveau supérieur où elle m'e§t apparu e objet àans
une ftru&irc, et si je l'eumine désormais pour clle-mtme, isolée
de cette ftru&itc, c'dt comme ftruérure qu'elle se qualliiera cc.
permettant d'identifier les objets du niveau au-dessous . Ainsi
1. Cette formule poftulant qu'à cc niveau , et d'une façon autre que celle du fongage,
la musique a un ,,,,, , plutôt que des aigni6c:ations.
2 . Tout comme Je myft~e de la vie réside au niveau cellulaire .
: '· ·. dt
... ~i .
- · - - ·- ---..
-
OBJETS ET STR.UC'l'URES
Elle ~ partielle. Elle s' opès:e sous forme de règles qui se présen-
tent comme des absolus : " ceci se fait " et surtout " cela ne se
fait pas ".
On peut aussi le découvrir fortuitement. Le " nouveau " qui
s'intro_duit dans~ groupe l'apgrend à ses dépens, ~o~ sans avo~
commis un certam nomore de fausses notes ·". Mais il peut ass1-
oillcr le code dire&ment> sans en avoir vraiment pris conscience.
c.elui '/i~
sera le mieux plaœ pout le faire se.ra cc-lw qui a ~versé
des 00 ·eux assez divers pour avoir appris à la. fois la relativité
des codes, et leur importance : les sachant variables, il ne confondra
aucun d~eux avec les dix Commandements; les sachant impé-
rieux, il n'attribuera pas à des traits de caraaère individuels ce qui
s:clèvede la règle colleaivc.
Les ayant observés, enfin, et comparés, il pourra se poser deux
sortes de qu~ons : ou bien s'intcaoger sur leurs origines, his-
toriques, psychologiques, etc., et sur les fa&urs qui sont suscep-
tibles de les modifier ; ou bien les considérer à un moment donné
du temps, indépendamment de tout jugement de valeur, et de
toute interrogattou sur les causes, pour se demander " comment
ils sont faits ". C'dt alors qu'on apercevta vraisemblablement
qu'il s'agit de syllèmes,de totalith ~uilibrées où, comme dans
les ~&ires perçues, la modification d'un seul élément entraîne
un remaniement de l'ensemble.
Nous retrouvons ces diverses attitudes, nettement représentées
et diftinguées dans les sciences du langage: la grammair~, nor-
mative, avec ses prescriptions et ses intcrâiaions ; la séparation,
une fois dépassé ce ftadc, entre la langue et la parole, le code et la
conduite, observée par Ferdinand de Saussure : d'une part les
conventions qui nous ~rmettent de nous comprendre; d'autre
part les discoun particuliers cffeaivement prononcés ·et entendus
qui s'y réfèrent; la sé~ation, enfin, de l'étude des langues selon
deux pcrspcaives : l'~de de leur évolutio~ dans une pcrspcaive
biftonque, Jiaçhroniqm, et leur étude en tant que sygtème, à un
moment donné du temps, dans une pcrspcaivc sy,,çhroniqm.
.. dJ
10
OBJETS ET STRVCTURES
lit aussi facilement <jU'onlit et écrit les paroles que nous pronon-
çons "), nous avons à cela d'autres raisons peut-être meilleures.
1. Dans nul autre domaine nous ne verrons posé avec autant
de clarté le problème de la délinùtation des unités par rapport aux
~érures, et, de là, pat rapport au sy§tème et à l'intention domi-
nante.
z. Comme la musique, le langage e§t sonore et se déroule dans
le temps. Il ~ intéressant de comparer les emplois, ~uéhires et
perceptions qui divergent à partir de cette base commune. Il e~
non moins intéressant de chercher un point de vue, au-delà de
ces con§tru8:ions, d'où l'on puisse considérer à la fois les unes et
!es autres. Nous ~ourons peu ?,e ri~ques de ,nous tromper en sup-
posant que ce pomt de vue, s 11eXI~e, e§t a rechercher au niveau
de l'objet: sonore.
Pour ~tre complète, notre comparaison devrait traiter du " sens
de la musique". Les §truélures du langage sont évidemment com-
mandées par sa fonéüon de communication. Une définition de
la communication musicale, qui apparaît immédiatement comme ..
d'une autre sorte, nous permettrait de mieux comprendre, à
partir de leur fonéüon, les ~éhues musicales.
Parfaitement conscients de cette dépendance, nous avons sim-
plement choisi de procéder dans l'ordre inverse : la considération
de ses §truéhues, le problème de la délinùtation de ses unités peut
nous rensei~er sur le sens de la musique. Et cette approche
indireél:e a l avantage de nous éviter des dissertations e§thétiques
sans issue.
·.=-
.., : .
.• se, ., ,, I. D. MAuœeaG, la Pbo1'1Jiq11t," Qye seis-je? " •
;, ... 2. F. de SAussuu., Courstk ling,ùfliqN,glnlrah, Payot.
Y.·
16 , 7. LES PHONÈMES : OU TRAITS DISTINCTIFS.
186
*'
STRUCTURES DB PERCEPTION
l
'{
'
i
sède encore en puissance la faculté de prononcer tous les phonèmes ,
et l'oreille la plus neuve, encore qu'iiihabile-.
.,1
! Cette gen~e du langage npt,s reconduit à notre premier chapitre.
Au sens où nous venons de le décrire, et sans tenir compte du
t et ~- B. MAU«ilSR.G , ouvrag~ cité..
a. MAllTINAT, ~, zi,,lrah, ad. A. Colin.
M /i,rgllifli(JIII
OBJETS ET STP.UCTUR.E.S ·.-.,
188
J
w
STRUCTURES DE PERCEPTION
.
J
<' 16,9. OBJ.ET SONORE E'f PHONÉTIQUE.
:~
Si nous trouvons dans la note musicale , élément con§tituant
' des §truél:ures musicales , l'équivalent de la syllabe, élément
con§tituant de la chaîne parlée, n'clt-ce pas au niveau de la pho-
nétique que nous trouverons un précédent méthodologique ? La
phonétique ne nous donnerait~elle pas l'exemple d'un solfège
des objets verbaux ?
Oui et non. Le niveau auquel on se place, celui des sons
concrets, est en effet le même. Les buts de la recherche diffèrent,
et les méthodes par contrecoup.
J.
OBJETS ET STRUCTURES
1.
·.·" .:.
OB.JETS ET STRUCTURES
M , . ... , . - ' -·
.. ,
STR.UCTIJRES DB l'lUlCBI>UOk-1
'
.
--l
.1
XVII
STRUCTURES COMPARÉES :
MUSIQ!JE ET LANGAGE
1. Encore &ut•il remarquerque ces niveaux sont beaucoup plus essentiels pour
la musique que pour les langues.
.,
·,
STRUCTIJRES COMPARÉES : MUSIQUE Er LANGAGE
Inférieur phonèmes~
mots~ Lexicologie
l
Supérieur ph.rases~ Synwte
PIGURE 18.
S,héma d'ensembledes lttldes ling11illiq11u,
propos/par Ullmann.
1. Nous retrouvons ici les rapports embarrassé$ de l'acouftiquc et d 'Wlc a,1111/r,g
ir
:iu même niveau diRinfJij.
.,
·,
~ - ..
,t
,1 OBJETS El ' STRUCTURES
l;
.
17, 2.. LE LANGAGE .
••••
·:·~~· •
17, J· LBS RÈGLES DU LANGAGE.
.·=
i."
··;:;;
't
" P~ler,. s~lon Jakobson 1 , !mplique la_ sikf!ion .d~ certaines
unités lingw~ques, et leur ,cmbmauonen unités lingulffiGues d'un
plus haut clegré de complexité. Cela apparaît tout de suite au niveau
Jc:xical: le locuteur choisit des mots et les combine en phrases
conformément au sy~ème syntaxique de la langue qu'il utilise;
...,
~
les phrases à leur tour sont combinées en énoncé. Mais le locuteur
n'e~ d'aucune manière un. agent complètement libre dans le choix
,., des mots : la séleél:ion (exception faite des rares cas de ;,éritable
néologism e) doit se faire à partir du t1ésor lexical que lui~même
et le deftinataire du message t>_?Ssèdenten commun . " Il semble
qu'on doive cli~nguer dans l exposé de Jakobson :
197
~;~ ·- ..
-
OBJETS ET STRUCTURES
z.. La co111binai!on.
" Tout signe e§t composé de signes con~- '
\~ .
il
17,4. APPLICATION DES RÈGLES DU LANGAGE
l.
~
A LA :HUSIQUE.
A
STRUCTURES COM PUÉBS ! MUSIQUE ET LAt."\îGAGB
:-·
-J!i,.._
OBJBTS 1!:t STllUCfURES
)01
OBJETS ET STRUCTURES
' .
1, _-
... -f
piq11é.Je ne puis m'empêchei: de remarquei: ce ,araflèredomi1111111
des objets. Il en vient même à masquer, le cas échéant, la variation ~~/ .··.:
de timbre, dont la valeur s'atténue au profit de cet im,ariant.Je me ..°Kr:•
rapproche du cas du piano : la ru:uthue mélodique s'en trouve
évidemment fortifiée au détriment de la Klan~rbenmelodie. -~
Q!!'est-ce au ju~e, qu'une Klanf!.farbenmelod,e? ;.,.
Pour qu'elle soit absolument Ji111int111fe, il faudrait que rien ne '
vînt masquer la perception des ,011/eurs. Comme celle des hauteurs
l'emporte infailliblement, dès que celles--ci sont employées en
valeurs, on est contraint d'utiliser des sons de même hauteur (ou
des sons complexes où celle-ci ne s'impose plus avec la même évi-
dence : regi~re des sons diffus, graves ou médium, suffisamment
troubles pour s'y prêter). Prenons maintenant ce cas linùte. Un
basson, un piano, une timbale, un violoncelle, une harpe, etc.
jouant à la même hauteur, sont censés créer une 111ilodi1 d4 fimbru:
C.Ctte séquence, ou ru:uéhlre, va donc se décrire en inversant les
termes habituels. Dans les exemples précédents, les timbres appa-
raissaient en général comme catad:ères, et la hauteut comme valeur.
Ici, tous les sons ayant un même ,arall,r1 de ha11fe11r, il nous faut
chercher autre part les valeurs. Mais, lorsque nous tenterons de le
faire, nous n'allons pas forcément trouver devant nous une valeur
évidente; peut-être allons-nous reconnaître encore des iftllr11ments
et non une véritable Klangfarbenms/cdie. C.CStimbres sont, ou trop
marqués, ou trop ftous, pour qu'il s'en dégage une valeur nette,
émergea.nt à notre écoute.
La tentative de Kiaftgfarbenmelodi,se heurte donc à deux
ob~cles : ou bien elle demeure masquée par une perception domi-
nante, celle des hauteurs (et on doit s'efforcer par un nouvel art
des sons de maqllillercette perception par un choix de sons équi- ....
·,
dans son propre syftème. Tandis que le gong la menace de bru - .::
talité la KJa,igJa,-be11111elodie
réclame des raffinements inhabituels. '
~ Wle telle contradiaion, le syftème éclate, et il y a des chances
paur que le 111a/111lefldN
domine: les uns n'entendent pas ce que les
autres leur ont donné à entendre.
Il rdte néanmoins, de cette tentative, une idée essentielle à
retenir : la permutation des valeurs et des caraélères (qui semblait
inconcevable en musique traditionnelle) apparaît comme accessible
à l'expérience . On a porté atteinte au syftème: ce qui n'était que
,ari1111t,
peut prendre valeur de plxmèmedans un autre syftème à
venir, Il rdte, bien entendu, à vérifier ces possibilités de nouvelles
relations. Mais la remise en cause ~ fondamentale. 1. .
',.
I 7, 6. VALEURS ET CARACTÈRES.
--~ _·:
Nous aboutissons donc à un con~t d 'échec. Nos règles s'appli-
quent trop bien . Si la seule valeur e§t la hau teur. si nous en sommes . 1
réduits au vocabulaire, fort mince et par trop classique, des degrés,
il ne nous re.<'.leplus effefüvement qu'à raffiner sur les permutations
sérielles, et bâtir des épures satisfaisantes pour l'œil, en jouant avec
les ordinateurs. On peut bien compliquer le jeu en y associant ·
les durées et les intensités. Comme nous venons de le remar-
quer, c'e§t joindre beaucoup de rigueur à trop de laxisme. Les notes
traditionnelles, assez précises en hauteur, ne le sont point en durée
ni intensité. Enfin, le timbre des notes elles-m~mes, dans leur
regifue infuumental, lie étroitement ces trois valeurs. Ce ne peut
être que tricherie ou naïveté de parler, dans ces conditions, de
fuuéhires rigoureusement calculées.
Comment sortir d'une impasse si notoire, et si réelle qu'elle
condamne toute une génération à nier des évidences avec l'énergie
du désespoir? En faisant une remarque fort simple: nous n'avons
r'
~1
STR!JCT'JRES COMPARÉES : .MtlSIQVB E'1.
" LA..NGAGB
306 -~
.._;·
t
C. ]'entends
î
A. J'écout ~
t
C. J'e.'ltcods
t
A. J'koute
t t i3 t
3 X l. B. J'ows 2
l
C'..csdeux schémas ont l'avantage de résumer brutalement la .•.i.
situation dont ils sont loin, cependant, de .(>Ouvoitconvenable- ..i
l
aiquc il n'y a rien à comprendre. .". \
En fait, il y a eu clivage et cho.ix. pour le langage, aussi bien . ··,e.
~~
dans le j' /((JN/1 ~ue dans le j'entends.De même que, rour le musical, :~
il y a eu rejet d une certaine part du j' i,011/eet au j entendsdans un : -~
J
,f.
naisons d'objets et les propriétés d'un champ perceptif musical,
propre à l'homme, apparussent désormais comme le problème
essentiel de la musique.
!
t
t 17, Il. LA MUSIQUB INSTRUUBNTALE,
i
1
1
OBJETS ET STRUCTURES
..
Tant que les instrume11ts ne compcent pas o_u. si peu , et que les voix
s'identifient par la cohérence du contrepomt , on r eut admettre
que la langu e domin e, i cela prè s que la langu e m ~:s:cale eStpo/y-
phoirique,et compo.r.te1 même et surt<?ut ~ l'état _le plus pur, cette
différence avec la chatne parlée ; elle linéaire . Mats lorsq ue lasono-
rité instrument ale, s'incorpore à la vako:u ?: des notes, lorsqu'ilfaut
lire la partition dan s un double symbolisme, l'un des signes du
solfège , l'au t.re des concepts inStrnmentaux : voix, clarinette
tambou r, etc. ; on doit admettre qu'on sort d'un pu r sy~ème d~
douze sons, pout entrer dans un autre, plus riche mais rnoins pur.
Le code du se8:eur 1 se surajoute et s'entremet , se recombine avec
celui du seél:eur 4. Le vocabulaire , de restreint et combinatoire
g_u'il était, devien t foisonnant et autrement qualitatif . Une dimen-
sion - et qu elle dimension , elle-même à plusieurs dimensions ... -
se surajoute . A première vue , le système échappe à l' analyse et,
F.n to11t cas, son é.cr.iture devient frag ile et bientô t menso ngère.
T~.nt qu ' on en reste, en effet, à la musique pure, on se trouve dans
la situa tion de la langue, par rapport. à ses textes . Il. e:,ri§teune
relation triangulaire entre le signe de l'écriture, la valeui: sonore
qu'il repr ésente, et le sen~. Q!!e j'éctive le mot seus, ou que je le
prononce, il est entendu que ces signes visuels ou sonores sont
équivalents, me renvoient au même concept . Q!!e j'écrive .roi noire
J ou que j'entende sol noire (quelle que soit sa réalisation sonore),
il est entendu que je suis renvoyé au même sens, c'est-à-dire que
cette note, mise en combinaison avec un ut blanche (quelle que
1•
1
soit sa réalisation), donnera la même configuration de niveau supé-
deur qui a un sens dans une certaine musique. A partir du moment
où je lis : sol de clarinette ou de violon, je fais intervenir d'autres
i valeurs, d'un autre genre, et je suis obligé d'évoquer la musique
t de deux façons . Ou bien, en oubliant systématiquement ce détail,
l1 je ne retiens alors de la partition que le squelette (que j'appelais
précédemment musique pure), ou bien j'évoque ses objets authen-
1
1 tiquement, sans être obligé eour cela de réaliser le son d'une cla-
[ rinette ou d'un violon parttculicr : je colore par la pensée cette
note de ce timbre générique. Je dois alors prendre livraison d'une
musique plurielle, d'un code aux combinaisons multiples et assez
vite imprévisibles. Un temps, en effet, la partition pourra se réduire
ainsi, mais bientôt on y retrouvera cette association de deux termes
qui relie le message à ;son émetteur, le sens à l'événement . La musi-
que sera double : partition d'une part, suite de signes musicaux au
sens classique, orchestration aussi, suite d'événements musicaux
à l'impaa de plus en plus aél:if,évolutif. Ce n'est pas que la musique
1.
STRUCTURES COMPARÉES : MUSIQUE- ET LANGAGE
X
devienne plus concrète, le mot serait tro mpeur. Il s'agit de deuz
:e sortes d'abstraaions du cono:et : l'une porte sur une qualité des
Y-
objets sonores, qui leur donne un sens-commrm,l'autre"porce sur
te
un certain caraélère des objets, qui les rapport e à une originecom-
111,me.On ne peut plus dire que la musique se réduise alors à sa
>-
lt Jang11e: il fa1.1t lui rendre la parole.
u
.
ï~
r.
:c
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l-
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1-
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C
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z
e
s
il
s:
e
Code?
sig11ijfratio11
?
t
4 l
phonologie des matériau.'<d'1111e phonétique des matériaux
langue particuli~re universels des langues
(traits phonologiques diftinaïfs) (traits phonétiques généraux)
z~~~~~~~~~~wm~~~~-~~~~~~~~~/4W/~
spécificité de la parole
3 2
traits pertinents traits pcninents
des intonations des locuteurs
I._ _ ___ ____ ,.. _____ _.,,,
Le LANGAGE
FIGURE 19 A.
:. 1
l
Codedl sens ?
t
4 I
3 2
sonorité sonorité .
des notes des exécutants
- -- _ ____ _..
_.........
,.
XVIII
Il
- ·-..,
~:
\ ._.
OBJETS ET STRUCTURES
1. a. chapitreXXXI,
316
+z
.,...:
\
LE SYSTÈME MUS!C AL CONVEN TIONNE L
l i
Î
l
nous, une fois encore, du vocabulaire de Lalande : " Abstrait se
dit de toute notion de qualité ou de relation que l'on considère l
de façon plus ou moins générale en dehors des représentations où .j'
elle e§t donnée . Par oppositio n, la représentation complète, telle j
qu'elle e§t ou peut être donnée, est dite concrète.,, On voit qu'on
aboutit à deux sortes d'abstraéüons musicales : celle qui condui t i
à des valeurs, qualité reconnue à une colleéüon d'objets ; et celle
qui conduit au timbre instrumental, marque de l'instrument sur
d'autres colleéüons d'objets. Cette opération d'abstrafüon ressem-
ble fort' au mécanisme qui fait identifier l'objet dans la ftruéhire,
sauf qu'elle résume les expériences . C'clt " une afüvité de l'esprit
considérant à part un élément - qualité ou relation - d'une repré-
sentation ou d'une notion, et portant spécialement l'attention sur
lui, en négligeant le re§te " .
Ainsi le terme violon,dans l'indic ation " un sol de violon ''. n'e§t
pas moins abfünit que la valeur désignée par le symbole sol. On a
retenu, en oubliant le reste, ce qui pou vait être commun à tous
les violons possibles.
Bref, notre schéma est compromis. Nous avions eu, en effet,
tendance à l'orienter en sens unique, du moins dans les systèmes
conventionnels où l'objet sonore dt oublié au profit du sens.
Mais nous ne pouvons nous en tirer ainsi sans irréalisme. Les
deux tableaux du chapitre précédent l'ont déjà montré, qui
correspondent à un schéma unique des struéhires de percep~
tion.
+
.,,
5
"'
..,
général
~
Dans tous les cas, et de toute façon,
nous allons donc être obligés de croûer
deux phénomènes . en quelque sorte per-
~ pendiculairu. L'un d'eux a été maintes
-~ ~ fois décrit : c'est la double polarisation
de tout objet sonore vers l'événement
l
i
j
i
-v et le sens, vers la source qui l'a produit ,l
particulier et vers le m~ssage qu'il délivre. ~'a~tre l
dt une relation du général au paruculier. :~
Q!!e pouvons-nous ab~raire d'une accumulation d'expériences
particulières, dans l'une et