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INCONVERTIBLE (intro)
Le sens premier de conversion est un tournant que l'on prend ou fait prendre,
on donne ou prend un autre tour, une autre forme, on change de matière,
d'aspect, de croyance, de valeur, l'un devient autre, la conversion est une
altération, voire une métamorphose...
Dans la translation, au contraire, on glisse, on fait glisser, on passe on fait
passer d'un côté à un autre (sans qu'il y ait changement de matière ou de
proportions internes de l'objet translaté), la translation est un voyage, un
passage, un transport.
La conversion suppose une plasticité de l’objet en devenir, la translation
implique la constance de l’objet en mouvement.
Une conversion peut avoir lieu sur place, sans déplacement dans l'espace ni
dans le temps, ou, en tout cas, elle pourra se limiter à un simple pivotement.
Elle n'est pas nécessairement mais peut être la conséquence d'une
adapattion à un changement de contexte ou de codes. Elle se dit (plutôt)
d'un changement en bien, du mal au bien, du pire au meilleur (transmutation
des métaux en or, adoption de la « vraie » religion, ralliement à la bonne
cause, au bon point de vue), elle correspond à une valeur ajoutée et sera
récompensée, ou taxée en tant que telle.
La translation, elle, a lieu dans l'espace-temps, elle traverse en ligne droite,
elle transfert un objet (signe, forme, sens, émotion, valeur) d'un contexte à
un autre, d'un système à un autre, sans l'altérer. Une passation de pouvoir,
un héritage génétique ou patrimonial, un changement de siège social, une
prise de quartiers d'été, un travelling, un virement bancaire sont autant de
translations. La translation conserve.
Entre les deux, la traduction (au sens le plus ordinaire du terme, comme la
comprend un dictionnaire bilingue ou un traducteur informatique) se pense
comme changement de signifiant sans changement de sens (conversion du
signifiant pour la translation du sens), mais, toutes choses inégales par
ailleurs, on ne sait pas trop ce qui s’est passé dans cette opération; c'est
parce que la translation n'est pas possible, pas permise ou pas souhaitable
qu'il faut avoir recours à la conversion; mais, recours ou secours, celle-ci
posera toujours problème en termes d'inégalité, de non-coïncidence due à la
forme de systèmes, à la structure des codes (il y aura, dit-on, gain ou perte,
capitalisation ou faillite, rendement ou spoliation); le critère d'équivalence
qui caractérise une "bonne" traduction, montre bien cette ambiguïté, car
l’équivalence est relative à une orientation, le contrat gagnant-gagnant reste
illusoire.
En sens inverse, le texte sacré qui est « la parole même de Dieu » peut être
assez fétichisé pour demeurer inconvertible par principe, sous la peine fatale
de le vider de son sens, la matérialité du signifiant ne faisant qu'un, selon
cette idéologie, avec le signifié, idéologie qui confond aussi le sens le plus
complet avec l'insondabilité de la tautologie, telle que Barthes l’avait
magnifiquement débusquée; alors que, d'un point de vue communicationnel,
dès lors que le change-échange est accepté, la traduisibilité de tels énoncés
ne poserait pas de difficultés spéciales.
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Je reprends, en illustrant certains points ou en annonçant leur illustration par
les différents intervenants, quelques éléments clés de la présentation
programmatique de ce segment de séminaire.
Nous nous poserons quelques questions sur ce qui, dans le traduit, dans un
texte comme traduit en une langue, n’est pas ou n’apparaît pas comme
traduit, mais seulement dé/recontextualisé —restant cité, plaqué,
hétérogène, non assimilé, déplacé comme une remarque ou comme des
populations de réfugiés—, et sur ce qui, dans le à-traduire, résiste par avance
à l'acte de traduire : l'inconvertible comme identité-ipséité et/ou comme
condition d'existence esthétique.
En ce sens on pourrait se demander, par exemple, si ce n’est pas le calque
structural de L’Odyssée dans l’Ulysse de Joyce qui fait apparaître Bloom
comme perdu dans son propre monde dublinois, voire qui l’y perd. Le monde
des Bloom, par un retournement remarquable, devient étranger, déplacé,
inconvertible sur fond structural homérique, lui, translaté ou projeté (au sens
d’une projection géométrique dans l’espace). Mais ce faisant, Joyce traduit
précisément l’étrangeté de l’Ulysse premier à son propre monde semé
d’embûches, de simulacres, de séductions et d’illusions. Il le traduit dans la
langue de la culture anglo-irlandaise du début du XXe siècle.
— selon un second axe, auquel j’aurais aimé que nous puissions nous
attacher aux formes de la poésie traduite et en particulier à la traduction de
la poésie formelle, en parallèle avec la production du texte poétique en tant
que texte traduit, constitué comme étrange et étranger, à lui-même comme
aux autres discours ; après Alexis Nuselovici, qui s’intéressera à
l’écriture/traduction du trauma chez Paul Celan, Isabelle Poulin abodera à son
tour cette question dans sa séance de séminaire, à propos de Puchkine ;
À cet égard le champ de bataille qu’est aujourd’hui le terrain des théories de la traduction, rivales
et contradictoires, se fait écho discordant de la discordance du local au sein du mondial dont
témoignent toutes les autres pratiques envisagées.