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Le commissaire aux comptes et la prévention


des difficultés : comment accompagner le
client sans s'immiscer dans sa gestion

AIT MOUHOUB, Rabah


Novembre 2016
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TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ....................................................... 1
PARTIE I : LE ROLE ACTUEL DU COMMISSAIRE AUX
COMPTES DANS LA PREVENTION DES DIFFICULTES
DES ENTREPRISES EN FRANCE ET DANS D’AUTRES
GRANDS PAYS.......................................................... 6
CHAPITRE 1 : LA CONTINUITE DE L’EXPLOITATION ET
SA PRISE EN COMPTE DANS L’AUDIT. ....................... 8
CHAPITRE 2 : LA PARTICIPATION DU CAC A LA
PREVENTION DES DIFFICULTES DANS LE CADRE DE SA
MISSION PERMANENTE. ........................................ 22
CHAPITRE 3 : L’INEFFICACITE DE CES DISPOSITIFS ET
L’INSECURITE DES AUDITEURS LEGAUX FACE AUX
RISQUES LIES A CES FAILLITES................................. 36
PARTIE II : PROPOSITIONS POUR UN ROLE PLUS ACTIF
DU CAC SANS REMETTRE EN CAUSE SON
INDEPENDANCE. .................................................... 45
CHAPITRE 1 : AVANT LA SURVENANCE DE
DIFFICULTES, FAIRE EN SORTE QU’UNE
COMMUNICATION S’INSTAURE DE MANIERE
SYSTEMATIQUE ENTRE LE CLIENT ET LE CAC. .......... 46
CHAPITRE 2 : CHANGER LA PROCEDURE D’ALERTE DU
CAC ET L’ARTICULER AVEC DES OBLIGATIONS
D’INFORMATIONS COMPTABLES NOUVELLES ......... 61
CHAPITRE 3 : PERMETTRE AU CAC D’ASSISTER SON
CLIENT DANS LA DEFINITION ET LA CONDUITE DES
MESURES DE PREVENTION ET DE TRAITEMENT DES
DIFFICULTES. ......................................................... 73
CONCLUSION ........................................................ 88
ANNEXE 1 REPARTITION DES EMPLOIS SELON LE TYPE
D’ENTREPRISE EN 2011 .......................................... 91
ANNEXE 2 : NOMBRE D’ENTREPRISES EN FRANCE EN
2011 ..................................................................... 92
BIBLIOGRAPHIE ..................................................... 93
LE COMMISSAIRE AUX COMPTES ET LA
PREVENTION DES DIFFICULTES : COMMENT
ACCOMPAGNER LE CLIENT SANS S’IMMISCER
DANS SA GESTION

SYNTHESE

Le code de commerce accorde une place au


commissaire aux comptes dans la prévention des
défaillances d’entreprises. Ce rôle est d’abord un rôle
de détection des difficultés avant qu’elles produisent
la totalité de leurs effets et découle de sa mission de
certification des comptes annuels. Il s’agit d’une part
d’informer les lecteurs des comptes annuels sur la
possible compromission de la continuité d’exploitation
au risque de voir sa responsabilité civile, pénale et
disciplinaire mise en cause (Partie I, Chapitre 1er). A la
différence des autres pays qui imposent également à
leurs auditeurs de tenir compte de la continuité
d’exploitation dans leur démarche d’audit et en
application des normes ISA, le code de commerce
ajoute une obligation de déclencher la procédure
d’alerte, spécificité française (Partie I, chapitre 2).
Cette procédure permet d’alerter les dirigeants et
associés (ou membres) d’une entité sur les faits
susceptibles de compromettre la continuité
d’exploitation et de les inciter à mettre en œuvre des
mesures de résolution. Toutefois, ces dispositifs
d’insertion du commissaire aux comptes dans la
prévention des difficultés s’avèrent peu efficaces en
pratique. Ceci s’explique par la difficulté à concilier le
principe de non immixtion du commissaire aux
comptes dans la gestion avec l’objectif d’amener les
dirigeants d’entité à prendre des mesures de
prévention. Et, par ailleurs ces dispositifs comportent
toujours des risques de mise en cause de la
responsabilité du commissaire aux comptes. (Partie I,
chapitre 3).

Puisque la situation actuelle paraît insatisfaisante, on


peut se demander comment améliorer l’efficacité de
l’intervention du commissaire aux comptes dans la
prévention, voire le traitement des difficultés que
rencontrent ses clients, tout en préservant son
indépendance. Une première évolution à apporter aux
dispositifs actuels consiste à améliorer la
communication entre le commissaire aux comptes et
son client en instaurant des obligations d’informations
périodiques sur l’activité et les prévisions à court
terme (Partie II, chapitre 1er). Une autre possibilité
consisterait à réaménager la procédure d’alerte pour
la rendre plus contraignante vis-à-vis de l’entité,
notamment en matière de suivi de l’activité et de
l’effet des plans de redressement mis en œuvre
(Partie II, chapitre 2). Enfin, tout en gardant
l’interdiction de participer à la production des états
financiers, le commissaire aux comptes pourrait
assister plus activement son client au cours des
procédures de conciliation et de mandat ad hoc
(Partie II, chapitre 3).

En définitive, la participation du commissaire aux


comptes à la prévention des difficultés des entités
qu’il contrôle n’est utile que si elle est efficace, c’est-
à-dire si elle atteint véritablement cet objectif,
autrement il vaut mieux se limiter à ce qui est prévu
par les normes ISA.
INTRODUCTION

J’ai commencé mon parcours dans l’audit et le


commissariat aux comptes au sein du cabinet Arthur
Andersen au début de l’année 2002, au moment de
l’affaire Enron. La faillite de cette société américaine,
cotée sur le Nasdaq avait posé mis en cause la
responsabilité de ses auditeurs, le cabinet Andersen,
dans cette faillite. Les actionnaires de la société Enron
entendaient en effet récupérer une partie de leurs
pertes en mettant en cherchant la responsabilité
d’Andersen dans la dissimulation de pertes au moyen
de sociétés off- shore. La justice américaine qui avait
soupçonné les auditeurs d’avoir prêté la main à des
montages frauduleux avait engagé des poursuites
contre les dirigeants du cabinet. Ces événements ont

1
finalement conduit les associés d’Arthur Andersen à
dissoudre leur cabinet et rejoindre d’autres réseaux
en ordre dispersé. A la suite de cette faillite, les
autorités américaines avaient édicté une loi, Sarbanes-
Oxley, dont l’objectif affiché était l’amélioration des
procédures d’audit et du contrôle interne pour
restaurer la confiance des investisseurs. En France,
une loi similaire, la Loi sur la Sécurité Financière
poursuit le même objectif et avec des moyens
similaires qui ont consisté en la stricte séparation au
sein des cabinets d’audit, des activités de certification
et des activités non audit (conseil en matière fiscale
notamment). Le souci du législateur dans les deux cas
était de s’assurer que l’on peut avoir confiance dans le
travail des auditeurs et donc dans les comptes
certifiés. La question centrale dans la réforme de
l’audit menée tant aux Etats Unis qu’en France était
donc surtout le renforcement de l’indépendance de
l’auditeur. Il s’agissait d’assurer que les décisions
d’investissement soient toujours prises sur la base
d’états financiers fiables quand ils sont certifiés. En
légiférant de la sorte, on a voulu limiter les soupçons
sur la qualité du travail des auditeurs quand survient
une faillite d’entreprise et les risques de mise en jeu
de leur responsabilité dans ces mêmes faillites.

2
L’accent est donc mis sur la certification et la fiabilité
des comptes annuels, laissant de côté la question d’un
rôle accru des auditeurs auprès de leurs clients en
difficulté.

Cette question revient avec la crise financière, puis


économique qui a suivi la faillite de la Banque Lehman
Brothers à l’été 2008. A partir de ce moment, face aux
nombreuses défaillances d’entreprises, la Compagnie
Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC) a
pris la mesure du problème en mettant en place des
actions de formation, des outils avec deux notes
d’information consacrés à la procédure d’alerte et à la
prévention des difficultés. Ces actions ont toutefois
une limite, le respect du principe d’indépendance et
de non immixtion dans la gestion de ses clients par le
commissaire aux comptes. L’accompagnement par ce
dernier de ses clients en difficultés est limité aux
instruments traditionnels à sa disposition, comme la
mise en œuvre de la procédure d’alerte. Certes, le
commissaire aux comptes peut réaliser des diligences
directement liées (DDL) dans des situations de
difficultés de ses clients. Cependant, ces diligences se
limitent à des missions de vérification et d’attestations
d’informations financières. L’accompagnement du

3
client est laissé à ses conseils habituels : experts-
comptables, avocats, consultants divers. Ce dispositif
est tout à fait satisfaisant pour les entités qui ont un
expert-comptable et un avocat ainsi que pour les
grandes entreprises qui ont en interne les
compétences pour mettre en place des actions de
redressement. Entre ces deux types d’entreprises et
d’organisations, il existe plusieurs cas d’entités qui ne
font pas recours aux services d’un expert-comptable
ou d’un avocat mais qui sont dotées d’un commissaire
aux comptes. Dans de telles situations que peut faire
ce dernier pour suppléer l’absence de conseil externe
en matière de prévention ? Une position stricte
consiste à s’en tenir au déclenchement en temps utile
de la procédure d’alerte et s’assurer que toutes les
étapes sont correctement traitées. Cette solution si
elle est satisfaisante du point de vue du respect de
non immixtion dans la gestion est toutefois frustrante
dans la mesure où bien souvent l’alerte est
déclenchée alors que les difficultés sont déjà en place.
Par ailleurs, le déclenchement de l’alerte est trop
souvent une conséquence de l’audit des comptes
annuels, entre deux clôtures il est parfois difficile de
connaître l’état réel des affaires du client. Or une
bonne prévention, par définition, consiste en une

4
action en amont et se base sur une information fiable
et de qualité. C’est dans ce cadre contraint et tout en
ayant en tête le caractère permanent de sa mission de
contrôle des entités dans lesquelles il est nommé que
le commissaire aux comptes peut se poser la question
de l’accompagnement de ses clients en difficultés. Il
convient dans un premier temps de bien faire un état
des lieux des outils et des procédures à la disposition
du commissaire aux comptes pour s’acquitter de cette
tâche et également d’en mesurer l’efficacité et les
limites. Ce sera l’objet d’une première partie. Dans
une seconde partie nous essaierons de proposer des
pistes pour une intervention plus active auprès de nos
clients pour pallier les insuffisances relevées dans la
première partie.

5
PARTIE I : LE ROLE ACTUEL DU COMMISSAIRE
AUX COMPTES DANS LA PREVENTION DES
DIFFICULTES DES ENTREPRISES EN FRANCE ET
DANS D’AUTRES GRANDS PAYS.

Avant d’envisager des propositions pour une pratique


plus active de la prévention des difficultés de leurs
clients, il est nécessaire pour les commissaires aux
comptes de bien épuiser toutes les ressources à leur
disposition dans le référentiel normatif actuel. En
effet, la mission de certification des comptes, dans le
référentiel de la Compagnie Nationale des
Commissaires aux comptes (ci-après CNCC) comme les
normes ISA (International Standards on Auditing)
prévoient la prise en compte du risque de faillite
(Going Concern) dans la mission de certification des
comptes annuels. Cette exigence est le premier jalon
de la prévention dans les entités dotées d’un
commissaire aux comptes. En effet, les comptes
annuels par nature et par destination, donnent
l’information sur l’état réel de l’activité et du

6
patrimoine de l’entité et donc le cas échéant donnent
le signal des difficultés présentes ou à venir. A cette
première ressource, le droit français ajoute une
procédure spécifique, la procédure d’alerte qui est
l’outil par excellence de la participation du
commissaire aux comptes à la prévention des
difficultés. Cette procédure a peu d’équivalents dans
les autres grand pays, notamment parce que le droit
commercial français présente la spécificité d’être
codifié et de source législative, il dispose même de
tribunaux spécifiques. Par ailleurs, en France, le
commissaire aux comptes relève du ministère de la
justice alors que dans la plupart des autres pays, il
relève au mieux des autorités de contrôle des activités
financières ou le plus souvent d’ordres professionnels
organisés en personnes morales de droit privé. Ceci lui
donne en théorie des marges d’action larges et une
réelle indépendance vis-à-vis de ses clients. Nous
verrons quand nous aborderons la question de
l’efficacité de ces dispositifs, que celle-ci est en réalité
limitée, notamment par la méfiance qui peut exister
chez le client d’une part et par l’aspect ponctuel de la
relation entre le commissaire aux comptes et son
client, malgré le caractère permanent de la mission.

7
CHAPITRE 1 : LA CONTINUITE DE L’EXPLOITATION
ET SA PRISE EN COMPTE DANS L’AUDIT.

La prise en compte de la continuité d’exploitation


dans l’audit des comptes annuels, selon les normes
d’exercice professionnel de la CNCC, elles-mêmes en
grande partie transposées des ISA, se décline en deux
étapes : dans la démarche d’audit, c’est-à-dire dans le
plan d’audit et dans les comptes annuels.

Les comptes annuels sont la traduction de l’état réel


de l’entité et à ce titre participent de la détection des
difficultés quand ils sont correctement établis. La loi et
les normes professionnelles du commissariat aux
comptes portent une attention particulière à ce point.
De ce fait, le commissaire aux comptes met en jeu sa
responsabilité s’il méconnaît ce principe. Cette
responsabilité du commissaire aux comptes est
indispensable pour » créer de la confiance » 1.

1
Slogan de la Compagnie Nationale des Commissaires aux comptes
qui résume bien la nature de la mission du professionnel de l’audit.

8
A. La prise en compte de la continuité
d’exploitation dans l’approche d’audit et dans le
rapport sur les comptes annuels.

La NEP 570 précise les conditions dans lesquelles le


commissaire aux comptes, dans sa mission d’audit des
comptes annuels, doit prendre en compte la
possibilité que la continuité d’exploitation soit
compromise. Le commissaire aux comptes doit y
prêter une grande attention, à l’occasion de la mise à
jour de sa connaissance générale de l’entité et à
l’arrêté des comptes annuels.

1. Adaptation de l’approche et des


procédures d’audit

Les comptes annuels doivent être établis selon le


principe de continuité d’exploitation, c’est-à-dire que
le lecteur des comptes annuels doit avoir une relative
assurance que sur un avenir prévisible, l’entité
n’encourt pas le risque de faillite. Dans les entités
dotées d’un commissaire aux comptes, ce dernier doit

9
être particulièrement attentif au respect de ce
principe par l’entité.
L’attention du commissaire aux comptes est appelée
dès les phases de prise connaissance de l’entité et
d’évaluation du risque d’anomalies significatives. En
effet, cette phase est celle où le commissaire acquiert
le plus de connaissance sur les faits significatifs
survenus dans l’entité et donc ceux susceptibles de
remettre en cause la continuité d’exploitation. La
norme précise également que le cas échéant, en
présence de tels faits, il doit s’informer auprès de la
direction de l’entité de son analyse des mêmes faits et
sur les plans mis en œuvre pour rétablir la situation. Il
doit alors accomplir des diligences lui permettant de :
− Vérifier les hypothèses sur lesquelles sont
construites ces analyses ;
− De s’assurer que cette analyse couvre une
période d’au moins douze mois après la
clôture de l’exercice.
En l’absence d’une telle analyse, il doit s’informer
auprès de la direction de l’entité sur les « raisons qui
l’ont amenée à établir des comptes dans une
perspective de continuité d’exploitation ».
La vigilance du commissaire aux comptes doit
s’exercer tout au long de sa mission et porter sur tous

10
les indices qu’il peut relever d’une possible
détérioration de la continuité d’exploitation. Il doit
porter son attention sur les faits comme les pertes de
lignes de crédit, de clients importants, la détérioration
du délai de règlement des fournisseurs…
A ce stade, il s’agit pour le commissaire aux comptes,
sans en faire une recherche exhaustive, de
collationner les indices pouvant laisser à penser que la
continuité d’exploitation est compromise. Du point de
vue de la prévention des difficultés, il s’agit ici de les
prévenir en les détectant très en amont, c’est-à-dire
avant que la situation qui caractérise les défaillances
d’entreprises, à savoir les difficultés de paiement, ne
s’installe. C’est donc un rôle de vigie qui est attribué
aux commissaires aux comptes en France, mais
également dans tous les pays appliquant les normes
ISA en matière de prévention des faillites à travers sa
mission de certification des comptes.
Ces diligences du commissaire aux comptes pour
apprécier l’existence d’indices de détérioration de la
continuité d’exploitation, trouvent leur traduction
dans les comptes annuels qu’il est amené à certifier.

11
2. Etablissement des comptes annuels

Le deuxième temps de la prise en compte de la


continuité d’exploitation dans la démarche d’audit des
comptes, c’est l’arrêté des comptes. A cette occasion,
l’organe qui arrête les comptes de l’entité doit les
arrêter dans une perspective de continuité
d’exploitation. Si celle-ci est compromise, il doit en
tirer les conséquences et arrêter des comptes en
valeurs liquidatives, c’est-à-dire réévaluer tous les
actifs pour les rapprocher de leur valeur de marché.
La NEP 570 précise qu’en présence de faits montrant
une incertitude sur la continuité d’exploitation, sans
que celle-ci soit compromise, le commissaire aux
comptes doit s’assurer qu’une information pertinente
figure en annexe des comptes annuels et insère une
observation renvoyant à ce point de l’annexe dans la
première partie de son rapport. Si en revanche, le
commissaire aux comptes estime que la continuité
d’exploitation est définitivement compromise et que
les comptes sont établis sur l’hypothèse de continuité
d’exploitation, alors il doit refuser de les certifier.
Les comptes annuels ont vocation à être lus par les
associés, les investisseurs potentiels, les banques, les
organismes publics, mais également les fournisseurs,

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voire les salariés par l’intermédiaire de leurs
représentants ou directement. L’établissement des
comptes dans une perspective de continuité
d’exploitation participe donc de l’information des
parties intéressées sur l’état réel de l’entité. La bonne
information est une condition essentielle de la
détection de difficultés éventuelles, les comptes
annuels permettent donc à tous leurs destinataires
d’anticiper les difficultés à venir et éventuellement de
faciliter leur résolution en adoptant une approche
constructive avec les dirigeants de l’entité. Ainsi des
comptes annuels qui montrent des incertitudes sur la
pérennité de l’entité vont amener un banquier à
accorder plus facilement des remises de dettes si,
malgré l’incertitude, on pense que des actions
peuvent encore être menées pour y remédier. Les
organismes de protection sociale ou l’administration
fiscale peuvent aussi facilement accorder des délais de
paiement. Certes, tous les partenaires de l’entité en
présence de telles difficultés n’adopteront pas
forcément une attitude conciliante (notamment les
fournisseurs) et il faut donc veiller à ce que
l’information soit la plus précise possible. Dans cette
optique, le rôle du commissaire aux comptes est
crucial dans l’appréciation des difficultés que connaît

13
une entité et de leur correcte traduction dans les
comptes annuels.

Le premier jalon dans la prévention des difficultés des


entreprises et des autres entités, est posé par les
comptes annuels qui donnent l’information sur l’état
réel de l’entité et sur les incertitudes auxquelles elle
fait éventuellement face. Dans les entités dotées d’un
commissaire aux comptes celui-ci doit s’assurer que la
continuité d’exploitation n’est pas compromise, la
forme de son rapport et sa certification donnent une
indication supplémentaire de l’existence ou non de
difficultés. En ce sens, le commissaire aux comptes
s’insère dans le dispositif de prévention des difficultés.
En aidant à les détecter avant leur survenance
concrète, il permet d’anticiper leur résolution. Le
principe de non immixtion dans la gestion des affaires
de son client limite ne lui permet pas en principe
d’aller plus loin que cela, à l’exception de la faculté de
déclencher la procédure d’alerte que nous verrons
plus loin. Ce rôle dévolu au commissaire aux comptes
est très important et sa responsabilité peut être mise
en jeu s’il n’y satisfait pas pleinement.

14
B. Quels risques juridiques pour le CAC en
cas de compromission de la continuité
d’exploitation ?

Il n’est pas évident d’admettre que le commissaire aux


comptes dont la mission est la vérification et la
certification de comptes puisse avoir une part à
prendre dans la défaillance d’une entité dont il assure
le contrôle des comptes. Pourtant c’est ce qui s’est
passé dans l’affaire Enron. Bien sûr, les spécificités du
droit américain qui permet des indemnisations de
dommages à des montants qui nous sont inconnus en
France, explique en grande partie l’action collective
(autre spécificité qui était alors inconnue en France)
qui a été menée par les actionnaires d’Enron contre le
cabinet Arthur Andersen. L’approche retenue pour la
mise en cause du cabinet était la collusion avec
l’entité pour cacher certains passifs par la mise en
place d’entités ad hoc dans un paradis fiscal. Les cas
de collusion ne posent aucun problème de
qualification et doivent entraîner la mise en jeu de la
responsabilité pénale, disciplinaire et civile du
professionnel. La question se pose plutôt de savoir si,
dans d’autres cas de défaillances d’entités, cette

15
responsabilité peut être recherchée, en dehors de
toute collusion et dans quels cas ?

1. Vis-à-vis des autorités de tutelle : risque


disciplinaire et pénal

Hors les cas de collusion entre l’entité contrôlée et le


commissaire aux comptes, la responsabilité pénale et
disciplinaire du commissaire aux comptes pourrait
être recherchée en cas d’agissement fautifs du
commissaire aux comptes, qui l’ont empêché de
traiter correctement les faits rendant la continuité
d’exploitation incertaine ou compromise.
En matière pénale, un délit ou crime est constitué si
un élément moral (l’intention) et un élément matériel
(le fait) sont réunis. En l’occurrence, en matière de
faillites d’entités dotées d’un commissaire aux
comptes, la responsabilité du professionnel aux
comptes nous semble pouvoir être recherchée au titre
du délit de confirmation d’informations mensongères
sur l’état de l’entité. Ce délit est passible d’une
amende de 75 000 euros pour les personnes
physiques et 375 000 euros pour les personnes

16
morales et d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à
5 ans pour les personnes physiques. La seule
certification de comptes établis dans une perspective
de continuité d’exploitation et sans mention dans
l’annexe, alors que ladite continuité d’exploitation est
compromise, est en principe passible d’une sanction
pénale. En effet, le fait de certifier revient à confirmer
des informations mensongères établies par l’entité. Le
commissaire aux comptes qui est un vérificateur, doit
comme nous l’avons vu dans la première section,
apprécier l’exactitude de ces informations. S’il
confirme des informations volontairement altérées, à
moins de prouver qu’il ne pouvait le voir, malgré des
diligences effectuées dans le respect des normes
d’exercice professionnel, alors il commet le délit de
confirmation d’information mensongère. En fait, il
s’agit ici d’un premier délit commis par l’entité, le
commissaire aux comptes se rendant coupable de
complicité, sauf les cas de diligences insuffisantes ou
s’il a lui-même été victime de tromperies.
En matière disciplinaire, la responsabilité du
commissaire aux comptes peut être recherchée par les
instances professionnelles, si le commissaire aux
comptes a accompli sa mission en ignorant les règles
régissant l’exercice de sa mission, notamment en ne

17
respectant pas le référentiel normatif. Les sanctions
disciplinaires encourues vont de l’avertissement à la
radiation.

Toutes ces sanctions visent en fait à préserver la


confiance dans la signature du commissaire aux
comptes qui garantit à son tour la confiance que l’on
peut avoir dans les états financiers et in fine la
garantie que les agents économiques prennent des
décisions sur des bases rationnelles.

2. Vis-à-vis du client : mise en jeu de la


responsabilité civile

La mise en cause de la responsabilité civile du


commissaire aux comptes par le client (au sens large,
associés compris) est sans doute le risque le plus
significatif qu’encourt le commissaire aux comptes
d’entités en difficultés. En effet, il est tentant pour les
associés, voire les créanciers d’une entité en faillite
d’essayer d’obtenir une indemnisation de leur
préjudice auprès d’un acteur vu comme solvable. De

18
ce fait, il est fortement probable qu’en cas de
survenance de faillite d’une société dotée d’un
commissaire aux comptes les diverses partie
prenantes tentent de mettre en cause la
responsabilité du commissaire aux comptes. Mais en
matière civile, il faut prouver l’existence d’un
dommage et démontrer que le dommage résulte de
l’action (ou de l’inaction ou de la négligence) du
commissaire aux comptes pour que celui-ci soit
condamné à verser des dommages et intérêts.
Dans les cas de faillites d’entreprises, il faut
démontrer que le dommage résulte de décisions
prises par le demandeur en raison d’informations
erronées mais certifiées par le commissaire aux
comptes. Là encore, on retrouve la question de la
confiance que la signature du commissaire aux
comptes est censée inspirer. Il résulte de ceci que la
question n’est pas ici de savoir si le commissaire aux
comptes a certifié intentionnellement ou pas des
comptes faux, il suffit qu’il les ait certifiés. Le
demandeur n’a plus qu’à démontrer la causalité avec
le préjudice qu’il a subi.
La probabilité que la responsabilité civile du
commissaire aux comptes soit recherchée à l’occasion

19
de la faillite d’une entité dont il contrôle les comptes
paraît de ce fait relativement forte.
Outre le dommage financier immédiat que subirait un
commissaire aux comptes qui serait ainsi reconnu
responsable, le risque existe également pour lui de
voir sa réputation entachée, or la réputation est le
principal actif d’un commissaire aux comptes (comme
pour d’autres professions libérales).

3. Risque de réputation ? (risque


commercial).

La réputation constitue l’essentiel du « fonds de


commerce » des commissaires aux comptes. Cette
réputation repose sur deux piliers, le référentiel
normatif qui assure l’homogénéité des pratiques
professionnelles d’une part, la compétence du
professionnel d’autre part. Or cette réputation est très
fragile, l’un des faits remarquables de la faillite
d’Andersen est qu’avant même que des poursuites ne
soient engagées à son encontre, des clients
importants commençaient à envisager de ne pas
renouveler le mandat de leur auditeur. Dès lors,

20
c’était un signal fort de défiance qui était envoyé par
le marché et ceci a sans doute autant pesé que le
risque de devoir indemniser les actionnaires d’Enron.
La réputation doit donc en toute occasion être
préservée et le commissaire aux comptes n’a dans
cette optique que le référentiel normatif sur lequel
s’appuyer.

L’information comptable de qualité est le


soubassement des décisions économiques dans une
économie moderne. Le commissaire aux comptes,
bien que n’intervenant qu’auprès d’un nombre
restreint d’entités produisant des comptes annuels,
crée la confiance dans l’information comptable et
financière donnée par les états financiers qu’il certifie.
C’est pour cette raison que sa responsabilité est
recherchée tant sur les plans pénal et disciplinaire que
sur le plan civil. Il doit donc veiller à limiter les risques
de mise en jeu de celle –ci.
Dans la mesure où, les comptes annuels sont
normalement établis dans une perspective de
continuité d’exploitation, ils participent à la
prévention des difficultés par la détection de leur
apparition. Et de ce fait, le commissaire aux comptes a
un rôle à jouer sur ce sujet. Mais la loi française ne

21
limite pas son rôle à la seule certification de la
continuité d’exploitation, elle tire la conséquence de
ce que le commissaire aux comptes a l’ obligation de
porter attention aux faits susceptibles de la mettre en
cause en imposant au professionnel de mettre en
œuvre une procédure particulière.

CHAPITRE 2 : LA PARTICIPATION DU CAC A LA


PREVENTION DES DIFFICULTES DANS LE CADRE
DE SA MISSION PERMANENTE.

La profession de commissaire aux comptes s’exerce


dans le respect du référentiel des normes d’exercice
professionnel dont nous avons dit qu’elles sont en
grande partie la transcription des normes ISA.
Cependant, le législateur a ajouté un nombre
significatif de tâches à la mission permanente du
commissaire aux comptes. Parmi celle-ci, le
commissaire aux comptes a le devoir de déclencher la
procédure d’alerte chaque fois que des indices lui
laissent à penser que la continuité d’exploitation de
son client est incertaine ou compromise. Cette

22
procédure n’a pas à notre connaissance d’équivalents
dans les autres grands pays et est un prolongement de
la mission légale de certification des comptes annuels.

La procédure d’alerte participe de la prévention des


difficultés dans les entreprises et autres entités dotées
d’un commissaire aux comptes. Elle est un stade
complémentaire au-delà de la détection des
problèmes puisqu’elle institue une forme de pression
que le commissaire aux comptes exerce sur l’entité
rencontrant des difficultés pour, d’une part, prendre
la mesure du problème et d’autre part, mettre au
point un plan pour le résoudre.

La procédure d’alerte constitue l’essentiel du rôle du


commissaire aux comptes dans la prévention des
difficultés, bien que dans certains cas son intervention
soit requise à l’occasion de l’ouverture de procédures
collectives.

23
A. En amont des difficultés : la procédure
d’alerte

Le lancement d’une procédure d’alerte s’inscrit encore


dans la prévention des difficultés par leur détection
précoce. Toutefois, elle ajoute un palier
supplémentaire puisqu’elle permet au commissaire
aux comptes de contraindre le dirigeant de l’entité à
donner son appréciation des faits relevés par
l’auditeur. Elle oblige également l’entité à
communiquer un ensemble de mesures à prendre
pour résoudre les difficultés éventuellement
reconnues par elle. La procédure d’alerte sert donc
l’objectif de prévenir les difficultés très en amont et
d’éviter le recours à une résolution judiciaire des
difficultés. Ce raisonnement se fonde sur l’hypothèse
que le commissaire aux comptes est parfaitement
informé à tout moment de la situation réelle de son
client. Cette hypothèse forte mérite d’être discutée.

24
1. Approche essentiellement comptable, de
ce fait la procédure suit généralement
l’établissement de comptes.

La mission du commissaire aux comptes a un


caractère permanent. A ce titre, il a la faculté de se
présenter à tout moment dans les locaux de l’entité et
de requérir d’elle toute information qu’il juge utile à
l’accomplissement de sa mission débouchant sur la
certification des comptes annuels. Ceci lui donne en
principe les moyens de disposer de toute l’information
nécessaire et disponible sur l’entité dont il assure le
contrôle des comptes. De ce fait, il dispose en théorie
de toute latitude pour juger de la nécessité de
déclencher une procédure d’alerte.
Cette procédure consiste en effet à adresser un
courrier au dirigeant de l’entité quand le commissaire
aux comptes, à l’issue de son audit des comptes
annuels ou à toute autre occasion (NEP 570), relève
des faits de nature à compromettre la continuité
d’exploitation. Ce faisant, le commissaire aux comptes
demande au dirigeant de l’entité son appréciation des
faits relevés, et le cas échéant, les mesures qu’il
compte mettre en œuvre pour rétablir la situation.

25
Sous l’hypothèse de parfaite information du
commissaire aux comptes, la procédure d’alerte a
donc comme objectif de prévenir les difficultés avant
leur survenance. Par ailleurs, en mettant le dirigeant
« en demeure » de répondre, elle le force à anticiper
les problèmes, voire simplement à en prendre
connaissance. Si l’hypothèse centrale est respectée,
alors en théorie on a un instrument efficace pour
éviter les défaillances d’entreprises. Si cette
procédure fonctionnait parfaitement, on devrait
même envisager d’étendre l’obligation de nommer un
commissaire aux comptes à plus d’entités.
Dans la réalité, la procédure d’alerte est difficile à
mettre en œuvre du fait de la difficulté à connaitre
l’état réel de l’entité. Cette difficulté tient
principalement au fait qu’en dehors de la période de
contrôle des comptes annuels, le commissaire aux
comptes n’est informé de la situation de sa cliente
que fortuitement. La communication entre le client et
son commissaire aux comptes n’est pas constante. De
toutes façons, à supposer que le client communique
régulièrement, notamment qu’il relève les faits
susceptibles de compromettre la continuité
d’exploitation, on ne voit pas très bien ce que le
déclenchement de la procédure apporterait de plus.

26
En effet, en informant le commissaire aux comptes, le
client montre ainsi qu’il est conscient des difficultés, la
notion d’alerte est donc toute relative dans pareil cas.
Le commissaire aux comptes se retrouve ainsi à devoir
se conformer à une obligation pour la forme
exclusivement.
Dans quel cas alors, la procédure est-elle efficace ? La
procédure d’alerte peut être un instrument efficace
avec la découverte fortuite de faits compromettant la
pérennité de l’entité. En pratique, ceci se produit dans
le court normal de la mission du commissaire aux
comptes et dans un contexte où le client n’a pas
pleinement pris la mesure des problèmes mais adopte
un comportement coopératif. De ce fait, la procédure
d’alerte est le plus souvent déclenchée à l’occasion du
contrôle des comptes annuels et se fonde donc
essentiellement sur l’analyse de la comptabilité. Le
commissaire aux comptes va particulièrement porter
son attention sur les faits significatifs de l’exercice et
les indicateurs issus de son analyse des comptes
annuels.
Cependant, la survenance de difficultés peut être très
rapide et se situer en dehors de la période à laquelle
le commissaire intervient dans l’entité. Si comme dans
la plupart des cas, l’entité ne communique pas avec

27
son commissaire aux comptes en dehors de la période
d’arrêté des comptes, alors les difficultés peuvent
survenir et s’installer. Il est donc très difficile pour le
commissaire aux comptes de lancer la procédure au
bon moment et à bon escient.

2. Difficulté en pratique de lancer la


procédure à bon escient et dans le bon tempo.

La limite principale à l’efficacité de la procédure


d’alerte tient au fait que souvent elle intervient alors
que les difficultés sont déjà là. Le rôle de détection et
d’alerte est de ce fait singulièrement réduit. La
difficulté d’intervenir au bon moment est due, comme
nous l’avons vu, au caractère discontinu des
interventions du commissaire aux comptes, alors
même que sa mission est censée être permanente. A
cela s’ajoute le fait que la communication entre le
commissaire aux comptes et ses clients n’a pas la
même fréquence que celle qui existe avec un expert-
comptable par exemple. Cette faiblesse de la
communication entre le commissaire aux comptes et
son client amènent sans doute trop souvent l’entité à

28
communiquer ses difficultés tardivement. La
procédure si elle est déclenchée ne joue plus alors son
rôle d’alerte.
Quand le commissaire aux comptes déclenche la
procédure à l’issue de ses travaux d’audit des comptes
annuels, il est souvent à craindre que la situation est
déjà très compromise et là aussi la procédure s’avère
n’être qu’un exercice auquel l’auditeur est contraint
mais qui n’apporte pas grand-chose en matière de
prévention des difficultés.
Par ailleurs, la détection de faits de nature à exposer
l’entité à une menace sur sa pérennité, cause une
difficulté récurrente au professionnel : comment
apprécier leur gravité et donc l’opportunité de
déclencher la procédure d’alerte, sachant que cela
déclenche une communication au président du
Tribunal de commerce (au Tribunal de Grande
Instance pour les autres entités de droit privé non
commerçantes ayant une activité économique). En
effet, la procédure ne précise pas comment mesurer
la gravité des faits, ni quels faits précis doivent être
pris en compte. De fait, l’auditeur doit se baser sur son
seul jugement professionnel pour apprécier
l’opportunité de la procédure d’une part, le caractère
suffisant de la réponse des dirigeants d’autre part.

29
Face à une telle imprécision, il est tentant d’adopter
un comportement mécanique : déclencher la
procédure à chaque fois, au risque d’agacer les clients
si cela n’est pas fondé. A l’inverse, on peut craindre
aussi que le professionnel tarde à déclencher la
procédure alors qu’il le faudrait.
On peut se poser également la même question sur les
procédures qui sont interrompues alors qu’il faudrait
les poursuivre, ou qui sont interrompues sur la foi
d’informations jugées satisfaisantes alors que les faits
postérieurs montrent qu’elles ne l’étaient pas. En
effet, à l’issue de la première phase de la procédure
d’alerte, le commissaire aux comptes, décide sur la
base de la réponse du dirigeant s’il poursuit la
procédure ou si, au contraire, il l’abandonne. Que les
informations données par le dirigeant s’avèrent
contredites par la réalité ou qu’au contraire le
professionnel interrompe la procédure à tort, la loi
Warsmann 2 (loi 2011-525) permet depuis 2012 de
reprendre la procédure là où elle s’était arrêtée. Il n’y
a donc plus en théorie de problème lié à l’interruption
de la procédure, mais les problèmes liés à la
connaissance en temps utile des difficultés du fait du
manque de communication, demeurent.

30
La procédure d’alerte conçue comme un outil de
prévention des difficultés n’est efficace que si
certaines conditions sont réunies : communication des
faits au commissaire aux comptes et bonne
coopération de l’entité. Toutefois, il ne faut pas
surestimer son utilité : elle reste surtout un
instrument pour inciter les dirigeants des entreprises à
prendre la mesure de la gravité éventuelle de leur
situation. Et parce qu’elle reste une procédure où
n’interviennent que le client et son commissaire aux
comptes, elle ne peut pas vraiment permettre dans
son cadre de résoudre les difficultés qui se présentent
à l’entité. Le rôle de la procédure d’alerte n’est pas de
piloter une restructuration des activités d’une entité
en difficulté mais d’inciter cette dernière à le faire.
Le commissaire aux comptes a donc un rôle limité
dans le dispositif de prévention des difficultés des
entreprises, ceci tient à son rôle qui est avant tout de
garantir que l’information comptable et financière est
régulière et sincère. Ce rôle de certificateur des
comptes justifie l’exigence d’indépendance vis-à-vis de
l’entité, et de fait on n’a pas jugé possible de lui
confier un rôle plus important dans les procédures
collectives par exemple.

31
B. Le rôle du CAC dans les procédures
collectives

Les procédures collectives sont les dispositifs prévus


par le Code de commerce pour traiter les difficultés
des entreprises. Ce sont les procédures de
sauvegarde, de redressement judiciaire et de
liquidation judiciaire. On peut ajouter à ces
procédures la procédure de sauvegarde qui n’est pas
strictement une procédure collective mais s’en
approche. Le commissaire aux comptes exécute sa
mission en respectant les principes d’indépendance et
de non immixtion dans la gestion de son client. Il n’a
logiquement qu’une place fort réduite dans les
dispositifs de traitement des difficultés. Il n’est pas
pour autant absent de ces procédures : il poursuit sa
mission sauf généralement quand la liquidation est
prononcée, il peut lui être demandé d’attester des
informations dans le cadre des procédures. Par
ailleurs, il semble possible d’exécuter des diligences
directement liées (DDL) à sa mission pour, par
exemple, aider le client à concevoir un nouveau
système de contrôle interne ou de gestion comptable.
Enfin le commissaire aux comptes par sa connaissance

32
de l’entité peut être également amené à livrer des
informations sur le déroulement des événements qui
ont précédé l’ouverture de la procédure collective. A
cet effet, il est délié de son obligation de secret
professionnel vis-à-vis du juge de la procédure.
Il peut paraître étonnant que la loi écarte de situations
cruciales pour les entreprises, l’un des acteurs qui sont
censés avoir la meilleure connaissance de l’état de
l’entité. Ceci se justifie pourtant par le respect du
principe de non immixtion dans la gestion de l’entité.
De ce fait, le législateur n’a pas jugé utile d’impliquer
davantage le commissaire aux comptes dans le
traitement des difficultés des entités. Par ailleurs, il
faut noter que la plupart des entités pouvant faire
l’objet d’une procédure collective ne sont pas dotées
d’un commissaire aux comptes. Enfin, le rôle que le
commissaire aux comptes aurait pu jouer d’assistance
de son client face aux créanciers est dévolu au
mandataire judiciaire dans les procédures de
sauvegarde et de redressement judiciaire et dans une
certaine mesure au conciliateur dans la procédure de
conciliation.

La participation du commissaire aux comptes à la


prévention des difficultés s’articule principalement

33
autour la notion de continuité d’exploitation que les
comptes qu’il certifie doivent respecter, à défaut il
doit déclencher la procédure d’alerte. Il joue un rôle
très important dans la détection des difficultés. Par
ailleurs au cours des procédures collectives, voire de
la procédure de conciliation il peut lui être demandé
de fournir des attestations relatives à la situation
financière et à l’activité de l’entité. Hors de ces
situations, il n’a pas de rôle actif dans le traitement
des difficultés du fait de l’incompatibilité entre sa
mission de certification des comptes annuels et des
activités de conseil à ses clients. Pourtant entre cette
limite stricte et une position plus permissive il peut y
avoir de la place pour des interventions plus actives.
On pourrait notamment sans trop faire d’entorse aux
principes de non immixtion dans la gestion et
d’indépendance permettre aux commissaires aux
comptes d’assister son client de manière plus
poussée, au moins dans les phases antérieures aux
procédures collectives et procédure de conciliation.
Ainsi le commissaire aux comptes, du fait de sa
connaissance non seulement de l’entité mais aussi
d’autres secteurs et sa maîtrise de l’environnement
réglementaire, peut apporter un concours
appréciable, notamment pour les entités de petites

34
dimensions mais suffisamment importantes pour
n’être plus dotées d’un expert-comptable. Il pourrait
par exemple donner l’information sur les divers
dispositifs d’aide aux entreprises en difficultés autres
que le recours aux procédures collectives (Comité des
Chefs de Services Financiers, CIRI CODEFI, Mandataire
Ad Hoc) et sur la manière de les solliciter. Il nous
semblerait même possible que le commissaire aux
comptes fournisse une assistance dans l’établissement
des dossiers, pour autant qu’il respecte toujours
l’obligation de ne pas produire lui-même l’information
comptable mais qu’il se limite à l’attester.

La place actuellement dévolue au commissaire aux


comptes dans la prévention des difficultés est donc
limitée et l’on ne mesure pas assez bien l’efficacité de
ce dispositif. Par ailleurs, on peut se demander si ce
rôle somme toute réduit lui octroie au moins une
sécurité quant à de possibles mises en cause de sa
responsabilité dans les défaillances d’entreprises.

35
CHAPITRE 3 : L’INEFFICACITE DE CES DISPOSITIFS
ET L’INSECURITE DES AUDITEURS LEGAUX FACE
AUX RISQUES LIES A CES FAILLITES.

Le dispositif actuel de prévention et de traitement des


difficultés ne laisse pratiquement que le rôle de vigie
au commissaire aux comptes. Il lui est demandé de
détecter les difficultés et d’inciter les dirigeants de
l’entité à en prendre la mesure et à mettre en place
des dispositifs de résolution. L’efficacité de ce
dispositif ne va pas de soi, et par ailleurs, elle ne
préserve pas le commissaire aux comptes de la mise
en cause de sa responsabilité tant civile que pénale.

A. L’inefficacité des dispositifs du fait du


rôle unique de certificateur dévolu aux auditeurs.

L’idée de détecter les signes de défaillances et d’y


apporter une réponse très en amont semble
préférable au traitement des difficultés. Ce rôle de
vigie pourrait être efficace pour prévenir les
défaillances d’entreprises. Nous avons vu que ce

36
dispositif est d’une efficacité limitée dans la
prévention parce que l’alerte ne concerne que les
entités dotées d’un commissaire aux comptes. Mais
même dans ces dernières, le dispositif ne nous paraît
pas d’une très grande efficacité pour les raisons
suivantes :
− L’alerte même poussée à sa dernière phase
n’implique pas forcément que l’entité se
saisisse du problème relevé par le
commissaire aux comptes ;
− Le commissaire aux comptes est d’abord un
« certificateur », de ce fait la relation avec les
clients reste très souvent limitée au sujet de
l’audit des comptes annuels ;
− L’alerte procède souvent de la revue des
comptes annuels, or les difficultés peuvent
intervenir dans la période intermédiaire.

La procédure d’alerte est un dispositif en trois phases


qui ne se succèdent qu’en cas d’échec de la
précédente. Quand il la déclenche le commissaire aux
comptes a pour objectif de s’assurer que l’entité
cliente prenne la mesure de la situation et le cas
échéant mette en place un plan de résorption des
problèmes relevés. Ceci implique plusieurs choses.

37
En premier lieu, à chaque phase de la procédure,
l’appréciation des faits par le commissaire aux
comptes et l’entité peuvent diverger et le texte
régissant la procédure ne propose pas de
méthodologie pour prendre la « bonne » décision. Le
commissaire aux compte ne peut compter que sur son
jugement professionnel pour apprécier la suite à
donner à la procédure. Ceci a deux conséquences : le
commissaire aux comptes peut prendre une position
qui sera par la suite démentie par les faits et ce
faisant, il donne matière à mise en cause de sa
responsabilité en cas de faillite par la suite. En second
lieu, même si la procédure d’alerte est poussée
jusqu’à sa dernière phase, le commissaire aux
comptes n’a jamais la faculté d’imposer à l’entité de
prendre des mesures pour résoudre ses difficultés. A
chaque phase de l’alerte, son action consiste à attirer
l’attention des dirigeants d’abord, du président du
Tribunal de commerce, des associés par la suite. A
aucun moment, il n’a de garantie que sa démarche ait
d’autre effet que celui d’un échange d’informations
avec l’entité. On voit ici que le fait que le commissaire
aux comptes est d’abord un certificateur et en aucun
cas un « censeur » ne lui donne pas beaucoup de

38
latitude pour peser sur la prévention des difficultés
auprès de ses clients.

Cette dimension de responsable de l’audit des


comptes induit une relation client le plus souvent
cantonnée à cet aspect. Le client, pas plus que le
commissaire aux comptes d’ailleurs, n’imagine une
relation ayant un autre but que de formuler une
opinion sur les comptes annuels. Souvent dans les très
petites entités, même cette dernière mission est vue
comme superflue et relevant d’une obligation dont
l’entité se passerait bien. De ce fait, entre le
commissaire aux comptes et son client s’instaure une
routine qui est un frein à la pleine efficacité de la
procédure d’alerte : le client ne connaissant pas
forcément l’existence de cette procédure, il ne
communique pas forcément les informations qui
pourraient permettre au commissaire aux comptes de
déclencher la procédure en temps utile. Et de toute
façon, à imaginer que le client mesure bien l’existence
et l’intérêt de cette procédure, s’il communique les
faits pouvant déclencher la procédure en temps utile,
c’est qu’il a bien mesuré les risques sur la continuité
d’exploitation. Le déclenchement de la procédure par

39
le commissaire aux comptes revient alors à un
exercice purement formel.

La dernière limite à l’efficacité de la procédure


d’alerte dans la prévention des difficultés tient au
moment où elle est déclenchée. Nous avons vu à
plusieurs reprises ci-dessus que le commissaire aux
comptes n’était pas toujours informé de l’évolution de
l’activité de son client en dehors de la période à
laquelle il effectue son audit. Or les problèmes
n’attendent pas forcément la clôture des comptes
pour survenir et en l’absence d’une communication
fréquente et efficace, la découverte des faits de
nature à compromettre la continuité d’exploitation
peut intervenir très tardivement. Il s’ensuit que la
procédure d’alerte est déclenchée tardivement, voire
trop tardivement pour qu’elle ait une quelconque
efficacité.

La procédure d’alerte est une procédure efficace pour


alerter des clients qui ne percevraient pas les risques
sur leur activité et qui coopèrent avec leur
commissaire aux comptes. Son efficacité en tant
qu’instrument de prévention des difficultés nous
semble en revanche beaucoup plus limitée en ce
qu’elle n’a aucun caractère coercitif, et ne peut en

40
avoir dans la mesure où elle se heurte au principe
d’indépendance du commissaire aux comptes et de
liberté du dirigeant d’entreprise. Par ailleurs, dans la
mesure où la procédure est faite pour être déclenchée
très tôt, elle peut s’avérer avoir surestimé le risque.
Cette procédure qui n’a pas beaucoup d’équivalents
dans les autres pays s’avère donc problématique à
mettre en œuvre à bon escient et peut à notre avis
créer plus de problème qu’elle n’en résout,
notamment en ce qu’elle est une autre occasion de
mise en cause de la responsabilité du commissaire aux
comptes.

B. Même en agissant strictement dans les


règles, le risque de mise en cause de l’auditeur
légal n’est pas forcément levé.

La participation du commissaire aux comptes à la


prévention des difficultés est modeste dans son
étendue et limitée dans son efficacité. Une des raisons
de ce manque d’efficacité et d’implication d’un acteur
qui pourrait pourtant apporter plus à ces dispositifs,

41
tient au problème de sa responsabilité civile, voire
pénale et disciplinaire. En effet, dans ce domaine, la
tentation est grande pour les parties prenantes d’une
entreprises en liquidation (associés, créanciers,
administrations) de rechercher la responsabilité du
professionnel en premier lieu pour obtenir des
indemnisations. Fort heureusement, nous n’avons pas
en France de régime d’indemnisations comparable à
ce qui se fait aux Etats Unis, et il est peu probable
qu’un scandale du type d’Enron produise les mêmes
conséquences chez nous. Et de plus ce qui était
poursuivi dans l’affaire Enron, c’est la collusion entre
le cabinet et son client à travers les prestations de
conseil données par une autre équipe que l’équipe
d’audit.

Cependant, le risque pour les auditeurs légaux de voir


leur responsabilité engagée à la suite d’une
défaillance d’entreprise existe. Les créanciers peuvent
invoquer les comptes annuels insincères, une
procédure d’alerte non déclenchée ou mal conduite
pour justifier une action en responsabilité civile du
commissaire aux comptes.

Nous avons vu que la responsabilité pénale du


commissaire aux comptes est engagée dès lors que

42
celui-ci a certifié des comptes mensongers. De leurs
côté les créanciers de l’entité en liquidation peuvent
vouloir rechercher dans des comptes erronés mais
certifiés, la source de leurs pertes. Ainsi le banquier
qui perd la créance qu’il avait sur l’entité peut arguer
que sans la certification du commissaire aux comptes,
il n’aurait pas eu confiance dans les comptes établis
dans une perspective de continuité d’exploitation. De
même les autres créanciers peuvent invoquer l’erreur
sur l’état réel de l’entité issue de la lecture des états
financiers certifiés.

Les créanciers et associés de l’entité en difficulté


peuvent également mettre en cause le commissaire
aux comptes sur la question de la procédure d’alerte.
En effet même dans les cas où le commissaire aux
comptes a déclenché la procédure et menée celle-ci à
son terme, les créanciers ont encore la ressource de
chercher à démontrer qu’elle a été déclenchée trop
tardivement. Dans les autres cas, ils peuvent par
exemple invoquer le fait que justement elle n’a pas
été déclenchée ou qu’elle a été interrompue sur des
éléments trop fragiles. Ainsi, même dans les cas où le
commissaire aux comptes se conforme très

43
strictement à ses obligations, il est probable que soit
recherchée sa responsabilité.

En définitive, nous voyons que le commissaire aux


comptes a un rôle très réduit et peu efficace dans la
prévention des difficultés. Il ne peut que se borner à
s’assurer que les comptes annuels sont établis dans
une perspective de continuité d’exploitation et le cas
échéant inciter les dirigeants à prendre la mesure des
difficultés très tôt grâce à la procédure d’alerte. De
fait, il serait peut-être avantageux de revoir le rôle du
commissaire aux comptes dans la prévention des
défaillances d’entreprises, voire de l’inclure dans les
procédures de traitement des difficultés. Ceci se ferait
au bénéfice des entreprises et donnerait au
professionnel de vraies prérogatives pour équilibrer
les risques qu’il encourt de toute façon.

44
PARTIE II : PROPOSITIONS POUR UN ROLE PLUS
ACTIF DU CAC SANS REMETTRE EN CAUSE SON
INDEPENDANCE.

Nous avons vu dans la partie précédente que l’action


du commissaire aux comptes dans le strict cadre des
NEP est bien souvent limité à un exercice de détection
des difficultés et de mise en garde du dirigeant face
aux risques qu’éventuellement il ne perçoit pas bien. Il
participe aussi de la bonne information des parties
prenantes en s’assurant que les comptes annuels ne
sont pas établis dans une perspective de continuité
d’exploitation alors que celle-ci est incertaine ou
compromise. Si du point de vue des tiers ces
procédures sont satisfaisantes, du point de vue des
parties prenantes (dirigeants, salariés) elles ne
répondent pas forcément à l’objectif de résolution de
ces difficultés en amont.

45
CHAPITRE 1 : AVANT LA SURVENANCE DE
DIFFICULTES, FAIRE EN SORTE QU’UNE
COMMUNICATION S’INSTAURE DE MANIERE
SYSTEMATIQUE ENTRE LE CLIENT ET LE CAC.

L’une des conditions d’une action efficace en matière


de prévention des faillites d’entreprises est de
disposer d’une bonne information au bon moment.
Or, bien souvent le commissaire aux comptes n’est au
contact de son client qu’à l’occasion de
l’accomplissement de sa mission de certification des
comptes. Entre deux certifications, la communication
est souvent peu intense. Et pourtant, la mission du
commissaire aux comptes a un caractère permanent,
ce qui signifie qu’à tout moment, il peut demander et
obtenir des informations de la part de son client. Sur
cette base, il y a sans doute des pratiques nouvelles à
imaginer et mettre en œuvre, spécialement dans des
conjonctures difficiles comme celle que nous
traversons. Dans cette optique, il convient d’une part
d’améliorer la communication entre le commissaire
aux comptes et son client, d’autre part de promouvoir

46
auprès des clients, la mise en place de reportings et de
budgets.

A. Mise en place d’un formulaire


(questionnaire) de communication périodique
entre le CAC et son client.

Puisque l’une des principales entraves à la


connaissance en temps utile des difficultés de son
client est le caractère ponctuel des interventions du
commissaire aux comptes, on peut imaginer de mettre
en place des outils de communication entre deux
certifications de comptes annuels. Ces outils
serviraient à renforcer le caractère permanent de la
mission du commissaire aux comptes. Ainsi, le
commissaire aux comptes pourrait en coordination
avec son client mettre en place des questionnaires,
des tableaux permettant que lui soient communiqués
l’évolution du chiffre d’affaires et du carnet de
commande quand il existe, le niveau de la trésorerie
et sa variation prévisible, les principaux faits externes

47
ou internes pouvant avoir un impact significatif sur
l’activité du client.

1. Communication de l’évolution du chiffre


d’affaires et du carnet de commande

Bien que la cause immédiate des défaillances


d’entreprises, en droit comme dans les faits, soit la
difficulté à honorer les échéances à court terme (la
cessation de paiements), l’origine est toujours à
chercher dans la faiblesse du chiffre d’affaires au
regard des coûts. La surveillance de l’évolution des
ventes est de ce fait un instrument clé de la détection
précoce des difficultés des entreprises.

En pratique l’observation du niveau d’activité est un


réflexe qu’ont tous les chefs d’entreprise. La
différence entre deux dirigeants se fait surtout au
niveau de la formalisation et l’analyse des tendances.
La plupart connaissent leurs concurrents, leurs
fournisseurs, les conditions de leur marché spécifique.
Sur cette base, le commissaire aux comptes peut
inciter son client à formaliser le suivi de son activité et

48
lui communiquer les résultats aussi souvent qu’il
effectue un tel exercice. Les bénéfices d’une telle
organisation sont clairs ; le chef d’entreprise serait en
mesure de comprendre la formation de son chiffre
d’affaires, d’en mesurer la récurrence, d’identifier les
actions à mener pour le maintenir et l’augmenter.

Une fois établi, ce document doit faire l’objet d’une


communication au commissaire aux comptes.
L’objectif d’une telle communication est de permettre
à l’auditeur de jouer son rôle de vigie et par des
questionnements et des échanges appropriés de
détecter des signes éventuels d’un affaiblissement
durable de l’activité. Si à l’occasion de cet échange
entre l’entité et son commissaire aux comptes, des
signes de compromission de la continuité
d’exploitation sont relevés, alors le client serait en
mesure d’anticiper les mesures propres à permettre le
redressement de son activité.

Il est tentant de vouloir élaborer un modèle de


questionnaire ou formulaire d’échange entre le
commissaire aux comptes et son client. Cette
démarche a un intérêt en ce qu’elle permet au client
de disposer d’un outil de pilotage de son activité, et
pour le commissaire aux comptes d’inciter à améliorer

49
cet aspect du contrôle interne. Toutefois, il convient
de veiller à bien prendre en compte la taille du client
et les spécificités de son activité. L’exercice ne doit pas
se transformer en contrainte lourde pour les clients.

2. Communication du niveau de la
trésorerie

La trésorerie est également un indicateur très suivi par


les chefs d’entreprise. En général, ils font plusieurs
fois par mois un contrôle du solde des comptes
bancaires ainsi que des principaux mouvements
d’entrées et sorties. En matière de contrôle interne,
même quand celui-ci est embryonnaire, le contrôle
des moyens de paiement est le processus le mieux
maîtrisé par les dirigeants. Cependant, ces contrôles
sur la trésorerie n’induisent pas forcément une
capacité à faire des prévisions de trésorerie fiables et
en lien avec le suivi du chiffre d’affaires.
En complément de la communication régulière des
éléments de chiffre d’affaires évoqués ci-dessus, le
commissaire aux comptes pourrait proposer à son

50
client des outils simples de prévision de la trésorerie à
charge pour ce dernier de se les approprier et
d’échanger régulièrement sur ce prévisionnel. Bien sûr
il n’est pas dans la mission des commissaires aux
comptes d’assurer la formation de ses clients à la
gestion où au contrôle interne, mais une information
minimale sur les conclusions à tirer de l’analyse des
outils de suivi de la trésorerie peut être échangée. Cet
échange est de nature à améliorer le contrôle interne
du client et ceci s’inscrit pleinement dans la mission
du commissaire aux comptes. En effet, même si ce
n’est pas aussi bien codifié que pour les entités
d’intérêt public (ci-après EIP), le commissaire aux
comptes doit à l’issue de sa mission relever les
faiblesses de contrôle interne et faire des suggestions
d’amélioration. Il est certain que proposer la mise en
place d’un suivi formalisé de la trésorerie et
conduisant à une analyse des causes de sa variation
améliore le contrôle interne et de plus sert l’objectif
de prévention des difficultés.

51
3. Communication des faits significatifs de
la période

Les éléments financiers et comptables ne sont pas les


seuls à prendre en compte quand on veut apprécier
les risques de défaillance d’une entreprise. Les
éléments non quantitatifs peuvent également donner
des indications sur les risques éventuels de
dégradation de l’activité et de difficultés de trésorerie
futures. Les faits à suivre et qui peuvent entraîner des
difficultés sont divers : changements de
réglementation du secteur, dynamique de la
concurrence, augmentation des prix des
approvisionnements, grèves du personnel ou chez les
fournisseurs ou clients. La survenance de tels
événements et leur analyse par les clients peut être
matérialisée sous forme d’un questionnaire, ou d’une
communication comparables aux déclarations de la
direction. Il s’agit de s’assurer que le dirigeant de
l’entité connaît bien son environnement, sait en
capter les évolutions et en apprécier l’impact pour lui.

Si le commissaire aux comptes et son client


parviennent à s’entendre pour mettre en place ces

52
outils et une communication régulière, la survenance
de difficultés pour l’entité pourrait être efficacement
anticipée. Les avantages pour l’entité sont évidents, la
bonne information permet de prendre de bonnes
mesures de redressement en temps utile. Le
commissaire aux comptes de son côté limiterait les
risques de mise en œuvre trop tardive de la procédure
d’alerte et donc de l’accomplissement de sa mission
telle qu’elle est prévue par la loi. De manière
incidente, la mission de certification des comptes
annuels serait également facilitée puisqu’on aurait en
amont effectué une partie du travail de prise de
connaissance de l’entité et de son organisation. Par
ailleurs, cette approche prospective de la prévention
des difficultés contribue à la promotion d’une
« culture » du reporting, du contrôle de gestion et du
contrôle interne auprès des clients. Il y a donc des
avantages certains à ce que les commissaires aux
comptes enrichissent de la sorte leur mission auprès
de leurs clients.
Il y a cependant une limite à cette approche : elle ne
peut être fondée que sur la parfaite coopération du
client. Or il n’est pas certain que le client y voit un
intérêt particulier hormis dans les cas où il est déjà en
difficulté. De ce fait, il peut être utile d’envisager une

53
voie plus contraignante pour obtenir de tels résultats ;
on pourrait envisager d’élargir l’obligation de
production de documents financiers prévisionnels à
d’autres entités que celles qui y sont déjà astreintes.

B. Sans atteindre la même exigence que


pour les grandes entreprises, généraliser les
documents prévisionnels

La proposition que nous avons esquissée existe dans


les textes légaux pour certaines entités. En effet, le
Code de commerce prévoit à son article L. 232-2 que
les sociétés ou certaines personnes morales de droit
privé dont l’effectif dépasse 300 salariés ou dont le
chiffre d’affaires ou les ressources dépassent 18
millions d’euros doivent produire dans les 4 mois qui
suivent la clôture de l’exercice puis dans les 4 mois qui
suivent le premier semestre de l’exercice social des
documents financiers prévisionnels qui sont
communiqués au commissaire aux comptes
accompagnés de rapports explicitant les hypothèses
et les méthodes sur lesquelles ils sont basés. Les
entités concernées doivent produire un état de l’actif

54
disponible et réalisable et du passible exigible, un
tableau de financement, un plan de financement et un
compte de résultat prévisionnel. Nous l’avons vu,
l’une des clés de la bonne anticipation des difficultés
c’est la bonne information sur l’état réel de l’activité
de l’entité. Il pourrait donc être opportun d’élargir la
base des entités concernées par l’obligation
d’établissement des documents prévisionnels, en effet
les seuils de chiffre d’affaires ou d’effectif paraissent
cibler un trop faible nombre d’entreprises. Selon
l’Institut National de Statistiques et d’Etudes
Economiques (INSEE), le nombre d’entreprises
concernées sur un total de 3,11 millions en 2011 1 est
au maximum de 143 000, si l’on considère que toutes
les PME dépassent au moins l’un des deux seuils, ce
qui n’est pas le cas. On peut également supposer
qu’un grand nombre d’entre elles sont dotées d’un
commissaire aux comptes compte tenu des seuils
imposant d’en nommer un. L’ensemble de ces 143 000
entreprises emploient 12 millions de salariés en 2011

1
Source INSEE, Les catégories d’entreprise en France : de la
microentreprise à la grande entreprise.
http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=if4

55
sur un total de 14, 93 millions 1. Ainsi, l’élargissement
de cette obligation à la totalité des PME, à l’instar des
entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des grandes
entreprises permettrait de couvrir des entreprises
employant la moitié de l’effectif salarié en France
(23,8 millions de salariés en 2011 tous secteurs
confondus 2). Certes, il s’agit d’imposer une contrainte
supplémentaire dans un moment où ce thème est
souvent décrié. Il y toutefois des avantages certains à
cela. En premier lieu, une telle mesure améliorerait la
qualité de l’information financière des entreprises et
partant leur réactivité, leur « agilité » selon le thème à
la mode. En second lieu, et dans la mesure où le
commissaire aux comptes trouverait là un rôle à jouer,
on augmenterait l’efficacité de la procédure d’alerte
et on pourrait réagir sans doute plus tôt dans les
entreprises dont la situation se dégrade.
Pour atténuer la lourdeur de cette contrainte
nouvelle, on pourrait en contrepartie revoir la nature

1 1
Source INSEE, Les catégories d’entreprise en France : de la
microentreprise à la grande entreprise.
http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=if4

2
Source INSEE, Emploi salarié et non salarié par secteur d'activité
en 2014 ;
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=natnon03146

56
et la structure des documents à produire ainsi que la
forme de l’intervention du CAC.

1. Plutôt que le tableau de trésorerie,


obliger les clients à élaborer un prévisionnel de
trésorerie à communiquer au CAC avec le rapport
de gestion

Le Code de commerce impose donc la production de


quatre états prévisionnels et qui doivent être
accompagnés d’un rapport des dirigeants
commentant ces états. La généralisation des
documents prévisionnels à toutes les entreprises
dotées d’un commissaire aux comptes (voire à toutes
les entités) pourrait s’accompagner de la réduction
des documents à produire et ne plus concerner que le
compte de résultat prévisionnel (éventuellement sous
une forme simplifiée) et un plan de trésorerie
prévisionnel. Le rapport du dirigeant sur ces états
pourrait au choix, soit être intégrés au rapport de
gestion, soit ne pas être produits.

57
En effet, il n’est pas forcément nécessaire d’établir un
état de l’actif disponible et du passif exigible tant que
la trésorerie est suffisante et que le prévisionnel de
trésorerie ne montre pas de tensions sur celle-ci. Par
ailleurs, le tableau de financement de l’exercice clos,
ou du semestre clos n’est plus utile, si le prévisionnel
de trésorerie est mis à jour régulièrement.

Il reste que ces documents doivent servir avant tout à


la prévention des difficultés et donc qu’il faut que
quelqu’un analyse ces documents dans cet objectif.
Dans le format actuel, ces documents sont établis
dans le sillage des comptes annuels et deux mois
avant la fin de l’exercice comptable. Pour améliorer la
pertinence de l’exercice il serait sans doute utile de
passer à un rythme de quatre prévisionnels par
exercice.

2. Echanger régulièrement avec le CAC sur


ce prévisionnel.

Puisque nous avons relevé que la communication est


souvent le point faible de la relation entre le

58
commissaire aux comptes et son client, il faut prévoir
que les documents prévisionnels donnent lieu à une
communication au commissaire aux comptes. Celui-ci
en retour, enverrait une communication écrite à son
client qui ne serait ni un rapport, ni une attestation
mais un avis ou un commentaire. Le commissaire aux
comptes conserverait la faculté de communiquer sur
d’éventuelles irrégularités en application de l’article
L.823-12 du Code de commerce. Les documents ainsi
établis serviraient à améliorer entre deux audits la
connaissance que le commissaire aux comptes a de
ses clients et lui permettraient sans faire de conseil,
d’attirer l’attention de son client sur les signes de
difficultés qu’il pense relever.

L’information précise et produite au bon moment est


une condition indispensable à une bonne action de
pilotage de l’activité et d’anticipation des difficultés.
Pour le commissaire aux comptes, c’est la condition de
pour s’acquitter au bon moment de ses obligations
d’alerte. On peut même penser qu’un échange
régulier d’informations de qualité permet d’éviter de
s’enfermer dans le formalisme de l’alerte pour lui
préférer une action permanente moins formelle.

59
Celle-ci serait centrée sur l’appui aux dirigeants plutôt
que l’accomplissement d’une obligation
professionnelle. C’est aussi une façon de valoriser la
mission du commissaire aux comptes auprès de son
client.

En définitive, si cette culture de la prévention


s’instaure entre le professionnel et son client, la
procédure d’alerte sera sans doute rendue encore
moins fréquente mais pour de bonnes raisons. Il faut
toutefois garder cette procédure originale,
éventuellement en y apportant quelques
changements dans le sillage de ceux déjà introduits
par la loi Warsmann 2 (Loi 2011-525).

60
CHAPITRE 2 : CHANGER LA PROCEDURE D’ALERTE
DU CAC ET L’ARTICULER AVEC DES OBLIGATIONS
D’INFORMATIONS COMPTABLES NOUVELLES

Le code de commerce a prévu un outil à la disposition


du commissaire aux comptes pour lui permettre
d’obliger les dirigeants et les associés ou sociétaires
de l’entités à prendre la mesure des difficultés
auxquelles l’entité fait face et à y répondre de
manière satisfaisante. Depuis la loi Warsmann 2, le
commissaire aux comptes a la possibilité de reprendre
le cours d’une procédure d’alerte qu’il a interrompu.
On aurait pu à cette occasion d’une part préciser la
forme de la communication entre le commissaire aux
comptes et l’entité et d’autre part mettre en place,
comme pour les procédures de redressement
judiciaire un délai d’observation avec des obligations
renforcées de communications de l’entité vers son
commissaire aux comptes.

61
A. Quelle que soit la phase à laquelle
s’arrête l’alerte donner au commissaire aux
comptes des outils de suivi et d’évaluation des
mesures prises par le dirigeant.

Dans sa forme actuelle, la procédure d’alerte consiste


pour le commissaire aux comptes à relever des signes
d’une possible compromission de la continuité
d’exploitation et de les exposer au dirigeant, puis
éventuellement aux associés. A la suite de cette
interpellation, le dirigeant dans un premier temps, à
défaut dans la seconde phase l’organe
d’administration ou de délibération doivent analyser
les faits relevés et y répondre. La réponse peut être
simplement une contre argumentation ou consister en
un train de mesures pour pallier les difficultés à venir
pointées par le commissaire aux comptes. Sur cette
base le commissaire aux comptes doit apprécier le
caractère satisfaisant des réponses du dirigeant. Il lui
appartient d’exercer son jugement professionnel et
d’en tirer la conclusion de poursuivre ou suspendre la
procédure d’alerte. On voit que l’action du
commissaire aux comptes, même dans ce cas reste
une action « ponctuelle », la procédure n’a pas prévu

62
les outils d’un suivi des déclarations de la direction sur
les mesures à mettre en œuvre, ni même sur les
documents à produire à l’appui de cette réponse du
dirigeant. Cette lacune empêche un suivi de la
procédure par le commissaire aux comptes de même
qu’elle peut être propice à un relâchement de
l’attention du dirigeant. Il nous semble de ce fait
intéressant d’enrichir la procédure d’alerte en
précisant la forme de la communication de l’entité
vers son commissaire aux comptes d’une part, en
aménageant les étapes de la procédure d’autre part.

1. Comme pour la proposition 1, le client


devra fournir a minima, un prévisionnel de chiffre
d’affaires et de trésorerie.

Dans la première phase de la procédure d’alerte, le


commissaire aux comptes appelle l’attention du
dirigeant sur les faits, relevés à l’occasion de sa
mission, susceptibles de compromettre la continuité
d’exploitation. Le dirigeant répond à ces observations
avec les arguments et les documents qui lui semblent
appropriés. Le commissaire aux comptes apprécie si

63
les éléments de réponse qui lui sont apportés sont
satisfaisants, c’est-à-dire que le dirigeant lui apporte
des éléments de réponse assurant que la continuité
d’exploitation n’est pas compromise ou que la
continuité d’exploitation étant menacée, le dirigeant
en a pris la mesure et compte prendre les mesures à
même de la rétablir.
Il faut relever qu’à la différence des dispositions sur
les documents financiers prévisionnels, l’article L.234
du code de commerce relatif à la procédure d’alerte
ne précise pas quels éléments de réponse doit fournir
le dirigeant. Il est probable que le législateur a voulu
ménager une forme de souplesse dans cet échange
entre le commissaire aux comptes et son client. De
même, la procédure repose sur la découverte quasi
fortuite de faits de nature à compromettre la
continuité d’exploitation et en aucun cas sur un
échange régulier et volontaire entre le client et son
commissaire aux comptes. L’ensemble de ces lacunes
fait comme nous l’avons relevé dans la première
partie que la procédure peut être déclenchée à
contretemps et reste surtout une obligation
professionnelle pour le commissaire aux comptes plus
qu’un instrument réellement efficace pour aider à la
prévention des défaillances d’entreprises.

64
La procédure devrait donc, au moins sur ce point être
repensée et précisée sur la forme de la réponse du
dirigeant dans la phase 1 ou des organes concernés
par les phases suivantes. Il est notamment souhaitable
que l’on oblige l’entité à étayer sa réponse écrite par
la production d’un budget prévisionnel précisant :
• L’impact ou l’absence d’impact sur l’activité
des faits relevés par le commissaire aux
comptes
• La contribution au redressement des mesures
envisagées dans le cas où l’entité admet le
bien-fondé des observations du courrier
initial du commissaire aux comptes.

Le budget prévisionnel doit comporter, au moins une


prévision de chiffre d’affaires, envisager les principales
charges et leur évolution et une prévision de
trésorerie. L’introduction de cette obligation de
produire des documents chiffrés, en réponse aux faits
relevés par le commissaire aux comptes permettra :

• Au Commissaire aux comptes de disposer


d’éléments d’appréciation plus précis sur la
situation de l’entité et son évolution
prévisible. L’appréciation du caractère

65
satisfaisant de la réponse des dirigeants
d’entités en sera facilitée.
• A l’entité d’accroître sa vigilance face à des
faits qu’elle avait sans doute négligés, et qui
ont amené l’action du commissaire aux
comptes.

Avec ces outils, le commissaire aux comptes disposera


d’une base pour suivre l’évolution de la situation de
son client et donc des moyens de juger de
l’opportunité de reprendre le cours de la procédure le
cas échéant, comme la loi le permet depuis 2011.

2. Obligation pour le client d’établir des


situations régulières pour piloter la procédure
d’alerte.

Puisque la loi Warsmann 2 permet de reprendre le


cours d’une procédure d’alerte jusqu’à six mois après
sa suspension si de nouveaux faits montrent une
dégradation de la situation, il semble opportun, en
complément de la proposition esquissée ci-dessus, de
préciser les formes et les outils de suivi de la situation

66
par le commissaire aux comptes. En effet, pour juger
de l’opportunité de reprendre une procédure que l’on
a interrompue, il faut disposer d’éléments permettant
d’étayer son bien-fondé. Dans la mesure où nous
avons proposé que la réponse des dirigeants soit
accompagnée obligatoirement de documents
prévisionnels, il paraît raisonnable au moins dans le
délai de six mois prévu par la loi que l’entité fournisse
des situations comptables régulières et un rapport sur
l’exécution du budget présenté à l’appui de la réponse
adressée initialement.
La mise en place de cette obligation d’information
permettrait par exemple qu’une procédure d’alerte
qui serait lancée très tôt et suspendue très tôt
également, compte tenu des délais très courts de
chacune des phases, connaisse malgré tout un suivi.
En effet, s’il est simple de suspendre une procédure
d’alerte, il peut s’avérer problématique de la
reprendre si on ne dispose pas d’informations le
justifiant. On peut d’ailleurs se demander si le
législateur en ouvrant cette possibilité n’est pas resté
au milieu du chemin, en effet le délai de six mois
paraît inspiré de la période d’observation des
procédures de sauvegarde et de redressement

67
judiciaire. Peut-être s’agissait-il d’éviter d’alourdir les
contraintes aux entreprises.

B. Définir, comme pour les procédures


collectives, un délai d’observation pendant lequel
le CAC est informé régulièrement.

Puisque l’article L.234-1 du code de commerce prévoit


que le commissaire aux comptes peut dans un délai de
six mois reprendre le cours d’une procédure d’alerte,
il serait sans doute opportun de préciser que ce délai
est une sorte de période d’observation à l’issue de
laquelle seulement (ou au cours de laquelle) le
commissaire aux comptes, dans un rapport dont la
teneur devra être précisée, décide de poursuivre ou
suspendre la procédure. L’intérêt est ici de maintenir
l’entité concentrée sur la question soulevée par le
commissaire aux comptes.

L’objectif de la période d’observation dans les


procédures de sauvegarde et de redressement
judiciaire est de permettre de poser le diagnostic sur
l’état de l’entreprise et de sa capacité au bout la

68
procédure ouverte à recouvrer une activité normale et
soutenable. La durée de la période d’observation d’au
maximum six mois est déterminée par le juge de la
procédure. L’introduction d’un délai de reprise de la
procédure d’alerte après son interruption est inspirée
de ce délai à la différence qu’il ne s’agit pas de poser
un diagnostic mais pour le commissaire aux comptes
d’apprécier la pertinence des éléments de réponse qui
lui avaient été fournis par l’entité. En effet, comme le
relève la note d’information de la CNCC, le délai laissé
au commissaire aux comptes pour apprécier le
caractère satisfaisant de la réponse de l’entité est très
court à chaque étape de la procédure. Il ne permet
pas au professionnel de faire des analyses étendues
sur la viabilité des mesures proposées. Or dans
l’ancienne formule de la procédure d’alerte, il n’avait
de choix que de contester la réponse de la direction
ou d’interrompre la procédure. Si la procédure est
interrompue et que la situation de l’entité continue de
se dégrader, il fallait déclencher à nouveau une
procédure à sa phase 1. La faculté de reprendre le
cours de la procédure permet de gagner du temps
dans des situations où celui-ci fait toujours défaut.

69
Il reste que le délai permis par la nouvelle procédure
d’alerte est une faculté laissée à la libre appréciation
du commissaire aux comptes et nous pensons qu’il
devrait être systématique et mieux défini. Il s’agit
notamment de préciser le déroulement de ce délai,
ainsi que les diligences que le commissaire aux
comptes pourrait (devrait accomplir) pour conforter
son opinion d’arrêter définitivement la procédure ou
la reprendre jusqu’à son terme.

Plutôt que de décider de suspendre la procédure ou


passer à la phase suivante, l’instauration d’un délai
d’observation permettrait au commissaire aux
comptes d’affiner son diagnostic et d’observer les
résultats des mesures prises par l’entité. Ce délai
devrait pouvoir être interrompu à tout moment, soit
parce que l’entité amorce son redressement, soit
parce qu’au contraire la situation empire et qu’il
convient de passer à une autre phase. On voit que
pour parvenir à une procédure qui fonctionne selon
cette modalité, il faut que le commissaire aux comptes
ait des éléments d’information suffisants et précis
comme nous l’avons déjà pointé plus haut.
L’instauration d’un délai d’observation systématique
qui serait la traduction pratique du délai de reprise

70
d’une procédure interrompue, n’est donc rien d’autre
que l’exigence d’une information régulière du
commissaire aux comptes par l’entité. Il faudrait donc
accompagner toute procédure d’alerte d’une
obligation de produire des états prévisionnels
d’activité et de trésorerie, ainsi que pendant le délai
d’observation de situations comptables régulières.

De son côté le commissaire aux comptes devrait


également formaliser différemment la manière dont il
conduit sa procédure. En particulier, il devrait
conserver dans ses dossiers les diligences qu’il
effectue sur les documents prévisionnels et les
situations comptables établies dans le cadre du suivi
de la procédure. Ces documents étayeront sa décision
de suspendre la procédure d’alerte ou de la
poursuivre au bout du délai de six mois ou avant. A
l’issue de cette période, il matérialiserait sa décision
par une communication étayée en direction de
l’entité. Cette communication pourrait être un rapport
spécial sur la procédure d’alerte dont le format serait
entre les rapports habituels et une communication de
type synthèse d’audit.

71
L’objectif d’améliorer le rôle préventif de la procédure
d’alerte peut donc être atteint par le passage d’une
faculté de reprendre une procédure interrompue dans
un délai de six mois à un délai d’observation
systématique pour permettre au commissaire aux
comptes de s’acquitter de diligences lui permettant de
lever l’incertitude sur la continuité d’exploitation ou,
au contraire, d’en acquérir la conviction suffisante et
de communiquer ses conclusions aux dirigeants,
associés et président du tribunal compétent.

Les pistes que nous avons évoquées pour insérer plus


le commissaire aux comptes dans la prévention des
défaillances d’entreprises s’en tiennent toutefois à un
rôle de surveillance et de contrôle de documents
financiers. Elles ont le mérite de respecter strictement
les principes d’indépendance et de non immixtion
dans la gestion des entités contrôlées. Cependant,
tout en restant dans ces limites d’indépendance et de
respect du secret professionnel, nous pensons que le
commissaire aux comptes d’entités non dotées d’un
expert-comptable ou d’un avocat, peuvent assister
leur client en lui fournissant de l’information sur les
différents dispositifs d’aide aux entreprises en

72
difficultés, voire en l’assistant à certaines phases des
procédures de conciliation et de sauvegarde.

CHAPITRE 3 : PERMETTRE AU CAC D’ASSISTER


SON CLIENT DANS LA DEFINITION ET LA
CONDUITE DES MESURES DE PREVENTION ET DE
TRAITEMENT DES DIFFICULTES.

A priori, il n’est pas dans le rôle du commissaire aux


comptes de donner du conseil à ses clients. Si l’on
observe strictement ce principe, il ne semble pas y
avoir beaucoup de moyens pour le commissaire aux
comptes d’assister son client dans ses actions pour
redresser son activité. A ce propos, la note
d’information de la CNCC relative à la prévention des
difficultés met particulièrement en exergue la
possibilité pour le commissaire aux compte de délivrer
des attestations et d’effectuer des diligences
directement liées, y compris dans des entités sous
procédure collective, tant qu’il est lui-même en
fonction. Sans l’énoncer directement, nous ajoutons

73
que le commissaire aux comptes peut porter à la
connaissance de son client, l’existence des différents
moyens et acteurs de la prévention des difficultés.

Nous pensons que le commissaire aux comptes devrait


aussi pouvoir s’assurer, en conformité avec son rôle
de protection des intérêts des associés d’une entité,
que les engagements du dirigeant sont suivis d’effet,
notamment dans le cadre de la procédure d’alerte,
ceci nécessiterait sans doute d’amender l’article 234
du code de commerce pour introduire une dimension
de contrôle par le CAC avec un rapport à remettre à
l’organe délibérant et au président du tribunal de
commerce.

A. Changer la loi sur la procédure d’alerte


pour préciser le fonctionnement de chaque
phase et les obligations de chaque partie
dirigeant et CAC.

Nous avons déjà mentionné plus haut ce qu’il nous


semble possible d’ajouter à la procédure d’alerte pour

74
améliorer son suivi par le commissaire aux comptes,
sans pour autant en changer la philosophie. Mais ce
qui nous paraît insatisfaisant c’est que cette
procédure n’a justement qu’une fonction d’alerte,
d’éclairage du dirigeant sur les risques qu’il encourt. Si
les difficultés sont déjà là, le commissaire aux comptes
n’a plus de rôle hormis celui d’attester certains
documents pour les besoins des procédures et de
réaliser certaines diligences directement liées. Si on
voulait donner à la procédure d’alerte une fonction
analogue aux procédures de conciliation et
sauvegarde, c’est-à-dire une situation où l’on conçoit
et met en place un plan de redressement, il faudrait
sans doute changer le rôle du commissaire aux
comptes dans le dispositif.

1. Préciser la nature des travaux que doit


effectuer le dirigeant

En complément de la mise en place d’obligations plus


précises tenant à l’échange d’information entre le
dirigeant et le commissaire aux comptes dans la

75
procédure d’alerte, il pourrait s’avérer efficace de
rapprocher le fonctionnement de la procédure
d’alerte des procédures de conciliation ou de
sauvegarde. Dans ces deux procédures, un plan de
conciliation ou de sauvegarde est défini en se fondant
sur des hypothèses sur les ventes, la restructuration
des charges, et en obtenant un plan d’apurement du
passif négocié avec les créanciers. Ces plans de
sauvegarde et de conciliation sont négociés sous
l’autorité du juge de la procédure qui les valide par un
jugement ou une homologation.
Dans la procédure d’alerte, le président du tribunal de
commerce est seulement tenu informé de l’existence
de la procédure et des réponses (ou de l’absence de
réponse) du dirigeant, des administrateurs ou des
associés. L’essentiel de la procédure se déroule entre
le commissaire aux comptes et son client. En effet, la
procédure étant confidentielle, la discrétion de son
déroulement est d’autant mieux assuré que le nombre
de personnes au courant est réduit. De ce fait, il n’y a
pas dans la procédure de déroulement conduisant du
constat à la définition d’un plan et à sa mise en œuvre
avec le tout sous la supervision d’un tiers. Il est vrai
que, par définition l’alerte est une prévention des
difficultés par leur détection très en amont de leur

76
survenance. Mais puisque la procédure dans sa forme
actuelle impose au commissaire aux comptes qui la
déclenche de prendre seul la décision de la poursuivre
ou de l’interrompre, il nous semble important dans le
cas où le dirigeant partage l’appréciation du
professionnel de l’amener à s’inscrire dans un
processus de résolution de la situation. Autrement dit
la procédure d’alerte tant que la chose est possible
doit permettre une résolution des problèmes en
dehors du recours à une solution judiciaire.
Pour parvenir à ce résultat, il faudrait donc amender la
procédure d’alerte en insérant une obligation pour le
dirigeant qui reconnaît l’existence de difficultés de
définir et mettre en œuvre un plan de résolution de
ces difficultés. Ce changement instaurerait
compléterait la proposition de fournir au cours d’un
délai d’observation des informations régulières au
CAC. En effet, la suspicion de difficultés à venir par le
commissaire aux comptes peut donner lieu à plusieurs
réponses possibles de la part du dirigeant :
− Aucune réponse ;
− Une réponse infirmant le risque de
défaillances malgré les signes relevés par le
commissaire aux comptes ;

77
− Une réponse reconnaissant les difficultés
mais qui les considère comme passagères et
ne nécessitant qu’une vigilance sans mesures
particulières ;
− Une réponse reconnaissant l’existence des
difficultés et nécessitant la mise en œuvre
d’un plan de résolution.

Le premier cas est prévu par l’article L. 234 du Code de


commerce et entraîne le déclenchement de la phase 2
de l’alerte et un courrier au président du tribunal de
commerce. Pour les deux autres cas de réponses, nous
avons suggéré que l’on pouvait imposer aux entités de
produire des documents prévisionnels et des
situations comptables régulières à l’intérieur d’un
délai d’observation.

Le dernier cas pourrait donner lieu à une autre


solution. Puisque le dirigeant reconnait l’existence de
problèmes qu’il convient de traiter spécifiquement et
pour autant que la situation n’est pas dégradée au
point de nécessiter une résolution judiciaire, alors il
convient qu’il définisse un plan de redressement ;
Dans un tel cas, le commissaire aux comptes pourrait
utilement assister son client pour :

78
− Tester les hypothèses de travail
− Aider à concevoir et mettre au point les outils
nécessaires à une meilleure information
comptable et financière (qui peut faire l’objet
d’une diligence directement liée)
− Apporter des éléments d’information sur les
dispositifs existant permettant de traiter les
difficultés des entreprises.

Le commissaire aux comptes pour tenir son rôle dans


une telle configuration doit pouvoir disposer d’outils
nouveaux, notamment des moyens de s’assurer que le
plan discuté avec son client est mis en œuvre.

2. Donner au CAC les moyens de s’assurer


de leur mise en œuvre.

Il semble logique que si l’on complexifie la procédure


d’alerte en la rapprochant du schéma de la procédure
de sauvegarde et en réservant un rôle de supervision
de l’exécution de ce plan au commissaire aux
comptes, il faut également veiller à ce qu’il en ait les

79
moyens. En premier lieu, comme dans toutes les
pistes que nous avons évoquées, il doit pouvoir
compter sur une information fiable et complète de la
part de l’entité. L’information doit toujours procéder
de l’entité et le commissaire aux comptes
conformément aux principes d’indépendance doit en
assurer un examen critique dans le but de se faire une
opinion sur le déroulement du plan. L’objectif final de
cet examen est de décider à la fin de la période
d’observation s’il est opportun de poursuivre, ou s’il
devient nécessaire de placer l’entité sous la protection
d’une procédure de conciliation ou d’une procédure
collective.

Un tel schéma de procédure implique une


collaboration active du client, de ce fait, une telle
décision de poursuite du cours de la procédure ou au
contraire de son interruption pour recourir à un autre
dispositif de prévention ne peut se faire qu’en
concertation avec le client. Il y donc là une gestion qui
peut sembler plus efficace de la procédure parce
qu’elle est plus consensuelle.

Enfin, dans la période durant laquelle se met en place


le plan de résolution des difficultés, le commissaire
aux comptes pourrait organiser une ou deux réunions

80
de suivi avec son client et à l’issue de ce processus
décider de la poursuite ou de l’abandon de la
procédure d’alerte.

Toutes les pistes de changement de la procédure


d’alerte que nous avons suggéré ne sont pas à mettre
en place. Il s’agit en premier lieu de choisir si l’on est
satisfait d’une procédure de détection ou si l’on veut
aussi qu’elle puisse être le déclencheur d’un
traitement des difficultés.

B. Donner la faculté au client d’intégrer le


CAC dans les procédures de prévention des
difficultés (Mandat Ad Hoc et Conciliation)

Une dernière possibilité de réforme du rôle du


commissaire aux comptes dans la prévention et le
traitement des difficultés est de lui permettre
d’assister plus largement son client dans les
procédures de conciliation et auprès du mandataire
ad hoc. En effet, dans les procédures collectives, le
rôle est tenu par le mandataire judiciaire. Sous la
condition que le principe de non immixtion dans les

81
décisions de gestion et que les documents financiers
et comptables soient produits par l’entité, on peut
ainsi envisager que le commissaire aux comptes
puisse :
− Fournir l’information nécessaire sur les
dispositifs d’aides aux entreprises en
difficulté
− Assister le client dans ses négociations avec
les créanciers, notamment par l’analyse des
documents matérialisant les négociations
(contrats, documents comptables,
projections et budgets…) pour pallier les
carences de compétence du client.
− Proposer plus souvent des diligences
directement liées pour aider à produire des
projections, plans d’affaires, schémas
d’organisation etc.

82
1. Permettre au CAC d’aider le client dans
ses négociations

En théorie, la fourniture d’information sur les


dispositifs d’aides aux entreprises en difficultés
(Comités des chefs de services financiers, CIRI,
CODEFI, Mandat Ad Hoc, conciliation) n’est pas une
immixtion dans la gestion et ne contrevient donc pas
au principe d’indépendance du commissaire aux
comptes. Il devrait donc être plus fréquemment
rappelé aux professionnels qu’ils peuvent apporter ces
informations à la connaissance de leur client. Il paraît
même souhaitable de rappeler l’existence de ces
dispositifs régulièrement, pourquoi pas dans un
document de communication standardisé. Cette
information doit aussi servir dans les cas où la
nécessité s’en fait sentir à aider le client à mettre en
œuvre ces dispositifs de traitement des difficultés.

Dans la mise en œuvre de ces procédures, le


commissaire aux comptes pourrait aider son client
dans les négociations. En effet, sans qu’il s’agisse de
lui conseiller la position à adopter dans la négociation,
le commissaire aux comptes pourrait au moins aider

83
son client à aborder ces négociations, comprendre
leur fonctionnement, comprendre les documents de
transactions et éventuellement répondre aux
demandes des créanciers sur certains points qui
n’impliquent pas l’établissement de documents signés
de sa main. L’idée est ici que le commissaire aux
comptes assiste son client en tant qu’expert du chiffre
en l’absence d’autres experts tel qu’un expert-
comptable.

2. Permettre au CAC d’aider son client à


établir les documents nécessaires à ses
négociations avec les créanciers

Une autre ressource qui figure dans les diligences


directement liées que le commissaire aux comptes
peut réaliser, consiste à aider le client à :
− Etablir les documents nécessaires à la
demande de remises de dettes, moratoires,
etc.

84
− Elaborer les procédures devant lui permettre
d’améliorer l’information comptable de son
client.

Dans le premier cas, il s’agit dans le prolongement de


la première proposition d’assister son client dans
l’élaboration des dossiers de demande d’aide, voire de
les établir pour lui sur la base de documents supports
fournis par l’entité. Il s’agit ici de pallier l’absence
d’expérience dans l’entité sur ces sujets (par
définition) et de gagner du temps dans des processus
où le temps est compté. Il ne nous semble pas que
ceci soit une entorse très forte au principe
d’indépendance du commissaire aux comptes puisque
la comptabilité continue d’être entièrement de la
responsabilité de l’entité. Le commissaire aux comptes
se contenterait de mettre en forme des documents
types ou des formules de communication, il n’y a donc
ni risque d’auto-révision, ni immixtion dans la gestion.
Il reste la question relative au secret professionnel
dont le client ne peut pas le relever, sans doute la loi
pourrait être changée sur ce point et permettre que le
client saisisse un juge pour obtenir cette levée dans
l’intérêt de l’entité. Une autre manière d’opérer est de

85
se contenter d’aider à élaborer ces documents et les
faire transmettre par le client.

Par ailleurs, le commissaire aux comptes, pourrait


aider son client à revoir les procédures comptables
pour améliorer son pilotage et ses capacités à analyser
son activité. Ceci ne nous semble pas poser de
problèmes au regard du référentiel normatif, puisque
ceci peut faire l’objet de diligences directement liées.

Enfin le traitement des difficultés suppose de mettre


en place un plan de redressement. Il peut arriver que
le dirigeant manque de compétence pour le faire, là
encore le commissaire aux comptes pourrait utilement
pallier cette carence.

3. Permettre au CAC d’aider le client dans


sa réflexion sur les mesures structurelles à
mettre en place.

Pour sortir des difficultés l’entité a souvent besoin de


mettre en œuvre des mesures de redressement. La
définition de ces mesures suppose de disposer d’une
bonne analyse de l’entité et de son activité. Cette

86
analyse pourrait en partie être prise en charge par le
commissaire aux comptes dans le cadre de diligences
directement liées.
Au-delà de l’analyse du passé, l’entité a également
besoin de définir un plan de retour à la normale. Ceci
nécessite parfois des calculs fins et des projections
que l’entité n’est pas toujours capable de faire seule.
Le commissaire aux comptes en tant que
professionnel du chiffre a cette capacité et par ailleurs
dispose d’une connaissance approfondie de son client
et de l’environnement de celui-ci. Il lui serait sans
doute possible d’efficacement seconder son client
pour définir les mesures structurelles qui devraient
être prises et les tester. Bien sûr, on frôle ici
l’immixtion dans la gestion et la seule possibilité que
nous entrevoyons pour qu’elle soit acceptable par les
associés et les créanciers est qu’elle soit supervisée
par un juge.

87
CONCLUSION

La loi n’accorde pas au commissaire aux comptes un


rôle très important dans la prévention des difficultés
des entités dont il assure le contrôle. Il est prévu qu’il
mentionne dans son rapport sur les comptes le
paragraphe de l’annexe sur l’incertitude quant à la
continuité d’exploitation ou qu’il refuse de certifier
des comptes d’une entité dont la pérennité est
compromise. Hors cet aspect de sa mission
permanente, il est normalement tenu de déclencher la
procédure d’alerte chaque fois que, dans le cours de
sa mission, il relève des faits de nature à
compromettre la continuité d’exploitation. Cette
procédure vise essentiellement à inciter les dirigeants
des entités à prendre consciences des risques qui
pèsent sur leur activité et à les amener à proposer un
plan de redressement le cas échéant. Nous avons vu
qu’en pratique, ce rôle de vigie du commissaire aux
comptes n’est pas très efficace pour prévenir les
difficultés d’une part parce que la procédure peut être
déclenchée à contretemps, d’autre part parce qu’elle

88
suppose une parfaite information du commissaire aux
comptes sur l’état réel de son client. L’inefficacité du
dispositif actuel n’est pas son seul défaut. L’existence
de la procédure d’alerte donne un argument
supplémentaire aux créanciers d’une entité pour
mettre en cause la responsabilité du commissaire aux
comptes. En effet, il est tentant pour les créanciers et
les associés d’une entreprise en liquidation d’essayer
d’incriminer le commissaire aux comptes au prétexte
qu’il n’aurait pas déclenché la procédure d’alerte, ou
l’aurait fait à contretemps. De fait, le commissaire aux
comptes pourrait se trouver souvent mis en cause
dans des procédures dans lesquelles le législateur ne
lui a réservé aucun rôle en principe.

Le problème pourrait être résolu par la suppression


pure et simple de l’obligation d’alerte et le
cantonnement du commissaire aux comptes à son rôle
de certificateur des comptes annuels. Or ce n’est pas
l’évolution qui a été constatée ces dernières années.
De plus, il serait dommage de n’accorder aucun rôle
dans la prévention à l’un des acteurs les mieux
informés de l’état réel des entreprises en difficultés. Il
nous paraît de ce fait plus prometteur de repenser le
rôle du commissaire aux comptes afin de l’intégrer

89
plus dans le dispositif de prévention et de traitement
des difficultés, notamment dans les phases qui
précèdent l’ouverture de procédures collectives,
comme le mandat ad hoc ou la conciliation. L’idée est
de renforcer la capacité de l’entité à appréhender sa
situation et réfléchir aux voies et moyens de recouvrer
sa santé financière. Le commissaire aux comptes
trouverait là une occasion supplémentaire de valoriser
sa mission auprès de son client, mais surtout, les
entités qui ont atteint une taille suffisante pour se
passer d’un expert-comptable n’ont pas toujours la
compétence en interne pour affronter seules de telles
situations.

Toutefois, un tel alourdissement des responsabilités


du commissaire aux comptes n’est acceptable que si le
gain est important pour l’économie et la profession
doit pouvoir en tirer un bénéfice. Ce bénéfice est celui
de pouvoir au moins peser sur des situations où la
responsabilité des commissaires aux comptes peut
être mise en cause. Dans le cas contraire, il serait
opportun, compte tenu de ce que le dispositif actuel
n’a pas d’efficacité prouvée, de supprimer la
procédure d’alerte.

90
ANNEXE 1 REPARTITION DES EMPLOIS SELON LE
TYPE D’ENTREPRISE EN 2011

Figure 1 : Principales caractéristiques des entreprises par catégorie en 2011

PME1 hors
GE1 ETI1 MIC1,2 Ensemble
MIC1

Entreprises, y compris activités financières et assurances


Nombre d'entreprises 243 4 959 137 534 3 001 329 3 144 065
Nombre d'unités légales situées en France 30 653 47 863 210 320 3 014 756 3 303 592
Effectif salarié au 31/12 (en milliers) 4 493 3 363 4 153 2 925 14 934
Effectif salarié en équivalent temps plein (EQTP, en milliers) 4 081 3 048 3 654 2 539 13 322
Entreprises hors activités financières et assurances
Nombre d'entreprises 214 4 794 136 068 2 951 600 3 092 676
Nombre d'unités légales situées en France 19 400 46 689 207 383 2 963 702 3 237 174
Effectif salarié au 31/12 (en milliers) 3 847 3 289 4 115 2 884 14 135
Effectif salarié EQTP (en milliers) 3 480 2 981 3 619 2 501 12 582
Chiffre d'affaires (en milliards d'euros) 1 384 1 039 788 552 3 763
Chiffre d'affaires à l'export (en milliards d'euros) 313 200 76 18 607
Valeur ajoutée hors taxes (en milliards d'euros) 344 237 234 220 1 036
Chiffre d'affaires par salarié EQTP (en milliers d'euros) 398,0 348,0 218,0 220,0 299,0
Immobilisations corporelles / salarié EQTP3 (en milliers d'euros) 258 186 90 90 161
1. GE : grande entreprise, ETI : entreprise de taille intermédiaire, PME : petite ou moyenne entreprise, MIC : microentreprise.
2. Pour les microentreprises, les ratios par salarié doivent être interprétés avec prudence, en l'absence d'information sur le statut
du chef d'entreprise et la façon dont il se rémunère.
3. Les immobilisations corporelles par salarié et le total de bilan par salarié sont calculés, non sur l'ensemble des entreprises,
mais sur celles ayant des obligations déclaratives sur le bilan.
Champ : France, entreprises (y compris autoentrepreneurs) dont l'activité principale est non agricole et hors administrations
publiques.
Source : Insee, Ésane, Clap, Lifi 2011.

91
ANNEXE 2 : NOMBRE D’ENTREPRISES EN
FRANCE EN 2011
Figure complémentaire 1 : Entreprises et unités légales en 2011 selon la catégorie d'entreprise, y compris activités financières et assurances

GE ETI PME hors MIC MIC Total


Nombre Total 243 4 959 137 534 3 001 329 3 144 065
d'entreprises Unités légales hors groupes s 442 102 156 2 990 117 3 092 715
Groupes français 165 3 234 30 581 9 336 43 316
Sous contrôle d'un groupe étranger 78 1 283 4 797 1 876 8 034
Effectif salarié Total 4 492 655 3 363 458 4 152 587 2 925 133 14 933 833
au 31/12 Unités légales hors groupes s 185 712 2 303 011 2 871 749 5 360 472
Groupes français 3 863 673 2 211 878 1 611 275 45 465 7 732 290
Sous contrôle d'un groupe étranger 628 982 965 868 238 301 7 919 1 841 070
Effectif salarié Total 4 081 025 3 048 054 3 654 175 2 538 561 13 321 815
en EQTP Unités légales hors groupes s 170 598 2 009 408 2 490 768 4 670 774
Groupes français 3 504 959 1 985 516 1 424 384 40 531 6 955 390
Sous contrôle d'un groupe étranger 576 067 891 940 220 384 7 262 1 695 652
Nombre d'unités légales Total 30 653 47 863 210 320 3 014 756 3 303 592
situées en France Unités légales hors groupes s 442 102 156 2 990 117 3 092 715
Groupes français 27 831 39 570 99 838 22 275 189 514
Sous contrôle d'un groupe étranger 2 822 7 851 8 326 2 364 21 363
Note : voir figure 1 pour la signification des abréviations.
Champ : France, entreprises (y comprisautoentrepreneurs) non agricoles, y compris activités financières et assurances et et hors administrations publiques.
s : Il y a moins de 3 unités légales hors groupes de taille GE. Elles ont été rajoutées avec les groupes français pour des raisons de secret statistique.
Source : Insee, Ésane, Clap, Lifi 2011.

92
BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages :

A. Jacquemont, Droit des entreprises en


difficulté, Lexis Nexis, 2013

A. Bricard et alii, Accompagner le chef


d’entreprise en difficulté, de la prévention au
rebond, Litec, coll. « Affaires finances »,
2007, 263 pages.

Doctrine professionnelle :

CNCC-NI.III – Le commissaire aux comptes et


l'alerte – Juin 2012

CNCC – NI.XIV – Le commissaire aux comptes


et la prévention ou
le traitement des difficultés des entreprises–
Novembre 2012

Sites :

http://www.crcc-
montpellier.fr/cariboost_files/support_participan

93
t_entreprise_en_difficulte.pdf : consulté le
29/10/2015

http://www.e-c-f.fr/doc/entreprise-en-difficulte-
et-cac-seminaire-guadeloupe.pdf ; consultée le
29/10/2015

http://blogs.u-paris10.fr/content/le-
prepackaged-plan-du-droit-am%C3%A9ricain-
une-proc%C3%A9dure-de-pr%C3%A9vention-
des-difficult%C3%A9s-des-entre , consulté le
31/10/2015

https://www.tresor.economie.gouv.fr/file/32680
4, consulté le 31/10/2015

http://www.auditlegaletcommissariatauxcompte
s.fr/revisiter-le-role-du-cac-dans-la-prevention-
detection-des-difficultes-des-entreprises/
consulté le 12 mai 2016.

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