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Résumé. La démence de type Alzheimer (DTA) se caractérise souvent, dans les premiers
VÉRONIQUE PROVENCHER
stades, par l’abandon d’activités significatives de loisirs (ASL) qui est susceptible d’affecter
NATHALIE BIER
à long terme la qualité de vie des personnes qui en sont atteintes et celle de leurs aidants.
THÉRÈSE AUDET Une étude antérieure a permis à une dame atteinte de démence de reprendre deux ASL
LISE GAGNON (écouter de la musique et prier en groupe) après l’apprentissage de tâches spécifiques
(par exemple : utiliser une radiocassette, reconnaı̂tre la signification d’une sonnerie).
Centre de recherche La présente étude vise à explorer l’effet à long terme de cette intervention sur le maintien
sur le vieillissement, de ces apprentissages et sur la capacité à poursuivre ces ASL spontanément dans sa vie
Institut universitaire quotidienne. Le maintien des apprentissages et la réalisation spontanée des ASL ont res-
de gériatrie de Sherbrooke,
pectivement été mesurés par le biais d’observations et d’appels à l’aidant, au cours des 9
Université de Sherbrooke,
Canada
à 15 mois qui ont suivi la fin de l’intervention. Neuf mois après l’intervention, la partici-
<Veronique. pante n’écoutait plus de musique, mais se rendait toujours à la prière en groupe au son
Provencher@USherbrooke. d’une horloge préprogrammée. La réalisation spontanée et à long terme d’ASL ayant fait
ca> préalablement l’objet d’un apprentissage (utilisation d’une sonnerie) s’avère ainsi possible
et profitable pour la personne atteinte de démence dégénérative.
Tirés à part :
Mots clés : démence de type Alzheimer, intervention cognitive, apprentissage, activités
V. Provencher
de la vie quotidienne, effets à long terme
Abstract. Decreased ability to accomplish significant leisure activities often occurs in early sta-
ges of dementia of Alzheimer type (DAT). As a long term effect, it may eventually affect the qua-
lity of life of the patient as well as that of the caregiver’s. In a previous study, a woman with
early DAT (77 years old, MMSE: 24/30) improved her participation in 2 leisure activities (liste-
ning to music and praying in a group) following the learning of a few tasks (e.g. using a radio
cassette, remembering the significance of an pre-programmed ring) as a result of a cognitive
intervention. The present study presents the long term effect of this intervention on the reten-
tion of the learned tasks and on spontaneous participation in both leisure activities of her daily
living. Measures of tasks’ learning and spontaneous participation in activities have been obtai-
ned through direct observation (ex: ability to use the tasks learned without assistance) and
telephone conversations with the caregiver. The measures were taken 9 to 15 months post-
intervention. Nine months after the end of the intervention, the participant could no longer use
the radio cassette, but was able to remember the significance of the pre-programmed ring.
doi: 10.1684/pnv.2009.0166
Similarly, she stopped listening to music, but still attended her prayer group. The intervention
appears to maintain participation in a leisure activity for several months in a patient with early
DAT, in spite of expected functional decline. This functional impact can be achieved through
retention of specific learned tasks as well as by strong external cues (daily pre-programmed
ring), and can increase the quality of life for patients with DAT.
Key words: dementia of Alzheimer type, cognitive intervention, learning, activity of daily
living, long term effect
L
es premiers stades de la démence de type Peu d’études [15, 16] ont cherché à documenter le
Alzheimer (DTA) sont caractérisés par une maintien à long terme de certains apprentissages sus-
diminution de la capacité à réaliser certaines ceptibles de contribuer à la réalisation d’ASL auprès de
activités de loisirs [1]. Or, la participation à ce type d’ac- personnes atteintes de démence. L’étude de Bird [15] a
tivités joue un rôle déterminant dans la préservation de été conduite auprès d’un homme présentant une
l’estime de soi et de l’identité personnelle [2]. Ainsi, démence vasculaire, chez lequel l’anxiété liée à la
pour permettre aux personnes atteintes de DTA de crainte de la survenue d’une incontinence limitait sa
poursuivre leurs activités de loisirs, l’aide d’un proche participation à des activités sociales ou de loisirs.
se révèle souvent nécessaire [3-5]. Cette aide offerte par L’intervention lui a permis d’apprendre à associer la
le proche peut toutefois avoir pour effet de restreindre sonnerie d’une horloge préprogrammée à l’action de
le temps consacré à ses propres loisirs [4, 6], d’alimen- se rendre à la toilette. En contribuant à une diminution
ter les tensions matrimoniales [3, 7] et de prédisposer des fréquentations excessives à la toilette, ces appren-
ainsi à une augmentation de son fardeau [7, 8]. Il appa- tissages lui ont permis de réduire son niveau d’anxiété
raı̂t pertinent de développer une intervention qui, en et de fréquenter un centre de jour. Selon son aidante, la
permettant à une personne atteinte de DTA en début sonnerie était toujours utilisée un an plus tard, malgré
d’évolution de poursuivre par elle-même une activité l’assistance requise pour sa programmation. Clare et al.
significative de loisir (ASL) pendant plusieurs mois, [16] ont également montré le maintien à long terme de
pourrait contribuer à l’amélioration de sa qualité de nouveaux apprentissages chez un homme atteint de
vie et de celle de son aidant [9]. Cette capacité à pour- DTA, dont le sentiment de gêne causé par la difficulté
suivre la réalisation d’ASL est importante du fait que les à se rappeler le nom des membres de son club social
personnes atteintes de DTA demeurent pendant bon l’amenait à s’y rendre moins fréquemment. Le partici-
nombre d’années à domicile [10]. pant est parvenu à apprendre et à retenir ces noms pen-
La possibilité de poursuivre une ASL peut paraı̂tre, dant plus de deux ans après l’arrêt de l’intervention,
aux premiers abords, incompatible avec le caractère évo- malgré une légère diminution de sa performance au
lutif de la DTA. En effet, les capacités fonctionnelles de cours de la dernière année. Ces deux études ne préci-
personnes atteintes à un stade léger ou modéré connaı̂- sent toutefois pas si le maintien des apprentissages a
traient un déclin significatif sur une période de 6 mois amené ces personnes à poursuivre par elles-mêmes
[11]. Ces personnes disposent cependant de capacités certaines ASL à plus long terme.
préservées qui pourraient être mises à profit afin d’assu- Ainsi, si un maintien à long terme des apprentissa-
rer la poursuite d’ASL pendant plusieurs mois. Beatty et ges a été observé dans la démence vasculaire et dans
al. [12, 13] ont ainsi montré que certains patients sont en les stades précoces de la maladie, aucune étude, à
mesure de poursuivre, même à un stade avancé de la notre connaissance, n’a rapporté de tels résultats à un
maladie, certaines ASL en lien avec le maintien d’habile- stade plus avancé (léger à modéré) de la maladie.
tés procédurales, telles que jouer du piano ou du trom- De plus, l’impact de ces apprentissages sur la capacité
bone. D’autre part, certaines études révèlent que l’on de la personne à réaliser spontanément (i.e. par elle-
peut apprendre à des personnes atteintes de DTA en même, sans l’aide d’un proche) une ASL pendant plu-
début d’évolution de nouvelles informations utiles à la sieurs mois s’avère peu documenté dans un contexte
réalisation d’ASL et ce, par le biais de méthodes mettant de démence dégénérative. Enfin, bien qu’on anticipe
à profit leurs capacités mnésiques préservées (voir Van que la poursuite d’une ASL puisse agir positivement
der Linden [14] pour une revue exhaustive). Parmi ces sur la participation à d’autres ASL et sur le fardeau de
études, celle d’Adam et al. [9] rapporte que le réappren- l’aidant, ces effets ont rarement été évalués.
tissage du tricot a permis à une femme présentant une L’objectif principal de la présente étude était donc de
DTA en début d’évolution de reprendre cette ASL vérifier si les apprentissages associés à deux activités
(tricoter) dans sa vie quotidienne. La reprise de l’ASL significatives de loisirs (ASL) pouvaient être maintenus
(2 heures/jour) a permis une atténuation des symptômes dans le temps et s’ils pouvaient mener à la réalisation
dépressifs et de l’apathie qui s’est traduite par une parti- spontanée de ces ASL chez une patiente atteinte de
cipation accrue à des activités sociales. De plus, une DTA en début d’évolution. De plus, l’étude comportait
diminution du fardeau de l’aidant a été observée suite à deux objectifs secondaires : documenter l’impact d’une
l’intervention. Le décès de la patiente n’a toutefois pas telle intervention sur la reprise d’autres ASL que celles
permis d’évaluer si cet apprentissage pouvait être main- ayant fait l’objet d’un apprentissage spécifique ainsi
tenu dans les mois qui ont suivi le réapprentissage. que sur le fardeau de l’aidant.
dans sa vie quotidienne, soit à 3 reprises au cours des lué. Concrètement, l’expérimentateur demandait à MD :
3 mois consacrés à l’intervention. « Pourquoi écouter [de la musique] ne dérange pas la
En ce qui concerne la seconde activité (Réciter le voisine ? » « Pourquoi a-t-on mis une photo de ce chan-
chapelet en groupe), MD devait connaı̂tre le moment teur sur le mur ? ». L’expérimentateur évaluait si MD
(tous les soirs à 18 heures) et le lieu (dans une salle parvenait à offrir la bonne réponse (« Parce que le son
située au bout du couloir) où se déroulait l’activité afin n’est pas fort et que le mur est loin » et « Pour me faire
d’y participer. L’intervention a ainsi consisté à implan- penser à écouter de la musique »). Trois mesures éva-
ter une horloge préprogrammée à domicile, à suspen- luant le maintien des apprentissages relatifs à l’utilisa-
dre le chapelet près de ses clés et à faire apprendre à tion de la radiocassette et aux stratégies incitatives à
MD : 1- la signification de la sonnerie ; 2- l’action de l’écoute de la musique ont été effectuées.
prendre son chapelet et de se diriger vers la sortie ; 3- Afin de connaı̂tre si les apprentissages réalisés ame-
le trajet pour se rendre à la salle de chapelet. MD est naient MD à écouter spontanément de la musique dans
parvenue, au terme de l’intervention et au cours des sa vie quotidienne, des appels téléphoniques ont été
6 semaines suivantes, à se rendre par elle-même à la effectués auprès de l’aidant (2 mesures). L’écoute spon-
salle de chapelet au son de l’horloge préprogrammée. tanée de la musique à long terme a également été éva-
Cette seconde intervention a permis à MD de réciter luée après 12 et 15 mois.
régulièrement le chapelet en groupe, soit à raison de
• 2e ASL : Récitation du chapelet en groupe
deux à trois fois par semaine au cours de cette période
Le maintien des apprentissages associés à la récita-
(voir Bier et al. [24] et Provencher et al. [25] pour une
tion du chapelet a été évalué 9 et 12 mois après l’arrêt de
description détaillée).
l’intervention. Cette évaluation consistait d’abord à véri-
fier si MD parvenait, au son de l’horloge à : 1) reconnaı̂-
Phase II de l’étude (août 2005 à août 2006) tre la signification de la sonnerie, poser l’action de pren-
• Maintien des apprentissages et réalisation dre son chapelet et se diriger vers la sortie ; 2) réaliser
spontanée des 2 ASL les quatre étapes nécessaires au trajet pour se rendre à
Cette seconde phase de l’étude visait principalement la salle de chapelet (sortir de l’appartement ; tourner à
à évaluer si les apprentissages associés aux deux ASL droite ; se rendre au bout du couloir ; tourner à droite).
s’étaient maintenus dans le temps et s’ils avaient mené Concrètement, lorsque la sonnerie retentissait à 17h45,
à la réalisation spontanée de ces ASL à long terme. l’expérimentateur notait si MD pouvait associer la son-
nerie à l’heure et à l’action de se diriger vers la salle de
• 1re ASL : Écoute de la musique
chapelet, puis si elle réalisait le trajet. Cette dernière per-
Le maintien des apprentissages associés à l’écoute
formance était évaluée par la proportion d’étapes réus-
de la musique a été évalué 12 et 15 mois après l’arrêt
sies. Une étape était considérée comme n’étant pas
de l’intervention. Cette évaluation consistait d’abord à
réussie si MD commettait une erreur (i.e. une mauvaise
vérifier si MD parvenait à réaliser les 16 étapes nécessai-
direction, une hésitation excédant plus de 5 secondes).
res à l’utilisation de la radiocassette (localiser la radio-
L’expérimentateur notait également si MD avait pris son
cassette, repérer la cassette… déposer la cassette sur la
chapelet et si elle avait récité la neuvaine au sein du
table). Concrètement, après avoir demandé à MD de
groupe. Trois mesures évaluant le maintien des appren-
mettre de la musique, l’expérimentateur évaluait : 1) la
tissages relatifs à la signification de la sonnerie et à la
performance de la tâche, déterminée par la proportion
réalisation du trajet ont été effectuées.
d’étapes réussies. Une étape était considérée comme
Afin de connaı̂tre si les apprentissages réalisés ont
n’étant pas réussie si MD commettait une erreur (i.e.
amené MD à participer spontanément à l’activité de
une omission, une répétition, une hésitation ou un
récitation du chapelet dans sa vie quotidienne, des
tâtonnement excédant plus de 10 secondes) ; 2) si MD
appels téléphoniques ont été effectués auprès de l’ai-
pouvait utiliser la radiocassette seule, sans aide verbale
dant (2 mesures). La récitation spontanée du chapelet
ou physique. Il est à noter que les erreurs entravant la
à long terme a également été évaluée 9 et 12 mois
complétion de la tâche ou générant un niveau de frus-
après l’intervention.
tration et d’anxiété excessive justifiaient une interven-
tion de l’expérimentateur. Dans un deuxième temps, le • Reprise d’autres ASL et fardeau de l’aidant
rappel des deux stratégies incitatives à l’écoute de la Cette seconde phase de l’étude visait également,
musique (atténuation de la peur de déranger la voisine, mais de façon complémentaire, à évaluer l’impact de
signification de la photographie du chanteur) a été éva- l’intervention sur la reprise d’autres ASL ainsi que sur
le fardeau de l’aidant. Ainsi, au cours d’une dernière d’étapes réussies, était de 78 % après 12 mois et de 50 %
entrevue, l’aidant a été interrogé sur les changements après 15 mois. Ces résultats sont comparables à la per-
observés chez MD dans sa vie quotidienne depuis le formance obtenue au cours de la ligne de base. Aux
début de l’intervention, particulièrement en ce qui moments de ces évaluations, MD ne parvenait plus à uti-
concerne la reprise d’autres ASL. Deux questionnaires liser seule la radiocassette : la sévérité des difficultés
ont été administrés à l’aidant afin d’évaluer son niveau éprouvées à localiser la radiocassette, à repérer la cas-
de charge. Le premier questionnaire, soit l’Inventaire sette et à faire cesser la musique ont notamment suscité
du fardeau (version française du Burden interview de des signes tangibles d’anxiété. Enfin, MD n’arrivait plus
Zarit et al. [26]), évalue le fardeau subjectif de l’aidant, à se rappeler la signification des stratégies incitatives.
en mesurant la fréquence à laquelle ce dernier éprouve
diverses émotions dans sa relation avec son proche
[27]. La cotation des 22 items s’effectue par l’entremise
100 Utilisation de la radiocassette
d’une échelle ordinale à 5 niveaux (0 = jamais à Signification des stratégies
incitatives
[28, 29]. Ces deux questionnaires avaient également été 80 Réalisation du trajet
70
remplis par l’aidant avant le début de l’intervention
60
(janvier 2005), ce qui permet de documenter l’évolution
50
de son niveau de charge. 40
30
Résultats 20
10
Elle continuait à évoquer sa peur de déranger la voisine rait plus écouté la musique de son chanteur préféré au
et devait être incitée à faire le geste de mettre de la cours de l’année suivante (période s’étalant de 3 à
musique, malgré la photographie du chanteur, comme 15 mois après l’intervention). Quant à la récitation
en témoignent ces propos « Je n’ai pas besoin d’une spontanée du chapelet à long terme, MD aurait conti-
photo pour me faire penser d’écouter de la musique ». nué à participer à cette activité à raison d’une fois par
semaine au cours des 9 mois suivant l’arrêt de l’inter-
• 2e ASL : Récitation du chapelet en groupe
vention. De plus, l’aidant a exprimé son appréciation en
Les résultats portant sur le maintien des apprentissa-
regard de l’implantation de l’horloge préprogrammée.
ges associés à la récitation du chapelet révèlent que
La sonnerie lui aurait également été utile en lui rappe-
l’apprentissage de la signification de la sonnerie était
lant l’heure du chapelet. L’expérimentateur a toutefois
toujours présent 9 mois plus tard. MD exprimait, par sur-
dû se rendre un soir à leur domicile afin de reprogram-
croı̂t, son appréciation à propos de l’introduction de cette
mer la sonnerie, désactivée par erreur par l’aidant.
forme de rappel (« Il n’y a pas plus gênant que d’arriver
Après 1 an, MD ne se rendait plus à cette activité. Lors
en retard »). Un soir qu’elle avait en mains son chapelet,
de sa dernière visite chez MD, l’expérimentateur a cons-
MD, son tour venu, a spontanément récité une neuvaine
taté que la sonnerie n’était plus activée alors que
au sein du groupe. Des consignes demeuraient néan-
l’heure indiquée s’avérait inexacte.
moins nécessaires pour l’inviter à prendre son chapelet
(« Je n’ai pas besoin de ça »). Quant au trajet pour se ren-
dre à la salle de chapelet, la performance moyenne a Reprise d’autres ASL et Fardeau de l’aidant
atteint, en termes de proportion d’étapes réussies, 75 % En ce qui concerne la reprise d’autres ASL au terme
après 9 mois et 50 % après 12 mois, ce qui demeurait de l’intervention, MD se serait montrée, selon l’aidant,
supérieur à la performance obtenue en ligne de base. plus encline à participer aux activités sociales offertes
Au cours de cette période, MD se montrait de plus en dans sa résidence. Elle aurait même entamé une partie
plus hésitante quant aux directions à prendre lors de la de cartes suite à la récitation du chapelet, une informa-
réalisation du trajet. Enfin, l’apprentissage de la significa- tion corroborée par les autres résidents. De surcroı̂t,
tion de sa sonnerie s’est estompé après 12 mois. l’aidant l’aurait surpris, à quelques reprises alors qu’il
pénétrait dans l’appartement, en train de chanter
Réalisation spontanée des 2 ASL (il s’agit d’une activité à laquelle MD s’adonnait réguliè-
La figure 3 illustre les résultats relatifs à la réalisa- rement par le passé). Il aurait remarqué une améliora-
tion spontanée des deux ASL à long terme (écoute de tion au plan de l’humeur et de la communication depuis
la musique et récitation du chapelet en groupe). Selon le début de l’intervention, évoquant que son épouse
les informations recueillies auprès de l’aidant, MD n’au- “va désormais davantage vers les autres.” Par ailleurs,
peu de changements ont été objectivés concernant le
niveau de charge de l’aidant (tableau 1) : si une aug-
12
mentation de trois points peut être remarquée à
Fréquence moyenne par mois
Écoute de la musique
10 Récitation du chapelet l’échelle de Perception du fardeau (vie de tous les
8 jours), il est à noter que le score obtenu initialement
6
se trouvait à l’intérieur des valeurs normales.
4
2
Discussion
0
Ligne de Base Intervention POST 1 POST 2 POST 3
(1,3,6,12 sem) (9/12 mois) (12/15 mois) La présente étude avait pour objectif principal de
Phase I Phase II vérifier si des apprentissages favorisant la reprise de
deux ASL (réécouter de la musique et réciter le chapelet
Figure 3. Fréquence de réalisation spontanée des deux activités
significatives de loisirs (écouter de la musique et réciter le chape- en groupe) pouvaient être maintenus pendant plusieurs
let) au cours de la phase I et de la phase II de l’étude. mois chez une femme atteinte de DTA en début d’évolu-
Figure 3. Spontaneous participation in the 2 leisure activities of tion et l’amener à réaliser spontanément ces 2 ASL au
daily living (1- listening to music; 2- praying in a group) during cours de l’année suivante. Cette étude visait parallèle-
the first and second part of the study, as measured by the fre-
quency of their performance per month. (In blue: listening to ment à évaluer l’impact de cette intervention sur la
music; In grey: praying in a group). reprise d’autres ASL et sur le fardeau de son aidant.
Tableau 1. Niveau de charge de l’aidant évalué, avant et cites des apprentissages réalisés, la poursuite auto-
après l’intervention, par deux questionnaires.
nome d’une activité repose sur la force des rappels pro-
Table 1. Level of the caregiver burden, before and after the venant de l’environnement [31]. Dans un deuxième
intervention, assessed by two questionnaires.
temps, MD a montré une faible propension à faire
usage de l’affiche, un comportement possiblement
Questionnaires Janvier Juin Normes
2005 2005 ± écart typea attribuable à une conscience altérée de ses déficits
Inventaire du fardeau (/88) 23 22 Fardeau léger [32]. Les propos de MD font état qu’elle ne percevait
Perception du fardeau pas la pertinence d’utiliser l’affiche, ce qui pourrait
Soutien 38 39 37,9 ± 10,8 être imputable au caractère plus stigmatisant, voire
Vie quotidienne 23 26 22,6 ± 7,9 infantilisant du rappel. À l’inverse, la sonnerie semble
Préoccupation 20 19 19 ± 4,3 se révéler une stratégie plus normalisante et pertinente
a
d’après les études conduites auprès d’aidants de personnes présentant des à ses yeux. Ces propos concordent avec ceux qui ont
incapacités physiques (n = 55) (Dumont et al., 1998).
été évoqués par Clare et al. [33], qui soulignent l’impor-
tance de considérer les motivations, les valeurs et les
En ce qui concerne l’objectif principal de l’étude, les croyances de la personne atteinte de DTA en vue d’op-
données révèlent que MD a continué à participer spon- timiser l’usage de rappels provenant de l’environne-
tanément à la récitation du chapelet pendant 9 mois. ment. Enfin, ces différences quant à la poursuite des
Ces résultats suggèrent qu’il est possible chez certaines ASL pourraient être attribuables à la nature même des
personnes atteintes de DTA de poursuivre à long terme activités. En effet, il est possible que l’écoute de la
certaines ASL dans leur vie quotidienne. Les données musique ait été moins renforcée du fait de son carac-
révèlent toutefois que 9 mois après l’intervention, MD tère solitaire, alors que la récitation du chapelet permet-
ne semblait plus écouter de la musique. Cette reprise tait à MD de participer à une activité sociale stimulante
plus importante d’une des ASL comparativement à et valorisante.
l’autre pourrait être attribuable à une meilleure réten- Les résultats suggèrent également que si le main-
tion des apprentissages réalisés. En effet, nos résultats tien des apprentissages ne garantit pas une réalisation
indiquent que les apprentissages favorisant la récita- à long terme de l’ASL, il s’avère par ailleurs un préa-
tion du chapelet (i.e. signification de la sonnerie) se lable à sa poursuite. L’incapacité de MD à utiliser
sont avérés plus efficaces que ceux qui étaient liés à seule la radiocassette a ainsi pu gêner l’écoute de la
l’écoute de la musique (i.e. signification de l’affiche musique au cours de l’année suivante. Dans notre
murale). Quelques hypothèses peuvent être évoquées étude, la régularité de l’activité du chapelet (tous les
pour expliquer l’efficacité des apprentissages liés à jours à 18 heures) et des indices émis par la sonnerie a
l’utilisation de la sonnerie en regard de ceux liés à l’uti- ainsi pu favoriser l’intégration de l’activité dans sa rou-
lisation de l’affiche murale. Dans un premier temps, des tine quotidienne et, en permettant une réactivation
consignes ont toujours été requises pour amener MD à continue des apprentissages réalisés, en assurer le
écouter de la musique au moyen de l’affiche du chan- maintien à plus long terme. Ces conclusions concor-
teur. Or, ce comportement pourrait être imputable à un dent avec celles de Clare et al. [34], qui attribuent le
manque d’initiative qui se traduit, en dépit d’une bonne maintien des apprentissages, après 9 mois, à la pour-
connaissance de la tâche à accomplir, par la nécessité suite d’un entraı̂nement quotidien. Cette régularité et
d’être stimulée pour la réaliser [30]. Cette hypothèse est cette précision du rappel auraient difficilement pu être
en accord avec les propos rapportés par l’aidant, à offertes par l’aidant, lequel profitait lui-même du rappel
savoir que, dans sa vie quotidienne, MD avait besoin offert par la sonnerie. Cet emploi de l’horloge pré-
d’être stimulée pour réaliser diverses activités. Il est programmée à des fins plus personnelles, couplé aux
donc probable que la sonnerie ait, contrairement à l’af- difficultés à reprogrammer la sonnerie, suggèrent une
fiche, offert un niveau de stimulation suffisant pour prise en compte des limites inhérentes aux aidants,
déclencher l’action [30]. L’écoute de la musique n’a eux-mêmes susceptibles de présenter certains déficits
donc pas été associée à un indiçage externe fort per- mnésiques.
mettant un rappel indicé de l’activité à effectuer. Par Les apprentissages favorisant la récitation du cha-
conséquent, l’utilisation d’une sonnerie aurait peut- pelet se sont par ailleurs estompés 12 mois après la
être davantage favorisé l’écoute de la musique qu’un fin de l’intervention. L’introduction d’une séance visant
indiçage faible comme la présence d’une affiche. à réactiver les apprentissages aurait peut-être pu favo-
Il apparaı̂t, en effet, qu’en l’absence de souvenirs expli- riser leur application spontanée à plus long terme. Tou-
suggèrent que des rappels directifs et réguliers, tels le potentiel de contribuer, en favorisant une améliora-
que ceux émis par la sonnerie d’une horloge pré- tion même modeste de son fonctionnement quotidien,
programmée, peuvent favoriser la poursuite d’une à la qualité de vie de la personne atteinte de DTA.
ASL chez une personne atteinte de DTA en début d’évo- Des études futures devront évaluer si l’efficacité de
lution. Ces rappels pourraient également être offerts par cette forme de rappel peut être observée pour diverses
d’autres supports externes « automatisés », tels qu’une activités de la vie quotidienne et auprès d’autres per-
radiocassette ou une vidéocassette préprogrammées. sonnes atteintes de DTA en début d’évolution.
Ils devraient toutefois être dédiés à la réalisation d’ASL
valorisées et valorisantes, déjà intégrées ou facilement
Remerciements. L’auteur principal remercie le Conseil de
intégrables dans la routine quotidienne. Enfin, le recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), le
support externe offrant les rappels devrait s’avérer fort Réseau de formation interdisciplinaire en recherche sur
simple à utiliser, c’est-à-dire n’exiger qu’une faible par- la santé et le vieillissement (FORMSAV) et l’Université de
Sherbrooke pour leur support financier (bourses d’étude)
ticipation, tant de la part de la personne atteinte de DTA ainsi que MD et son époux pour leur généreuse adhésion à
que de celle de l’aidant. En somme, ce type de rappel a ce projet de recherche.
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