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Cécile Rispal

Sylvain Piffeteau
Séance n°9 – La politique budgétaire

Politique économique et rôle des anticipations

La notion d’« incertitude radicale » introduite par Keynes dans sa théorie macroéconomique a mis en
avant la dimension temporelle de l’économie : les décisions d’aujourd’hui dépendent de la situation de
demain et des constats tirés du passé. Tous les agents économiques sont alors amenés à anticiper les
comportements des autres agents ainsi que les variables macroéconomiques. Les politiques
économiques se doivent de prendre en compte ces anticipations dans la mesure où celles-ci vont
déterminer la réussite ou non de ladite politique, alors qu’inversement les agents économiques vont
anticiper le succès ou non d’une politique économique en cours ou annoncée. L’importance accordée
par les pouvoirs publics aux anticipations se traduit par exemple par l’attention portée au moral des
ménages, indicateur fourni régulièrement par l’INSEE.

Le double-jeu entre anticipations des acteurs économiques et politiques économiques fait que les
anticipations des agents influent et déterminent les politiques économiques alors qu’a contrario les
politiques économiques prennent leur origine dans ces mêmes anticipations tout en tentant de les
réguler.

1- Qu’est-ce qu’une anticipation ?


Les anticipations sont un élément important de l'analyse conjoncturelle, car elles sont le moyen par
lequel se crée un "chaînage" entre les périodes.
La façon dont la pensée économique voit la formation des anticipations a évolué dans le temps :
► Keynes, et beaucoup d'autres avec lui, considéraient que les anticipations sont aléatoires (Keynes
se référait à la notion "d'animal spirit", ce qui correspond plus ou moins au concept de "pulsion
vitale"...).
► Au cours des années 70 et 80, les modèles de prévision ont fréquemment intégré des mécanismes
"d'anticipations adaptatives», selon lesquelles les agents économiques font des prévisions en
intégrant une partie de l'erreur observée précédemment. Ceci introduit un mécanisme d'apprentissage,
mais atténué et introduit des délais de réaction plus ou moins long ("effets-retard).
► La plupart des économistes se réfèrent aujourd'hui à l'hypothèse que les anticipations sont
rationnelles, c'est-à-dire que les individus utilisent toute l'information disponible pour faire leurs
plans de consommation, d'investissement, d'épargne, etc…

Keynes est considéré comme le premier auteur ayant mis l’accent sur le rôle des anticipations des
agents, dans un contexte d’« incertitude radicale ». Mais Keynes n’explicite pas en tant que telle la
formation des anticipations, qui sont considérées comme exogènes.
Les économistes ont ainsi ensuite explicité les anticipations des agents par une loi de comportement, et
trois formes principales d’anticipations peuvent être distinguées.

1
1.1- Les différents types d’anticipations

1.1.1- Les anticipations extrapolatives anticipent les évolutions en fonction des tendances actuelles et
passées de ces variables
L’anticipation extrapolative vise à anticiper les évolutions de certaines variables (le taux d’intérêt, les
prix, les profits, les cours en bourse, la demande…) en fonction des tendances actuelles et passées de
ces variables.
Selon Metzler, la valeur anticipée d’une variable à la période t dépend de sa valeur en t-1 et de la
a
tendance d’évolution de la variable ; dans le cas des prix, le prix anticipé en t (noté Pt ) est égal à :
Pt a  Pt 1   ( Pt 1  Pt  2 ) .
Le coefficient α correspond à un coefficient d’anticipation : si α est positif, cela signifie que l’on
estime que la tendance va se prolonger ; à l’inverse, si α est négatif, on anticipe un renversement de
tendance ; si α est nul, l’agent estime que l’évolution de la variable est identique à celle observée
aujourd’hui.

1.1.2- Les anticipations adaptatives corrigent les erreurs passées


L’anticipation adaptative corrige les erreurs passées, ce qui suppose une certaine maîtrise de
l’information par les agents économiques.
Les monétaristes, dont Friedman, ne pouvaient s’accommoder d’une relation qui justifiait les
politiques de relance ; c’est pourquoi ils vont s’attacher à démontrer, en s’appuyant sur le concept
d’anticipations adaptatives, que l’arbitrage entre inflation et chômage existe à court terme mais
disparaît sur le long terme.
Le concept d’anticipation adaptative s’appuie sur l’idée qu’un agent, en contexte d’information
imparfaite, effectue une anticipation adaptative lorsqu’il adapte ses prévisions en tenant compte de
l’information dont il dispose sur les grandeurs observées dans le passé ainsi que des erreurs
d’anticipations commises sur ces valeurs passées.
La valeur future d’une variable est prévue à partir de sa valeur présente et de l’erreur de prévision faite
à la période passée. La théorie des anticipations adaptatives est critiquée par les tenants de la Nouvelle
Economie Classique, parce qu’elle heurte l’hypothèse de rationalité des agents ; en effet, des agents
rationnels ne devraient pas commettre d’erreurs de façon systématique.

L’évolution anticipée d’une variable à la période t dépend des anticipations formées dans le passé et
des erreurs commises sur ces anticipations. Dans le cas de l’inflation anticipée, l’agent effectue une
moyenne pondérée des taux d’inflation passés (avec des coefficients de pondération décroissants dans
le temps), en tenant compte des écarts entre ces taux d’inflation passés et les prévisions qu’il avait
a
effectuées ; en raisonnant sur deux périodes, le taux d’inflation anticipé en t ( Pt ) est égal au taux
d’inflation anticipé en t  1( Pt 1 ) , corrigé de l’erreur de prévision constatée en t  1 . :
a

Pt a  Pt a1   ( Pt 1  Pt a1 )

Un exemple d’anticipation adaptative adaptée à la courbe de Phillips

2
Le caractère naturel de ce chômage n'implique pas que le sous-emploi ne doive pas être combattu,
mais il devrait l'être de manière adéquate. Le taux de chômage naturel peut correspondre à n'importe
quel taux observé ; l'important est de déterminer celui à partir duquel le taux d'inflation augmente.

La courbe de Phillips de court terme reliait la variation du salaire nominal au taux de chômage. Les
salariés étaient donc supposés n'être sensibles qu'aux salaires nominaux alors que ce sont les salaires
réels qui leur importent. En outre, dans les économies modernes, les contrats de travail et le niveau des
salaires sont négociés pour des durées relativement longues. Pour préserver voire augmenter leur
pouvoir d'achat, les salariés doivent donc reformuler des anticipations sur l'inflation. Le graphique
présente la manière dont ces anticipations sont intégrées dans l'analyse et la courbe de Phillips de long
terme qui s'en déduit. Sur ce graphique, les anticipations sont adaptatives.

Les anticipations sont adaptatives lorsque les agents économiques forment des prévisions sur une
variable en se basant sur les valeurs passées de celle-ci et en réduisant progressivement leurs erreurs.

demande : le chômage baisse à


3% mais l'inflation observée
s'élève à 13%, alors que les
anticipations demeurent à 10% :
c'est le trajet AB sur la courbe CP
(10). Cependant, au point B,
l'inflation observée n'est plus
égale à l'inflation anticipée. De ce
fait, les salariés révisent leurs
anticipations à la hausse. En effet,
l'inflation à 13% ayant réduit
leurs revenus réels, ils demandent
un accroissement de leurs salaires
nominaux, ce qui, pour un taux
d'inflation donné, augmente le
La courbe de Phillips de long terme salaire réel payé par les
entreprises. En conséquence,
CP(10) est une courbe de Phillips de court terme tracée celle-ci réduisent leur demande de
pour des anticipations d'inflation constantes à 10% ; ces travail ; le chômage revient a son
anticipations sont le fait des agents économiques, et plus taux naturel ; c'est le trajet BC.
particulièrement des salariés. Au point A, l'inflation Cependant, le taux d'inflation s'est
observée est de 10% et le chômage est de 8%. En ce point, accru de 10% à 13% ; c'est ce
l'inflation n'accélère pas et elle est associée à un taux de qu'illustre le trajet AC (13) pour
chômage qui peut être qualifié de chômage naturel. former la courbe de Phillips de
long terme CPL, qui est verticale.
Voulant réduire ce chômage, les pouvoirs publics
relancent l'activité économique par un accroissement de la

Cette analyse met en évidence la responsabilité des politiques de relance de la demande dans le
développement de l'inflation et du chômage.

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La courbe de Phillips de long terme et le concept de taux naturel de chômage, ce dernier sous le nom
de NAIRU (non accelerating rate of unemployment), ont été adoptés par les postkeynésiens. Pour ces
derniers, le NAIRU dépend des rapports de pouvoirs entre les employeurs et les salariés, alors que le
taux de chômage naturel chez les nouveaux classiques est le taux de chômage qui équilibre le marché
du travail. Mais fondamentalement, les deux notions sont considérées comme équivalentes. En France,
le NAIRU a été estimé à 4.4% en 1972. De 1978 à 1994, il s'est établi entre 7 et 8% de la population
active.

Livre : Initiation à la macroéconomie - P 335-337 - La courbe de Phillips de long terme

Source annexe : http://www.retaill-and-co.com/article-18833993.html

1.1.3- Les anticipations rationnelles supposent une maîtrise parfaite de l’information par les agents
économiques
Pour John Muth [1961], puis Robert Lucas & Sargent [1972], les anticipations sont rationnelles ; cela
ne signifie pas que les agents ne commettent jamais d’erreurs, mais qu’ils ont une connaissance
parfaite du fonctionnement de l’économie et qu’ils utilisent toute l’information disponible. Sauf
comportement totalement erratique de l’Etat ou événement imprévisible, les agents anticipent
correctement les conséquences des politiques discrétionnaires, qui peuvent devenir inefficaces.
Les agents forment des anticipations rationnelles dès lors qu’ils tirent parti de toute l’information
disponible (et non plus seulement des informations passées) pour établir leur prévisions ; en
conséquence, les agents ne font pas d’erreurs systématiques de prévision, comme dans les cas
d’anticipations adaptatives. On suppose ainsi que les agents connaissent et appliquent le « bon »
modèle de l’économie, en l’occurrence le modèle néoclassique (économie à l’équilibre, prix flexible,
etc.) : ils savent par exemple qu’un accroissement de la masse monétaire doit – toutes choses égales
par ailleurs – se traduire par une hausse équivalente du niveau général des prix. On note ici le
caractère autoréalisateur des anticipations rationnelles : si les agents croient à la théorie quantitative…
cette dernière est validée par le comportement.

Pt a  E ( Pt / At 1 )
a
La valeur anticipée des prix en t ( Pt ) est égale à l’espérance mathématique E des prix qui se
réaliseront en t, compte tenu de l’ensemble d’information A dont disposent les agents en t-1 ; comme
a
l’espérance d’erreur entre Pt et Pt est nulle, les agents ne se trompent pas systématiquement.

1.2- Les anticipations représentent un enjeu macroéconomique crucial

1.2.1. Anticipations et rigidités nominales


Les anticipations ne concernent pas seulement les anticipations de prix, et la notion peut être élargie à
de multiples paramètres : anticipations sur les parités de change, sur le taux d'intérêt sans risque, sur la

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prime de risque, sur les mouvements de stocks, sur l'investissement, sur la politique fiscale , sur la
politique monétaire, sur un retournement conjoncturel, etc.

 Anticipations sur l’inflation : cf. exemple de la courbe de Phillips supra. Les ménages peuvent
anticiper une hausse des prix lors de l’injection par une Banque centrale de nouvelles
liquidités, ou au contraire anticiper une baisse des prix en raison de mesures fiscales
particulières (comme, par exemple, la réduction de la TVA dans le secteur de la restauration).
 Anticipation sur les parités de change : depuis l’introduction du système des changes flottants
en 1973, l’instabilité des taux de change est forte et les crises monétaires régulières.
 Anticipation sur le taux d’intérêt sans risque : une hausse des taux d’intérêts réduit
l’investissement des entreprises et l’épargne des ménages, etc.
 Anticipation sur la prime de risque : détermine les lieux de placement des fonds disponibles
 Anticipation sur les mouvements de stocks
 Anticipation sur l’investissement et l’épargne

 Anticipation sur la politique fiscale


 Anticipation sur la politique monétaire

 Anticipation sur un retournement conjoncturel

1.2.2. Tous les agents économiques anticipent


 Tous les acteurs anticipent
o Sur les variables macroéconomiques (prix, inflation, taux d’intérêt, etc.)
o Sur les politiques économiques (budgétaire ou monétaire)
o Sur la conjoncture économique (présente ou future)

 Les ménages anticipent


o Sur les politiques économiques actuelles et leurs effets à venir
o Sur les politiques économiques futures

 Les pouvoirs publics anticipent


o La réaction des ménages aux politiques économiques
o L’évolution de la conjoncture économique pour déterminer les politiques à suivre

La problématique des anticipations est ainsi plurielle et doit être appréhendée à travers les différents
agents anticipant ainsi qu’à travers les multiples paramètres anticipés. Intégrer les anticipations dans
les politiques économiques est devenu un enjeu crucial des politiques économiques. Or, le modèle
ISLM, car fondé sur des prix fixes, ne permet pas d’intégrer les anticipations. C’est pourquoi nous
allons à présent nous intéresser à un autre modèle qui permet d’effectuer le pont entre politiques
économiques et anticipations : le modèle ASAD.

5
2. L’impact des anticipations sur la politique économique

2.1 L’introduction du modèle AS/AD

2.1.1 Equilibre général du niveau des prix : introduction d’un niveau de prix variable
L’objet du modèle AS-AD1 est de fournir un cadre de référence qui permette d’aller au-delà du modèle
IS-LM en intégrant n’importe quelle hypothèse d’anticipation de prix, alors que le modèle IS-LM est
basée sur une hypothèse de prix fixes.2
Selon le phénomène « d’illusion monétaire », les agents économiques modèlent leurs comportements
non pas sur les prix relatifs réels mais d’une part sur la perception qu’ils en ont au travers des prix
affichés (les prix nominaux), et d’autre part sur l’idée qu’ils se font sur ce que devraient devenir les
prix par le biais de leurs propres anticipations.
L’équilibre général qu’il en résulte sera différent de l’équilibre théorique qui devrait résulter de
positions d’offre ou de demande fondées sur des rapports d’échange « réels ». Les deux courbes AS et
AD expriment le rapport s’établissant entre le niveau des prix et la production pour que le marché des
biens et service et le marché financier soient en cohérence (AD) et pour que le marché du travail soit
en cohérence avec la valeur produite. (AS)

L’équilibre général s’obtient à l’intersection


des deux courbes, lorsque tous les marchés
sont en cohérence. Au point N, l’économie est
à un régime de croissance équilibrée, sans
tension inflationniste ni déflationniste. En ce
point le niveau de prix est égal au niveau de
prix anticipé et correspond à la Production Yn
où le taux de chômage est égal au taux de
chômage structurel.

2.1.2 L’intérêt du modèle en ce qui concerne la politique économique et les anticipations


Pour évaluer une mesure de politique économique, la meilleure hypothèse possible est que les agents
feront du mieux qu’ils pourront pour en mesurer les implications. C’est le principe même des modèles
avec anticipations rationnelles, où le présent dépend des anticipations futures et le futur de ce qui se
passe dans le présent. C’est cette hypothèse qu’utilise le modèle économétrique AS-AD.
Le fait que le niveau des prix soit susceptible de varier permet de prendre en compte dans l’analyse les
anticipations et d’analyser les enchaînements de situation dans l’impulsion d’une dynamique absente
du modèle IS-LM.
Ce modèle est beaucoup plus global et finalement plus neutre idéologiquement que le modèle IS-LM,
tout en n’y étant pas opposé puisque IS-LM est un cas particulier. Il permet à la fois d’intégrer les
résultats de la courbe de Phillips, d’effectuer des analyses conjoncturelles et de simulations de mesures

1
AD= demande globale et AS= offre globale
2
C'est-à-dire non pas que les prix sont toujours identiques mais que le niveau général des prix est stable.

6
de politique économique et enfin d’intégrer les phénomènes d’anticipations en laissant leur
quantification libre. Le modèle IS-LM, pour sa part, supposait que les salariés n’anticipaient pas les
variations de prix.
En distinguant le court-terme et le long-terme il autorise une synthèse entre les thèses keynésiennes
traditionnelles et les thèses monétaristes. D’une part, à court terme l’économie peut ne pas être à son
niveau structurel d’équilibre, et d’autre part à moyen terme, si aucun choc exogène n’intervient et que
la politique économique est inchangée de même que les paramètres structurels, l’économie devrait
converger vers son point d’équilibre « naturel ».
Dès lors que les modèles représentatifs de l’équilibre intègrent les anticipations et que celles-ci sont
liées aux évolutions des variables telles que le taux de croissance ou le taux d’inflation par exemple, il
est possible d’exprimer les logiques d’équilibre des 3 paramètres (biens, services et travail) en termes
de croissance plutôt que de niveau de production ou de prix. La courbe de demande AD lie le taux
d’inflation au taux de croissance du PIB et la courbe d’offre globale AS lie le taux d’inflation au taux
de croissance et aux anticipations de taux d’inflation en y intégrant les mécanismes de « la courbe de
Phillips augmentée des anticipations ». Le taux de croissance fluctue alors autour du taux de
croissance potentielle de l’économie et la régulation conjoncturelle a pour but d’éviter les écarts trop
importants avec ce potentiel.
Le modèle AS-AD permet ici de lier les problématiques de régulation conjoncturelle et les réflexions
sur les principaux déterminants de la croissance.

2.2 La pratique  : Le cas d’une politique budgétaire restrictive (réduction du déficit public)
La dimension temporelle est cruciale en macroéconomie et, a fortiori en matière de politique
budgétaire où le paramètre politique entre en jeu.
Traditionnellement, les effets pervers d’une politique de réduction du déficit public sont bien
connus : c’est une mesure efficace sur le moyen et long terme par sa stimulation de l’investissement et
de la production. Il n’en reste pas moins que sur le court terme, non seulement la baisse du déficit
mène à une baisse de la demande et une réduction de la production s’il n’y a pas expansion de la
masse monétaire dans le même temps, mais en plus l’impopularité des hausses d’impôts freine la
prise de décisions politique.
Cette théorie peut être remise en cause par la prise en compte même des anticipations
rationnelles. En effet, si les consommateurs anticipent l’effet attendu de la baisse du déficit sur leur
richesse, leurs anticipations des revenus futurs peuvent suffisamment s’améliorer pour conduire à une
hausse de la consommation et faire donc qu’une baisse de déficit accroît le niveau de production,
même dans le court terme.
La critique de Lucas implique que si la politique économique annoncée est « crédible » les
anticipations seront « auto réalisatrices ». C’est donc une bonne crédibilité des autorités qui peut
éviter des mesures de correction et des sacrifices trop lourds pour l’économie.

En termes de politique budgétaire, quatre facteurs sont pertinents à observer : la crédibilité du


programme, son échelonnement dans le temps, sa composition et l’Etat des finances publiques ex-ante.

Si l’on prend le cas actuel de gouvernements perdant la maîtrise des finances publiques, avec de fortes
dépenses publiques et de faibles recettes fiscales, un programme crédible de réduction du déficit peut
accroître la production, même dans le court terme. La baisse des dépenses publiques conduit
naturellement à la baisse du produit toute la question est celle de l’ampleur de la modification
des anticipations. (Déplacement d’IS vers la gauche). Dans le moyen terme, une baisse du déficit est
neutre pour la production car d’une part les déséquilibres produisent aussi leur propre
autocorrection (puisque la baisse des dépenses publiques ne fait pas varier le taux de chômage
structurel) et d’autre part la théorie de l’équivalence ricardienne veut qu’en cas de financement par

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emprunt, les agents anticipent le surcroit d’impôt ultérieur et épargnent le montant actualisé
correspondant, ce qui fait que leur richesse globale comme leur consommation reste inchangée. Cette
baisse conduit cependant à une baisse du taux d’intérêt et donc une hausse de l’investissement privé.
Le déficit public crée un « effet d’éviction » sur l’investissement privé. La production globale étant
égale à la somme des dépenses publiques et de la demande privée, si les premières sont plus faibles,
les secondes doivent compenser, ce qui implique une baisse du taux d’intérêt et par là-même une
hausse de l’investissement et une hausse de la demande.
Sur le long terme, la hausse de l’investissement conduit à une hausse du stock de capital et donc
à une hausse de la production.
L’échelonnement de la réduction du déficit pose donc aussi et surtout la question de la
crédibilité du gouvernement (cf. Lucas) qui lui impose d’implémenter une baisse des dépenses assez
importante aujourd’hui pour convaincre les électeurs de son intention ainsi que d’une baisse des
dépenses assez reportée dans l’avenir pour réduire les effets sur la demande globale en période
courante. Tout ce qui améliore les anticipations diminue le coût de la réduction du déficit. Des
mesures comme la baisse des allocations chômage peuvent être perçues par les marchés financiers et
les entreprises comme réduisant des distorsions dans l’économie, améliorant les anticipations et
accroissant la dépense privée à court terme. (Cette mesure ne prend en compte que l’effet sur le revenu
et non l’effet redistributif : la consommation des chômeurs va baisser).
Si les consommateurs, les entreprises et les acteurs des marchés financiers ont des anticipations
rationnelles, alors, en réponse à l’annonce d’une réduction du déficit, ils vont anticiper tous ces
effets. Ils réajusteront leurs anticipations de la production future à la hausse et celle du taux à la
baisse.
Il est important de noter que le contexte actuel dément complètement ce raisonnement. Il se
passe aujourd’hui exactement l’inverse.

«  La réduction de la dépense publique signifie que la


courbe IS, alimentée par une demande globale moindre,
se déplace vers la gauche en IS'.
Si le niveau des prix restait inchangé, l'équilibre se
situerait en Eprov. Mais les prix baissent, ce qui
augmente la valeur réelle des encaisses (M/P' > M/P) et
équivaut à une injection de liquidités, qui déplace la
courbe LM vers le bas, en LM'; l'équilibre passe en E1.
La baisse des prix a également pour effet de faire monter
le salaire réel: les salariés peuvent obtenir le même
pouvoir d'achat avec un salaire nominal moindre, ce qui
accentue la baisse des prix et se traduit dans le bloc AS-
AD par une baisse de la courbe AS, en AS'. Ceci va de
pair avec le fait que la composition de la demande
globale a changé : il y a désormais moins de dépense
publique et plus d'investissement (la consommation n'a
pas de raison de changer puisque le revenu Yn est
identique, ainsi que les impôts), la baisse de l'une étant
arithmétiquement égale à l'augmentation de l'autre.
Dans IS-LM, ceci conduit à pousser de nouveau la courbe
LM vers le bas , puisque ce "nouveau tour" de baisse des
prix réaugmente la valeur réelle des liquidités, ce qui
équivaut à une injection de monnaie. Le processus
d'autocorrection continue jusqu'à ce que la production

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revienne à son niveau naturel Yn, en E2. A ce point, la courbe LM est "descendue" en LM", et le taux d'intérêt i'
est inférieur au taux initial. »3

En conclusion, observons le cas de l’Irlande et du déficit expansionniste des années 1980.

Deux programmes de réduction du déficit ont connu des résultats sensiblement différents. Alors que le
déficit était de 13% du PIB et la dette de 77% du PIB, fut lancé un 1 er programme, essentiellement
fondé sur des hausses d’impôt, qui échoua. (Le taux d’endettement passa à 97% du PIB) Le second,
alors que la dette représentait 116% du PIB en 1987, consista à réduire le rôle de l’Etat dans
l’économie, accompagnée d’une baisse des dépenses publiques et d’un élargissement de l’assiette et
non du taux de l’impôt. Avec une croissance supérieure à 5% pendant 2 ans, le déficit diminua de 9%
du PIB. Ce programme aurait-il donc eu un impact plus favorable que le premier sur les anticipations ?
Le taux d’épargne privé peut induire que les anticipations sont cruciales. Durant la 1 ère période les
ménages ont épargné, et pas pendant la seconde. Cette différence entre les deux types d’anticipations
est-elle entièrement imputable aux différences entre les deux ajustements ? La politique monétaire
entre aussi en jeu, la productivité du travail aussi, la croissance et le rôle « d’assurance » de l’Etat. La
politique économique, et a fortiori les anticipations ne sont donc pas la seule explication, ce qui
constitue indéniablement leur principale limite.

Le contexte actuel dément complètement ce raisonnement.


Sources :
- Olivier Blanchard et Daniel Cohen in Macroéconomie, Pearson Education, 4ème édition
- Cours magistral de Patrice Vial, Automne 2007, La problématique de la régulation
économique à la lumière des modèles d’équilibre général. Du modèle IS-LM au modèle AS-
AD, Le rôle et l’importance des anticipations.
- Emmanuel Combe, in Précis d’économie, PUF, 2007, 9° édition

3
Extrait du cours de Patrice Vial, Automne 2007, La problématique de la régulation économique à la lumière
des modèles d’équilibre général. Du modèle IS-LM au modèle AS-AD, Le rôle et l’importance des anticipations.

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