Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Sylvain Piffeteau
Séance n°9 – La politique budgétaire
La notion d’« incertitude radicale » introduite par Keynes dans sa théorie macroéconomique a mis en
avant la dimension temporelle de l’économie : les décisions d’aujourd’hui dépendent de la situation de
demain et des constats tirés du passé. Tous les agents économiques sont alors amenés à anticiper les
comportements des autres agents ainsi que les variables macroéconomiques. Les politiques
économiques se doivent de prendre en compte ces anticipations dans la mesure où celles-ci vont
déterminer la réussite ou non de ladite politique, alors qu’inversement les agents économiques vont
anticiper le succès ou non d’une politique économique en cours ou annoncée. L’importance accordée
par les pouvoirs publics aux anticipations se traduit par exemple par l’attention portée au moral des
ménages, indicateur fourni régulièrement par l’INSEE.
Le double-jeu entre anticipations des acteurs économiques et politiques économiques fait que les
anticipations des agents influent et déterminent les politiques économiques alors qu’a contrario les
politiques économiques prennent leur origine dans ces mêmes anticipations tout en tentant de les
réguler.
Keynes est considéré comme le premier auteur ayant mis l’accent sur le rôle des anticipations des
agents, dans un contexte d’« incertitude radicale ». Mais Keynes n’explicite pas en tant que telle la
formation des anticipations, qui sont considérées comme exogènes.
Les économistes ont ainsi ensuite explicité les anticipations des agents par une loi de comportement, et
trois formes principales d’anticipations peuvent être distinguées.
1
1.1- Les différents types d’anticipations
1.1.1- Les anticipations extrapolatives anticipent les évolutions en fonction des tendances actuelles et
passées de ces variables
L’anticipation extrapolative vise à anticiper les évolutions de certaines variables (le taux d’intérêt, les
prix, les profits, les cours en bourse, la demande…) en fonction des tendances actuelles et passées de
ces variables.
Selon Metzler, la valeur anticipée d’une variable à la période t dépend de sa valeur en t-1 et de la
a
tendance d’évolution de la variable ; dans le cas des prix, le prix anticipé en t (noté Pt ) est égal à :
Pt a Pt 1 ( Pt 1 Pt 2 ) .
Le coefficient α correspond à un coefficient d’anticipation : si α est positif, cela signifie que l’on
estime que la tendance va se prolonger ; à l’inverse, si α est négatif, on anticipe un renversement de
tendance ; si α est nul, l’agent estime que l’évolution de la variable est identique à celle observée
aujourd’hui.
L’évolution anticipée d’une variable à la période t dépend des anticipations formées dans le passé et
des erreurs commises sur ces anticipations. Dans le cas de l’inflation anticipée, l’agent effectue une
moyenne pondérée des taux d’inflation passés (avec des coefficients de pondération décroissants dans
le temps), en tenant compte des écarts entre ces taux d’inflation passés et les prévisions qu’il avait
a
effectuées ; en raisonnant sur deux périodes, le taux d’inflation anticipé en t ( Pt ) est égal au taux
d’inflation anticipé en t 1( Pt 1 ) , corrigé de l’erreur de prévision constatée en t 1 . :
a
Pt a Pt a1 ( Pt 1 Pt a1 )
2
Le caractère naturel de ce chômage n'implique pas que le sous-emploi ne doive pas être combattu,
mais il devrait l'être de manière adéquate. Le taux de chômage naturel peut correspondre à n'importe
quel taux observé ; l'important est de déterminer celui à partir duquel le taux d'inflation augmente.
La courbe de Phillips de court terme reliait la variation du salaire nominal au taux de chômage. Les
salariés étaient donc supposés n'être sensibles qu'aux salaires nominaux alors que ce sont les salaires
réels qui leur importent. En outre, dans les économies modernes, les contrats de travail et le niveau des
salaires sont négociés pour des durées relativement longues. Pour préserver voire augmenter leur
pouvoir d'achat, les salariés doivent donc reformuler des anticipations sur l'inflation. Le graphique
présente la manière dont ces anticipations sont intégrées dans l'analyse et la courbe de Phillips de long
terme qui s'en déduit. Sur ce graphique, les anticipations sont adaptatives.
Les anticipations sont adaptatives lorsque les agents économiques forment des prévisions sur une
variable en se basant sur les valeurs passées de celle-ci et en réduisant progressivement leurs erreurs.
Cette analyse met en évidence la responsabilité des politiques de relance de la demande dans le
développement de l'inflation et du chômage.
3
La courbe de Phillips de long terme et le concept de taux naturel de chômage, ce dernier sous le nom
de NAIRU (non accelerating rate of unemployment), ont été adoptés par les postkeynésiens. Pour ces
derniers, le NAIRU dépend des rapports de pouvoirs entre les employeurs et les salariés, alors que le
taux de chômage naturel chez les nouveaux classiques est le taux de chômage qui équilibre le marché
du travail. Mais fondamentalement, les deux notions sont considérées comme équivalentes. En France,
le NAIRU a été estimé à 4.4% en 1972. De 1978 à 1994, il s'est établi entre 7 et 8% de la population
active.
1.1.3- Les anticipations rationnelles supposent une maîtrise parfaite de l’information par les agents
économiques
Pour John Muth [1961], puis Robert Lucas & Sargent [1972], les anticipations sont rationnelles ; cela
ne signifie pas que les agents ne commettent jamais d’erreurs, mais qu’ils ont une connaissance
parfaite du fonctionnement de l’économie et qu’ils utilisent toute l’information disponible. Sauf
comportement totalement erratique de l’Etat ou événement imprévisible, les agents anticipent
correctement les conséquences des politiques discrétionnaires, qui peuvent devenir inefficaces.
Les agents forment des anticipations rationnelles dès lors qu’ils tirent parti de toute l’information
disponible (et non plus seulement des informations passées) pour établir leur prévisions ; en
conséquence, les agents ne font pas d’erreurs systématiques de prévision, comme dans les cas
d’anticipations adaptatives. On suppose ainsi que les agents connaissent et appliquent le « bon »
modèle de l’économie, en l’occurrence le modèle néoclassique (économie à l’équilibre, prix flexible,
etc.) : ils savent par exemple qu’un accroissement de la masse monétaire doit – toutes choses égales
par ailleurs – se traduire par une hausse équivalente du niveau général des prix. On note ici le
caractère autoréalisateur des anticipations rationnelles : si les agents croient à la théorie quantitative…
cette dernière est validée par le comportement.
Pt a E ( Pt / At 1 )
a
La valeur anticipée des prix en t ( Pt ) est égale à l’espérance mathématique E des prix qui se
réaliseront en t, compte tenu de l’ensemble d’information A dont disposent les agents en t-1 ; comme
a
l’espérance d’erreur entre Pt et Pt est nulle, les agents ne se trompent pas systématiquement.
4
prime de risque, sur les mouvements de stocks, sur l'investissement, sur la politique fiscale , sur la
politique monétaire, sur un retournement conjoncturel, etc.
Anticipations sur l’inflation : cf. exemple de la courbe de Phillips supra. Les ménages peuvent
anticiper une hausse des prix lors de l’injection par une Banque centrale de nouvelles
liquidités, ou au contraire anticiper une baisse des prix en raison de mesures fiscales
particulières (comme, par exemple, la réduction de la TVA dans le secteur de la restauration).
Anticipation sur les parités de change : depuis l’introduction du système des changes flottants
en 1973, l’instabilité des taux de change est forte et les crises monétaires régulières.
Anticipation sur le taux d’intérêt sans risque : une hausse des taux d’intérêts réduit
l’investissement des entreprises et l’épargne des ménages, etc.
Anticipation sur la prime de risque : détermine les lieux de placement des fonds disponibles
Anticipation sur les mouvements de stocks
Anticipation sur l’investissement et l’épargne
La problématique des anticipations est ainsi plurielle et doit être appréhendée à travers les différents
agents anticipant ainsi qu’à travers les multiples paramètres anticipés. Intégrer les anticipations dans
les politiques économiques est devenu un enjeu crucial des politiques économiques. Or, le modèle
ISLM, car fondé sur des prix fixes, ne permet pas d’intégrer les anticipations. C’est pourquoi nous
allons à présent nous intéresser à un autre modèle qui permet d’effectuer le pont entre politiques
économiques et anticipations : le modèle ASAD.
5
2. L’impact des anticipations sur la politique économique
2.1.1 Equilibre général du niveau des prix : introduction d’un niveau de prix variable
L’objet du modèle AS-AD1 est de fournir un cadre de référence qui permette d’aller au-delà du modèle
IS-LM en intégrant n’importe quelle hypothèse d’anticipation de prix, alors que le modèle IS-LM est
basée sur une hypothèse de prix fixes.2
Selon le phénomène « d’illusion monétaire », les agents économiques modèlent leurs comportements
non pas sur les prix relatifs réels mais d’une part sur la perception qu’ils en ont au travers des prix
affichés (les prix nominaux), et d’autre part sur l’idée qu’ils se font sur ce que devraient devenir les
prix par le biais de leurs propres anticipations.
L’équilibre général qu’il en résulte sera différent de l’équilibre théorique qui devrait résulter de
positions d’offre ou de demande fondées sur des rapports d’échange « réels ». Les deux courbes AS et
AD expriment le rapport s’établissant entre le niveau des prix et la production pour que le marché des
biens et service et le marché financier soient en cohérence (AD) et pour que le marché du travail soit
en cohérence avec la valeur produite. (AS)
1
AD= demande globale et AS= offre globale
2
C'est-à-dire non pas que les prix sont toujours identiques mais que le niveau général des prix est stable.
6
de politique économique et enfin d’intégrer les phénomènes d’anticipations en laissant leur
quantification libre. Le modèle IS-LM, pour sa part, supposait que les salariés n’anticipaient pas les
variations de prix.
En distinguant le court-terme et le long-terme il autorise une synthèse entre les thèses keynésiennes
traditionnelles et les thèses monétaristes. D’une part, à court terme l’économie peut ne pas être à son
niveau structurel d’équilibre, et d’autre part à moyen terme, si aucun choc exogène n’intervient et que
la politique économique est inchangée de même que les paramètres structurels, l’économie devrait
converger vers son point d’équilibre « naturel ».
Dès lors que les modèles représentatifs de l’équilibre intègrent les anticipations et que celles-ci sont
liées aux évolutions des variables telles que le taux de croissance ou le taux d’inflation par exemple, il
est possible d’exprimer les logiques d’équilibre des 3 paramètres (biens, services et travail) en termes
de croissance plutôt que de niveau de production ou de prix. La courbe de demande AD lie le taux
d’inflation au taux de croissance du PIB et la courbe d’offre globale AS lie le taux d’inflation au taux
de croissance et aux anticipations de taux d’inflation en y intégrant les mécanismes de « la courbe de
Phillips augmentée des anticipations ». Le taux de croissance fluctue alors autour du taux de
croissance potentielle de l’économie et la régulation conjoncturelle a pour but d’éviter les écarts trop
importants avec ce potentiel.
Le modèle AS-AD permet ici de lier les problématiques de régulation conjoncturelle et les réflexions
sur les principaux déterminants de la croissance.
2.2 La pratique : Le cas d’une politique budgétaire restrictive (réduction du déficit public)
La dimension temporelle est cruciale en macroéconomie et, a fortiori en matière de politique
budgétaire où le paramètre politique entre en jeu.
Traditionnellement, les effets pervers d’une politique de réduction du déficit public sont bien
connus : c’est une mesure efficace sur le moyen et long terme par sa stimulation de l’investissement et
de la production. Il n’en reste pas moins que sur le court terme, non seulement la baisse du déficit
mène à une baisse de la demande et une réduction de la production s’il n’y a pas expansion de la
masse monétaire dans le même temps, mais en plus l’impopularité des hausses d’impôts freine la
prise de décisions politique.
Cette théorie peut être remise en cause par la prise en compte même des anticipations
rationnelles. En effet, si les consommateurs anticipent l’effet attendu de la baisse du déficit sur leur
richesse, leurs anticipations des revenus futurs peuvent suffisamment s’améliorer pour conduire à une
hausse de la consommation et faire donc qu’une baisse de déficit accroît le niveau de production,
même dans le court terme.
La critique de Lucas implique que si la politique économique annoncée est « crédible » les
anticipations seront « auto réalisatrices ». C’est donc une bonne crédibilité des autorités qui peut
éviter des mesures de correction et des sacrifices trop lourds pour l’économie.
Si l’on prend le cas actuel de gouvernements perdant la maîtrise des finances publiques, avec de fortes
dépenses publiques et de faibles recettes fiscales, un programme crédible de réduction du déficit peut
accroître la production, même dans le court terme. La baisse des dépenses publiques conduit
naturellement à la baisse du produit toute la question est celle de l’ampleur de la modification
des anticipations. (Déplacement d’IS vers la gauche). Dans le moyen terme, une baisse du déficit est
neutre pour la production car d’une part les déséquilibres produisent aussi leur propre
autocorrection (puisque la baisse des dépenses publiques ne fait pas varier le taux de chômage
structurel) et d’autre part la théorie de l’équivalence ricardienne veut qu’en cas de financement par
7
emprunt, les agents anticipent le surcroit d’impôt ultérieur et épargnent le montant actualisé
correspondant, ce qui fait que leur richesse globale comme leur consommation reste inchangée. Cette
baisse conduit cependant à une baisse du taux d’intérêt et donc une hausse de l’investissement privé.
Le déficit public crée un « effet d’éviction » sur l’investissement privé. La production globale étant
égale à la somme des dépenses publiques et de la demande privée, si les premières sont plus faibles,
les secondes doivent compenser, ce qui implique une baisse du taux d’intérêt et par là-même une
hausse de l’investissement et une hausse de la demande.
Sur le long terme, la hausse de l’investissement conduit à une hausse du stock de capital et donc
à une hausse de la production.
L’échelonnement de la réduction du déficit pose donc aussi et surtout la question de la
crédibilité du gouvernement (cf. Lucas) qui lui impose d’implémenter une baisse des dépenses assez
importante aujourd’hui pour convaincre les électeurs de son intention ainsi que d’une baisse des
dépenses assez reportée dans l’avenir pour réduire les effets sur la demande globale en période
courante. Tout ce qui améliore les anticipations diminue le coût de la réduction du déficit. Des
mesures comme la baisse des allocations chômage peuvent être perçues par les marchés financiers et
les entreprises comme réduisant des distorsions dans l’économie, améliorant les anticipations et
accroissant la dépense privée à court terme. (Cette mesure ne prend en compte que l’effet sur le revenu
et non l’effet redistributif : la consommation des chômeurs va baisser).
Si les consommateurs, les entreprises et les acteurs des marchés financiers ont des anticipations
rationnelles, alors, en réponse à l’annonce d’une réduction du déficit, ils vont anticiper tous ces
effets. Ils réajusteront leurs anticipations de la production future à la hausse et celle du taux à la
baisse.
Il est important de noter que le contexte actuel dément complètement ce raisonnement. Il se
passe aujourd’hui exactement l’inverse.
8
revienne à son niveau naturel Yn, en E2. A ce point, la courbe LM est "descendue" en LM", et le taux d'intérêt i'
est inférieur au taux initial. »3
Deux programmes de réduction du déficit ont connu des résultats sensiblement différents. Alors que le
déficit était de 13% du PIB et la dette de 77% du PIB, fut lancé un 1 er programme, essentiellement
fondé sur des hausses d’impôt, qui échoua. (Le taux d’endettement passa à 97% du PIB) Le second,
alors que la dette représentait 116% du PIB en 1987, consista à réduire le rôle de l’Etat dans
l’économie, accompagnée d’une baisse des dépenses publiques et d’un élargissement de l’assiette et
non du taux de l’impôt. Avec une croissance supérieure à 5% pendant 2 ans, le déficit diminua de 9%
du PIB. Ce programme aurait-il donc eu un impact plus favorable que le premier sur les anticipations ?
Le taux d’épargne privé peut induire que les anticipations sont cruciales. Durant la 1 ère période les
ménages ont épargné, et pas pendant la seconde. Cette différence entre les deux types d’anticipations
est-elle entièrement imputable aux différences entre les deux ajustements ? La politique monétaire
entre aussi en jeu, la productivité du travail aussi, la croissance et le rôle « d’assurance » de l’Etat. La
politique économique, et a fortiori les anticipations ne sont donc pas la seule explication, ce qui
constitue indéniablement leur principale limite.
3
Extrait du cours de Patrice Vial, Automne 2007, La problématique de la régulation économique à la lumière
des modèles d’équilibre général. Du modèle IS-LM au modèle AS-AD, Le rôle et l’importance des anticipations.