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Ici Peirce remet en cause le point de départ de la connaissance que nous avait
donné Descartes. En effet, chez Descartes, le cogito est la première évidence, la
première certitude, la première idée claire et distincte, la première et la plus
certaine connaissance. À partir de lui, de la certitude de soi de la conscience, on a la
norme de toute vérité, la règle, le critère de la vérité. De lui dépend la connaissance
de toutes les autres connaissances. Or, ce cogito se saisit dans une intuition
intellectuelle, dans l’expression existentielle et non dans un raisonnement. En fait,
chez Descartes, le cogito est la conscience immédiate prétendant se tenir comme
connaissance.
Mais pour Peirce, ce point de départ, cette intuition ne peut être connue de manière
intuitive. Toute preuve ne peut se faire que par inférence. C’est ainsi que Peirce
rejette l’intuition comme point de départ de la connaissance.
Mais avoir une intuition et savoir intuitivement qu’il s’agit d’une intuition sont
deux choses différentes ;
Peirce ne nie pas l’existence d’une intuition, mais il se demande si elle peut être
érigée en connaissance : à savoir peut-on connaître par intuition ou encore
l’intuition peut-elle être considérée comme connaissance ?
La question est de savoir si ces deux choses que l’on peut distinguer en pensée
sont dans les faits invariablement liées, de sorte que nous pouvons toujours
distinguer intuitivement une intuition d’une connaissance déterminée par une
autre connaissance.
Ces deux choses peuvent être distinguées en pensée, puisque nous sommes en train
de le faire, mais dans les faits, dans la connaissance, pouvons-nous les distinguer
grâce à l’intuition ?
Toute connaissance, en tant que quelque chose de présent, est évidemment une
connaissance d’elle-même.
Cette force de connaissance peut-être aussi active ; elle s’applique aux figures qui
sont conservées dans la mémoire, elle consiste à s’en souvenir, mais aussi à en
former de nouvelles, elle conçoit et elle imagine.
Après avoir émis l’hypothèse que la détermination d’une connaissance par intuition
ou par inférence ne pouvait se faire grâce à l’intuition, Peirce prend le point de vue
de Descartes. En effet, pour Descartes, le cogito est la conscience immédiate
prétendant se tenir comme connaissance, le « je pense » peut affirmer une
connaissance de lui-même, il est la première connaissance évidente que nous
sommes capables d’avoir, ce qui pense est toujours en même temps qu’il pense
quelque chose (voir Principes §7), or c’est une intuition. Dans l’expérience
du cogito, l’esprit atteint la plus absolue vérité, alors qu’il ne sait rien concernant
une autre réalité que lui-même. L’esprit est à la fois certitude (subjective) et vérité
(objective). Le cogito, première vérité et premier principe, établit l’identité de la
certitude, de l’expérience subjective de l’esprit s’expérimentant lui-même, et de la
vérité.
Le point de départ de la science est donc ici l’intuition. Descartes utilise aussi la
déduction pour la science, mais l’intuition est le « concept que l’intelligence pure et
attentive forme avec tant de facilité et de distinction qu’il ne reste absolument
aucun doute sur ce que nous comprenons ; ou bien, ce qui est la même chose, le
concept que forme l’intelligence pure et attentive, sans doute possible, concept qui
naît de la seule lumière de la raison et dont la certitude est plus grande, à cause de
sa plus grande simplicité, que celle de la déduction elle-même » (règle 3).
Chacun peut voir par intuition intellectuelle qu’il existe, qu’il pense, qu’un triangle
est limité par trois lignes seulement : c’est cela l’évidence et la certitude de
l’intuition. Les premiers principes sont connus seulement par intuition : la lumière
naturelle qui est la raison en tant qu’ensemble des vérités immédiates et
indubitablement évidentes à l’esprit dès qu’il y porte son attention : « la faculté de
connaître que Dieu nous a donnée, que nous appelons lumière naturelle, n’aperçoit
jamais aucun objet qui ne soit vrai en ce qu’elle l’aperçoit, c’est-à-dire en ce qu’elle
connaît clairement et distinctement. » (Principes, §30)
Descartes fait fond sur l’évidence du cogito, saisie dans le doute lui-même (on ne
peut douter sans être, Principes §7) pour ériger ensuite, comme critère de la vérité,
l’évidence des idées claires et distinctes. Descartes fait de la subjectivité le critère
de la connaissance, l’individu est garant de l’exactitude, il prend la certitude
subjective et transcendantale de la conscience comme norme de toute vérité. Dans
ce contexte, Dieu a une fonction épistémologique de garantie de la science, de la
connaissance rationnelle dans son développement. Il n’y a aucune science certaine
sans la connaissance de celui qui a créé la pensée, Principes §3.
Le cogito signifie qu’il existe une substance pensante, créée par Dieu et Dieu est le
garant de la continuité du savoir, de la rationalité du monde tel qu’il est pensé par
moi scientifiquement (cf. Méditation V).
Ainsi, une fois posé le cogito, qui est donné dans l’intuition et que je considère
comme connaissance, je reconnais que l’intuition peut faire la distinction entre une
connaissance par intuition et une connaissance par inférence.
Rien ne prouve que nous soyons doués de cette faculté, mais nous en avons
le sentiment.
Ici Peirce remet en cause l’idée clairement l’intuition comme connaissance. Nous
n’avons aucune preuve de cette capacité intuitive, de cette connaissance comme
évidence intuitive, nous pensons être capables intuitivement de distinguer entre une
connaissance intuitive et une connaissance par inférence, mais nous n’en avons pas
la preuve, nous le sentons seulement. En effet, pour Peirce, aucun énoncé, aucune
proposition pas plus qu’aucune expérience ne contient en soi la marque de la vérité.
Ceci est donc le contraire de la théorie des idées claires et distinctes, du cogito, qui
contiennent en eux la preuve de leur vérité.
Le terme de sentiment est entendu ici comme semblant ne se référer qu’à l’esprit.
Ainsi on pourrait obtenir une connaissance de l’esprit qui n’est pas inférée d’un
quelconque caractère des choses extérieur. Il semble être une intuition. Par ailleurs,
cette phrase nous fait penser à Pascal qui, dans les Pensées concernant les premiers
principes, dit que « nous les sentons ». Le cœur est la faculté intuitive qui nous fait
voir directement les premiers principes ; c’est par lui que nous les assumons :
« nous connaissons la vérité non seulement par la raison, mais encore par le cœur.
C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en
vain que le raisonnement, qui n’y a point de part essaie de les combattre. » (L,110)
Pour Pascal, à partir du moment où tous les esprits sont d’accord avec les principes
que l’on pose grâce à la faculté intuitive, ils sont évidents. Ils ne nécessitent donc
pas de raisonnement. Mais la différence entre Pascal et Descartes, c’est que, pour
ce dernier le cogito permet d’avoir la certitude des idées claires et distinctes comme
source de vérité objective, alors que Pascal propose de fabriquer les évidences, les
vérités : « Il faut proposer des principes ou des axiomes évidents pour prouver la
chose dont il s’agit » (De l’esprit géométrique. Art. III : L’art de persuader). Pour
Peirce, la première intuition, le « cogito ergo sum », est une croyance parmi
d’autres que nous ne pouvons initialement refuser : « il y a une idée, donc je suis »
est une contrainte pour la pensée mais n’est pas rationnel. Le « je pense » est une
pétition de principe.
Le propre d’un sentiment étant le propre de ce qui ne peut être démontré, il peut
donc changer. En fait nous opérons un jugement basé sur l’assentiment général.
Mais ce jugement peut changer, évoluer, etc. Par exemple, au Moyen Âge,
l’autorité extérieure régnait, c’est-à-dire qu’il y avait deux sources du savoir, Dieu
et les Anciens. La crédibilité de l’autorité extérieure était l’ultime prémisse, comme
une intuition. Or, elle a basculé et on a découvert qu’elle était une erreur. Quelque
chose que l’on ne peut démontrer par inférence risque de pouvoir toujours être
remis en cause. On ne peut donc prouver que ce sentiment est infaillible.
Si un homme pouvait vraiment s’enfermer dans une telle foi, il serait bien entendu
imperméable à la vérité, à « l’épreuve de la preuve ».
En fait, le sentiment résulte d’une croyance, d’une foi. Il ne peut être prouvé ni
accepté comme vérité. La preuve est un raisonnement visant à établir la vérité d’un
fait ou d’une proposition théorique (quand il s’agit d’une proposition théorique, on
peut dire que le raisonnement probatoire vise à établir universellement la vérité de
cette proposition). Or il n’y a pas de preuve de cette intuition, il est impossible de
distinguer par intuition entre inférence et intuition. Il n’est pas possible par un
simple « regard » de distinguer ce qui est intuitif de ce qui ne l’est pas. Celui qui
maintient malgré tout qu’une connaissance est possible par l’intuition ne peut le
prouver et donc ne peut l’ériger en vérité.
Pour Peirce, la distinction entre une intuition et une inférence ne peut se faire que
par inférence.
En conclusion :
L’intuition ne peut être érigée en connaissance, elle ne peut être le point de départ
de la connaissance, car il est impossible de reconnaître si une connaissance donnée
est ou non la connaissance immédiate de son objet.
Peirce rejette toute prétention de fonder la connaissance sur des vérités ultimes, y
compris le cogito. Toute connaissance nécessite une connaissance antérieure ; il n’y
a pas de connaissance intuitive qui serait l’ultime prémisse. De plus, aucune idée
isolée ne peut, pour Peirce, atteindre à la certitude absolue. Une pensée en suit une
autre et en appelle d’autres. Pour Peirce, la faculté la plus sûrement connue est la
connaissance ; le processus de connaissance le mieux connu est l’inférence. La vie
mentale est une inférence, il n’est pas besoin d’y avoir une intuition du moi.
Peirce rejette ainsi le cartésianisme et, plus généralement, toute philosophie qui
prétendrait se fonder sur un donné interne absolument premier et indubitable.
Peirce rejette non seulement le cartésianisme mais aussi les empiristes et la
philosophie de Kant. Pour lui, Descartes et les empiristes partagent la même
illusion d’un premier commencement et d’un premier commencement qui serait
absolument certain. Or, on ne peut partir que de l’état réel où l’on se trouve, il n’y a
pas de premier commencement, il y a toujours du déjà là, il n’y a pas de table rase.
There is no evidence that we have this faculty, except that we seem to feel that we
have it. But the weight of that testimony depends entirely on our being supposed to
have the power of distinguishing in this feeling whether the feeling be the result of
education, old associations, etc., or whether it is an intuitive cognition; or, in other
words, it depends on presupposing the very matter testified to. Is this feeling
infallible? And is this judgement concerning it infallible, and so on, ad infinitum?
Supposing that a man really could shut himself up in such a faith, he would be, of
course, impervious to the truth, "evidence-proof."