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BRUXELLES
ASSOCIATION ÉGYPTOLOGIQUE REINE ÉLISABETH
2008
ASSOCIATION ÉGYPTOLOGIQUE REINE ÉLISABETH
PAPYROLOGICA BRUXELLENSIA
ISBN 978-2-9600834-0-8
D/2008/0705/1
Copie et circulation des livres
dans la région thébaine (VIIe-VIIIe siècles)
Même s’ils ont été dispersés et si les sites dont ils proviennent n’ont pas
toujours fait l’objet de fouilles archéologiques, les grands ensembles de
manuscrits coptes qui nous ont été conservés – principalement ceux des
monastères du Ouadi-Natroun, du monastère de St-Michel au Fayoum ou du
couvent de Chenouté près de Sohag – sont de toute évidence les restes de
bibliothèques monastiques assez importantes 1. Pour la région thébaine, rien de
tel. Le seul endroit fouillé susceptible d’avoir livré les vestiges d’une bibliothèque
est le monastère dit «de Phoibammon», situé dans le temple d’Hatshepsout à Deir
el-Bahari. Or si ce monastère, qui a livré une grande quantité d’archives
juridiques, possédait manifestement une !"!#"$%Æ&', il s’agit plutôt d’une
«chancellerie» ou salle des archives 2. Rien n’indique s’il y avait aussi une
bibliothèque au sens d’un dépôt de livres. Quant aux manuscrits conservés dont
l’origine thébaine est à peu près assurée par le fait qu’ils ont été achetés à Louxor,
ils sont rares.
En revanche, les ostraca thébains des VIIe-VIIIe siècles mentionnant la
fabrication et la circulation des livres sont assez nombreux. Malgré leur caractère
souvent bref et allusif, ils ont volontiers été utilisés par les papyrologues et les
historiens, surtout par W. E. Crum, qui en avait tiré dès 1926 une synthèse
lumineuse, aussi bien pour l’archéologie du livre que pour l’histoire des textes 3.
Les ostraca et papyrus coptes découverts ou publiés depuis lors doivent donc être
examinés à la lumière des faits établis ou supposés par W. E. Crum, auxquels ils
apportent divers compléments. Je m’appliquerai notamment, dans les pages qui
suivent, à essayer de caractériser, tant du point de vue matériel que de celui du
contenu, les manuscrits coptes thébains des VIIe-VIIIe siècles, à dégager des
pratiques de fabrication et de copie, en repérant quelques personnalités de
copistes, et à préciser les conditions de circulation des livres.
1 Je ne prends pas en compte ici les ensembles gnostiques et manichéens, car les livres de ce
genre ne circulaient probablement pas dans la région thébaine à l’époque qui nous occupe.
2 Cf. W. GODLEWSKI, Le monastère de St Phoibammon = Deir el-Bahari 5 (Varsovie,
1987), pp. 46 et 58.
3 H. E. WINLOCK et W. E. CRUM, The Monastery of Epiphanius at Thebes. I (New York,
1926), pp. 186-195 et 196-208.
150 ANNE BOUD’HORS
4 Surtout des listes ou inventaires. Cf. P. VAN MINNEN, «Inventory of Church Property»,
Papyri, Ostraca, Parchments and Wax Tablets in the Leiden Papyrological Institute = Pap. Lugd.-
Bat. 25 (Leyde, 1991), n° 13, pp. 40-77, pll. I-IX ; G. SCHMELZ, Kirchliche Amtsträger im
spätantiken Ägypten nach den Aussagen der griechischen und koptischen Papyri und Ostraka
(Leipzig, 2002), pp. 93-97 et 164-165.
5 = SB Kopt. I 12. Édition la plus récente par R.-G. COQUIN, «Le catalogue de la
bibliothèque du couvent de Saint Elie ‘du Rocher’», BIFAO 75 (1975), pp. 207-239, pll. 38-39.
Voir aussi le commentaire de H. E. WINLOCK et W. E. CRUM, The Monastery of Epiphanius
[n. 3], p. 197.
6 Forme exclusive du livre à cette époque.
7 Sur l’histoire de ces fragments, voir B. LAYTON, Catalogue of Coptic Literary
Manuscripts in the British Library Acquired since the Year 1906 (Londres, 1987), pp. XXXIII-
XLIV. Ils sont ensuite décrits selon leur contenu sous plusieurs numéros du catalogue (voir la
concordance, pp. XVI-XVII du catalogue).
8 Cf. W. PLEYTE et P. A. A. BOESER, Manuscrits coptes du musée d’antiquités des Pays-
Bas à Leide (Leyde, 1897), pp. 441-479.
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15 Un exemple est reproduit dans Pages chrétiennes d’Égypte. Les manuscrits des Coptes
(Paris, 2004), p. 64, n° 42.
16 La bibliographie sur ces manuscrits, maintenant dispersés dans toutes les collections du
monde, est abondante. Plusieurs feuillets se trouvent reproduits dans Pages chrétiennes d’Égypte
[n. 15]. Il est probable qu’à une époque antérieure au VIIIe siècle, le monastère possédait des
livres de papyrus, mais il reste difficile de lui attribuer avec certitude certains des codices de
papyrus acquis dans la région. British Library Or. 5000 et Or. 5001, respectivement un Psautier et
un recueil d’homélies écrits sur papyrus et d’une facture assez proche de celle des manuscrits
thébains, sont donnés par leur éditeur, Budge, comme provenant du monastère Blanc
(cf. E. A. W. BUDGE , By Nile and Tigris. Vol. 2 [Londres, 1920], p. 340), information qui est
reprise dans H. E. WINLOCK et W. E. CRUM, The Monastery of Epiphanius [n. 3], p. 194, mais
n’est plus mentionnée ni discutée dans les études postérieures sur la bibliothèque du monastère
Blanc.
17 H. E. WINLOCK et W. E. CRUM, The Monastery of Epiphanius [n. 3], p. 208.
18 Cf. J. MUYLDERMANS, «Evagriana Coptica», Le Muséon 76 (1963), pp. 271-276 ; H.-
M. SCHENKE , «Das Berliner Evagrius-Ostrakon», ZÄS 116 (1989), pp. 90-107, pll. IV-V ;
H. QUECKE, «Auszüge aus Evagrius’ ‘Mönchsspiegel’ in koptischer Übersetzung», Orientalia 58
(1989), pp. 453-463 et pl. LXX.
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2. Fabrication et copie
28 Soit des dimensions nettement inférieures à celles que l’on rencontre habituellement.
29 On pourra comparer, par exemple, avec l’antiphonaire M575 de la collection Pierpont
Morgan : cf. L. DEPUYDT, Catalogue of Coptic Manuscripts in the Pierpont Morgan (Louvain,
1993), n° 58.
30 La correspondance adressée à Moïse et/ou Psaté a été récemment étudiée par
Ch. HEURTEL, «Les prédécesseurs de Frangé : l’occupation de TT29 au 7e siècle» à paraître dans
les actes de la 12e journée d’études coptes (Lyon, mai 2005).
31 Quelques débris de colonnes situés à une centaine de mètres de TT 29 sont les restes d’une
église desservant plusieurs ermitages installés dans les tombes environnantes. Voir ici même la
vue générale du site dans l’article de Ch. Heurtel. Un peu plus au nord, sur la même pente, se
trouvaient aussi les restes d’un monastère assez important installé devant des tombes pharaoniques
et «par devant ces tombes sont les restes d’une petite église de pierre avec deux rangées de
colonnes» (J. DORESSE, «Monastères Coptes Thébains», Revue des conférences françaises en
Orient [novembre 1949], pp. 3-16, en part. p. 8).
32 Cependant les apparences sont souvent trompeuses et l’écriture d’un même personnage
peut varier selon les circonstances. Il me semble qu’on peut repérer des traits fondamentaux
communs aux deux ostraca et les attribuer tous deux au même Moïse.
156 ANNE BOUD’HORS
33 Il apparaît que Frangé a conservé la plus grande partie des lettres qu’il écrivait. Il est
difficile de mesurer si ce fait est exceptionnel. Le grand nombre d’ostraca de la main de Marc
retrouvés à Gournet Mourraï pourrait relever du même phénomène.
34 Cf. T. G. WILFONG, Women of Jeme. Lives in a Coptic Town in Late Antique Egypt (Ann
Arbor, 2002), pp. 70-71, 120 ; «New Texts in Familiar Hands : Unpublished Michigan Coptic
Ostraca by Known Scribes», Coptic Studies on the Threshold of a New Millennium. Proceedings
of the Seventh International Congress of Coptic Studies, Leiden, 27 August - 2 September 2000 =
OLA 133 (Louvain, 2004), pp. 550-551 ; A. BOUD’HORS, «L’apport de papyrus postérieurs à la
conquête arabe pour la datation des ostraca coptes de la tombe TT29», From al-Andalus to
Khurasan. Documents from the Medieval Muslim World (Leyde, 2007) pp. 115-129.
35 On désigne par ce nom la zone de désert qui s’étend, du sud au nord, de la ville copte de
Djémé, installée dans l’enceinte du temple de Ramsès III à Médinet Abou, au dit «monastère de
Phoibammon», situé sur la troisième terrasse du temple d’Hatchepsout à Deir el-Bahari.
36 Intéressantes réflexions sur ce point dans A. BIEDENKOPF-ZIEHNER, «Christen und
Muslimen im Spiegel thebanischer Urkunden des 7.-9. Jh.», Die koptische Kirche in den ersten
drei islamischen Jahrhunderten = Hallesche Beiträge zur Orientwissenschaft 36 (Halle [Salle],
2003), pp. 41-70.
COPIE ET CIRCULATION DES LIVRES 157
copie de manuscrits 37. Mais, comme Moïse, c’est surtout à la «finition» des
livres qu’il paraît s’être attaché.
3. Finitions et prix
Dans la fabrication d’un livre, les tâches étaient réparties entre différentes
personnes. Le copiste qui recevait une commande devait se procurer du papyrus
(carths) et de l’encre (mela) 38. L’ostracon O. 292852 semble faire allusion à
une opération de préparation du support : il s’agit peut-être de «doubler» ou
«plier» des feuilles de papyrus (kwb nkecarths), en vue d’exécuter une copie
du Sticheron.
Une fois la copie effectuée, que se passait-t-il ? Ce que dit F. Déroche à propos
des manuscrits arabes pourrait s’appliquer ici : «Les divers matériaux et
techniques employés offraient un vaste éventail de solutions sur le plan
économique, ce qui fait que relier un livre ne représentait pas forcément une
dépense extravagante pour le commun des mortels. Pourtant il semble que tous
les manuscrits n’aient pas été reliés» 39. Dans nos textes, le mot qui désigne cette
opération de couverture ou de reliure est le verbe kosmei (grec &$(µ-›,), à qui il
faut donner son sens de «mettre en ordre», c’est-à-dire «finir», bien plutôt que
celui d’«orner» ou «enluminer» – les manuscrits de cette région et de cette
période sont en effet modestes et ont peu de chances d’avoir été décorés 40. Moïse
37 L’écriture du manuscrit d’Anastasy évoqué plus haut, par exemple, n’est pas d’un copiste
de première qualité. Cf. W. PLEYTE et P. A. A. BOESER, Manuscrits coptes [n. 8], p. 471.
38 Si c’est bien ainsi qu’il faut interpréter ce mot emprunté au grec dans l’ostracon O. 292852
déjà cité n. 26. On le trouve dans ce sens dans le Martyre d’Apa Epima (cf. I. BALESTRI et
H. HYVERNAT , Acta Martyrum = CSCO 43 [Paris, 1907], p. 142, 10). Il est assez rare dans les
textes documentaires ; cf. Förster, WB, p. 510, qui cite deux occurrences dans les P. Kellis V, qui
semblent plutôt relever d’un contexte médical, mais en note à P. Kellis V 19, 21, l’éditeur hésite :
«swLIn mela […] perhaps simply an ‘ink pot’». Faut-il voir un de ces pots à encre dans le fond
d’amphore trouvé à TT 29, empli d’un mélange noir où sont restés plantés deux calames (fig. 5)?
39 F. DÉROCHE , Manuel de codicologie des livres en écriture arabe (Paris, 2000), p. 274.
Faut-il voir dans P. Mon. Epiph. 592 dont il a été question plus haut un de ces manuscrits laissés
volontairement sans reliure?
40 Ce que disait déjà W. E. Crum (H. E. WINLOCK et W. E. CRUM, The Monastery of
Epiphanius [n. 3], p. 194. La bibliographie sur le sujet est assez abondante, mais certains textes
demandent à être revus, notamment le P. Köln 10213 (cf. M. WEBER, «Zur Ausschmückung
koptischer Bücher», Enchoria 3 [1973], pp. 53-52, pll. 7-8). J’espère pouvoir faire en une autre
occasion la démonstration complète de ce que j’avance ici. En attendant on consultera avec grand
profit l’article de Chr. KOTSIFOU, «Books and Bookproduction in the Monastic Communities of
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semble s’être souvent livré à cette occupation, comme on le voit dans les deux
exemples suivants :
- Lettre de Marc au prêtre (Moïse) et à Psaté : eis ppre vaustos afsjai
jap∂wwme eÒwpe akkosmei mmof ari tagaph taaf mpefrwme...
«Voici que le prêtre Phaustos a écrit au sujet du livre. Si tu l’as fini/relié, s’il te
plaît donne-le à son serviteur…» 41.
- Lettre de Matthieu au prêtre Moïse : ari tagaph eÒwpe eakwsp
p∂wwme ebol tnnoouf nai ntanau erof mpatekkosmei mmof... «Si
tu as ??? le livre, envoie-le moi pour que je le voie avant que tu ne le
finisses/relies» 42.
Une réclamation fort mécontente de Frangé fait allusion au même travail :
mpetnr paÒipe nqe nououjor ntetnsenau †elaciston nsrtok
naï eijeÒ Ómos en∂wwme ekosmi Ómoou… «Vous ne m’avez pas
respecté (et vous m’avez traité) comme un chien en ne me fabriquant pas la petite
aiguille de métal qui me manque pour la finition des livres» 43.
La couverture était faite d’une peau de chèvre (Òaar) recouvrant des
fragments de papyrus de rebut amalgamés pour constituer des sortes de «plats de
reliure» – les ais en bois, beaucoup plus chers, étant plus rares. Un fragment de ce
qui devait être un ais a été retrouvé à TT 29 44. De même provenance, un ostracon
signé de Moïse pourrait bien évoquer la confection de ces plats 45 : «Tu m’as
quitté en disant que tu m’apporterais au nord de la gomme (kmme) et des vieux
papyrus (carths n-as). Tu as négligé de le faire jusqu’ici. Je t’avais fait
confiance, j’ai fait cuire la colle (? ‡olle 46) : elle s’est abîmée et gâtée ; elle est
[inutilisable]. Maintenant pense à m’apporter les papyrus et la gomme pour que je
fabrique les ais (? [po]rk)» 47. D’après divers échanges de messages, l’artisan
Byzantine Egypt», The Early Christian Book (Washington, 2006), pp. 66-101. Je remercie
Chr. Kotsifou de m’avoir donné accès à cet article à l’avance.
41 O. 292024 + 2368. Cf. fig. 2.
42 O. 292043. La lecture eakwsp est tout à fait sûre. Mais je ne vois pas quel sens donner à
un verbe wsp ebol, inconnu des dictionnaires : «achever»?
43 O. 292238. Cf. fig. 4.
44 On en voit une reproduction ici même, dans l’article de Ch. Heurtel.
45 O. 292454.
46 = grec &Ò##.?
47 Il est vrai que les opérations mentionnées pourraient convenir aussi à la préparation de
l’encre. Mais la mention de «vieux papyrus» et du mot pork (dont le sens reste encore à préciser)
me font pencher pour la confection d’amalgames de papyrus. Peut-être la gomme servait-elle de
liant et permettait-elle d’utiliser la colle de façon plus efficace?
COPIE ET CIRCULATION DES LIVRES 159
avait besoin d’une aiguille (soure, pour coudre les feuillets ensemble ?), d’une
peau, peut-être d’une sorte de poinçon ou «couteau» (karte) pour faire quelques
décorations sur le cuir et de liens de cuir (mous ?) qui servaient à fermer la
couverture. Le tout est très bien illustré par la reliure du manuscrit d’Anastasy 48.
Le mot koeij, littéralement «étui», employé à plusieurs reprises dans les textes
de la région thébaine, et utilisé aussi au monastère Blanc 49, désigne
probablement ce genre de couverture/reliure, mais pourrait aussi désigner le livre
relié ou recouvert 50.
Récapitulation des principaux termes techniques
∂wwme livre copié
carths papyrus
mela (encre) noire
kosmei " " " relier/finir
carths n-as vieux papyrus
kmme gomme
‡olle colle
Òaar peau
mous lanière
koeij étui
" koeij livre recouvert
continuer à scruter les textes de toutes sortes qui concernent les livres, en espérant
que d’autres découvertes viendront compléter ou corriger l’image qui vient d’être
présentée.
PRÉFACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V