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L’analyse cognitive des politiques publiques

Réévaluer l’apport des sciences cognitives à la théorie des référentiels  

Frédéric BERTRAND
Chercheur associé au Laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation et de la communication
(LISEC) – UNISTRA Strasbourg
frederic_bertrand@live.fr

Résumé :

Cet article discute la théorie des référentiels à la lumière des sciences cognitives. Nous situons cette
discussion dans le cadre des débats sur la naturalisation des sciences sociales. Nous expliquons
pourquoi la théorie du référentiel peut prétendre se passer du recours aux sciences cognitives et
comment la philosophie de l’esprit denettienne légitime cet « usage faible » de la cognition. Il
apparaît que les concepts de la psychologie populaire par lesquels nous nous comprenons nous-même
et comprendrons autrui peuvent servir de point de jonction interdisciplinaire. De là nous indiquons
comment les neurosciences et la théorie des référentiels pourraient chacune contribuer à une théorie
normative de l’action.

Abstract :

The paper discusses the frame of reference theory from the cognitive science. We fit this discussion in
the context of the debates on the naturalization of social sciences. We explain why the frame of
reference theory can claim to ignore cognitive science and how the Dennett’s philosophy of mind
legitimizes this "low use" of cognition. It appears that the concepts of folk psychology by which we
understand ourselves and understand others allow interdisciplinarty. Thence we show how
neuroscience and the frame of reference theory could contributes both to a normative theory of action.

1. Introduction

La sociologie cognitive des politiques publiques a connu un fort essor international (Sabatier

& Schlager, 2000 : 209-234) et particulièrement marqué en France depuis les années 1980.

Elle tente de comprendre et d’expliquer l’ordonnancement de la complexité sociale à un

niveau politique et institutionnel global comme au niveau d’une politique sectorielle

déterminée (l’emploi, la formation, le transport…), en axant son analyse sur les processus
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cognitifs qui interviennent aux différentes étapes et aux différents niveaux des politiques

publiques. La question de l’articulation de la sociologie cognitive des politiques publiques

aux sciences cognitives est une question épistémologique par définition centrale dans ce type

d’approche. Force est de constater, pour autant, que les théories qui relèvent de cette approche

font un usage faible de la cognition (Sperber, 1997) au sens où, à de rares exceptions près,

elles intègrent peu ou pas les apports des sciences cognitives (Gouin & Harguindéguy, 2007).

Les débats autour de la naturalisation des sciences sociales, apportent à l’échelle de la

sociologie, les explications de cet état de fait. Dans ces débats, les sciences cognitives

apparaissent en effet souvent sous la plume des sociologues, comme le cheval de Troie d’un

programme naturaliste réductionniste qui condamnerait à moyen terme la sociologie où - ce

qui pour certain revient au même -, l’intégrerait dans les sciences naturelles en particulier la

biologie évolutionniste ou les neurosciences. Contre ce réductionnisme, certains sociologues

font valoir une conception pluraliste de la science qui fonde la spécificité de leurs objets et de

leurs méthodes. Les échanges dans cette même revue entre Kaufmann et Cordonier (2011),

Ogien (2011) ou Quéré (2011) illustrent bien les termes, et les enjeux de ce débat : les

premiers défendent une conception naturaliste de la science susceptible de favoriser un

dialogue interdisciplinaire  en rendant compatibles les hypothèses et les résultats des sciences

sociales avec ceux des sciences naturelles ; les seconds affirment au contraire que les

conditions ne sont pas réunies pour un tel dialogue puisque ni les sciences cognitives ni la

sociologie ne savent rendre compte précisément de l’articulation entre le niveau des processus

cérébraux et celui des actions humaines effectivement observées (Ogien, 2011 : 44). Partant

de là, la sociologie des politiques publiques aurait, face aux sciences cognitives le choix entre

deux stratégies : le repli sur soi ou la querelle des méthodes.

Nous souhaitons montrer ici que tel n’est pas le cas, que la sociologie des politiques publiques

et les sciences cognitives peuvent s’engager dans un tel dialogue, pour autant que celui-ci
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repose sur une épistémologie acceptable à la fois pour les naturalistes et les défenseurs d’un

pluralisme scientifique. Nous proposons donc de faire dialoguer deux théories importantes

dans leur champ et soutenant des options épistémologiques divergentes. La première est la

théorie des référentiels développée en particulier par Pierre Muller, elle relève de la sociologie

cognitive des politiques publiques. Elle défend une lecture socio-historique de l’action

publique centrée sur les normes et les valeurs des acteurs. Elle repose sur un modèle

constructiviste de la science et procède par analyse conceptuelle. La seconde est la

philosophie de l’esprit de Dennett, ce dernier promeut un naturalisme qui s’inscrit dans la

lignée du programme quinéen de « naturalisation de l’épistémologie » selon lequel aucune

connaissance scientifique du réel n’est possible autrement que par la connaissance de la nature

et de ses lois. Ce programme a comme incidence que nos représentations conscientes, ou nos

idées ne peuvent faire l’objet d’un énoncé scientifique qu’à la condition d’être elles-mêmes

expliquées par les lois de la nature. Nous choisissons de faire dialoguer ces deux théories et

non les deux disciplines dont elles relèvent d’un point de vue académique, car le retour aux

textes nous parait être une condition pour organiser un dialogue sur une base objectivée ;

qu’on ne peut traiter les sciences cognitives comme une discipline unifiée ; et qu’à cette

échelle les enjeux institutionnels, qui prennent parfois le pas sur l’analyse rationnelle, sont

relégués à l’arrière-plan.

Sur un plan méthodologique, le dialogue entre ces deux théories va respecter deux principes

fondamentaux :

1) Les théories en discussion sont réputées cohérentes au sens où elles reposent sur un

dispositif conceptuel suffisant pour justifier les propositions qu’elles avancent (Lehrer,

1990)

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2) Le dialogue ici promeut l’interdisciplinarité. Celle-ci ne suppose pas le

réductionnisme mais l’hybridation (Bunge, 2011 : 152) des disciplines propice à

l’émergence de nouvelles disciplines.

Le respect du premier principe prémuni des formes de réductionnisme qui renvoient à une

hiérarchisation épistémique ou ontologique des théories. Le second principe renvoie à une

conception pluraliste de la science et à une lecture « dialectique » de l’histoire des sciences.

L’article se compose de trois sections. La première entreprend de reconstruire le cadre

analytique du concept de référentiel pour expliquer pourquoi et comment la théorie de Muller

peut prétendre se passer du recourt aux sciences cognitives. La deuxième section expose la

théorie Dennettienne de l’esprit et sa critique de la psychologie populaire dont nous disons

qu’elle porte à plein contre la théorie de Muller sans pour autant la disqualifier. En effet, la

théorie de l’esprit dennettienne relève d’un réalisme doux qui reconnait une pleine légitimé

aux concepts de la psychologie populaire. Les concepts par lesquels nous nous comprenons

nous même ainsi qu’autrui apparaissent comme le point de jonction interdisciplinaire. La

dernière section indique sur l’exemple précis du jugement moral comment les neurosciences

et la théorie des référentiels pourraient chacune contribuer à une théorie normative de l’action.

2. Reconstruction analytique du concept de référentiel

Les approches cognitives de l’action publique convergent vers une sociologie de l’action

publique susceptible d’analyser l’ordonnancement de la complexité sociale à un niveau global

et au niveau d’une politique sectorielle déterminée (l’emploi, la formation, le transport…).

Dans ce cadre théorique, le concept de référentiel, avancé par Jobert et Muller a joué un rôle

décisif pour définir cette articulation global / sectoriel (Muller, 1995). Rappelons qu’un

référentiel est défini par quatre éléments, des valeurs, des normes, des algorithmes et des

images (Muller, 2000 : 62-64). Les valeurs définissent le cadre global de l'action publique à

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partir d'une représentation socialement partagée de ce qui est bien ou mal. Les normes

s'édictent dans ce cadre pour conduire l'action en fonction d'objectifs souhaitables. Les

algorithmes renvoient à une théorie de l'action à travers laquelle les acteurs conçoivent

l'efficience de leurs décisions. L'algorithme formalise le schéma cognitif des acteurs engagés

dans une résolution de problème collectif, et peut s'énoncer sous cette forme : « si nous

prenons telle décision alors telle conséquence en résultera » (Muller, 2000 : 64). Les images,

que l’on peut rapprocher des idées reçues « font sens immédiatement sans passer par un long

détour discursif » (Muller, 2000 : 64).

Sur un plan méthodologique, la manière dont l’analyste du politique doit procéder pour

formaliser et analyser un référentiel a été présentée par Muller sans sa thèse. Il indique que

l’analyste doit commencer par compulser la documentation existante, réaliser une revue de la

littérature grise et professionnelle afin d’établir un état de l’art du champ considéré puis

compléter son recueil d’information par des entretiens avec des acteurs clés du champ

(Muller, 1990 : 94). C’est ainsi sur la base d’une analyse compréhensive des textes écrits ou

retranscrits que sont appréhendés le fonctionnement institutionnel du secteur étudié, la

formulation des problèmes qui structurent le champ, ainsi que les images, les normes, les

valeurs, les algorithmes qui composent le référentiel des acteurs. L’analyse cognitive des

politiques publiques procède par une démarche inductive qui permet de reconstituer le

référentiel des acteurs sur la base des traces, indices et autres signes verbaux ou écrits de ce

que croient, désirent, espèrent ces derniers. Mais comment se constituent les référentiels ?

2. Introduction du schème sociohistorique soutenant la théorie du référentiel

Muller donne du référentiel sectoriel la définition suivante : « le référentiel sectoriel est une

représentation du secteur, de la discipline ou de la profession. Son premier effet est de baliser

les frontières du secteur » (Muller, 2000 : 68). Précisons qu’un secteur est constitué d’un

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ensemble d’institutions et d’acteurs intervenants de façon plus ou moins concertée et

cohérente dans la prise en charge d’un ensemble de problématiques, par exemple,

économiques ou sociales, et qu’une politique sectorielle vise à coordonner les institutions et

organiser l’intervention des acteurs en vue de traiter les problématiques (Muller, 2005 : 180).

Le référentiel sectoriel circonscrit donc le périmètre et le champ d’intervention des acteurs

relativement à la représentation que ceux-ci se font de leur secteur d’intervention, de leur

positionnement ou de leur légitimité à agir. Mais quel lien est-il supposé exister entre, d’une

part, la représentation que les acteurs ont d’eux mêmes et de leur secteur d’intervention et,

d’autre part, le secteur lui-même ? Muller considère qu’il y a entre le secteur d’intervention et

la représentation des acteurs, un processus circulaire à travers lequel la structure

institutionnelle du secteur détermine les cadres cognitifs et normatifs des acteurs qui

interviennent sur elle en retour par leurs actions (Muller, 2000 : 199). Le néo-

institutionnalisme avec lequel Muller entretient une certaine proximité (Muller, 2000 : 195-

196 ; Muller, 2005 : 166) sur cette question, rend compte de ce type de processus circulaire.

En 2005, Pierre Muller a précisé la théorie du changement qui sous-tend ses analyses dans un

texte où il développe la question du rapport entre le secteur et la représentation du secteur et

discute les théories néo-institutionnalistes sur ce point : « les approches néo-institutionnalistes

ont d’abord pour objet de mettre en évidence les contraintes que les institutions font peser sur

les acteurs, notamment à travers l’existence de cadres cognitifs et normatifs. Pour autant la

question du changement n’y est pas négligée (…) toutes conduisent à s’interroger sur les

mécanismes à travers lesquels les acteurs contribuent à construire les institutions en même

temps qu’ils sont contraints par ces mêmes institutions. » (Muller, 2005 : 167). C’est dans la

théorie du changement de Muller que se trouve l’explication de ce processus circulaire. Cette

théorie du changement rend compte du processus d’institutionnalisation qui détermine le

secteur avec son périmètre et sa structure institutionnelle ainsi que la représentation des

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acteurs. Il apparait à partir du texte de 2005 que le changement est scandé par trois moments,

celui de l’émergence, de la stabilisation et de l’évolution des institutions. Ces trois moments

sont constitutifs d’une sociohistoire des institutions qui émergent et évoluent dans le temps,

mais ils sont également constitutifs d’une histoire des représentations qui évoluent au fur et à

mesure que le secteur s’institutionnalise. Dans la perspective néo-institutionnaliste de Muller

la sociohistoire des institutions et l’histoire des représentations sont synchrones.

3. Le référentiel comme structure de sens témoigne d’un oubli de la dimension ontologique

du processus d’institutionnalisation

La structure temporelle ternaire du processus d’institutionnalisation est la condition de

possibilité logique de l’étude historique des institutions au sens où elle rend disponible les

catégories temporelles nécessaires pour penser l’institutionnalisation. Elle renvoie au schème

historique qui sous-tend notre compréhension de ce qu’est l’institutionnalisation comme

processus. Dans cette optique il est juste de dire que le secteur et la représentation

s’institutionnalisent dans un même temps puisque le temps de l’institutionnalisation du

secteur et de la représentation est structurellement le même. Cependant, par elle seule cette

structure temporelle ne suffit pas à expliquer que le secteur et la représentation soient des

phénomènes relevant bien d’un même principe génétique et non pas simplement des

phénomènes corrélés l’un à l’autre dans le temps. La question, en effet, reste entière de savoir

si le processus d’institutionnalisation est le même concernant le secteur et la représentation du

secteur. Des choses de nature si différentes peuvent-elles suivre un même processus

d’institutionnalisation ou faut-il distinguer deux principes d’institutionnalisation différents ?

Est-ce que la logique de sectorisation sociale est analogue à la logique de constitution des

représentations ? Si oui, est-ce que l’analogie est un dispositif théorique convaincant pour

penser le lien entre l’esprit qui se représente et la société, et si non, quelle est la nature de ce

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lien et quel est son fondement empirique ? Ces questions sont classiques en philosophie et en

sciences cognitives en particulier, leur portée est ontologique et épistémologique, elles

interrogent la nature du lien entre l’esprit qui se représente et le monde qui est représenté. Ces

questions ont entre autres occupé Searle, qui s’est interrogé sur l’ontologie des faits

institutionnels, elles l’ont conduit à discuter la théorie classique de la vérité définie comme

correspondance entre la chose représentée et sa représentation (Searle, 1998). Cette question

de la correspondance n’est pas abordée explicitement par Muller qui ne s’engage pas dans une

recherche ontologique ou épistémologique. Néanmoins l’auteur et analyste des politiques

publiques fait le constat, de façon pragmatique et sur la base d’une connaissance experte d’un

certain nombre de secteurs notamment celui de l’agriculture, qu’il existe effectivement un lien

entre l’histoire institutionnelle des secteurs et les représentations qu’en ont les acteurs. Et

c’est pourquoi le référentiel sectoriel est présenté comme le double produit de la sectorisation

sociale et de la stratégie de l’acteur (Muller, 2000 : 172), mais nulle part est explicité ce qui

fondamentalement autorise la correspondance entre ce qui est représenté et la représentation.

Le fait que Muller fasse l’économie d’une réflexion ontologique sur la correspondance peut

être expliqué théoriquement dès lors que l’on est attentif au fait que le référentiel est définit

comme « une opération de mise en sens du monde » (Muller, 2000 : 195 ; Faure & Alii,

1995). La manière dont la notion de référentiel articule la question du sens permet en effet de

régler la question de la correspondance sans qu’il ait été nécessaire d’en faire un problème

théorique. La raison en est simple, en affirmant que l’acteur trouve un sens à son action, on

répond par l’affirmative à la question de savoir s’il existe un lien entre le secteur et la

représentation du secteur ; si ce lien n’existait pas, le monde paraîtrait absurde à l’acteur et

son action serait condamnée à rester insensée. Autrement dit si les représentions de l’acteur

sont sensés, il peut sembler légitime de conclure que ces représentations correspondent

effectivement à ce qu’elles représentent. De fait, l’analyste des politiques publiques menant


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une recherche empirique, engage un travail de reconstitution du référentiel sectoriel qui atteste

que les parties prenantes de l’action publique sont engagées dans une opération de mise en

sens du monde. L’analyse cognitive des politiques publiques n’entreprend pas de démontrer

que l’acteur trouve un sens à son action, elle le constate empiriquement et cela rend le détour

par la question classique de la correspondance vain voire inutile.

4. L’oubli de la dimension ontologique du processus d’institutionnalisation induit

l’oubli de la question cognitive

Au terme de cet exercice de reconstruction analytique de la notion de référentiel, il va

apparaitre que la question du sens, parce qu’elle rend inutile le détour par la question

ontologique de la correspondance entre les représentations qu’ont les acteurs et le monde,

limite du même coup les opportunités théoriques ou méthodologiques de dialogue entre la

théorie du Muller et les sciences cognitives. Sous un angle théorique, premièrement, il faut

noter que la question du sens assure la cohérence de la notion de référentiel définie dans sa

double dimension globale et sectorielle. Au niveau global les acteurs se confrontent sur la

question des normes, des valeurs, des algorithmes ou de l’image des groupes sociaux, l’enjeu

principal de ces confrontations est d’instituer le sens de ces différents éléments dans une

société et à un moment donné. La confrontation se joue d’abord au niveau symbolique, la

détermination du sens relève proprement de l’exercice du pouvoir instituant. Une fois

institué le référentiel global procure une cohérence intersectorielle à l’action publique

sectorielle, il offre aux acteurs sectoriels les ressources argumentatives et discursives pour

formaliser et prendre en charge leurs problèmes spécifiques. S’il est possible comme le

déclare Muller d’anticiper l’évolution des politiques publiques sans connaître précisément

leur détail à un niveau sectoriel (Muller, 2005 : 169), c’est que l’évolution des représentations

des acteurs à un niveau global, configure l’évolution des représentations des acteurs au

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niveau sectoriel. Sous un angle méthodologique, deuxièmement, il apparait que le travail de

l’analyste des politiques publiques est un travail de mise en sens de l’action publique.

L’hypothèse fondamentale sous-jacente à ce travail d’analyse est qu’il est possible de dégager

le sens de l’action publique sectorielle précisément parce qu’elle traduit le référentiel global

en intégrant les contraintes spécifiques de l’action sectorielle, ainsi que les stratégies et les

intérêts propres des acteurs. Finalement l’hypothèse du sens de l’action publique joue une

fonction heuristique dans le travail de l’analyste : elle structure les critères de sélection des

matériaux empiriques – seront retenus les matériaux pertinents pour l’analyse c’est-à-dire

précisément ceux qui font sens ; et elle donne une règle générale d’interprétation de ces

matériaux qui consiste à rechercher le maximum de cohérence entre eux.

Ainsi la question du sens est centrale d’un point de vue méthodologique et théorique pour

Muller. Mais en rendant inutile une analyse des rapports entre l’esprit, ses représentations et la

société, elle a rendu inutile toutes références aux sciences cognitives et a privé l’analyse

cognitive des politiques publiques, des apports de cette dernière. Mais on pourrait considérer

que prendre en compte les apports des sciences cognitives aurait un coût théorique très élevé

pour la théorie des référentiels dans la mesure où cela conduirait à réinterroger le concept

fondamental de référentiel et la méthodologie proposée pour le constituer. C’est au fond la

conception de l’esprit, de son fonctionnement et du rapport au monde qui sous-tend la théorie

de Muller qui ressurgit ici. Le détour par Dennett va permettre de discuter cette théorie de

l’esprit.

5. Analyse dennettienne de la psychologie populaire

3. Théories de l’esprit et psychologie populaire

Tout un chacun utilise naturellement un ensemble de concepts, comme la croyance, le désir, la

volonté, la peur…etc., pour décrire ce qu’il ressent en son for intérieur et décrire ce que les
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autres sont susceptibles de ressentir dans telle ou telle situation (Dennett, 1990 : 9-23). Ces

concepts sont compréhensibles par tous même s’ils sont entourés d’un relatif flou

définitionnel dans leur usage courant. Pour autant, il n’est pas nécessaire d’avoir une maîtrise

conceptuelle de ces objets, car nous les connaissons bien par expérience : chacun a déjà crû

en quelque chose, éprouvé du désir, de la peur etc… En quelque sorte, l’expérience intime de

nos états intérieurs vaut connaissance des concepts qui dénotent ces états. Par ailleurs, on

attribue à cette connaissance une valeur de vérité indéniable précisément parce qu’elle renvoie

à ce dont nous avons une expérience intime et immédiate, et comme telle cette connaissance

est supposée soustraite à l’erreur. Dans le langage de la philosophie moderne inaugurée par

Descartes, cette vérité est première parce que fondée dans l’expérience consciente que le sujet

fait de lui-même. La philosophie de l’esprit contemporaine considère au contraire que le sujet

n’atteint jamais une connaissance assurée de lui-même par simple introspection puisque la

conscience elle-même est structurée d’une manière spécifique et que cette structuration

détermine par conséquent la nature de cette connaissance. Que savons-nous réellement de

nous-mêmes lorsque nous désirons, avons peur ou croyons quelque chose ? La psychologie

populaire apporte une réponse à cette question. Elle consiste à dire que les concepts utilisés

communément comme la peur ou la croyance, se répondent les uns les autres de façon

cohérente, et qu’ils renvoient à une conception structurée de l’esprit et de son fonctionnement.

Toutefois cette structure est implicite, tout un chacun la connaît sans être capable de la

formuler clairement (Dennett, 1990 : 65 ; Fisette & Poirier, 2000). Néanmoins il fait peu de

doute pour Dennett que la psychologie populaire pourrait être axiomatisée de façon

rigoureuse, à la manière dont Hayes, par exemple, a entrepris d’axiomatiser une partie de la

physique populaire (Dennett, 2008 : 46-47). Une des questions qui se pose concerne la nature

scientifique de cette théorie de l’esprit, qu’elle puisse être axiomatisée n’est pas, en effet, un

critère suffisant de sa scientificité. Sur cette question, les auteurs oscillent entre deux positions

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extrêmes. Certains défendent, à l’instar de Paul Churchland, la thèse matérialiste

éliminativiste, et considèrent que la psychologie populaire est radicalement fausse et sera

remplacée prochainement par les neurosciences (Churchland, 2002 : 117-151 ; Fisette &

Poirier, 2002 : 117-151). D’autres, comme Fodor ou Dretske (Dretske, 2000) adoptent une

attitude réaliste vis-à-vis de la croyance, du désir et autres notions comme celles-ci, et font

appel à la psychologie cognitive pour les étudier comme des entités réellement existantes dans

le cerveau. Dennett, quant à lui, adopte une attitude médiane qu’il qualifie de réalisme doux

(Dennett, 1991 : 159), il refuse de considérer les croyances comme des entités localisables

dans le cerveau, mais dénonce le réductionnisme du matérialisme éliminativiste (Symons,

2005 : 80-94).

4. Le réalisme doux de Dennett

Dennett élabore sa position alternative au réalisme comme au matérialisme éliminativiste,

dans différents textes, notamment Real patterns et dans le deuxième chapitre de la Stratégie de

l’interprète. Le réalisme doux qu’il propose dans ces textes vient sursoir aux difficultés que

soulève la conception instrumentaliste des croyances qui lui est parfois prêtée (Dennett,

1990 : 93). Dennett prend ses distances vis-à-vis de deux types d’instrumentalisme, celui qui

considère que les propositions formulées par la psychologie populaire de type « x croit que

P », sont fausses mais utiles pour prédire les comportements, et celui pour lequel ces

propositions ont une utilité mais aucune valeur de vérité (Dennett, 1990 : 98). Mais la thèse

instrumentaliste recèle une difficulté importante : comment expliquer le succès répété de nos

prédictions si l’hypothèse de l’existence des croyances et des désirs n’est pas vraie ; et si elle

est vraie comment ne pas en inférer l’existence effective des croyances par-delà l’utilité

qu’elles ont pour le psychologue ordinaire ? En fin de compte, la question est de savoir

pourquoi la psychologie populaire nous permet en effet de prédire le comportement d’autrui ?

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La faiblesse de la thèse instrumentaliste est qu’elle ne propose qu’une approche

épistémologique de la prédiction du comportement d’autrui, sans interroger la nature

ontologique des croyances ou des désirs dont elle fait l’hypothèse (Dennett, 1990 : 97). De

fait Dennett ne soutient pas un instrumentalisme au sens précédemment évoqué. Pour le

philosophe les croyances et les désirs ont une forme d’existence : ils existent comme des

objets abstraits, des abstracta. Le centre de gravité offre un bon exemple d’objet abstrait

(Dennett, 1991 : 157). L’enjeu du réalisme doux est alors de préciser quelle forme de réalité

ont les abstracta : les croyances et les désirs existent-ils objectivement indépendamment de

nous ? Existent-ils seulement pour ceux qui les éprouvent ? La position ontologique de

Dennett concernant les croyances se situe entre le « réalisme de force industrielle » de Fodor,

et « l’irréalisme plus doux que doux » qui conduit Rorty à défendre un perspectivisme selon

lequel la croyance attribuée à autrui est dans l’œil du psychologue ordinaire (Dennett, 1991 :

159). Pour préciser sa position Dennett se sert du concept de régularité (Pattern). Sa position

peut schématiquement être articulée en quatre propositions : 1) les comportements

manifestent objectivement des régularités. Si tel n’était pas le cas on ne pourrait expliquer

comment il est possible de prédire les comportements d’autrui, et ces derniers nous

paraîtraient totalement désordonnés. A partir de la définition que le mathématicien Chaitin

donne de l’aléatoire, Dennett énonce qu’une série n’est pas aléatoire et manifeste donc une

forme de régularité si parmi les multiples façons de décrire cette série, il en existe une qui

contienne moins d’information que la série elle-même (Dennett, 1991 : 162-166) ; 2) les

notions de croyance ou de désir renvoient à des fictions utiles pour expliquer les régularités

des comportements, et offrent ainsi des outils indispensables aux psychologues ordinaires

pour prédire les comportements d’autrui. Pour autant selon Dennett rien n’existe dans le

cerveau semblable aux croyances ou aux désirs (Dennett, 1990 : 56) ; 3) les comportements

sont frappés d’une certaine indétermination au sens où des comportements identiques peuvent

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être interprétés différemment par plusieurs psychologues ordinaires et faire l’objet de

prévisions divergentes potentiellement erronées (Dennett, 1990 : 59 ; Dennett, 1991 : 185-

188). Malgré tout, attribuer à autrui des croyances ou des désirs reste globalement une

stratégie efficace pour prédire le comportement d’autrui.

5. La légitimité pratique des concepts de la psychologie populaire

Nous retiendrons du réalisme doux dennettien ce point important : les croyances et les désirs

sont des concepts utiles mais qui ne renvoient par eux-mêmes à rien de déterminé dans l’esprit

d’autrui. Ce point est important car il explique pourquoi la psychologie populaire ne peut

avoir de fondement scientifique dans la perspective naturaliste de Dennett. Néanmoins le

réalisme doux ne disqualifie pas la psychologie populaire et la théorie naïve de l’esprit au

nom d’une psychologie scientifique. C’est là quelque chose de remarquable : bien que la

psychologie populaire soit non scientifique, le réalisme doux de Dennett lui reconnait une

forme de légitimité. Cette légitimité est établie sur le double critère de l’utilité des concepts

comme celui de croyance et de la nécessité d’avoir à agir en tenant compte du comportement

d’autrui. Le périmètre d’une telle légitimité est celui de la vie quotidienne puisque c’est dans

ce cadre que tout un chacun doit prendre des décisions de façon consciente ou non, et agir en

tenant compte de l’action d’autrui. La légitimité des concepts de la psychologie populaire peut

être qualifiée de pratique pour cette double raison que la psychologie populaire vaut du point

de vue d’un individu engagé dans l’action – le psychologue ordinaire cherche à prédire le

comportement d’autrui pour agir de façon appropriée -, et qu’elle porte sur des individus eux-

mêmes engagés dans l’action et dont il s’agit d’anticiper le comportement. Si l’on met de côté

la perspective de l’action pour celle de la réflexion et de l’analyse, et que l’on aborde les

concepts de la psychologie populaire d’un strict point de vue scientifique, ceux-ci paraissent

bien limités et approximatifs, naïfs pour reprendre l’expression consacrée. Mais le réalisme

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doux de Dennett permet d’articuler le point de vue scientifique avec celui éminemment

pratique de la vie quotidienne et d’aménager une légitimité propre à chacun de ces points de

vue. Le chapitre III de la Stratégie de l’interprète, est particulièrement clair à cet égard,

Dennett y explique à quelles conditions la psychologie populaire peut être intégrée ou réduite

dans une science (Dennett, 1990 : 66). Dans ce chapitre le philosophe discute l’articulation de

trois psychologies intentionnelles, à savoir la psychologie populaire, la théorie des systèmes

intentionnels et la psychologie subpersonnelle. La théorie des systèmes intentionnels est une

sorte de behaviorisme logique (Dennett, 1990 : 80), elle traite de la manière dont les

croyances et désirs sont acquis, se combinent et évoluent en fonction de l’environnement et

d’autres facteurs. C’est une théorie normative, proche de la théorie des jeux et de la décision,

qui rend compte de façon générale du comportement des agents rationnels. La psychologie

subpersonnelle quant à elle doit expliquer sur un plan neuro-physiologique comment les

systèmes intentionnels fonctionnent concrètement (Dennett, 1990 : 84). La théorie des

systèmes intentionnels peut être efficace tout en laissant de côté la question de savoir ce qui se

passe réellement dans la tête des individus, la psychologie subpersonnelle, au contraire, entre

dans la boîte noire. Les distinctions opérées par Dennett éclairent également la

complémentarité des deux théories psychologiques. Il précise par ailleurs que les progrès de la

psychologie subpersonnelle contribueront à brouiller les frontières entre les deux théories

psychologiques (Dennett, 1990 : 87). Ces deux théories entretiennent un rapport profond avec

la psychologie populaire dans la mesure où elles traitent de ce que la psychologie populaire

appelle des croyances et des désirs, même si elles proposent de réélaborer analytiquement ces

concepts (Dennett, 1990 : 80). Dennett affirme également que la partie de la psychologie

populaire « qui vaut la peine qu’on s’en occupe » peut être réduite à la théorie des systèmes

intentionnels (Dennett, 1990 : 90) et que la psychologie subpersonnelle elle-même doit

prendre au sérieux la psychologie populaire en rendant compatible ses analyses neuro-

15
Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels

physiologiques avec les interprétations que tout un chacun réalise des systèmes intentionnels

(Dennett, 1990 : 93). Finalement l’exercice de réduction des théories psychologiques montre

bien que la psychologie populaire a une légitimité même si elle n’est pas scientifique au sens

naturaliste du terme : elle correspond à ce fait massif que nous sommes des êtres qui nous

comprenons nous-mêmes et comprenons les autres au moyen du langage. Les théories

scientifiques et la théorie psychologique subpersonnelle en particulier doivent tenir compte de

ce fait.

6. Neurosciences et théorie des référentiels : vers une théorie normative de l’action ?

La théorie des référentiels de Muller comme la théorie de l’esprit de Dennett ont donc en

commun de s’intéresser aux croyances qui contribuent à expliquer l’action. Muller s’intéresse à

certains croyances particulières – relativement à des normes, des valeurs etc… -, portées par les

parties prenantes des politiques publiques - acteurs et bénéficiaires des politiques publiques -, et

considère, en cohérence avec la théorie de la psychologie populaire, que ces croyances

permettent d’expliquer pourquoi ces derniers ont agi comme ils l’ont fait. Il serait possible de

formuler une critique de la théorie des référentiels en s’appuyant sur les analyses que Dennett

propose du concept de croyance, qu’il estime être un concept naïf sans contenu scientifique,

renvoyant simplement à notre habitude de traiter causalement de l’action (Bertrand, 2013). Et

l’on pourrait objecter à Dennett que même si elles parviennent à identifier les processus

subpersonnels corrélés avec les représentations et les états de conscience décrits dans le

langage de la psychologie populaire, les neurosciences seront de peu d’utilité pour aider les

parties prenantes des politiques publiques, à justifier leurs décisions et actions. Mais l’on peut

aussi considérer que la théorie des référentiels et les neurosciences peuvent contribuer à éclairer

sous des angles complémentaires le phénomène complexe de l’action politique. De fait, de

nombreux travaux en neurosciences s’attachent à discuter sous l’angle qui est le leur, de la

16
Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels

théorie politique entendue en un sens large (Connolly, 2002 ; Vander Valk, 2012), du

comportement politique (Somit & Peterson, 2011), de l’analyse du raisonnement des militants

(Westen & Alii, 2006), des théories du choix rationnel ou du choix social (Berthoz, 2002 ;

Dolan & Sharot, 2011). Force est de reconnaitre en revanche que les travaux indiquant ce que

les neurosciences peuvent attendre de la sociologie politique sont plus rares.

La question du jugement moral, pièce importante d’une théorie normative de l’action, est un

des sujets autour duquel peut se nouer le dialogue entre le sociologue et le neuroscientifique. Le

jugement moral renvoie à deux choses, aux critères du juste ou du bien sur lesquels s’appuie

une décision relative à l’action, et à la procédure rationnelle qui aboutira à la décision. Nous

retrouvons ici les deux niveaux d’analyse des théories morales modernes entendues comme

théorie normative de l’action (Conto-Sperber & Ogien, 2004 :15). Ces dernières entreprennent

de répondre par exemple à des questions du type « qu’elle est la meilleure action à mener dans

telle situation ? », « qu’est-ce qu’une action juste ? » ou « quelles raisons peuvent justifier une

décision d’action ? ». Muller renvoie implicitement à une telle théorie morale lorsqu’il analyse

le tournant néo-libéral du référentiel global engagé dans les années 1980 et les principes

utilitaristes qui se diffusent dans l’action publique à travers le nouveau management public, par

exemple. L’utilitarisme, version la plus connue du conséquentialisme, est une des théories

morales les plus discutées aujourd’hui à côté du déontologisme et de l’éthique des vertus. Cet

usage implicite de la théorie morale comme théorie normative de l’action est induite par la

psychologie ordinaire elle-même, qui repose sur une conception « naïve » et instrumentale de la

rationalité. Si l’on peut accorder que la sociologie cognitive des politiques publiques rencontre

la théorie morale – même de manière non thématisée - lorsqu’elle traite des normes de l’action,

la chose peut sembler discutable concernant les neurosciences.

17
Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels

Les travaux précurseurs que Joshua Greene, a conduit à partir du début des années 2000 pour

mettre en évidence les bases neuronales du jugement moral, montre l’intérêt de l’approche

neuroscientifique sur ces questions – ils montrent aussi, nous le verrons, ses limites. Joshua

Greene a mis en évidence à l’aide des techniques d’imagerie cérébrale par résonnance

magnétique fonctionnelle, les régions cérébrales activées lorsque des individus réfléchissent à

des dilemmes moraux et se prononce sur ce qu’il convient de faire. Joshua Greene accorde une

importance particulière à un dilemme célèbre, celui du tramway, qui nous permet d’illustrer

l’argumentation du scientifique (Greene & Ali., 2001 ; Greene & Alii, 2009 ; Paxton & Greene,

2010) et l’intérêt de son propos pour la sociologie politique. Schématiquement le dilemme du

tramway met en scène un personnage réalisant que cinq ouvriers ferroviaires vont se faire

écraser par un tramway, à moins qu’il n’actionne le levier d’aiguillage qui conduira le tramway

sur une autre voie ou un seul ouvrier travaille. Le dilemme est de savoir si sauver cinq

individus autorise d’un point de vue moral à en sacrifier un. Généralement 85% des personnes

interrogées considèrent que ce sacrifice peut être justifié (Hauser & alii, 2007 : 8-13). Le

scénario du dilemme connait une variante où le moyen de sauver les cinq ouvriers ferroviaires

est de pousser un homme sur la voie. Dans les deux scénarios le résultat est le même une

personne sacrifiée et cinq vies sauvées, mais ici seules 22% des personnes interrogées

considèrent que le témoin a raison de faire ce sacrifice. Comment expliquer une telle

différence, alors qu’il est souvent difficile pour les personnes interrogées de justifier

clairement leur choix ? Dans l’expérimentation de Greene les deux scénarios étaient présentés

aux personnes qui devaient se prononcer sur celui qui leur paraissait le plus moral, le temps mis

pour répondre a été chronométré. L’objectif des expériences de Greene n’était pas de

comprendre ce qui se passe en général dans le cerveau lorsque les individus réfléchissent à ce

qu’il convient de faire dans de telles situations, mais de tester l’hypothèse que l’émotion

influence le jugement moral. Selon cette hypothèse les décisions qui impliquent les personnes –

18
Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels

dans le cadre des dilemmes, celle de pousser l’individu sur les voies, plutôt que d’actionner le

levier -, engendrent également le plus d’émotion. Ces décisions à forte charge émotionnelle

conduisent également à une délibération plus longue, la décision semble de ce point de vue plus

difficile à prendre. Or les hypothèses de Greene ont été validées à la fois par les tests portants

sur les temps de réponse en fonction des scénarios choisis par les personnes ainsi que les

résultats de l’imagerie cérébrale qui démontrent que lorsque celles-ci envisagent l’option de

pousser l’homme sur les voies, ce sont les régions du cerveau liées à l’émotion qui s’activent.

D’autres travaux du même type ont corroboré ces résultats (Nadelhoffer & Feltz, 2008). D’une

certaine façon ces résultats ne sont pas surprenants, au IV ème siècle avant notre ère Platon faisait

déjà l’hypothèse que l’émotion joue un rôle fondamental dans l’appropriation et la diffusion

des normes dans la société- si l’on veut bien traduire ainsi le thumós platonicien -, mais ces

travaux apportent une puissante confirmation à ces intuitions fondamentales.

L’intérêt de travaux comme ceux de Greene pour la sociologie politique est manifeste tant d’un

point de vue méthodologique que du point de vue des questions normatives qu’ils soulèvent.

Sous un angle méthodologique, ils permettent de faire des régions fonctionnelles du cerveau et

des fonctions cognitives auxquelles elles correspondent, des macros variables explicatives dont

la valeur dépend pour l’essentiel du niveau d’activation de ces régions. Ainsi une décision, une

action, voire une intention, peuvent être expliquées en faisant intervenir des variables comme le

raisonnement, la créativité, la mémoire, le calcul etc…autant de variables cognitives qu’il reste

difficile de contrôler par les méthodologies classiques des sciences sociales. Ces approches

permettent ainsi de tester pour les confirmer ou les infirmer ce qui dans bien des cas resterait

des hypothèses théoriques concernant la dimension cognitive de l’action. Par ailleurs les

résultats qu’elles produisent, s’ils ne font parfois que confirmer des théories anciennes, ont le

mérite de donner aux chercheurs de nouveaux arguments pour sélectionner parmi des théories

concurrentes dès lors que celles-ci sont également pertinentes d’un point de vue conceptuel.
19
Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels

Elles donnent également les moyens de falsifier des théories et de réviser le bien fondé de leurs

hypothèses. A cet égard on peut noter par exemple que la question de l’émotion est

pratiquement absente de la sociologie politique de Muller. Cette absence interroge la théorie

normative de l’action qui est proposée par Muller compte tenu de l’influence importante que

l’émotion joue manifestement dans le jugement moral et les décisions d’action. Et avec la

théorie de l’action, c’est le concept de référentiel et plus globalement la rationalité des

interactions entre les parties prenantes des politiques publiques que les travaux comme ceux de

Greene nous invitent à reconsidérer. Remarquons que certains politistes et sociologues prennent

déjà en considération les résultats des neurosciences pour assouplir les hypothèses de la théorie

du choix rationnel (Elster, 2010) ou de façon plus radicale pour montrer que l’émotion est une

condition du jugement moral et de la décision politique (Marcus, 2008). Mais si la notion

d’émotion n’intervient pas comme telle dans la théorie des référentiels, on peut noter cependant

que les conflits identitaires y jouent en revanche un rôle important et qu’ils offriraient une clé

d’entrée peut-être privilégiée pour étudier les décisions d’action à forte charge émotionnelle.

Muller aborde la question des conflits identitaires pour expliquer la genèse du référentiel

sectoriel. En effet ce dernier se caractérise par « une composante identitaire extrêmement forte,

dans la mesure où il fonde la vision qu’un groupe se donne de sa place et de son rôle dans la

société » (Muller 1990 : 69-70 ; Muller 2005 : 164, 174). Et selon Muller un référentiel

sectoriel s’impose au secteur et à la société après que différents groupes porteurs d’une identité

sectorielle particulière aient confronté leur vision du monde, leur lecture du secteur, de ses

enjeux, de ce qu’il doit devenir etc… Les neurosciences pourraient-elles en ce sens contribuer à

une sociologie politique néo-institutionnaliste  soucieuse de décoder les rapports de forces et

les mécanismes de régulation qui configurent les politiques publiques ?

Nous l’avons dit, les neurosciences pour autant qu’elles contribuent à une recherche

pluridisciplinaire concernant une théorie normative de l’action, peuvent elles aussi s’interroger
20
Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels

sur la contribution propre de la théorie des référentiels. Que cette dernière soit sur le périmètre

restreint des parties prenantes des politiques publiques alors que les neurosciences peuvent

porter sur la cognition de façon générale ne constitue pas un argument contre une approche

interdisciplinaire. Au contraire on peut considérer que les individus pris en général sont aussi

des parties prenantes ou des bénéficiaires d’une ou plusieurs politiques publiques et qu’à ce

titre la théorie normative de l’action à laquelle contribuent les sciences cognitives gagnerait à

être affinée à un niveau sectoriel. Par exemple, la thèse générale selon laquelle l’émotion

influence le jugement moral et les décisions relatives à l’action, reste-t-elle vraie pour des

professionnels du soin qui ont été formés spécifiquement à la prise de décision en situation à

forte charge émotionnelle ? Un des enjeux des politiques publiques du soin est précisément

d’organiser ce secteur pour limiter le risque de décisions irrationnelles potentiellement

dangereuses pour les clients finaux, il s’agit pour le secteur de mettre en place des formations

adaptées, de créer des institutions de contrôle, d’impulser des programmes qualité dans les

établissements recevant les publics, etc…. La théorie des référentiels propose une analyse de la

sectorisation des référentiels globaux qui montre que les cadres normatifs et cognitifs sectoriels

sont l’œuvre d’institutions mises en place pour traduire des cadres normatifs globaux à

l’échelle d’un secteur, afin de répondre à des enjeux sectoriels spécifiques. Les neurosciences

pourront ainsi trouver du côté de la sociologie cognitive des politiques publiques une théorie de

la sectorisation adéquate pour construire des expérimentations et tester l’hypothèse néo-

institutionnaliste de l’effet des institutions sur les cadres normatifs et cognitifs. Les

neurosciences seraient ainsi en mesure d’étudier des dilemmes d’un nouveau genre pour tester

l’effet des politiques publiques sur les décisions d’action de ses parties prenantes.

Mais la théorie des référentiels présente un deuxième intérêt fort pour une recherche

interdisciplinaire car elle donne des arguments pour discuter le naturalisme sous l’angle duquel

les neurosciences présentent parfois leurs analyses sur les jugements moraux. Les travaux de
21
Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels

Joshua Greene (2003 ; 2004) offrent également un bon exemple de la tentation naturaliste qui

saisit parfois les neuroscientifiques au moment d’interpréter leurs résultats et qui les conduit à

considérer le cerveau comme l’organon des principes moraux eux-mêmes. Pour Greene en

effet, la décision d’action ne relève pas d’une délibération librement conduite mais est

«câblée » (Wired up) (2003 : 849) dans le cerveau et c’est la raison pour laquelle les individus

exprimeraient des réponses congruentes aux dilemmes moraux. Dans cette perspective

évolutionniste il existerait selon Greene de mauvaises et de bonnes décisions d’action. Les

bonnes décisions sont celles qui activent les parties les plus récentes du cerveau à l’échelle de

son ontogenèse à savoir les lobes frontaux qui sont le siège des fonctions cognitives de haut

niveau. A l’inverse les régions du cerveau activées lorsque l’émotion entre en ligne de compte,

sont des régions archaïques du cerveau. En conséquence Greene considère que les théories qui

expliquent les décisions morales comme résultant d’un processus rationnel, - en l’occurrence

le perfectionnisme moral et l’utilitarisme -, sont des théories plus correctes que les autres. Il

faut remarquer que si Joshua Greene produit des arguments originaux pour défendre

l’utilitarisme contre d’autres théories morales, il ne renouvelle pas en revanche les termes

classique des théories normatives discutées par l’éthique depuis le début du XXème siècle, ni a

fortiori ne répond aux critiques qui ont été adressées à l’utilitarisme. De ce fait même défendu

par certains neuroscientifiques l’utilitarisme reste une théorie morale tout à fait discutable, et ne

peut apparaît comme l’horizon normatif des neurosciences en tant que telles. Plusieurs

arguments dont certains étayés sur des résultats neuroscientifiques contradictoires avec ceux de

Greene, ont démontré qu’il existe de bonnes raisons de recourir à des théories morales non

utilitaristes (Baertschi, 2011 ; Hauser & Ali., 2007). Et à l’encontre de la tentation naturaliste de

réduire l’histoire de l’homme à celle de son cerveau, des neuroscientifiques ont mis en

évidence le rôle que jouent l’environnement et l’apprentissage dans la formation des circuits de

neurones (Schlaug, 2001 ; Gaser & Schlaug, 2003 ; Maguire et Ali. 2000 ; Draganski, 2004).

22
Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels

Ces chercheurs démontrent la grande plasticité dont est doué le cerveau qui lui permet de

s’adapter en permanence et dans des temps courts à des contextes d’apprentissage ou à des

situations nouvelles. La question de l’influence des normes sociales sur le comportement est

devenue dans cette perspective une question importante des neurosciences. Il est clair à cet

égard que la théorie des référentiels peut utilement apporter un éclairage sociologique sur cette

question et mettre en lumière dans la perspective néoinstitutionaliste qui est la sienne, les

conditions et les mécanismes à travers lesquels une norme sociale s’impose à une échelle

globale et se sectorise.

7. Conclusion

Nous avons essayé de montrer par quelle voie la sociologie cognitive des politiques publiques

et les sciences cognitives peuvent entamer un dialogue constructif, que nous commencé de

mener sur le champ d’une théorie normative de l’action. Nous avons reconstruit le cadre

analytique de la théorie des référentiels pour identifier les raisons pour lesquelles celle-ci a fait

l’économie d’un détour par les sciences cognitives. Il nous est apparu que si des raisons

épistémologiques pouvaient être évoquées celles-ci renvoient moins à une «doctrine de la

science » qu’à la théorie de l’esprit qui sous-tend l’analyse de Muller. Le détour par Dennett,

nous a permis de rappeler comment la philosophie de l’esprit traite pour son compte la question

délaissée par Muller, de la vérité de nos représentations ou de nos croyances relatives à autrui.

Ce détour nous a permis également d’indiquer comment le cadre épistémologique du réalisme

doux autorise le dialogue entre les sciences cognitives et la sociologie cognitive des politiques

publiques. Les concepts de la psychologie populaire par lesquels nous nous comprenons nous-

mêmes ainsi qu’autrui apparaissent ici comme le point de jonction interdisciplinaire. En

prenant appui sur les travaux des neurosciences concernant le jugement moral nous avons

indiqué que les neurosciences et la théorie des référentiels pouvaient également contribuer à

23
Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels

une théorie normative de l’action. Les neurosciences peuvent apporter des éléments utiles pour

comprendre le processus de la décision et de l’action normative, la théorie des référentiels

explique quant à elle, sous le prisme de l’action publique, pourquoi et comment s’établissent les

normes sectorielles à l’échelle des individus et des collectifs. La compréhension des

mécanismes en jeu se trouvent renforcée par un tel dialogue.

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