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Frédéric BERTRAND
Chercheur associé au Laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation et de la communication
(LISEC) – UNISTRA Strasbourg
frederic_bertrand@live.fr
Résumé :
Cet article discute la théorie des référentiels à la lumière des sciences cognitives. Nous situons cette
discussion dans le cadre des débats sur la naturalisation des sciences sociales. Nous expliquons
pourquoi la théorie du référentiel peut prétendre se passer du recours aux sciences cognitives et
comment la philosophie de l’esprit denettienne légitime cet « usage faible » de la cognition. Il
apparaît que les concepts de la psychologie populaire par lesquels nous nous comprenons nous-même
et comprendrons autrui peuvent servir de point de jonction interdisciplinaire. De là nous indiquons
comment les neurosciences et la théorie des référentiels pourraient chacune contribuer à une théorie
normative de l’action.
Abstract :
The paper discusses the frame of reference theory from the cognitive science. We fit this discussion in
the context of the debates on the naturalization of social sciences. We explain why the frame of
reference theory can claim to ignore cognitive science and how the Dennett’s philosophy of mind
legitimizes this "low use" of cognition. It appears that the concepts of folk psychology by which we
understand ourselves and understand others allow interdisciplinarty. Thence we show how
neuroscience and the frame of reference theory could contributes both to a normative theory of action.
1. Introduction
La sociologie cognitive des politiques publiques a connu un fort essor international (Sabatier
& Schlager, 2000 : 209-234) et particulièrement marqué en France depuis les années 1980.
déterminée (l’emploi, la formation, le transport…), en axant son analyse sur les processus
Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
cognitifs qui interviennent aux différentes étapes et aux différents niveaux des politiques
aux sciences cognitives est une question épistémologique par définition centrale dans ce type
d’approche. Force est de constater, pour autant, que les théories qui relèvent de cette approche
font un usage faible de la cognition (Sperber, 1997) au sens où, à de rares exceptions près,
elles intègrent peu ou pas les apports des sciences cognitives (Gouin & Harguindéguy, 2007).
sociologie, les explications de cet état de fait. Dans ces débats, les sciences cognitives
apparaissent en effet souvent sous la plume des sociologues, comme le cheval de Troie d’un
qui pour certain revient au même -, l’intégrerait dans les sciences naturelles en particulier la
font valoir une conception pluraliste de la science qui fonde la spécificité de leurs objets et de
leurs méthodes. Les échanges dans cette même revue entre Kaufmann et Cordonier (2011),
Ogien (2011) ou Quéré (2011) illustrent bien les termes, et les enjeux de ce débat : les
dialogue interdisciplinaire en rendant compatibles les hypothèses et les résultats des sciences
sociales avec ceux des sciences naturelles ; les seconds affirment au contraire que les
conditions ne sont pas réunies pour un tel dialogue puisque ni les sciences cognitives ni la
sociologie ne savent rendre compte précisément de l’articulation entre le niveau des processus
cérébraux et celui des actions humaines effectivement observées (Ogien, 2011 : 44). Partant
de là, la sociologie des politiques publiques aurait, face aux sciences cognitives le choix entre
Nous souhaitons montrer ici que tel n’est pas le cas, que la sociologie des politiques publiques
et les sciences cognitives peuvent s’engager dans un tel dialogue, pour autant que celui-ci
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
repose sur une épistémologie acceptable à la fois pour les naturalistes et les défenseurs d’un
pluralisme scientifique. Nous proposons donc de faire dialoguer deux théories importantes
dans leur champ et soutenant des options épistémologiques divergentes. La première est la
théorie des référentiels développée en particulier par Pierre Muller, elle relève de la sociologie
cognitive des politiques publiques. Elle défend une lecture socio-historique de l’action
publique centrée sur les normes et les valeurs des acteurs. Elle repose sur un modèle
connaissance scientifique du réel n’est possible autrement que par la connaissance de la nature
et de ses lois. Ce programme a comme incidence que nos représentations conscientes, ou nos
idées ne peuvent faire l’objet d’un énoncé scientifique qu’à la condition d’être elles-mêmes
expliquées par les lois de la nature. Nous choisissons de faire dialoguer ces deux théories et
non les deux disciplines dont elles relèvent d’un point de vue académique, car le retour aux
textes nous parait être une condition pour organiser un dialogue sur une base objectivée ;
qu’on ne peut traiter les sciences cognitives comme une discipline unifiée ; et qu’à cette
échelle les enjeux institutionnels, qui prennent parfois le pas sur l’analyse rationnelle, sont
relégués à l’arrière-plan.
Sur un plan méthodologique, le dialogue entre ces deux théories va respecter deux principes
fondamentaux :
1) Les théories en discussion sont réputées cohérentes au sens où elles reposent sur un
dispositif conceptuel suffisant pour justifier les propositions qu’elles avancent (Lehrer,
1990)
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
Le respect du premier principe prémuni des formes de réductionnisme qui renvoient à une
peut prétendre se passer du recourt aux sciences cognitives. La deuxième section expose la
qu’elle porte à plein contre la théorie de Muller sans pour autant la disqualifier. En effet, la
théorie de l’esprit dennettienne relève d’un réalisme doux qui reconnait une pleine légitimé
aux concepts de la psychologie populaire. Les concepts par lesquels nous nous comprenons
dernière section indique sur l’exemple précis du jugement moral comment les neurosciences
et la théorie des référentiels pourraient chacune contribuer à une théorie normative de l’action.
Les approches cognitives de l’action publique convergent vers une sociologie de l’action
Dans ce cadre théorique, le concept de référentiel, avancé par Jobert et Muller a joué un rôle
décisif pour définir cette articulation global / sectoriel (Muller, 1995). Rappelons qu’un
référentiel est défini par quatre éléments, des valeurs, des normes, des algorithmes et des
images (Muller, 2000 : 62-64). Les valeurs définissent le cadre global de l'action publique à
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
partir d'une représentation socialement partagée de ce qui est bien ou mal. Les normes
s'édictent dans ce cadre pour conduire l'action en fonction d'objectifs souhaitables. Les
algorithmes renvoient à une théorie de l'action à travers laquelle les acteurs conçoivent
l'efficience de leurs décisions. L'algorithme formalise le schéma cognitif des acteurs engagés
dans une résolution de problème collectif, et peut s'énoncer sous cette forme : « si nous
prenons telle décision alors telle conséquence en résultera » (Muller, 2000 : 64). Les images,
que l’on peut rapprocher des idées reçues « font sens immédiatement sans passer par un long
Sur un plan méthodologique, la manière dont l’analyste du politique doit procéder pour
formaliser et analyser un référentiel a été présentée par Muller sans sa thèse. Il indique que
l’analyste doit commencer par compulser la documentation existante, réaliser une revue de la
littérature grise et professionnelle afin d’établir un état de l’art du champ considéré puis
compléter son recueil d’information par des entretiens avec des acteurs clés du champ
(Muller, 1990 : 94). C’est ainsi sur la base d’une analyse compréhensive des textes écrits ou
formulation des problèmes qui structurent le champ, ainsi que les images, les normes, les
valeurs, les algorithmes qui composent le référentiel des acteurs. L’analyse cognitive des
politiques publiques procède par une démarche inductive qui permet de reconstituer le
référentiel des acteurs sur la base des traces, indices et autres signes verbaux ou écrits de ce
que croient, désirent, espèrent ces derniers. Mais comment se constituent les référentiels ?
Muller donne du référentiel sectoriel la définition suivante : « le référentiel sectoriel est une
les frontières du secteur » (Muller, 2000 : 68). Précisons qu’un secteur est constitué d’un
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
organiser l’intervention des acteurs en vue de traiter les problématiques (Muller, 2005 : 180).
positionnement ou de leur légitimité à agir. Mais quel lien est-il supposé exister entre, d’une
part, la représentation que les acteurs ont d’eux mêmes et de leur secteur d’intervention et,
d’autre part, le secteur lui-même ? Muller considère qu’il y a entre le secteur d’intervention et
institutionnelle du secteur détermine les cadres cognitifs et normatifs des acteurs qui
interviennent sur elle en retour par leurs actions (Muller, 2000 : 199). Le néo-
institutionnalisme avec lequel Muller entretient une certaine proximité (Muller, 2000 : 195-
196 ; Muller, 2005 : 166) sur cette question, rend compte de ce type de processus circulaire.
En 2005, Pierre Muller a précisé la théorie du changement qui sous-tend ses analyses dans un
ont d’abord pour objet de mettre en évidence les contraintes que les institutions font peser sur
les acteurs, notamment à travers l’existence de cadres cognitifs et normatifs. Pour autant la
question du changement n’y est pas négligée (…) toutes conduisent à s’interroger sur les
mécanismes à travers lesquels les acteurs contribuent à construire les institutions en même
temps qu’ils sont contraints par ces mêmes institutions. » (Muller, 2005 : 167). C’est dans la
secteur avec son périmètre et sa structure institutionnelle ainsi que la représentation des
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
acteurs. Il apparait à partir du texte de 2005 que le changement est scandé par trois moments,
sont constitutifs d’une sociohistoire des institutions qui émergent et évoluent dans le temps,
mais ils sont également constitutifs d’une histoire des représentations qui évoluent au fur et à
du processus d’institutionnalisation
possibilité logique de l’étude historique des institutions au sens où elle rend disponible les
processus. Dans cette optique il est juste de dire que le secteur et la représentation
secteur et de la représentation est structurellement le même. Cependant, par elle seule cette
structure temporelle ne suffit pas à expliquer que le secteur et la représentation soient des
phénomènes relevant bien d’un même principe génétique et non pas simplement des
phénomènes corrélés l’un à l’autre dans le temps. La question, en effet, reste entière de savoir
Est-ce que la logique de sectorisation sociale est analogue à la logique de constitution des
représentations ? Si oui, est-ce que l’analogie est un dispositif théorique convaincant pour
penser le lien entre l’esprit qui se représente et la société, et si non, quelle est la nature de ce
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
lien et quel est son fondement empirique ? Ces questions sont classiques en philosophie et en
interrogent la nature du lien entre l’esprit qui se représente et le monde qui est représenté. Ces
questions ont entre autres occupé Searle, qui s’est interrogé sur l’ontologie des faits
institutionnels, elles l’ont conduit à discuter la théorie classique de la vérité définie comme
de la correspondance n’est pas abordée explicitement par Muller qui ne s’engage pas dans une
publiques fait le constat, de façon pragmatique et sur la base d’une connaissance experte d’un
certain nombre de secteurs notamment celui de l’agriculture, qu’il existe effectivement un lien
entre l’histoire institutionnelle des secteurs et les représentations qu’en ont les acteurs. Et
c’est pourquoi le référentiel sectoriel est présenté comme le double produit de la sectorisation
sociale et de la stratégie de l’acteur (Muller, 2000 : 172), mais nulle part est explicité ce qui
Le fait que Muller fasse l’économie d’une réflexion ontologique sur la correspondance peut
être expliqué théoriquement dès lors que l’on est attentif au fait que le référentiel est définit
comme « une opération de mise en sens du monde » (Muller, 2000 : 195 ; Faure & Alii,
1995). La manière dont la notion de référentiel articule la question du sens permet en effet de
régler la question de la correspondance sans qu’il ait été nécessaire d’en faire un problème
théorique. La raison en est simple, en affirmant que l’acteur trouve un sens à son action, on
répond par l’affirmative à la question de savoir s’il existe un lien entre le secteur et la
son action serait condamnée à rester insensée. Autrement dit si les représentions de l’acteur
sont sensés, il peut sembler légitime de conclure que ces représentations correspondent
une recherche empirique, engage un travail de reconstitution du référentiel sectoriel qui atteste
que les parties prenantes de l’action publique sont engagées dans une opération de mise en
que l’acteur trouve un sens à son action, elle le constate empiriquement et cela rend le détour
apparaitre que la question du sens, parce qu’elle rend inutile le détour par la question
théorie du Muller et les sciences cognitives. Sous un angle théorique, premièrement, il faut
noter que la question du sens assure la cohérence de la notion de référentiel définie dans sa
double dimension globale et sectorielle. Au niveau global les acteurs se confrontent sur la
question des normes, des valeurs, des algorithmes ou de l’image des groupes sociaux, l’enjeu
principal de ces confrontations est d’instituer le sens de ces différents éléments dans une
sectorielle, il offre aux acteurs sectoriels les ressources argumentatives et discursives pour
formaliser et prendre en charge leurs problèmes spécifiques. S’il est possible comme le
déclare Muller d’anticiper l’évolution des politiques publiques sans connaître précisément
leur détail à un niveau sectoriel (Muller, 2005 : 169), c’est que l’évolution des représentations
des acteurs à un niveau global, configure l’évolution des représentations des acteurs au
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
l’analyste des politiques publiques est un travail de mise en sens de l’action publique.
L’hypothèse fondamentale sous-jacente à ce travail d’analyse est qu’il est possible de dégager
le sens de l’action publique sectorielle précisément parce qu’elle traduit le référentiel global
en intégrant les contraintes spécifiques de l’action sectorielle, ainsi que les stratégies et les
intérêts propres des acteurs. Finalement l’hypothèse du sens de l’action publique joue une
fonction heuristique dans le travail de l’analyste : elle structure les critères de sélection des
matériaux empiriques – seront retenus les matériaux pertinents pour l’analyse c’est-à-dire
précisément ceux qui font sens ; et elle donne une règle générale d’interprétation de ces
Ainsi la question du sens est centrale d’un point de vue méthodologique et théorique pour
Muller. Mais en rendant inutile une analyse des rapports entre l’esprit, ses représentations et la
société, elle a rendu inutile toutes références aux sciences cognitives et a privé l’analyse
cognitive des politiques publiques, des apports de cette dernière. Mais on pourrait considérer
que prendre en compte les apports des sciences cognitives aurait un coût théorique très élevé
pour la théorie des référentiels dans la mesure où cela conduirait à réinterroger le concept
de Muller qui ressurgit ici. Le détour par Dennett va permettre de discuter cette théorie de
l’esprit.
volonté, la peur…etc., pour décrire ce qu’il ressent en son for intérieur et décrire ce que les
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
autres sont susceptibles de ressentir dans telle ou telle situation (Dennett, 1990 : 9-23). Ces
concepts sont compréhensibles par tous même s’ils sont entourés d’un relatif flou
définitionnel dans leur usage courant. Pour autant, il n’est pas nécessaire d’avoir une maîtrise
conceptuelle de ces objets, car nous les connaissons bien par expérience : chacun a déjà crû
en quelque chose, éprouvé du désir, de la peur etc… En quelque sorte, l’expérience intime de
nos états intérieurs vaut connaissance des concepts qui dénotent ces états. Par ailleurs, on
attribue à cette connaissance une valeur de vérité indéniable précisément parce qu’elle renvoie
à ce dont nous avons une expérience intime et immédiate, et comme telle cette connaissance
est supposée soustraite à l’erreur. Dans le langage de la philosophie moderne inaugurée par
Descartes, cette vérité est première parce que fondée dans l’expérience consciente que le sujet
n’atteint jamais une connaissance assurée de lui-même par simple introspection puisque la
conscience elle-même est structurée d’une manière spécifique et que cette structuration
nous-mêmes lorsque nous désirons, avons peur ou croyons quelque chose ? La psychologie
populaire apporte une réponse à cette question. Elle consiste à dire que les concepts utilisés
communément comme la peur ou la croyance, se répondent les uns les autres de façon
Toutefois cette structure est implicite, tout un chacun la connaît sans être capable de la
formuler clairement (Dennett, 1990 : 65 ; Fisette & Poirier, 2000). Néanmoins il fait peu de
doute pour Dennett que la psychologie populaire pourrait être axiomatisée de façon
rigoureuse, à la manière dont Hayes, par exemple, a entrepris d’axiomatiser une partie de la
physique populaire (Dennett, 2008 : 46-47). Une des questions qui se pose concerne la nature
scientifique de cette théorie de l’esprit, qu’elle puisse être axiomatisée n’est pas, en effet, un
critère suffisant de sa scientificité. Sur cette question, les auteurs oscillent entre deux positions
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
remplacée prochainement par les neurosciences (Churchland, 2002 : 117-151 ; Fisette &
Poirier, 2002 : 117-151). D’autres, comme Fodor ou Dretske (Dretske, 2000) adoptent une
attitude réaliste vis-à-vis de la croyance, du désir et autres notions comme celles-ci, et font
appel à la psychologie cognitive pour les étudier comme des entités réellement existantes dans
le cerveau. Dennett, quant à lui, adopte une attitude médiane qu’il qualifie de réalisme doux
(Dennett, 1991 : 159), il refuse de considérer les croyances comme des entités localisables
2005 : 80-94).
dans différents textes, notamment Real patterns et dans le deuxième chapitre de la Stratégie de
l’interprète. Le réalisme doux qu’il propose dans ces textes vient sursoir aux difficultés que
soulève la conception instrumentaliste des croyances qui lui est parfois prêtée (Dennett,
1990 : 93). Dennett prend ses distances vis-à-vis de deux types d’instrumentalisme, celui qui
considère que les propositions formulées par la psychologie populaire de type « x croit que
P », sont fausses mais utiles pour prédire les comportements, et celui pour lequel ces
propositions ont une utilité mais aucune valeur de vérité (Dennett, 1990 : 98). Mais la thèse
instrumentaliste recèle une difficulté importante : comment expliquer le succès répété de nos
prédictions si l’hypothèse de l’existence des croyances et des désirs n’est pas vraie ; et si elle
est vraie comment ne pas en inférer l’existence effective des croyances par-delà l’utilité
qu’elles ont pour le psychologue ordinaire ? En fin de compte, la question est de savoir
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
ontologique des croyances ou des désirs dont elle fait l’hypothèse (Dennett, 1990 : 97). De
philosophe les croyances et les désirs ont une forme d’existence : ils existent comme des
objets abstraits, des abstracta. Le centre de gravité offre un bon exemple d’objet abstrait
(Dennett, 1991 : 157). L’enjeu du réalisme doux est alors de préciser quelle forme de réalité
ont les abstracta : les croyances et les désirs existent-ils objectivement indépendamment de
nous ? Existent-ils seulement pour ceux qui les éprouvent ? La position ontologique de
Dennett concernant les croyances se situe entre le « réalisme de force industrielle » de Fodor,
et « l’irréalisme plus doux que doux » qui conduit Rorty à défendre un perspectivisme selon
lequel la croyance attribuée à autrui est dans l’œil du psychologue ordinaire (Dennett, 1991 :
159). Pour préciser sa position Dennett se sert du concept de régularité (Pattern). Sa position
manifestent objectivement des régularités. Si tel n’était pas le cas on ne pourrait expliquer
comment il est possible de prédire les comportements d’autrui, et ces derniers nous
donne de l’aléatoire, Dennett énonce qu’une série n’est pas aléatoire et manifeste donc une
forme de régularité si parmi les multiples façons de décrire cette série, il en existe une qui
contienne moins d’information que la série elle-même (Dennett, 1991 : 162-166) ; 2) les
notions de croyance ou de désir renvoient à des fictions utiles pour expliquer les régularités
des comportements, et offrent ainsi des outils indispensables aux psychologues ordinaires
pour prédire les comportements d’autrui. Pour autant selon Dennett rien n’existe dans le
cerveau semblable aux croyances ou aux désirs (Dennett, 1990 : 56) ; 3) les comportements
sont frappés d’une certaine indétermination au sens où des comportements identiques peuvent
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
prévisions divergentes potentiellement erronées (Dennett, 1990 : 59 ; Dennett, 1991 : 185-
188). Malgré tout, attribuer à autrui des croyances ou des désirs reste globalement une
Nous retiendrons du réalisme doux dennettien ce point important : les croyances et les désirs
sont des concepts utiles mais qui ne renvoient par eux-mêmes à rien de déterminé dans l’esprit
d’autrui. Ce point est important car il explique pourquoi la psychologie populaire ne peut
nom d’une psychologie scientifique. C’est là quelque chose de remarquable : bien que la
psychologie populaire soit non scientifique, le réalisme doux de Dennett lui reconnait une
forme de légitimité. Cette légitimité est établie sur le double critère de l’utilité des concepts
d’autrui. Le périmètre d’une telle légitimité est celui de la vie quotidienne puisque c’est dans
ce cadre que tout un chacun doit prendre des décisions de façon consciente ou non, et agir en
tenant compte de l’action d’autrui. La légitimité des concepts de la psychologie populaire peut
être qualifiée de pratique pour cette double raison que la psychologie populaire vaut du point
de vue d’un individu engagé dans l’action – le psychologue ordinaire cherche à prédire le
comportement d’autrui pour agir de façon appropriée -, et qu’elle porte sur des individus eux-
mêmes engagés dans l’action et dont il s’agit d’anticiper le comportement. Si l’on met de côté
la perspective de l’action pour celle de la réflexion et de l’analyse, et que l’on aborde les
concepts de la psychologie populaire d’un strict point de vue scientifique, ceux-ci paraissent
bien limités et approximatifs, naïfs pour reprendre l’expression consacrée. Mais le réalisme
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
doux de Dennett permet d’articuler le point de vue scientifique avec celui éminemment
pratique de la vie quotidienne et d’aménager une légitimité propre à chacun de ces points de
vue. Le chapitre III de la Stratégie de l’interprète, est particulièrement clair à cet égard,
Dennett y explique à quelles conditions la psychologie populaire peut être intégrée ou réduite
dans une science (Dennett, 1990 : 66). Dans ce chapitre le philosophe discute l’articulation de
sorte de behaviorisme logique (Dennett, 1990 : 80), elle traite de la manière dont les
d’autres facteurs. C’est une théorie normative, proche de la théorie des jeux et de la décision,
qui rend compte de façon générale du comportement des agents rationnels. La psychologie
subpersonnelle quant à elle doit expliquer sur un plan neuro-physiologique comment les
systèmes intentionnels peut être efficace tout en laissant de côté la question de savoir ce qui se
passe réellement dans la tête des individus, la psychologie subpersonnelle, au contraire, entre
dans la boîte noire. Les distinctions opérées par Dennett éclairent également la
complémentarité des deux théories psychologiques. Il précise par ailleurs que les progrès de la
psychologie subpersonnelle contribueront à brouiller les frontières entre les deux théories
psychologiques (Dennett, 1990 : 87). Ces deux théories entretiennent un rapport profond avec
appelle des croyances et des désirs, même si elles proposent de réélaborer analytiquement ces
concepts (Dennett, 1990 : 80). Dennett affirme également que la partie de la psychologie
populaire « qui vaut la peine qu’on s’en occupe » peut être réduite à la théorie des systèmes
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
physiologiques avec les interprétations que tout un chacun réalise des systèmes intentionnels
(Dennett, 1990 : 93). Finalement l’exercice de réduction des théories psychologiques montre
bien que la psychologie populaire a une légitimité même si elle n’est pas scientifique au sens
naturaliste du terme : elle correspond à ce fait massif que nous sommes des êtres qui nous
ce fait.
La théorie des référentiels de Muller comme la théorie de l’esprit de Dennett ont donc en
commun de s’intéresser aux croyances qui contribuent à expliquer l’action. Muller s’intéresse à
certains croyances particulières – relativement à des normes, des valeurs etc… -, portées par les
parties prenantes des politiques publiques - acteurs et bénéficiaires des politiques publiques -, et
permettent d’expliquer pourquoi ces derniers ont agi comme ils l’ont fait. Il serait possible de
formuler une critique de la théorie des référentiels en s’appuyant sur les analyses que Dennett
propose du concept de croyance, qu’il estime être un concept naïf sans contenu scientifique,
l’on pourrait objecter à Dennett que même si elles parviennent à identifier les processus
subpersonnels corrélés avec les représentations et les états de conscience décrits dans le
langage de la psychologie populaire, les neurosciences seront de peu d’utilité pour aider les
parties prenantes des politiques publiques, à justifier leurs décisions et actions. Mais l’on peut
aussi considérer que la théorie des référentiels et les neurosciences peuvent contribuer à éclairer
nombreux travaux en neurosciences s’attachent à discuter sous l’angle qui est le leur, de la
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
théorie politique entendue en un sens large (Connolly, 2002 ; Vander Valk, 2012), du
comportement politique (Somit & Peterson, 2011), de l’analyse du raisonnement des militants
(Westen & Alii, 2006), des théories du choix rationnel ou du choix social (Berthoz, 2002 ;
Dolan & Sharot, 2011). Force est de reconnaitre en revanche que les travaux indiquant ce que
La question du jugement moral, pièce importante d’une théorie normative de l’action, est un
des sujets autour duquel peut se nouer le dialogue entre le sociologue et le neuroscientifique. Le
jugement moral renvoie à deux choses, aux critères du juste ou du bien sur lesquels s’appuie
une décision relative à l’action, et à la procédure rationnelle qui aboutira à la décision. Nous
retrouvons ici les deux niveaux d’analyse des théories morales modernes entendues comme
théorie normative de l’action (Conto-Sperber & Ogien, 2004 :15). Ces dernières entreprennent
de répondre par exemple à des questions du type « qu’elle est la meilleure action à mener dans
telle situation ? », « qu’est-ce qu’une action juste ? » ou « quelles raisons peuvent justifier une
décision d’action ? ». Muller renvoie implicitement à une telle théorie morale lorsqu’il analyse
le tournant néo-libéral du référentiel global engagé dans les années 1980 et les principes
utilitaristes qui se diffusent dans l’action publique à travers le nouveau management public, par
exemple. L’utilitarisme, version la plus connue du conséquentialisme, est une des théories
morales les plus discutées aujourd’hui à côté du déontologisme et de l’éthique des vertus. Cet
usage implicite de la théorie morale comme théorie normative de l’action est induite par la
psychologie ordinaire elle-même, qui repose sur une conception « naïve » et instrumentale de la
rationalité. Si l’on peut accorder que la sociologie cognitive des politiques publiques rencontre
la théorie morale – même de manière non thématisée - lorsqu’elle traite des normes de l’action,
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
Les travaux précurseurs que Joshua Greene, a conduit à partir du début des années 2000 pour
mettre en évidence les bases neuronales du jugement moral, montre l’intérêt de l’approche
neuroscientifique sur ces questions – ils montrent aussi, nous le verrons, ses limites. Joshua
Greene a mis en évidence à l’aide des techniques d’imagerie cérébrale par résonnance
magnétique fonctionnelle, les régions cérébrales activées lorsque des individus réfléchissent à
des dilemmes moraux et se prononce sur ce qu’il convient de faire. Joshua Greene accorde une
importance particulière à un dilemme célèbre, celui du tramway, qui nous permet d’illustrer
l’argumentation du scientifique (Greene & Ali., 2001 ; Greene & Alii, 2009 ; Paxton & Greene,
tramway met en scène un personnage réalisant que cinq ouvriers ferroviaires vont se faire
écraser par un tramway, à moins qu’il n’actionne le levier d’aiguillage qui conduira le tramway
sur une autre voie ou un seul ouvrier travaille. Le dilemme est de savoir si sauver cinq
individus autorise d’un point de vue moral à en sacrifier un. Généralement 85% des personnes
interrogées considèrent que ce sacrifice peut être justifié (Hauser & alii, 2007 : 8-13). Le
scénario du dilemme connait une variante où le moyen de sauver les cinq ouvriers ferroviaires
est de pousser un homme sur la voie. Dans les deux scénarios le résultat est le même une
personne sacrifiée et cinq vies sauvées, mais ici seules 22% des personnes interrogées
considèrent que le témoin a raison de faire ce sacrifice. Comment expliquer une telle
différence, alors qu’il est souvent difficile pour les personnes interrogées de justifier
clairement leur choix ? Dans l’expérimentation de Greene les deux scénarios étaient présentés
aux personnes qui devaient se prononcer sur celui qui leur paraissait le plus moral, le temps mis
pour répondre a été chronométré. L’objectif des expériences de Greene n’était pas de
comprendre ce qui se passe en général dans le cerveau lorsque les individus réfléchissent à ce
qu’il convient de faire dans de telles situations, mais de tester l’hypothèse que l’émotion
influence le jugement moral. Selon cette hypothèse les décisions qui impliquent les personnes –
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
dans le cadre des dilemmes, celle de pousser l’individu sur les voies, plutôt que d’actionner le
levier -, engendrent également le plus d’émotion. Ces décisions à forte charge émotionnelle
conduisent également à une délibération plus longue, la décision semble de ce point de vue plus
difficile à prendre. Or les hypothèses de Greene ont été validées à la fois par les tests portants
sur les temps de réponse en fonction des scénarios choisis par les personnes ainsi que les
résultats de l’imagerie cérébrale qui démontrent que lorsque celles-ci envisagent l’option de
pousser l’homme sur les voies, ce sont les régions du cerveau liées à l’émotion qui s’activent.
D’autres travaux du même type ont corroboré ces résultats (Nadelhoffer & Feltz, 2008). D’une
certaine façon ces résultats ne sont pas surprenants, au IV ème siècle avant notre ère Platon faisait
déjà l’hypothèse que l’émotion joue un rôle fondamental dans l’appropriation et la diffusion
des normes dans la société- si l’on veut bien traduire ainsi le thumós platonicien -, mais ces
L’intérêt de travaux comme ceux de Greene pour la sociologie politique est manifeste tant d’un
point de vue méthodologique que du point de vue des questions normatives qu’ils soulèvent.
Sous un angle méthodologique, ils permettent de faire des régions fonctionnelles du cerveau et
des fonctions cognitives auxquelles elles correspondent, des macros variables explicatives dont
la valeur dépend pour l’essentiel du niveau d’activation de ces régions. Ainsi une décision, une
action, voire une intention, peuvent être expliquées en faisant intervenir des variables comme le
difficile de contrôler par les méthodologies classiques des sciences sociales. Ces approches
permettent ainsi de tester pour les confirmer ou les infirmer ce qui dans bien des cas resterait
des hypothèses théoriques concernant la dimension cognitive de l’action. Par ailleurs les
résultats qu’elles produisent, s’ils ne font parfois que confirmer des théories anciennes, ont le
mérite de donner aux chercheurs de nouveaux arguments pour sélectionner parmi des théories
concurrentes dès lors que celles-ci sont également pertinentes d’un point de vue conceptuel.
19
Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
Elles donnent également les moyens de falsifier des théories et de réviser le bien fondé de leurs
hypothèses. A cet égard on peut noter par exemple que la question de l’émotion est
normative de l’action qui est proposée par Muller compte tenu de l’influence importante que
l’émotion joue manifestement dans le jugement moral et les décisions d’action. Et avec la
interactions entre les parties prenantes des politiques publiques que les travaux comme ceux de
Greene nous invitent à reconsidérer. Remarquons que certains politistes et sociologues prennent
déjà en considération les résultats des neurosciences pour assouplir les hypothèses de la théorie
du choix rationnel (Elster, 2010) ou de façon plus radicale pour montrer que l’émotion est une
d’émotion n’intervient pas comme telle dans la théorie des référentiels, on peut noter cependant
que les conflits identitaires y jouent en revanche un rôle important et qu’ils offriraient une clé
d’entrée peut-être privilégiée pour étudier les décisions d’action à forte charge émotionnelle.
Muller aborde la question des conflits identitaires pour expliquer la genèse du référentiel
sectoriel. En effet ce dernier se caractérise par « une composante identitaire extrêmement forte,
dans la mesure où il fonde la vision qu’un groupe se donne de sa place et de son rôle dans la
société » (Muller 1990 : 69-70 ; Muller 2005 : 164, 174). Et selon Muller un référentiel
sectoriel s’impose au secteur et à la société après que différents groupes porteurs d’une identité
sectorielle particulière aient confronté leur vision du monde, leur lecture du secteur, de ses
enjeux, de ce qu’il doit devenir etc… Les neurosciences pourraient-elles en ce sens contribuer à
Nous l’avons dit, les neurosciences pour autant qu’elles contribuent à une recherche
pluridisciplinaire concernant une théorie normative de l’action, peuvent elles aussi s’interroger
20
Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
sur la contribution propre de la théorie des référentiels. Que cette dernière soit sur le périmètre
restreint des parties prenantes des politiques publiques alors que les neurosciences peuvent
porter sur la cognition de façon générale ne constitue pas un argument contre une approche
interdisciplinaire. Au contraire on peut considérer que les individus pris en général sont aussi
des parties prenantes ou des bénéficiaires d’une ou plusieurs politiques publiques et qu’à ce
titre la théorie normative de l’action à laquelle contribuent les sciences cognitives gagnerait à
être affinée à un niveau sectoriel. Par exemple, la thèse générale selon laquelle l’émotion
influence le jugement moral et les décisions relatives à l’action, reste-t-elle vraie pour des
professionnels du soin qui ont été formés spécifiquement à la prise de décision en situation à
forte charge émotionnelle ? Un des enjeux des politiques publiques du soin est précisément
dangereuses pour les clients finaux, il s’agit pour le secteur de mettre en place des formations
adaptées, de créer des institutions de contrôle, d’impulser des programmes qualité dans les
établissements recevant les publics, etc…. La théorie des référentiels propose une analyse de la
sectorisation des référentiels globaux qui montre que les cadres normatifs et cognitifs sectoriels
sont l’œuvre d’institutions mises en place pour traduire des cadres normatifs globaux à
l’échelle d’un secteur, afin de répondre à des enjeux sectoriels spécifiques. Les neurosciences
pourront ainsi trouver du côté de la sociologie cognitive des politiques publiques une théorie de
institutionnaliste de l’effet des institutions sur les cadres normatifs et cognitifs. Les
neurosciences seraient ainsi en mesure d’étudier des dilemmes d’un nouveau genre pour tester
l’effet des politiques publiques sur les décisions d’action de ses parties prenantes.
Mais la théorie des référentiels présente un deuxième intérêt fort pour une recherche
interdisciplinaire car elle donne des arguments pour discuter le naturalisme sous l’angle duquel
les neurosciences présentent parfois leurs analyses sur les jugements moraux. Les travaux de
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
Joshua Greene (2003 ; 2004) offrent également un bon exemple de la tentation naturaliste qui
saisit parfois les neuroscientifiques au moment d’interpréter leurs résultats et qui les conduit à
considérer le cerveau comme l’organon des principes moraux eux-mêmes. Pour Greene en
effet, la décision d’action ne relève pas d’une délibération librement conduite mais est
«câblée » (Wired up) (2003 : 849) dans le cerveau et c’est la raison pour laquelle les individus
exprimeraient des réponses congruentes aux dilemmes moraux. Dans cette perspective
bonnes décisions sont celles qui activent les parties les plus récentes du cerveau à l’échelle de
son ontogenèse à savoir les lobes frontaux qui sont le siège des fonctions cognitives de haut
niveau. A l’inverse les régions du cerveau activées lorsque l’émotion entre en ligne de compte,
sont des régions archaïques du cerveau. En conséquence Greene considère que les théories qui
expliquent les décisions morales comme résultant d’un processus rationnel, - en l’occurrence
le perfectionnisme moral et l’utilitarisme -, sont des théories plus correctes que les autres. Il
faut remarquer que si Joshua Greene produit des arguments originaux pour défendre
l’utilitarisme contre d’autres théories morales, il ne renouvelle pas en revanche les termes
classique des théories normatives discutées par l’éthique depuis le début du XXème siècle, ni a
fortiori ne répond aux critiques qui ont été adressées à l’utilitarisme. De ce fait même défendu
par certains neuroscientifiques l’utilitarisme reste une théorie morale tout à fait discutable, et ne
peut apparaît comme l’horizon normatif des neurosciences en tant que telles. Plusieurs
arguments dont certains étayés sur des résultats neuroscientifiques contradictoires avec ceux de
Greene, ont démontré qu’il existe de bonnes raisons de recourir à des théories morales non
utilitaristes (Baertschi, 2011 ; Hauser & Ali., 2007). Et à l’encontre de la tentation naturaliste de
réduire l’histoire de l’homme à celle de son cerveau, des neuroscientifiques ont mis en
évidence le rôle que jouent l’environnement et l’apprentissage dans la formation des circuits de
neurones (Schlaug, 2001 ; Gaser & Schlaug, 2003 ; Maguire et Ali. 2000 ; Draganski, 2004).
22
Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
Ces chercheurs démontrent la grande plasticité dont est doué le cerveau qui lui permet de
s’adapter en permanence et dans des temps courts à des contextes d’apprentissage ou à des
situations nouvelles. La question de l’influence des normes sociales sur le comportement est
devenue dans cette perspective une question importante des neurosciences. Il est clair à cet
égard que la théorie des référentiels peut utilement apporter un éclairage sociologique sur cette
question et mettre en lumière dans la perspective néoinstitutionaliste qui est la sienne, les
conditions et les mécanismes à travers lesquels une norme sociale s’impose à une échelle
globale et se sectorise.
7. Conclusion
Nous avons essayé de montrer par quelle voie la sociologie cognitive des politiques publiques
et les sciences cognitives peuvent entamer un dialogue constructif, que nous commencé de
mener sur le champ d’une théorie normative de l’action. Nous avons reconstruit le cadre
analytique de la théorie des référentiels pour identifier les raisons pour lesquelles celle-ci a fait
l’économie d’un détour par les sciences cognitives. Il nous est apparu que si des raisons
science » qu’à la théorie de l’esprit qui sous-tend l’analyse de Muller. Le détour par Dennett,
nous a permis de rappeler comment la philosophie de l’esprit traite pour son compte la question
délaissée par Muller, de la vérité de nos représentations ou de nos croyances relatives à autrui.
doux autorise le dialogue entre les sciences cognitives et la sociologie cognitive des politiques
publiques. Les concepts de la psychologie populaire par lesquels nous nous comprenons nous-
prenant appui sur les travaux des neurosciences concernant le jugement moral nous avons
indiqué que les neurosciences et la théorie des référentiels pouvaient également contribuer à
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Réévaluer l’apport des neurosciences à la théorie des référentiels
une théorie normative de l’action. Les neurosciences peuvent apporter des éléments utiles pour
explique quant à elle, sous le prisme de l’action publique, pourquoi et comment s’établissent les
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