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N° d’enregistrement pour SociologieS : DEC 19-4

Frédéric BERTRAND
Chercheur associé au LISEC - Université de Strasbourg
frederic_bertrand@live.fr

Résumé
Le non-recours aux droits-sociaux affecte l’efficacité des politiques sociales et l’équité des systèmes
socio-fiscaux de redistribution. A l’heure où se préparent des réformes des politiques sociales qui portent
l’ambition de traiter la problématique du non-recours, cet article invite à prendre en considération la
dimension proprement politique du phénomène. La théorie politique néo-républicaine de Philip Pettit
sert ici de fil conducteur à une relecture des travaux de Philippe Warin sur le non-recours par non-
demande. Elle permet de jeter un regard critique sur les théories socio-économiques et socio-politiques
qui prévalent actuellement sur le sujet. L’apport de cette relecture est manifeste à plusieurs niveaux. Elle
invite, en premier lieu, à revisiter les catégories de non-recours par désintérêt et par conflit de valeur, et
enrichit le cadre d’analyse en prenant en compte au même niveau que les phénomènes de non-recours,
des phénomènes de recours par déférence stratégique. Plus fondamentalement, cette relecture inscrit
l’analyse du non-recours dans l’histoire de la socialité moderne et de la conceptualisation républicaine
de la liberté comme non domination. Par ailleurs, cet exercice d’application du néo-républicanisme à la
question du non-recours, met l’auteur sur la voie d’une théorie néo-républicaine de la justice et du droit
en mesure d’offrir un cadre général d’analyse critique des politiques sociales.
Mots clés : Républicanisme ; non-recours aux droits sociaux ; philosophie sociale ; théorie de la justice
Neo-republican reading of Non take-up of social rights

Non take-up of social rights affects the effectiveness of social policies and the equity of socio-fiscal
redistribution systems. While the forthcoming social policy reforms aim in France to solve the problem
of non-recourse, this article highlights the political dimension of the phenomenon. Philip Pettit's neo-
republican political theory serves as a guideline for a review of Philippe Warin's work on non take-up
by non-demand. It provides a critical look at the socio-economic and socio-political theories that
currently prevail on the subject. The contribution of this work is manifest on several levels. It allows,
first, to redefine the categories of non take-up by disinterest and value conflict, and enriches the
analytical framework by taking into account phenomena of take-up by strategic deference at the same
level as the phenomena of non take-up. More fundamentally, this work places the analysis of non take-
up in both the history of modern sociality and the republican conceptualization of freedom as non-
domination. Moreover, this exercise in applying neo-republicanism to the question of non take-up
directs the author towards a neo-republican theory of justice and law able to offer a general framework
for critical analysis of social policies.

Keywords : Republicanism ; non-take-up of social rights ; social philosophy ; theory of justice

Lectura neo-republicana de la no utilización de los derechos sociales

La no utilización de los derechos sociales afecta la efectividad de las políticas sociales y la equidad de
los sistemas de redistribución socio-fiscal. En un momento en que se están preparando reformas de
política social en Francia para reducir la no utilización de los derechos, este artículo considera la
dimensión estrictamente política del fenómeno. La teoría política neo-republicana de Philip Pettit sirve
aquí como un hilo conductor en una relectura del trabajo de Philippe Warin sobre la no utilización de
los derechos por no demanda. Permite discutir las teorías socioeconómicas y sociopolíticas que
prevalecen actualmente sobre el tema. La contribución de esta relectura es evidente en varios niveles.
Invita, en primer lugar, a revisar las categorías de no utilización por desinterés y por conflicto de valores,
y enriquece el marco de análisis considerando los fenómenos de recurso por deferencia estratégica. Más
fundamentalmente, esta relectura considera la no utilización de derechos en conexión con la historia de

1
la socialidad moderna y la conceptualización republicana de la libertad como no dominación. Además,
este ejercicio de aplicación del neo-republicanismo a la cuestión del no uso de los derechos sienta las
bases para una teoría neo-republicana de la justicia y el derecho que ofrece un marco para el análisis
crítico de las políticas sociales.

Palabras claves : Republicanismo ; no utilización de los derechos sociales ; filosofia social ; teoría de
la justicia

Lecture néo-républicaine du non-recours aux droits sociaux 1


Le non-recours aux droits-sociaux est un phénomène massif et largement répandu à l’échelle
internationale2. S’il reste encore difficile à appréhender précisément d’un point de vue quantitatif pour
des raisons techniques et méthodologiques, nul ne doute plus qu’il affecte l’efficacité des politiques
sociales et l’équité des systèmes socio-fiscaux de redistribution. L’enjeu est bien repéré et pris en
charge : des explications du phénomène ont été apportées ces trente dernières années ; ses causes
paraissent entendues ; des propositions ont été faites pour lutter contre le non-recours ; nombre de
maîtres d’œuvre des politiques sociales sont aujourd’hui sensibilisés voire intègrent des mesures
préventives ou correctives. Plus encore, le principe d’un versement automatique des prestations qui
s’affirme en France à la faveur des débats autour du revenu universel ou de la réforme des minima
sociaux, pourrait même laisser penser que le problème est en voie de résolution. Une note du conseil
d’analyse économique préconise en ce sens, pour mettre fin au non-recours, de créer un formulaire de
déclaration unique valant demande de droit auprès de tous les organismes sociaux, et de mettre en place
un versement automatisé sur la base des données de la Déclaration Sociale Nominative (DSN) (Bargain
& Ali, 2017). Et de fait, un examen des causes de non-recours indique que dans une large majorité de
cas le non-recours est dû à une mauvaise information3 sur le dispositif (Bourguignon, 2011), ou bien
que les personnes éligibles ne le connaissent pas, ou bien qu’elles le connaissent mal et croient à tort
être inéligibles. A l’inverse il a été montré que les mesures entreprises pour apporter une information
ciblée aux personnes potentiellement éligibles, réduisent significativement le non-recours (Castell,
Perron-Bailly, 2018). Tout porte à croire donc que le versement automatique des prestations serait une
solution efficace pour lutter contre le non-recours (Van Mechelen, Van Der Heyden, 2017). Cela
permettrait en outre de traiter les cas où les personnes renoncent à faire valoir leur droit face à la
complexité de la procédure, et d’autres cas de non-recours dus à un dysfonctionnement des organismes
au moment d’orienter le demandeur, d’instruire la demande ou de délivrer la prestation. Dans ce contexte
consensuel les travaux dissonants de Philippe Warin apparaissent particulièrement suggestifs. Voici plus
de 10 ans que ce spécialiste du non-recours porte une attention particulière à une forme spécifique de
non-recours : le non-recours par non-demande intentionnel. Cette catégorie de non-recours concerne
ceux qui renoncent à une prestation ou à un service, en toute connaissance de cause. Certes, ils sont

1
Nous remercions Philippe Warin de ses commentaires bienveillants sur la première version de ce texte.
2 En Europe le taux moyen de non-recours aux prestations sociales est estimé à 40%* avec une grande variabilité par type de
prestation et de pays, il oscille entre 20 et 40% dans les pays de l’OCDE**. Il a été estimé en France : à 50% pour le RSA en
2011 (toute composante confondue) touchant 1,3 millions de personnes ; entre 57 et 70% pour l’aide complémentaire à la
santé ; entre 21 et 34% pour la couverture Universelle Complémentaire***. Le montant des non-versements auraient avoisinés
quant à eux les 4 milliards d’euros par an pour le RSA (2011), et 4,7 milliards pour les prestations familiales et de logement
(PFL) versées par les CAF (2002)****. Les données sur le non-recours sont des estimations à considérer avec prudence. Il
n’existe pas de données longitudinales construites sur un périmètre exhaustif. Pour l’essentiel les données sont produites au gré
de l’évaluation des différents dispositifs et selon des méthodologies adaptées aux données disponibles. Cette approche rend les
exercices de synthèse difficiles et peut notamment gommer la variabilité du taux de non-recours dans le temps pour un dispositif
donné, variabilité liée par exemple au temps d’information du public lors du lancement d’une mesure.
*Eurofound, Access to social benefits : reducing non-take-up, Luxembourg, Publications Office of the European Union, 2015
**Virginia Hernanz, Franck Malherbet, Michel Pellizzari, Take-up of welfare benefits in OECD countries: A review of the
evidence, Paris, OECD, 2004
*** Gisèle Biémouret, Jean-Louis Costes, Evaluation des politiques publiques en faveur de l’accès aux droits sociaux, Paris,
rapport d’information n°4158 de l’Assemblée nationale, 2016
**** Philippe Warin, Le non-recours au RSA : des éléments de comparaison, Working paper, Odenore, 2011
3 L’évaluation du RSA a montré que 90 % des non-recourants déclarant connaître le RSA sans l’avoir jamais perçu,

évaluent mal leur éligibilité.

2
minoritaires4 mais leur voie mérite d’être entendue à l’heure des grands projets de réforme sociale
(Warin, 2011a). Pour le politiste les non-recourants par non-demande intentionnelle intentent un procès
en illégitimité aux politiques sociales qui échouent à les reconnaitre pour ce qu’ils sont et cherchent au
contraire à les installer dans une relation sociale stigmatisante qu’ils rejettent. En mettant l’accent sur
cette forme de non-recours, Philippe Warin oppose à l’analyse standard une lecture plus radicale de la
causalité du non-recours qui interroge la pertinence des politiques sociales au-delà même de leur
efficacité.
Le débat sur ce qu’est le non-recours, ses enjeux, la meilleure manière pour les politiques sociales de le
prendre en charge, n’est pas clos. Nous proposons d’y contribuer en en rediscutant les principales
propositions à la lumière de la théorie politique néo-républicaine. Dans un premier temps nous
présenterons les deux grandes options théoriques qui articulent ce débat, l’option socio-économique et
l’option socio-politique de Philippe Warin. Nous discuterons cette dernière dans un second temps sous
l’angle de la théorie politique néo-républicaine en mesure selon nous de lui fournir un cadre théorique
d’analyse plus systématique. Dans la perspective néo-républicaine le non-recours aux prestations parait
comme une forme particulière d’un processus plus global de mise en retrait du social. A ce niveau-là
l’enjeu de lutter contre le non-recours n’est plus simplement d’assurer l’équité du système de
redistribution, mais plus radicalement de préserver de la défiance les principes de justice qui fondent
l’organisation sociale. Nous rappellerons pour conclure les principaux apports et limites de cette lecture
néo-républicaine et tâcherons de réinterroger l’opportunité du versement automatique des prestations
pour régler la question du non-recours.
1) Des deux options socio-économique et socio-politique du non-recours
Nous traitons dans cette partie des deux approches socio-économique et socio-politique du non-recours.
Après les avoir présentés rapidement nous discuterons plusieurs points sur lesquels elles divergent. Nous
qualifierons de socio-économique l’approche qui s’est construite sur les principes de l’individualisme
méthodologique classique pour analyser le non-recours comme le résultat d’une décision rationnelle
d’un agent économique. Cette approche objective le non-recours par le calcul d’un taux de non-recours
à un programme. La littérature qui s’est développée à partir des années 80 a entrepris de discuter les
déterminants de la décision de non-recours et s’est attachée à objectiver les profils individuels les plus
à risque. Robert Moffitt passe pour être l’un des premiers à avoir modélisé le non-recours aux politiques
sociales, à travers le modèle économique standard de maximisation de l’utilité (Moffitt, 1983). Cet
économiste américain spécialiste du marché du travail et de l’économie de la pauvreté a proposé
d’expliquer le non-recours comme le résultat d’une décision rationnelle d’un agent mettant en balance
les bénéfices et les coûts associés à la participation à un programme (Currie, 2004). Moffitt considérait
la stigmatisation sociale comme le principal coût à supporter par le participant. Son modèle distinguait
deux types de coûts, des coûts fixes induits par l’entrée dans le programme et des coûts variables
dépendants du niveau des bénéfices attendus. L’intérêt d’un tel modèle tient à son pouvoir explicatif et
à sa capacité à anticiper les comportements individuels pour in fine construire des politiques sociales
plus efficaces. En l’occurrence dans ce cadre méthodologique une politique publique pourra jouer sur
deux leviers pour gagner en efficacité, réduire les coûts de participation et/ou augmenter les bénéfices
attendus par l’agent à l’issue du programme. Le paramétrage fin de la politique et notamment des
niveaux de prestation ou de service, nécessite une analyse statistique ou économétrique des déterminants
de la décision individuelle de recourir ou non-recourir, et une modélisation des configurations
coût/bénéfice optimales pour le programme. Ce modèle a par la suite été affiné par exemple en prenant
en compte la stigmatisation personnelle qui peut survenir lorsque les principes moraux du bénéficiaire
entrent en conflit avec les normes sous-tendant le programme (Anderson, Meyer, 1997). D’autres coûts
ont été intégrés au modèle coût/bénéfice, par exemple ceux induits par la recherche d’information sur le
programme ou par le temps consacré pour accéder à celui-ci. Par ailleurs ce modèle standard et la
théorie des choix rationnels qui le sous-tend, a été discuté sous l’angle de l’économie comportementale

4 L’ODENOR rapportait en 2011 que 13% des non-recourants au RSA connaissaient le dispositif et étaient certains d’être
éligibles. Ce taux s’élevait à 15% pour les non-recourants à la CMU.

3
avec l’objectif de proposer un modèle plus réaliste de la décision rationnelle et du comportement des
agents. O’Donoghue et Rabin par exemple, soulignent que le modèle coût/bénéfice ne prend pas en
compte un biais cognitif connu sous le nom d’escompte du futur (O’Donoghue et Rabin, 1999). Selon
ce dernier, un agent attribue dans sa décision un poids plus important aux avantages ou aux coûts
immédiats, et un poids moins important à ceux qui surviendront dans le futur. Ainsi, un coût même
minime à consentir à l’entrée d’un programme social pourrait induire du non-recours si les bénéfices
attendus, même importants, paraissaient trop lointains. De la même façon il a pu être démontré un effet
de procrastination des agents qui conduit à surévaluer le coût d’entrée dans le dispositif (Madrian, Shea,
2001) au point d’ajourner voir de suspendre la décision d’intégrer le programme. A côté de ces
déterminants endogènes de la décision, les économistes ont considéré des déterminants exogènes comme
par exemple la faible sensibilisation au programme (Raj & Ali, 2013) ou la mauvaise connaissance des
règles d’éligibilité ou des bénéfices à en attendre (Liebman, Erzo Luttmer, 2015). Mais les décisions des
agents étant sensibles aux situations et aux contextes dans lequel elles sont prises, les économistes se
sont également attachés à déterminer les configurations qui minimisent les risques de non-recours pour
les différents profils d’agent. Il a été démontré à cet égard l’existence d’un effet réseau, selon lequel
l’appartenance à un groupe ethnique ou social déjà recourant réduit sensiblement la stigmatisation des
nouveaux entrants (Marianne, 2000). Il a été montré dans le même sens, que les agents avec un niveau
de ressource élevé pouvaient avoir une probabilité plus importante de ne pas recourir à une prestation à
laquelle ils étaient éligibles (Domingo, Pucci, 2014). Ce dernier point pourrait paraitre à tort compatible
avec un objectif de justice sociale, favorisant le recours des publics les plus nécessiteux et écartant du
programme ceux qui en ont le moins besoin. Pour autant des études récentes montrent que tel n’est pas
le cas puisque si la probabilité de participation augmente lorsque le revenu diminue, ceux qui ont les
revenus les plus faibles n’ont pas la probabilité la plus élevée de recours (Tempelman, Houkes, 2015).
L’approche socio-politique quant à elle accorde un poids particulier aux déterminants exogènes du non-
recours. Le manque d’information des publics sur le programme est présenté dans ce cadre comme une
des principales causes du non-recours. L’hypothèse fondamentale de cette approche est que c’est du côté
des politiques sociales elles-mêmes que se trouvent les principaux déterminants du non-recours. Elle
rompt par là avec le modèle de l’individualisme méthodologique de l’approche économique pour
installer, sans paradoxe, les usagers aux centres de ses analyses. Nous empruntons à Philippe Warin,
politiste français, directeur de recherche au CNRS et co-fondateur de l’Observatoire des non-recours
aux droits et services (ODENORE), la catégorie de « socio-politique » pour qualifier cette approche.
Son ouvrage récent nous servira de cadre de référence (Warin, 2016). Warin rappelle que cette approche
s’inscrit dans une réflexion sociologique sur les causes du non-recours conduite du point de vue de
l’usager. L’analyse séquentielle que Scott Kerr développe au début des années 80 relève de cette
approche. Elle étudie les différentes étapes d’une demande de prestation ou de participation à un
programme, et repère les freins susceptibles d’apparaitre à chaque étape et d’entrainer finalement le non-
recours. Ces freins sont relatifs à diverses croyances ou connaissances de la personne relativement à son
propre besoin, à son éligibilité au programme, au programme lui-même et à son utilité, ou encore aux
bénéfices escomptés. Oorschot prolonge ces analyses en complexifiant le modèle décisionnel sur lequel
elles s’appuient. Il avance en premier lieu que ces différentes connaissances ou croyances alimentent
non pas un seul mais de multiples arbitrages selon un schéma dynamique à travers lequel la décision de
non-recours apparait comme le résultat final d’un processus complexe et non linéaire. Le chercheur
néerlandais précise également que le non-recours volontaire peut-être actif, mais aussi bien passif
lorsqu’il résulte d’une décision de personnes empêchées d’entrer dans le programme. Elles peuvent être
empêchées par exemple par un manque d’information sur le programme, par l’évolution des critères
d’éligibilité au programme, parfois par des erreurs de l’administration, etc... Cette typologie de non-
recours est d’une grande portée à la fois théorique et analytique. Sur un plan théorique, elle marque une
rupture avec l’hypothèse que l’usager est un agent économique bien informé, elle marque aussi une
rupture avec l’incidente de cette hypothèse qui considère que le non-recours est toujours l’œuvre d’un
choix rationnel. Oostroscht présente parfois cette rupture méthodologique comme une condition pour
que le non-recours apparaisse comme un problème social de premier ordre (van Oorschot, Math, 1996).
Tant qu’il est compris comme le résultat d’un choix rationnel le non-recours n’est en effet pas un

4
problème public, il apparait comme l’exercice d’une liberté individuelle en soi non-problématique. La
proposition se renverse en revanche dès lors que le non-recours est compris comme le symptôme d’un
dysfonctionnement des politiques sociales qui empêchent un exercice effectif des droits individuels. Le
non-recours devient par là un problème d’efficacité inhérent aux politiques sociales appelées dès lors à
organiser les moyens pour garantir un libre accès aux droits. Warin et l’ODENORE ont retravaillé cette
typologie, dans une version synthétique elle se décline en quatre formes de non-recours :

Les formes du non-recours (Warin, 2016) :

La non-connaissance, lorsque l’offre n’est pas connue


La non-proposition, lorsque l’offre n’est pas activée par les agents prestataires malgré l’éligibilité
du demandeur, que celui-ci connaisse ou pas l’offre
La non-réception, lorsque l’offre est connue, demandée mais n’est pas obtenue ou utilisée
La non-demande, quand l’offre est connue mais pas demandée, abandonnée, ou bien un droit ouvert
mais la prestation non utilisée, un service est accessible mais non sollicité

Mais c’est tout particulièrement le non-recours par non-demande qualifié parfois d’intentionnel (Warin,
2018), d’actif, parfois de raisonné (Leresche, 2019) ou de volontaire - reformulation du non-recours
volontaire actif de Oorschot - qui fait l’objet d’une attention soutenue de P. Warin depuis plus de dix
ans. La raison à cela est que cette forme de non-recours interroge la construction des politiques sociales
de la manière la plus radicale qui soit : elle interroge les motifs du désintérêt des personnes pour l’offre
qui leur est pourtant dédiée (Warin, 2008). Même à supposer le cas où la politique sociale réponde
parfaitement aux besoins sociaux, nous dit Warin en substance, il subsisterait une part de non-recours
par non-demande intentionnelle car la raison de ce dernier n’est pas à rechercher dans la qualité de
l’offre mais dans sa pertinence et in fine sa légitimité. Ce point nous fait entrer dans la dimension
proprement politique de l’approche socio-politique. Pour le dire dans les termes de la sociologie critique
de l’école de Francfort que mobilise Warin - mais non pas toujours systématiquement -, l’hypothèse est
que l’accès aux droits sociaux suppose pour le recourant d’accepter ce qui s’apparente à une forme de
domination5 ; le non-recours apparaissant alors comme un refus volontaire voire revendiqué de cette
domination, en même temps qu’une lutte silencieuse pour la reconnaissance d’un droit à discuter la
légitimité de l’offre publique. La domination se traduit par la non-prise en compte de l’autonomie des
personnes par la puissance publique ou les opérateurs des politiques sociales ; elle s’apparente à un
mépris pour cette autonomie. Ce mépris peut prendre différentes formes : le déploiement systématique

5 Warin utilise assez peu le terme de domination mais le concept joue un rôle important dans son argumentation. Les
occurrences du terme domination que l’on retrouve dans Le non-recours aux politiques sociales, renvoient à la critique de la
domination bureaucratique développée par la philosophie politique française par Lefort ou Abensour. Le caractère dominateur
de la bureaucratie est invoqué pour expliquer la propension des politiques publiques à considérer leur offre pertinente a priori
et à occulter la possibilité d’un non-recours volontaire des personnes. Les références à Axel Honneth, à Emmanuel Renault,
aux théories de la reconnaissance où à l’idée d’une société du mépris qui favorise l’invisibilité des plus fragiles et le
développement de pathologies sociales (171) signalent que chez Warin le concept de domination s’enracine aussi dans une
autre tradition, celle de la sociologie critique Allemande. Cette tradition reste cependant peu commentée, tout comme plus
généralement la théorie critique qui sous-tend l’approche socio-politique. Mais au-delà de ces références lorsque Warin analyse
la stigmatisation (Welfare stigma – chapitre 3), il précise bien que celle-ci n’est pas une conséquence des politiques sociales
mais qu’elle leur est consubstantielle au sens où elles paraissent organiser le non-recours. Warin hésite cependant à franchir le
pas qui le conduirait à identifier une quelconque volonté délibérée et systématique d’organiser le non-recours : « mais de là à
dire que « laisser filer le non-recours » est une manière implicite d’exercer cette forme de pouvoir [ie que les politiques sociales
exercent sur les bénéficiaires], il y a tout l’espace d’une hypothèse forte sur l’existence de raisons politiques pour entretenir le
phénomène du non-recours. » (171). Le politiste souscrit par-là à l’hypothèse centrale de la théorie de la reconnaissance de
Honneth qui diagnostique dans le processus d’invisibilisation des plus fragiles, un processus de domination inscrit au plus
profond des sociétés développées, processus consubstantiel à la dynamique du capitalisme. Remarquons que chez Honneth lui-
même l’analyse sociologique de la domination débouche sur une étiologie de la dépression au sens clinique mais aussi
symbolique du terme, qui peut prendre la forme d’une mise en retrait du monde social dont le non-recours est un symptôme.
C’est ainsi notamment lorsqu’il critique l’Etat social paternaliste qui transfère aux individus la responsabilité d’accéder à leurs
droits sociaux au risque de mettre en jeu la citoyenneté effective des plus fragiles, de les ébranler dans ce qu’ils sont, et de les
faire basculer dans un état dépressif entendu comme l’expérience de la vacuité (Axel Honneth, la société du mépris. Vers une
nouvelle théorie critique, Paris, la découverte, 2008, p. 293-297 ; p. 323).

5
de mesures d’activation ; l’instrumentation du sentiment de honte des bénéficiaires ; la tentation du
nouveau management public de rendre les bénéficiaires « invisibles aux indicateurs officiels de mesure
du rendement » (Warin, 2016) ; ou encore s’exprimer dans l’idée que l’offre est à prendre ou à laisser.
Mais la domination se met en œuvre aussi plus insidieusement comme la troisième dimension du pouvoir
au sens d’Eliasoph (Eliashoph, 2010) à laquelle Warin fait référence (Warin, 2016), celle de la « culture
du silence politique » qui fait du non-recours une forme de résistance condamnée au silence car
inaudible : comment en effet contester ses propres droits ? Et il faut toute la puissance analytique et
critique de l’approche socio-politique pour décrypter derrière cette résistance silencieuse l’expression
d’une lutte active pour la reconnaissance d’un droit fondamental de participer à la construction des
politiques sociales. Mais sur quoi se fonde la légitimité d’une telle demande de reconnaissance ? Sur
quels principes normatifs se construit ce droit de tout un chacun à discuter les politiques sociales ? Warin
esquisse une réponse à ces questions lorsqu’il explique en quoi le non-recours est un comportement
politique (Warin, 2016). Il montre en substance que le refus des bénéfices associés aux droits n’est pas
nécessairement un comportement irrationnel mais qu’il peut au contraire être adossé à des principes
universalisables offrant potentiellement un cadre normatif à une action collective. Ces principes sont
ceux de l’utilitarisme normatif défini par Hirschman à l’issue de sa critique de l’utilitarisme classique.
Warin réinvestit la distinction opérée par le socio-économiste américain entre les deux formes de
rationalité pratique et instrumentale - siège de la moralité pour la première et du calcul pour la seconde
-, et reprend à son compte la critique historique adressée en premier lieu à Smith, de la réduction de la
seconde à la première compte tenu de la prééminence accordée à la notion d’intérêt, pour in fine rappeler
l’importance des motifs moraux dans les processus décisionnels en général (Warin, 2016)6. Il est des
cas nous rappelle Warin, où le poids accordé à des valeurs au nom de principes moraux universalisables
est tel, que « le bénéfice qui peut être escompté des prestations passe au second plan ». C’est
typiquement le cas des non-recours par civisme constatés par exemple en matière d’accès aux soins, où
des personnes choisissent de se retreindre dans une logique de limiter la dépense publique, afin que
d’autres aient la priorité.
Les lignes de partage entre les approches socio-économique et socio-politique du non-recours,
apparaissent dans leurs formes assez classiques, c’est-à-dire académiques, à la frontière des disciplines
portant respectivement sur les champs de l’économique et du politique. Nous ne réinvestirons pas ici les
travaux de sociologie des sciences d’un Pierre Fabre par exemple, qui seraient susceptibles de discuter
dans une perspective historique le découpage disciplinaire à travers lequel s’est instituée une science
politique à la française, constructiviste et critique des positions rationalistes (Fabre, 1980, 1989, 1995).
Nous évoquerons simplement le poids des débats épistémologiques en la matière, qui emportent avec
eux une conceptualisation du social et des options théoriques concernant notamment l’articulation entre
les niveaux individuels et collectifs, le processus d’objectivation et de catégorisation des faits sociaux,
les corpus théoriques de référence pour analyser et comprendre ces faits etc... En l’occurrence,
l’approche socio-politique du non-recours construit ses principales propositions en discutant les options
théoriques de l’approche économique. C’est ainsi qu’elle fait jouer l’usager des politiques, individu
concret aux besoins différenciés contre le modèle idéal typique de l’agent économique ; qu’elle opte
pour une théorie non utilitariste de la rationalité sur fond d’une critique de la théorie économique
standard ; ou qu’elle revisite la typologie du non-recours pour y intégrer la non-demande volontaire. Ce
faisant l’approche socio-politique propose une conception de la causalité du non-recours qui lui permet
d’appréhender à nouveau frais le référentiel des politiques sociales et de les évaluer sur les registres de
leur pertinence et leur légitimité. Par ailleurs cette discussion avec le rationalisme de l’approche
économique se traduit sur un plan méthodologique à travers une discussion autour des modalités de
calcul du taux de non-recours (Warin, 2010, 2016). Warin revient régulièrement sur les limites de
l’approche orthodoxe du calcul et plaide pour une approche plus réaliste. Le calcul orthodoxe du taux
de non-recours rapporte le nombre de personnes recourant à un dispositif donné sur le nombre total de
personnes éligibles au dispositif en question. Il repose donc sur la notion d’éligibilité. Or devant les

6 « cela signifie que toute situation de choix mettant en jeu l’intérêt des acteurs se trouverait en quelque sorte régulée par des
réactions morales qui viendraient contrebalancer les décisions les plus égoïstes. (…) Cette part de rationnel non strictement
utilitaire explique sur le fond le non-recours par non-demande volontaire.» p. 163

6
difficultés réelles à produire une estimation fiable du nombre de personnes éligibles non recourantes, et
en particulier en considérant celles qui ne sont pas connues des organismes qui gèrent les droits associés,
le politiste propose de limiter le périmètre du calcul aux seuls publics connus par les organismes sociaux.
Par ailleurs Warin réinterroge également le champ du calcul. Là où l’approche économique calcule le
non-recours uniquement sur le champ des prestations sociales, Warin et l’ODENOR élargissent ce
champ à l’ensemble des services proposés au public. La même grille analytique sert alors à expliquer et
comprendre par exemple le non-recours aux aides sociales et le non-recours aux services publics de
transport, à l’offre culturelle etc… Mais c’est certainement en ce qui concerne les recommandations
adressées aux concepteurs de politiques publiques pour lutter contre le non-recours, que la ligne de
partage entre les deux approches est la plus marquée. Les discussions qui ont accompagné le projet de
réforme des minima sociaux en France sont à cet égard éclairantes. Une note du Conseil d’Analyse
Economique (Bargain & Ali, 2017) parait représentative de l’approche économique présentée plus haut.
Des économistes spécialistes des politiques sociales et du non-recours y montrent comment la
performance relative du système distributif français pourrait être accrue par une réforme des minima
sociaux en mesure de relever un triple enjeu : un meilleur ciblage sur les jeunes sans emploi et les
familles monoparentales davantage exposés au risque de pauvreté ; une articulation renforcée avec les
politiques d’insertion et la logique des droits et devoirs ; une lutte contre le non-recours aux prestations
monétaires et non monétaires. Plus précisément l’enjeu sur ce dernier point est double, réduire la
pauvreté et lever les incertitudes comportementales qui rendent difficiles les prévisions budgétaires et
le pilotage des politiques publiques. Plusieurs mesures sont proposées pour lutter contre le non-recours :
améliorer l’information sur les droits par un portail numérique ; simplifier la demande de prestation via
la mise en place d’une déclaration unique valant pour toutes les prestations sociales et familiales ;
l’automatisation des versements rendue possible par un calcul en temps réel du niveau de ressource des
bénéficiaires, supposant lui-même l’interopérabilité des systèmes d’information des organismes
concernés (DNS, CAF, MSA, Pôle emploi) ; une lisibilité accrue des aides par la création d’un revenu
de base accessible y compris aux jeunes de 18 à 24 ans. La recommandation principale avancée par les
économistes porte ainsi sur la réorganisation et la fusion des minima sociaux pour constituer un revenu
de base qui soit modulable afin de tenir compte de situations spécifiques (handicap, vieillesse), versé de
manière simplifiée et ouvert sous condition d’âge et de ressources. Dans un texte récent Philippe Warin
(Warin, 2018) se positionne sur la manière dont le non-recours est considéré dans les travaux
préparatoires à la réforme des minima sociaux. Il regrette en particulier que la lutte contre le non-recours
soit mise en avant pour justifier de telle réforme sans que la nature même du non-recours soit bien
comprise et que la portée critique du non-recours par non-demande soit clairement explicitée. Warin ne
semble pas douter que les préconisations du type de celle du CAE réduisent le non-recours, il semble
douter en revanche qu’elles soient de nature à régler le problème de légitimation des politiques publiques
dont le non-recours par non-demande est le symptôme le plus frappant. Rendre le non-recours
impossible n’emporte pas l’adhésion des bénéficiaires aux politiques sociales, adhésion qui conditionne
l’acceptabilité des aides. Warin détecte ce qu’il appelle ici le piège de l’opérationnisme dans lequel
tombent les préconisations qui s’appuient sur une approche économique du non-recours et ne voient pas
que ce qui se joue dans ce phénomène est une demande de justification adressée aux politiques
publiques. Cette position a une incidence importante sur le registre des préconisations qui peuvent être
adressées aux politiques sociales. Elle conduit le politiste à s’appuyer sur la distinction entre les
politiques welfariste et post welfariste, pour élaborer une typologie des préconisations qu’appelle la
double approche du non-recours. Il articule cette distinction sur les niveaux suivants (Warin, 2010,
2011)7 :

7 Warin distingue un quatrième niveau, celui des principes de justice des politiques welfariste ou post-welfariste, nous y
revenons plus bas. Rappelons que les politiques welfariste et post-welfariste emportent chacune une conception spécifique de
la constitution de l’offre publique par agrégation des choix individuels en se référant à la théorie du choix collectif pour les
politiques Welfaristes, et à la théorie du choix social pour les politiques post-Welfaristes

7
Niveau Politique welfariste Politique post-welfariste
Définition de la politique Les besoins sociaux sont définis par Participation des publics
les acteurs politiques
Macro-orientation de la Politique de l’offre Politique de la demande
politique
Logique de protection des Droits-créances Responsabilisation et autonomisation
bénéficiaires

A partir de là le politiste montre comment l’approche socio-économique formule des préconisations


contre le non-recours qui s’inscrivent dans le cadre du référentiel des politiques welfaristes et
inversement de l’approche socio-politique. Les préconisations post welfaristes de lutte contre le non-
recours soutenues par l’approche socio-économique proposent ainsi, quelles que soient les modalités
opérationnelles retenues par ailleurs, de placer le bénéficiaire au cœur de la demande et de le mettre en
situation d’exprimer un choix. Cette mobilisation du bénéficiaire porte sur la phase amont de conception
de la politique qui lui est destinée, de façon à mieux qualifier le besoin et d’identifier les réponses
pertinentes. Elle porte aussi sur les modalités d’octroi des aides. Loin d’un versement automatique, il
est plutôt préconisé des aides modulaires (Warin, 2011b), individualisées dans leur montant et leur
durée, sur la base d’une analyse conduite avec le bénéficiaire de ses besoins et des conséquences
attendues de l’aide sur sa situation. L’objectif de cette procédure de décision partagée sur les moyens en
vue d’une fin est de rendre l’aide acceptable et d’engager le bénéficiaire dans son parcours. Il faut noter
que cet engagement qui met un terme au non-recours n’est pas à comprendre dans une perspective
contractualiste – comme dans le cas des politiques d’activation -, elle est plus profondément à
comprendre comme un moment inhérent à un processus de reconnaissance sociale qui réinscrit le
bénéficiaire dans un collectif où se renoue des liens sociaux (Chauveaud, Warin, 2009). Cette approche
dessine les contours d’une politique de lutte contre le non-recours efficace et pertinente selon Warin qui
serait gérée plutôt à l’échelle locale, en proximité des bénéficiaires et qui réussirait à réengager le
bénéficiaire dans un projet individuel et collectif.

Après avoir indiqué ce qu’elles sont et leurs points de divergence, indiquons en quoi les approches socio-
économiques et socio-politiques convergent. Elles convergent pour discuter les limites des politiques
d’activation au nom d’une certaine conception de la justice et de la solidarité. Rappelons
qu’historiquement les travaux sur le non-recours se sont multipliés dans les années 70, dans le contexte
de la crise des Etats providence, et ont par leur analyse mis en évidence les risques d’exclusion induits
par la mutation des systèmes de protection sociale alors à l’œuvre. Le modèle workfariste de protection
sociale qui s’impose alors et avec lui les mécanismes de conditionnalité des aides, substitue en effet à la
logique universaliste de l’accès aux droits, celle du droit d’accès aux aides dont l’analyse du non-recours
montre toutes les limites. La mutation des modèles de protection sociale, analysée en France dans les
termes de l’activation des politiques sociales a, dans ce sens, renouvelé sur la base d’un renforcement
du lien entre le droit à la protection sociale et l’activité professionnelle (Barbier, 2009), une double
promesse très ancienne de réduction de la pauvreté et d’accès de tous à l’emploi8. Cette promesse a été
renouvelée en particulier par les politiques d’insertion des années quatre-vingt (Palier, 2008). La logique
des droits et devoirs, constitutive du modèle solidariste républicain, s’est par ailleurs reconstruite sur
une base idéologique plus libérale, dont il a pu être montré sur le cas américain, qu’elle a soutenu le
développement du précariat tout en organisant son acceptabilité sociale (Krinsky, 2009). Quoi qu’il en
soit c’est bien, en première analyse, sur les enjeux de solidarité et de juste accès au droit, dans un
contexte de réforme des systèmes de protection sociale, que les approches économiques et socio-
politiques sur le non-recours ont pris leur essor. Mais il faut descendre plus profondément dans
l’argumentation pour discuter précisément les convergences qui sont les leurs quant aux principes de
justice et de solidarité qu’elles mobilisent. Les théories contemporaines de la justice, nous sont ici d’une
aide précieuse pour démontrer que les approches socio-économiques et socio-politiques représentent
deux options d’une même théorie distributive de la justice et plus précisément, en l’espèce, d’une théorie

8Cette double promesse est déjà présente dans la législation républicaine sur les secours de 1793, elle est constitutive des
politiques sociales.

8
libérale solidariste au sens de Philippe van Parijs (van Parijs, 1991). Rappelons que pour ce dernier une
société libérale solidaire prône un égal respect de chacun et une égale sollicitude pour tous,
indépendamment des situations socio-culturelles de naissance. La justice au sein d’une telle société est
de nature distributive, elle interroge ce qui doit être distribué (distribuendum) ainsi que les critères de
distribution. Concernant ce qui doit être distribué certaines théories considèrent qu’il est juste que ce
soit de l’ordre des ressources (outcome) comme par exemple les revenus, des avantages sociaux ou du
bien-être, d’autres considèrent qu’il est juste que cela soit de l’ordre des chances ou des opportunités
d’accès par exemple à la formation, à l’emploi ou aux services en général. Concernant les critères de
distribution Parijs inventorie deux principes, le principe agrégatif qui cherche à maximiser la somme ou
la moyenne de ce qui est distribué, et le principe égalitariste qui cherche à égaliser la distribution par
exemple en en minimisant la dispersion interindividuelle ou bien en mesurant l’acceptabilité sociale
d’une dispersion donnée. Au regard de ce panorama rapide, il apparait que les approches socio-
économique et socio-politique relèvent toutes les deux d’une théorie libérale solidaire de la justice : elles
adoptent un même principe égalitariste de justice (permettre un égal accès à…) en adoptant des options
différentes quant à la nature du distribuendum qu’elles estiment juste de distribuer : les ressources pour
la première sous forme de prestations et plus généralement de droits sociaux ; les ressources mais aussi
les services dans une logique d’égalisation des chances pour la seconde. Par ailleurs lorsque Warin situe
son approche par rapport aux politiques welfariste et post-welfariste, il la situe précisément à l’intérieur
d’une théorie distributive de la justice et en référence à ses deux principes égalitaristes, le welfarisme
prônant une égalité des ressources et le post-welfarisme une égalité des chances9.

2) Pour une approche néo-républicaine du non-recours

a. lutter contre la domination et pour l’engagement civique


Qu’est-ce que l’approche néo-républicaine du non-recours ? La réponse la plus simple est de dire qu’elle
est une manière d’aborder la question du non-recours sous l’angle de la théorie politique néo-
républicaine ; le néo-républicanisme devant offrir un cadre théorique permettant de problématiser le
phénomène du non-recours, d’en analyser les causes et d’adresser aux politiques publiques des
recommandations pour prendre en charge ce phénomène. L’ouvrage Républicanisme publié par Philip
Pettit à la fin des années 1990 reste l’ouvrage de référence sur le néo-républicanisme (Pettit, 2004)10.
Rappelons rapidement que le philosophe irlandais démontre dans son ouvrage phare, que la liberté
entendue comme non-domination est le concept central d’une conception républicaine de la société
alternative aux conceptions libérale et populiste. La domination est définie comme le pouvoir direct ou
indirect, explicite ou non, exercé ou potentiel, de limiter la capacité de choix d’un tiers ou d’orienter sa
propre décision contre les intérêts qui sont les siens. Il faut noter en conséquence que toutes les
interférences ne sont pas arbitraires, c’est le cas lorsqu’elles orientent les choix d’un tiers vers l’intérêt
général, c’est le cas des interférences produites par la loi en régime démocratique. Pettit présente la
liberté comme non-domination comme un idéal politique, les institutions républicaines sont chargées
d’en faire la promotion. La liberté comme non-domination se distingue des conceptions libérale et
populiste de la liberté, appréhendées à partir de la distinction classique de Berlin entre liberté négative
et positive. La liberté en un sens libéral est définie comme non interférence, pure aptitude à se décider
compte non tenu d’autrui ou d’une quelconque contrainte. La liberté populiste est définie quant à elle
comme autonomie personnelle, c’est-à-dire comme un vecteur essentiel de la réalisation de soi dans le
cadre d’un projet collectif. Le néo-républicanisme conserve du libéralisme le primat accordé à la liberté
comme idéal politique, et retient du populisme l’idée que le bien commun est irréductible à l’agrégation
des intérêts individuels. Signalons que Pettit ne traite pas lui-même du non-recours dans son ouvrage
même s’il aménage la place à une telle notion en indiquant par exemple qu’un des effets de la domination
est de diminuer les chances de construction et de mise en œuvre de projets personnels ou bien en

9Voir la référence aux travaux de Guibert-Lafaye sur ce point dans Warin, 2011, p 111
10 Nous ne considérerons ici que les positions centrales du néorépublicanisme de Pettit et laisserons de côté tant ses analyses
ultérieures que les discussions auxquelles son travail a donné lieu. Pour une vue des débats actuels cf. Le Goff, Dave Anctil,
2009

9
déclarant que les personnes insuffisamment reconnues par les politiques qui leur sont dédiées, pourraient
« se retirer dans une attitude d’indifférence ou d’hostilité à l’égard de l’Etat. » (Pettit, 2004, p118 &
337)

Nous souhaitons argumenter ici en faveur d’une appréhension néo-républicaine du non-recours qui
prolongera le travail de Philippe Warin en articulant plus systématiquement l’analyse du non-recours à
une critique des phénomènes de domination et en resituant cette analyse à l’intérieur d’une réflexion
plus générale sur l’engagement civique. Remarquons d’emblée que ce gain théorique a un coût, il
suppose de rompre avec le cadre normatif de la théorie sociale-solidaire de la justice qui sous-tend
l’approche du politiste. Cette rupture s’autorise en particulier du fait qu’elle permet de lever deux limites
théoriques qui fragilisent l’approche socio-politique du non-recours. La première limite concerne la
notion importante d’absence d’envie. L’approche socio-politique, nous l’avons rappelé, identifie tout un
registre de causes du non-recours par non-demande intentionnel qui ressort de ce que l’on peut qualifier,
avec Warin lui-même d’une absence d’envie des publics. Cette dernière est thématisée à travers le
manque d’intérêt des publics pour l’offre, voire à travers une opposition plus ou moins explicite des
publics à un système normatif. Mais cette conception de l’absence d’envie ne répond pas aux critères
définis par les théories de la justice distributive, dont elle apparait relever. En effet, l’absence d’envie
est une notion importante des théories distributives de la justice (Fleurbaey, 1994 ; Guibert Lafaye,
2006) et a fait l’objet de nombreux travaux de formalisation. Selon ces théories une absence d’envie
avérée offre un critère pour évaluer la justice d’une distribution des distribuendum. A l’inverse une
distribution génère un sentiment d’envie dès lors qu’au moins une personne préfère la combinaison de
biens alloués à un tiers, plutôt que la sienne propre. Le critère d’envie résulte ainsi d’une évaluation
rationnelle opérée par chacun de sa situation au regard de celles des autres. Les théories de la justice
recourent à ce critère lorsque l’évaluation d’une distribution est particulièrement complexe à conduire
du fait des nombreuses dimensions à prendre en compte, en particulier les ressources externes
mobilisées, les talents individuels en jeux, les préférences individuelles exprimées ou tacites etc… Les
théories de la justice se sont interrogées pour savoir dans quel cas il était pertinent de retenir ce critère,
et quel mode d’intervention publique il justifie dans une perspective solidariste soucieuse d’égalité. Or,
ce que théorise l’approche socio-politique du non-recours volontaire et ce qu’elle démontre de façon
empirique, invalide la pertinence évaluative du critère libérale-solidariste d’absence d’envie. Warin
démontre en effet l’existence d’un possible découplage de l’expression de l’envie et des situations
d’injustice, à travers des cas où la rupture manifeste d’égalité face à l’accès au droit ne suscite aucun
recours. Autrement dit le non-recours intentionnel démontre que l’absence d’envie est compatible avec
une situation manifestement injuste, et c’est pourquoi ce critère ne peut fonder une intervention publique
pour corriger la distribution. Comme l’atteste le non-recours par non-demande intentionnel, et comme
l’explique le néo-républicanisme, des individus rationnels peuvent préférer l’injustice y compris à leur
endroit à un déni de reconnaissance, ou à une forme subtile de domination. Malgré les travaux récents
sur le sujet (Laborde, 2013) 11, la théorie de la justice néo-républicaine reste peu analysée. Pour autant
on peut indiquer ici un argument qui la démarque d’une théorie sociale-solidariste. Dans le cadre néo-
républicain ce n’est plus le sentiment personnel d’envie lui-même mais la possibilité effective
d’exprimer ce sentiment qui est un critère d’une juste organisation sociale. Et l’expression en question
fut-elle contestataire est une forme d’engagement civique qu’il appartient à une société juste de
promouvoir selon Pettit. La deuxième limite que nous évoquions, concerne la difficulté de formuler de
façon systématique dans le cadre d’une théorie libérale solidariste de la justice, la critique de la
domination que l’on trouve en filigrane dans le travail de Warin. Plusieurs raisons expliquent cette
difficulté, la principale étant peut-être que la sociologie critique à laquelle se réfère le politiste pour
articuler son analyse du non-recours en termes de lutte pour la reconnaissance des droits, s’est en partie
développée contre la théorie libérale de la justice renouvelée par Rawls dans les années 1970. Le
sociologue Honneth, représentant de la troisième génération de l’Ecole de Francfort, qui a entrepris de

11 Le travail de Cécile Laborde qui pose les bases d’un républicanisme critique fait figure d’exception ici. Elle propose de
construire le critère d’évaluation de la domination sur la base des principes du droit soigneusement distingués des normes
ethnoculturelles.

10
construire une théorie sociale à partir d’une analyse des luttes pour la reconnaissance, a lui-même
nettement exprimé le virage normatif entamé dans les années 1990 qui a conduit à mettre au centre de
l’analyse politique non plus la redistribution mais la reconnaissance (Honneth, 2002)12. Point qui par-
delà l’histoire des idées, signifie en premier lieu que la théorie de la reconnaissance dispose d’une théorie
de la justice qui lui est propre et qui est doctrinalement opposée aux théories libérales. Rappelons
simplement ici, sans développer ce point, que la théorie de la justice à laquelle se réfère Honneth repose
en effet sur une impressionnante relecture de la philosophie du droit de Hegel (Honneth, 2008 ; Bondeli,
2001) qui lui permet de rechercher les fondements de l’organisation sociale et en particulier du droit, au
cœur des relations intersubjectives en prenant ainsi le contre-pied de l’individualisme qui sous-tend le
modèle contractualiste rawlsien (Guibet Lafaye, 2012). On ne peut prétendre que la question de l’apport
de la théorie critique au néo-républicanisme soit susceptible d’une réponse définitivement articulée.
Certes Pettit se démarque de Rawls en faisant de l’idéal politique non plus la justice mais la liberté, et
certes il fait de la reconnaissance un prérequis de la liberté (Le Goff, 2011), cependant l’apport de la
théorie critique reste aujourd’hui discuté (Lazzeri, 2009). Quoi qu’il en soit le néo-républicanisme offre
un cadre théorique cohérent pour analyser la domination et discuter les principes normatifs susceptibles
de la minimiser.

Précisons en quoi le républicanisme compris comme une théorie de la liberté comme non-domination,
permet de problématiser le non-recours volontaire dans le cadre d’une réflexion plus générale sur
l’engagement. Rappelons en premier lieu l’importance de la notion d’engagement dans la tradition
républicaine classique. Celle-ci considère, d’une part, qu’il existe une préférence de la société pour le
régime républicain comparativement à d’autres régimes, et d’autre part, que la citoyenneté s’exprime
dans une participation active des individus aux affaires de la cité. Cette conception classique repose sur
l’idée que s’établit en régime républicain un relatif consensus autour d’un idéal politique, autour d’une
conception d’un bien commun dont Pettit nous explique qu’il est précisément celui de la non-
domination. Dans le cadre du républicanisme classique l’engagement de chacun pour cet idéal est par
principe assuré. Mais cette conception est réinterrogée dans le contexte des sociétés modernes pluralistes
où s’expriment de multiples conceptions du bien potentiellement concurrentes. Le néo-républicanisme
- qui apparait à cet égard comme la tentative de réactualiser la tradition républicaine dans le contexte
des sociétés modernes -, réélabore une conception du bien commun alternative aux options libérales et
populistes, depuis une thématisation de l’engagement civique. En effet là où les libéraux sont tentés de
réduire le bien commun au résultat d’un exercice d’agrégation des intérêts particuliers d’une génération
donnée, Pettit oppose une conception du bien assise sur l’histoire longue de la civilité et de la culture.
Si l’engagement civique apparait comme un fait culturel pour Pettit, la perte de civilité ou le
désengagement et ses différentes formes de mise en retrait de la vie sociale, apparaissent au contraire
comme le symptôme moderne des sociétés définies à partir de l’intérêt de ceux qui la constitue. Cette
critique des limites du libéralisme est ancienne. Au XIXème siècle déjà, Tocqueville diagnostiquait le
risque de corruption du lien social inhérent au processus démocratique de promotion de l’individualisme.
Typiquement alors, dans un cadre néo-républicain, le non-recours volontaire par désintérêt apparait
comme une conséquence prévisible des politiques libérales qui entreprennent de régler les problèmes
sociaux par une plus grande responsabilisation individuelle ou la création de nouveaux droits
individuels. Mais le désengagement et le non-recours peuvent traduire autre chose qu’un repli sur soi.
Ils peuvent traduire l’attachement à une forme particulière de bien qui n’est pas le bien commun de
l’idéal républicain mais le bien de quelques-uns, de groupes constitués sur des bases sociales, culturelles,
ethniques, ou religieuses notamment. Typiquement ici, le non-recours volontaire causé par un conflit
entre les valeurs de l’individu et celles véhiculées par un programme, peut dénoter un engagement

12 « A la place de cette idée influente de justice, qui était politiquement l’expression de l’ère de la social-démocratie, s’est
installée depuis longtemps déjà une idée nouvelle qui, de prime abord, semble beaucoup moins facile à appréhender de façon
univoque. L’éradication de l’inégalité ne représente plus l’objectif normatif, mais c’est plutôt l’atteinte à la dignité ou la
prévention du mépris, la « dignité » ou le « respect », et non plus la « répartition équitable des biens » ou « l’égalité matérielle
» qui constituent ses catégories centrales. » ; Franck Fischbach considère de façon plus radicale qu’il a existé dans le contexte
français un véritable antagonisme entre la philosophie sociale et la philosophie politique conquise à la théorie libérale de la
justice (Fischbach, 2009).

11
communautaire de l’individu, potentiellement critique des valeurs républicaines. Ecueil tout aussi
redoutable que l’écueil libéral, lorsque le phénomène populiste d’un développement des communautés,
au nom du droit à la différence, menace de déboucher sur un conflit de légitimité entre des biens
finalement concurrents. Le néo-républicanisme développe sur ce point une argumentation complexe car
il entend prévenir ce risque populiste mais en faisant une large place aux mouvements issus de la société
civile et à leurs revendications en faveur du droit à la différence, et en proposant une organisation
institutionnelle de la république qui encourage ces dernières. L’argument central repose sur une théorie
du langage républicain. Il consiste à dire que les revendications ne s’opposent pas à l’idée néo-
républicaine du bien puisque l’une et l’autre s’expriment dans le langage de la non-domination en
mobilisant le concept de liberté propre à la tradition républicaine. Par conséquent dans cette perspective
non seulement les revendications individuelles ou sociétales sont compatibles avec l’idée du bien néo-
républicain, mais les revendications ne sont pas entre elles concurrentes. Le populisme parce qu’il ne
dispose pas du concept de liberté comme non-domination, et pense au contraire la liberté comme
réalisation personnelle, oppose les libertés des uns à celles des autres, confronte les identités et les
conceptions du bien, là où le républicanisme considère que chacun peut au sein de la république soutenir
différents mouvements de revendication et se prévaloir d’une identité multiple. Le néo-républicanisme
offre ainsi remarquons-le, un cadre théorique pour analyser à nouveau frais le non-recours volontaire
par désintérêt et par conflit de valeur. Cette approche a surtout un double intérêt, elle permet d’expliquer
le phénomène du non-recours observable à l’échelle micro de la décision individuelle, mais - et c’est là
sans doute son originalité et le point d’approfondissement décisif de l’approche socio-politique de Warin
– elle explique le non-recours depuis une analyse de la socialité moderne axée sur la notion
d’engagement et inscrite dans la longue durée, en s’attachant à l’histoire de la conceptualisation même
de la chose politique.

Le néo-républicanisme permet en outre de problématiser le non-recours sous l’angle d’une critique


politique de la domination. Nous avons rappelé la définition très extensive que Pettit donne de la
domination comme interférence arbitraire qui conduit une personne à se décider contre ses propres
intérêts. En prolongeant les analyses de Warin, le non-recours peut s’interpréter au nom de la liberté
comme non-domination. Ce serait en effet au nom de la liberté que les non-recourants volontaires
refuseraient d’entrer dans un dispositif par exemple stigmatisant ou instrumentalisant le sentiment de
honte. Il serait erroné pour autant de considérer que cette lecture néo-républicaine s’accorde avec
l’interprétation économique du non-recours en prétendant que ce phénomène résulterait d’un arbitrage
individuel entre des intérêts contraires. Car la liberté comme non-domination ne suscite pas un intérêt
comparable à l’intérêt que peut avoir une personne à recourir à un dispositif, ce n’est pas à strictement
parler un intérêt individuel. La liberté comme non-domination est un idéal politique, elle exprime un
intérêt pour un monde organisé sur des principes alternatifs au libéralisme et au populisme. Le non-
recours apparait davantage ainsi comme l’expression individuelle d’un intérêt collectif pour un bien
commun et c’est la raison pour laquelle, comme le note Warin si le non-recours doit être traité c’est
d’abord au niveau des politiques elles-mêmes. La réciproque est vraie, le traitement du non-recours
visant à favoriser l’accès individuel aux droits ne supprime pas les causes du non-recours même s’il en
fait disparaitre l’essentiel des symptômes diagnostiqués à travers le taux de recours. Nous l’avons
rappelé, Warin soutient dans ce sens à propos du revenu universel d’activité que même l’universalisation
des droits ne réglerait pas, sur le fond, la question du non-recours même s’il rendrait ce dernier
impossible. C’est un point contre intuitif qu’éclaire la conceptualisation néo-républicaine de la
domination dont Pettit nous explique qu’elle peut conduire celui sur laquelle elle s’exerce, à adopter un
comportement de déférence stratégique. La déférence renvoie à une forme d’acceptation de la
domination, elle recouvre une dimension stratégique dès lors que cette acceptation vise à éviter les
incertitudes et les risques pour son emploi, ses revenus, sa réputation… auxquelles expose le refus de la
domination. Elle conduit à accepter les interférences arbitraires par crainte des conséquences. Rappelons
que l’interférence arbitraire peut ne pas être exercée effectivement, le risque de la subir suffit à
caractériser la domination et peut induire un comportement de déférence stratégique. Dès lors, le recours
à un dispositif, et a fortiori le recours automatique qui ne requiert plus l’assentiment des personnes, ne

12
vaut pas acceptation libre et sans contrainte dudit dispositif et des logiques qui le sous-tendent. Et dans
cette situation l’on peut faire l’hypothèse qu’une partie des recourants considèrent silencieusement qu’il
y a domination et paye à eux-mêmes, en conscience, le prix d’un tel déni de soi. Notons que si l’on
accorde un crédit à cette hypothèse, la stratégie de lutte contre le non-recours se trouve assez
radicalement réorientée. Dans une perspective néo-républicaine lutter en faveur de la liberté comme
non-domination conduit en effet à lutter à la fois contre le non-recours volontaire et contre le recours
par déférence stratégique. L’accès au droit promu par la société libérale n’est pas dans la perspective
néo-républicaine une fin inconditionnelle, elle est au contraire conditionnée à l’idéal politique de non-
domination. L’analyse néo-républicaine met en lumière ici un risque d’instrumentalisation de l’accès au
droit, voire d’instrumentalisation du droit lui-même, susceptible de renforcer les interférences
arbitraires. La discussion en France autour des contreparties acceptables à demander aux bénéficiaires
du RSA illustre bien l’intérêt de se doter d’une analyse critique de tels risques. Si en l’occurrence le
Conseil d’Etat a tranché la question en droit et rejeté la possibilité pour un Conseil départemental de
contraindre un bénéficiaire du RSA à effectuer un travail, la question reste discutée de savoir s’il faut et
avec quelles modalités proposer systématiquement une activité bénévole aux allocataires de ce revenu
minimum. Cependant dans une perspective néo-républicaine le fait d’offrir un choix réel aux
bénéficiaires, en apportant les garanties qu’il sera sans conséquence sur les droits, apparait comme une
mesure efficace pour éviter les comportements de déférence stratégique.

b. Lutter contre le non-recours : orientation des politiques sociales néo-républicaines

Au-delà de la nouvelle grille d’analyse du non-recours qu’il offre, le néo-républicanisme propose une
conception des institutions et du gouvernement républicains, susceptible d’appuyer des préconisations
de politiques publiques. Globalement le non-recours est le symptôme des excès du libéralisme comme
du populisme qui l’un et l’autre corrompent à long terme la civilité, étendent l’emprise de la domination,
menacent la cohésion sociale et potentiellement à terme, la République et la paix civile ; le néo-
républicanisme entend, au contraire, instituer un mode de gouvernement qui renforce la vertu civique et
fait de la non-domination un idéal politique. Mais comment procéder ? Il faut remarquer au préalable
que dans la séquence historique contemporaine, le néo-républicanisme se présente en premier lieu
comme une alternative au libéralisme triomphant, et dans ce contexte l’enjeu est d’abord de restaurer la
civilité qui a été abimée par un excès d’individualisme. Pettit rappelle à cet égard l’importance de
restaurer la confiance des personnes dans les institutions de leur pays et en premier lieu dans le droit.
Dans cette perspective le droit doit devenir un vecteur de réappropriation de la citoyenneté, un moyen
par lequel s’expriment la revendication et une finalité du processus de demande de reconnaissance. Le
néo-républicanisme invite à considérer le droit non plus seulement comme un instrument de
gouvernement, mais comme un outil au service des mouvements sociaux pour concevoir ou faire évoluer
les politiques publiques. La théorie politique concourt ici au côté de la sociologie du droit, de la
sociologie des mouvements sociaux ou de la sociologie de l’action publique, à éclairer les nouveaux
leviers contestataires de la fabrique des politiques publiques que l’on verrait par exemple déjà à l’œuvre
dans le mouvement des droits civiques américains des années 1960, ou encore plus près de nous dans la
reconnaissance d’un droit opposable au logement dans la France de 2007 (Baudot, Revillard, 2014). A
cet égard l’initiative d’une collectivité comme la ville de Grenoble, qui accompagne les personnes à
ester en justice pour faire reconnaitre leur droit au logement, illustre parfaitement ce qui se joue ici dans
l’évolution des politiques publiques. Cette réappropriation civique du droit a pour autant un préalable
selon Pettit, le renforcement de la transparence autour du processus législatif en vue d’éviter les
interférences arbitraires de groupes de pression ou d’intérêts divers sur la fabrique des lois. Les lois
doivent être justes pour être respectées et donner au droit sa force républicaine. Cette réappropriation du
droit doit également, remarquons-le, servir de garde-fou aux tentations populistes d’instrumentaliser
voire de manipuler la contestation par exemple via les médias de masse ou les réseaux sociaux
aujourd’hui. Par ailleurs, Pettit assigne à l’Etat le rôle fondamental de promouvoir la liberté comme non-
domination en intervenant par une main intangible. Ni main de fer du populisme ni main invisible du
libéralisme, la main intangible pour le philosophe irlandais, limite les interférences arbitraires et

13
encourage par l’exemple – plus que par le contrôle et la sanction - les comportements civiques. Un
gouvernement néo-républicain peut dans cette perspective soutenir des mouvements qui œuvrent eux-
mêmes à la promotion de la liberté comme non-domination, Pettit prend notamment ici l’exemple du
féminisme ou de l’écologie. On pourrait prendre l’exemple des démarches participatives qu’évoque
Warin comme moyen de lutte contre le non-recours, elles peuvent également, sous certaines conditions,
être comprises dans une perspective néo-républicaine. Il conviendrait en effet de distinguer deux types
de démarches participatives, celles qui s’adossent à la dynamique collective qu’elle génère pour faciliter
le recours comme acceptation des dispositifs tels qu’ils sont, et celles qui poursuivent comme finalité
de faire évoluer les dispositifs et les politiques publiques afin de limiter les interférences arbitraires qui
sont précisément une cause de non-recours par non-demande. Les deux peuvent lutter contre le non-
recours, la seconde seulement intègre l’exigence de non-domination, la première comporte le risque
d’induire des comportements de déférence stratégique. Il convient de remarquer par ailleurs que la main
intangible n’a pas qu’un rôle de soutien et de promotion des mouvements qui œuvrent pour la liberté
comme non-domination, l’Etat doit aussi intervenir pour corriger des inégalités matérielles par une
politique redistributive. Cette dernière est justifiée par l’idéal politique de maximiser la liberté comme
non-domination et dès lors que la dotation en ressources matérielles rend possible l’exercice effectif de
choix non soumis à domination et qu’à l’inverse, le manque de ressources matérielles expose au risque
de domination par autrui. Les principes de la redistribution sont discutés avec une vigilance particulière
dans la perspective néo-républicaine car ils ne doivent pas eux-mêmes introduire de domination dans le
système. En conséquence ils sont élaborés à l’intérieur d’une double exigence. La première exclut toute
recherche d’égalisation stricte des ressources matérielles qui pourrait restreindre arbitrairement les choix
des mieux dotés en ressources. Pettit défend un égalitarisme structurel davantage attentif à l’intensité
qu’à l’extension de la non-domination, c’est-à-dire qui tend davantage à maintenir une égalité de choix
à niveau de ressources donné, plutôt qu’à instaurer une égale dotation en ressource. L’intervention de
l’Etat se limite en réalité chez Pettit à garantir à chacun un domaine de choix non soumis à domination
sur le périmètre de fonctionnement permis par les capabilités de base. La seconde exigence porte sur le
statut et les modalités de gestion des droits sociaux visant à compenser l’inégale dotation en ressource.
Il s’agit ici d’éviter deux choses, le risque que des gestionnaires de droits prennent des décisions
arbitraires ainsi que les comportements de déférence stratégique adoptés par les bénéficiaires craignant
les décisions arbitraires de l’administration. La solution retenue ici est de mettre ces droits à l’abri du
risque d’interférence arbitraire en leur apportant une « garantie d’ordre constitutionnel, assortie d’un
procédé indépendant et non politique de fixation des niveaux de cette assistance ».

Cette discussion du rôle de l’Etat et des principes d’une politique redistributive, nous fait entrevoir une
approche radicale du non-recours, où ce dernier n’est plus considéré comme un effet négatif produit par
un système juste par ailleurs, et qu’il s’agirait possible de corriger a posteriori, mais comme un
symptôme du risque de domination inhérent au système social lui-même et qui ne peut être maîtrisé
qu’au niveau normatif le plus élevé. Cette approche radicale du non-recours peut se déployer sur deux
niveaux, en interrogeant premièrement la redistribution non plus simplement sous l’angle d’une théorie
de la justice mais sous l’angle d’une théorie de la liberté comme non-domination. De ce point de vue la
redistribution apparait comme un phénomène complexe et ambigu qui poursuit un objectif d’équité mais
assure sur le long terme l’acceptabilité sociale d’un système générateur d’inégalités. Hatzfeld (Hatzfeld,
1989), par exemple, dans son histoire de la sécurité sociale a bien restitué cette ambiguïté en présentant
la sécurité sociale comme un des piliers constitutifs de la société capitaliste en mutation entre le milieu
du XIXème et du XXème siècle ; le débat récent sur le revenu universel en France qui rappelle les
risques d’une orientation néo-libérale de la protection sociale serait un autre exemple de l’intérêt de
disposer d’une approche néo-républicaine des politiques sociales qui déborde le seul point de vue d’une
théorie de la justice comme équité. Lutter contre le non-recours à ce niveau-là implique de discuter les
principes et les mécanismes de la redistribution avec l’objectif de minimiser les risques de domination
qu’ils comportent. La proposition de Pettit de réduire l’arbitraire des gestionnaires de droits parait
restrictive à cet égard, elle mériterait d’être élargie à un examen de l’ensemble du système redistributif.
A un deuxième niveau l’approche radicale du non-recours que l’analyse de Pettit suggère, renvoie à la

14
question de la judiciarisation des droits sociaux qui approfondit la question de l’accès au droit par la
question de l’exigibilité des droits devant le juge. Dans cette perspective l’enjeu de l’effectivité du droit
est moins celui de l’accès ou de l’égalité d’accès aux prestations mais bien celui de la possibilité pour
les personnes de faire reconnaitre leurs droits et d’exiger qu’ils soient rendus. Là encore les analyses
juridiques de Pettit mériteraient d’être prolongées, car si la garantie constitutionnelle est nécessaire pour
faire reconnaitre le droit, elle n’est pas suffisante pour garantir son effectivité. En effet, les droits sociaux
ont déjà la garantie constitutionnelle que Pettit appelle de ses vœux dans bon nombre de pays, et en
France à travers le préambule de la constitution de 1946, mais ceci ne suffit pas à les rendre justiciables
ou a fortiori effectifs. Il faudrait rappeler en premier lieu que la catégorie de droits sociaux est en tant
que telle imprécise car elle recouvre plusieurs catégories de droits13, mais qui ont toutes en commun
d’être des droits dits de la deuxième génération, des droits créances opposés traditionnellement par la
doctrine juridique aux droits civils et politiques ou droits libertés, seuls justiciables devant les tribunaux.
Les droits sociaux sont réputés en effet être davantage des programmes, des objectifs, des guides
d’action des pouvoirs publics que des droits des individus, et cette définition leur confère une certaine
vulnérabilité normative. Par ailleurs la doctrine s’appuie sur le principe de la séparation des pouvoirs
pour argumenter contre l’intervention du juge sur le champ du social qui relève de la compétence du
parlement compte tenu des incidences financières qu’impliqueraient des décisions en la matière. La
distinction doctrinale entre droits sociaux et droits libertés est cependant très discutée par les juristes,
certains tentent de la réélaborer à l’intérieur d’une théorie générale des droits de l’homme en mesure de
dépasser ces oppositions, leur permettant in fine de considérer que le juge peut être garant dans certains
cas de l’effectivité des droits sociaux (Roman, 2010 ; Herrera, 2009). Finalement dans cette perspective
cohérente avec une stratégie néo-républicaine de lutte contre le non-recours aux droits sociaux, il
incombe aux États une triple obligation de respecter les droits quels qu’ils soient, de protéger leur
bénéficiaire et de rendre ces droits effectifs.

3) Conclusion
Les travaux de Philippe Warin sur le non-recours intentionnel ont déporté la question du non-recours
traditionnellement élaborée sur le champ de l’ingénierie socio-économique des politiques publiques. Ils
ont témoigné de la limite des hypothèses rationalistes faites sur les agents pour comprendre les
comportements relatifs à l’offre publique, et ont mis en lumière l’enjeu de légitimation des politiques
sociales pour accroitre l’efficacité de ces dernières. L’objectif final poursuivit par les analyses et les
préconisations du politiste est d’assurer une égalité d’accès de chacun à l’offre ainsi que l’effectivité des
droits sociaux. Cette réélaboration socio-politique de la question du non-recours intentionnel nous a paru
cependant soulever un autre enjeu, proprement politique. Elle atteste d’une situation qui conduit certains
de nos contemporains à rejeter volontairement les avantages du contrat social et dresse alors le
symptôme d’une fragilisation inquiétante de ce dernier. Elle invite en conséquence à inscrire l’approche
socio-politique du non-recours dans une théorie politique plus générale susceptible d’analyser les
processus de désengagement en mesure d’expliquer le non-recours mais aussi de porter une vigilance
critique sur les risques de dérives libérales ou populistes de politiques sociales nourries par une telle
fragilisation du contrat social. Nous avons tenté de montrer que le néo-républicanisme proposé par Pettit
était un bon candidat pour ce faire et que ses apports étaient patents aux niveaux analytiques et
théoriques. Au-delà de la réinterprétation du non-recours par désintérêt et par conflit de valeur,
l’approche néo-républicaine propose ainsi d’inscrire son analyse du non-recours dans une lecture de
l’histoire de la socialité moderne et de la conceptualisation républicaine de la liberté comme non
domination. Cela conduit notamment à enrichir le cadre d’analyse en prenant en compte au même niveau
que les phénomènes de non-recours, des phénomènes de recours par déférence stratégique qui sont
également à limiter dans une perspective néo-républicaine. Sur un plan théorique les travaux de Pettit
nous invitent en outre à réinterroger les principes de justice des politiques sociales et leur contribution

13Par exemple les droits issus de la relation professionnelle, les droits à des prestations sociales désignant les bénéfices résultant
de la législation sociale, ou encore les droits fondamentaux très généraux proclamés par les textes constitutionnels et
internationaux.

15
à l’organisation sociale générale ; il est apparu notamment que la théorie de la justice libérale-solidaire
au nom de laquelle est menée la lutte contre le non-recours, est insuffisante pour organiser la société
avec un idéal de non-domination et susciter l’engagement civique des personnes. Au terme de ce travail
deux pistes ont été tracées qui prolongent le travail de Pettit lui-même, et l’applique aux politiques
sociales. La première invite à constituer une grille néo-républicaine des politiques redistributive depuis
une relecture critique des théories distributives de la justice ; la seconde invite à approfondir l’examen
du rôle de l’Etat dans l’accès aux droits sociaux à travers la problématique de la justiciabilité des droits
et de leurs conditions d’effectivité.
Mais alors, au terme de ce parcours que répondre à la question sur l’opportunité du versement
automatique des prestations ? Sans conteste, ce versement apparaitra nécessaire pour couvrir un
ensemble de risques que l’on pourrait considérés comme imminents, et pour une triple raison morale,
gestionnaire et politique. La raison morale est que le versement automatique des prestations semble une
solution efficace pour traiter le non-recours et éviter que des personnes ne vivent dans une précarité
indigne ; la raison gestionnaire est qu’un tel traitement du non-recours permet un pilotage plus efficient
des politiques publiques et par ailleurs prévient une partie des risques de contentieux sociaux14 ; la raison
politique est qu’il est impératif de préserver le principe de justice qui fonde la cohésion sociale et la
confiance dans l’intervention de l’Etat, et qu’il est nécessaire à ce titre de renforcer l’effectivité de
l’accès au droit. La lecture néo-républicaine du non-recours met en exergue cette raison politique. Elle
peut prêter à discussion dans la mesure où la conceptualisation qu’elle propose du non-recours peut
sembler trop extensive. Mais il convient de remarquer d’une part, qu’elle complète les grilles d’analyse
existantes sans se substituer à elles, et que d’autre part, elle permet de détecter un risque social spécifique
qui emporte tous les autres, un risque qui mine les forces de cohésion de la société elle-même. De ce
point de vue le versement automatique des prestations ressemble à ces traitements antibiotiques à large
spectre administrés pour éliminer d’un coup de nombreuses souches bactériennes, qui ont exposé le
patient à un risque accru d’affection aux bactéries résistantes15 ; éliminer largement le non-recours aux
droits sociaux ne supprimera pas les revendications de ceux qui renoncent intentionnellement à ces
derniers, et pourrait bien au contraire renforcer ces revendications. Or celles-ci sont particulièrement
préjudiciables parce qu’elles s’attaquent à la légitimité de l’intervention de l’Etat au nom d’une critique
de la domination - cohérente paradoxalement avec la théorie républicaine de l’Etat -, et qu’elles font
sans le savoir le jeu d’un libéralisme ou d’un populisme socialement destructeur. Une solution simple à
cet égard, pour éviter que le versement automatique des prestations nourrisse ce type de critique, serait
de donner la possibilité à chacun de renoncer à percevoir automatiquement ce versement.

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14
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« Les contentieux sociaux qui regroupent l'ensemble des litiges relatifs à l'aide sociale, au RSA, au logement et aux droits des
travailleurs sans emploi représentent environ 13% des affaires enregistrées. Ils augmentent globalement de 6%. Au sein de ces
contentieux, le DALO (45% des contentieux sociaux) augmente de 12%, le RSA (18%) diminue de 9% et l'aide sociale aux
personnes handicapées (9%) diminue de 10%. », p40
15
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