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Prières aux "dieux de la nuit"

Mémoire de Master 1

Galla Topalian
Juin 2014

UFR 09 : Histoire et anthropologie de l'Antiquité.


Sous la direction de M. Francis Joannès.
1
2
Sommaire

Introduction .............................................................................................................................. 4
Les prières aux dieux de la nuit : présentation, traduction et commentaire. ..................... 9
I. Les prières paléo-babyloniennes. ..................................................................................... 10
II. Le rituel akkado-hittite de Hattussa. ................................................................................ 25
III. Trois rituels nocturnes néo-assyriens ............................................................................... 34
Analyse littéraire et religieuse du corpus ............................................................................. 60
I. Particularismes et persistance des prières aux "dieux de la nuit" : aspects littéraires du
corpus. ...................................................................................................................................... 60
II. Les "dieux de la nuit" : pouvoirs et pratiques rituelles..................................................... 81
Conclusion ............................................................................................................................... 96
Annexes ................................................................................................................................. 101
Bibliographie......................................................................................................................... 126
Table des matières ................................................................................................................ 135

3
Introduction
.

"Alors, elle répand autour d'elle des substances


pestilentielles et des sucs vénéneux ; elle invoque
la Nuit, les dieux de la Nuit, l'Erèbe, le Chaos et
elle adresse des prières à Hécate avec de longs
hurlements"
Ovide, Les métamorphoses, XIV : 403-405.

La formule "dieux de la nuit" est fascinante. Nous connaissons par la mythologie classique
grecque et latine une "déesse de la nuit", la divinité primordiale Nyx qui a donné naissance au jour, au
destin, au sommeil, au rêve et à la mort (Hésiode, Théogonie 200-249). Elle est représentée couverte
de voiles ce qui la rapproche singulièrement de la personnification nocturne akkadienne, "la fiancée
voilée"1. La multiplicité des "dieux" nocturnes est troublante. Plutôt que l'essence de la nuit divinisée,
il s'agit d'un ensemble d'objets surhumains se manifestant la nuit – les étoiles, planètes et
constellations divinisées. Les liens qu'entretiennent les astres et le divin sont nombreux et ambigus.
Les dieux sont des êtres surélevés au regard de l'humanité, et relèvent d'une nature céleste. Comme les
astres, ils émanent une radiance appelée en akkadien melammu2. Cette proximité se manifeste de façon
certaine par l'idéogramme DINGIR, à la fois le nom "dieux", ilu en akkadien, et le signe classificateur
permettant d'introduire les noms divins. S'ils partagent un certain nombre de caractéristiques, il n'y a
pas d'adéquation totale entre les astres et les dieux, et ce même pour les dieux de la triade astrale, Sîn,
Šamaš et Ištar dont la lune, le soleil et Vénus ne sont qu'une de leurs représentations. Les astres,
invoqués nominativement ou sous le nom général de "dieux de la nuit" ont une nature particulière :
"une authentique divination des Astres, totalement équiparés aux dieux, ne semble jamais avoir été
formellement reconnue : Ils n'ont pas été introduits en toutes lettres dans les 'listes' des dieux, et Leur
nom stellaire n'est régulièrement jamais précédé du 'classificateur' des dieux, mais seulement du signe
mul ('étoile'), indicatif des astres"3 ; nous ne connaissons aucune attestation de culte théocentrique4
rendu à ces "dieux", et aucun temple ne semble leur avoir été dédié. La question du principe divin des

1
Maqlu I, 2. Cf CAD, M2, p. 272
2
CAD, M2, p. 10. Pour le terme melammu relatifs aux étoiles, p. 12
3
J. Bottéro, 1998, p. 136
4
Ibid, p. 229

4
astres est au cœur de notre travail ; nous l'approchons par les sources originales relatives à ces
divinités, parmi lesquelles nous avons sélectionné un corpus de prières. Afin de nous permettre de
traiter librement de cette nature particulière, nous avons choisi de conserver dans le corps de notre
analyse des guillemets qui accompagneront systématiquement l'expression "dieux de la nuit".
Le régime de croyance et le sentiment religieux peuvent être abordés par différents biais.
L'archéologie nous renseigne principalement sur les pratiques matérielles ; les textes quant à eux, et
notamment les prières nous permettent d'approcher plus intimement un système de représentation. La
prière est un procédé complexe de rapprochement de l'homme au divin qui a deux but distincts : d'un
côté l'apologie, l'adoration, la vénération et la soumission de l'homme envers son dieu ; de l'autre la
supplication qui vise à obtenir l'intercession ou de la faveur divine. Dans les prières akkadiennes nous
trouvons régulièrement réunis ces deux aspects, mais selon l'importance relative de chacune de ces
fonctions, les prières relèvent du culte théocentrique, destiné à l'entretien des dieux, ou sacramentaire,
visant à obtenir un bienfait particulier5. Toutes les prières destinées aux "dieux de la nuit" mises au
jour appartiennent à cette seconde catégorie, qui se subdivise en deux genres : les prières du devin,
appelées ikrib mušītim, et les incantations, šiptu récitées au cours de rituels d'exorcisme. Nous aurons
l'occasion de revenir sur la distinction entre ces deux catégories. En un mot, les prières sont des
paroles qui n'ont d'autres buts que d'intéresser la divinité à son sort. Le principe effectif recherché
n'appartient qu'au dieu. Au contraire, l'incantation a une origine magique. Elle est pensée efficace par
elle-même à condition d'être très exactement récitée. Cette distinction a cependant tendance à
s'amenuiser, sous l'effet conjugué de la normalisation et de la fixation des prières et du processus
d'adaptation à la religion de l'ensemble des rituels magiques.

Les "dieux de la nuit" apparaissent à de nombreuses occurrences dans la littérature religieuse


et savante akkadienne parmi les textes les plus célèbres. Ainsi, ils sont évoqués dans le traité
d'astrologie Enūma Anu Enlil célèbre dans sa version néo-assyrienne (VIIe siècle), ainsi que dans deux
grands traités d'exorcisme Maqlû "crémation" (1 : 1-36), contre les ensorcellements, et Šurpu
"combustion" (3 : 111) contre les atteintes du sort pour des raisons inconnues. Nous les connaissons
pas des sources primaires, des tablettes contenant des rituels et des prières6, et par des sources
secondaires, lettres du devin ou de l'exorciste7. D'autres fois, les astres sont invoqués individuellement
ou sous les noms "étoiles de la nuit", "étoile d'Anu, d'Enlil et d'Ea". L'ensemble de cette
documentation a fait l'objet d'un ouvrage d'E. Reiner8, regroupé dans une riche synthèse sur la magie
astrale. Les étoiles sont ainsi invoquées dans le cadre de manipulations magiques afin de doter les
objets qui sont présentés à leur rayonnement d'une nature particulière.

5
J. Bottéro, 1998, p. 327
6
En plus des prières étudiées : KAR 38 destiné à réparer le mal issu d'un rituel mal réalisé ; STT 231, contre les
mauvais présages issus de l'extipicine ; STT 73, rituel de divination pas incubation de tablettes sous les étoiles.
7
S. Parpola, 1993, pp. 216-217
8
E. Reiner, 1995

5
Notre étude n'est pas si ambitieuse. Parmi l'ensemble de ces occurrences, nous avons
déterminé un corpus particulier de prières sur la base de deux critères fondamentaux également
employés par W. Mayer9. D'abord, les prières que nous traitons ont en commun de s'adresser aux
divinités nocturnes sous la forme d'une liste astrale. Ensuite, elles ont la particularité de décrire la nuit
par la voix lyrique et des images partagées. Parmi les textes que nous avons sélectionnés, deux ne sont
pas suffisamment bien conservés pour remplir avec certitude ces conditions. Nous ajoutons donc
volontairement le texte CBS 574 qui comporte de nombreuses ressemblances avec les autres textes
paléo-babyloniens et dont la liste astrale commence par les mêmes divinités et K. 2315+ dont les dix
premières lignes sont perdues et qui contenaient certainement la mention de la formule "dieux de la
nuit", absente du reste du texte. Néanmoins, il remplit entièrement les deux critères exprimés plus
haut.
Ce corpus ainsi composé peut être divisé en trois groupes distincts. Tout d'abord, les prières
les plus anciennes sont inscrites dans la langue paléo-babylonienne. Nous utiliserons donc ce terme
pour les définir au cours de notre travail. Leur contexte d'origine est inconnu mais elles pourraient être
originaires de la ville de Sippar10. Nous ne connaissons pas leur date de rédaction, mais il semble que
la copie ERM 15642 soit plus ancienne que AO 6769 et CBS 574 qui datent certainement de la fin de
la période paléo-babylonienne (XVIIe siècle).
Le deuxième groupe est constitué d'une seule tablette très particulière. VAT 7445 est une
incantation appartenant à un rituel bilingue akkado-hittite. Cette tablette été mise au jour sur le site de
Boğazköy qui correspond à la capitale du nouvel empire hittite Hattussa. D'après cette localisation et
le texte de la tablette, nous pouvons la dater du XIVe ou XIIIe siècle. L'empire hittite correspond à une
zone limitrophe de la Mésopotamie géographique mais participant pleinement à son histoire politique
et culturelle. A l'époque de rédaction de cette tablette, l'empire "ruled supreme over the Anatolian
plateau from the western valleys to the headwaters of the Euphrates, and had expanded their domain to
include Cilicia and Syria from the Taurus to the Lebanon"11. Du point de vue des forces
internationales, le roi Hittite est l'un des Grands Rois, son empire est "l'égal de l'Egypte et de
Babylone, plus tard d'Assur"12. Sa capitale attire de nombreux savants, la culture babylonienne y est
connue et bien représentée, si bien que les documents mis au jour à Hattussa, environ 20 000
fragments, renseignent parfois mieux sur la culture médio-babylonienne que les documents trouvés en
Babylonie à cette période13. "Within that area receptive to Mesopotamian culture known to
Assyriologists as the 'periphery', the Hittite capital of Hattuša remains the most important site. Not
only do the archives of the Hittite kings constitute the largest single repository of material, but they

9
W. Mayer, 1976, p. 427
10
N. Wasserman, W. Horowitz, 1996, p. 60
11
A. Goetze, 1975, p. 266
12
K Brittel 1976, p. 103
13
U. Koch-Westenholz, p. 44

6
contain the earliest-attested exemplars of several "canonical" Mesopotamian texts"14. La prière que
nous avons sélectionnée participe certainement de ce goût des Hittites pour la culture babylonienne. Il
s'agit en effet d'un rituel bilingue dont nous aurons l'occasion de souligner les particularités. Par
référence au contexte géographique de mise au jour de la prière sélectionnée, nous aurons tendance à y
référer par le qualificatif "hittite", bien qu'elle soit rédigée en akkadien.
Le dernier groupe est constitué de trois tablettes originaires du site de Kuyunjik qui
correspond à la ville de Ninive. Cette dernière devient la capitale de l'empire néo-assyrien sous le
règne de Sennacherib (704-681). L'empire néo-assyrien (745-612) vit son apogée sous les règnes de la
dynastie sargonide (722-612). Au cours de cette période, la Babylonie entière est conquise ainsi que
les zones limitrophes de la Mésopotamie, y compris l'Elam et sa capitale, Suse et pendant un temps la
Basse-Egypte. D'un point de vue culturel, l'empire assyrien hérite en grande partie de la réligion et de
la littérature babylonienne. L'un de ces documents dispose d'un colophon qui nous permet de le
rattacher certainement à la bibliothèque d'Aššurbanipal. Ce fonds de documents littéraires et savants,
dont ont été mis au jour de plus de 30 000 fragments, a été constitué par plusieurs souverains
successifs, mais le nom d'Aššurbanipal qu'on trouve sur la majorité des documents lui est resté
durablement associé. Ce roi a considérablement enrichi ses bibliothèques à l'occasion de la soumission
de Babylone d'où a été importée, sous forme de tribut, une grande partie de sa collection. La
provenance de ces tablettes ne renseigne donc pas véritablement sur leur contexte de rédaction : "We
do not know what literature was composed in first-millennium Babylonia; we know only what literary
works were kept in royal and private libraries of the period. Some works may merely have found a
repository there; others were very much in use, on religious occasions, to be recited or to serve as
guides for rituals and magic performances. Still others were copied again and again, and the scholarly
literature was extensively commented upon"15. Ces éléments sont souvent les seuls témoins dont nous
disposons de la littérature babylonienne du Ier millénaire16.
Les tablettes de cette extraction sont rédigées en babylonien standard. Cet adjectif sera
toujours utilisé ici pour définir la langue, mais nous préfèrerons nous y référer par le qualificatif de
"néo-assyrien" qui replace ces textes dans leur contexte historique

Notre corpus est donc exceptionnel de par sa diversité chronologique et géographique. Nous
traduisons ce conservatisme par la notion de "courant de tradition". Or, de façon extraordinaire, ce
courant s'est maintenu relativement à un ensemble de dieux qui n'appartiennent pas aux grandes
figures du panthéon traditionnel. Comment expliquer que les prières aux "dieux de la nuit" se
maintiennent si longtemps et se diffusent sur une telle zone géographique ? L'approche que nous
souhaitons avoir ici est certes religieuse, mais se veut avant tout historienne. Nous tâcherons de

14
G. Beckman, 1983, p. 98
15
E. Reiner, 1960, p. 293
16
E. Reiner, 1991, p. 293

7
conserver dans notre étude une attention aux variations et évolutions visibles entre les époques. Pour
cela, notre travail reposera sur la comparaison entre les prières "originales" paléo-babyloniennes et
leurs successeures.

Dans cette optique, nous souhaitons nous placer dans la filiation des historiens des religions
représentés entre autres par E. Reiner : "The legitimate concerns of historians of religion need not
overshadow the literary appreciation of Babylonian poetic works. This task, which ideally a trained
literary historian should perform, today still needs the care of the philologist who reads these works in
the original. Apart from the philologist's basic task often made more difficult by the nature of the
cuneiform writing system wherein a syllabic sing, even if undamaged and completely legible, is
susceptible of several readings – and of resolving the grammatical ambiguities inherent in the
morphology or syntax or Akkadian, it is his familiarity with a large body of texts that allows him to
perceive both the unusual and the atypical in diction and the echoes and allusions among a varied
spectrum of the poetical work"17. Suivant cette prescription, nous proposons ici une approche
analytique des "dieux de la nuit". La première partie de notre mémoire est dédiée à la présentation des
textes, leur traduction et leur commentaire, absolument nécessaire à la suite de notre analyse.

La deuxième partie est composée de deux axes. Nous étudions d'abord l'aspect littéraire des
textes, en étudiant d'une part les prières sources paléo-babyloniennes et dans un second temps les
documents plus récents qui leur sont affiliés. "In what measure identical exemplars reflect the
immutability of tradition and, conversely, in what measure changes observed between an earlier and a
later exemplar are indicators of a change in taste and interest are important questions for the
interpretation of Babylonian literary history that only much painstaking philological work will
elucidate"18.
Dans un second temps, nous analyserons dans le détail la fonction des "dieux de la nuit" au
sein des prières et surtout leur évolution. Nous cherchons ici à comprendre si le maintien de ces dieux
résulte d'un fort conservatisme ou au contraire d'une variation de leur représentation. Pour ce faire,
nous traiterons séparément les prières originales et ses descendantes hittites et néo-assyriens.

17
E. Reiner, 1985, pp. IX-X
18
Ibid, p. XI

8
Les prières aux dieux de la nuit :
présentation, traduction et commentaire.
Nous proposons ici une analyse des prières aux "dieux de la nuit" réparties en trois ensembles.
Les prières paléo-babyloniennes forment le premier groupe, les textes "sources". Le document mis au
jour à Hattussa, zone périphérique de la Mésopotamie est traité de façon particulière. Enfin, les trois
documents découverts à Ninive forment le troisième ensemble de prière. En guise d'introduction, nous
voudrions définir ici les normes de translittération et de citation que nous avons suivies. Dans les
translittérations, nous indiquons en italique les signes phonétiques akkadiens. Les signes
idéogrammatiques sont notés en majuscules droites. Les idéogrammes déterminatifs et les
compléments phonétiques sont indiqués en exposant. Le "sumérien syllabique" dans le texte originaire
de Hatussa (VAT 7445) est transcrit également en majuscules. Les signes déchiffrés mais qui ne font
pas sens pour nous sont présentés en minuscules droites.
Lorsqu'au cours de notre analyse nous devons citer le texte, nous avons suivi les règles
suivantes : les citations akkadiennes sont présentées en italique et les citations idéogrammatiques et
sumériennes sont en majuscules. Les signes cités sont en minuscules entre guillemets simples. Enfin,
lorsque nous faisons référence à la sonorité particulière d'un mot, d'une partie du mot ou des signes qui
le composent, nous les indiquons entre crochets tels qu'ils apparaissent dans notre translittération.
Ainsi par exemple, nous noterons U4 pour l'idéogramme qui signifie "le jour" ; 'u4' si nous évoquons le
signe dans sa forme ; [ū] si nous faisons référence à sa sonorité dans le nom ūmu(m), "le jour".
Enfin, nos traductions comportent des listes plus ou moins étoffées de noms d'étoiles, de
planètes et de constellations. Plusieurs choix s'offraient à nous : soit traduire l'ensemble des astres
invoqués par leur correspondant actuel afin de les rendre plus accessibles aux lecteurs contemporains,
soit rendre les noms akkadiens et sumériens par une traduction des noms des constellations, afin de
conserver l'imaginaire et le bestiaire des textes originaux. Ces deux approches ont leurs
difficultés : d'une part, tous les astres invoqués, notamment dans les prières les plus anciennes, ne sont
pas identifiés avec certitude. D'autre part, certains noms de constellations n'ont pas de sens propre, il
est donc difficile de les traduire. Notre attitude de traduction est à mi-chemin entre ces deux
propositions. Nous traduisons ici les noms mésopotamiens des astres en italique afin de ne pas
confondre le cas échéant avec nos dénominations contemporaines ; lorsque cela est impossible, nous
présentons leur valeur contemporaine. Néanmoins, par soucis de précision, nous avons choisi de
rendre les idéogrammes déterminatifs des astres MUL par "constellation", "étoile" ou planète" en
fonction de la nature de l'objet invoqué. Pour compléter cette traduction, nous proposons en annexe un
tableau détaillé des étoiles invoquées suivi de leur identification actuelle.

9
I. Les prières paléo-babyloniennes.

1.1. ERM 15642 = ZA 43 p. 306 ; AO 6769 = RA 32 p. 279.

Nous avons choisi de présenter et de traiter ensemble les deux versions paléo-babyloniennes
des prières aux "dieux de la nuit". Elles ne semblent pas parfaitement contemporaines. Plusieurs
indices montrent que la tablette AO 6769 est probablement une copie plus récente d'ERM 15642,
notamment la mimation non systématique, la déformation de la semi-consonne [w] en [n] et
l'utilisation privilégiée des idéogrammes là où la version ancienne utilise quasi-exclusivement des
signes phonétiques. Etant donnés ces éléments, nous datons la seconde copie de la fin de la période
paléo-babylonienne, vers le XVIIIe siècle ; W. Horowitz et N. Wasserman indiquent qu'elle pourrait
également être d'époque médio-babylonienne19, et soulignent que ces documents ont probablement été
mis au jour à Sippar20, lors de fouilles clandestines. L'attribution à ce site repose sur deux éléments :
d'une part la très riche collection de tablettes mise au jour à Telle Abbu-Habbag21, d'autre part le fait
que Sippar soit un centre religieux dédié au dieu Šamaš. Or, notre prière fait référence à plusieurs
reprises cette divinité, accolée d'épiclèses beaucoup plus riches que pour l'ensemble des autres dieux
invoqués.
La tablette ERM 15642 est actuellement conservée au musée de l'Ermitage de Saint-
Pétersbourg. Elle mesure 8,1 cm x 6,7 cm22 et les lignes sont tracées. La tablette AO 6769 est
conservée au musée du Louvre. Elle est de couleur brun clair, mesure 9,6 cm de hauteur x 4,9 cm de
largeur x 1,5 cm d'épaisseur23. En plus de la prière aux "dieux de la nuit", cette tablette contient deux
autres prières nocturnes qui s'adressent de manière plus traditionnelle aux dieux Šamaš et Adad.
Beaucoup plus courtes, elles sont composées de sept lignes chacune.

ERM 15642 a été publiée pour la première fois dans les Izvestiia Rossijskoj Akademii Istorii
Material'noj Kul'tury 3 en 1924 par W. Šilejco24 ; cette version est malheureusement aujourd'hui
inaccessible. En 1935, lors de la publication d'AO 6769, G. Dossin fait paraître une translittération de
la tablette précédente dans un commentaire comparé25. Par la suite, les publications traitent ensemble
ces deux documents. La tablette ERM 15642 a toutefois été publiée seule sous la forme d'une nouvelle
translittération, traduction et commentaire en 1936 par W. von Soden à partir de la copie précédente26.

19
W. Horowit, N. Wasserman, 1996, p. 57
20
W. Horowit, N. Wasserman, 1996, p. 60
21
O. Pedersén, 1998, p. 193
22
W. Horowitz, 2000, p. 197
23
G. Dossin, 1935, p. 179
24
W. Šilejco, 1924, pp. 144-152, pl. VIII
25
G. Dossin, 1935, pp. 179-187
26
W. von Soden, 1936, pp. 305-308

10
Le texte a récemment été de nouveau étudié à partir de la tablette originale par W. Horowitz27. Nous
proposons en annexe sa copie sur laquelle nous avons fondé notre translittération.
Les deux prières "dieux de la nuit" connaissent un très grand succès à partir des années 1950 ;
généralement le texte retenu est celui d'ERM 15642, si bien que nous y ferons dorénavant référence
comme la version paléo-babylonienne par excellence. Elle est traduites dans de nombreuses
compilations de textes religieux et prières, dont voici une sélection : en 1950 par F. J. Stephens dans le
premier recueil des Ancient Near Eastern Texts Relating to the Old Testament28 ; en 1953 dans les
Sumerische und akkadische hymnen und Gebete, par A. Falkenstein et W. von Soden29 ; en 1970 dans
Les religions du Proche-Orient asiatique de R. Labat30 ; en 1976 par J.-M. Seux dans son recueil
Hymnes et Prières aux dieux de Babylonie et d'Assyrie31 ; en 1993 puis en 2005 par Foster dans son
ouvrage Before the Muses32. En 1995, cette prière fait l'objet d'une étude par E. Reiner dans un article
sur la pratique de l'astrologie, repris dans son ouvrage relatif à la magie astrale33. La très grande
popularité de ce texte est particulièrement visible dans la version versifiée en anglais donnée par D.
Ferry à partir de la traduction de W. L. Moran34, puis de nouveau en 1982 par K. Hecker dans un
article présentant divers hymnes et prières akkadiens35.
La version paléo-babylonienne des prières aux "dieux de la nuit" a enfin été largement étudiée
dans des articles comparatistes relatifs aux divinités nocturnes. Citons surtout celui d'A. L.
Oppenheim36 et de A. Mouton37 relatifs aux "dieux de la nuit", et les articles de P. Steinkeller38 et J.
Fincke39 évoquant l'aspect nocturne des rituels d'haruspicine.

Notre translittération a été guidée par les publications successives, à commencer par celle de
G. Dossin et jusque celle de W. Horowitz. Nous analysons ici en premier lieu le texte de la tablette
ERM 15642. Lorsque la copie d'AO 6769 diffère de ce dernier, nous l'indiquons dans le commentaire.
Nous proposons en annexe un tableau récapitulatif des figures de style des prières étudiées. L'analyse
générale de la structure du poème est proposée dans le corps de notre mémoire40.

27
W. Horowitz, 2000, pp. 194-197
28
F. J. Stephens, 1950, pp. 390-391
29
A. Falkenstein, W. von Soden, 1953, p. 274
30
R. Labat, 1970, p. 276-277
31
J.-M Seux, 1976, pp. 475-477
32
B. Foster, 2005, pp. 146-147
33
E. Reiner, 1985a, p. 591 ; 1995, p. 1
34
D. Ferry, 1990, p. 171
35
K. Hecker, 1989, p. 718-719
36
A. L. Oppenheim, 1959, pp. 282-301
37
A. Mouton, 2008, p. 230
38
P. Steinkeller, 2005, pp. 11-47
39
J. Fincke, 2009, p. 519-558
40
Voir sous-partie 1.1.1

11
Translittération :

1. ⌈pu⌉-ul-lu-lu ru-bu-ú
2. wa-aš-ru-ú sí-ik-ku-ru ši-re-tum ša-ak-na-a
3. ha-ab-ra-tum ni-šu-ú ša-qú-um-ma-a
4. pe-tu-tum ud-du-lu-ú ba-a-bu
5. i-li ma-tim iš-ta-ra-at ma-a-tim
d
6. UTU d EN.ZU dIM ù dINANNA
7. i-te-er-bu-ú a-na ú-tu-ul ša-me-e
8. ú-ul i-di-in-nu di-na-am ú-ul i-pa-ar-ra-sú a-wa-tim
9. pu-us-sú-ma-at mu-ši-i-tim
10. É.GALlum ša-hu-ur ša-qú-um-mu ṣe(ad)!-ru-ú
11. ⌈a⌉-li-ik ur-hi-im DINGIRlam ⌈i-ša⌉-si ù di-nim uš-te-bi-ir-ri ši-it-tam
12. ⌈da⌉-a-a-an ki-na-ti-im a-bi e-ki-a-tim
13. dUTU i-te-ru-ub a-na ku-um-mi-šu
14. ra-bu-tum i-li-i mu-ši-i-tim
15. na-wi-ru-um dBIL.GI
16. qú-ra-du-um dÈR.RA
17. qá-aš-tum ni-ru-um
18. ši-ta-ad-da-ru-um mu-uš-hu-uš-šu-um
giš
19. MAR.GÍD.DA in-zu-um
20. ku-sa-ri-ik-ku-um ba-aš-mu-um
21. li-iz-zi-<zu>-ú-ma
22. i-na te-er-ti e-ep-pu-⌈šu⌉
23. ina pu-ha-ad a-ka-ar-ra-bu-ú
24. ki-it-tam šu-uk-na-an
25. 24 MU.BI ik-<ri>-ib mu-ši-tim

12
Traduction :

1. Les princes sont sous bonne garde,


2. Les chevilles sont abaissées, les anneaux sont en place.
3. Les gens (jusqu'alors) bruyants sont (maintenant) silencieux.
4. Les portes (d’habitude) ouvertes sont closes (à présent).
5. Les dieux du pays (et) les déesses du pays
6. Šamaš, Sîn, Adad et Ištar,
7. Sont rentrés dans le giron des cieux,
8. Ils ne rendent plus de jugement, ils ne donnent plus de verdict.
9. La Nuit est voilée.
10. Le palais est dans la torpeur, les steppes sont silencieuses.
11. Le voyageur invoque son dieu et (celui qui attend) un jugement demeure assoupi.
12. Le juge des vérités, le père des démunis
13. Šamaš est entré dans sa cella.
14. Ô grands dieux de la nuit,
15. Brillant Gira,
16. Héroïque Erra,
17. Arc, Joug,
18. Orion, Dragon,
19. Chariot, Chèvre,
20. Bison, Vipère,
21. Qu'ils apparaissent !
22. Dans l'oracle que je prends,
23. Dans l’agneau que je sacrifie,
24. Placez la vérité.
25. 24 lignes : prière nocturne.

13
Commentaire :

Ligne 1 : le premier signe 'pu' est illisible. Il est restitué grâce à la copie AO 6769 et justifié par la
traduction de pullulu : "bien gardé"41 Il s'agit de l'interprétation la plus récente de ce signe qui forme le
permansif du verbe palālum : "überwachen" au système II42.

Ligne 2 : le substantif sikkûru est remplacé dans la copie AO 6769, l. 1 par sikkatum qui définit plus
spécifiquement le loquet d'une porte. Ici, il s'agit d'une barre ou d'un verrou43. La tablette AO 6769, l.
2 diffère légèrement : še-re-tum ta-ab-ka-[a] : "les anneaux sont rabattus". Le verbe tabākum signifie
originellement "verser"44. Il faut selon nous comprendre ce terme comme associé au mouvement d'une
poignée circulaire de haut en bas, mouvement également approprié à un système de fermeture. Le
substantif šērtum est habituellement traduit "les barres"45. Nous retenons ici une traduction d'A.
Livingstone46. L'ordre des mots dans la phrase est libre. Ils sont composés selon une structure
grammaticale en chiasme de type verbe + nom // nom + verbe. Ce chiasme est doublé d'une alternance
très maîtrisée du masculin (premier groupe nominal) et du féminin (second). Le tout constitue une
répétition générale du sens, récapitulée ligne 4 : "les portes sont closes (à présent)".

Ligne 3 : il y a une erreur dans le permansif du verbe šuqammumu. On devrait en effet en bonne
grammaire le trouver sous la forme šuqammumā. Cette irrégularité est probablement due au
rapprochement de l'adjectif šaqummum, silencieux. On retrouve ce verbe correctement conjugué dans
les textes les plus récents (K. 2315+, l. 36 et dans K. 3507 l. 9). Il s'agit du cœur du poème aux "dieux
de la nuit" qui constitue notre fil d'Ariane dans l'ensemble de cette étude47. Ici, les deux permansifs
s'opposent : "bruyant" fait face à "silencieux" sans connecteur logique.

Ligne 5 : ilī mātim est une erreur. Le cas du nom devrait être le nominatif pluriel ; ilū correctement
noté dans la tablette AO 6769 (l. 5). Les deux sujets "dieux" et "déesses" forment ici une paire
mérismatique classique de la littérature paléo-babylonienne48, un trait littéraire qui se maintient
jusqu'aux plus récentes périodes.

41
A. Livingstone, 1990, p. 63-64
42
AHw, II p. 813.
43
CAD, S, p. 256
44
CAD, T, p. 4
45
CAD, Š2 , p. 326, C
46
A. Linvingstone, 1990, n° 63 ; 1995, n° 67
47
Voir sous-partie 1.2.1
48
N. Wasserman, 2007, p. 86

14
Ligne 6 : les dieux Šamaš, Sîn et Ištar font partie d'une même famille divine, celle des "dieux astraux"
et entretiennent des liens de parenté, Sîn étant le père les deux autres. Adad est le "dieu de météores" 49
et de la foudre ; il a pleinement sa place dans la mesure où il participe avec les trois autres à l'ensemble
des manifestations célestes. Il est d'ailleurs frappant que les oracles célestes, réunis à l'époque néo-
assyrienne dans un grand ouvrage "canonique", l'Enūma Anu Enlil intègre les orages et autres
phénomènes imputés à Adad dans les présages astrologiques. La copie AO 6769, l. 6 diverge :
d
IŠKUR ù é-a dUTU ù dNINNI : "Adad et Ea, Šamaš et Ištar". De façon intéressante, le dieu nocturne
par excellence, Sîn, ne quitte pas le ciel visible dans cette version, qui diverge de l'anthropomorphisme
extrême de notre copie.

Ligne 7 : la formule utul šamê désigne le "giron des cieux". Il s'agit de la partie intérieure du ciel où se
trouve entre autres la "cella" de Šamaš (l.13)50. Cette désignation est un hapax, il convient donc de
l'analyser plus en avant. Selon la cosmologie mésopotamienne, le ciel est composé de plusieurs strates.
Le dieu Šamaš, en tant qu'astre solaire, traverse le ciel inférieur d'Est en Ouest. Une fois la nuit
tombée, deux traditions s'opposent51. La première, la plus largement répandue et qu'on retrouve
notamment dans l'Hymne à Šamas, veut que l'astre solaire traverse la terre par le monde infernal. Ici,
cependant, il entre dans une partie intérieure des cieux. Le terme utul peut s'écrire avec le
sumérogramme ÚR52. Or, le nom sumérien ÚR.AN est traditionnellement rendu par l'akkadien išid
šamê, "la base du ciel"53 que nous traduisons plus volontiers par "horizon". Si ces deux termes
semblent proches, ils relaient néanmoins deux principes fondamentalement différents. Le premier
terme indique un lieu reculé dans le ciel, un étage supérieur où se trouvent les palais des grands dieux
astraux anthropomorphes (l. 13). Le Mythe d'Etana décrit d'ailleurs celui d'Ištar (Etana a : 7-14), situé
dans le ciel le plus élevé. Au contraire, le second terme išid šamê se rapporte à la vision astrale de ces
divinités. Une fois leur course terminée dans le ciel, elles rejoignent la ligne de l'horizon d'où, par les
montagnes de l'Ouest, elles plongent sous la terre. Elles pénètrent dans le ciel après leur course
infernale par la montagne de l'Est, le deuxième passage. Pour conclure sur ce terme, notons qu'il s'agit
visiblement d'un choix de l'auteur à partir d'un idéogramme qu'il pourrait rendre de ces deux manières.
Son choix s'est porté sur le terme utlum qui lui a permis de filer l'image de grandes divinités
anthropomorphes, quitte à ne pas respecter la traduction traditionnelle de cet idéogramme. Un tel
choix n'est pas unique et permet de dévoiler, une fois n'est pas coutume, la relative liberté dont
jouissent les scribes afin de modifier et d'adapter les textes qu'ils copient à leur représentations
propres54.

49
J. Bottéro, 1998, p. 110
50
W. Horowitz, 2000, p. 198
51
W. Heimpel, 1986, p. 130.
52
CAD, U, p. 335
53
W. Horowitz, 1998, p. 233

15
Ligne 9 : la terminaison du substantif mušītim est erronée. Le cas du nom devrait être le nominatif,
comme dans AO 6769, l. 10 et par conséquent être vocalisé en [um]. Nous supposons que cette
vocalisation en [im] est choisie afin d'effectuer un rappel phonétique – une rime – du le substantif
awātim de la ligne 8, créant ainsi une connexion logique entre les deux vers.

Ligne 10 : cette ligne fait l'objet de deux lectures. Pour W. Horowitz, il faut lire :
É.GAL-lum ša-hu-ur-ša ku-um-mu ad-ru-ú: "The palace, its chapel (and) sanctum are dark"55. Selon
cette lecture "le palais" est au féminin ekallatum, comme l'indique l'adjectif possessif –ša.
L'allongement final de l'adjectif adru ne se justifie pas ; enfin cette lecture est discordante avec
l'ensemble des autres prières aux "dieux de la nuit". Notre propre lecture repose sur un découpage
différent des signes, en comparaison avec l'autre copie paléo-babylonienne :
É.GALlum ša-hu-ur ša-qú-um-mu ṣe(ad)!-ru-ú (ERM 15642, l. 10)
É.GAL ša-hu-ru ù ša-qú-um-mu ṣe-rù? (AO 6769, l. 11).
Dans cette version, le signe 'ù' permet de distinguer clairement les deux propositions. Le "palais" est
considéré masculin, ekallum ; les deux genres sont corrects56. L'allongement final présent dans notre
tablette se comprend ici comme un masculin pluriel, cohérent avec la vocalisation en [u] du permansif
du verbe šuqammumu. Notons que les permansif de ces verbes quadrilitères sont irréguliers. La forme
šahur est clairement attestée à la période paléo-babylonienne57. Suit le second permansif šaqummū,
irrégulier si on se fonde sur la grammaire traditionnelle, mais cohérent avec la ligne 3. L'allongement
de la voyelle finale correspond à la forme plurielle du permansif masculin conjugué avec "les steppes".
Notre lecture nécessite la correction du signe 'ad' en 'ṣe'. Nous sommes confortés dans cette lecture en
comparant notre texte avec ses développements les plus tardifs où la "steppe", ṣēru est clairement
inscrite : VAT 7445, l. 39 ; K. 3507, l. 7 ; K. 2315 +, l. 36 et K. 10659, l. 5. Dans les deux dernier cas,
le terme ṣēru est remplacé par l'idéogramme EDEN, si bien que l'ambiguïté est évitée.

36
ÉN dutu an.šà.ta è me.l[ám.zu an.dul.la]
d
UTU ina i-šid AN-e tap-pu-ha me-l[ám-ma-ka AN-e i-kat-tam]
Laessøe Bit Rimki 52 1-2
On voit que an.šà.ta "depuis l'intérieur des cieux" est traduit par l'akkadien ina i-šid , "depuis l'horizon".
W. Horowitz, 1998, p. 249
55
W. Horowitz, 2000, p. 196
56
CAD, E, p. 52
57
CDA, 2000, p. 380

16
Ligne 11 : ⌈a⌉-li-ik ur-hi!-im DINGIR-lam ⌈i-ša⌉-si est remplacé dans AO 6769, l. 12 par l'expression
a-li-ik ur-hi-im DINGIR-lam ù-ši-⌈el-li⌉ : "le voyageur interroge son dieu". L'expression ša dinim
désigne le patient d'une extipicine58. Le verbe uštebirri est au système III sous-système 2 de bitrûm.
Les racines de ce verbe sont BR' ; il n'existe pas au sous-système 1. Littéralement, la phrase signifie
"celui qui attend son procès demeure sommeil". Il y donc une fracture dans la phrase que nous
pouvons facilement combler en restituant le littérale "demeure (plongé) dans le sommeil". Il s'agit d'un
cas intéressant d'une hendiadys elliptique dont le deuxième verbe, probablement ṣabātum59 a été
supprimé. Le verbe bitrûm est régulièrement utilisé comme verbe de modalité et employé dans des
figures similaires dans la littérature paléo-babylonienne afin de noter la permanence d'une action. Il
s'agit d'une figure de style à part entière, répandue entre autres dans les hymnes et prières60. Enfin,
nous pouvons remarquer que šittam est écrit šitta dans la tablette AO 6769, l. 13, ce qui implique la
chute de la mimation qui commence à se répandre à la fin de la période paléo-babylonienne.

Ligne 12 : kinātim et ekiātim sont remplacés par kittim "vérité" dans les deux cas (AO 6769, l. 14).
Notons ici que le terme ekiātim est le pluriel régulier du nom ekûm ; il s'agit donc d'un féminin mais
doit être traduit comme nous l'avons fait par un masculin pluriel donnant un sens général.

Ligne 13 : Le terme kumm[um] désigne le saint des saints du temple selon le vocabulaire biblique, la
cella selon la tradition grecque et dans l'architecture civile la partie la plus intime du palais, la chambre
privée61. Dans ce contexte, il s'agit de la demeure céleste de Šamaš.

Ligne 14 : l'adjectif rabûtum marque correctement le nominatif masculin pluriel, tandis que ilī
mušītim est mal décliné suivant l'erreur de la ligne 5. La forme correcte serait rabûtum ilū mušītim. On
trouve dans AO 6769, l. 20 l'expression : i-lu mu-ši-tim ra-bi-tim. Cette forme, contrairement à la
précédente inversant par licence littéraire l'ordre classique nom suivi de l'adjectif est ici correcte. Les
deux parties de l'état construit ne sont pas séparées et l'adjectif est rejeté à la fin, en adoptant par
attraction la marque du génitif du deuxième substantif. Il y a dans un second temps une
homogénéisation phonétique qui se justifie par la présence du hiatus [i]/[u] de l'adjectif rabium.

Ligne 15 : nawīrum est remplacé par namīrum dans AO 6979, l. 16. L'évolution phonétique du [w] en
[m] est en cours mais l'auteur a néanmoins conservé awātim (l. 9).

58
CAD, D p. 156.
59
CAD, Ṣ, p. 7
60
N. Wasserman, 2003, p. 19
61
CAD, K, p. 523

17
Ligne 15 à 20 : voir le tableau des étoiles en annexe. Certaines écritures sont atypiques : qaštu plutôt
que GIŠ.PAN in-zu-um plutôt que UZA (= UD5). Le scribe privilégie l'écriture phonétique aux signes
idéogrammatiques qui sont davantage connus par les grandes séries astronomiques néo-assyriennes.
Le texte de la tablette AO 6769 en revanche utilise plus volontiers les idéogrammes : MUŠ.HUŠ
plutôt que mu-uš-hu-uš-šu-um, UZA plutôt que in-zu-um. Enfin, la constellation de l'arc change de
nom : qá-aš-tum e-la-ma-tum : "l'arc élamite". Cette constellation n'est pas bien documentée, si bien
qu'il pourrait s'agir de deux constellations différentes62. Certains noms ne sont pas clairement définis,
nous ignorons par exemple l'équivalence contemporaine des constellations des dieux Girra et Erra. Ces
deux astres ou constellations ne sont pas entrés dans la tradition astronomique représentée par les
grandes séries telles que MUL.APIN. Il convient de se souvenir que non seulement chaque lieu et
chaque époque a donné des noms différents aux constellations, mais aussi que par ailleurs les
compositions-mêmes de ces dernières ont été modifiées de la même façon. Notons que le dieu Girra
est connu dans la tradition pour être le "juge d'Anu" (Utukkū Lemnūtu 15 : 40). Il connaît notamment
l'origine des démons et leur mode d'action.

Ligne 21 : AO 6769, l. 21 retient une formule à l'impératif izizzānim-ma : "apparaissez".

Ligne 22 : Nous assistons ici à la chute de la mimation du substantif têrtum. Il ne peut pas s'agir du
pluriel têrētum.

Ligne 23 : le terme puhād est à l'état absolu. Nous ne l'expliquons pas, si ce n'est qu'il semble s'agir
d'une formule figée à la période paléo-babylonienne que nous retrouvons dans d'autres prières63. Cette
mention est remplacée dans A0 6769, l. 22 par l'expression (ina) ik-ri-bi a-ka-ar-ra-bu "dans la prière
que je formule". La référence à la bête sacrifiée n'y est donc que sous-entendue. Par ailleurs, la
mimation est tombée.

Ligne 24 : kittam šuknā-an : le suffixe "-an" est interprété par von Soden comme un pluriel "Form
šu-uk-na-an… muss doch wohl als Pluralform gedeutet werden". La tablette AO 6769 l. 24 suit la
règle de l'impératif pluriel traditionnel šuknā.

62
C. Walker, 1983, p. 147
63
CAD, P, p. 478

18
Conclusion :

Cette prière nocturne est exceptionnelle à plusieurs égards. Tout d'abord, elle comprend en son
sein un poème riche, rigoureux et original, sur lequel nous reviendrons dans notre analyse en
comparaison avec les autres prières de notre corpus64. Par ailleurs, elle s'adresse à un groupe divin peu
documenté et au statut nettement inférieur à celui des grands dieux de la divination, Šamaš et Adad65.
Ces deux points qui constituent l'âme et le fond du poème seront détaillés dans notre analyse.
Nous aimerions ici conclure en évoquant la forme du document. Tout d'abord, l'état de
conservation de cette tablette et de sa copie AO 6760 est remarquable et les rendent d'autant plus facile
à déchiffrer. Ajoutons que le texte est correct : les irrégularités grammaticales dans la structure de la
phrase peuvent entièrement être imputées à la liberté de la langue lyrique et à l'évolution de la langue.
Les prières du devin sont un type d'œuvre dont nous avons très peu d'exemples paléo-babyloniens
probablement parce qu'ils sont traditionnellement transmis par la tradition orale ; celui-ci est
exceptionnel dans la mesure où il s'agit de l'unique occurrence d'une prière dont nous ayons trouvé une
copie datant de l'époque paléo-babylonienne66. On peut donc s'interroger sur la raison de la
conservation et de la mise par écrit de ce document. Nous avons essayé d'aborder cette question par
l'intermédiaire de l'étude de D. Charpin relative aux archives du clergé à l'époque paléo-babylonienne
qui a montré que le "fonds de manuscrit"67 d'une école de scribe pouvait contenir aussi bien des copies
d'étudiants que ce type de document de grande qualité, en général des originaux, "le fruit d'un travail
ponctuel, (…) la production littéraire (…) des habitants de cette maison"68. Nous avons beaucoup de
mal à considérer la prière de la tablette ERM 15642 comme un document original créé dans un
contexte similaire à cause du très grand succès qu'elle a connu dès l'époque paléo-babylonienne et qui
se poursuit jusqu'à la période néo-assyrienne. Nous aurons l'occasion de relever plusieurs preuves du
lien de tradition qui unit l'ensemble des documents de notre corpus69.
Ce peut être un texte classique recopié par un apprenti-scribe en fin d'études ou conservé
comme aide-mémoire chez un devin, voir chez un autre lettré. Le travail de S. Parpola a montré que
les savants disposent à l'époque néo-babylonienne de fonds de documents comprenant probablement
des reproductions de textes touchant à de nombreux domaines de savoir, effectuées pendant leur
apprentissage, qui sont de qualité suffisante pour rejoindre la bibliothèque impériale de Ninive70. Cette
étude reposent sur des éléments bien postérieurs à la période paléo-babylonienne mais rien n'empêche
de supposer que les étudiants paléo-babyloniens ont eux aussi conservés de tels documents.

64
Voir partie 1.1
65
Voir partie 2.1
66
N. Wasserman, 2003, p. 180
67
D. Charpin, 1986, p. 431
68
Ibid, p. 431
69
Voir partie 1.2.
70
S. Parpola, 1983, p. 10

19
1.2. CBS 574 = Stol, Fs. Reiner, 1987, pp. 384-387.

Ce document a très probablement été mis au jour à Sippar comme la majorité des textes paléo-
babyloniens du musée de l'université de Philadelphie71. La graphie et la langue sont paléo-
babyloniennes, mais étant données certaines lectures de signes rares, il pourrait s'agir de l'extrême fin
de cette période. La tablette mesure 9 x 5, 6 x 2,5 cm ; seule la face a été conservée, qui contient un
texte non ligné. Elle est conservée au Musée de l'université de Philadelphie et appartient à la "First
Khabaza Collection", acquise par l'université en 1888.
Ce texte a été publié pour la première fois en 1987 par M. Stol dans un mélange en l'honneur
d'E. Reiner, sous le titre "two old Babylonian literary texts"72. Cette publication comprend une copie,
que nous reproduisons ici, et une translittération, sans traduction à cause de la difficulté du texte73. M.
Stol s'interroge sur la nature du texte qu'il suppose être soit un hymne, soit une incantation. En 1996 la
tablette fait l'objet d'une nouvelle publication par W. Horowitz et N. Wasserman74 comparée avec les
prières aux "dieux de la nuit" paléo-babyloniennes ERM 15642 et AO 6769. J. Fincke et P. Steinkeller
introduisent ce texte dans le cadre de leur enquête respective sur l'haruspicine en tant que rituel
nocturne75. Notre travail repose en grandes parties sur ces deux premières publications.

Translittération :

1. [ašassi] mu-ši-te ⌈na⌉ […]


2. […] ir di mi ⌈ki⌉ […]
3. ⌈d⌉ UTU ⌈li?⌉ x [x] tar […]
4. ⌈na⌉-⌈ab⌉-⌈ṭú⌉ li x [x x] še ti [...]
5. er-pe-et la ka la i šu ⌈x⌉ ug ⌈x⌉ […]
6. e-ma ša-ak-nu ma-la ma-ṣú-ú [...]
7. ša ar ga al li il ma šu mi [...]
8. na-ak-du i-lu i-na mu-ši-⌈im⌉ [...]
9. na-ṣa-ru na-ap-ša-tim a-šar nam-⌈tar⌉-ri-[im?]
10. in su-in ù dUTU it-te-er(ni)!-bu
11. e-ṭi-ru na-ap-⌈ša⌉-tim ma-lu-ú nu-ba-t[u-šu-nu]
12. ša il-šu it-ti-šu šam-ru d⌈BIL.GI⌉
13. [qù-ra]-⌈du⌉ [È]R.RA a-nu GIŠ.BA[N x x x ]
14. […] ⌈x⌉ ⌈x⌉ ⌈x⌉ […]

71
M. Stol, 1987, p. 383 ; W. Horowitz, N. Wasserman, 1996, p. 60
72
Ibid, pp. 383-387
73
Ibid, p. 383
74
W. Horowitz, N. Wasserman, 1996, pp. 57-60
75
J. Finke, 2009, p. 531 ; P. Steinkeller, 2005 pp. 11-47

20
Traduction :

1. [Je t'appelle,] Ô nuit […]


2. […] … […]
3. Šamaš … […]
4. ⌈Brillants sont les⌉ … […]
5. Elle est sombre, … […]
6. Où qu’ils se situent, aussi loin que les […] s'étendent
7. … […]
8. Les dieux scintillants dans la nuit […]
9. (Pour) protéger les vies face au destin […]
10. Une fois que Sîn et Šamaš sont rentrés,
11. Ceux qui sauvent les vies occupent [leur] station nocturne.
12. Celui dont le dieu est avec lui : Ô féroce Gibil,
13. Héroïque Erra, Anu, l’Arc […]
14. […]

Commentaire :

Ligne 1 : la restitution est proposée par W. Horowitz et N. Wasserman76 d'après un namburbû néo-
assyrien: a-ša-as-si-ki mu-ši-tu : "je t'appelle, Ô nuit" (KAR 38 l. 13) 77 Cette lecture s'oppose à celle
de M. Stol, qui lit […] mu-ši-im n[a…]78 : le substantif mušum serait ici au masculin, ce qui interdirait
la restitution du verbe šasûm suivi du pronom enclitique accusatif féminin –ki.

Ligne 5 : le permansif féminin erpet "sombre" pourrait se référer à la "nuit" l. 1, ce qui semblerait
indiquer que la lecture et la restitution proposées par W. Horowitz et N. Wasserman sont correctes. La
suite nous est incompréhensible. Selon ces deux auteurs il pourrait s'agir d'un dérivé du verbe kalûm
"détenir, retenir"79.

Ligne 6 : W. Horowitz et N. Wasserman proposent la restitution suivante :


e-ma ša-ak-nu ma-la ma-ṣú-ú k[a?-ak-ka-bu]80. Néanmoins, l'expression mala […] maṣû est
régulièrement utilisée pour décrire l'étendue des champs81 ; nous attendrions ici en comparaison avec

76
W. Horowitz, N. Wasserman, 1996, p. 58
77
R. Caplice, 1970, pp. 124-132
78
M. Stol, 1987, p. 384
79
CAD, K, p. 95
80
W. Horowitz, N. Wasserman, 1996, p. 58
81
CAD, M1, p. 345

21
les prières aux "dieux de la nuit" paléo-babyloniennes une description du paysage nocturne, si bien
que nous préférons ne pas donner un avis tranché à propos de la restitution.

Ligne 7 : incompréhensible.

Ligne 8 : le terme nakādum traduit habituellement la notion de battement, comme par exemple ceux
du cœur. Le même mot est ici utilisé pour le scintillement des étoiles. W. Horowitz et N. Wasserman
montrent qu'il s'agit d'un cas de décalage lexical par synesthésie dont il existe de nombreux
exemples82.

Ligne 9 : le verbe naṣāru83, dont la mimation n'est pas notée, est ici à l’infinitif et crée une rupture
grammaticale dans la phrase. Il s'agit selon W. Horowitz d'un archaïsme grammatical, une forme
d'infinitif introduisant un complément circonstanciel de but. Cette forme doit être analysée "as an
84
infinitive form with the locative-adverbial ending" . Dans sa conclusion, Horowitz présente cette
tournure comme classique de la langue poétique.
L'expression ašar namtarim peut être comprise de plusieurs manières. Le terme ašar peut être la
conjonction "là où" : dans ce cas, c'est une phrase nominale : "là où (est) le destin", solution adoptée
par W. Horowitz et N. Wasserman. Il peut également s'agir de l'état construit du nom ašrum, "le lieu" :
"le lieu du destin". Cette lecture est plus difficile à retenir car elle n'est pas introduite par une
préposition de lieu. Ašar pourrait enfin être la préposition signifiant "avec, en face de, en présence de,
de85". Cette traduction nous paraît plus cohérente dans la mesure où nous ne connaissons pas de
référence aux "lieu du destin", à moins que ce soit une métaphore pour les entrailles de l'animal dans
lequel va s'inscrire le jugement des grands dieux. Le terme namtarum comporte une difficulté, dans la
mesure où il n'est attesté dans les textes paléo-babyloniens que dans les listes lexicales86. On trouve le
"destin" personnifié dans les rituels d'exorcismes tels qu'Utukkū lemnūtu (3:1) ; comparable aux
démons, il agit sur l'ordre des dieux juges en guise de punition.

Ligne 10 : la section est difficile à traduire. In est une forme contractée de ina. Cette préposition peut
avoir un sens temporel devant un infinitif87, mais il s'agit ici d'une forme conjuguée. Nous comprenons
donc cette contraction comme une forme rare de inūma ou inu "quand, lorsque". Pour W. Horowitz et
N. Wasserman, il pourrait également s'agir d'une "proclitic form of ina serving as a conjunction 'as

82
W. Horowitz, N. Wasserman, 1996, p. 59
83
CAD, N, p. 33 ; pour la polysémie de ce verbe en relation aux étoiles, voir également la sous-partie 2.2.3.2.
84
W. Horowitz, N. Wasserman, 1996, p. 59
85
CAD, A2, p. 415
86
CDA, 2000, p. 236 ; le CAD, N1, p. 247 indique qu'il est usité à Boğazköy et dans le babylonien standard
87
CAD, I, p. 141

22
long as'"88. Le verbe est au parfait, nous avons donc souhaité conserver le sens de ce mode en
indiquant un décalage temporel entre les deux actions. Par ailleurs l'écriture su-in est archaïsante. Ce
passage fait référence au coucher des grands dieux et doit être comparé à ERM 15642 l. 7 et l. 13.
Notre correction de 'ni' en 'ir' repose sur le caractère extrêmement proche de ces deux signes, dont seul
le nombre de clous verticaux varie.

Ligne 11 : nous reprenons ici la restitution proposée par W. Horowitz et N. Wasserman. Le nom
nubattu désigne aussi bien "le soir" en tant qu'indicateur temporel que lieu où passer la nuit89.
Littéralement, le verbe malûm90 est traduit "remplir, emplir" que nous avons jugé nécessaire de rendre
par "occuper".

Ligne 12 : selon W. Horowitz et N. Wasserman, la valeur 'šam' du signe 'ú' est rare à l'époque paléo-
babylonienne91 ; par ailleurs, la marque de la mimation n'est pas notée sur l'adjectif šamru. Ces deux
éléments indiquent une rédaction tardive. La première partie de la phrase désigne probablement celui
pour qui la consultation divinatoire est réalisée. Nous ne disposons pas de la fin du texte. Si le verbe
de cette phrase a comme sujet les étoiles, nous avons ici affaire à une anacoluthe, ou rupture de l'ordre
syntaxique de la phrase. Si l'homme est le sujet de la phrase, il s'agit d'une prolepse, un procédé
d'anticipation.

Ligne 13 : la liste des étoiles commence de la même façon que celle des textes paléo-babyloniens
précédemment étudiés. Notons néanmoins que l'adjectif šamru "furieux" diffère des deux autres
versions. La version la plus ancienne, qualifie ce dieu de naw(i)rum (ERM 15642, l.15), sa copie
légèrement plus récente, de nam(i)rum (AO 6769, l. 16). Il s'agit du même terme, "brillant", dont la
deuxième consonne de la racine trilitère C2 a varié phonétiquement de façon assez classique du [w] au
[m], relevant d'un état de la langue plus récent. Il est probable que šamru appartienne à la même
famille de mot. En effet, elle a en commun avec les adjectifs précédents C2 et C3. La C1 est différente,
[n] dans un cas, [š] dans l'autre ce qui n'exclue pas une racine commune étant donné que la consonne
[n] est faible, donc variable. La chute de la mimation indique que ce terme est plus récent que les deux
premiers. Ces trois adjectifs ont donc une forte proximité phonétique et lexicale puisque les mots
"brillant" et "furieux" peuvent être rapprochés, de la même façon que le mot puluhtum désigne à la fois
l'éclat divin et l'effroi92. La restitution a été réalisée grâce à la comparaison avec les autres prières
paléo-babyloniennes.

88
W. Horowitz, N. Wasserman, 1996, p. 59
89
CAD, N2, p. 308
90
CAD, M1, p. 173
91
Lecture attestée par R. Labat, 1988, n° 318 ; R. Borger, 2003, n°490
92
CAD, P, p. 505

23
Conclusion :

Etant donné l'état de conservation de la tablette, nous ne pouvons pas assurer que la prière
comprend la description du paysage nocturne telle qu'elle apparaît dans le reste de notre corpus et que
nous avons choisi comme critère de sélection. Pourtant, suffisamment d'éléments nous permettent de
rattacher ce texte à la tradition des prières paléo-babyloniennes. Il s'agit sans doute d'un ikrib mušītim
ou prière du devin comme l'indique la référence au "destin" (l. 9) ; la prière reprend l'image du coucher
de Šamaš et Sîn, le nom de "dieu de la nuit". Surtout, la liste des étoiles commence de façon similaire
aux deux autres textes étudiés. Néanmoins, d'autres références sont originales, comme la qualification
de "sauveur des vies", ou la référence à la protection des étoiles contre le destin.
Comme pour la prière ERM 15642, l'organisation des mots dans la phrase est libre et ne
répond pas aux normes de grammaire traditionnelles et ne doit pas nous étonner. De nombreux
éléments nous indiquent une période de rédaction plus tardive qu'ERM 15642, et plus particulièrement
l'emploi de signe lourd (voir 'šam', l. 12), la chute de la mimation irrégulière (voir le verbe naṣāru, l. 9,
l'adjectif šamru, l. 2) et l'utilisation du nom namtarim dont les premières occurrences littéraires datent
de l'époque médio-babylonienne. L'écriture du scribe est assez difficilement lisible, voir
"inexpérimentée" selon N. Wasserman et W. Horowitz93. La vocalisation finale en [-e] du terme
mušīti(m) semble indiquer la persistance d'un accent local, irrégulier selon les normes de vocalisations
paléo-babyloniennes. Le texte comporte également des formes archaïsantes relevées par les deux
auteurs susnomés : "the infinitive naṣārum (line 9) construed with the locative adverb characteristic of
poetic texts, as well as the shortened conjunction in and the spelling Su-in (both in line 10). These
forms may be representative of conservative spellings among later Old Babylonian period scribes
rather than indications of an early date of authorship"94.
La version de cette prière ne semble pas avoir été retenue aux époques les plus récentes et dans
les autres textes de notre corpus. L'intérêt principal de cette copie, aussi lacunaire soit-elle, est donc de
nous permettre de constater le succès de la prière aux "dieux de la nuit". Le fait que ce texte soit isolé
dans le courant de tradition peut indiquer qu'il s'agit d'une variation de la prière originale,
probablement réalisée au cours de l'apprentissage du scribe, ce qui constitue certainement la preuve la
plus certaine de l'essor de ce thème.

93
W. Horowitz, N. Wasserman, 1996, p. 60
94
Ibid, p. 60

24
II. Le rituel akkado-hittite de Hattussa.

2.1. VAT 7445 = KUB IV 47 = CTH 432.

La tablette que nous étudions a été mise au jour à Hattussa, capitale de l'Empire Néo-hittite
(XIV -XIIIe siècle). Bien que situé dans une zone périphérique de la Mésopotamie, l'Empire entretient
e

des rapports non négligeables avec cette aire culturelle, révélés notamment par la production littéraire
mise au jour à Hattussa. Une grande partie de la documentation est en effet rédigée en akkadien
cunéiforme. Le texte que nous présentons est exceptionnel : il s'agit d'un rituel dont les prescriptions
manuelles sont prescrites en hittite, tandis que les incantations sont "dans un script médio-babylonien
et par une main hittite"95. Né d'un empilement de traditions diverses, ce "Ritual mit meherschichetiger
Überliegerung"96 est un document fondamental pour l'histoire des sciences astronomiques
mésopotamiennes. Il contient en effet la première attestation connue de la répartition des étoiles en
trois familles, celles d'Anu, d'Enlil et d'Ea, les membres de la triade royale mésopotamienne. Cette
distinction est notamment connue dans les listes astrales du type des astrolabes qui définissent pour
chaque mois trois constellations représentatives du ciel97.

La tablette a été mise au jour au cours de la première campagne de fouille intensive du site de
Boğazköy par H. Winckler et T. Makridi (1906-1907) "during [which] the recording procedure were
unfortunately quite poor, and the provenances for the large number of clay tablets excavated during
these year has been lost. For the ca. 10 000 clay tablets and fragments from the early excavations, it is,
therefore, possible to reconstruct only three main areas with clay tablets, the Palace E with the nearby
west slope of the citadel, the East Magazines of the main temple in the lower city, and the Building in
the Slope, "Haus am Hang", in the slope between the two areas"98. La bibliothèque du Palais E
comprend des textes littéraires (notamment religieux) et des archives d'état99. Le temple principal a
révélé un corpus de textes composé entre autres cinquante-neuf incantations100. La "maison de la
pente" comprend elle aussi une large bibliothèque, peut-être une annexe à celle du temple, dont sont
issus plus de cent cinquante incantations et rituels101. Nous pouvons donc supposer que la tablette
VAT 7445 appartient à l'une de ces grandes bibliothèques, ce qui indique qu'il s'agit d'un texte doté
d'une importance symbolique certaine.

95
G. Beckman, 1983, p. 102
96
A. Kammenhuber, 1976, p. 137
97
Voir sous-partie 1.2.2.2
98
O. Pedersén, 1998, p. 46
99
Ibid, p. 49
100
Ibid, p. 53
101
Ibid, p. 53

25
Ce document est conservé à Berlin, au Vorderasiatische Museum. Sa publication a été réalisée
en plusieurs étapes dans la mesure où il renseigne des éléments très différents de la culture proche-
orientale. La première parution d'une copie de cette tablette dans le Keilschrifturkunden aus Boghazköi
date de 1922102. Ce texte a d'abord été publié dans des ouvrages relatifs à l'histoire de l'astronomie du
fait de la liste d'étoiles qu'il contient. La première traduction de cette dernière a été réalisée par H.
Winckler et publiée par A. Jeremias en 1909103. La question des "dieux de la nuit" n'y est pas traitée
d'un point de vue religieux. Cette même liste a fait par la suite l'objet de multiples publications
indépendamment du reste du texte. En 1914, E. Weidner104 propose une nouvelle translittération de la
prière akkadienne (ll. 32-48) suivie d'un tableau des étoiles hittites, qu'il reprend en 1915 dans le
Handbuch der babylonischen Astronomie105. Cette liste est intégrée à l'article "fixsterne" du
Reallexikon der Assyriologie und vorderasiatischen Archaologie106. A l'occasion de la republication de
l'Enūma Anu Enlil, elle a été traitée par D. Pingree qui en propose une lecture assez distincte107.
Hormis ces publications relatives à l'histoire des sciences, le texte a été étudié du point de vue
de l'histoire littéraire et religieuse : G. Meier propose en 1939 une analyse comparée avec la tablette
néo-assyrienne K. 3507 du passage relatif au thème de la nuit108. Ce même passage est intégré à l'étude
d'A. L. Oppenheim en 1959109. En 1981, J.-M. Seux publie une traduction des premières lignes du
poème, une adresse à Šamaš qui ne concerne pas directement notre sujet110. Un commentaire sans
traduction est donné par A. Kammenhuber en 1976111 dont l'objet est de montrer à quel point ce texte
hittite est le fruit d'un "empilement culturel". Cette prière a été récemment travaillée par A. Mouton
dans son article sur la comparaison entre les dieux mésopotamiens et la déesse hittite de la nuit112.
Il existe à ce jour deux éditions qui offrent un regard d'ensemble sur le rituel. La version de K.
van der Toorn et Ph. Howink Ten Cate pour la partie hittite ne prend malheureusement pas en compte
la liste des étoiles113. La seule publication intégrale de ce rituel est celle réalisée par G. Beckman en
2007 qui en propose une translittération et une traduction complète de la tablette collationnée (KUB
IV 47 + KBo XLV 193)114.

102
A. Bollacker, 1922, n°47
103
H. Winkler in A. Jeremias, 1909, pp. 32-34
104
E. Weidner, 1914, pp. 17-22
105
E. Weidner, 1915, pp. 60-62
106
E. Weidner, 1957, 73-74
107
E. Reiner, D. Pingree, 1981 p. 2-3
108
G. Meier, 1939, pp. 196-198
109
A.L. Oppenheim, 1959, p. 292
110
M.-J. Seux, 1981, pp. 431-432
111
A. Kammenhuber, 1976, pp. 137-138.
112
A. Mouton, 2008, p. 231
113
K. van der Toorn, 1985, pp. 124-133
114
G. Beckman, 2007. pp. 69-81,

26
Nous avons choisi de ne présenter ici que la partie du rituel qui a en commun avec le reste de
notre corpus de présenter une liste d'étoile et une description lyrique du paysage nocturne. Il s'agit de
la dernière partie du rituel composée de neuf paragraphes : le premier est une longue introduction
décrivant les symptômes du patient : insomnie, mauvais rêves, tristesse et irritation, autant de signes
que G. Beckman a associé à la dépression115. Le second indique les jours propices à la réalisation du
rituel. Le troisième décrit le rituel de purification et les offrandes, suivi d'une prière à Madānu(?), en
akkadien contrairement aux trois autres parties. La cinquième partie est de nouveau rédigée en hittite
et prescrit des libations. Elle est accompagnée d'une prière en akkadien à Šamaš et Aya du type des
"prières du lamentateur"116, puis d'une prière et d'une offrande à Ṣarpanītu, la parèdre de Marduk, en
akkadien. Le huitième paragraphe est une introduction à la prière aux dieux de la nuit en hittite. Il
indique que la récitation suivante doit avoir lieu la nuit, durant les "trois veilles" et prescrit des
libations de vin et d'eau paššuil.

Translittération :

32. [AN.KU.U].⌈GA⌉ KI.KU.U.GA AN.KI.KU.U.GA KI.KI!.KU.U.GA MU.UL a- na ŠE.GA


33. [MU.UL].⌈.MU⌉.UL a-na ŠE.GA MU.UL ša a-na KU.U.GA AN.ŠI.KI.LA KI.ŠI.KI.LA
34. [AN.AN.ŠI].KI.LA KI.KI.ŠI.KI.LA MU.UL a-na ŠE.KI.LA MU.UL.MU.UL ana
ŠE.KI.LA
35. ⌈MU⌉.UL ša a-na ŠI.KI.LA AN.KI.ŠE.GA KI.KI.ŠE.GA MU.UL a-na ŠE.GA
36. [MU].⌈UL⌉.MU.UL a-na ŠE.GA MU.UL ša a-na ŠE.GA ku wa ia MUL
37. [ša] i-na ša-me-e iz-zi-iz-zu da-nu den-líl ib-nu-ku-nu-ši er-šu dnu-dím-mud
38. [ú-š]a-at-li-im-ma ša ma du šu nu du DINGIRmeš GE6hi.a iz-zi-za-ni-ma el-ti pu-uṭ-ra
39. ⌈š⌉u-uh-ru-ur ṣe-e-ru HUR.SAG šu-[qám]-ma-ma aš qa an gišIG túr-ra
40 : ⌈KÁ⌉ na-du-ú ší-ga4-ra šu-qám-ma-mux(ka)!-ma DINGIR.GE6hi.a zu kam ma ma ha az
pé-ti-ma
41. KÁ.GAL ša DINGIRmeš GAL.GAL ir-bá-nim-ma DINGIR mu-ši-ti deš4-tár mu-ši-ti
42. qa-aq-qa-ad TÙ.MU.UL.LA TU.ŠI.ŠI TÙ.MU.KU.U.RA TÙ.MU.KAR.TÙ
43. mula-ha-ti mul
GA.GA mul dDUMU.ZI mul dNIN.KI.ZI.DA mul de-⌈ku?⌉-e
mul
44. MUL.MUL is le-e mulŠI.PA.ZI.A.NA ⌈mul⌉ka4-ak-sí-sí
45 : mul gišBAN mulGÍR.TAB mulTI8mušen mulKU6 mul
ša-am-ma-ah
46. mulka4-ad-du-uh-ha mul MÁŠ mulMAR.TU šu-ú-ut dé-a iz-zi-za-⌈ni⌉-[ma]
47. šu-ú-ut dé-a nap-har šu-ú-ut da-ni ru-ṣa-ni šu-ú-ut den-l[íl]
48. gi5-me-er-ku-nu iš(zu)!-ra-ni me-he-er-ku-nu da me du

115
G. Beckman, 2007, p. 78
116
Seux, 1981, pp. 431-432

27
Traduction :

32. Ô pu[r ciel], pure terre, purs ciel-et-terre, pures terres. Etoile pour le consentement
33. [Etoiles] pour le consentement, étoile qui (est) pour la pureté. Ô pur ciel, pure terre
34. Purs [cieux], pures terres, étoile pour la pureté, étoiles pour la pureté,
35. [Etoi]le qui (est) pour la pureté, ciel et terre favorables, terres favorables, étoile pour le
consentement
36. Etoiles [qui] (est) pour le consentement, étoile qui (est) pour le consentement … Ô étoiles
37. [Qui] se tiennent dans le ciel, Anu (et) Enlil vous ont créées, le sage Nudimmud
38. [A a]ccordé et … Ô dieux de la nuit, apparaissez-moi, effacez ma faute !
39. La steppe est dans la torpeur, les montagnes sont [silen]cieuses. Les vantaux sont …,
40. Les portes sont closes, les loquets sont abaissés, les dieux de la nuit sont silencieux […]
41. La porte des grands dieux est ouverte : entrez, dieux de la nuit, déesses de la nuit,
42. Cimes du Sud, du Nord, de l'Est et de l'Ouest !
43. Etoiles du malheur, de Gaga, de Dumuzi, de Ningišzida , constellations du champ,
44. Des Pléiades, de la Mâchoires du Taureau, du Vrai-berger-du-ciel, de la flèche,
45. De l'Arc, du Scorpion, de l'Aigle, du poisson, de l'hirondelle,
46. De la Panthère, de l'Agneau et de l'Amurru, (ce sont) celles d'Ea. Apparaissez-moi,
47. Celles d'Ea (et) toutes celles d'Anu ! Celles d'En[lil], venez à mon secours !
48. Vous toutes, instruisez-moi votre réponse, …

Commentaire :

Ligne 32-35 : notons que les signes utilisent leur valeur phonétique pour composer des
sumérogrammes. Nous pouvons qualifier cette écriture de sumérien phonétique : ainsi la séquence
/kug + a/ traditionnellement notée 'kù.ga' est ici rendu 'ku + ga'. De la même façon, la série de signe 'ši
+ ki + la' composent le terme sumérien SIKIL : "pur" écrit traditionnellement avec le signe 'el'. Cette
série de termes, extrêmement répétitive, dénuée de grammaire ou de syntaxe constitue un élément
traditionnel de la magie mésopotamienne "à toutes les périodes et dans tous les genres de la littérature
incantatoire" exprimée par N. Velduis sous le terme de "Mumbo-Jumbo" ou charabia117.

Ligne 36 : W. Mayer suppose que le terme ku-wa-ia est hittite118. G. Beckman réfute cette
proposition119 et ne donne pas de traduction pour ce passage. La structure traditionnelle de rédaction

117
N. Veldhuis, 1999, p. 47
118
W. Mayer, 1976, p. 428
119
G. Beckman, 2007, p. 77

28
mésopotamienne n'est pas respectée ici. On assiste à un rejet du sujet, séparé du reste de la phrase qui
continue ligne 37.

Ligne 37 : la triade fondamentale, Anu, Enlil et Enki appelé Nudimmud, une épiclèse qui se réfère à
sa sagesse, est considérée ici comme créatrice de l'univers et en particulier des astres. Cette tradition
est également relayée dans le grand traité d'astronomie Enūma Anu Enlil dont l'incipit relate comment
ces trois grands dieux ont organisé les luminaires célestes et leur ont attribué un rôle et une position120.

Ligne 38 : la séquence ša ma du šu nu du demeure difficile à comprendre. G. Beckman propose une


lecture ša-qú-tù-šu-nu-tù qu'il corrige šaqût-kunu à partir du substantif šaqûtu, non attesté, qui
formerait l'abstrait de šaqû "être élevé": "Wise Nudimmud bestowed your prominence"121. Le terme
el-ti est une graphie défective du substantif e'iltu : "péché, faute"122. Le verbe paṭāru est particulier au
vocabulaire l'exorcisme. Au sens propre, il est traduit "défaire, dénouer". On retrouve cette expression
sous une forme différente dans la prière néo-babylonienne pa-ṭa-ar iˀ-il-te (K. 3507, l. 22)

Ligne 39 : le verbe quadrilitère šuqammumu semble avoir subi une variation vocalique de la C3 de [u]
à [a]. La forme régulière du permansif est šuqammum + désinence. Ici, nous supposons que le
sumérogramme HUR.SAG, "montagne", est lu au féminin pluriel šaduātu(m)123.
Nous ne comprenons pas la série de signe suivante : aš qa an. G. Meier lit pá-aš-ka4-a4 ; il s'agirait du
verbe parāku avec variation consonantique du [r] au [š] 124. Cette traduction est séduisante, d'autant
plus qu'elle serait identique à la prière K. 3507, l. 9. Pour G. Beckman, une telle lecture est impossible
"because the final sign value is attested only under restricted circumstances in Neo-Babylonian
texts"125. Nous attendrions un permansif ou un adjectif féminin pour caractériser le daltu, "vantail",
certainement au pluriel. Le permansif troisième personne féminin pluriel turrā indique que les
"portes" inscrites avec l'idéogramme KÁ doivent être lues babātu(m). Le permansif [š]u-uh!-ru-ur est
mal orthographié. Il est ici vocalisé comme s'il s'agissait du permansif du système III d'un verbe aux
racines HRR ; nous avons ici affaire au verbe šuharruru. Il se trouve généralement inscrit šuharrur ou
dans sa forme irrégulière šahur, largement attestée126.

Notons une variante par rapport au poème original : ici, la "steppe" est accompagnée de "la
montagne". Dans les versions néo-assyriennes, "la montagne" est remplacée par l'idéogramme KUR
(K. 2315+, l. 36), qui à haute époque traduit aussi bien le pays que la montagne, mais signifie

120
Voir annexe.
121
G. Beckman, 2007, p. 77
122
CAD, E, p. 51
123
CAD, Š1, p. 49
124
G. Meier, 1939, p. 197
125
G. Beckman, 2007, p. 78
126
CDA, 2000, p. 380

29
certainement le "pays" dans les prières récentes. Cette divergence pourrait donc relever d'une origine
commune.

Ligne 40 : la vocalisation de la terminaison casuelle de šígara est fautive. Ce substantif est le sujet du
permansif pluriel nādū. On devrait donc trouver le terme sigarū, au cas nominatif. Le signe 'ka' que
nous avons corrigé en 'mux' fait l'objet de discussion. Pour G. Beckman, il faut lire šu-qám-ma-<<ka-
>>ma127. S'il s'agit en effet d'une erreur, šuqammamā se réfèrerait aux "dieux de la nuit", ce qui est
difficile sachant que c'est un masculin pluriel. Pour G. Meier, il pourrait s'agir d'une écriture propre au
texte hittite de gabba128, qui signifie "tout, la totalité" ; dans ce cas, la terminaison en [a] résulterait
d'une erreur de vocalisation de la même nature que šigara. Notre lecture repose sur la comparaison
avec la prière K. 3507, l. 9. Notons qu'il existe un signe 'mú' assez proche graphiquement du signe 'ka'.
Cependant, il ne semble attesté qu'à partir de la période néo-assyrienne129. Notons que le scribe
n'inscrit jamais le signe 'ka', systématiquement remplacé par le signe 'ka4'. Par ailleurs, le signe 'mu' est
inscrit à plusieurs reprises, mais jamais comme marque du pluriel. La série de signe zu pu ma ma ha az
nous est incompréhensible. Les trois derniers signes pourraient faire penser à la racine MHR du verbe
mahārum "frapper", mais cet aspect du verbe, un état construit de la forme infinitive, est impossible
étant donné qu'il n'est suivi ni d'un substantif génitif ni d'un pronom personnel enclitique. Une
comparaison avec la tablette K. 3507 pourrait certainement être d'une grande aide si le passage
correspondant n'était pas perdu.

Ligne 42 : le nom des quatre points cardinaux fait l'objet d'une graphie locale, du même type que les
signes sumériens introduisant la prière, non orthographiés : ici par exemple le signe 'tu' est employé
pour le Nord, contrairement à 'tù' pour les autres directions ; il est normalement noté 'tu15'130.
tu15
TÙ.MU.UL.LA remplace l'écriture U17.LU, le Sud. De manière très intéressante, nous pouvons
d'ailleurs noter la présence de la consonne [m] faisant la ligature entre les deux voyelles. Les signes
semblent avoir été choisis pour leur valeur phonétique, ce qui nous laisse penser que le déterminatif
tu15
'tu15' était effectivement prononcé. La séquence TU.ŠI.ŠI remplace l'écriture habituelle SI.SÁ : le
tu15
Nord. TÙ.MU.KU.U.RA correspond à KUR.RA, l'Est ; de nouveau, nous voyons ressurgir le [m]
tu15
intercalaire. Enfin TÙ.MU.KAR.TÙ doit correspondre à la forme MAR.TU : l'Ouest. Cette
131
orthographe est qualifiée par Meier de "barbarischer Orthographie ". Quant à Oppenheim, elle
représente pour lui un exemple typique de la copie et de la conservation de texte paléo-babyloniens
dans la capitale hittite132.

127
G. Beckman, 2007, p. 73
128
G. Meier, 1939, p. 197
129
R. Labat, 1988, n°152
130
R. Borger, 2003, n°641
131
Meier, 1935, p. 197
132
A. L. Oppenheim, 1959, p. 292

30
Le terme qaqqad est inusité dans ce contexte. Seux traduit "ceux de"133, en considérant que le terme
"tête" doit être compris ici comme un pronom indéfini. Nous avons choisi de comprendre ce terme
comme la "cime" ; il s'agit d'un sens attesté dans le sens végétal134 et plus généralement il désigne la
partie la plus élevées d'un objet135. Nous pouvons comparer ce passage avec la tablette K. 2315+, l.
40. Là, l'ensemble des directions est précédé du sumérogramme 'MUL'. Il faut donc traduire comme
un état construit kakkab suivi de la direction : "étoile de du Sud, du Nord, de l'Est et de l'Ouest". La
ressemblance phonétique entre les termes qaqqad et kakkab est frappante. D'un point de vue
graphique, le scribe ne différencie par les sons [qa] et [ka], notés 'ka4', si bien qu'il pourrait s'agir d'une
erreur qu'il faudrait corriger ka4-ka4-ab!.

Ligne 43 : le cas de mula-ha-ti est particulièrement difficile à comprendre. Le terme ahītum "étranger,
défavorable" auquel nous pensons devoir le rapprocher évoque les épithètes de la planète Mars, dont
un des noms attesté est mulahu136. Ce terme est peut-être également une invention, permettant d'adapter
le mot-clef ahū dont nous trouvons des dérivés dans les textes les plus récents du corpus (K. 3507, l.
10 ; K. 2315+, l. 41) à cette prière en particulier137. Il est frappant de constater que cette liste
correspond en partie à une liste astronomique, l'astrolabe B138.

Ligne 47 : les étoiles sont ici réparties selon les divinités de la triade mésopotamienne Anu, Enlil et
Ea. De façon exceptionnelle, cet ordre traditionnel n'est pas ici respecté : Ea remonte ici à la tête des
deux suivants. Il s'agit de la toute première attestation des "chemins" d'Anu, d'Enlil et d'Ea, une
conception cosmologique à l'origine des listes astrales propres aux sciences astronomiques
"canoniques", telles qu'elles sont exprimées notamment dans les grands ouvrages scientifiques néo-
assyriens.

Ligne 48 : le terme išrāni n'est pas traduit par G. Beckman. Selon nous, il se rapporte à la racine 'ŠR :
"rassembler", "organiser", qui peut avoir le sens d'"d'instruire". Comme la très grande majorité des
verbes à consonne initiale faible, la première voyelle de leur forme impérative est vocalisée en [a]. Il
fait donc son impératif en ašir. Notons que cette voyelle est colorée en [e] dans certains textes
littéraires du nord de la Mésopotamie139. Peut-être faudrait-il donc lire eš16-ra-ni. La dernière série de
signe devrait être lue pour W. von Soden tá-mì-tù140: ce qui signifie dans le contexte oraculaire une
"réponse". Il pourrait s'agir d'un titre de partie en explicit.

133
Seux, 1974, p. 245, note 17
134
CAD, Q, p. 109
135
CAD, Q, p. 107
136
CDA, 2000, p. 8
137
Voir sous-partie 1.2.3.1
138
Voir la liste des étoiles en annexe.
139
CAD, A2, p. 421
140
W. von Soden, 1987, p. 71

31
Conclusion :

Ce texte est original sous plusieurs rapports. L'utilisation de signes phonétiques pour
reconstituer des sumérogrammes est frappante ; on observe par ailleurs plusieurs erreurs de
grammaire, notamment de vocalisation ; il n'y a plus de marque de la mimation ce qui semble indiquer
un langage plus tardif que le paléo-babylonien contrairement à la majorité des copies hittites de textes
akkadiens141. Néanmoins, le mot ina continue à être orthographié i-na, contrairement à l'usage du
signe 'aš' dans le babylonien standard. Le scribe cherche à montrer l'ensemble de ses connaissances :
l'expression "dieux de la nuit" est écrite de trois manière différentes, utilisant l'ensemble des
possibilités scripturales : l. 38 : DINGIR.MEŠ GE6hi.a; l. 40 : DINGIR GE6hi.a ; l. 41 : DINGIR mu-ši-ti.

Le texte de l'incantation apparaît comme un assemblage surprenant, et parfois difficile à


comprendre. Plusieurs interprétations ont été données quant à l'identité du scribe. G. Beckman
souligne que la graphie de l'ensemble du texte est typique du ductus qu'on trouve à Hattussa, si bien
qu'il s'agit très certainement d'un scribe formé dans la capitale. Cependant, la tradition
mésopotamienne est évidente dans cette prière, surtout si on la compare aux prières paléo-
babyloniennes étudiées, si bien que G. Beckman conclut qu'il s'agit probablement d'une "collaboration
entre un étudiant hittite et son professeur, un scribe babylonien, résident dans la capitale hittite" 142. On
sait que les scribes hittites sont formés à l'akkadien et parfois au sumérien143. Mais étant donné que ce
texte appartient à l'une des grandes bibliothèques de Hattussa, nous y voyons le résultat de la
coopération de deux savant davantage qu'un travail d'étude. La partie akkadienne a certainement été
composée par scribe formé aux disciplines astrales, comme l'indique cette première attestation à la
tripartition du ciel selon les grands dieux Anu, Enlil et Enki. Par ailleurs, la liste des étoiles relève d'un
caractère très particulier. Ces dernières sont en effet invoquées selon un ordre assez proche de celui de
l'astrolabe B, section A. Les "astrolabes", ou "trois chacun" sont des listes astrales indiquant pour
chaque mois de l'année trois constellations représentatives – une pour chacune des voies. Ici, la liste
calque en six occurrences celle de l'astrolabe B, ce qui indique que le scribe connaît parfaitement le
mouvement annuel des constellations, s'il n'est pas familier avec cette liste elle-même.

Deux aspects de l'incantation attirent particulièrement notre attention et d'abord la qualité de


l'akkadien :"while it is not unusual for the Hittite magician or worshipper to address a deity in his or
her 'native language', the use of Akkadian for this purpose is very rare. Indeed, the only real parallel
among the Boğazköy texts is presented by the so-called babilili-rituals (CTH 718). But the quality of
the Akkadian passages in this treatment for depression is far higher than that found in the babilili-
rituals, not to mention the peripheral idiolect on display in the products of the Hittite chancellery e. g.

141
A. L. Oppenheim, 1959, p. 292
142
G. Beckman, 2007, p. 80-81
143
G. Beckman, 1983, p. 98

32
treaties and diplomatic correspondence"144. Rappelons que les incantations magiques doivent être
récitées sans jamais varier, au risque de perdre leur efficacité voire de s'attirer les foudres de la divinité
invoquée. Si les parties manuelles doivent être correctement comprises par l'officiant et sont donc
inscrites en hittite, la langue vernaculaire, au contraire l'incantation est conservée dans sa langue
originale. Cette explication correspondrait à la tradition des scribes akkadiens de conserver les parties
récitées des rituels en sumérien, langue de religion et de tradition par excellence.
Par ailleurs, il est difficile de comprendre les raisons qui ont poussé à conserver une prière destinée à
des divinités subalternes du panthéon akkadien. Il pourrait s'agir d'un effort de syncrétisme avec la
divinité nocturne hittite, régulièrement invoquée dans les rituels d'exorcisme145. Par ailleurs, la religion
hittite semble avoir une tonalité astrale assez développée, comme nous le montre le succès de
l'astronomie dès le XIVe et XIIIe tel que nous l'indique l'impressionnante quantité de présages relatifs à
l'astrologie mis au jour à Hattussa146.

144
G. Beckman, 1983, p. 79
145
A. Mouton, 2008, pp. 215-233
146
U. Koch-Westenholz, p. 45

33
III. Trois rituels nocturnes néo-assyriens

3.1. K. 10659 : Mayer, Gebetschwörungen, 1976 pp. 533-534.

Cette tablette et les deux suivantes ont été mises au jour à Kuyunjik, le site actuel de Ninive,
datant de l'époque néo-assyrienne (ca 911-612). K. 3507 dispose d'un colophon qui certifie son
appartenance à la bibliothèque d'Aššurbanipal. Nous ne pouvons que supposer une origine équivalente
aux deux autres ; le fait qu'elles soient toutes trois conservées au British Museum nous laisse supposer
qu'elles ont toutes les trois été découvertes au cours des campagnes de fouilles successives menées
entre 1845 et 1932 par A. H. Layard, H. Rassam et R. C. Thompson. "Most of the excavated houses
contained large quantities of clay tablets; unfortunately, the poor recording procedures during the early
excavations make a reconstruction of individual archives and libraries very uncertain"147. Selon les
chercheurs qui ont travaillé avant nous sur les prières aux "dieux de la nuit", il ne fait aucun doute que
ces prières appartiennent aux grandes bibliothèques de Ninive148. Cette appellation regroupe plusieurs
fonds de documents : la bibliothèque du Palais Sud, "containing a large number, perhaps most, of the
clay tablets containing literary texts that have been found in Nineveh"149. Le palais Nord, ou Palais du
Prince a également révélé une bibliothèque, la "bibliothèque d'Aššurbanipal" à proprement parler.
Cette dernière se confond en partie avec celle du temple de Nabû."The essentially old excavations
make reconstructions of which texts belonged to which archives or library, in most cases,
impossible"150.
La tablette K. 10659 a un aspect très lacunaire, ce qui nous empêche d'en proposer une étude
approfondie. Le texte doit être étudié et compris en comparaison avec les deux prières paléo-
babyloniennes aux "dieux de la nuit" avec lesquelles il partage un grand nombre de traits
caractéristiques. La prière n'a jamais fait l'objet d'une publication complète. Une translittération a été
réalisée par W. Mayer151 en 1976 à partir de la copie de F. Geers152 que nous avons pu consulter,
accompagnée de la reproduction photographique de la tablette mise à disposition par le Cuneiform
digital library initiative153 ; le texte est en partie traité par J. Fincke en 2009 dans son article sur la
nature nocturne de l'haruspicine en Mésopotamie154. La translittération que nous proposons ici repose
sur ces deux travaux.

147
O. Pedersén, 1998, p. 161
148
A. L. Oppenheim, 1959, p. 296 ; G. Beckman, 2007, p. 80
149
O. Pedersén, 1998, p. 161
150
Ibid, p. 164
151
Mayer, 1976 pp. 533-534
152
Geers Kopien, Heft N, Pl. 90
153
http://cdli.ucla.edu/dl/photo/P398810.jpg
154
J. Fincke, 2009, p. 526

34
Translittération :

1. ÉN <pu>- ul-lu-lu ru-bu-u šu-[…]


2. áš-ru sik-ku-ru [x …]
3. ed-lu-tu UD-[…]
4. dan-nu-tum [x …]
5. ina EDEN šu-⌈har⌉-[…]
6. ina ŠÀ.URU z[a/h[a-...]
7. ⌈ÙG⌉meš ⌈rap⌉-[šá-ti...]
8. ⌈da⌉-a-a-an [...]
9. [d]UTU ⌈i⌉-[…]
10. [i]-ziz-za-nim-[ma …]
11. ⌈MUL⌉.⌈MUL⌉ [...]
12. [x] ra n[e?...]
13. [x]i li [x …]
14. [li]-iz-[ziz-u ...]
15. [i]-⌈ziz⌉-za-⌈nim⌉-[ma ...]

Traduction :

1. Incantation : les princes sont bien gardés […]


2. Les chevilles sont mises, […]
3. Fermés […]
4. Forts […]
5. Dans la steppe dans la torpeur […]
6. A l'intérieur de la ville […]
7. Les foules […]
8. Le juge […]
9. Šamaš […]
10. Assistez-moi ! […]
11. Pléiades […]
12. […]
13. […]
14. [Qu'ils] a[pparaissent …]
15. Apparaissez-moi ! […]

35
Commentaire :

Ligne 1 : le sumérogramme ÉN traduit en akkadien šiptu, "incantation", est une formule introductrice
de la partie orale d'un rituel. La ressemblance avec le texte de la tablette ERM 15642 que nous aurons
l'occasion de constater et qui a été relevée par F. Geers dans ses cahiers (Heft M, p. 187), s'arrête donc
à l'aspect littéraire, ces deux prières n'étant pas de la même nature. Par comparaison avec la tablette
ERM 15642, nous reprenons la lecture de J. Fincke en restituant le signe 'pu'.

Ligne 2 : les signes conservés semblent indiquer une copie parfaite d'ERM 15642, l. 2 dont les termes
et l'écriture ont été à peine modernisés155. Ainsi, le verbe (w)ašāru(m) que nous trouvons dans les
versions paléo-babyloniennes est maintenu bien qu'il s'agisse d'un archaïsme dans le vocabulaire de la
langue babylonienne standard156.

Ligne 3 : l'adjectif edlūtu signifie "fermé". Il semble remplacer le permansif uddulū, ERM 15642, l. 4,
un synonyme. Notons ici que la mimation n'est plus inscrite, et que par ailleurs, ce mot relève du
babylonien standard157.

Ligne 4 : la mimation semble ici conservée et inscrite par le signe lourd 'tum'. Néanmoins, les signes
lourds comprenant la marque [m] de la mimation ont également une lecture faible, ici 'tu4' ce qui fait
que cette remarque est incertaine.

Ligne 5 : ce passage est comparable à ERM 15642, l. 10 dont la graphie a été modernisée avec
l'utilisation du signe 'ina' et la préférence pour l'idéogramme EDEN plutôt que l'écriture phonétique
des textes paléo-babyloniens.

Ligne 6 : le palais qui s'oppose à la steppe dans les versions paléo-babyloniennes est ici remplacé par
l'"intérieur de la ville". Une nouvelle fois, les signes idéogrammatiques sont privilégiés.

Ligne 7 : comparable au habrātum nišû (ERM 15642 l. 3). Ici, la caractéristique des foules n'est pas
d'être bruyantes ou occupées, mais d'être répandues. Cette version n'évoque donc pas l'alternance entre
le bruit de la journée et le silence de la nuit. Les idéogrammes sont une nouvelle fois privilégiés.

Lignes 8 et 9 : correspondent à ERM 15642, ll. 12-13.

155
Voir sous-partie 1.2.3.2
156
CAD, A2, p. 422 relève ce verbe comme strictement paléo-babylonien ;
CDA, 2000, p. 436 relève des occurrences de ce verbe jusqu'à la période néo-babylonienne, mais dans le sens de
"fermer", il n'apparaît qu'à la période paléo-babylonienne.
157
CAD, E, p. 33

36
Ligne 10 : l'injonction "apparaissez" précède l'ensemble de l'invocation.

Ligne 11: les Pléiades ne sont pas invoquées dans les prières anciennes aux "dieux de la nuit", mais
correspondent à une des constellations les plus observées dans les grands traités d'astrologie
classiques, ce qui indique que la liste a été modernisée.

Ligne 14 et 15 : cette restitution et traduction repose avant tout sur la comparaison avec ERM 15642,
l. 23 et AO 6769, l. 21.

Conclusion :

Cette copie est une version récente et tronquée des prières paléo-babyloniennes, écrite dans un
vocabulaire babylonien standard, utilisant des valeurs de signes propres aux scriptes néo-assyriens et
privilégiant régulièrement les caractères idéogrammatiques à l'écriture phonétique. Le texte des prières
paléo-babyloniennes est respecté dans la majorité des cas, ce qui nous permet de tracer la filiation de
ces prières de façon certaine. Néanmoins, on peut observer que le poème semble avoir été résumé en
grandes idées évocatrices ; la structure est diminuée, et l'ensemble du poème est réduit d'environ huit
lignes. Pour finir, l'introduction par le terme ÉN indique qu'il s'agit très certainement d'une incantation
dans le cadre d'un rituel d'exorcisme contrairement au modèle de la prière paléo-babylonienne récitée
au cours d'une consultation oraculaire.
Le principal intérêt de ce texte selon nous n'est pas d'apporter une version neuve des prières
aux "dieux de la nuit", mais d'en mesurer la popularité. Ainsi, des siècles après sa rédaction originale,
le texte continue d'être copié et adapté. Cette tablette a une importance fondamentale dans la mesure
où elle prouve l'existence d'une tradition presqu'ininterrompue des prières paléo-babyloniennes. En
effet, l'usage du verbe (w)ašāru(m), qui est à notre connaissance l'unique attestation de ce texte pour ce
sens après la période paléo-babylonienne prouve que le courant de tradition a maintenu presque mot
pour mot le texte des prières du début du deuxième millénaire. En ce sens, cette incantation détonne
comparée avec les autres textes de notre corpus mis au jour à Ninive.

37
3.2. K. 3507 = OECT O6, pl. 12.

La tablette que nous présentons est originaire de Ninive (ca. 911-612) ; le colophon nous
indique qu'elle provient de la bibliothèque d'Aššurbanipal – en d'autres termes du palais Nord. La
copie a été cuite à l'origine comme l'indique la série de perforations clairement visibles au revers. La
première publication du texte qu'elle contient a été réalisée par Langdon en 1927158. La copie proposée
par celui-ci est malheureusement incomplète, notre travail reposera donc sur celle de M. Sidersky,
datant de 1929159. Hormis la copie, les deux publications sont en tous points identiques et comportent
la même translittération et traduction. La partie qui comprend l'ensemble des éléments de description
du paysage nocturne a été comprise comme des prescriptions : "to bring silence upon the plaine, bar
and gates" (l. 8). Le texte est réédité par E. Ebeling en 1931160. Il s'agit d'un texte somme toute assez
classique qui a été retenu dans les grandes anthologies de la littérature et de la religion
mésopotamiennes. Il est publié en 1974 par J.-M. Seux dans son ouvrage Hymnes et Prières aux dieux
de Babylone et d'Assyrie161, et de nouveau par B. Foster en 1993 puis en 2005 qui le classe parmi les
textes de la période "mature" (1500-1000) en supposant probablement l'existence d'une copie
antérieure162. Le texte est également incorporé dans les articles de G. Meier163, d'A. L. Oppenheim164,
et plus récemment d'A. Mouton165, de P. Steinkeller166 et de J. Fincke167 que nous avons déjà présentés.
Le texte inscrit sur la tablette est un rituel curatif contre la peste qui frappe une ville. Il couvre
sur les deux côtés de la tablette ; notre travail repose sur l'introduction, une courte adresse et prière aux
dieux Nergal et Ereškigal qui nous permet de mieux comprendre l'ensemble du rituel, suivie du titre de
l'incantation, puis de cette dernière. Le rituel comprend une seconde incantation destinée à purifier la
ville, directement suivie de la description du rituel, une nouvelle incantation destinée à Nergal. Le
scribe a donné deux indications : c'est la cent-quatre-vingt-unième tablette d'une série et le colophon
nous indique que le texte appartient au "palais d'Aššurbanipal, roi du monde"

158
S. Langdon, 1927, p. 75-77, pl. XII
159
D. Sidersky, 1929, p. 784-787
160
E. Ebeling, 1931, p. 163-164
161
J.-M. Seux, 1974, pp. 243-245
162
B. Foster, 2005, pp. 664-665
163
G. Meier, 1939, pp. 196-198
164
A. L. Oppenheim, 1959, p. 291
165
A. Mouton, 2008, p. 229
166
P. Steinkeller, 2005, p. 39
167
J. Fincke, 2007, pp. 519-558

38
Translittération :

1. […]
2. […] [x] ta da [...]
3. […]-ti É-šú-ma [...]
4. […] ul iš-šú […]
5. […] šú ka lit-tal-lak ARHUŠ-ma TUKši ši-[…]
6. [NENNI] A NENNI lu KA.TAR dU.GUR u dEREŠ.⌈KI⌉.[GAL …]
7. [ENIM].ENIM-ma ina NAM.ÚŠmeš ina pa-an ab-ri [...]
8. [ÉN] šu-ha-ru-ur ṣe-e-ru pa-ar-ka gišIGmeš tu-[ur-ra KÁmeš]
9. na-du-ú ši-ga-ru šu-qam-mu-mu ⌈d⌉[mušīti ...]
10. pa-ta-a-ma KÁ.GALmeš šá ANe ra-[...]
11. ra-bu-ú-te DINGIRmeš mu-ši-ti šá ṣu-ub-⌈bu-u⌉ [...]
12. er(sa)!-ba-nim DINGIRmeš mu-ši-ti MULmeš ra-[bu-tum]
mul
13. MU.SÍR.KÉŠ.DA mulSIPA.ZI.AN.NA mulŠUL.PA.È [MUL ...]
mul
14. MAR.GÍD.DA mulne-bi-ru mulBIR mul
EN.TE.NA.MAŠ.LUM mulAŠ.GÁN
15. er(sa)!-ba(zu)!-nim DINGIRmeš mu-ši-ti iš-ta-[a-ra-at mušīti ... ]
tur15 tur15
16. U17.LU SI.SÁ tur15KUR.RA tur15
MAR.TU
d d
17. er-bi NIN.SI4.AN.NA GAŠAN ra-bi-tú ù ma-a-du-te MUL a-hi-[a-ti]
18. šá ha-si-is-ku-nu i-ka-šá-du ni-iz-mat ⌈an⌉ [...]
19. an-na-an-na ha-si-is-ku-nu i-ka-šá-du ni-iz-mat [...]
20. ul-tu ul-la-ma šá-ki-in ma-ga[-ru ...]
21. ba-aš-tu te-eš-mu-ú bu-ul-lu-ṭu i-ba-áš-ši [it-te-ku-nu]
22. i-ba-áš-ši it-te-ku-nu pa-ṭa-ar iˀ-il-te uz-zu li-ib-ba-tú u ni-ki-il-⌈ti⌉
23. [šá] ⌈iz⌉-za-ka-ru-ku-nu-ši mu-ug-ra a-ma-as-su ul-li-a a-ma-as-[su]
24. [...]-a iz-za-ka-ru-ku-nu-ši mu-ug-ra ⌈a-ma⌉-as-su ul-li-a a-ma-as-[su]
25. [...] a-šá ku-zu-ba(zu)!-at i-lu-tim : ak-lu(ku)! ZÌ [x x x]-e ZÌ.EŠA el-lu
26. […] 7 NINDA.GUR4.RA mu-ut-qí-i ra-bu-ti bi-il-la-⌈tam⌉-[...]
27. [...] ši-ti-⌈x⌉ [...]
28. […]

1'. DINGIR AN
2'. É bir […]
3'. SIKIL-ma […]-ma ⌈ku⌉ [...]

39
Traduction :

1. [...]
2. [...]
3. [...] sa maison […]
4. […] … […]
5. […] … qu'il s'en aille ! Prends pitié […]
6. [Qu'un tel fils] d'un tel puisse [chanter] (vos) louanges, Ô Nergal et Ereš[kigal !]

7. [Récita]tion (en cas) de peste. En face d'un amas de broussailles […]

8. [Incantation :] La steppe est dans la torpeur, les vantaux sont barrés [les portes sont]
clo[ses],
9. Les loquets sont abaissés. Les dieux [de la nuit] sont silencieux ;
10. Les portes des [grands] cieux sont ouvertes.
11. Les grands dieux de la nuit qui sont scrutés (de loin) […]
12. Entrez dieux de la nuit, Ô [grandes] étoiles !
13. Constellations du Joug lié, du Vrai Berger du ciel, étoile de Šulpae,
14. Constellation du chariot, étoile du gué, constellations du Rein, du Rat, du Champ,
15. Apparaissez-moi, dieux de la nuit, déess[es de la nuit …]
16. (du) Sud, (du) Nord, (de l') Est (et de l') Ouest,
17. Entre Ninsianna, grande Dame et les nombreuses étoiles alen[tours].
18. Qui pense pieusement à vous obtiendra (ce qu'il) désire […]
19. Un tel qui pense pieusement à vous obtiendra (ce qu'il) désire […]
20. Depuis la nuit des temps [votre] consente[ment] est accordé […]
21. La dignité, l'approbation, le secours, (sont) certainement [en votre pouvoir] ;
22. Certainement, (il est) en votre pouvoir d'effacer la faute, la colère, la rage et la malignité.
23. Exaucez à présent la prière de celui qui vous invoque ; élevez [sa] prière !
24. Exaucez à présent la prière [d'un tel qui ?] vous invoque ; élevez [sa] prière !
25. […] la divinité satisfaite : du pain de farine […] et de farine fine pure,
26. […] 7 grands pains sucrés, du billatu […]
27. [...]
28. [...]

1'. Les dieux du ciel? [...]


2'. Temple [...]
3'. Pur [...]

40
Commentaire :

Ligne 5 : rêmam rašûm168 est ici à l'impératif deuxième personne du singulier. Le sujet est donc
différent du premier verbe, à l'optatif troisième personne du singulier. S. Langdon propose la
restitution suivante :
ši-[mi tes-li-ti ù anā-ku] (…) dalilī (…) [lud-lul] : é[coute ma prière, afin que je chante] tes louanges169.

Ligne 6 : l'expression annana mār annana est la formule utilisée par les scribes afin de laisser en
blanc le nom du destinataire du rituel. Comme le montre E. Reiner dans son article sur la littérature
babylonienne, la grande majorité des rituels ont été rédigés à l'intention du roi, avant d'être dans
certains cas adaptés aux particuliers170.

Ligne 7 : l'"amas de broussailles" est un élément rituel traditionnel171. Ce locatif indique une
prescription rituelle.

Ligne 8 et 9 : notre restitution repose sur la comparaison avec VAT 7445 (l. 39-40). La fin de la ligne
ne peut malheureusement pas être restituée, étant incompréhensible sur la tablette hittite. Notons la
proposition de Langdon et Sidersky ilāni kamûti "the bound gods" : "The gods of the night or the
constellations are the giants of chaos who were bound by Marduk and chained to the stars. The similar
prayer to them in Ebeling, KAR. 38, Obv. 35, states that 'god and goddess ordered their being
captured'"172. Les nouvelles traductions réfutent cette lecture173.

Ligne 10 : on constate une variation par rapport à VAT 7445. Les "portes" sont ici au pluriel et le
complément du nom "cieux" est clairement précisé à l'aide du complément phonétique [e]. La partie
effacée doit logiquement contenir un qualificatif du terme "cieux". Il peut s'agir de l'adjectif rabûtum
"grands" ou de rapšūtum "vastes".

Ligne 11 : la vocalisation de l'adjectif rabûte est propre aux variations phonétiques de la langue
assyrienne consécutives à la chute de la mimation de la syllabe –im174. Le cas indiqué semble donc être
ici l'accusatif pluriel. Néanmoins, il faut prendre en compte le fait que les règles de vocalisation
casuelle ne sont pas aussi strictes à cette période qu'elles ne le sont dans les textes paléo-babyloniens.

168
CAD, R, p. 360
169
S. Langdon, 1927, p. 74
170
E. Reiner, 1991, p. 313
171
CAD, A1, p. 63
172
S. Langdon, 1927, p. 74 note 2
173
"God and godess have commanded me to take you
I took (you) with awe,
(with) prayer and supplication I took you" Caplice, 1970, p. 129
174
J. Huehnergard, 2011, p. 600

41
Dès lors, il est difficile de se prononcer sur la fonction des "dieux de la nuit" dans la phrase. Plusieurs
restitutions ont été proposées : Oppenheim traduit "and the great gods of the night that keep watch are
[present]"175, en supposant que le permansif ṣubbû a ici un sens actif. J.-M. Seux translittère et traduit
"šá ṣu-ub-bu-u a-[la-ku/ak]" (sic !), "dont le c[ours] est vu de loin"176. Dans ce cas ṣubbû se réfèrerait
au "cours" alaktu177. Ces deux traductions sont intéressantes car elles soulignent la double nature des
étoiles caractérisée par l'astrologie et l'astronomie. La traduction d'A. L. Oppenheim se concentre sur
leur caractère bénéfique, en tant qu'intermédiaires entre les dieux et les hommes. Au contraire, la
restitution de J.-M. Seux souligne la connaissance du mouvement des astres et leur intérêt scientifique.

Ligne 12 : nous avons corrigé 'sa' en 'er'. Aucun impératif sur la racine SB' ou S'B ne permet de
dégager un sens cohérent178. Par ailleurs, ces deux signes ont une graphie suffisamment proche pour
pouvoir être confondus. Enfin, l'impératif erbānim fait sens, tant d'un point de vue lexical que si on le
compare avec les autres prières aux "dieux de la nuit", notamment la prière akkado-hittite VAT 7445,
l. 41.

Ligne 15 : nous corrigeons le signe 'zu' en 'ba'. Ces deux signes sont extrêmement proches dans leur
version les plus récentes179, ce qui explique la confusion ; 'ba' est d'ailleurs correctement inscrit ligne
12. La même erreur est répétée ligne 25. En ce qui concerne la fin de la ligne, notre restitution repose à
la fois sur un parallèle avec la tablette VAT 7445, l. 41 et sur l'opposition stylistique dieu / déesse
classique dans la littérature mésopotamienne. Le terme "dieux" dispose d'une marque de pluriel MEŠ.
Il nous semble donc cohérent de restituer le terme "déesses" au pluriel également.

Ligne 17 : dGAŠAN, bēlet est le premier élément graphique de nombreuses divinités. Ici, il s'agit
probablement d'un attribut de Ninsianna la divinité titulaire de la planète Vénus syncrétisée avec Ištar.
De façon frappante, cette déesse est elle aussi connue dans le cadre de la divination au XVIIe siècle en
180
Babylonie .
Nous reprenons ici une proposition d'E. Ebelings181, qui translittère a-hi-a-ti sans préciser qu'il s'agit
d'une restitution. Cette traduction est reprise par J.-M Seux182 et par le CAD183 qui cite l'exemple mul
a-
ha-ti (VAT 7445, l. 43). Ce terme évoque dans la prière hittite le nom d'une étoile "de malheur". Ici,
il est fort probable que ce mot soit employé dans un sens différent : "environs, alentours"184.

175
A. L. Oppenheim, 1959, p. 291
176
J.-M. Seux, 1974, p. 244.
177
CAD, A1, p. 297
178
sabā'um "lancer, déborder", sabû :"brasser de la bière", sâbu : "verser de l'eau" CAD, S, p. 2, 5 et 9.
179
R. Borger, 2003, n°14 et 15
180
L. de Meyer, 1982, pp. 272-277
181
E. Ebelings, 1931, p. 163
182
J.-M. Seux, 1976, p. 245, note 19
183
CAD, A1, p. 190
184
CDA, 2000, p. 8

42
Ligne 18 : notre traduction est difficile dans la mesure où le signe 'an' supposé avant la cassure
n'apparaît pas dans l'expression figée nizmat libbi185, mot à mot le "désir du cœur" que nous rendons
par une relative. Il est vrai que le signe 'an' a une lecture 'li4', néanmoins ce signe n'est à notre
connaissance jamais usité dans la graphie du substantif libbum qu'on trouve généralement écrit lìb-bu
ou li-ib-bu ou avec la lecture idéogrammatique ŠÀ186. Les lignes 18 et 19 n'ont malheureusement pas
de parallèle dans les autres prières aux "dieux de la nuit", si bien qu'il nous est difficile de nous
prononcer sur une restitution.

Ligne 20 : le terme utlu est une déformation de la conjonction ištu propre à la langue babylonienne
standard. L'expression ištu ulla est traduite "since the beginning of time"187, expression que nous
avons tenté de rendre dans une tonalité lyrique. La forme šakin magāru est difficile à traduire de
manière littérale "le fait d'acquiescer est établi". Dans la mesure où cette action se rapporte aux "dieux
de la nuit", nous rendons cette expression par un possessif : "[votre] consentement est accordé".

Ligne 21 : bulluṭu est un terme rare. Composé comme l'infinitif du verbe balāṭu au système II : "guérir
quelqu'un, épargner, pardonner, garder en sécurité"188, "ressusciter"189, il doit s'agir ici d'un substantif.
Nous avons essayé de rendre l'ensemble de ces termes par "secours". La restitution de la fin du
passage suppose une répétition de la formule sur les deux lignes.

Ligne 22 : ittekunu correspond à un emploi spécial de la préposition itti190. La forme infinitive est à
l'état construit191. Littéralement : "le fait d'effacer la faute (…) est en votre pouvoir". Le terme nikīltu a
le double sens d'ingéniosité et de ruse192 que nous rendons par "malignité" ayant en français cette
double acception.

ligne 23 : le terme izzakarū est au parfait ; la propriété de ce mode est de souligner le décalage entre
les deux verbes. Par souci de forme, nous avons préféré faire porter la marque du décalage sur
l'impératif "exaucez à présent".

185
CAD, N2, p. 304
186
CAD, L, pp. 164-176
187
CAD, U p.74 a)
188
CAD, B, p. 52
189
bulluṭu : "zum Leben erweckt", AHw, I, p. 137
190
it-ti-ka-ma : "it is within your power": CAD, I, p. 303
191
Huhenergard, 2011, p. 342
192
CAD, N2, p. 220

43
Ligne 24 : nous attendrions ici comme ligne 19 une répétition du sujet indéfini ša par le pronom
indéfini annanna. Le terme annanna est orthographié a-na-an-na, an-na-na ou (ninna2-ninna2=)
NENNI193 ; nous expliquons donc mal la présence du signe 'a', premier signe lisible de la ligne. M.-J.
Seux propose cette restitution en corrigeant le signe 'a' en 'šá'194.
La forme šumam zakārum du verbe "invoquer" est privée de son objet, ce qui constitue un cas rare que
nous retrouvons également dans K. 2315+ (l. 23)195.

Ligne 25 : nous avons corrigé le signe 'zu' en 'ba' – voir ligne 15. Nous lisons le verbe kuzzubum
"flatter"196 au permansif féminin. Le scribe a ici également confondu les signes 'lu' et 'ku', ce que nous
expliquons par la grande proximité de leur graphie197. Ces erreurs et l'aspect tassé des signes de cette
ligne indiquent que le scribe a sûrement été pressé par le temps lors de la rédaction. Notre correction
permet de composer le substantif aklu : "pain, nourriture", suivi d'une catégorie de farine. Le signe 'zi'
est lu TÚG dans la plupart des traductions, jusque dans les traductions les plus récentes. Or, la série de
signes 'ku + a + tir' doit se lire ZÌ.EŠA, sasqû, soit de la "farine fine"198. Par ailleurs, ces signes ne font
pas sens si on les relie au champ sémantique des vêtements. Sachant que les prescriptions concernent
des offrandes alimentaires et non des vêtements rituels, la restitution admise dans le CAD semble
injustifiée : labšāku ṣubat i-lu-tim :"I (the āšipu) am clad in a robe (reserved) for the gods"199. Cette
traduction ne nous satisfait pas non plus, car son sens est contradictoire. Pour AHw, il s'agit d'une
transcription particulière du mot elûtu "ein Priestergewand"200. Or cette lecture ne repose que sur deux
extraits, notre texte et une liste lexicale ; il n'est pas répertorié dans le CAD.
Le signe traduit par ':' est une graphie rare dans un texte littéraire. Ce signe constitue, selon le manuel
de Labat un signe qui "dans les commentaires, sépare les mots et leur explication"201.

Ligne 26 : le NINDA.GUR4.RA202, kirṣu est une "préparation de céréales"203. Nous l'avons ici traduit
par "pain", cette traduction étant plus neutre que "gâteau". Le substantif mutqî lui est opposé. On le
ninda
trouve généralement sous la forme muqû204. Le billatum est un ingrédient entrant dans la
préparation d'un type des bières qu'on trouve dans le contexte médical et rituel205.

193
R. Labat, 1988, n°515, R. Borger, 2003, n °806
194
J.-M. Seux, 1976, p.245 note 26
195
CAD, Z, p. 18
196
CAD, K, p. 617
197
R. Borger, 2003, n°808, 812
198
R. Labat, 1976, n° 536 ; R. Borger, 2003, n°592
199
CAD, I-J, p. 105
200
AHw, p. 210 b.
201
R. Labat, 1976, p. 25 et n° 378, R. Borger, 2003, n°839
202
R. Labat, 1988 p. 245. R. Borger, 2003, n° 859, lu NINDA.KUR 4.RA
203
CAD, K, p. 411
204
CAD, M, p. 302
205
CAD, B, p. 227

44
Conclusion :

La qualité de la tablette, cuite et conservée dans la bibliothèque royale, est très appréciable.
L'ensemble des variations grammaticales et de l'ordre des mots dans la phrase peut être imputé à la
nature lyrique de la composition de l'incantation et à l'état néo-babylonien de la langue. On remarque
cependant que le scribe est pressé : la fin de la première face du rituel dénote une série d'erreurs, les
signes sont plus serrés et se confondent : 'er' et 'sa' (l. 12, l. 15), 'ba' et 'zu' (l. 15, l. 25), 'ku' et 'lu' (l.
25). Notons enfin que certains signes sont inscrits dans une forme néo-babylonienne, comme par
exemple 'nam', ligne 7, ce qui nous permet de supposer que ce document a été copié à partir d'un
original néo-babylonien.
Nous avons eu l'occasion de montrer à plusieurs reprises les ressemblances entre les textes K.
3507 et VAT 7445 auxquels nous pouvons supposer une origine commune. Le fait qu'ils soient relatifs
à des divinités peu documentées est à la fois surprenant mais est une chance certaine. Si de
nombreuses autres prières sont en quelques sortes noyées dans la masse de documentation de ces deux
grands centres culturels, les prières aux "dieux de la nuit" sont suffisamment originales pour être
repérées, dégagées et comparées. Cette proximité est profitable dans la mesure où elle permet de
compléter et de corriger chacune des deux sources.
Ce rituel est néanmoins différent du document hittite. D'abord par son thème : si le rituel VAT
7445 a un lien clair avec la nuit par l'évocation des insomnies du patient, nous aurons l'occasion
d'interroger le lien qui unit la peste aux rituels nocturnes206. Ensuite, le rituel mis au jour à Hattussa
peut être pratiqué pour n'importe quel individu. Ici il est très clairement destiné au roi, ce qui est
cohérent avec l'interprétation d'E. Reiner qui montre que l'activité des savants relève principalement de
la cour207. Deux éléments font indiquent que ce rituel est destiné à l'usage du roi : le fait que la tablette
soit conservée dans le palais et le but du rituel qui conserne un problème de sécurité urbaine.

206
Voir sous-partie 2.2.1.1
207
E. Reiner, 1991, p. 314

45
3.3. K. 2315 + K. 3125 + 83-1-18,469 = Geers Heft J. p. 032, 034 = AnBi
12, pl. 21-22.

Ces tablettes collationnées, auxquelles nous ferons référence dans le corps de notre étude par
K. 2315+, sont conservées au British Museum. Les mesures grossières que nous avons pu réaliser à
partir de la reproduction photographique de la tablette, mise en ligne par le Cuneiform digital library
initiative208, nous indique que les dimensions de la tablette doivent être environ 7,7 cm de largeur x 17
cm de hauteur x 2 cm de largeur. Elle a été publiée pour la première fois par A. L. Oppenheim en
1959, après avoir été recopiée dans le carnet J. de F. Geers (non publié). La publication d'A.
Oppenheim comprend une photographie de la tablette, la translittération et traduction du texte. Ce
rituel sert d'introduction générale à l'analyse littéraire et au commentaire d'un corpus de prières aux
"dieux de la nuit"209. Le texte a ensuite été publié sous forme de traduction dans l'ouvrage de J.-M.
Seux en 1976 Hymnes et Prières aux dieux de Babylonie et d'Assyrie210. Il est étudié en partie dans les
articles de P. Steinkeller211 et de J. Fincke212 que nous avons déjà évoqués.

Le texte inscrit sur la tablette est un rituel pour se protéger du mal annoncé par un ensemble de
mauvais présages, long de 109 lignes. Nous présentons ici la translittération et la traduction de la
partie du rituel qui contient la liste des étoiles et celle qui la suit, une incantation adressée aux "dieux
de la nuit". Nous donnons néanmoins à la fin de notre commentaire un rapide résumé des parties
suivantes afin d'offrir un aperçu général du rituel. La translittération que nous reproduisons est celle
d'A. L. Oppenheim, dont nous avons seulement modifié quelques détails relatifs aux normes de
translittération. Nous avons choisi de mettre en relief la forme de la liste des étoiles. La plupart des
signes MUL, déterminatifs introduisant les astres, sont inscrits en colonne, générant des espaces dans
la copie. Lorsque ce n'est pas le cas sur la tablette, nous l'avons noté par un léger retrait (cf. ligne 15).
Les colonnes ne sont pas très claires jusqu'à la ligne 13 avant laquelle l'état de conservation nous
permet d'affirmer avec certitude une telle volonté de présentation.

208
http://cdli.ucla.edu/dl/photo/P237456.jpg
209
A. L. Oppenheim, 1959, pp. 282-301
210
M.-J. Seux, 1976, pp. 246-248
211
P. Steinkeller, 2005, p. 39
212
J. Fincke, 2009, p. 527

46
Translittération :

1. ÉN É.NU.RU […]
[…]

mul
10. ga-ga ⌈mul⌉ [… mul d
NIN.GIŠ].ZI.⌈DA⌉
mul mul
11. ŠUL.PA.È [ ...] É šá [x]
12. [mul ... mul
] ni-bi-⌈ru⌉
13. [mul ... ] mulAŠ.GÁN
14. [mul … mul
SI]⌈PA⌉.ZI.AN.NA mulEN.<TE>.NA.MAŠ.LUM
15. [mul … ] mulPA.BIL.SAG
16. [mul … ] mul gišGIGIR
mul
17. UR.GU.LA ⌈mul⌉ [… ] mulzap-pu
mul
18. MAŠ.TAB.BA ⌈mul⌉ [… ]⌈mul⌉KA5.A
mul d
19. UTU ⌈mul⌉ [… ]⌈mul⌉ dAMAR.UTU
mul
20. na-bi-um ⌈mul⌉ [… ]⌈mul⌉e-ri-tú
21. ir-bi diš-tar šar-r[a-tú] GAL-tú
22. ša ha-si-is-ku-nu i-[kaš-ša-du ni-iz]-mat-su
23. áz-kur-ku-nu-ši AN ŠE.⌈GA⌉ [KI] ⌈ŠE⌉.GA
24. MUL.MUL.AN.ŠE.GA [MUL.MUL.KI] ŠE.GA
25. DINGIR.RA.NA ŠE.GA d[INANNA AN.NA]ŠE.GA
26. ZI.AN.NA ŠE.GA Z[I.KI.A] ŠE.GA
27. ma-aˀ-du KI.ŠUB.BA⌈meš⌉ […]
28. ma-aˀ-da UN!.MEŠ [a-p]a-a-ti
29. hab-lim ha-bil-tu á-ku-ú [á]-ku-ti
30. šá GINmeš ku EGIR-ku-nu ⌈UD⌉-mi-šam
31. MU gi-mil dum-qí an-ni-i e-pe-šá ti-da-a
32. as-si-ku-nu-ši as-hur-ku-nu-ši
33. e-še-ku-nu-ši ú-kab-bit-ku-nu-ši
34. ú-šar-ri-ih-ku-nu-ši ina UKKIN gim-[ri …]
35. el-la šap-ta-a-a me-sa-a qa-ta-a-a
36. šu-har-ru-ur EDIN KUR šu-qam-mu-um
37. šur-bu-uṣ bu-lim ni-ši šu-nu-la
38. su-un-nu-qá gišIGmeš tur-ra KÁ.GALmeš
39. na-du-ú har-gul-lu4 ša ì-lí ra-bu-tú
40. MUL dIM.GIŠGAL dIM.SI.SÁ dIM.KUR dIM.MAR
41. šu-pu-tu4 MULmeš a-hu-tu4 šá i-ni la i-mu-ru-šú-nu-tú

47
42. mu-pal-su la mu-pal-su la ip-pal-su-šú-nu-tú
43. šu-ut da-nu al-si-ku-nu-<ši> šu-ut d50 na-as-hu-ra-ni
44. šu-ut dé-a gi-mir-ku-nu pu-uh-ra-ni
45. ul-lul-tu(ki)! GUBaz dNINSABA pe-ta-at pi-i DINGIRmeš GALmeš
46. aq-qí-ku-nu-ši ni-qa-a el-lu
47. as-ruq-ku-nu-ši si!-riq ŠIM.HÁ KÙmeš
48. az-qup-ku-nu-ši dugA.DA.GUR5 na-aš-pu
49. aq-qí-ku-nu-ši KAŠ el-la bal-la
50. da-áš-pu ku-ru-un-ni
51. a-ku-la el-lu ši-ta-a da-áš-pu
52. a-qiš-ku-nu-ši kam-kam-ma-at KÙ.BABBAR u KÙ.GI šá ⅓ GÍNta.àm
53. <ina> UDmi an-ni-i i-ziz-za-nim-ma ṣi-bu-tam lu-uk-šu-ud
54. aq-qí-ku-nu-ši ú-kab-bit-ku-nu-ši
55. i-zaz-za-nim-ma [di-ni di-na EŠ].BAR-a-a ⌈KUD⌉[sa]

Traduction :

1. Incantation : […]
[Seuls les premiers signes subsistent de la ligne deux à neuf]

10. Etoile Gaga ét[oile … étoile de Ningiš]zida


11. Etoile de Šulpae [étoile…] maison de […]
12. [Etoile …] Etoile du gué
13. [Etoile …] Constellation du Champ
14. [Etoile … constellations du Vrai]-Berger-du-Ciel, du Rat
15. [Etoile …] étoile de Pabilsag
16. [Etoile …] constellations du Chariot
17. du Lion, [étoile …] constellations de la Crinière
18. des Jumeaux, ét[oile …], étoile du Renard
19. Planète du dieu Šamaš, ét[oile…], planète du dieu Marduk
20. planète du dieu Nabu, étoile […], planète du Canal !
21. Entre Ištar, Ô grande re[ine] !
22. Qui pense à vous pieusement [obtiendra ce qu'il dé]sire !
23. Je vous ai invoqué, Ô cieux favorables, [Ô terre] favorable,
24. Etoiles favorables du ciel, [étoiles] favorables [de la terre],
25. Dieux favorables des cieux, [déesses] favorables [des cieux],

48
26. Profondeurs favorables des cieux, profondeur favorable [de la terre].
27. Croissants (sont) les champs en jachère […]
28. Croissantes (sont) les [fou]les,
29. Celui qui souffre de l'injustice, celle qui souffre de l'injustice, l'homme faible, la [fem]me
faible
30. Qui vous suivent jour après jour.
31. Donnez cette récompense (que) vous savez accorder !
32. Je vous ai appelés, je me suis tourné vers vous,
33. Je vous ai sollicités, je vous ai honorés,
34. Je vous ai glorifiés dans l'assemblée de la totali[té …]
35. Mes lèvres (sont) pures, mes mains (sont) lavées.
36. La steppe est dans la torpeur, le pays est silencieux.
37. Les bêtes ont été rentrées, les hommes sont couchés.
38. Les vantaux sont attachés, les grand-portes sont closes,
39. Les verrous des grands dieux sont fermés.
40. Ô étoiles du Sud, du Nord, de l'Est (et) de l'Ouest
41. Brillantes étoiles (et) les autres qu'aucun œil n'a jamais vues,
42. Que les observateurs inexpérimentés n'ont jamais aperçues.
43. Celles d'Anu je vous ai appelées ; celles d'Enlil accordez-moi vos faveurs
44. Celles d’Ea rassemblez-vous toutes pour moi.
45. Elle se dresse (à présent), la pure Ninsaba qui allèche les grands dieux !
46. Je vous ai offert un pur sacrifice animal
47. J'ai répandu pour vous une offrande d’aromates mêlés purs,
48. J’ai érigé pour vous un vase à libation de bière našpu,
49. J'ai versé pour vous une bière mêlée pure
50. (Et) de la douce bière kurunnu.
51. Mangez le (sacrifice) pur ! buvez la douce (bière) !
52. Je vous offre un anneau d’argent (et un anneau) d’or (pesant) chacun un tiers de sicle.
53. Aujourd'hui apparaissez-moi afin que je puisse réaliser (mon) vœu.
54. Je vous ai versés (une offrande et) je vous ai honorés,
55. Apparaissez-moi, [rendez un jugement] (et) prenez une décision.

49
Commentaire :

Lignes 2-9 : cette partie est perdue ; les premiers signes qui sont conservés n'indiquent pas que la liste
des étoiles commence avant la ligne 10. Il nous semble probable qu'elle ait fait référence à d'autres
divinités majeures comme c'est le cas de la prière de la tablette K. 3507.

Lignes 10-20 : pour la traduction de la liste des étoiles, se reporter au tableau en annexe. La forme de
cette liste rompt avec les prières précédemment présentées par sa présentation en colonne, semblable
aux listes des étoiles connues dans les traités d'astrologie et d'astronomie tels que MUL.APIN. Une des
constellations, KA5.A mérite notre attention. Tel qu'il est rendu dans le cahier de F. Geers213, le signe
'ka5' est commencé par une série de clous obliques et diffère très fortement avec le ductus néo-assyrien
qui reprend la structure du signe 'šu' terminé par deux clous horizontaux214. Tel qu'il est représenté et
qu'il nous a été donné de voir sur la photographie de la tablette, un des clous horizontaux est
particulièrement étiré ; l'ensemble 'ka5.a' nous évoquerait donc davantage le signe 'im' ; cette
proposition est intéressante dans la mesure où les étoiles de la fin de la liste sont invoquées par le biais
mul
de leur divinité tutélaire. Il faudrait donc comprendre IŠKUR "l'étoile d'Adad". Plusieurs astres et
constellations sont identifiés à ce dieu : NU.MUŠ.DA (dont nous ignorons l'identification), UGAmušen
"le corbeau", constellations du corbeau et de la coupe. Néanmoins, mul(d)IM n'est pas attesté.

Ligne 20 : A. Oppenheim souligne ici l'erreur probable du scribe. Il s'agit en effet certainement de
l'étoile Arītu215.

Ligne 22 : la restitution a été effectuée en comparaison avec K. 3507 (l. 18). On voit cependant que la
fin de la formule n'est pas absolument équivalente. On assiste ici à une inversion du verbe et du
complément. Par ailleurs, la forme nizmatsu maintient le contact [t]-[š] plutôt que de le résoudre en
[s]-[s] selon la règle paléo-babylonienne. Il s'agit certainement d'une variation phonétique propre au
babylonien standard. Mot à mot, il faudrait lire "atteint son désir".

Lignes 23 et 24 : l'ensemble du passage ll. 23-26 est une incantation magique reprenant des mots
sumériens entremêlés, sans véritable organisation grammaticale. Il s'agit du même procédé magique
que dans l'introduction de la prière de Hattussa (VAT 7445, l. 32-36)216. Nous reprenons ici la
restitution d'A. L. Oppenheim.

213
F. Geers, Heft J, p. 32
214
R. Labat, 1988, n° 355 ; R. Borger, 2003, n°570.
215
A. L. Oppenheim, 1959, p. 283, note 3.
216
N. Veldhuis, 1999, p. 47

50
Celle-ci se justifie par l'alternance des termes AN šamû, "le ciel" et KI erṣetu "la terre", faisant partie
d'une paire mérismatique217. Ici, les attributs du sujet "du ciel" et "de la terre" fonctionnent ensemble et
signifient "toutes les étoiles". Selon nous, il ne faut donc pas donner une traduction littérale de ce
passage ; L. Oppenheim traduit quant à lui "pure upper stars, pure lower stars"218, mais cette traduction
suppose une représentation cosmique plaçant les étoiles sur des degrés plus ou moins élevés, dont nous
n'avons aucune référence. Au contraire, la croyance des mésopotamiens repose sur la conception d'un
ciel inférieur sur lequel toutes les étoiles sont fixées, voire dessinées219.
Le verbe "invoquer" est ici rédigé dans une forme défective ; on le trouve traditionnellement associé à
l'objet šumam220. Cette forme est équivalente à l'expression que nous trouvons dans K. 3507, l. 23. A
la différence de cet extrait, le verbe est ici à l'accompli et non au parfait. Les louanges de la terre, du
ciel, des dieux et de l'ensemble des étoiles rappellent très exactement la prière VAT 7445 (ll. 35-36).

Ligne 25 : A. L. Oppenheim corrige le signe 'ra' par le signe 'an'. Nous avons choisi de conserver la
graphie originale car elle est représentative de l'état des connaissances du scribe en sumérien. Cette
écriture se justifie d'un point de vue phonétique. En revanche, le sumérien allie toujours de préférence
les signes idéogrammatiques en ajoutant si besoin les compléments phonétiques et grammaticaux.
Dieux du ciel se décompose de cette façon : /dingir (substantif 1) + an (substantif 2) + ak (génitif) / et
doit donc se rendre DINGIR.AN.NA
La restitution proposée repose sur une autre paire mérismatique, qui scinde cette fois-ci l'ensemble des
divinités en dieux et déesses221. Cette restitution ne nous apparaît pas aussi certaine que la précédente ;
il est également possible de rendre ce passage par l'opposition "dieux du ciel" et "dieux de la terre",
qui utiliserait la même figure que ligne 23, 24 et 26222

Ligne 26 : la lecture que nous proposons ne suit ni A. L. Oppenheim ni J.-M. Seux. Pour le premier
"by the pure heaven, by the pure nether word"223 pour le second "par les cieux soyez bienveillants, par
la terre soyez bienveillants". J.-M. Seux justifie son choix par analogie avec une formule conjuratoire
sumérienne ZI.AN.NA HE.PA ZI.KI.A HE.PA : "sois conjuré par la vie des cieux, sois conjuré par la
vie de la terre" ; J.-M. Seux ajoute "mais il n'y a pas de marque d'optatif ; faut-il le considérer comme
sous-entendu ?" 224

217
N. Wasserman, 2003, p. 73. Voir également la sous-partie 1.1.1 et le tableau général des figures de style en
annexe.
218
A. L. Oppenheim, 1959, p. 287
219
W. Horowitz, 1998, p. 13
220
CAD, Z, p. 18
221
N. Wasserman, 2003, p. 86
222
J.-M. Seux, 1976, p. 247, note 9
223
A. L. Oppenheim, 1959, p. 287
224
J.-M. Seux, 1976, p. 247 note 10

51
Notre traduction repose sur la lecture ziqpu de l'idéogramme ZI225. Ce terme signifie la hauteur,
l'altitude. Il est particulièrement usité dans le contexte stellaire, et signifie alors le zénith d'une étoile.
Cette traduction n'est étayée d'aucun exemple dans le CAD ; nous la proposons donc avec beaucoup de
prudence.

Ligne 27 : J.-M. Seux traduit : "nombreux sont les champs en friche"226. C'est selon nous un
contresens. En effet, la friche désigne un état d'abandon des terres et ne trouve pas de correspondance
avec la ligne suivante "croissantes (sont) les foules". Le terme sumérien KI.ŠUB.BA : kiššubbû227 peut
avoir deux sens : il s'agit soit d'une terre sauvage, non construite et dans ce cas, elle désigne par
métonymie l'extérieur de la ville déterminée dans les autres prières aux "dieux de la nuit" comme la
"steppe", la "montagne", le "pays" ; la traduction de R. Borger "Bauland" désigne les terrains à bâtir.
Ce terme peut également être traduit par "les champs en jachère". Dans ce cas, il n'y a pas opposition
mais liaison entre les deux phrases. En effet, la jachère est opposée à la friche dans le sens où il s'agit
d'une technique agricole active visant à fertiliser la terre en vue d'une récolte plus riche, améliorant les
rendements.

Ligne 28 : le signe 'un' est corrigé par A. L. Oppenheim. Nous pouvons lire sur la copie 'aš+za'. D'un
point de vue graphique, ce signe peut être décomposé pour la période récente 'is+za'. Nous avons
choisi de traduire l'expression nišû apâti "les hommes nombreux" par le terme "foule", mot féminin,
qui permet de conserver l'alternance des genres. Notons que l'adjectif épithète apâtu est ici mal décliné
; il devait suivre le cas-sujet et faire sa terminaison en [u]. Cette ligne et la suivante forment un
couplet, avec une répétition du verbe mâdu alterné en masculin [u] / féminin [a]. Enfin, la graphie de
ce verbe nous indique la conservation d'un aleph fort, propre à la grammaire du babylonien
standard228. Le signe lui-même translittéré 'aˀ' est propre à cette pratique et à cet état de la langue.

Ligne 29 : la vocalisation des terminaisons casuelles est anormale et permet de composer une figure
sonore en chiasme. On observe en effet une imbrication des termes finalisés par les voyelles [i(m)]-[u]
// [u]-[i], sans tenir compte de la désinence régulière du cas nominatif. En ce qui concerne la mimation
irrégulière, notons qu'elle n'est présente ici que dans un signe lourd 'lim'. Or, tous les signes lourds
comprenant le [m] de mimation ont également une lecture simple : 'lim' peut également se lire 'lì'. Il est
donc difficile de savoir dans quelle mesure la mimation est effectivement maintenue et dans quelle
mesure le choix de ce signe correspond à une préférence orthographique. Avec cette exemple, tout
porte à croire qu'ici, on ne doit conserver que le [i] final, afin de mieux rendre le chiasme.

225
R. Labat, 1988, n°84 ; R. Borger, 2003, n°140
226
J.-M. Seux, 1976, p. 247
227
R. Labat, 1988, n° 461 ; R. Borger, 2003, n°737
228
J. Huehnergard, 2011, p. 597

52
Ligne 30 : le scribe insiste sur l'aspect pluriel du verbe GINmeš ku. Etant donné l'adverbe ūmišam, le
verbe est très probablement conjugué à l'inaccompli du système I/1 ou I/3, soit respectivement illakū
ou ittanallakū. Littéralement, il faudrait traduire "qui marchent après vous jour après jour".

Ligne 31 : Nous ne sommes pas d'accord avec la traduction de J.-M. Seux : "parce que vous savez
faire ce geste de bonté"229. La "bonté" est gratuite et constitue une valeur morale ; ici, le terme gimil
dumqi traduit la récompense d'une bonne action230. Les dieux ne sont pas considérés comme des êtres
naturellement bienfaisants et miséricordieux, mais avant tout comme des juges, des souverains. De la
même manière, la crainte plutôt que l'amour définit le lien fondamental de l'homme aux dieux231.

Ligne 32 : on observe une résolution du contact [š]-[s] en [s]-[s]. Le babylonien standard choisit
normalement une résolution en [l]-[s]. Ici il s'agit d'une singularité connue propre au verbe šasû(m)
qu'on trouve sous ces deux formes232. Sa deuxième forme, alsi, est également présente dans notre
texte, ligne 43. Le verbe sahāru(m) ici à l'accompli I/1 exprime à la fois l'action de se tourner et le fait
de chercher233. Cette image est parfaitement rendue en français par l'expression "se tourner vers".

Ligne 33 : le verbe šeû(m) est doublement lacunaire ; ses racines sont Š ˀ ˀ. Nous avons eu l'occasion
de montrer que les "dieux de la nuit" sont invoqués avant tout pour leur justice, et non pour leur bonté
(l. 31). Nous avons donc essayé de rendre ce verbe, qui signifie "chercher" avec la nuance "pour
obtenir de l'aide, des bienfaits". Les astres n'ont pas ici le statut de juges suprêmes mais leur aide
semble pouvoir être sollicitée dans la difficulté ; ils agissent alors comme intermédiaires234.

Ligne 34 : à cause de la cassure il est difficile de déterminer si UKKIN et gimri sont les deux parties
d'un état construit puhur gimri ou deux substantifs apposés puhri gimri. En effet, puhrum peut
signifier à la fois "l'assemblée", une institution humaine ou divine, mais aussi "l'ensemble, la totalité",
un synonyme donc de gimru235. La restitution ina UKKIN gim-[ri ilānī] : "dans l'assemblée de tous les
dieux" nous semble possible, mais cette expression n'est pas attestée dans les dictionnaires.

Ligne 36 : cette ligne est comparable à VAT 7445, l. 39. Hormis quelques modifications graphiques,
la principale différence repose sur la fluctuation entre "le pays" KUR et "la montagne" HUR.SAG
dans le texte de Hattussa. Cette variation n'empêche pas l'existence d'une origine commune : le terme

229
J.-M. Seux, 1976, p. 247
230
CAD, G, p. 74 ; CDA, 2000, p. 62
231
J. Bottéro, 1998, p. 89
232
J. Huehnergard, 2011, p. 596
233
CAD, S, p. 41
234
Voir sous-partie 2.2.2.1
235
CAD, P, p. 485

53
KUR peut être traduit par chacun de ces deux termes. Le choix de "la montagne" pour la tablette
d'origine hittite a probablement été déterminé par le paysage vallonné de la capitale hittite.

Ligne 37 : le verbe nâlum est ici conjugué au système III, ce qui est surprenant. Littéralement on
devrait rendre par un factitif "rendre couché, faire coucher" ou "coucher quelqu'un". Ce terme peut
par ailleurs avoir le sens funèbre de "porter en terre"236. Nous pensons que cette construction a été
favorisée ici pour reprendre la structure du verbe rabāṣum également au système III. Nous avons tâché
de rendre le sens funèbre que l’expression porte malgré tout.

Ligne 38 : l'alternance des deux premiers verbes est remarquable d'un point de vue stylistique : le
verbe sanāqu remplace ici intentionnellement le verbe parāku privilégié dans les autres versions (K.
3507 l. 8). Dans cette ligne, deux verbes, sanāqu et târu sont synonymes et signifient "fermer"237.
Néanmoins, leur sens primaire est absolument opposé : "atteindre" et "revenir". Ce choix est maîtrisé
et constitue une figure de style d'une grande finesse qui n'apparaît pas dans les précédentes versions.

Lignes 38-39 : ce passage constitue reprise du thème de la fermeture des portes propre à l'ensemble
des prières aux "dieux de la nuit" de notre corpus238. La structure grammaticale de la dernière partie de
phrase est fautive. L'adjectif rabûtu est ici au nominatif et semble donc se référer au premier élément
du groupe nominal à savoir hargullu. Enfin que l'expression ilī est un archaïsme dans le contexte du
babylonien standard qu'on trouve normalement sous la forme ilānī.

Ligne 40 : la graphie des points cardinaux ici est irrégulière : le signe 'im' précédé du déterminatif
divin se lit normalement IŠKUR et désigne Adad, le dieu de l'orage. Quand il sert à déterminer les
points cardinaux comme c'est le cas ici ce signe est le déterminatif TU15 placé en exposant. L'erreur
du scribe a probablement été causée par automatisme. Ajoutons que les deux dernières directions sont
notées avec une écriture défective. La graphie correcte de ces signes est tu15KUR.RA et tu15MAR.TU.

Ligne 41 : on retrouve sous une nouvelle forme la formule MUL ahiāti repérée dans VAT 7445, l. 43
et K. 3507, l. 17239. Ici, l'adjectif est épithète du substantif kakkabū et signifie "supplémentaires"240 .
Nous l'avons traduit "les autres". Notons que cet adjectif peut également être compris comme "étrange,
étranger"241, ce qui pourrait être rendu par "les étoiles inconnues". Le sujet est ici factorisé, ses deux
adjectifs sont opposés par le sens et physiquement cas ils sont situés de part et d'autre du substantif.

236
CAD, N1, p. 206
237
CAD, S, p. 143 ; CAD, T, p. 273
238
Voir sous-partie 1.2.1
239
Voir sous-partie 1.2.3.1
240
CAD, A1, p. 211
241
CAD, A1, p. 210

54
C'est une figure assez inhabituelle de la poétique akkadienne qui favorise en règle générale les
répétitions comme à la ligne suivante.
Cette ligne contient par deux reprise le signe 'tum' ou 'tu4' plutôt que le signe 'tu' (l. 29) ; cette
remarque reprend la question de la persistance de la mimation déjà évoquée pour le signe 'lì' et 'lim' (l.
29). Remarquons enfin que le pronom enclitique accusatif troisième personne du pluriel masculin
šunūtu est la forme retenue dans la langue babylonienne standard préférée à la forme paléo-
babylonienne šunūti.

Ligne 42 : cette phrase peut aussi se comprendre "qu'aucun observateur, savant ou inexpérimenté, n'a
jamais aperçues". Nous suivons ici l'analyse d'A. L. Oppenheim242 qui a comparé cette expression
idiomatique à dibbu lā dibbu "indicible"243. Le substantif muppalsu est le participe du verbe palāsu(m)
"voir" au système IV/1. Sous cette forme, le verbe prend une nuance de "regarder avec attention,
examiner"244. Dans le contexte de l'astronomie, ce substantif fait certainement référence aux
observateurs savants, les ṭupšar Enūma Anu Enlil. Nous avons donc traduit l'inverse par
"inexpérimentés".
D'un point de vue stylistique, cette phrase est composée de trois formes dérivées de ce même verbe
constituant une figure rythmique riche composée d'allitérations.

Ligne 43 : A. L. Oppenheim souligne l'erreur de vocalisation du scribe. Il faudrait lire ici naširāni245.
Cette ligne est comparable à VAT 7445, l. 46-47 et évoque à l'aide d'une synecdoque les chemins
célestes empruntés par les étoiles. A la différence de cette dernière copie, l'ordre canonique de la triade
est respecté. Le dieu Anu est cité en premier, suivi d'Enlil qui est ici noté à l'aide de son nombre 50 et
enfin du dieu Ea. Le signe <ši> est ajouté par A. L. Oppenheim et se justifie dans la construction de
l'accusatif deuxième personne du masculin pluriel. Cette erreur peut être comprise de deux façons : il
peut s'agir d'un véritable oubli ou d'une licence littéraire visant à conserver la structure de la phrase
alternant verbe + [-kunu] / verbe + [-āni] que nous retrouvons ligne 44. Le verbe akkadien sahāru IV
a le sens de retourner à un endroit, et dans ce contexte d'"accorder ses faveurs"246.

Ligne 45 : nous reprenons ici la correction d'A. L. Oppenheim247. La mention de la divinité Ninsaba
déesse du grain et de l'orge est une synecdoque qui désigne le sacrifice végétal. En effet, l'adjectif qui
la qualifie ullulu est dérivé du verbe elēlu II/1 "purifier"248, une qualité de pureté rituelle qualifiant
souvent les offrandes comme pour akula ellu (l. 51). La suite de la phrase vient accréditer cette

242
A. L. Oppenheim, 1959, p. 283 note 5
243
CAD, D, p. 132
244
CAD, P, p. 54
245
A. L. Oppenheim, 1959, p. 284, note 1
246
CAD, S, p. 53
247
A. L. Oppenheim, 1959, p. 284
248
CAD, U, p. 84

55
interprétation : littéralement, "elle ouvre la bouche des grands dieux"249. Par analogie avec la formule
"faire monter l'eau à la bouche", nous avons choisi de traduire cette expression par le verbe "allécher".
Nous ne traduisons pourtant pas le nom de la déesse par "grain" comme J.-M. Seux250 par souci de
respect de l'imaginaire véhiculé.
L'ordre des mots de la phrase est atypique et propre à la langue poétique : l'adjectif épithète est séparé
de son nom par le verbe izzaz, noté ici GUB suivi du complément phonétique [az].

Ligne 46 : Le verbe naqû signifie normalement "verser", ou "faire une libation". Néanmoins, associé
à l'objet niqâ, il doit se traduire "sacrifier un animal"251, souvent un agneau ; cette lecture est
confirmée par la fin du rituel qui prescrit des offrandes animales (l. 97). Il nous semble que cette
mention ne suffit pas à considérer qu'il s'agit d'un rituel d'haruspicine, comme l'a déclaré E. Reiner 252.
Dans notre rituel aucune mention n'est faite à une consultation oraculaire ; nous n'excluons pas la
possibilité qu'elle ait lieu après le rituel pour vérifier son efficacité, mais rien ne nous permet
d'affirmer que les "dieux de la nuit" présideraient à cette pratique. On peut noter ici que l'adjectif ellu
ne respecte pas la règle de terminaison casuelle de l'accusatif [a] et dissone de son nom correctement
vocalisé. Cette remarque est valable à plusieurs reprises lignes 48, 50 et 51. Il s'agit d'une déformation
morphologique répandue dans la langue babylonienne standard253.

Ligne 47 : le verbe sarāqu est synonyme du verbe naqû dans son sens premier. Ce choix permet de
lier les deux phrases. ŠIM.HÁ en akkadien ṭurrû correspond à un mélange d'aromates, peut-être de
l'Opopanax254.

dug
Ligne 48 : le terme A.DA.GUR5 : adagurru255 désigne un contenant dont le fond est pointu qui
renferme le vin, la bière ou le lait versé en libation256. Dans ce rituel, il s'agit d'une bière d'un type
particulier, qualifiée par l'adjectif našpu257 dont la terminaison casuelle reprend à tort celle du cas-sujet
[u] (voir ligne 47). Le nom "bière" en lui-même est sous-entendu. Cette ligne doit être comprise en
relation avec la suivante où est indiquée par l'idéogramme KAŠ "la bière", en akkadien šikaru.
Ligne 49 : le verbe naqû rappelle la ligne 46, sans pour autant avoir une signification équivalente. Ici,
il s'agit de l'action de "verser", "effectuer une libation", sens premier de ce mot258. La "bière" est ici au
centre d'une ellipse étendue sur les trois lignes. Elle est anticipée ligne 48 et est éludée ligne 50.

249
CAD, P, 346
250
J.-M. Seux, 1974, p. 248
251
CAD, N1, p. 338
252
E. Reiner, 1995, p. 67
253
J. Huehnergard, 2011, p. 597
254
R. Labat, 1988, p. 123 n° 215, R. Borger, 2003, n°755 ( simhab : ṭurû)
255
R. Labat, 1988, p. 237, n°579, R. Borger, 2003, n°839
256
CAD, A1, p. 93
257
CAD, N2, p. 78
258
CAD, N1,p. 337

56
Ligne 50 : kurrunu est un qualificatif du vin et de la bière d'une qualité supérieure, notamment offerts
aux dieux ou lors des banquets259. La désinence finale en [i] est difficile à expliquer. Cette vocalisation
évoque le génitif. Il s'agit probablement d'une simple irrégularité, très courante dans les inscriptions
depuis la période médio-babylonienne. La vocalisation de l'adjectif est ici fautive (voir ligne 46). Le
fait que ces deux phrases soient liées par le terme "bière", sous-entendu ici, ne signifie pas
nécessairement qu'elles forment une seule proposition. Généralement, la règle de la poétique
akkadienne veut que chaque ligne constitue une phrase cohérente260. La relation entre les deux lignes
doit donc selon nous être marquée par une conjonction de coordination, mais la traduction
d'Oppenheim qui lie ces deux termes ne peut pas être écartée.

Ligne 51 : on assiste dans cette phrase à l'ellipse des deux objets des verbes impératifs. Seul leur
épithète est conservé : ellu renvoie à niqâ ellu (l. 46) ; dašpu à dašpu kurunni (l. 50). Cette figure,
somme toute assez rare doit être comparée aux lignes 48-50. Son but est d'alléger la composition tout
en marquant l'intrication des vers et la structure cohérente de l'ensemble de ces prescriptions
versifiées. Notons par ailleurs que les épithètes sont vocalisées à tors avec la terminaison casuelle du
cas-sujet (voir ligne 46).

Ligne 52 : le déterminatif distributif TA.ÀM qui doit être traduit par "chacun"261 indique qu'il y a deux
anneaux. La fin du rituel constituant les prescriptions d'offrandes l'atteste (l. 95). Le terme
kamkammatu a également un sens secondaire désignant la lune pleine262. Dès lors, il est probable que
cette offrande soit choisie pour sa symbolique astrale.

Ligne 53 : le terme ina est restitué par A. L. Oppenheim afin de justifier l'usage du génitif. Dans cette
ligne, la mimation est rendue par deux fois. On peut observer qu'il s'agit à chaque occurrence d'un
signe lourd, si bien qu'un doute demeure sur la persistance réelle du [m] final (voir remarque ligne 29).

Ligne 54 : cette ligne fait écho à la ligne 33 en répétant le verbe kabātu au système II/1.

Ligne 55 : le complément phonétique [sa] au sumérogramme KUD ou parāsum indique un impératif


pluriel pursā.

259
CAD K p. 579
260
J. Huehnergard, 2011, p. 397
261
R. Labat, 1988, p. 99, n°139, R. Borger, 2003, n°248
262
CDA, 2000, p. 144

57
Lignes 56 à 90 : cette partie décrit le but du rituel, en d'autres termes le mal dont on cherche à se
prémunir et est introduite par la formule ina HUL "contre le mal" suivit d'un signe de mauvais augure.
Le "mal" dont il est question n'est pas le signe en soi, mais le présage qu'il annonce. Ces signes sont
inscrits sous la forme d'une liste en colonne. L'ensemble des signes semble issu de divers traités de
divinations tels que šumma izbu, relatif aux naissances monstrueuses et šumma ālu, aux observations
quotidiennes dans le cadre urbain et domestique ; certains signes sont relèvent de l'oniromancie.
Beaucoup de présages sont en lien avec le monde nocturne ou infernal, ce qui justifie probablement
une cérémonie d'exorcisme dirigée par les "dieux de la nuit". Cette partie est conclue par l'injonction
de l'exorciste, reprise par le patient, de supprimer ces maux.

Lignes 91 à 107 : cette partie est introduite par la formule KÌD.KÌD.BI : "rituel". Elle prescrit les rites
manuels à accomplir : préparation des offrandes, récitations, libations, indication des jours propices à
la réalisation du rituel, localisation, interdictions et règles d'hygiène. L'ensemble du rituel et les
offrandes doivent être effectués devant une seule divinité qui partagera ensuite avec les autres "dieux
de la nuit". Il pourrait s'agir comme dans le rituel KAR 38 3-4 de la planète Vénus pour qui un autel en
roseau a été dressé263.

Lignes 108-109 : il s'agit du titre :


AL.[TIL]
mimma Á.MEŠ GISKIM.MEŠ [HUL.MEŠ ana amēli lā ṭehê]
Afin d'empêcher que le mal de tous ces signes approche un homme.

263
R. Caplice, 1970, p. 128

58
Conclusion :

Ce texte est en babylonien standard, inscrit avec des signes néo-assyriens et néo-babyloniens
(voir le signe 'ka5'). Nous nous sommes beaucoup attardés à décrire les variations particulières dues en
partie à l'état de la langue et à la forme lyrique de la prière. En conclusion de notre analyse, nous
devons affirmer que ce texte est extrêmement soigné tant dans sa forme que dans son fond ; il s'agit
d'une composition supérieure qui trouve parfaitement sa place dans la bibliothèque de Ninive et qui n'a
rien à envier aux textes paléo-babyloniens : "Comparison of the earlier and the later prayer shows that
later poets has predilection for greater elaboration and repetitions, while the Old Babylonian version
show greater restraint"264. Nous reviendrons abondamment sur la structure générale du texte265 et son
interprétation dans l'optique de l'analyse religieuse266. Nous voudrions ici aborder la construction
textuelle du rituel.
Il s'agit d'un texte hybride composé sous la forme de listes savantes, d'incantations poétiques et
de prescriptions rituelles pratiques rédigées par la voix effective. La liste des étoiles, la prière et
l'ensemble des signes omineux appartiennent à trois sources différentes qui semblent être combinées
les unes aux autres afin de créer un rituel complet selon la caractéristique des rituels néo-assyriens
reposant sur "a scrupulous and detailed prescription of the happenings"267. Ce texte nous permet donc
d'appréhender le travail de composition des rituels. Théoriquement, ces derniers ont été révélés par les
dieux afin de donner aux hommes un moyen de se défendre contre le mal annoncé ou subi. Dans la
pratique, nous voyons comment chaque partie du rituel est originaire de sources variées, séparées en
sections distinctes. Le choix de la source des prières aux "dieux de la nuit" peut certainement se
comprendre dans un but pratique, en lien avec le caractère nocturne des signes omineux réunis ici.
Il est dommage que nous ne disposions pas de colophon pour ce texte et pour K. 10659. Nous
aurions pu ainsi savoir s'ils sont issus d'une source commune, ou si au contraire ils ont été composés
par trois rédacteurs différents. Etant données les variations sémantiques entre ces trois prières, et ce à
l'intérieur même de la partie commune héritée des prières paléo-babyloniennes, nous penchons pour
cette seconde solution268 ce qui ne fait qu'attester l'incroyable succès des prières aux "dieux de la nuit".

264
E. Reiner, 1991, p. 310
265
Voir sous-partie 1.2.1.3
266
Voir sous-partie 2.2.1.1
267
E. Reiner, 1991, p. 313
268
Voir sous-partie 1.2.1

59
Analyse littéraire et religieuse du corpus
Comment expliquer l'existence de ce corpus ? Quels sont les aspects de la prière aux "dieux de la nuit"
paléo-babyloniennes qui justifient une telle pérennité ? Par quel moyen et sous quelle forme ont-ils été
conservés ? C'est à l'ensemble de ces questions que nous allons chercher à répondre, par l'analyse
littéraire et religieuse de ces documents.

I. Particularismes et persistance des prières aux "dieux de la


nuit" : aspects littéraires du corpus.

Est-il légitime d'étudier et d'analyser dans la lignée de A. Oppenheim269, E. Reiner270 ou


encore J. Cooper271 le caractère littéraire et lyrique d'une incantation ? Comme le soulève à juste titre
N. Veldhuis cette question mérite réflexion dans la mesure où le but premier des prières que nous
étudions est de délivrer un discours magique efficace – en un mot il s'agit d'un usage de la parole
pratique et pratique : "incantations are not meant to entertain, to display verbal virtuosity, or to
construct imagined worlds. They are meant to be used in magic rituals, in order to influence the course
of the events"272. Néanmoins comme l'ont montré les études sur le langage héritées de R. Jakobson,
tout discours relève de plusieurs fonctions : "referencial, conative, poetic and other functions are
always present, in any verbal communication, but their relative importance varies"273. Un texte peut
donc être à la fois pratique et utiliser la voix poétique ; les rituels magiques sont d'ailleurs
particulièrement portés à celle-ci dans la mesure où de la même façon que la main transforme un objet
en une essence symbolique, le langage contourne le sens brut des mots pour leur donner une valeur
transcendée. "The transfer of attributes from the materia magica is based on similarity and contrast
[which] are the two basic mechanisms for the transfer of meaning in poetic language"274.
L'analyse littéraire a pour but de comprendre à la fois les raisons et les moyens de persistance
des prières originales dans notre corpus.
"If one is to show why and how a poetic text achieved the status it had among the
Babylonians – a status that is evident by its inclusion in a royal or temple library or in the
collection of a scholar, by references to it in catalogues or instructions for oral performance,
and not least by direct quotes from it in other literary works – the text needs a detailed
analysis and commentary, an approach nowadays often called close reading but which used
to be termed, more poetically, a loving immersion. This approach pays attention not only to

269
A. Oppenheim, 1959, pp. 282-301
270
E. Reiner, 1985b
271
J. Cooper, 1996, pp. 47-57
272
N. Veldhuis, 1999, p. 36
273
N. Veldhuis, 1999, p. 39
274
N. Veldhuis, 1999, p. 41

60
the structure of the whole and its intertextual relationships but also to the formal – linguistic
of metric- devices that distinguish poetry from ordinary prose"275
Nous chercherons donc dans un premier temps à apprécier la qualité littéraire des prières
anciennes, et tout particulièrement ERM 15642 par le biais de son étude stylistique. Dans un second
temps, nous appréhenderons le processus de réécriture et de composition des prières plus récentes,
VAT 7445, K. 3507 et K. 2315+. Les prières CBS 574 et K. 10659 ne feront pas l'objet d'une étude
systématique en raison de leur état de conservation. Pour mieux guider la lecture de l'analyse
stylistique proposée et ce faisant ne pas la gêner, nous avons constitué en annexe un tableau général
des figures de style des différentes prières.

1.1. Les ikribū paléo-babyloniens : aspects littéraires exceptionnels du


poème nocturne.

Les invocations aux dieux de la nuit sont assez nombreuses dans les textes religieux et
incantatoires mésopotamiens. Néanmoins, nous avons sélectionné parmi l'ensemble des références un
corpus à cause de l'originalité toute particulière des accents lyriques introduits dans les prières. La
prière ERM 15642 se distingue par sa forme, divisée en deux unités. La description du paysage
nocturne de la prière (ll. 1-13) est suivie de la partie "efficace" du rituel (ll. 1-13). Cette seconde
partie, comprenant l'invocation – la liste des dieux nocturnes, et la sollicitation – la demande
d'obtention d'un oracle, est ordinaire et fera l'objet d'une interprétation dans le cadre religieux dans la
suite de notre étude276. Ce qui nous intéresse à présent, c'est l'aspect résolument original de la première
partie : nous étudierons tout d'abord l'ensemble des procédés littéraires qui la composent propres à la
voix lyrique ; nous étudierons ensuite le thème de la nuit et sa description au regard d'autres exemples
de la littérature.

1.1.1. Originalité du poème nocturne dans le cadre des prières.

1.1.1.1. Analyse littéraire du poème.

L'analyse que nous proposons ici s'intéresse à l'ensemble des aspects littéraires et poétiques du
texte, et nous a été inspirée par le travail réalisé par P. Michalowski dans son article sur la poésie
sumérienne, fondé sur l'étude d'une seule source, une incantation rituelle, en privilégiant l'approche
littéraire : "In this study I should like to inverstigate a somewhat different approach. Eschewing
specific methodologies, I shall attempt to interpret a variety of signifying modes encountered in a
short, seemingly quite trivial, Sumerian poetic text. Although the poetic system of the text may be
characterised as dominated by syntactic parallelism, as in any system there are numerous structural

275
E. Reiner, 1985b, p. XI
276
Voir partie 2.1

61
principles which, when brought together, provide the composition with its poetic quality." 277. Inspirés
par cet exemple ainsi que par l'analyse proposée par A. L. Oppenheim278 nous proposons ici une étude
des procédés littéraires de la prière afin d'en dégager la structure générale et d'en souligner la qualité
de composition "based upon an interconnected web of crossreferring verses that link the individual
parts of the poem to its main section"279.

La première partie de la prière est un poème de treize vers, divisé en trois ensembles
hétérogènes : un huitain, suivi d'un vers esseulé, puis d'un quatrain. Le premier quatrain forme un
ensemble cohérent évoquant le monde terrestre nocturne ; à l'intérieur de celui-ci, les vers sont
composés en alternance. Ainsi, le premier vers, "les princes" renvoie au troisième, "les gens", formant
une paire mérismatique évoquant l'ensemble des hommes, absolument comparable à ṣehrum – rabûm
"petits et grands", une formule classique de la littérature paléo-babylonienne280. Le principe de cette
figure est de scinder un ensemble universel en deux principes qui le résument. Dans une alternance
similaire, les serrures et autres systèmes de fermeture du deuxième vers sont rappelés au quatrième par
les portes closes. Le lien, l'argument de cette composition repose sur le statut des premiers vers par
rapport aux seconds dans chacun des distiques : dans un effet d'agrandissement du particulier au
général, les "princes" tout comme les "verrous" constituent le centre et l'élément capital des "gens" et
des "portes". Au sein même de cette alternance, les vers sont composés avec force jeux rhétoriques,
chiasmes et entremêlements qui transmettent la vision d'une humanité faisant corps, composée de
membres enchevêtrés mais pourtant unis dans le cadre urbain.
Le quatrain suivant (vers 5 à 8) fait coïncider l'activité terrestre et céleste et permet de dégager
une seconde paire mérismatique moins répandue, l'homme et les dieux formant l'univers. Présentés
sous des traits anthropomorphiques très poussés, les dieux à la manière des hommes couchés entrent
dans "le giron des cieux" (l. 7), l'étage supérieur du ciel le plus privé, et cessent toute activité. En
conclusion de ce premier huitain, le jugement divin qui est le but de la prière est évoqué. Selon le
poème, c'est pour palier à l'inactivité des grands dieux que les étoiles – dont nous aurons l'occasion de
remettre en question le principe divin281 - sont invoquées.

Le neuvième vers, "la nuit est voilée" est esseulé mais relié au précédent par une rime en [-
im]. Il constitue à la fois le cœur, la raison d'être et l'explication du poème. Clef de voûte de l'édifice, il
fait la liaison entre le premier huitain et le dernier quatrain. Il est remarquable que ce vers soit exclu
des prières plus récentes, dans lesquelles les portes closes et le silence suffisent à suggérer le décor
nocturne.

277
P. Michalowski, 1981, p. 3
278
A. Oppenheim, 1959, pp. 296-301
279
A. L. Oppenheim, 1959, p. 297
280
N. Wasserman, 2003, p. 89
281
Voir sous-partie 2.1.2.2

62
Le dernier quatrain est divisé en deux distiques ; le premier évoque à nouveau l'humanité (vers
10-11), le second les dieux (vers 13-14). Les hommes sont divisés selon deux types d'environnements
et type de vie : urbains par le "palais" – qui rappelle de façon extrêmement habile les "princes" du
premier vers ; nomades par la "steppe". L'humanité est évoquée dans son principe fondamental au
onzième vers par métonymie. Deux personnages miment le rapport essentiel de l'homme aux dieux.
Le "voyageur" esseulé traduit l'aide et la protection divine accordée aux hommes pieux. "(Celui qui
attend) un jugement" évoque la posture de soumission que les hommes doivent adopter face aux dieux,
juges et maîtres des destins. L'origine et la fin de l'humanité reposent selon cette métaphore sur la
nature royale du pouvoir divin, aspect le plus fondamental de la religion mésopotamienne qui explique
aussi bien l'origine des hommes que leur raison d'être282. Notre interprétation diffère donc de la lecture
littérake d'A. L. Oppenheim, qui s'étonne de la présence de ces deux figures :
"It is difficult to explain why the lonely wanderer is mentioned if one does not assume that
the priest happened to see him from his vantage point on the roof of the temple. In other
words, another accidental feature of the background has been incorporated into the text of
the prayer. (…) While the latter stands [the barû] on the roof of the sanctuary secure in his
role as spokesman for his sleeping fellows citizens, facing and addressing the gods of the
night, his eyes fall upon the poor traveler who hurries through the dark night and, in his
terror, prays some god whom the text does not even care to mention by name"283.
Notre interprétation diffère d'abord en raison de l'analyse que nous avons proposée plus haut. Ensuite
pour une raison pratique. Nous n'imaginons pas comment le prêtre peut voir le voyageur, en dehors
des murs de la ville et de toute lumière, quand bien même le toit d'où il observe serait très élevé,
d'autant plus que, si l'on suit cette lecture littérale du texte, la nuit est noire, sans lune (l. 6).
Les dieux sont à leur tour rappelés au treizième et quatorzième vers. Ici aussi, l'écho
fonctionne par métonymie : l'ensemble des dieux deviennent Šamaš, le "giron du ciel" sa cella.

Cette description nocturne repose donc sur un agencement, un ordre et une rigueur de
composition si poussés que nous n'hésitons pas ici à qualifier cette partie de poème. Or, ce type de
composition alliant comme par bouture poème et prière est rare, s'il ne s'agit pas ici d'un hapax. D'un
point de vue littéraire tout d'abord, cette structure diffère des autres prières paléo-babyloniennes. A
titre de comparaison, nous disposons d'un ikribu dédié à Šamaš et Adad ; dans une langue lyrique, le
poème décrit les dieux assis et mangeant ; l'expression "toi (vous) qui es assis sur une (des) chaise(s)
(d'or) / qui manges(z) dans des plats de Lapis" est répétée par trois fois (l. 28-29, 37-38, 45-46)284. La
prière reprend systématiquement les mêmes images, comme si cette répétition permettait de renforcer
son efficacité. A côté de ce modèle, la prière aux "dieux de la nuit" est beaucoup plus variée et imagée

282
J. Bottéro, 1998, p. 185
283
A. L. Oppenheim, 1959, p. 299
284
J.-M. Seux, 1976, p. 470

63
; comme le relève A. L. Oppenheim : "verse follows verse with remarkable consistency; no repetitions
or empty parallels flaw the onward push of the poem"285.

1.1.1.2. Le poème et la prière : deux sources d'origines distinctes ?

Au-delà de la composition, le thème même du poème est étonnant dans ce contexte : "it need
hardly to be stressed that we are here confronted with an astonishing deviation from the well-
established pattesn of an Akkadian prayer. This deviation is in both the content and the style of the
verse. When one reads through the text of our prayer, on is jarred by the sudden shift from an intense,
direct and purposeful address to the gods of the night to an elaborate description that focuses on an
unessential feature of a situation that must have feel quite usual. The text turns without apparent
reason from the monotonously rigid and narrow phraseology that is characteristic for prayers to what
can only be called a subjective lyricism. […] Such an intrusion of the background of the realities of
the setting, into the text of a prayer is unparalleled"286.
Certes, les prières utilisent régulièrement la voix lyrique, en partie héritée de la tradition
hymnique. Certaines compositions peuvent d'ailleurs louer les dieux de manière très originale, comme
par exemple la prière d'exorcisme à Šamaš peignant le dieu anthropomorphisé, reposant sous un
cèdre ; la description du dieu reprend un ton plus conventionnel alors que Šamaš identifié au soleil est
loué comme le grand juge du pays, le maître de la divination, des présages et de l'exorcisme287.
D'autres fois, ce sont les caractéristiques spécifiques des offrandes qui sont vantées avec emphase. Un
exemple frappant est celui de la prière ikribu à Šamaš et Adad auxquels on dédie le petit d'une
gazelle. Comme dans les prières aux "dieux de la nuit", un paysage est donné à voir, mais dans le but
pratique de tracer la généalogie mythique de la gazelle, née de la Steppe et de la Campagne fertilisées
par le dieu Adad288.
Cet hommage lyrique aux dieux ou aux sacrifices a un but bien défini. Dans le premier cas, il
s'agit de flatter la divinité afin d'en obtenir les bienfaits. Dans le second, de montrer que les offrandes
disposent de la dignité et de la pureté nécessaires au traitement des dieux. Il s'agit enfin de paroles
efficaces : déclarer que Šamaš dénoue le mal et punit les ensorceleurs, c'est réunir par la parole les
conditions nécessaires au succès de l'exorcisme. Dans nos incantations la description nocturne n'a pas
de but apologétique ; elle semble à vrai dire dénuée d'objectif efficace pour le rituel, comme issue
d'une source distincte.

285
A. L. Oppenheim, 1959, p. 297
286
Ibid, p. 290
287
J.-M. Seux, 1976, p. 392-394
288
Ibid, p. 473-474

64
1.1.2. Aspects atypiques de la description nocturne.

Le poème a pour but de décrire l'atmosphère nocturne qui entoure le récitant. Pour mieux
comprendre les caractéristiques particulières de cette évocation, nous nous intéresserons d'abord au
thème de la nuit, puis à la voix descriptive en elle-même, comparés à des exemples choisis dans la
littérature akkadienne.

1.1.2.1. Détournement du thème littéraire de la nuit.

Il est très rare dans la littérature que l'action se déroule la nuit, si bien que ce thème est
rarement évoqué dans les pièces narratives. Dans la version standard de l'Epopée de Gilgameš,
Ninsun, la mère du héros éponyme, implore Šamaš de lui accorder lors de son voyage des journées
longues et des nuits courtes, lui permettant de la sorte d'éviter les danger du chemin (3 : 82), ce qui
véhicule une image de la nuit terrifiante, pleine de danger. Généralement, la nuit est le moment du
rêve, des visions et de la surveillance, le jour étant celui de l'action par excellence289. Le principal texte
qui donne à voir la représentation de la nuit est le rituel d'exorcisme Utukkū Lemnūtu (version finale
du Ier millénaire). Ce corpus rassemble seize tablettes d'exorcisme contre les démons. Régulièrement,
comme c'est le cas dans nombres d'incantations, l'origine mythologique du mal est décrite, nous
permettant de reconstituer ici une véritable démonologie.
Nous n'insisterons pas sur la typologie des êtres démoniques. Ils sont nombreux et
généralement assimilés aux fléaux qu'ils contrôlent (2 : 66-71). Ils relèvent du monde des morts et des
enfers où ils demeurent ; ils entrent dans celui des vivants par la porte cosmique située à l'Ouest du
monde, cachée dans une montagne. Il s'agit de la porte empruntée par Šamaš lorsqu'il quitte le ciel au
soir (4 : 7)290. Dans la tradition archaïque, les démons sont des êtres maléfiques doués de leur volonté
propre. A partir du IIIe millénaire, on voit s'établir un virement religieux des croyances, si bien que
dans la série Utukkū Lemnūtu, ils ne sont plus que les exécuteurs des grands dieux qui les
contrôlent291. Leur action maléfique est dirigée aussi bien contre les hommes que leurs bêtes et autres
biens (4 : 35, 70-71).
Les maux qu'ils apportent sont destructeurs et volontiers comparés à la violence de l'orage (4 : 10), à la
mer déchaînée (4 : 20-24) ou au déluge (16 : 18-20). En revanche, eux-mêmes agissent dans un
silence de mort et une obscurité complète qu'ils créent de manière artificielle (6 : 19). L'obscurité
d'abord, car contrairement aux dieux, ils ne disposent pas de la radiance appelée melammu (12 : 16).
Ils craignent la lumière et agissent furtivement dans la ville rendue silencieuse (13 : 20). Le terme
utilisé comme dans nos prières, est le verbe šuqammumu qui véhicule ici la terreur et l'anxiété.

289
B. Foster, 2005, p. 27
290
W. Heimpel, 1986 pp. 127-151; voir notre sous-partie 1.2.2.2.
291
J. Bottéro, 1998, p. 357

65
Ils rôdent dans les espaces ouverts et vides : la steppe d'abord – qui entre régulièrement dans la
composition de leur épiclèse (3 : 31), et les rues quand ils franchissent les murs de la ville (4 : 25), si
bien qu'un dieu, Išum est dévolu à la garde des "rues silencieuses" (5 : 163). Les murs sont les seuls
obstacles réellement opposables aux démons ; pour les contourner, ils s'infiltrent à la manière des
serpents, du vent (5 : 13-15) et des voleurs (1:40) par les interstices mal protégés. La référence aux
vantaux, portes, fenêtres et verrous clos est dès lors éminemment reliée à la protection prophylactique
qu'on oppose aux démons. Les rituels d'exorcisme traitent particulièrement ces lieux de passage
sensibles, avant d'exhorter le démon à retourner dans la steppe (6 : 136') ou dans les enfers (4 : 177').

Dans cette série, la nuit est donc définie par une obscurité et un silence terrifiant, ainsi que par
la fermeture des portes visant à la protection des hommes. Ce courant de tradition est également inscrit
dans nos prières, mais dans une atmosphère résolument différente. Tout d'abord, l'obscurité nocturne
n'est pas traitée ici comme un élément de crainte. Au contraire, elle est évoquée par la figure de la
"nuit […] voilée" (ERM 15642 l. 9). Ce voile nocturne est en conséquence associé à une des qualités
de la nuit personnifiée. L'obscurcissement permet par ailleurs de mieux "scrute[r] les grands dieux de
la nuit" (K. 3507, l. 11).
Le silence nocturne est un des éléments constitutifs de la prière le plus représenté292. Il est évoqué à
l'aide de deux verbes, l'un évoquant le silence šuqammumu, l'autre l'absence de mouvement šuharruru
; ces deux termes se rejoignent, de la même façon que l'adjectif "bruyant" habrum signifie également
"occupé". En d'autres termes, le silence est ici avant tout l'expression du repos des hommes, évoquant
davantage la quiétude que la terreur. Il permet enfin de réunir les conditions de pureté et de solennité
du rituel293.
Enfin, les portes closes et autres systèmes de fermeture ne sont jamais ici clairement mis en lien avec
la protection contre les rôdeurs, humains ou démoniaques294. Ces portes permettent davantage de créer
un espace urbain unifié opposé au pays ouvert, la "steppe", le "pays", la "montagne", définissant le
cadre d'une conscience avant tout centrée sur la ville. Par ailleurs, les portes closes sont un thème très
connu de la littérature akkadienne, qui devient une véritable métaphore du coucher de soleil et de la
nuit, de la même façon que l'ouverture des portes symbolise le lever de soleil : quand Šamaš
déverrouille les portes du ciel, il provoque l'ouverture "large des vantaux des dieux habités / […]
poignée, cheville, loquet, coin" (hymne à Šamaš l. 182-183295). Cette description est fondée sur
l'adéquation supposée entre les actions célestes et terrestres296, organisées et dictées par un ordre
commun.

292
ERM 15642, l. 10 ; VAT 7445, l. 39, K. 10659, l. 5 ; K. 3507, l. 8 ; K. 2315+ l. 36
293
E. Reiner, 1965, pp. 247-251 ; voir partie 2.2
294
ERM 15642, l. 2, 4 ; VAT 7445, ll. 39-40 ; K. 3507, l. 8 ; K. 2315+, l. 38
295
J.-M. Seux, 1976, p. 62
296
J. Bottéro, 1998, p. 102

66
La description des hommes couchés pourrait potentiellement évoquer une figure macabre (K. 2315+,
l.37). En effet, le verbe nâlum au système III évoque le fait d'étendre un cadavre lors de l'enterrement.
Ici cependant, c'est dans une atmosphère apaisée que les hommes se couchent, une fois les bêtes en
sécurité dans les enclos. Le souci de l'auteur est principalement de donner une description pour le
moins poétique et imagée du paysage nocturne, trait rare de la littérature akkadienne.

1.1.2.2. La voix descriptive : conformisme et originalités.

En tant que prière, notre document relève du ton effectif, selon la définition de B. Foster297. En
tant que poème, il relève davantage de l'expressivité. La voie descriptive utilisée ici ne relève par
ailleurs ni de la narration d'évènements ni du dialogue, les deux modes littéraires les plus répandus
dans les textes akkadiens. Au contraire, les poèmes s'organisent autour du duo verbal "silencieux" et
"dans la torpeur". La description n'est pas une voix privilégiée, peut-être parce que "la littérature
akkadienne représente mieux le passé que le présent"298. Pour mieux comprendre en quoi cette
expression passive d'un paysage est exceptionnelle, il faut la comparer avec d'autres exemples
correspondants ; nous avons choisi trois types de paysages présents dans la littérature : ceux qui
apparaissent dans des visions oniriques, les paysages orageux et le monde diurne inscrit dans une
conception mythologique.
La description des paysages rêvés sort du cadre traditionnel de la narration ; l'origine des rêves
repose sur la procuration d'une image omineuse par les dieux au dormeur. L'ensemble de l'expérience
du sujet repose en conséquence principalement sur la vue. Il est extérieur à sa vision et ne peut y agir.
Un des exemples le plus marquant et le mieux connu de la littérature est sans doute la série de cinq
rêves de Gilgameš précédant son combat avec le gardien de la forêt des cèdres. Un seul a été
parfaitement conservé299. Dans la description du narrateur, impuissant face au spectacle, les verbes
d'action demeurent au cœur du discours. Il s'agit d'un paysage cataclysmique, dévoré par les flammes :
išātu(m) "le feu", nablu(m) "jet de flamme", birqu(m) "l'éclair". Les verbes associés à cette description
sont ceux de l'orage : šasû(m) "rugir", ramāmu(m) "gronder", zanānu(m) "pleuvoir". Cette description
est très éloignée du paysage nocturne des prières aux "dieux de la nuit".
L'orage, arme divine par excellence du dieu Adad est un thème de prédilection, choisi pour
son aspect spectaculaire et surhumain. En tant que tel, il constitue une métaphore stéréotypée de
colère et de force royale ou divine. D'un autre côté, les passages littéraires traitant de l'orage le
décrivent généralement sous une forme personnifiée ou divinisée. Dans l'hymne à Šulgi (A : 62-66), la
description de l'orage fait intervenir les sept vents personnifiés dans une bataille cosmique, en proie

297
B. Foster, 2005, pp. 37-44
298
Ibid, p. 27
299
Voir notre traduction en annexe.

67
aux éclairs. Les tremblements de terre autant que les grondements de la tempête sont eux-mêmes les
hurlements du dieu Iškur – dieu sumérien de l'orage équivalent à Adad300.
Rédigé dans la seconde moitié du IIe millénaire, l'Hymne à Šamaš est un poème de "louange
et glorification de la divinité"301 du dieu du soleil. Šamaš est ici absolument identifié à son astre, si
bien que l'hymne vante à la fois les qualités divines du premier – sa justice, son philanthropisme – et
les caractéristiques physiques du second – sa brillance, sa hauteur. Ces deux aspects du personnage
divin sont parfaitement confondus si bien que le monde diurne, baigné de lumière, est assimilé à un
effet de la divinité et devient dans ce contexte un motif mythique, sujet approprié à la langue lyrique.
L'hymne nous donne à voir les "champs de grains, […], les montagnes massives" (l. 19) ou encore "la
vaste mer" (l. 35). Cette description ne sort pas en général des images usuelles reposant sur des
croyances cosmologiques intégrées au système religieux. Aussi la montagne est-elle la porte des cieux,
la mer l'antre des monstres et la réplique terrestre de l'Apsû, demeure souterraine du dieu Ea. Parmi ces
conceptions, beaucoup dérivent d'ailleurs d'observations naturalistes : "Šamaš, tu lies comme un
cordon, tu couvres comme un nuage d'orage / ta large protection s'étend sur tous les pays" (l. 39-40).
Le "lien" correspond à l'écliptique, en d'autres termes la trajectoire visible du soleil dans le ciel. Plus
haut, le soleil "réchauffe la bise de l'aube" (l. 17).

Dans le poème de notre prière, le paysage est composé de manière très classique et reprend ces
conceptions stéréotypées. La répétition de ces images relève d'une esthétique globale, caractéristique
des canons artistiques mésopotamiens. Les différentes versions de la prière aux "dieux de la nuit" nous
donnent à voir la montagne, la steppe, le pays, les champs, les bêtes et les foules, de façon très
comparable à la description de la terre de l'hymne à Šamaš, dans une description inversée. D'ailleurs,
nous remarquons que l'ensemble des activités nocturnes est désigné par opposition à l'existence diurne
: les "princes" ne gardent plus la ville, ils sont eux-mêmes "sous bonne garde" (ERM 15642, l. 1) ; les
"gens" ne sont plus "bruyants" – synonyme du terme "actifs" mais "silencieux" (idem, l. 2) ; les portes,
moyens de passage, ne sont plus "ouvertes", mais "closes" (idem l. 3). Enfin, les grands dieux qui sont
par nature les juges de l'univers "ne rendent plus de jugement" (l. 8).
Cependant, la description est absolument originale par son ton : contrairement aux paysages
précédemment décrits, pleins de fureur et inscrits dans une conception mythologique, le poème de
notre prière donne à voir un monde figé et muet. Nous avons dit plus haut que traditionnellement la
nuit est consacrée dans les récits narratifs à la réflexion et la passivité du héros : tenir la garde,
observer et dormir sont des activités typiquement nocturnes, au contraire du jour, moment de l'action
par excellence. Dès lors, on comprend mieux pourquoi et comment l'évocation d'un paysage est bien
plus descriptif – au sens passif du terme, de nuit que de jour.

300
J. Westenholz, 1996, p. 194
301
J.-M. Seux, 1976, p. 15

68
Le thème de la nuit dans les prières que nous étudions est remarquable. Tout d'abord parce
qu'il est présent à titre d'élément exogène dans les prières, superflu dans l'optique de la parole efficace.
Le thème de la nuit est lui-même traité de façon extraordinaire dans ces prières. En opposition avec la
grande œuvre d'exorcisme Utukkū lemnūtu, l'obscurité, le silence et l'enfermement des hommes
véhiculent l'image d'un monde calme, plongé dans la quiétude du repos nocturne et purifié. Enfin, on
ne peut dénier au traitement lyrique du paysage nocturne une réelle créativité, qui tend à s'extraire du
cadre très stricte de la représentation imagée akkadienne. Nous ne pouvons que reconnaître avec B.
Foster la belle originalité de cette œuvre302. Etant données ces caractéristiques étonnantes et l'aspect
assemblé du poème et de la prière, nous pouvons imaginer que le poème a une origine plus ancienne et
indépendante de cette dernière. Création originale ou compilation, nous sommes en désaccord avec
l'analyse d'A. L. Oppenheim qui veut que cette prière soit le résultat d'une inspiration sur le vif,
traduisant directement "the feeling of loneliness of the priest"303 : "clearly, the Old Babylonian
prototype is as subject-centered as any of the later fragments. It stresses the importance of the priest,
his feeling and their expression (…)"304.
D'un point de vue matériel, il est impossible que le poème ait été composé au moment même
de sa récitation. Par ailleurs, le fait que le devin ne se mette pas lui-même en scène est troublant. Le
poème n'est pas centré du point de vue d'un individu mais davantage sur une perception idéalisée de la
quiétude nocturne, fonctionnant comme une image inversée des activités diurnes. Enfin, la continuité
de l'œuvre exprimée par notre corpus nous indique qu'il s'agit d'une prière connue et reconnue,
appartenant à un courant de tradition, et non d'une composition fortuite, production littéraire d'un
devin esseulé. Cette composition n'en demeure pas moins un élan créatif admirable et qui a marqué
durablement les consciences, comme l'attestent ses très nombreuses reprises.

302
B. Foster, 2005, p. 21
303
A. L. Oppenheim, 1959, p. 299
304
Ibid, p. 300

69
1.2. Thèmes et variations : le travail de composition des "nouvelles"
prières.

Une des particularités remarquable des prières aux "dieux de la nuit" que nous soulevons en
accord avec A. Oppenheim est leur unité textuelle malgré une disparité géographique et temporelle
considérable nonobstant son originalité305. Une grande partie des œuvres classiques littéraires et
savantes mises au jour dans les bibliothèques du premier millénaire sont héritées d'originaux paléo-
babyloniens fixés dans leur forme à la période cassite306. S'il est assez aisé de retracer le procédé de
création et d'adaptation des grandes épopées, cette étude est en général malaisée pour les prières et
incantations pour lesquelles il est rare de disposer d'un corpus uni et cohérent du type de dont nous
disposons. Nous étudierons dans un premier temps l'ensemble des termes en distinguant les traits
unificateurs et ceux qui divergent. L'étude de ces derniers nous permettra de concevoir le travail de
sélection et de composition des scribes. Enfin, nous conclurons cette étude par l'analyse des procédés
de réécriture des scribes grâce à la micro-analyse de certains substantifs représentatifs.

1.2.1. Les thèmes conservés du poème paléo-babylonien.

Nous avons montré plus haut que la description nocturne des prières aux "dieux de la nuit" paléo-
babyloniennes constitue un véritable poème joint à la prière stricto sensu et clairement séparé de celle-
ci. Nous pouvons définir dans les prières plus récentes un certain nombre de thèmes directement
hérités du poème paléo-babylonien :

a. Les fermetures
ERM 15642 l. 2 et 4 ; AO 6769, ll. 1-2 et 4 ; VAT 7445, ll. 39-40 ; K. 10659, l. 2 ; K. 3507, l. 8-9 ; K.
2315, l. 38-39307
b. L'humanité
"Les gens (nišū) bruyants" : ERM 15642, l. 3 ; A0 6769 l. 3
"Les foules" (littéralement : "les gens étendus" nišū ra[pšāt…]) K. 10659, l. 7
"Les bêtes [...] / les foules" (littéralement "les gens" nišū) : K. 2315+, l. 37
c. L'intérieur des cieux
Les dieux du pays sont entrés "dans le giron des cieux" : ERM 15642, l. 7 ; AO 6769, l. 10
"Les verrous des grands dieux sont fermés" K. 2315+, l. 39
d. Le paysage silencieux
"Le palais est dans la torpeur, la steppe est silencieuse" ERM 15642, l. 10 ; AO 6769, l. 11.

305
A. L. Oppenheim, 1959, pp. 290-291
306
W. G. Lambert, 1957, p. 8
307
Voir sous-partie 1.2.3.2

70
Inversion du thème šuqammumu : silencieux et šuharruru : dans la torpeur
"La steppe est dans la torpeur, les montagnes sont silencieuses" VAT 7445, l. 39 ;
"La steppe est dans la torpeur, le pays est silencieux" K. 2315+, l. 36
"La steppe est dans la torpeur" K. 10659, l. 5 ; K. 3507, l. 8.
Le silence est donc probablement l'élément indispensable à la réalisation du rituel308.

Ces prières n'ont en définitive conservé qu'une partie du poème ancien relatif à la description
du cadre nocturne; cet héritage s'imbrique au sein des prières, constituant une des différentes sources à
partir desquelles les scribes ont composé les prières récentes. Pour mieux saisir ce phénomène
d'écriture par combinaison, nous proposons ici une analyse structurale des poèmes.

1.2.1.1. VAT 7445

Le texte hittite n'est pas versifié, cumulant rejets et enjambements (voir ll. 39-40). L'aspect
poétique est relayé à la seconde place dans cette prière, après les paroles efficaces incantatoires. Il
s'agit en premier lieu d'une incantation magique en sumérien (ll. 32-36), formant un véritable
"charabia" (selon l'expression de N. Veldhuis, "Mumbo-Jumbo"309), paroles dénuées de véritable sens,
grammaire ou rhétorique mais efficaces par magie. L'origine des "dieux de la nuit" est rappelée, suivie
de leur l'invocation (ll. 37-38). L'héritage du poème paléo-babylonien est réparti sur deux lignes et
demie (ll. 39-41a). La fin de la prière est très consensuelle, constituée d'une nouvelle invocation
d'abord par liste (ll. 41-46) puis par regroupement (ll.46-48).
D'un point de vue strictement littéraire, cette prière est moins accomplie que la précédente. Il
s'agit là d'un choix de rédaction, mettant en valeur son discours efficace plutôt que son aspect
poétique, ce qui nous indique que le résidu du poème a acquis un statut symbolique le rendant efficace
aux yeux du compilateur.

1.2.1.2. K. 3507

L'héritage du poème original est conservé dans les vers 8 à 10 et sous une forme presque
identique au texte de Hattussa, ce qui semble indiquer une origine commune :

l. 39. ⌈š⌉u-uh-ru-ur ṣe-e-ru HUR.SAG šu-[qám]-ma-ma aš qa an gišIG túr-ra


l.8. [ÉN] šu-ha-ru-ur ṣe-e-ru pa-ar-ka gišIGmeš tu-[ur-ra KÁmeš]
l. 40. [K]Á na-du-ú ší-ga4-ra šu-qám-ma-mú!-ma DINGIR.GE6hi.a zu kam ma ma ha az
l. 9. na-du-ú ši-ga-ru šu-qam-mu-mu ⌈d⌉[mušīti ...]
l. 40 b. 41 a. [pé-ti-ma] KÁ.GAL ša DINGIRmeš GAL.GAL

308
Voir partie 2.1.1.1 et E. Reiner, 1965, pp. 247-251
309
N. Veldhuis, 1999, p. 46

71
l. 10. pa-ta-a-ma KÁ.GALmeš šá ANe ra-[...]
l. 41 b. ir-bá-nim-ma DINGIR mu-ši-ti deš4-tár mu-ši-ti
l. 11. ra-bu-ú-te DINGIRmeš mu-ši-ti šá ṣu-ub-⌈bu-u⌉ [...]
l. 12. er!-ba-nim DINGIRmeš mu-ši-ti MULmeš ra-[bu-tum]
l. 42. qa-aq-qa-ad TÙ.MU.UL.LA TU.ŠI.ŠI TÙ.MU.KU.U.RA TÙ.MU.KAR.TÙ
l. 13. tur15U17.LU tur15
SI.SÁ tur15KUR.RA tur15
MAR.TU

La fin de la prière est traditionnelle – invocation (ll. 11-17), louange des dieux (ll. 18-24) et
présentation des offrandes (ll. 26- ?). En plus de la versification, la prière K. 3507 renoue avec la
tradition poétique akkadienne. Les pouvoirs et les qualités des grands dieux sont particulièrement
soignés dans des figures de répétition. La déclaration de foi "qui / un tel qui pense à vous obtiendra (ce
qu'il) désire" (ll. 18-19) est répétée à l'identique. L'expression "il est en votre pouvoir" permet de
conclure deux vers (ll. 21-22), et l'injonction "exaucez à présent la prière de celui qui / [d'un tel qui]
vous invoque" fait elle aussi l'objet d'une duplication (ll. 23-24). Ces répétitions sont des procédés
traditionnels mais qui jurent avec la grande finesse des effets de références croisées des prières paléo-
babyloniennes dont l'extrait ll. 8-10 garde le souvenir ; cette aspect est cohérent avec ce que nous
savons de l'évolution de la littérature akkadienne "a comparison between Old Babylonian texts and the
later canonical versions often reveals that the later vesion is expanded ; in that the tendency toward
symmetriy and repetition is more pronounced"310.

1.2.1.3. K. 2315+

Le rituel K. 2315+ est composé sur un mode bien plus complexe. Le début de l'incantation est
perdu. Les lignes 10 à 22 composent l'invocation et sa justification. Les lignes 23-26 sont une longue
incantation en sumérien à la forme et au but équivalents à l'introduction de la prière VAT 7445 ll. 32-
36. Les lignes 27-30 sont très particulières. Ce passage est versifié, composé par des procédés
extrêmement fins jouant sur le sens et les sonorités. Il constitue un véritable quatrain, probablement
hérité d'une source extérieure, assez ressemblant en vérité à une prière à Šamaš ou à son homologue
nocturne le dieu de la lune Sîn. Les champs en friche, les foules humaines et les personnages des
pauvres et démunis "qui suivent [les étoiles] jours après jours" (l. 30) ne sont en effet pas sans rappeler
l'Hymne à Šamaš : "tu réchauffes […] le champ de grain" (l. 18), "tu t'occupes des gens de tous les
pays" (l. 23), "A pleine voix le débile t'appelle / Le chétif, le faible, l'opprimé, le petit" (ll. 132-133)311.
Les lignes 31-34 rappellent la demande du patient et les gestes qu'il a accomplis dans ce but, dans une
structure répétitive jouant volontiers sur les rimes et la sonorité.

310
Vogelzang, 1996, p. 169
311
Traduction : J.-M. Seux, 1996, pp. 53-60

72
La deuxième partie de la prière, distinguée physiquement par une ligne de rupture, place
l'exorciste officiant au centre du rituel (l. 35) avant d'intégrer le passage issu de la prière aux "dieux de
la nuit" paléo-babylonienne (ll. 36-39). De façon remarquable, celle-ci est enrichie par une image
extérieure aux prières anciennes, celle des bêtes rentrées pour la nuit. Les astres sont de nouveau
invoqués lignes 40-44, suivant des désignations astrologiques relatives à leur matérialité physique
davantage qu'à leur qualité divine. Encore une fois, le style littéraire y est soigné, reposant surtout sur
des jeux de répétitions sonores : une phrase est entièrement composée avec une seule racine
sémantique (l. 42) produisant un jeu d'allitération ; l'alternance de rimes [-kunu] et [-āni] est
parfaitement maîtrisée aux lignes 43 et 44. Dans cette version, les portes du ciel dont dites fermées (l.
39), indication qui renoue avec la vision anthropomorphique du coucher des dieux dans les prières
paléo-babyloniennes.
La prière termine par les offrandes réalisées (ll. 45-55). Le cœur du passage (ll. 46-49)
compose une figure de rappel rythmique, grammatical et phonétique de la conclusion de la première
partie (ll. 32-34) ; par ailleurs ce passage est habilement composé, utilisant des procédés rares tels que
l'ellipse (l. 48-51) qui permettent de joindre littéralement l'ensemble des offrandes alimentaires en une
idée unique.
La structure de cette prière est donc certainement moins aboutie et rigoureuse que le poème
paléo-babylonien mais elle joue sur des figures d'une bien plus grande virtuosité.

L'analyse de la structure de ces incantations nous permet de souligner deux éléments. D'abord,
que le poème original ne constitue plus qu'une des sources compilée dans les nouvelles prières : "(...)
the nocturnal setting has become a topos and lost the direct personal, emotional tone, a feature that
seems to have been censored by first-millenium taste"312. Cette persistance est étonnante ; de simple
forme littéraire, le topos de la nuit acquière une dignité magique, efficace par simple récitation.
Cette analyse très détaillée nous permet en outre de tracer la généalogie de ces textes. Les
prières paléo-babyloniennes sont les ascendants de l'ensemble des documents de la fin du II e et du Ie
millénaire. Elles sont parvenues quasi-intact à l'époque néo-assyrienne comme l'atteste le texte de la
tablette K. 10659. Une seconde branche est constituée du rituel bilingue mis au jour dans la capitale
hittite de Hattussa (VAT 7445) et à Ninive du rituel contre la peste (K. 3507) tous deux semblables
dans leur reprise de la prière initiale. Enfin, K. 2315+ semble appartenir à une troisième famille. Il
introduit de nouveaux éléments qui ne sont pas sans rappeler d'autres prières, notamment au dieu
Šamaš.

312
E. Reiner, 1995, p. 67

73
1.2.2. Modernisation de la prière.

Après avoir traité de la survivance des thèmes, nous voulons étudier ici les variations qui
unissent ou distinguent les différents exemplaires dont nous disposons ; afin de mieux saisir la
disparité des thèmes nouveaux et anciens, nous avons choisi d'exclure K. 10659, copie presque
identique des prières paléo-babyloniennes. Le but de ce travail est de montrer comment les prières,
tout en conservant un héritage ancien, le modernise en l'adaptant à leur vision contemporaine de
l'homme, de l'univers et des dieux.

1.2.2.1. Un repositionnement de l'individu.

L'écartement du thème de l'obscurcissement nocturne (ERM 15642, l. 9) relève selon nous


d'un choix esthétique. En revanche, le parallèle entre les grands dieux anthropomorphisés qui ne
"rendent plus de jugement" (ERM 15642, l. 8) et les hommes divisés en grands - "Prince" et "palais"
(ERM 15642, l. 1 et 10), et petits, exprime une conception de l'ordre du monde qui est volontairement
oubliée dans les prières les plus récentes. Dans la prière paléo-babylonienne, l'individu récitant s'efface
du poème. Il nous donne à voir son cadre mental davantage que la description réaliste de ce qui
l'entoure : tous les éléments évoqués relèvent d'une conception profondément urbaine de la religiosité.
Aussi les grands dieux, par leur anthropomorphisation extrême, sont-ils comparés aux princes de la
ville. Même la description des verrous semble correspondre à un ordre du monde idéal, alternant la
masse indispensable – peuple et porte, et le particulier nécessaire – prince et serrure313. Cette
représentation doit être rattachée à un système de croyance hérité du troisième millénaire, où le dieu
est un chef politique à part entière, à la fois prince de sa ville et prenant part aux décisions concernant
le pays314.
Les prières les plus récentes manifestent un souci de rationalisation : l'action des hommes et
des dieux s'y trouve désynchronisée et l'anthropomorphisme y est plus modéré ; le récitant marque sa
présence par une première personne comme pour attester du réalisme de la scène (K. 2315+, l. 35), ce
qui révèle également une conception plus individuelle du rapport aux dieux, bien documentée à partir
du IIe millénaire par la croyance en des "dieux personnels"315. Enfin, par moment la description quitte
les formules établies et le style devient analytique : dans les versions les plus récentes la description
s'échelonne en évoquant les vantaux, suivis des portes et enfin des verrous (VAT l. 39-40).

313
Voir sous-partie 1.1.2.1
314
T. Jacobsen, 1976, pp. 77-91
315
T. Jacobsen, 1976, pp. 145-164

74
1.2.2.2. Une naturalisation de la religion.

De nouveaux aspects de la description sont mis en avant dans les prières les plus récentes,
relatifs à la perception des corps astraux :

a. le silence des dieux de la nuit


"les dieux de la nuit sont silencieux" VAT 7445, l. 40 ; K. 3507, l. 9
b. les étoiles inconnues
"brillantes étoiles (et) les autres qu'aucun œil n'a jamais vues" K. 2315+, l. 40
c. les portes du ciel
"les portes des grands dieux (/cieux) sont ouvertes" VAT 7445, l. 39-40, K. 3507, l. 10.
d. la classification des étoiles
étoiles "du Sud, du Nord, de l'Est et de l'Ouest" VAT 7445, l. 42 ; K 2315+, l. 40
"celles d'Ea, […] celles d'Anu, […] celles d'Enlil" VAT 7445, l. 46 ; "celles d'Anu […], celles d'Enlil
[…], celles d'Ea […]" K. 2315+, l. 43-44

La différence fondamentale entre les nouveaux textes et les anciens repose donc avant tout sur
l'introduction à l'intérieur même de la prière de conceptions d'ordre astronomique et cosmique
précises. Les "portes du ciel" et la répartition en trois groupes d'étoiles méritent une explication.
Les différents récits cosmologiques et relatifs à la création nous donnent à voir l'univers divisé
en deux plans fondamentaux : céleste (AN, šamê) et terrestre (KI, erṣetum), eux-mêmes constitués de
plusieurs couches dont le nombre varie316. Entre eux, il existe des passages, les "portes des dieux" ou
"portes du ciel" par lesquelles les astres transitent, ce qui explique notamment l'injonction aux dieux
de la nuit "entrez !" (VAT 7445, l. 41 ; K. 3507, l. 15) et non pas simplement "apparaissez-moi" (ERM
15642, l. 21 ; VAT 7445, l. 38 ; K. 10659, l. 10 ; K. 2315+, l. 53, 55). Ces portes apparaissent sous des
formes très variées dans de nombreux récits, relevant soit de la responsabilité seule du dieu Šamaš, en
tant qu'astre solaire, soit associées à d'autres divinités – Sîn, le dieu-lune en tête317. La conception des
portes est amenée à changer avec l'évolution des connaissances astronomiques et l'observation que
seule une partie des étoiles – celles proches de l'écliptique qui constituent les constellations du
zodiaque – suivent effectivement le tracé du soleil, si bien que les deux portes de l'Est et de l'Ouest
sont doublées d'une multiplicité de portes probablement à partir de la fin du deuxième millénaire318. Le
fait que ces portes ne sont pas évoquées dans les prières paléo-babylonienne relève d'un
anthropomorphisme achevé : le dieu Šamaš y est absolument distingué de son astre, et se couche dans
le "giron des cieux" (ERM 15642, l. 7). Les astres et les dieux sont équivalents. La croyance
religieuse, toujours exprimée par la voix lyrique, rejoint en conséquence l'observation physique des
316
W. Horowitz, 1998, pp. 3-19
317
W. Heimpel, 1986, pp. 127-151
318
Ibid, p. 139

75
objets célestes dans une image bien plus naturaliste que la fiction de l'anthropomorphisme des
anciennes prières.
L'évocation des chemins d'Anu, Enlil et Enki relève de la même évolution. Cette définition est
propre à l'astronomie. Les trois voies désignent trois portions du ciel ; cette tripartition est artificielle
et justifiée par un récit cosmologique évoqué dans l'incipit du grand traité d'astrologie Enūma Anu
Enlil319 et décrite dans la prière VAT 7445, ll. 37-38. Ces trois chemins sont déterminés par section du
ciel en fonction du circuit du soleil et de son zénith à chaque saison. On peut de cette façon déterminer
trois points dans le ciel par lesquels passent trois droites parallèles artificielles. Le ciel ainsi divisé,
chaque constellation, hormis celles proches du cercle polaire astral qui de ce fait ne se "couchent" ni
ne se "lèvent", est classée en fonction de son point primaire d'entrée dans le ciel nocturne. Cette façon
de distinguer les étoiles est connue pour avoir permis de classer les astres et de lister les constellations
dans des compositions dites "astrolabes" ou "trois chacun" : chaque mois, trois constellations sont
données, une pour chaque "chemin". Cette technique facilite considérablement la division de l'année et
surtout le calcul de l'année sidérale. A l'aide de calcul très précis fondés sur les données antiques, R.
Kolev a pu déterminer que la création des trois voix célestes est antérieure à l'époque paléo-
babylonienne320. Cependant, il est surprenant que la première mention de cette tripartition est
précisément le texte hittite VAT 7445. Même si cette conception est ancienne, le fait qu'on ne
l'évoque pas dans les textes littéraires et prières paléo-babyloniennes est représentatif d'un changement
de considération religieuse. Si les voies ne constituent qu'un calcul scientifique pour les anciens, il est
intégré à une conception du divin davantage fondé sur l'observation physique de ses manifestations à
partir du XIIIe siècle, selon le texte VAT 7445.
Enfin, le texte K. 2315+, l. 41-42 concède qu'il existe très certainement des étoiles invisibles.
C'est un pas important dans la représentation de l'univers : cette formule remet en question l'aspect
téléologique de la création des astres qui ont mythologiquement la fonction de fixer le temps et de
reproduire dans le ciel l'image des grands dieux (Ee 5 : 1-10). Si des étoiles sont invisibles aux yeux
des hommes, c'est qu'elles n'ont pas été créées dans un but uniquement pratique.

Pour résumer les résultats obtenus au cours de cette analyse, nous assistons dans ce corpus à la
modernisation par les scribes de leur source. On y voit notamment l'influence des disciplines astrales
qui connaissent un succès grandissant culminant au premier millénaire avant notre ère321 et de façon
très précoce à Hatussa322. La survie de la tradition des prières aux "dieux de la nuit" passe donc par la
réactualisation des représentations exprimées, loin d'un supposé immobilisme. De la vision de
l'homme membre d'un monde uni et répondant à un ordre divin universel calqué sur l'existence

319
Voir l'annexe.
320
R. Kolev, 2013, p. 89
321
U. Koch-Westenholz, 1995, p. 51
322
U. Koch-Westenholz, 1995, p. 45

76
urbaine, nous passons dès lors à une nouvelle perception de l'individu dont la foi est dictée par ses
observations propres de la nature.
On peut en conséquence constater que le choix des thèmes traités par l'auteur est représentatif
de la relative liberté du compositeur d'enrichir les poèmes avec des thèmes nouveaux "Mesopotamian
poetic tradition had therefore a notion of individual inspiration and authorship, which could be used as
a literary device"323.

1.2.3. Le compilateur et ses procédés.

Nous avons vu que le travail des scribes des "nouvelles" tablettes relevait d'une véritable
compilation de sources variées. Nous voudrions ici nous prêter à de la micro-analyse de certain termes
pour savoir comment fonctionne concrètement le travail de compilation des scribes.

1.2.3.1. Le recours aux mots-clefs.

Comme pour le "téléphone arabe" – si on nous excuse la comparaison, le poème semble se


transmettre grâce à un ensemble de mots-clefs qui permettent de fixer la mémoire et l'attention du
compilateur. Les deux verbes quadrilitères šuqammumu et šuharruru remplissent efficacement cet
office du fait même de leur rareté grammaticale. Cet exemple est facilement remarquable, situé au
cœur du poème et élément principal de définition. Ils varient peu d'une prière à l'autre, si ce n'est dans
leur conjugaison souvent fautive. Ces mots-clefs sont facilement distinguables si bien qu'ils sont
régulièrement utilisés dans la littérature, repris notamment dans l'Enūma Eliš sous une forme semblabe
(5 : 6) ou encore dans un psaume pénitentiaire324
A côté de ces deux marqueurs très visibles, d'autres sont moins saillants. Nous voulons insister
sur les mots de la famille de ahû "étrange, étranger, additionnel, de mauvais présage, hostile"325, que
nous retrouvons à partir du texte hittite. Nous trouvons dans nos textes trois formes différentes :
mul
a. a-ha-ti VAT 7445, l. 43 : "étoile du malheur", "Mars"
b. ma-a-du-te MUL a-hi-[a-ti] K. 3507, l. 17 : "les nombreuses étoiles alen[tours]"
c. šu-pu-tu4 MULmeš a-hu-tu4 K. 2315+, l. 41 : "brillantes étoiles et les autres"
Ces trois termes dérivés de la même racine ont trois sens différents. Le premier évoque l'hostilité, le
second le voisinage des étoiles, le troisième leur caractère additionnel. Tout porte à croire que la
séquence "étoile" + dérivé du mot ahû est un marqueur équivalent aux verbes quadrilitères que nous
avons isolés, constituant un autre mot-clef. Le fait même que leur sens soit distinct dans les trois
prières ne fait que renforcer cette théorie. Le mot-clé tel que nous l'avons défini fonctionne par
sonorité plus que par sens ; il constitue davantage un marqueur indispensable et un fixateur de

323
B. Foster, 2005, p. 20
324
S. Langdon, 1927, pp. 66-67
325
CAD, A, p. 210

77
mémoire. La place qu'il occupe dans le rituel hittite et celui contre la peste (VAT 7445 et K. 3507) est
elle-même représentative, à la liaison de la liste des étoiles.
La pratique des mots-clefs est classique du travail de compilation. Ici, il s'agit d'un mot rendu
indispensable dont le sens peut changer ; la réécriture repose régulièrement sur ce type d'interprétation
qui permet de récupérer les mots importants, en quelque sorte les mots jugés efficaces par eux-mêmes,
et de les adapter à la situation particulière du rituel. C'est le cas par exemple d'un rituel magique
d'ensorcellements amoureux : "the compiler of the Isin tablet seems to have browsed through the
available magical literature and chosen incantations whose key-words had sexual connotations, even
though the use of those words in the incantations themselves was entirely non sexual"326.

1.2.3.2. La modernisation des termes

Si les mots-clefs fonctionnent par sonorité, les mots-idées véhiculent un sens, si bien que le
substantif peut changer tant que la même idée est transmise. Ces deux phénomènes sont les deux faces
du souci de maintenir, au plus proche et au plus cohérent, les textes du passé. Le thème de la fermeture
des portes est l'occasion pour nous de comprendre le processus de réécriture et de réadaptation. Voici,
dans le détail, comment sont traités les "verrous" :
a. wa-aš-ru-ú sí-ik-ku-ru ERM 15642
b. si-ik-ka-⌈tum⌉ […] ta-ab-ka-[a] AO 6769, l. 1-2
c. na-du-ú ší-ga4-ra VAT 7445, l. 40
d. áš-ru sik-ku-ru K. 10659, l. 2
e. na-du-ú ši-ga-ru K. 3507, l. 9
f. na-du-ú har-gul-lu4 K. 2315+, l. 39
Nous pouvons repérer que les changements portent à la fois sur le verbe et sur le sujet. Le verbe
(w)ašāru(m) est remplacé par un synonyme rare tabāku(m) dès l'époque paléo-babylonienne. La prière
de la tablette K. 10659 reprend le verbe de la prière originale et l'adapte à la phonétique en vigueur
dans la langue babylonienne standard en faisant chuter le [w] initial. A part cette copie, dont nous
avons montré à de nombreuses reprises l'incroyable analogie avec les textes paléo-babyloniens,
l'ensemble des textes récents – la copie hittite y compris, remplacent ce terme par le verbe nadû(m) un
synonyme dans ce contexte. Ce changement ne peut se comprendre que par la désuétude du terme
(w)ašāru(m) qui n'est plus usité dans la langue babylonienne standard, dont le sens a changé dès la
période médio-babylonienne en prenant le sens de "soumis" à une divinité, "lasser", "abandonner",
"cesser"327.

326
J. Cooper, 1996, p. 55
327
CDA, 2000, p. 436 ; CAD, A2, p. 422, plus ancien, relève que le sens est incertain et précise qu'il s'agit d'un
texte paléo-babylonien.

78
Quant au nom, il subit lui-aussi une importante variation. D'une façon générale, on peut
remarquer que sikkurū328 : "les barres", sikkatu(m)329 : "le clou" et šigaru(m)330 : "le boulon" sont trois
termes très proches appartenant au même champ lexical. Ils possèdent au moins deux consonnes
fondamentales C1 et C2 de la même famille : C1 est une fricative sourde, sifflante [s] ou chuintante [š] ;
C2 est occlusive sourde [k] ou sonore [g] ; C3 est vibrante [r] pour deux des occurences. Nous ne
prenons pas en compte le [t] de sikkatum qui relève du marquage grammatical du genre féminin. Ces
trois termes sont tous attestés dès la période akkadienne ancienne. Le substantif hargullu(m) a une
racine distincte de ces termes dont il est synonyme. On assiste ici à une véritable modernisation du
texte, et non pas à une simple adaptation. En effet, ce terme est propre au babylonien standard et
semble être privilégié à ses synonymes dans la langue standard comme l'indique ses très nombreuses
occurrences dans les textes de l'époque néo-assyrienne, notamment dans l'Epopée de Gilgameš et la
série d'exorcisme Maqlû331.
Pour résumer, il semble que les scribes compilent les sources en se fondant sur certains
marqueurs que nous appelons les "mots-clefs" et qui permettent de conserver au plus près le texte
recopié. Néanmoins, il peut s'avérer nécessaire de moderniser l'écriture et les mots, si bien que la copie
n'est qu'un des aspects du travail du scribe : "the key to an approach is an understanding that the scribe
was attempting to produce a 'correct' text. If it was necessary to 'improve' a text in order to get it 'right',
he would feel free to do so"332

Conclusion

L'étude stylistique et littéraire de ce corpus nous a permis d'en dégager les thèmes, variations
et procédés de composition. Les deux copies des prières aux "dieux de la nuit" paléo-babyloniennes
sont des textes composites aux accents poétiques frappants. La prière a visiblement connu un succès
important à l'époque de sa première attestation. En effet, le doublet AO 6760 constitue l'une des rares
occurrences de copie de rituel pour cette époque333. Cette popularité se poursuit et le contenu poétique
de ces prières est intégré dans de nombreuses prières se déroulant dans un cadre nocturne, si bien qu'il
atteint un statut canonique et fixe en devenant une partie intégrante de la récitation magique.
Cependant, une telle fixation n'exige visiblement pas l'immuabilité des thèmes et des mots, qui sont
volontiers modernisés afin de mieux correspondre aux conceptions propres des scribes et de leurs
contemporains. Ce double mouvement de conservation et de modernisation est décelable dans les
termes employés par les scribes et révélé par la micro-analyse.

328
CAD, S, p. 356
329
CAD, S, p. 247
330
CAD, Š2, p. 408
331
CAD, H, p. 99
332
S. Lieberman, 1990, p. 334
333
N. Wasserman, 2003, p. 180

79
Nous avons montré que toutes les prières de notre corpus relèvent d'une souche commune. Or,
de façon très intéressante, il ne s'agit pas du même type de prière. Après avoir montré les raisons et les
moyens littéraires de conservation des prières aux "dieux de la nuit", nous voulons à présent aborder
cette question par le biais de la religion.

80
II. Les "dieux de la nuit" : pouvoirs et pratiques rituelles.

Nous n'avons jusqu'ici que peu défini la notion de "prière" au cœur de notre travail. Ce terme
recouvre un vaste champ de comportements religieux propres aux deux expressions du culte
mésopotamien, à savoir, selon la définition donnée par J. Bottéro, le "culte théocentrique"334 et le
"culte sacramentel"335. L'ensemble des documents que nous avons présenté appartient à cette deuxième
catégorie, définie comme "le cérémonial exécuté, non plus, directement et d'abord, pour l'honneur, le
service et la satisfaction des dieux (…) mais pour l'avantage des hommes. Les deux domaines où se
recherchait un tel avantage, c'étaient, d'un côté, une certaine connaissance de l'avenir ; de l'autre,
l'élimination de ce que nous appelons le "mal de souffrance (…) On obtenait la première par des
pratiques de la divination ; la seconde par celles de l'exorcisme"336.
Le but de cette analyse est de comprendre les raisons de la persistance des prières aux "dieux
de la nuit". Pour ce faire, nous allons définir et analyser la différence entre les pratiques religieuses de
nos prières, tout en montrant en quoi elles expriment une modification de la conception du divin. Nous
proposons donc une analyse des prières religieuses en distinguant d'une part les prières du devin, les
ikribu mušītim et d'autres parts les prières de l'exorciste. Cette distinction est d'autant plus cohérente
qu'elle nous permet d'approcher cette question d'un point de vue historique, ces textes étant distingués
entre les originaux paléo-babyloniens et les reprises de la fin du IIe millénaire et du Ier millénaire.

2.1. Les dieux de la nuit dans le cadre des prières ikribu.

Les prières paléo-babyloniennes AO 6769 l. 25 et ERM 15642 l. 25 sont titrées ikrib mušītim
"prière nocturne". Nous ajoutons à ce corpus CBS 574, dont nous avons convenu qu'il s'agissait d'un
rituel équivalent.
Afin de mieux comprendre l'ensemble de notre raisonnement, nous proposons ici un rappel
général de la fonction et de la pratique divinatoire en Mésopotamie. Le terme ikribu est formé sur la
racine trilitère KRB formant entre autres le verbe karābum, "prier" et "bénir", l'essence de la relation
au divin. Ce lien repose fondamentalement sur la métaphore de la royauté. Il s'agit peut-être de la seule
constante dans la croyance religieuse mésopotamienne qui, en général, ne s'est jamais accordée sur un
credo, une croyance canonique337. La mythologie de la création de l'homme – et notamment
l'anthropogonie du Poème d'Atra-Hasis - transmet cette conviction : créés pour leur service, les
hommes sont soumis au jugement des dieux qui en véritables monarques accordent à leurs serviteurs

334
J. Bottéro, 1998, pp. 229-326
335
Ibid, pp. 327-384
336
Ibid, p. 327
337
Ibid, p. 146

81
fidèles des bienfaits et punissent tout manquement à leur office. Cette conception est clairement
exprimée dans les prières aux "dieux de la nuit" : les principaux dieux célestes sont les "dieux du pays"
– ce qui dénote une conception politique du pouvoir, "grands", "père[s]" et "juge[s]" (ERM 15642 l. 2,
14, et 12). En conséquence, tout ce qui advient à l'humanité et à l'homme particulier de bon ou de
mauvais est fondamentalement attribué aux dieux ; ils décident des sorts individuels de la même
manière qu'ils ont alloué lors de la création un destin à toutes choses338.
Les dieux jugent en assemblée et, à la manière des tribunaux, rendent public leurs sentences.
Elles sont dès lors accessibles par les hommes par le biais de la divination, qui a pour but de révéler ce
que J. Bottéro appelle l'"avenir judiciaire"339, par nature modifiable. Si on exclut la révélation inspirée,
peu répandue semble-t-il en Mésopotamie hormis à l'époque néo-assyrienne et dans les régions
périphériques, la divination repose sur l'observation des signes et phénomènes omineux lus comme
l'écriture des dieux340. Ces observations se portent sur toutes les manifestations de la nature, réparties
en grands traités de tératomancie (naissance monstrueuse), oniromancie (rêves omineux),
brontomancie (éclair), astrologie. Plus généralement "the Babylonians believed that they could detect
indications of positive or negative future events in both unusual as well as everyday occurrences in the
behavior of animals, the appearance of plants or men, the movement of the stars and the planets, the
condition of the sun and the moon, and all manner of meteorological phenomena"341. Enfin, la
divination peut être active, et l'oracle directement demandé aux grands dieux par le biais de
manipulations magiques, parmi lesquelles l'haruspicine ou observation des entrailles d'un animal
sacrifié est la plus répandue. C'est celle qui nous occupe dans ces prières : le devin demande aux dieux
de "plac[er]" "la justice" dans l' "agneau" sacrifié (ERM 15642 ll. 23-24). Cette pratique est largement
documentée depuis le IIIe millénaire et représente sans doute un des traits de cette civilisation les plus
saillants. Bien que nous parlions de "prières" plutôt que d'''incantation", il faut considérer que
l'haruspicine se déroule dans un cadre "rituel"342 bien établi nécessitant un ensemble de gestes, de
paroles et d'invocation fixés dans la tradition.
Traditionnellement, le juge des hommes par excellence est le dieu Šamaš assimilé au soleil à
qui sa position zénithale permet de tout voir et de tout connaître du comportement des hommes. Cette
croyance est largement relayée dans la littérature : il est appelé "le juge des vérités, père des démunis"
dans nos textes (ERM 15642, l. 12) et une pièce maîtresse de la littérature hymnique qui célèbre cette
qualité lui est dédiée, connue sous le nom d'Hymne à Šamaš. Etant juge, il rend lui-même ses décrets ;
il est par conséquent également le dieu de la divination : "the judicial element is prominent in the
ikribus. A man's case to be considered by the gods is known as a dīnu, and the place of Šamaš, Lord of

338
J. Bottéro, 1998, p. 209
339
Ibid, p. 346.
340
Koch-Westenholz, 1995, p. 18-19,
341
S. Maul, 1999, p. 123
342
I. Starr, 1983 ; expression utilisée dans le titre et justifié dans l'ensemble de l'œuvre.

82
Justice (bēl dīnim) would be prominent in such proceedings"343. Il est accompagné dans cette fonction
par le dieu Adad, probablement à cause de ses manifestations en tant que dieu de l'orage – éclairs et
tonnerres, jugées omineuses344. L'ikribu traditionnel est donc une prière destinée aux dieux Šamaš et
Adad, leur demandant l'inscription de leur sentence. Ici, ces grands dieux sont absents. Ils ont quitté le
ciel accompagnés dans autres grands dieux astraux Sîn, le dieu de la lune et Ištar, déesse assimilée à
Vénus, selon une conception profondément anthropomorphe. A leur place, on substitue les "dieux de
la nuit". Il s'agit là d'un trait exceptionnel. Nous devons dès lors déterminer d'une part en quoi
l'élément nocturne qui empêche d'invoquer le grand dieu du soleil est fondamental et d'autre part si les
"dieux de la nuit" se substituent entièrement au dieu Šamaš et sinon quels sont leurs pouvoirs et leurs
fonctions.

2.1.1. La nuit : un cadre nécessaire ou contingent ?

2.1.1.1. Le cadre nocturne : pureté rituelle et mystère.

La pureté rituelle est nécessaire à la pratique religieuse et magique mésopotamienne. L'espace


"que personne n'a foulé du pied" selon une formule classique345, doit être séparé lui-même de l'activité
humaine et de ses souillures. Cet espace peut être défini artificiellement, notamment à l'aide d'un
cercle de farine, ou bien peut correspondre à un lieu séparé du passage du tout-venant. Ici cet espace
est doublement protégé. Grâce à la comparaison avec plusieurs rituels néo-assyriens, et notamment
STT 73346 et KAR 38347, nous pouvons supposer que l'ensemble des prières et rituels évoqués se
déroule sur le toit d'un édifice. La nuit constitue en elle-même une seconde protection rituelle, qui
garantit l'exclusion des mauvaises paroles. En effet, les gestes pratiqués, les mots exprimés comme
l'espace rituel doivent être purs, et la nuit plonge les hommes dans le silence. Les verbes akkadiens
šuqammumum "être silencieux" et šuharrurum "être dans la torpeur" constituent d'ailleurs le fil
directeur de notre étude puisqu'ils se retrouvent systématiquement dans les textes étudiés : ERM
15642, l. 10 ; AO 6769, l. 11 ; VAT 7445, l. 39 ; K. 10659, l. 5 ; K. 3507, l. 8 ; K. 2315+, l. 36. Ces
expressions peuvent être reliées avec la formule sumérienne : EME.HUL.GÁL BAR.ŠÈ
HÉ.IM.TAB.GUB "que les mauvaises langues se taisent" ; cette expression est utilisée dans de
nombreux rituels, entre autres en rapport avec les étoiles348. Le silence nocturne est d'ailleurs exposé à
d'autres occasions comme dans la formule ina qūlti mūši "dans le silence de la nuit" (BAW I 64, LKA,

343
Ibid, p. 44
344
Pour cette question, voire la synthèse de I. Starr, 1983 p. 44. Voir également P. Steinkeller, 2005, pp. 11-47
avec une interprétation très différente quant au rôle d'Adad.
345
E. Reiner, 1985a, p. 250.
346
E. Reiner, 1960, pp. 23-35
347
R. Caplice, 1970, p. 128
348
R. Caplice, 1970, p. 113-114

83
No. 93 rev. 5)349. On retrouve cette nécessité rituelle du silence dans de nombreuses civilisations
antiques, thème largement étudié par E. Reiner, par le rapprochement du verbe šuqammumum au verbe
grec verbe grec euphemein et à la formule latine favete linguis à la fois "parler favorablement" et
"garder le silence"350.
D'un point de vue plus matériel, l'obscurcissement nocturne (ERM 15642, l. 9) est
certainement lui aussi nécessaire à la réalisation de l'haruspicine. En effet cette pratique suppose le
changement magique de la chair de l'animal, dans laquelle doit s'inscrire les présages – si bien que les
mots "chair" et "présage" sont synonymes en sumérien, UZU comme en akkadien, šīru. Dès lors, on le
comprend bien, l'opération magique nécessite que l'objet soit caché aux yeux de l'officiant.
Ces deux aspects expliquent certainement que la nuit soit recommandée dans de très nombreux
rituels et notamment des cérémonies de grands prestiges. La procédure de vivification des statues de
culte passe par une étape nocturne351 ; la partie centrale du rituel d'exorcisme du nouvel an a lieu de
nuit, autour d'un grand bûcher comme l'indique la prière introduite par "Ô Bœuf divin, brillante
lumière qui illumine les ténèbres"352. Le grand exorcisme Maqlû se déroule également nuitamment353,
ainsi que par nature la divination par oniromancie et l'astrologie. La question de l'extipicine est
néanmoins différente car contrairement aux deux genres précédents elle ne semble pas nécessiter un
cadre nocturne.

2.1.1.2. L'extipicine : un rituel nocturne ?

Nous reprenons ici à notre compte l'expression utilisée par J. Fincke : "Ist die mesopotamische
Opferschau ein nächtliches Ritual ?"354. D'un côté, nous savons que l'haruspicine est placée sous le
patronage des dieux Šamaš et Adad, le premier étant par excellence un dieu diurne. De l'autre, les
preuves du déroulement nocturne du rituel, ou d'une partie au moins, ne manquent pas et font l'objet de
nombreuses discussions. Déjà, en 1915, S. Langdon notait à propos d'un ikribu nocturne néo-assyrien :
"this fragment is extremely interesting, not only because it leads to restorations of the texts edited by
Zimmern and Pery, but for the emphasis laid upon the consultation of astral deities before proceeding
to the taking of the liver omens"355.
Afin de disposer d'éléments de comparaisons, nous avons sélectionné plusieurs attestations de
l'aspect nocturne des rituels d'haruspicine. En sus des ikrib mušītim présentés, la tablette AO 6769
comprend deux autres prières de ce type, écartées de notre étude car elles ne reprennent par la
référence textuelle aux "dieux de la nuit", ni le "poème", fil directeur de notre étude. Au contraire, ces

349
E. Reiner, 1965, p. 251
350
Ibid, p. 247
351
E. Reiner, 1995, p. 140
352
J. Bottéro, 1998, p. 313
353
Voir notre traduction en annexe.
354
J. Fincke, 2009, pp. 519-558
355
S. Langdon, 1915, p. 189

84
prières dédicacent de façon traditionnelle l'animal sacrifié aux dieux Šamaš et Adad356 . La référence à
la nuit n'est que secondaire : on l'évoque par le truchement du dieu des enfers Ningizzida et par les
animaux nocturnes357. De la même façon, un rituel d'extipicine du XVIIe siècle mis au jour à Tell ed-
Dēr s'adresse à la planète Vénus358. Une lettre paléo-babylonienne originaire de Mari (A. 1081, l. 31)
montre qu'une nuit doit séparer les deux consultations oraculaires, si bien qu'on peut supposer qu'il
s'agit d'un élément fondamental et nécessaire à leur réalisation359. L'époque Cassite (1595 – 1155) a
également livré un rituel nocturne : comme le montre E. Reiner à la suite de J.-V. Scheil, l'expression
MÁŠ.GE6 ne doit probablement pas être lu šuttu "rêve", mais plus littéralement bīr mūši ou tabrīt
mūši, "extipicine nocturne"360. Enfin, nous disposons d'un manuel de devin d'époque bien plus récente
mis au jour à de Ninive361. L'intérêt de ce texte est de montrer que, quand bien même les manipulations
rituelles sont nocturnes, le jugement et la mise à disposition de son résultat sont l'œuvre de Šamaš et
dans une moindre mesure d'Adad. Le rituel commence à la tombée de la nuit (lām šalam Šamši l. 31),
et continue une fois que les étoiles sont devenues apparentes (ištu kakkab šamāmī uštattaširūni l. 41),
et devant celles qui, heures après heures, émergent ([ina kakk]abu mahru napāhi362 l. 55) jusqu'à
l'aube. Au cours de cette nuit, des offrandes sont réalisées aux astres individuellement ainsi qu'aux
grands dieux du panthéon.

2.1.2. Les "dieux de la nuit" dans les rituels nocturnes.

Le rôle particulier des "dieux de la nuit" dans l'extipicine est un problème épineux. Pour E.
Reiner, il s'agit d'une tradition concurrente à la pratique générale d'invocation des dieux Šamaš et
Adad : "there is however another tradition according to which it is not these two who stand by the
haruspex to ensure correct and reliable omens. Rather, it is to the stars and constellations who alone
are present during his lonely vigil before he examines the liver at dawn that the diviner addresses his
prayer or a successful extispicy"363. Les prières paléo-babyloniennes reconnaissent certainement cette
substitution. Pour nous cependant, il y a une ambigüité : pourquoi invoquer particulièrement les "dieux
de la nuit" plutôt que les grands dieux Sîn ou Ištar dont le statut divin est bien plus proche de celui de
Šamaš et d'Adad ? Pourquoi avoir mis en scène leur couché dans un mouvement anthropomorphique ?
Deux possibilités s'offrent à nous. Soit l'exclusion de la lune et de Vénus, les astres des dieux
Sîn et Ištar est une prescription qui indique la temporalité de la prière. Cette proposition nous semble

356
G. Dossin, 1936, p. 181
357
B. Foster, 2005, p. 208
358
L. de Meyer, 1982 pp. 274-275
359
A. Nougayrol, 1967, pp. 227-229
360
E. Reiner, 1965, p. 248
361
H. Zimmer, 1901, pp. 96-110
362
Restitution : J. Fincke, 2009, p. 543
363
E. Reiner, 1995, p. 66

85
assez peu probable, dans la mesure où cette prière ne pourrait être accomplie qu'à de rares instants de
l'année où toutes les constellations invoquées seraient présentes simultanément et la lune et Vénus
absentes du ciel. Les connaissances astronomiques du IIe millénaire ne sont pas suffisamment
développées pour connaître cet instant exact. Si néanmoins tel était le cas, il faudrait comprendre cette
prière comme une exception utilisée dans un cadre unique ; on ne comprendrait pas, dès lors, sa
surprenante pérennité et survivance. Soit les dieux Sîn et Ištar désignent les personnalités divines
indépendantes de leur astre. En ce cas, les "dieux de la nuit" doivent avoir une qualité ou un pouvoir
particulier qui les rend indispensables au rituel de lecture des entrailles.
Dans le discours comme dans les gestes les "dieux de la nuit" semblent pourtant être crédités
d'un prestige très inférieur aux grandes divinités. Contrairement au dieu Šamaš, accompagné de ses
qualificatifs divins, ceux-ci ne sont qualifiés que de "grands" (ERM 15642, l. 14), qui définit dans ce
contexte leur statut surhumain, et non pas leur appartenance à la famille des "Grands Dieux"
DINGIR.GAL. Seuls deux "dieux" sont précédés du déterminatif DINGIR. Enfin, leurs actions vont
absolument à rebours de celles des dieux, couchés une fois la nuit venue. Rappelons enfin que nous ne
connaissons ni par l'archéologie ni par les sources écrites de culte théocentrique aux "dieux de la nuit",
autrement dit destiné à leur entretient. C'est donc nécessairement pour une caractéristique étrangère
aux démonstrations classiques du pouvoir divin que ces dieux sont invoqués ici.

2.1.2.1. Les étoiles, l'écriture et les dieux.

Il n'est pas demandé aux "dieux de la nuit" de "trancher" (parāsum) le cas ni de juger (diānum
ou dânu), ni aucune action propre exclusivement au champ lexical de la décision ou du pouvoir : leur
fonction est de "placer la vérité" (l. 24). En d'autres termes d'inscrire par des signes lisibles le résultat
du jugement prononcé pour le patient.
Nous avons souligné plus haut364 le lien fondamental unissant écriture et divination. Or, "si on
doit porter au crédit d'une divinité du troisième millénaire, quelle qu'elle soit, d'être intéressé par les
étoiles, ce serait Nisaba"365. Divinité du grain ainsi que de sa conservation et de l'écriture, deux
domaines par nature intimement liés, elle est le patron des scribes avant d'être remplacée peu à peu par
le dieu Nabû à partir de l'époque paléo-babylonienne qui l'éclipse totalement au premier millénaire.
Elle est associée au décompte des jours avec le dieu Sîn ce qui manifeste un lien avec les objets
astraux ; par ailleurs à d'Ereš, son sanctuaire principal, son temple est appelé l'É.MUL.MUL, "le
temple des étoiles". Elle se sert ces dernières comme messagères selon le cylindre A. de Gudéa (ix 9-
10). Elle possède enfin une tablette de lapis-lazuli appelée DUB MUL.AN, c’est-à-dire "la tablette des
étoiles du ciel". Cette conception se maintient en partie à l'époque paléo-babylonienne, notamment

364
Voir sous-partie 1.1.
365
U. Koch-Westenholz, 1995, p. 32

86
inscrite dans l'Hymne à Enlilbani qui nous a laissé un hymne à Nisaba qui reprend toutes ces
caractéristiques366.
Il existe donc visiblement un lien originel fort entre les astres et l'écriture. Au-delà de la
personnalité de Nisaba, ce lien s'exprime dans des expressions telles que šiṭir šamê, "ciel étoilé",
littéralement "écriture du ciel"367 et surtout, pour finir, par l'astrologie, science divinatoire qui suppose
l'existence de signes lisibles dans la configuration des astres.
Nous pouvons dès lors concevoir un lien de transitivité propre à de nombreuses manipulations
magiques : si d'un côté l'organisation des étoiles est une écriture divine liée à la divination, et que par
ailleurs, le devin cherche à obtenir un message écrit, inscrit dans une surface de lecture, en
l'occurrence les entrailles de l'animal, alors les étoiles peuvent par procédé magique intervenir dans ce
processus. Le fait que Nisaba soit une divinité ancienne n'est pas gênant, tant les racines de
l'haruspicine sont elles-mêmes archaïques "where extispicy is concerned, its earlier stage had been
described by Oppeinheim as one of folklore divination, a pre-written stage 'based on primitive and
unwritten practices' as opposed to the learned, scholarly tradition which produced the omen series"368.
D'autre part, il faut compter avec la permanence des actes et pratiques magiques. Ceux-ci sont si
profondément enfouis dans la culture d'une civilisation qu'il importe peu, finalement, que leur
justification originelle soit encore bien connue par l'officiant. Nous connaissons de nombreux
exemples de réadaptation d'un rite magique au système religieux en cours, notamment dans le cadre de
l'exorcisme369.

2.1.2.2. Les étoiles : "supérieures aux hommes, inférieures aux dieux"370.

Pour mieux comprendre le rôle des étoiles, il nous faut appréhender la pratique du devin.
Le verbe conjugué akarrabu à la première personne de l'inaccompli semble indiquer que l'agneau
(puhad) est encore en vie au moment où est récitée cette prière. Néanmoins, les actions précédentes
alternent parfait et l'inaccompli (voir l. 7 et 8) ; ces deux temps permettent de distinguer les actions qui
viennent de s'accomplir de celles qui sont en cours. Dès lors, l'inaccompli peut être compris comme un
présent si bien que le sacrifice de l'animal est certainement immédiat après la récitation. La présence
des astres à ce sacrifice n'est pas métaphorique. Ici, les constellations choisies permettent de
déterminer un cadre dans le ciel. Tout se passe comme si, grâce à l'exposition à la lumière des étoiles,
la chair de l'animal change de nature devenant apte à supporter l'écriture des dieux. De la même
manière, dans un rituel plus récent, STT 73371, les étoiles sous le nom de "dieux de la nuit" impriment
des signes sur une tablette vierge exposée à leur luminosité.

366
U. Koch-Westenholz, 1995, pp. 32-34
367
CAD, Š2, p. 146
368
I. Starr, 1983, p. 6
369
J. Bottéro, 1985, pp. 44-46
370
J. Bottéro, 1998, p. 136
371
E. Reiner, 1960, pp. 23-35

87
Ces pratiques nous évoquent nécessairement la magie astrale : "directly through astral
irradiation, they transform ordinary substances into portent one that will be effective in magic,
medecine, or ritual, as materia medica, amulets, or cultic appurtenances"372. Cette magie est largement
attestée jusqu'à la fin de la civilisation akkadienne. Elle participe par exemple aux rituels de
vivification des statues de culte, changement de nature du matériel à l'animé373. En un mot, les étoiles
offrent à ce qui leur est exposé un "supplément d'être" magique. Le terme "dieu" fait donc davantage
allusion à la nature des pouvoirs qu'à la nature de leur possesseur ; "les termes dingir / ilu avaient
d'abord marqué, moins le seul Divin proprement dit que tout ce qui, d'un côté ou d'un autre, surpassait
l'Humain, et avaient ainsi pu s'appliquer à des êtres supérieurs aux hommes communs"374. En ce sens,
les étoiles peuvent être comparées à d'autres objets aux pouvoirs surnaturels utilisés dans les rituels
mésopotamiens, le tamas, le cèdre, la montagne ou la rivière. "autant de phénomènes qu'on avait
intégrés au panthéon, lui fournissant des personnalités, de second rang, certes, et fort loin des 'Grands
dieux', mais à qui l'on recourait volontiers, voire souvent tenté de les rapprocher des dieux"375. C'est ce
qui explique dans nos prières l'absence de termes relatifs au jugement
Le devin ne fait pas référence à cette origine magique, absolument intégrée au système
religieux. Il existe un exemple comparable, l'assimilation d'un rituel magique médical aux croyances
religieuses. Nous disposons de deux copies de la même prière BAM 159 et BAM 578. Dans la
première l'ensemble des étoiles est invoqué (BAM 159 i 34) ; dans la seconde, seule la constellation de
la chèvre, associée à la déesse de la médecine Gula est invoquée (BAM 578 i 38-41)376. Agir devant
elle, c'est agir devant toutes les étoiles et invoquer, par une figure divine bien établie, l'ensemble des
astres aux pouvoirs archaïques. Dès le XVIIe siècle, on voit que l'invocation au pouvoir des étoiles est
détournée de la même façon comme l'indique la prière du devin à Ninsianna – la planète Vénus
divinée, dans laquelle le devin suppose à cette divinité un réel pouvoir de commandement. Dans les
prières médio-babyloniennes et néo-assyriennes, bien que la tradition des "dieux de la nuit" se
maintienne (STT 73), les devins invoquent parfois les dieux Sîn, Mardouk ou Ninurta - associés à la
Lune, à Jupiter et à Sirius377, comme si l'identification divine primait sur le pouvoir effectif concédé
aux astres. D'une façon remarquable, la tradition des prières paléo-babyloniennes est réadaptée à cette
période non pas à de tels rituels d'haruspicine, mais à l'usage de l'exorcisme.

372
E. Reiner, 1995, p. 15. La citation continue en montrant comment les "dieux de la nuit" sont aussi invoqués
pour obtenir une réponse fiable. L'auteur semble indiquer qu'il s'agit de deux pouvoirs différents, alors qu'il s'agit
selon nous d'un effet supplémentaire de ce pouvoir d'incubation magique.
373
E. Reiner, 1995, p. 140
374
J. Bottéro, 1998, p. 137
375
Ibid, p. 136
376
E. Reiner, 1995, pp. 52-53
377
J.-M. Seux, 1976, pp. 478-482

88
2.2. Les "dieux de la nuit" dans les exorcismes de la fin du IIe et du Ier
millénaires.

Les rituels que nous allons étudier reprennent, sous la forme d'une incantation, une partie de la
prière aux "dieux de la nuit" paléo-babylonienne. Pourtant, il ne s'agit plus ici de divination, mais
d'exorcisme. La fonction et les pouvoirs des astres ne peuvent donc plus s'expliquer par le même
raisonnement. Comment justifier le maintien des "dieux de la nuit" dans un contexte différent de leur
usage magique originel ? Nous étudierons d'abord leur fonction dans le cadre de ces exorcismes avant
de montrer qu'elle relève d'un changement de statut fondamental de cette famille divine, dorénavant
associée à des dieux du panthéon traditionnel.

2.2.1. Fondement et fonctionnement des exorcismes.

L'exorcisme est un rituel mésopotamien alliant une série de paroles (legomena) et de gestes
(drômena)378. Il est exercé sous la direction d'un professionnel, l'āšipu, ou exorciste. Le but de tout
exorcisme est de "dénouer" (pašāru(m)) le mal qui accable le patient. Cette pratique, d'origine
magique, est assimilée aux croyances religieuses à partir du IIIe millénaire. En conséquence, la cause
du mal est associée à une faute du patient (VAT 7445, l. 38) ; le mal lui-même est la punition prescrite
par les dieux au cours d'un jugement379 dont nous avons introduit la notion plus haut380. Nous en
trouvons de nombreuses références dans ces rituels : "[rendez un jugement] (et) prenez une décision"
(K. 2315+, l. 55) ; "consentement" (K. 3507, l. 20 ; VAT 7445 l. 32, 36). On trouve également le terme
de "réponse" (l. 48) que nous comprenons comme une synecdoque du jugement.
En akkadien, la "faute" et la "punition" sont intrinsèquement liées en un seul et unique
substantif, arnu(m). Le rituel d'exorcisme met donc en scène la dissolution de la faute et cherche à
obtenir, par ce biais une révision du jugement. Selon cette pratique, les "dieux de la nuit", associés à
d'autres divinités majeures du panthéon - Šamaš dans le rituel hittite, Nergal et Ereškigal pour K.
3507 – paraissent avoir acquis un véritable pouvoir de commandement et sont capables d'"efface[r] la
faute" (VAT 7445, l. 38 ; K. 3507, l. 22). Le terme paṭārum "défaire", utilisé ici, est particulièrement
symptomatique de cette fonction. Cet aspect des "dieux de la nuit" est bien documenté381, notamment
par le grand rituel d'exorcisme Maqlû382.
Nous proposons à présent d'analyser leur pouvoir et qualité à travers les deux grands types
d'exorcisme connus : prophylactique, destiné à se défaire d'un mal annoncé, et curatif, réalisé afin de
se délivrer d'un mal subi.

378
J. Bottéro, 1985, p. 43
379
J. Bottéro, 1998, p. 358
380
Voir sous-partie 1.1
381
Pour un exposé complet de l'invocation des étoiles dans le cadre apotropaïque et de la sorcellerie, se reporter
à l'ouvrage de E. Reiner, 1995 et particulièrement "Apotropaia", pp. 81-96, et "Sorcerers and Sorcesresses" pp.
98-118.
382
Voir annexe.

89
2.2.1.1. Namburbû contre les mauvais présages.

Le rituel de la tablette K. 2315+ est un namburbû, catégorie akkadienne héritée du sumérien


NAM.BÚR.BI, littéralement "sa dissolution", et traduit par "rituel de dissolution des mauvais
présages"383. Il s'agit d'un rituel "spécialisé dans l'annulation des malheurs prévus à partir des présages
de la Divination déductive"384. En effet, "the Babylonians were never so fatalistic to assume that one
could not escape from a disaster portended by a successfully interpreted omen. A portent merely
indicates one possibility: the calamity involved – illness, death, accident, or natural disaster – will only
occur if one does not take any action against it"385. En d'autres termes, le but de ce rituel est d'obtenir
une révision en appel du jugement divin annoncé pas des signes. Ces présages sont présentés sous la
forme d'une liste qui ne comprend que l'apodose ; on ignore donc précisément quelle sorte de mal
risque de toucher le patient. Par exemple : "le mal d'un renard qui est entré dans la maison" (l. 70)
désigne, en réalité, un malheur à venir annoncé par ce signe omineux. Ces signes relèvent de toutes les
familles divinatoires : haruspicine (l. 56), naissances monstrueuses – divination connue par le traité
Šumma izbu, manifestations extraordinaires dans la maison – répertoriées dans Šumma ālu, météorites,
rêves jugés immoraux et visions spectrales. Il est difficile de trouver un lien entre tous ces présages.
Nous supposons que l'ensemble de ces signes a un rapport avec le monde nocturne, bien que certains
liens ne nous apparaissent pas de façon transparente, comme par exemple le mauvais présage annoncé
par araignée filant sa toile dans une maison (l. 74). Pour la plupart, ces signes présentent un rapport
évident avec la nuit, ce qui justifie certainement l'invocation de divinités nocturnes.

2.2.1.2. Les rituels curatifs

Une fois le mal déclaré, les Mésopotamiens usent de l'exorcisme comme d'une discipline
complémentaire à la médecine. C'est le cas de VAT 7445 et K. 3507. Le rituel akkado-hittite vise à
délivrer un homme atteint par un mal divin, que G. Beckman386 a analysé comme un état dépressif
caractérisé par les insomnies dont souffre le patient. Le mal étant nocturne, il en va de même pour le
rituel, ce qui peut justifier l'invocation aux "dieux de la nuit".
Le rituel K. 3507 a pour but de délivrer une ville de l'emprise de la peste, comme nous
l'indique son titre (l. 7). Cette épidémie, à l'instar de l'ensemble des catastrophes naturelles, est
comprise comme une punition divine sanctionnant une faute. Puisque ce mal touche la communauté
entière, la faute doit probablement être le fait d'un personnage public, ce qui explique que cette tablette
appartienne à la bibliothèque d'Aššurbanipal. La peste est traditionnellement associée aux dieux

383
J. Bottéro, 1998, p. 74
384
J. Bottéro, 1985, p. 38
385
S. Maul, 1999, p. 123
386
G. Beckman, 2007, p. 69

90
Nergal ou Erra387 qui sont syncrétisés à la période paléo-babylonienne. Cette arme divine fait d'ailleurs
l'objet d'une épopée du Ier millénaire. Nergal est invoqué ici en compagnie de la reine des Enfers
Ereškigal (l. 6), qui devient sa parèdre au cours du IIe millénaire. Il existe un autre rituel nocturne, une
prière à Mars identifié comme le dieu Nergal, adressée par le roi babylonien Šamaš-šumu-ukīn388 ce
qui semble indiquer qu'il s'agit de la procédure classique à l'époque.
Il existe un lien entre la peste et la nuit. En effet, le dieu Nergal est avant tout le roi des Enfers
qui partagent de nombreuses caractéristiques avec la nuit. Dans la descente d'Ištar aux Enfers, ceux-ci
sont appelés "la maison obscure" (l. 4) ; "on n'y voit nulle lumière" (l. 9)389. Les démons matérialisent
la jonction entre ces deux mondes : vivant dans les Enfers, ils ont la capacité de remonter à la surface
de la terre une fois la nuit tombée, soit par la porte Ouest que Šamaš, en quittant le ciel, a laissée
ouverte (Utukkū lemnūtu 4 : 1-6), soit par la porte Est, entrainés par le mouvement des étoiles390. Cela
suffit à G. Beckman pour affirmer que l'invocation aux "dieux de la nuit" est contingente à la
temporalité nocturne du rituel391. Pour nous, une question fondamentale demeure : pourquoi ne pas
invoquer plutôt le dieu de la lune Sîn ou Ištar, divinité de la planète Vénus qui disposent d'un statut
assez proche de Šamaš ? Pourquoi les "dieux de la nuit" sont-ils ici privilégiés?

2.2.2. Les marques de dévotion : une divinisation parfaite des dieux de la nuit ?

2.2.2.1. Dévotion rhétorique aux "dieux de la nuit".

Nous avions montré que les "dieux de la nuit" des prières anciennes n'ont de divin que le
titre : ils ne sont ni personnifiés ni anthropomorphisés, ils agissent à rebours des grands dieux et n'ont
aucune personnalité propre. Dans ces incantations, les "dieux de la nuit" font au contraire l'objet d'un
discours équivalent à ce qu'on trouve dans des prières plus classiques.
Les incantations rappellent d'abord leur ascendance divine : les "dieux de la nuit" sont décrits
comme le fruit de la création d'Anu, Enlil et Enki (VAT 7445 l. 37), ce qui rejoint l'introduction du
grand traité d'Astronomie l'Enūma Anu Enlil (EAE 1 : 1-4)392. Le verbe banû utilisé ici originellement
lié à l'action manuelle mais également utilisé dans les manipulations vivificatrices : c'est le terme
utilisé dans l'anthropogonie (mais également dans certaines théogonies393), ainsi que la création des
statues de culte. Ce verbe a également le sens "d'engendrer"394, d'où son utilisation dans l'onomastique.
Cette ascendance est doublée de louanges, également très caractéristiques de la dévotion due
aux dieux. Ils sont philanthropies et secourables, (K. 3507, l. 21), "favorables" (K. 2315+, l. 24), ils

387
B. Foster, 2005, pp. 880-911
388
E. Reiner, 1995, p. 22
389
Translittération P. Lapinkivi, 2010, p. 9, traduction personnelle.
390
P. Steinkeller, 2005, p. 20, note 22
391
G. Beckman, 2007, p. 80
392
Voir annexe.
393
CAD, B, p. 88
394
CAD, B, p. 87

91
viennent "[au] secours" (VAT 7445 l. 47) des hommes et leur accordent "la dignité" (K. 3507, l. 21).
Ils partagent avec Šamaš, dieu de la justice, la capacité de soulager les innocents (K. 2315+, l. 29). Ils
se mettent enfin au service des hommes : "depuis la nuit des temps, leur consentement est accordé" (K.
3507, l. 20) et sont capables d'exaucer les veux : "qui pense pieusement à vous obtiendra (ce qu'il)
désire […]" (K. 3507, l. 19). En divinités souveraines, ils peuvent choisir "d'accorde[r] [leurs] faveurs"
(K. 2315+, l. 43). Ces qualités sont somme toute très courantes dans les hymnes et prières et
constituent le fond élogieux nécessaire pour flatter les divinités.
L'homme doit traiter les "dieux de la nuit" de façon soumise et révérencieuse : il faut "pense[r]
pieusement" (K. 3507 l. 19 et 20, K. 2315+, l. 22) à eux pour voir ses désir se réaliser, les rechercher à
tout instant et s'en remettre à eux, qui sont "scrutés (de loin)" (K. 3507, l. 11). Des figures stylistiques
et rythmiques soulignent le lien de causalité et de nécessité qui unit les bienfaits obtenus et à
l'hommage rendu par les hommes ; à la déclaration : "Je vous ai glorifié dans l'assemblée de la
totali[té]" (l. 34) répond l'expression "je vous ai honoré" qui conclue la description des offrandes (l.
54).
Ces procédés rhétoriques montrent que les astres sont traités comme s'ils étaient de véritables
dieux. Nous sommes pourtant loin des dithyrambes tels que nous les trouvons par exemple dans
l'Hymne à Šamaš : ils demeurent, ici encore, d'une nature inférieure aux grands dieux.

2.2.2.2. Les offrandes aux "dieux de la nuit".

L'étude des offrandes nous permet de distinguer ce qui relève de la rhétorique du culte de la
pratique. Dans ces rituels, les astres bénéficient d'offrandes, ce qui n'était pas le cas dans les prières
paléo-babyloniennes. Celles-ci sont avant tout alimentaires et dans une large mesure végétariennes
(K. 3507 l. 25- 26). La prière K. 2315+, l. 45-52 comprend une longue liste de sacrifices introduite par
l'évocation de la déesse Nisaba qui va présider à l'offrande. Le sacrifice qu'on fait aux astres est digne
des "grands dieux" (l. 45). Il est "pur" (l. 46), composé d'offrandes sacrées diverses : des aromates (l.
47), des boissons (trois types de bière différents (l. 48-50), un sacrifice animal (l. 46) et, enfin, des
parures de luxe, des anneaux d'or et d'argent (l. 52). La raison d'être de l'offrande repose sur le service
des dieux ; elle a pour but de combler leurs besoins : ici ils doivent se nourrir et peuvent se parer si
bien que les "dieux de la nuit" doivent être conçus de façon animée, voire anthropomorphisée, au
moins inconsciemment.
A travers les paroles et les actes, l'image des "dieux de la nuit" est celle de divinités à part
entière. Nous ne comprenons pas, dès lors, pourquoi ces divinités ne font l'objet d'aucun culte
théocentrique en Mésopotamie, même à cette période récente. Il y a là un véritable paradoxe que nous
allons tenter de résoudre en comparant le pouvoir des astres dans nos documents à des sources
extérieures.

92
2.2.3. Les astres : intercesseurs à l'"image des grands dieux".

2.2.3.1. Des dieux intercesseurs : l'influence des disciplines astrales.

Parmi les différents pouvoirs accordés aux "dieux de la nuit", nous voulons souligner leur
fonction d'intercesseurs entre les hommes et les dieux : ils "élev[ent]" (K. 3507, l. 23 et 24) la prière
du patient. Ils se substituent ou doublent les dieux personnels, nécessaires médiateurs, et ont un rôle
comparable aux solliciteurs des procès. L'homme leur demande leur témoignage et leur aide afin
d'assouplir le premier jugement des grands dieux. Ce rôle est notamment exprimé par la formule
išapparkunūši ilu ana amēli amēlu ana ili : "le dieu vous envoie à l'homme (et) l'homme au dieu"
(KAR 38 : 25!395).
L'origine de cette conception est certainement liée au succès des disciplines astrales.
L'astrologie est l'un des aspects de la culture babylonienne les mieux connus, transmise notamment
dans Le livre de Daniel par l'expression "sagesse des Chaldéens". Les bibliothèques royales néo-
assyriennes sont constituent nos principales sources de documentation de ce trait culturel396 : "a unique
wealth and diversity of sources allows us to see not only the most developed phase of traditional
Mesopotamian astrology but also its practical application in state affairs"397. Les observations
astrologiques sont régulièrement validées par des consultations d'haruspicine, ce qui fait écho à
l'utilisation des astres dans les rituels d'haruspicine péléo-babyloniens. Selon les prescriptions du
"manuel du devin" traduit par A. L. Oppenheim : "the signs on earth just as those in the sky give us
signals./ Sky and earth both produce portents /though appearing seperately, they are not separable
(because) sky and earth are related" (ll. 38-40)398.
Cet art divinatoire suppose que les étoiles indiquent la volonté des dieux "as such, celestial
objects, as in the case of all omens from natural signs, became physical mediators between human
beings and the gods"399. En tant qu'intercesseurs, les "dieux de la nuit" ne jugent donc pas
personnellement le cas du patient, ce qui explique qu'ils sont qualifiés de "silencieux"(VAT 7445, l. 40
; K. 3507, l. 9).

2.2.3.2. Les "dieux de la nuit" identifiés aux grands dieux.

La liste des étoiles de K. 2315+ est paradoxale : il est impossible que l'ensemble des astres
invoqués soient réunis de façon simultanée dans le ciel nocturne. Le cas le plus impressionnant est la
démultiplication de la planète Jupiter. Celle-ci est invoquée par trois fois : sous le nom de Šulpae,
évoquant le patronage d'une divinité ancienne de la fertilité ; sous celui de Nēberu, ou "le guet", nom

395
Translittération : R. Caplice, 1970, p. 127.
396
Ibid, p. 234
397
U. Koch-Westenholz, 1995, p. 51
398
A. L. Oppenheim, 1974, p. 204
399
F. Rochberg, 2009, p. 65

93
de Jupiter en position zénithale relatif à la création, à l'organisation et à la répartition des astres par
Marduk (Ee 5 : 6) ; sous celui d'"étoile de Marduk", sanctionnant une relation de patronage. On
observe d'ailleurs que dans cette liste, de nombreuses étoiles ne sont pas invoquées par leur nom mais
par celui d'une divinité tutélaire. Si Ištar est bien sûr liée à sa planète Vénus, il est étonnant de voir que
le dieu soleil, Šamaš, se voit également attribuer le commandement d'un astre nocturne, à savoir
Saturne.
Le lien qui unit les grandes divinités aux "dieux de la nuit" est explicité par un récit
mythologique dans l'Epopée de la création, qui affirme que les constellations ont été agencées afin de
reproduire "l'image parfaite" des grands dieux (Ee 5 : 1-2). "L'image" ne doit pas être comprise à
travers la signification actuelle que nous prêtons à ce mot, simple projection, reflet inopérant. Au
contraire "celestial bodies are of interest for their visible appearances as images of gods, manifesting
their agency in the physical world"400. De fait, dans la religion mésopotamienne, les dieux sont
réellement présents dans leurs sanctuaires et sont effectifs par l'intermédiaire de leurs images, les
statues de culte. En ce sens, il est possible d'établir un rapprochement entre les astres et les statues :
cette vision est relayée dans une incantation du corpus Uttukū Lemnūtu qui décrit la réaction de
panique des dieux, se retirant de la terre et des étoiles pour se protéger, dans les cieux supérieurs du
ravage des démons401.
A partir de cette identification, on remarque que les textes les plus récents n'hésitent pas à faire
correspondre étroitement un astre à un dieu particulier qui le dirigerait : "à partir d'une certaine époque
– mettons entre le IIe et le Ier millénaires -, pour des raisons à nos yeux obscures, [de] donn[er] à
chaque dieu un astre, ou une constellation pour symbole et image"402. Cette conception est exprimée à
travers des listes systématiques du type :
La constellation de la Charrue : Aššur
La constellation du Loup : Anu
La constellation du Roi : Marduk
La constellation des Grands Gémeaux : Sîn et Negal403 …
Nous avons, en conséquence, présenté en annexe les connexions existant entre les constellations
invoquées dans nos textes et leur grand dieu tutélaire.
L'adéquation entre les dieux et les étoiles au premier siècle est sanctionnée par de nouvelles
pratiques culturelles. Les souverains néo-assyriens diffusent la coutume de prêter serment la nuit, face
aux astres404 : l'engagement est dès lors pris en face de l'assemblée entière des dieux. Dans son
ouvrage sur la magie astrale en Mésopotamie, E. Reiner déclare "I had surmised, wrongly, in my
discussion (JNES 19 28) that 'divine judges' designate Šamaš and Adad, the patrons of the diviner" et

400
Ibid, p. 64
401
Voir notre traduction de ce passage en annexe.
402
J. Bottéro, 1998, p. 147-148
403
E. F. Weidner, 1915, p. 51
404
U. Koch-Westenholz, 1995, p. 118

94
corrige son erreur en rattachant désormais cette expression aux "dieux de la nuit"405. Après avoir mené
notre analyse sur les "dieux de la nuit", nous pouvons conclure en affirmant que chacune des
traductions proposées comprend sa part de vérité. Certes, l'incantation nocturne s'adresse aux astres,
mais derrière ces derniers, c'est l'attention des grands dieux juges, au sommet desquels se trouve
Shamash accompagné d'Adad, maîtres de la divination, qui est recherchée.

Conclusion
Nous avons ici recherché les causes religieuses du maintien de la prière aux "dieux de la nuit".
D'une façon paradoxale, les "dieux de la nuit" changent de fonction et de pouvoir entre les prières
originales et les rituels d'exorcisme de la fin du IIe et du Ie millénaires. Selon des conceptions
archaïques, les étoiles sont des puissances magiques, surhumaines. La lumière astrale est jugée capable
de transformer la matière et est utilisée dans de nombreux rites magiques. L'haruspicine, même
intégrée au cadre religieux a conservé cette mise en scène rituelle et prescrit l'incubation de la chair de
l'animal afin qu'elle change de nature et devienne le support de la notification des jugements divins. La
divinisation des "dieux de la nuit" est rhétorique et cherche avant tout à noter leur état particulier par
essence supérieur à l'homme.
Dans un second temps, au plus tard – mais sûrement bien avant – au XIIe siècle, les
constellations acquièrent une nouvelle nature exprimée comme "l'image parfaite" des dieux dans
l'Epopée de la création (5 : 2). Ce changement est très certainement encouragé par l'essor des
disciplines astrales. La prière de Hattussa VAT 7445 "représente donc un témoins intermédiaire des
XIIIe-XIVe siècles entre les prières de la première dynastie babylonienne […] et les prières
assyriennes"406 ; pour la première fois à notre connaissance, les "dieux de la nuit" interviennent dans le
jugement divin. En tant qu'image des dieux, ils ont "pris quelque chose de la nature et des privilèges
des divinités censées Les animer et les gouverner. Aussi Leur reconnaissait-on des pouvoirs
surnaturels, et les priait-on"407. Les astres, comme les dieux, sont portés par un élan philanthrope vers
les hommes. En revanche, leur pouvoir semble confiné au rôle d'intercesseur : si elles voient tout, les
étoiles demeurent silencieuses et c'est toujours aux grands dieux que revient le jugement final.

405
E. Reiner, 1995, p. 73, note 302
406
G. Dossin, 1935, p. 184
407
J. Bottéro, 1998, p. 136

95
Conclusion
Les prières aux "dieux de la nuit", dans les versions paléo-babyloniennes, sont des documents
célèbres très souvent mentionnés. On les retrouve dans les ouvrages relatifs à la culture
mésopotamienne, tant religieuse que scientifique, à destination d'un large public mais aussi dans des
travaux extrêmement spécialisés. La version de la tablette ERM 15642 est distinguée par J. Bottéro au
cours de son exposé sur le caractère "auguste et émouvant" des prières : "il faut ici en citer au moins
une, non seulement pour illustrer la religiosité profonde, et qui nous touche encore, de la divination
déductive, mais parce qu'on y respire une grande sérénité, une piété grave et une noble poésie" 408. Dès
la première lecture, on est touché par son aspect littéraire très particulier qui la démarque des autres
prières. De plus, on est saisi par ce paradoxe : cette prière très célèbre invoque sous le nom de "dieux
de la nuit" un ensemble de divinités qui n'appartiennent pas aux grandes figures du panthéon
traditionnel. Qui sont ces dieux ? Pour quelles raisons sont-ils préférés ? Le hasard des fouilles et de la
mise au jour des documents aurait très bien pu laisser en suspens ces questionnements légitimes. Les
"dieux de la nuit" seraient restés les personnages d'une tradition secondaire, la production d'un devin
inspiré. Mais au contraire, cette prière est caractérisée par une surprenante pérennité. Et pour mieux
souligner cette continuité, nous avons sélectionné un corpus de textes se rattachant avec certitude à ce
courant de tradition, suivant deux critères : d'une part l'invocation des dieux sous la forme d'une liste
d'étoiles, d'autre part la présence d'une description lyrique du cadre nocturne.
Nous avons cherché à savoir les raisons de la survivance de ces prières atypiques, par quels
moyens elles ont été conservées et les causes de leur succès.

La première partie de notre travail est une approche philologique des documents. Le corpus de
prières que nous avons défini peut être divisé de façon chronologique et géographique en trois
groupes. Nous avons d'abord travaillé sur des documents paléo-babyloniens qui constituent les
ascendants de l'ensemble de nos textes. Nous disposons de deux copies équivalentes et quasi-
identiques, fait unique dans ce contexte, preuve du grand succès des prières aux "dieux de la nuit" dès
l'époque de ses premières attestations. Il est difficile de donner une origine précise à ces textes,
composés à la fois d'un poème et d'une prière ; en tant que pièces classiques, ils peuvent appartenir à
un fonds de documents d'un devin-barû ou relever de la production des apprentis scribes d'une école.
Le texte VAT 7445, un rituel contre la dépression, est issu d'une des bibliothèques de
Hattussa. Ce document témoigne du succès de la culture littéraire et religieuse mésopotamienne dans
les zones périphériques. L'ensemble des rites manuels est prescrit en hittite pour la bonne
compréhension de l'exorciste tandis que les rites oraux sont inscrits en akkadien d'un très bon niveau.

408
J. Bottéro, 1998, p. 353

96
Il s'agit d'un trait rare, preuve d'une collaboration entre savants. Par ailleurs, ce document est la
première attestation de la tripartition du ciel associée aux grandes divinités Anu, Enlil et Ea,
conséquence du succès croissant des disciplines astrales.
Le dernier ensemble de texte est constitué des textes issus des bibliothèques de Ninive. La
prière aux "dieux de la nuit" est intégrée à des rituels qui sont très certainement à l'usage du roi, et
gardés par lui dans sa bibliothèque, comme le révèle le colophon de la tablette K. 3507. Les tablettes
datent donc des environs du règne d'Aššurbanipal (668-627). Les textes sont écrits dans la langue
babylonienne standard par des signes néo-assyriens, bien que certaines déformations laissent supposer
une origine néo-babylonienne des documents. Ces rituels, bien plus détaillés que les prières du devin
paléo-babyloniennes, reprennent le topos de la description nocturne de leurs modèles antiques dans
des documents à l'usage très différent. Nous ignorons le but du premier rituel, K. 10659, très
endommagé. La tablette K. 3507 comporte un rituel contre la peste, le dernier, K. 2315+ est
namburbû, un destiné à se prémunir contre les mauvais présages. Ces documents sont compilés à
partir de sources disparates, certainement par des scribes différents, ce qui ne fait que confirmer le
succès et la trace laissés pendant plus de mille ans par ces prières aux "dieux de la nuit", témoins de la
diffusion de la culture babylonienne dans le reste de la Mésopotamie et ses zones limitrophes à partir
du IIe millénaire409.

Nous avons cherché, dans la seconde partie, à expliquer les raisons de cette conservation
suivant deux approches, d'une part littéraire, d'autre part religieuse.
L'approche littéraire s'impose à cause des particularismes des prières nocturnes dans les
poèmes paléo-babyloniens. La description du cadre sort complètement de la nécessité effective de la
prière. Par ailleurs, le thème de la nuit et le mode de description diffèrent de ce que nous connaissons
de la culture littéraire mésopotamienne. En ce sens, A. L. Oppenheim n'hésite pas à définir cette œuvre
de véritable "chef d'œuvre" de la littérature akkadienne410.
Nous avons ensuite cherché dans la forme littéraire des "nouvelles prières" de la fin du II e et
du Ier millénaire les aspects hérités la tradition paléo-babylonienne et leurs variations. Notre étude a
montré comment les scribes sont avant tout des compilateurs dont le travail consiste à puiser dans des
sources anciennes et diverses la matière de leur création. En ce sens, les éléments repris des prières
aux "dieux de la nuit" forment un véritable topos littéraire maintenant vivant ce courant de tradition.
Nous disons "vivant", car il n'est pas question pour les scribes de garder l'héritage babylonien intact,
immobile, stagnant dans un traditionalisme d'un autre âge. En ce sens, notre remarque est cohérente
avec ce que nous savons des représentations religieuses en général, exprimé par J. Bottéro à propos
des croyances cosmogoniques :

409
U. Koch-Westenholz, p. 44
410
A. L. Oppenheim, 1959, p. 300

97
"à l'origine de ces exposés, à la fois si fidèles à quelques idées générales, et si libres
dans leur articulation et leur remplissage, on doit poser, non pas des textes normatifs,
que chaque auteur aurait plus ou moins recopiés, ou même dans lesquels il aurait puisé
une 'doctrine', mais des thèmes d'inspiration – écrits ou de tradition orale, peu importe –
sur lesquels, selon les buts que l'on poursuivait, on pouvait broder à son aise. Une
différence foncière de plus avec notre propre mentalité traditionnelle, si rigoureuse et,
pour tout dire en un mot, dogmatique"411.
En effet, ces textes relèvent certainement d'une nouvelle conception du monde, moins corporatiste,
plus individuelle, au sein de laquelle l'observation des phénomènes naturels tend à devenir un thème
religieux et littéraire à part entière. Pour nous, l'intérêt fondamental de cette analyse est la notion de
"tradition" abordée à travers des exemples concrets de réappropriation des thèmes grâce au recours
aux mots-clefs et à la modernisation du langage.
Bottéro conclut : "what our prayer should teach us is not that there were poets in Mesopotamia
as well as elsewhere, but that their creations could, under certain favorable circumstances, reach the
level of the written literary tradition"412. En ce sens, et nous partageons cet avis, l'aspect littéraire des
prières paléo-babyloniennes justifient leur pérennité.

L'approche religieuse s'intéresse à la personnalité et au pouvoir des "dieux de la nuit". Pour


mieux comprendre les moyens et les modalités de conservation de ces prières, nous avons donc
proposé une analyse chronologico-thématique. Les prières paléo-babyloniennes sont des ikribū, prières
du devin qui détonnent avec la tradition la plus connue. Au lieu de s'adresser aux dieux patrons de la
divination, Šamaš et Adad, elles se tournent vers un groupe de divinités moins prestigieuses représenté
par les astres. Nous expliquons ce phénomène par des raisons pratiques. La nuit est propice à un
ensemble de pratiques religieuses et rituelles, dont la consultation oraculaire. Le recours aux "dieux de
la nuit" est selon nous l'héritage d'une pratique magique ancestrale. Cette dernière accorde aux étoiles
le pouvoir de modifier la matière par l'exposition à leur rayonnement. Cette pratique d'origine magique
a été intégrée au système religieux. Néanmoins, les astres n'atteignent pas la dignité divine à
proprement parler. Privés de parole, ils ne rendent pas de jugement, leur rôle est d'inscrire une réponse
fiable dans l'animal sacrifié, et non de trancher le cas du patient.
Les incantations plus récentes qui s'inspirent de la tradition paléo-babylonienne donnent à voir
une image modifiée des "dieux de la nuit". En tant que puissances purificatrices incluses dans les
rituels d'exorcisme, ils se comportent comme des solliciteurs de l'humanité auprès des dieux, un rôle
comparable à l'intercession des saints catholiques – au-delà de l'anachronisme évident. Les étoiles, qui
voient tout et savent tout, deviennent les yeux des grands dieux, capables d'infléchir leur jugement et
de modifier le sort subi ou à venir pour le patient. Il est extrêmement difficile d'expliquer le

411
J. Bottéro, 1985, pp. 327-328
412
A. L. Oppenhiem, 1959, p. 301

98
changement d'une croyance religieuse. Il est néanmoins certain que l'émergence et le succès des
disciplines astrales à partir de la fin du IIe et surtout au Ier millénaires413 ont contribué à l'essor des
"dieux de la nuit". Ce changement de rôle est exprimé dans diverses œuvres littéraires : les astres sont
en effet considérés à partir de la fin du IIe millénaire – selon les textes, comme des "images des grands
dieux" (Ee 5 : 2). Ils sont dorénavant régulièrement assimilés aux divinités qui les dirigent, si bien
qu'on observe au cours de l'empire néo-assyrien l'émergence de la pratique de prêter serment devant
les étoiles414, représentantes physiques des grands dieux, comparables en quelque sorte aux statues de
culte.
Nos conclusions reposent sur un état fragmentaire des sources et sur un corpus très restreint. Il
convient de ne pas définir de façon trop tranchée ces deux relations aux astres qui relèvent de
traditions et régimes de croyance distincts, magiques et religieux. A la période néo-assyrienne, de
nombreux rites continuent à utiliser la puissance magique attribuée aux étoiles, notamment dans le
cadre de la médecine415. D'autres confondent les deux croyances, magiques et religieuses, si bien qu'on
assiste à la diffusion des ikribū nocturnes adressés à un astre invoqué par le nom de sa divinité
tutélaire416. L'exemple le plus frappant de cette superposition de tradition est le rituel STT 73417, qui
présente les "dieux de la nuit" comme les ilū dajānū ina šamê ellūti, les "dieux-juges des purs cieux".
Cette définition assimile complètement les astres à leur divin patron. Dans un même temps, la radiance
des étoiles est utilisée dans un rite magique, visant à imprimer sur des tablettes d'argile les messages
des grands dieux.

En résumé, pour E. Reiner, le succès des prières aux "dieux de la nuit" s'explique par l'aspect
littéraire exceptionnel de la prière : "we should not discard the possibility that the text survived not
only due to its practical usefulness but in some measure also to its poetic merit, as Oppenheim has
suggested. To its lyricism our own sensibility responds, even though in the later and more elaborate
prayer the nocturnal setting has become a topos and lost the direct personal, emotional tone, a feature
that seems to have been censored by first-millennium taste"418. Quant à nous, nous retiendrons
l'explication religieuse : la longévité de ces prières sur plus de mille ans s'explique par l'émergence et
la diffusion des disciplines astronomiques et astrologiques. Celles-ci ont modifié l'identité des "dieux
de la nuit" : paradoxalement c'est grâce à ce changement que nous expliquons la pérennité de ces
prières.

413
U. Koch-Westenholz, 1995, p. 51
414
U. Koch-Westenholz, 1995, p. 118
415
Ibid, pp. 43-60
416
J. Nougayrol, 1963, p.381 note 1
417
E. Reiner, 1995, p. 73
418
Ibid, p. 67

99
100
Annexes

1. Copie des tablettes étudiées. ........................................................................................... 102


1.1. Document 1 : Copie d'ERM 15642, W. Horowitz, 2000, p. 197, fig.1. .................. 102
1.2 Document 2 : Copie d'AO 6769, G. Dossin, 1935, pp. 182-183. ............................ 104
1.3 Document 3 : Copie de CBS 574, M. Stol, 1987, pp. 383-388. .............................. 106
1.4 Document 4 : Copie de VAT 7445, A. Bollacker, 1922, n°47. ............................... 107
1.5 Document 5 : Copie de K. 3507, M. Sidersky, 1929, pp. 786-787. ........................ 108
2. Cartes de la répartition des archives et bibliothèques en Mésopotamie. ........................ 110
3. Tableau des correspondances astronomiques. ................................................................ 112
4. Tableau des figures stylistiques. ..................................................................................... 118
5. Extraits divers. ................................................................................................................ 123
5.1 Extrait du rituel d'exorcisme Maqlû ........................................................................ 123
5.2 Extrait de l'Enūma Anu Enlil ................................................................................... 124
5.3 Extrait de l'Enūma eliš ............................................................................................. 124
5.4 Extrait d'Utukkū lemnūtu ......................................................................................... 124
5.5 Extrait de l'Epopée de Gilgameš, version standard ................................................. 125
5.6 Extrait de l'Hymne A à Šulgi ................................................................................... 125

101
1. Copie des tablettes étudiées.

1.1. Document 1 : Copie d'ERM 15642, W. Horowitz, 2000, p. 197, fig.1.

102
103
1.2 Document 2 : Copie d'AO 6769, G. Dossin, 1935, pp. 182-183.

104
105
1.3 Document 3 : Copie de CBS 574, M. Stol, 1987, pp. 383-388.

106
1.4 Document 4 : Copie de VAT 7445, A. Bollacker, 1922, n°47.

107
1.5 Document 5 : Copie de K. 3507, M. Sidersky, 1929, pp. 786-787.

108
109
2. Cartes de la répartition des archives et bibliothèques en
Mésopotamie.

Sources : O. Pedersén, 1998, p. 13, 128

110
111
3. Tableau des correspondances astronomiques.
Nous avons réalisé ces tableaux pour les étoiles particulières de nos textes. Les astres, planètes
et constellations sont classés en fonction de leur nom, tel qu'il apparaît dans nos documents : soit en
sumérien, soit en akkadien. Lorsque les textes alternent les écritures, nous avons choisi l'entrée
sumérienne, la plus répandue. Les lectures des idéogrammes reposent sur l'ouvrage général de
R. Borger419 et sur le lexique spécialisé de P. Gössmann420. Dans le cas des étoiles de la liste du texte
VAT 7445, la lecture proposée est une compilation des identifications d'E. Weidner421, de D.
Pingree422 et de G. Beckman423. Nous avons choisi de traiter cette liste à part pour en souligner l'aspect
singulier : l'orthographe particulière sumérienne syllabique et les identifications propres au contexte
hittite. Enfin, nous l'isolons afin de mieux la comparer à la liste des étoiles de l'astrolabe B, section A.
Afin de mieux comparer ces deux listes, nous avons conservé l'ordre selon lequel les astres sont
invoqués dans ce rituel.
La traduction de l'akkadien a été réalisée avec l'aide des ouvrages cités et du CAD.
L'association proposée pour la plupart des astres et constellations reprend le travail de K. Kolev424
réalisé à partir de listes stellaires tel que :
A = Astrolabe B, section B
Aa = Astrolabe B, section A
B = BM 82923
M = MUL.APIN
L'ensemble de ces textes est postérieur à la période paléo-babylonienne. La liste appelée "astrolabe B"
est un document médio-assyrien, dont on connaît une origine médio-babylonienne (fin du
IIemillénaire). La liste BM 82923 est un document de la deuxième moitié du premier millénaire425 ; la
composition finale de MUL.APIN date des environs du VIIe siècle. Ces associations sont donc
particulièrement valables pour les textes néo-assyriens K. 10659, K. 3705 et K. 2315+.
L'identification des constellations actuelles repose sur l'ouvrage de P. Gössmann, actualisé par
les travaux de H. Hunger et D. Pingree426 et de K. Kolev427. Ces études ne se recoupent pas
nécessairement, si bien qu'au risque d'alourdir la lecture, nous avons cru bon de donner l'ensemble des
identifications possibles actuelles. Nous avons également donné par moment des indications sur
l'aspect remarquable d'un astre ou d'une constellation.

419
R. Borger, 2003
420
P. Gössmann, 1950
421
E. Weidner, 1957, pp. 73-74
422
E. Reiner, D. Pingree, 1981, p. 2-3
423
G. Beckman, 2007, p. 73
424
K. Kolev, 2013, pp. 268-270
425
H. Hunger, D. Pingree, 1999, p. 53
426
H. Hunger, D. Pringree, 1999
427
voir note 6

112
Tableau n° 1/ : liste générale des astres et constellations

Nom Traduction et association Identification actuelle

mul
a/e-ri-tú Arītum : "Canal". Vénus aux mois d'Avril / Mai.

A cause d'une probable erreur,


Gössmann, n°40 on le trouve son le nom erītu
(femme enceinte) dans le texte
K. 2315.
mul d
AMAR.UTU Marduk. Planète Jupiter.

Gössmann, n° 260
mul
AŠ.GÁN Ikû : "Arpent, champ" Astérisme du carré de Pégase
Association : α,β,γ Pegasi + α Andromedae.
Borger, n°174 - "siège d'Ea" (M).
Gössmann, n°193
mul
ba-aš-mu-um Bašmum : "Vipère". Constellation de l'Hydre ?
(voir NIN.GIS.ZI.DA) Equivalente au "serpent" ?
Associations :
- Ningišzida (A / M).
- Ištaran, Anu (B).
mul giš
BAN Qaštum : "L'arc". δ, ε, σ, ω Canis Majoris + ρ, ξ
qá-aš-tum Association : Puppis.
- Ištar élamite, sous sa
représentation guerrière
(A / M).
qá-aš-tum e-la-ma-tum "Arc élamite" : soit équivalent,
soit elamātum est une
428
Borger, n° 685 constellation à part .
Gössmann, n° 47
d
BIL.GI Girra - dieu du feu. Planète Mercure ?
Planète Mars ?
Dieu associé aux grands ou
Borger, n°313 exorcismes (Maqlû 2 : 114- α Scorpii =Antares.
Gössman, n°253 121).
Il n'est invoqué que dans les
prières paléo-babyloniennes.
mul
BIR = ELLÁG Kalītu : "Rein" Constellation de la Poupe
- Ea (A). ou ζ Puppis = Naos.
Borger, n° 643 - Anu, Enlil et Ea (B).
Gössman, n°56
mul
DIL.BAD "Celle qui brille". Planète Vénus.
Borger, n°1 Associée à Ištar (B).
Gössmann, n°109
mul
EN.TE.NA.MAŠ.LUM Habaṣirānu : "souris" ou "rat". Constellation du Centaure.
- Ningirsu (A / M).
Borger, n° 164 - une arme cosmique (B).
(lu EN.TE.NA.BAR.HUZ)
Gössmann, n°123, 179

428
C. Walker, 1983, p. 147

113
mul
GA.GA ? Kakka, dieu d'origine ouest- ?
sémitique, connu a Mari et en
Borger, n°491 Assyrie, page d'Anšar (Ee 3 : 2-
3)429.
mul giš
GIGIR Narkaptu : "Chariot". Plusieurs identifications
possibles autour de la
constellation du taureau :
Borger, n°760 ε, γ Gemironum +β, ζ Tauri
Gössmann, n°89 Ou Persée + A, u, x, φ, ψ
Tauri430.
d
IR.RA Erra, dieu syncrétisé à Nergal, ?
(voir mulKA5.A) seigneur des Enfers.
mul
KA5-A Šēlebum : "renard". 80 Ursae Majoris = Alcor
Associations : ou 86 Ursae Majoris.
- Erra (M).
Borger, n°570 - "Le seigneur qui tue"
Gössmann, n°205 (B).
d
ku-sa-ri-ku Kusarikku : "Bison". Constellation d'Opchiuchus +
gu4
A.LIM / gu4ALIM queue du Serpent ?

Borger, n°703 / 839


Gössmann, n° 76
mul
MAR.GÍD.DA Eriqqu : "chariot, wagon" Constellation de la Grande
Associations : Ourse.
- Ninlil (A / M).
Borger, n°483 - "la Dame" (B).
Gössmann, n°259
mul
MAŠ.TAB.BA Mašātu : "Jumeaux". Constellation des Gémeaux
Associations : ou selon associations :
- Lulal et Latark (M). - α + β Canis Minoris
- Sîn et Nergal (les - α + β Gemini
grands jumeaux) (B).
- Lugalgirra et - ζ + λ Gemini.
Borger, n°120 Meslamtaea (A).
Gössmann, n° 267
mul
MU.SÍR.KÉŠ.DA Nīru raksu : "le joug lié". Constellation du Dragon
(mul dAnu ?) ou α Draconis = Thuban.
Association :
Borger, n° 98 - Anu (M). Cette étoile correspondait alors
Gössmann, n° 282 à l'étoile polaire.
MUL.MUL Kakkabu : "Etoile" Les Pléiades.
za-ap-pu, zap-pu Zappu : "crinière".

Associations :
- Šarur, l'arme de Ninurta
(B).
Borger, n° 247 - Les "sept dieux"
Gössmann, n° 171 / 279 (A / M).
mul
MUŠ.HUŠ Mušhuššu : "Le dragon". ?
(voir dNIN.GIŠ.ZI.DA)

429
P. Steinkeller, 1982, pp. 298-297
430
Labat, 1988, p. 215

114
mul
na-bi-um Etoile de Nabû. Planète Mercure.

mul
ni-bi-ru Nēberu : "Le traversier, le gué".
Planète Jupiter (spécifiquement
quand il a une position centrale
Créé selon l'Enūma Eliš par dans le ciel).
Marduk pour diviser les astres
(Ee 5 : 6), il se comporte
comme la réplique céleste du
dieu Marduk.
Borger, n°185 (SAG.ME.GAR)
Gössmann, n°334 / 311
mul d
NIN.GIŠ.ZI.DA Etoile du dieu Ningišzida. Constellation de l'hydre
(= MUŠ) ou planète Mercure.
Dieu chtonien en relation avec
la fertilité. Il est régulièrement
Borger, n°887 associé aux rituels
Gössmann, n°322 d'exorcisme431.
mul
NIN.SI4.AN.NA "La dame colorée du ciel". Planète Vénus (au mois de
Nisannu).
Divinité tutélaire de Vénus
Borger, n°887 syncrétisée à Ištar à la fin du IIIe
Gössmann, n°320 millénaire.
mul
PA.BIL.SAG Etoile de Pabilsag Constellation du Sagittaire.

Dieu tutélaire d'Isin et de Larak,


parèdre de Ninsianna et
synchrétisé parfois à Ningirsu /
Ninurta.
C'est un dieu héro, lié à la
chasse, la guerre et aux enfers.
Borger, n°464 Il est régulièrement évoqué
Gössmann, n°358 dans le cadre de l'exorcisme432.
mul
SIPA.ZI.AN.NA "Vrai Berger du ciel". Constellation d'Orion.
ši-ta-da-ru
Association :
Borger, n°468 - messager d'Anu et
Gössmann, n°348 d'Ištar (A / M).
mul
ŠUDUN Nīrum : "Joug". Constellation du Bouvier
ni-ru-um ou α Bootis : Arcturus
Associations : 3ème étoile la plus brillante.
Borger, n°876 - Enlil (A / M).
Gössmann, n°379 / 329 - "La reine des Igigi" (B).
mul
ŠUL.PA.È "Brillante jeunesse". Planète Jupiter
ou α Canis Minoris = Procyon
Borger, n° 744 Héros sumérien, dieu de la 7ème étoile la plus brillante.
Gössmann, n°383 fertilité.
mul
UR.GU.LA Urgulû : "Lion"433. Constellation du Lion.
Associations :
Borger, n°828 - Gula (B).
Gössmann, n°162 - Latarak (M).

431
Utukkū lemnūtu 5 : 61
432
Utukkū lemnūtu 5 : 60
433
Nom qu'on retrouve surtout dans le cadre de l'astrologie et non de l'astronomie.

115
mul d
UTU "Etoile de Šamaš". Planète Saturne.
Borger, n°247 Jupiter ? – Borger, n° 247
Gössmann, n°276
mul
UZA, Enzu : "la chèvre". Constellation de la Lyre
in-zu-um Ou Planète Vénus (au mois de
Associations : ṭebêtu).
Borger, n°203 - Gula (A / M)
Gössmann, n°145 - Dame de l'extipicine
(B).

Tableau n° 2/ Liste des étoiles de VAT 7445 comparé à l'astrolabe B, section A.


Liste d'Astrolabe B, Liste de VAT 7445
section A.
mul Planète Mars ?
a-ha-ti "Etoile du malheur".
mul
DUG.DUG ? Planète Vénus ?
mul
GA.GA ? Kaka, le page d'Anšar ? Jupiter ?
(voir tableau n°1/)
mul d Etoile du dieu Dumuzi / Planète Saturne ?
DUMU.ZI
Tammuz
mul d Planète Mercure
NIN.KI.ZI.DA
Etoile du dieu ou constellation de
(voir tableau n°1/
d Ninkišzida. l'hydre.
NIN.GIŠ.ZI.DA)
Mois de Nisannu (1):
mul d
e-⌈ku⌉-e
mul Astérisme du carré de
AŠ.GÁN (voir tableau n° 1/ Ikû : "champ".
mul Pégase.
AŠ.GÁN)

Mois d'Ayyāru (2) :


MUL.MUL
Kakkabū : "étoiles". Les Pléiades.
(voir tableau n° 1/)
MUL.MUL
Mois de Simānu (3) : "La mâchoire du
mul taureau".
mul is le-e
GU4.AN.NA Association : α Tauri + les Hyades.
(= mulGU4.AN.NA)
- Couronne d'Anu
(A / M).
mul
Mois de Du'ūzu (4) : ŠI.PA.ZI.A.NA
(voir tableau n° 1/ "Vrai Berger du ciel". Constellation d'Orion.
mul mul
SIPA.ZI.AN.NA SIPA.ZI.AN.NA)
⌈mul⌉
Mois d'Abu (5) : ka4-ak-sí-sí
(= mulKAK.SI.SÁ) Sukūdu : "Flèche". Grand chien
mul
KAK.SI.SÁ Association : ou α Canis Major =
Borger, n° 379 - Ninurta (A / M). Sirius.
Gössmann, n°212
mul
Mois d'Ulūlu (6) : BAN
mul
BAN (voir tableau n° 1/
mul giš δ, ε, σ, ω Canis Majoris
BAN) Qaštu : "arc".
+ ρ, ξ Puppis.

116
Mois de Tašrītu (7) : mul Zuqaqīpu :" scorpion".
GÍR.TAB
Association :
mul Constellation du
ni-i-ru - Išara (A / M).
Borger, n° 6 Scorpion.
- Déesse du ciel et
Gössmann, n°94
de la terre (B).
mul
Mois d'Arahsamnu (8) : TI8mušen Erû : "aigle". Constellation de l'Aigle
Association : ou α Aquila = Altaïr.
Vide Borger, n° 560 - Zababa (Aa).
Gössmann, n°2 - Héros des Igigi 12e étoile la plus
[voir mois de Šabātu] (B). brillante.
Mois de Kislīmu (9) : mul Constellation du Piscis
KU6
Nūnu : "poisson". Austrinus
Cassé Association : Ou α Piscis Austrini =
- Ea (A / M). Fomalhaut,
Borger, n° 856
- "Les trois dieux"
Gössmann, n° 218
(B). 18ème étoile la plus
[voir mois d'Addaru]
brillante du ciel.
mul
Mois de Ṭebētu (10) : ša-am-ma-ah Šinūnūtum :
(= SIM.MAH) "Hirondelle".
η, μ, ζ, θ Pegasi + α
Brillance de Vénus ? Association :
Equulei + S Piscium.
Borger, n° 134 - Déesse du
Gössmann, n° 389 Printemps.
mul
Mois de Šabāṭu (11) : ka4-ad-du-uh-ha "Panthère".
(= U4.KA.DUH.A) Association :
mul Constellation du Cygne
TI8mušen - Nergal (A / M).
ou α Cygni = Deneb.
Borger, n° 596 - Mars – le
Gössmann, n°144 menteur (B).
Mois d'Addaru (12) : mul Urīṣu : "chevreau"
MÁŠ
Puhādu : "agneau"
mul
KU6 Il existe une
constellation akkadienne
?
de l'agnelle, laquelle
n'est pas identifiée.
Borger, n°130
Pour la constellation de
Gössmann, n°263
la chèvre, voir mulUZA.
mul
[mois intercalaire non MAR.TU
Étoile de l'Amurru : Constellation de Persée
pris en compte]
Etoile de l'Ouest. ?
Borger, n°483

117
4. Tableau des figures stylistiques.

Reprenant les travaux de J. Lotman, N. Veldhuis donne la définition suivante de la langue


poétique : "le langage poétique [repose sur] le principe de références en réaction (feedback) ou
répétitions. Le texte poétique rompt le développement normal et linéaire de la signification
linguistique en faisant des rappels aux précédentes parties du message à l'aide de répétitions de
plusieurs natures : répétitions lexicales, parallélismes syntaxiques, rimes et autres phénomènes
correspondant"434.
Afin de mieux comprendre, de classer et de systématiser ces procédés dans un but
comparatiste, nous proposons ici un tableau des différentes figures de styles dont le processus – en
quelque sorte le mécanisme – est présenté sous la forme de figures algébriques. Nous avons été
inspirés par J. Westenholz435, dans la lignée des études d'A. Schott. Dans son article, J. Westenholz
dégage quatre procédés stylistiques systématisant les similitudes entre deux termes. Nous avons décidé
d'étendre cette méthode à l'ensemble des figures de style visibles dans nos documents, en excluant
toutefois les figures rythmiques. Nous nous concentrons sur trois procédés : grammaticaux
(représentés soulignés), sémantiques et enfin sonores (indiqués entre crochets). Pour ces derniers, nous
avons sélectionné uniquement les éléments dont nous pouvions certifier l'artificialité ou la volonté de
l'auteur. Pour alléger la lecture, nous notons N : nom commun, ND : nom divin.
Notre étude ne porte que sur les documents dont le texte est suffisamment bien conservé pour
pouvoir mener à bien une étude stylistique. Il s'agit des textes ERM 15642, VAT 7445, K. 3507 et K.
2315+.

434
N. Velduis, 1999, p. 39
435
J. Westenholz, 19966, p. 184-185

118
ERM 15642 VAT 7445 K. 3507 K. 2315

Alternance ll. 1-4 l. 40 ll. 8-9 ll. 32-34


A-B/A-B A : les hommes ("princes" et Alternance x 3 alternance x 3 Alternance x5 :
"gens"). A : verbe, ≈ fermer. A : verbe, ≈ fermer. A : [a]+ V1er p.
B : les fermetures ("cheville B : sujet : "vantaux", B : sujet, "vantaux", B : [kunūši].
(…) anneaux" et "porte"). "portes", "verrous". "portes", "verrous".
ll. 43-44
A: [-kunu].
B : [-āni].
Tel que :
šūt Anu alsikunū<ši> šūt Enlil
nashurāni
šūt Ea gimirkunu puhrāni

ll. 46-49
Alternance x 4 :
A : [a]+ V1er p.
B : [kunūši] + nom de l'offrande.

l. 29 : doublé d'une rime en chiasme


A[x]-B[y]/A[y]-B[x].
A : "(…) qui souffre de l'injustice".
B : "(…) faible".
[x] : [i]
[y] : [u]
Alternance mixte
A[x]-B1/ A[y]-B2 l. 27-28
A : nombreux.
B1 : les champs.
B2 : les hommes.
[x] : [u]
[y] : [a]

Alternance ll. 3-4


ternaire A : verbe.
A-B-A/A-A-B B : sujet.

119
Chiasme l. 2 l. 39 ll. 8-9 l. 36
A-B / B-A A : verbe, action de fermer. A : verbe, silencieux. A ≈ silence. A : verbe, silencieux.
B : sujet, "cheville" et B : sujet, lieu "steppe" et B ≈ fermeture. B : sujet, lieu "steppe" et "pays.
"anneaux". "montagne".
Alternance de la paire l. 37
masculine en [-u] et A : verbe, "rentrer", "couché".
féminine en [-a]. B : sujet, êtres vivants, "bêtes" et "hommes".

l. 10 l. 35 : doublé d'une rime :


A : sujet, lieu ("palais", A[x] : propre, pure.
"steppe"). B[x] : partie du corps.
B : verbe, silencieux : "dans [x] : [a]
la torpeur", "silencieux".
Répétition l. 46-47 : répétition ll. 19-20 l. 42 : allitération :
A=A rythmique : allitération : Alternance du sujet A1, A2 et A3 dérivés de palāsu.
A : Vimp-N1-ND1. indéfini et défini.
A2: N2-N1-ND2. ll. 43-44 : allitération :
A3 : Vimp-N1-ND3. ll. 23-24 A : N1-ND1+V.
Même procédé. B : N1-ND2+Vimp.
C : N1-ND3+Vimp.
Rappel l. 1 et 10 l. 37 et l. 47 l. 12 et l. 15 l. 32-34 et 46-49
A(1) = (...) = A(2) A1 : "les princes". A1 : la création par les trois A1 : "dieux de la nuit, Les deux passages reposent sur la même
A2 : "le palais". dieux Anu, Enlil, Ea. grandes étoiles". figure sonore. Voir haut du tableau droit.
A2 : la division dans les A2 : "dieux de la nuit, A(1) : la requête aux dieux.
l. 3 et 11 passages de ces trois dieux. déesse de la nuit". A(2) : le sacrifice qu'on leur dédie.
A1 : "les foules".
A2 : "le voyageur" et le
patient.

l. 6 et 13
A1 : Šamaš au sein des cieux.
A2 : Šamaš dans sa cella.

120
Liaison [rime] l. 8 et 9
AB A : l. 8 [-im].
B : l. 9 [-im].
La terminaison casuelle est
irrégulière.
L'équivalence ll. 5-6 : l. 12 ll. 41-42
A~B A : "les dieux (…) du pays". A : "dieux de la nuit". A : "les observateurs".
B : ND. B : "grandes étoiles". B : "l'œil".

ll. 12-13 :
A : "le juge…".
B : ND.

ll. 22-23
A : "l'oracle".
B : "l'agneau".
Opposition l. 3 l. 40-41 l. 8 et 10 ll. 38-39
A1-B/A2-(B) A1 :"bruyants". A1 : "closes". A1 : "closes". A : système de fermeture.
Ou B-A1/(B)-A2 A2 : "silencieux". A2 : "ouvertes". A2 : "ouvertes". B1 : (les hommes).
Avec A1 opposé à B : "gens" (factorisé). B : "portes" (des hommes / B : "portes" (des B2 : les dieux.
A2 des dieux). hommes / des dieux).
l. 4 : l. 41
A1 : "ouvertes". A1 : "brillantes".
A2 : "closes". A2 : "jamais vues".
B : "portes" (factorisé). B : "étoiles" (factorisé).

l. 38
A1 : atteindre (ici : "fermer").
A2 : revenir (ici : "fermer").
B : "portes, vantail".

ll. 46-47
A1: "sacrifier"(au sens 1 : "verser").
A2 : "verser" (au sens 1 : "idem").
B : type d'offrande.

121
Merismus l. 5: l. 41 : l. 15 l. 24
Opposition où A1 A1 : "dieux". A1 : "dieux". A1 : "dieux". A1 : "ciel".
et A2 sont deux A2 : "déesses". A2 : "déesses". A2 : "déesses". A2 : "terre".
termes B : "pays". B : "pays". B : "nuit". B : "étoiles".
complémentaires
formant un tout l. 25
A1 : "dieux".
A2 : "déesses".
B : "ciel".
Opposition en ll. 21-22
chiasme A1 : accorder le bien.
A1-B / B-A2 A2 : supprimer le mal.
B : "il est en votre
pouvoir".
Synecdoque ll. 46-47 l. 43
A~a A : "celles d'Anu…". A : "celles d'Anu…".
(a : celles du chemin d'Anu). (a : celles du chemin d'Anu).

l. 45
A : Ninsaba.
(a : la bière).

Métonymie l. 51
a~A a : "pure" ~ offrande.
b~B b : "douce" ~ bière.
Ellipse ll. 48-50
øA A : "bière" (l. 49).
Le terme est éludé aux lignes
précédentes et suivantes.

122
5. Extraits divers.
5.1 Extrait du rituel d'exorcisme Maqlû

šiptu al-si-ku-nu-ši ilâni mu-ši-ti


it-ti-ku-nu al-si mu-ši-tum kal-la-tum kut-túm-tum
al-si ba-ra-ri-tum qab-li-tum u na-ma-ri-tum
aš-šu fkaššaptu ú-kaš-šip-an-ni

Incantation : Je vous ai appelés, Ô dieux de la nuit,


Avec vous, j'ai appelé la Nuit, la fiancée voilée,
J'ai appelé la première, la seconde et la troisième veille de la nuit,
Au sujet d'une sorcière qui m'a ensorcelé.
Maqlû 1 :1-4

ina eli kiš-pi-ša lim-ha-ṣu-ši ilâni mu-ši-ti


Que les dieux de la nuit la frappent à cause de sa sorcellerie !
Maqlû 1: 29

ki436-iṣ-ru-ša pu-uṭ-ṭu-ru ip-še-tu-ša437 hul-lu-qú*


kal438 am-ma-tu-ša ma-la-a ṣêri
ina qí-bit iq-bu-ú DINGIR mu-ši-tum*idî šipta

Ses nœuds439 sont dénoués, ses actes magiques ont été dispersés.
Toutes ses paroles emplissent la steppe440,
Sur l’ordre que les dieux de la nuit ont formulé. Fin de l'incantation441.
Maqlû 1 : 34-36442

* Correspond aux erreurs relevées dans le texte par le translittérateur.


436
Nous corrigeons ici la lecture qí du translittérateur.
Cf CAD, K, p. 436
437
CAD, E, p. 244
438
Nous suivons ici la copie du translittérateur. Le signe écrit sur la tablette est probablement 'dù'.
439
Il s’agit de nœud magique, faisant parti du rituel d’ensorcellement.
440
Il faut certainement comprendre que les paroles se perdent.
441
Formule qui marque la fin voir CAD š 3 p. 89 « As final element of the text of an incantation ».

123
5.2 Extrait de l'Enūma Anu Enlil

e-nu da-nu den-líl u dé-a DINGIRmeš GALmeš


ANe u KIta ib-nu-ú ú-ad-du-u gis-kim-ma
ú-kin-nu na-an-za-za [ú-š]ar-ši-du gi-is-gal-la
DINGIRmeš mu-ši-tim ú-[x x]-x ú-za-i-zu har-ra-⌈ni⌉

Lorsqu'Anu, Enlil et Ea, les Grands Dieux


Eurent créé les cieux et la terre et révélé les signes (astrologiques)
Ils fixèrent les positions et établirent les stations (des étoiles)
Les dieux de la nuit […]. Ils divisèrent les passages.
Eae 1 : 1-4443

5.3 Extrait de l'Enūma eliš

ú-ba-áš-šim man-za-za AN DINGIR GAL


MULmeš tam-šil-šu-n[u] lu-ma-ši uš-zi-iz

Il créa la situation céleste des Grands Dieux,


Il érigea les étoiles, leur image parfaite, en constellations.
Enūma Eliš 5 : 1-2444

5.4 Extrait d'Utukkū lemnūtu

[ana] ANe šá-qiš iš-du-du-ú-ma a-na ANe šá la a-a-ri is-su-ú


ina kak-kab šá-ma-mi ul ú-ta-ad-du-ú ina ma-aṣ-ṣa-ra-a-ti še-lal-ti-ši-na

(Les dieux) sont retournés au plus profond des cieux ; ils se sont retirés dans les cieux inaccessibles.
(Les dieux) ne sont plus reconnus dans les étoiles célestes ou dans les trois veilles (de la nuit).
Utukkū Lemnūtu 15 : 38-39445

442
Translittération G. Meier, 1937, p. 4-6. Nous sommes contraints de reprendre les normes de l'auteur et sa
translittération akkadisée des signes.Traduction da me.
443
Translittération W. Horowitz, 1998, p. 147
444
Translittération de W. Horowitz, 1998, p. 114
445
M. Geller, 2007, p. 167

124
5.5 Extrait de l'Epopée de Gilgameš, version standard

[š]á-a-šú a-na EN.NUMmeš šá GI6 ⌈pi⌉-q[id-s]u


Quant à lui, confie-le aux veilles de la nuit.
Gilgameš, 3 : 57, [75]446

[i]l-su-sú ANú qaq-qa-ru i-ram-mu-um


[u4]-mu uš-ha-ri-ir ú-ṣa-a ek-le-tum
[ib-r]iq bir-qu in-na-pi-ih i-šá-a-tum
[nab-l]u iš-tap-pu-ú iz-za-nun mu-ú-tu
[id-ˀ]i-im-ma né-bu-tú ib-te-li i-šá-tu
[iš-tu ?] im-taq-qu-tu i-tu-ur ana tu-um-ri

Les cieux [rugi]ssaient et le sol se mit à gronder.


[Le jour] devint sombre447, il émergea obscur.
L'éclair brilla, le feu s'embrasa,
Des [coul]ées de flammes jaillissaient continuellement et la mort pleuvait sans cesse.
De brillant (qu'il était)448, le feux [s'obs]curcit, et s'éteignit,
[Puis] il s'effondra de toutes parts449, et se réduisit en cendres.
Gilgameš, 4 : 99-106450

5.6 Extrait de l'Hymne A à Šulgi

"On that day, the storm shrieked, the tempest whirled,


The north wind and the south wind howled at each other,
Lightning and the "seven winds" devoured each other in heaven,
the roaring storm made the earth quake,
Iškur roared in the broad heavens"
[Šulgi A 62-66] 451

446
Translittération A. George, 2003, p. 576, 578
447
Le verbe harāru (B) n'est pas clair, en rapport avec le deuil, la mortification Cf CAD H, 92
448
Cette forme inversée tente de rendre la structure inhabituelle de la phrase, telle que l'adjectif épithète et le
nom sont séparés par un verbe ibteli.
449
Le verbe maqātu est ici au système I/3. La nuance itérative étant impossible à rendre, nous avons choisi de
rendre la répétition de façon spatiale "de toutes parts".
450
Translittération : A. George, 2003, p. 593
451
Traduction du Sumérien : J. Westenhloz, 1996, p. 194

125
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Les acronymes retenus dans cette bibliographie sont ceux utilisés par The Assyrian Dictionnary of the
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134
Table des matières
Sommaire .................................................................................................................................. 3
Introduction .............................................................................................................................. 4
Les prières aux dieux de la nuit : présentation, traduction et commentaire. ..................... 9
I. Les prières paléo-babyloniennes. ..................................................................................... 10
1.1. ERM 15642 = ZA 43 p. 306 ; AO 6769 = RA 32 p. 279............................................ 10
Translittération : ............................................................................................................... 12
Traduction : ...................................................................................................................... 13
Commentaire : .................................................................................................................. 14
Conclusion :...................................................................................................................... 19
1.2. CBS 574 = Stol, Fs. Reiner, 1987, pp. 384-387. ....................................................... 20
Translittération : ............................................................................................................... 20
Traduction : ...................................................................................................................... 21
Commentaire : .................................................................................................................. 21
Conclusion :...................................................................................................................... 24
II. Le rituel akkado-hittite de Hattussa. .................................................................................... 25
2.1. VAT 7445 = KUB IV 47 = CTH 432. ....................................................................... 25
Translittération : ............................................................................................................... 27
Traduction : ...................................................................................................................... 28
Commentaire : .................................................................................................................. 28
Conclusion :...................................................................................................................... 32
III. Trois rituels nocturnes néo-assyriens ................................................................................. 34
3.1. K. 10659 : Mayer, Gebetschwörungen, 1976 pp. 533-534........................................ 34
Translittération : ............................................................................................................... 35
Traduction : ...................................................................................................................... 35
Commentaire : .................................................................................................................. 36
Conclusion :...................................................................................................................... 37
3.2. K. 3507 = OECT O6, pl. 12. ...................................................................................... 38
Translittération : ............................................................................................................... 39
Traduction : ...................................................................................................................... 40
Commentaire : .................................................................................................................. 41
Conclusion :...................................................................................................................... 45
3.3. K. 2315 + K. 3125 + 83-1-18,469 = Geers Heft J. p. 032, 034 = AnBi 12, pl. 21-22.
46
Translittération : ............................................................................................................... 47
Traduction : ...................................................................................................................... 48

135
Commentaire : .............................................................................................................. 50
Conclusion :...................................................................................................................... 59
Analyse littéraire et religieuse du corpus ............................................................................. 60
I. Particularismes et persistance des prières aux "dieux de la nuit" : aspects littéraires du
corpus. ...................................................................................................................................... 60
1.1. Les ikribū paléo-babyloniens : aspects littéraires exceptionnels du poème nocturne.
61
1.1.1. Originalité du poème nocturne dans le cadre des prières. .................................. 61
1.1.1.1. Analyse littéraire du poème. ....................................................................... 61
1.1.1.2. Le poème et la prière : deux sources d'origines distinctes ? ....................... 64
1.1.2. Aspects atypiques de la description nocturne..................................................... 65
1.1.2.1. Détournement du thème littéraire de la nuit................................................ 65
1.1.2.2. La voix descriptive : conformisme et originalités. ...................................... 67
1.2. Thèmes et variations : le travail de composition des "nouvelles" prières. ................ 70
1.2.1. Les thèmes conservés du poème paléo-babylonien. ........................................... 70
1.2.1.1. VAT 7445 ................................................................................................... 71
1.2.1.2. K. 3507 ........................................................................................................ 71
1.2.1.3. K. 2315+ ..................................................................................................... 72
1.2.2. Modernisation de la prière.................................................................................. 74
1.2.2.1. Un repositionnement de l'individu. ............................................................. 74
1.2.2.2. Une naturalisation de la religion. ................................................................ 75
1.2.3. Le compilateur et ses procédés. .......................................................................... 77
1.2.3.1. Le recours aux mots-clefs. .......................................................................... 77
1.2.3.2. La modernisation des termes....................................................................... 78
Conclusion ........................................................................................................................ 79
II. Les "dieux de la nuit" : pouvoirs et pratiques rituelles..................................................... 81
2.1. Les dieux de la nuit dans le cadre des prières ikribu. ................................................ 81
2.1.1. La nuit : un cadre nécessaire ou contingent ? ..................................................... 83
2.1.1.1. Le cadre nocturne : pureté rituelle et mystère. ............................................ 83
2.1.1.2. L'extipicine : un rituel nocturne ? ............................................................... 84
2.1.2. Les "dieux de la nuit" dans les rituels nocturnes. ............................................... 85
2.1.2.1. Les étoiles, l'écriture et les dieux. ............................................................... 86
2.1.2.2. Les étoiles : "supérieures aux hommes, inférieures aux dieux". ................. 87
2.2. Les "dieux de la nuit" dans les exorcismes de la fin du IIe et du Ier millénaires. ....... 89
2.2.1. Fondement et fonctionnement des exorcismes. .................................................. 89
2.2.1.1. Namburbû contre les mauvais présages. ..................................................... 90
2.2.1.2. Les rituels curatifs ....................................................................................... 90
2.2.2. Les marques de dévotion : une divinisation parfaite des dieux de la nuit ? ....... 91
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2.2.2.1. Dévotion rhétorique aux "dieux de la nuit". ............................................... 91
2.2.2.2. Les offrandes aux "dieux de la nuit". .......................................................... 92
2.2.3. Les astres : intercesseurs à l'"images des grands dieux". ................................... 93
2.2.3.1. Des dieux intercesseurs : l'influence des disciplines astrales...................... 93
2.2.3.2. Les "dieux de la nuit" identifiés aux grands dieux...................................... 93
Conclusion ........................................................................................................................ 95
Conclusion ............................................................................................................................... 96
Annexes ................................................................................................................................. 101
1. Copie des tablettes étudiées. ........................................................................................... 102
1.1. Document 1 : Copie d'ERM 15642, W. Horowitz, 2000, p. 197, fig.1. ................ 102
1.2 Document 2 : Copie d'AO 6769, G. Dossin, 1935, pp. 182-183. .......................... 104
1.3 Document 3 : Copie de CBS 574, M. Stol, 1987, pp. 383-388. ............................. 106
1.4 Document 4 : Copie de VAT 7445, A. Bollacker, 1922, n°47. .............................. 107
1.5 Document 5 : Copie de K. 3507, M. Sidersky, 1929, pp. 786-787. ...................... 108
2. Cartes de la répartition des archives et bibliothèques en Mésopotamie. ........................ 110
3. Tableau des correspondances astronomiques. ................................................................ 112
4. Tableau des figures stylistiques...................................................................................... 118
5. Extraits divers. ................................................................................................................ 123
5.1 Extrait du rituel d'exorcisme Maqlû ..................................................................... 123
5.2 Extrait de l'Enūma Anu Enlil .................................................................................. 124
5.3 Extrait de l'Enūma eliš ........................................................................................... 124
5.4 Extrait d'Utukkū lemnūtu ....................................................................................... 124
5.5 Extrait de l'Epopée de Gilgameš, version standard ................................................ 125
5.6 Extrait de l'Hymne A à Šulgi .................................................................................. 125
Bibliographie......................................................................................................................... 126
Table des matières ................................................................................................................ 135

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