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ÉTIOLOGIE DE LA SCHIZOPHRÉNIE : GÉNÉTIQUE ET/OU

SYSTÉMIQUE ?
André R. de Nayer

De Boeck Supérieur | « Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux »

2001/1 no 26 | pages 175 à 194


ISSN 1372-8202
ISBN 2804136167

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!Pour citer cet article :


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André R. de Nayer, « Étiologie de la schizophrénie : génétique et/ou systémique ? », Cahiers
critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux 2001/1 (no 26), p. 175-194.
DOI 10.3917/ctf.026.0175
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Étiologie de la schizophrénie :
génétique et/ou systémique ? 1

André R. De Nayer 2

Résumé

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Les théories systémiques ne peuvent en tant que telles expliquer l’origine de
la schizophrénie. Une atteinte génétique est au moins une condition nécessaire pour
permettre à une causalité externe d’exercer ses ravages via une modification
épigénétique. La lésion génétique originelle est supposée primitive et située, d’après
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l’auteur, au début de l’humanité.

Mots-clés
Schizophrénie – Gène – Étiologie – Systémique – Homo sapiens.

Abstract
Systemic theories are not able to explain the origin of schizophrenia. A
genetic causality is definitely a necessary condition. The role of gene in schizophrenia
is to be fully understood with implication of new concepts such as epigenomic
imprinting. Viable models should leave room for environmental factors interacting
with a genetic predisposition. The author presumes that the etiology of schizophrenia
appears with the homo sapiens.

Key words
Schizophrenia – Gene – Etiology – Systems – Homo sapiens.

La schizophrénie contient plusieurs paradoxes. Le premier est d’ordre


culturel.
Durant les années 68, elle était évoquée par certains comme étant la
représentation d’un courant de pensées libres, non assujetties à la culture
1. Je tiens à remercier Madame C. Jacobs pour sa précieuse et patiente collaboration
rédactionnelle.
2. Psychiatre. Service de neuropsychiatrie, Hôpital Sainte-Thérèse, Montignies sur
Sambre (Belgique).

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182 André R. De Nayer

ambiante, idéologie qui fut reprise plus tard en peinture et en sculpture sous
forme de l’exaltation de l’art brut, loin de tout académisme.
Le culturel a également été interpellé dans le sens où la famille était
considérée comme essentielle au fondement de la maladie. La mère fut tout
d’abord accusée d’être schizophrénogène, ensuite l’absence du père,
forclusion, fut impliquée et finalement l’ensemble de la famille fut décrétée
dysfonctionnelle, le schizophrène étant confiné dans le rôle du patient
désigné garant et révélateur de l’homéostasie familiale. Les émotions
exprimées (EE), les doubles messages, les coalitions, la triangulation, ont été
mis en exergue comme autant de mécanismes favorisant les transactions
psychotiques.

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Le paradoxe gît, à mes yeux, dans l’épidémiologie de la pathologie.
La littérature rapporte, en effet, que l’incidence de la schizophrénie
s’élève à 1% de la population mondiale et ce dans toutes les cultures. Il s’agit
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donc bien d’une pathologie trans-culturelle, indépendante de toute


structuration familiale, elle-même étant inscrite dans une culture.
Comment, dès lors, expliquer le fait étrange qu’une pathologie, taxée
au départ de culturelle ou en révolte par rapport à celle-ci, puisse être d’abord
universelle et ubiquitaire? Certaines cultures ne devraient-elles pas favoriser
plus que d’autres l’éclosion de la pathologie, si la culture est impliquée dans
la pathogenèse ?
Second paradoxe.
Comment expliquer le maintien de cette pathologie, de façon si
constante, alors que la plupart des schizophrènes sont célibataires et ne se
reproduisent pas, la pathologie apparaissant souvent beaucoup trop tôt pour
que le patient soit « intéressé » par la procréation. S’il en était ainsi, la
pathologie devrait logiquement s’éteindre. Une seule explication permet de
répondre à cette objection, à savoir la présence des cas collatéraux, de
porteurs sains de l’altération et transmetteurs de celle-ci.
Comment dès lors expliquer la problématique familiale et les nombreuses
dysrégulations qui parsèment le parcours familial du psychotique ?
On devrait logiquement déduire que les pathologies familiales ne
seraient pas la cause de la pathologie, mais seraient tout au plus tributaires
de celle-ci, en ce sens que la famille utiliserait toute une série de mécanismes
adaptatifs pour tenter de faire face aux troubles induits par le patient. La
circularité aidant, la famille tente de s’adapter et d’adapter le patient aux

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Etiologie de la schizophrénie : génétique et/ou systémique ? 183

normes familiales. En fait, si celle-ci dérive, le patient ne serait pas en aval


des dysrégulations, mais en amont et induirait celles-ci.
La pathologie psychotique est une pathologie de la relation au sens où
la transmission de la pensée, des émotions et des affects est perturbée, le
patient ne pouvant pas filtrer les événements de façon cohérente et structurée
à cause d’un déficit instrumental neurologique ; la famille en désarroi est
entraînée à un ensemble de tentatives et de contre-attitudes, d’adaptation en
non-adaptation, pour tenter de maintenir une vaine cohésion, qui finira par
sauter, ou elle s’enferme dans un ghetto chaotique, à l’image de la pensée du
patient, sous peine de perdre tout contact avec lui.
Tentative désespérée bien sûr, on peut tenter de chanter faux avec un

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piano désaccordé, pour rester en concordance avec lui, mais inéluctablement,
le piano continuera à se distancier de l’harmonie jusqu’à atteindre la
cacophonie.
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À la lumière de ce questionnement, tentons d’approfondir ces notions


systémiques et génétiques et, étudions tout d’abord le passage du concept
individuel à l’élaboration de la configuration familiale.

1. La place des théories systémiques


Lorsque l’on fait une revue des concepts consacrés à l’étude et au
traitement des familles de schizophrène, on se rend compte qu’un résumé
précis des bases théoriques du traitement familial a été présenté par Haley en
1959 : « une évolution semble s’effectuer dans l’étude de la schizophrénie,
de cette première idée que les difficultés rencontrées dans ces familles étaient
dues au schizophrène lui-même, à cette autre idée que la mère était pathogène,
puis à la découverte que le père était inadéquat, jusqu’à l’accent porté
aujourd’hui sur les trois membres de la famille impliqués dans un système
pathologique d’interaction ».
Analysons la première étape et les travaux sur les familles pathologiques
entre 1940 et 1950, mettant en exergue la notion de « mère pathogène et de
père inadéquat ».
David Levy (1943) a été l’un des premiers à établir une relation entre
un trait de personnalité chez la mère supposée pathogène et le comportement
perturbé de l’enfant. Il énonçait l’attitude sur-protectrice de celle-ci. Cette
mère a été nommée schizophrénogène, (Fromm-Reichmann, 1948) et était
décrite comme agressive, dominatrice, peu sûre d’elle et rejetante. À
l’opposé, le père apparaissait comme inadéquat, passif et plutôt indifférent.

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Thomas en 1955, concluait que les mères ne pouvaient tolérer aucune


expression verbale d’hostilité, qu’elles étaient excessivement punitives avec
les patientes après leur puberté. On pouvait noter de façon intéressante, que
la majorité des pères dans ces familles étaient soit morts, soit séparés de la
mère.
Les recherches de Wahl en 1954-1956 renforçaient l’idée que la perte
d’un parent durant l’enfance ou l’adolescence pouvait être un facteur
précipitant de schizophrénie.
Johnson et Szurek en 1956 faisaient remarquer que le comportement
anti-social chez les enfants était basé sur une déficience du Surmoi, qui
correspondait à la même déficience chez les parents.

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Abrahams et Varon en 1953 constataient que le besoin pour les mères
de se sentir supérieures était maintenu au prix du sentiment d’incapacité des
filles. Le concept de lien symbiotique se référant particulièrement à la
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relation mère-enfant émergea dans les années 50 : le malade pense que s’il
se porte bien, sa mère tombera malade ; en restant malade, il préserve le bien-
être de sa mère aussi bien psychologique que physique. Hill (1955) établit le
principe d’une interdépendance réciproque entre la mère et l’enfant, à savoir
l’échange et la réciprocité des besoins mutuels.
Deuxième étape : la pathologie et le traitement de la famille dans les années
50 et au début des années 60. « Le concept de famille pathogène »
Spiegel (1957) et Bell (1961) font l’hypothèse que le malade est un
symptôme de la pathologie familiale et que par conséquent, le prendre en
charge en dehors de la famille donne de mauvais résultats. La famille doit
être traitée comme une unité bio-sociale, de façon à établir un nouvel
équilibre. Midelfort (1957) montre l’importance des facteurs culturels dans
la relation malade – thérapeute et pense qu’une origine ethnique et religieuse
identique augmente les chances de succès. Il ajoute que les perturbations
chez d’autres membres qui semblent normaux, peuvent être repérées après
un examen plus précis de leur comportement.
Bowen (1959) observe que chaque membre de la famille a sa propre
conception de la famille et de là, montre un comportement différent selon
qu’il est à l’intérieur ou à l’extérieur de la famille. Cet auteur s’intéresse
ensuite à l’hypothèse des trois générations3 pour rendre compte du
développement du processus schizophrénique.

3. Et même plus si on lit l’article de Bowen figurant en tête de ce Cahier (NDLR).

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Etiologie de la schizophrénie : génétique et/ou systémique ? 185

Hill notait en 1955 que les grands-mères de schizophrènes tendaient


à faire la loi à la maison et que les mères apprenaient d’elles cette technique
de domination. Ces dernières sont décrites comme induisant habilement un
sentiment de culpabilité envahissant chez leurs enfants. Bowen (1959)
apporte ensuite le concept de divorce émotionnel, tandis que Wynne,
Ryckoff, Day et Hirsch (1958) décrivent la pseudo-mutualité dans laquelle
les membres de la famille ont pour préoccupation de s’accorder entre eux par
des rôles formels joués aux dépens de leur identité individuelle. Wynne
(1961) identifie un type particulier de structure familiale comme cause
majeure de la schizophrénie : « la fragmentation d’expériences, la diffusion
de l’identité, les différents troubles de la perception et de la communication
et certaines autres caractéristiques de la structure de la crise aiguë

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schizophrénique sont, à un certain degré, issus d’un processus d’inter-
organisation des caractéristiques de l’organisation socio-familiale » .
Les rôles familiaux sont simplifiés à l’extrême, rigides et stéréotypés,
et ce schéma inhibiteur empêche la formation d’une identité adéquate et
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contribue à susciter des crises sérieuses.


Whitaker (1958) confirme l’existence dans les familles de
schizophrène, d’une mère dominatrice et d’un père inadéquat, ainsi que des
parents qui essaient de satisfaire leurs désirs à travers les enfants plutôt qu’en
comptant l’un sur l’autre.
Vers cette époque, le concept de famille pathogène semble
définitivement établi pour la plupart des auteurs.
Discussion
Meissner cependant, en 1964, décrit les limitations des principales
positions théoriques et remarque que la théorie de la communication ne
fournit pas de réponse au fait lui-même de la rupture psychotique, pas plus
qu’elle n’explique les différences entre les communications psychotiques et
pré-psychotiques. La théorie des rôles ne permet pas de comprendre pourquoi
l’un des enfants dans la famille hérite du rôle psychotique, tandis que
d’autres y échappent.
Un concept central dans la psychothérapie familiale est que la maladie
mentale d’un des membres d’une famille est le symptôme ou l’aspect d’une
pathologie plus étendue qui enveloppe la famille.
Comme le dit Daniel Widlocher(1980), étudier les relations intra-
familiales, n’est-ce pas chercher dans la réalité extérieure le garant objectif

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de la réalité psychique ? N’y a-t-il pas quelques abus également, à dénoncer


une responsabilité familiale dans la genèse de la schizophrénie, et à transposer
ainsi sur le groupe le concept de maladie dont on souhaite libérer l’individu ?
Le groupe s’organise en incluant la réalité psychique du malade; en
définitive que cette organisation soit cause-effet ou adaptation en regard de
la maladie du sujet désigné importe ici moins que l’existence d’une régulation
homéostatique qui nécessite le maintien du comportement malade. Le
changement thérapeutique souhaité est bien la transformation du système
familial et la création d’un nouveau système qui ne nécessite plus la maladie
du sujet désigné. L’idéal paraît ici la compréhension des forces qui empêche
la création d’un réseau de communications plus fluides. La psychothérapie
familiale ne fait qu’offrir une possibilité de changement.

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Certains considèrent que les interactions familiales sont la cause de
la maladie mentale individuelle et que celle-ci n’est qu’un symptôme d’une
maladie de groupe. Mais, ne faut-il pas adopter une position plus réservée et
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procéder à l’étude empirique des relations dans la famille du schizophrène,


tout en ne prétendant pas apporter la preuve d’une étiologie familiale et
sociale du trouble ? Quelles que soient les réserves que l’on serait en droit
de faire sur toute tentative d’explication simpliste de la psychose, il n’en
demeure pas moins que les données recueillies dans le cadre de l’investigation
et de la thérapie du groupe familial ont enrichi notre connaissance de la
psychose. Les notions du double lien, la pseudo-mutualité et la pseudo-
hostilité ne sont qu’une sémiologie très partiellement liée à la maladie
mentale ; elles intéressent le groupe familial et se retrouvent dans des
systèmes qui ne présentent pas une pathologie individuelle caractéristique.
Le droit à la différence des individus s’applique également aux
familles et aux sociétés, mais n’exclut pas que nous ayons à aider les
individus et les familles à se dégager de certaines configurations
comportementales, dont l’effet d’anomalie, de dissonance par rapport à
l’histoire ou à leur environnement, est pour eux une source de souffrance.

2. Étude des différents facteurs étiopathogéniques


connus
Si les théories systémiques ne sont pas totalement convaincante dans
la compréhension de la genèse de la schizophrénie, où chercher celle-ci ?
Mesurons tout d’abord l’étendue de la pathologie.

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Etiologie de la schizophrénie : génétique et/ou systémique ? 187

1) La prévalence
La prévalence est un moyen incomplet pour mesurer l’impact d’une
pathologie chronique, étant donné les rémissions complètes ou les cas
asymptomatiques qui peuvent se présenter. On préférera, dès lors, la notion
de prévalence durant la vie entière.
La majorité des études chiffrent la prévalence durant la vie entière,
pour la schizophrénie de 1.4 à 4.6/1000, et cela dans des populations aussi
différentes que celles vivant en Allemagne, au Danemark, aux Etats-Unis, en
Suède, à Taiwan, en Iran, en Croatie, en Inde, en Bulgarie, et en Russie.
On note quelques exceptions comme celle des Huttérites, une secte
protestante du Sud Dakota vivant retirée en communauté. Depuis le XVII

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siècle, cette population accueille très peu de nouveaux arrivants, l’endogamie
y est donc une pratique commune. Ces Huttérites se caractérisent par une
absence quasi totale de schizophrénie et un taux assez élevé de dépression.
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Cette découverte, assez inusuelle, a provoqué des théories assez fascinantes


à propos de la pression sociale et de la cohésion dans la sélection génétique.
Leur façon de vivre constitue en fait une sélection négative pour les
schizoïdes qui ne peuvent s’accoutumer à une vie collective tandis qu’elle
représente une sélection positive pour les individus ayant des dispositions
relationnelles. Cette découverte n’a cependant jamais été détectée dans
d’autres communautés Huttérites et demeure une curiosité épidémiologique
(Murphy, 1980).

2) L’incidence
L’incidence peut être définie comme étant le nombre de nouveaux cas
dans une population de 1000 individus. Elle est d’un plus grand intérêt que
la prévalence pour la schizophrénie car elle représente, avec moins de
distorsion, la probabilité de l’occurrence d’une pathologie à un moment de
la vie, dans une population donnée. Dans la majorité des études, on se réfère
à la première admission hospitalière. Ce point de vue est critiquable du fait
du long délai entre le début de la pathologie et l’hospitalisation. On a dès lors
recours au premier contact ambulatoire. Les résultats indiquent que la
première admission à l’hôpital se chiffre à 0.17/1000, tandis que le premier
contact ambulatoire est évalué à 0.54/1000. On retrouve une grande similarité
entre les études norvégiennes, anglaises, irlandaises, allemandes, danoises,
islandaises, taiwanaises et canadiennes. L’équivalence des taux d’incidence
dans les pays en voie de développement et industriels contrecarre l’idée que
la schizophrénie serait une maladie de la civilisation (Torrey 1980).

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188 André R. De Nayer

L’incidence se modifie-t-elle au cours du temps ? Depuis la fin du


XIX siècle et durant tout le XXe, il semble y avoir un nombre croissant de
e

patients diagnostiqués comme schizophrènes. Cette augmentation peut


résulter de co-facteurs introduisant un biais tels la diminution de la mortalité,
l’amélioration de la détection du diagnostic, ou les pressions sociales à
institutionnaliser les patients psychiatriques.
De plus, des études récentes danoises, anglaises et néo-zélandaises
montrent une réduction de 40 % du nombre de patients étiquetés schizophrènes
lors de leur première admission. (Munk- Jorgensen et Mortensen, 1992). Il
faut noter que nos collègues danois ont tendance à éviter de poser ce
diagnostic dès la première hospitalisation pour le reporter plusieurs mois ou
années après un premier contact, ce qui tend à artificiellement abaisser le

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taux de schizophrénie détectée lors des premières admissions. On peut, dès
lors, conclure que l’augmentation et la disparition de la schizophrénie sont
des thèmes provocateurs et des hypothèses non prouvées.
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3) La mortalité et la fertilité en tant que variables


de la prévalence et de l’incidence
Le taux de mortalité chez les patients schizophrènes est un phénomène
bien documenté. Une étude norvégienne (Saugstad et Ödegaard, 1979)
montre qu’entre les années 26-41 et 50-74, la mortalité relative des patients
schizophrénes demeure inchangée à un niveau de 21 pour 1000 pour les
hommes et de 15 pour 1000 pour les femmes, soit plus du double de celui de
la population générale. Hermann en 1983, rapporte des résultats similaires.
Les études récentes au Danemark (Munk-Jorgensen, 1986) suggèrent
une tendance alarmante de l’augmentation du taux de mortalité dans plusieurs
cohortes de patients schizophrènes, le suicide étant la cause la plus commune
de la mort. L’étude danoise signale 19 morts par suicide sur 52 décès pour
un total de 807 patients, durant un follow-up de cinq ans. Les syndromes
positifs, semblent être le meilleur « prédicteur » d’un taux de suicide élevé,
plus spécifique en tous cas que les syndromes négatifs.
En ce qui concerne la fertilité, les études de Essen-Moller (1935), de
Larson-Nyman (1973) et de Ödegaard (1980) en Norvège montrent que les
schizophrènes des deux sexes, ont un nombre d’enfants peu élevé.
Ce nombre en Suède est de 0.9 pour un patient masculin tandis qu’il
est de 1.8 en Norvège pour une patiente, soit légèrement moins que celui de
la population générale féminine qui est de 2.2. L’étude de Shmaonova et

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Etiologie de la schizophrénie : génétique et/ou systémique ? 189

Rotstein (1976) à Moscou cite des chiffres semblables, 1.5 de naissance pour
les femmes schizophréniques, comparé à 2.0 dans la population générale.
Plusieurs chercheurs (Lindelius,1970 ; Buck et Hobbs,1975 ; Erlenmeyer et
al.,1978) n’ont pas constaté de différence de fécondité dans la fratrie de
schizophrènes par rapport à celle de la population générale.

Résumé des faits épidémiologiques.


1) Aucune population n’a été épargnée par la schizophrénie.
2) L’incidence et le risque de morbidité varient dans des limites étroites :
incidence entre 0.16 et 0.42/1000, risque de morbidité entre 0.5 et
1.6 %.
3) Il n’y a pas de fluctuation de l’incidence sur de longues périodes de

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temps.
4) On n’a pas trouvé de facteur environnemental majeur pouvant expliquer
la variation de l’incidence et le risque de morbidité.
5) Les risques portant sur la totalité de la vie sont identiques pour les deux
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sexes. Ils pourraient même être légèrement supérieurs pour la femme.


6) La mortalité du schizophrène est significativement plus élevée que
celle de la population générale. Dans certaines contrées, elle est
augmentée de 5 à 8 fois chez les hommes et de 2 à 5 fois chez les
femmes. Le suicide explique cet excès de mortalité.
7) La fertilité de l’homme schizophrène et de la femme est inférieure à
celle de la population générale et en dessous du niveau de remplacement.
8) La reproduction n’est pas augmentée chez les jumeaux de
schizophrènes.

4) Famille et risques génétiques


L’implication génétique demeure difficile à situer et on ignore si ce
facteur est :
1) nécessaire mais pas suffisant (c’est-à-dire toujours présent mais
demandant un élément additionnel non génétique pour déclencher son
expression),
2) nécessaire et suffisant,
3) suffisant pour provoquer la pathologie dans un grand nombre de cas
mais non nécessaire dans tous les cas de la schizophrénie.
Quatre modèles génétiques sont théoriquement concevables :

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190 André R. De Nayer

a) Le modèle hétérogène
Selon ce modèle, la schizophrénie serait une collection de différentes
maladies, chacune associée à un locus majeur, hérité soit de manière
récessive, soit dominante. En plus, on assisterait à des cas sporadiques dus
à l’environnement. Ce modèle implique que dans une famille, on pourrait
observer des formes génétiques différentes, sans locus majeur commun et
différents sous-types de schizophrénie génétiquement différents.

b) Le modèle monogénique
Tous les cas de schizophrénie partageraient le même locus majeur à
pénétrance variable : la maladie ne s’exprimerait que chez les homozygotes
et dans des proportions variables chez les hétérozygotes. Ce modèle

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hypothétique devrait être étayé par une transmission de type Mendélienne
jusqu’ici non établie.

c) Le modèle multi-factoriel polygénique


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Selon ce modèle, la schizophrénie serait le résultat de plusieurs


combinaisons de gènes interagissant avec une variété de facteurs
environnementaux, à la fois biologiques et psycho-sociaux.
Si ce modèle s’avérait exact, on observerait un continuum
symptomatologique et une gradation des expressions des formes cliniques et
infra-cliniques.

d) Le modèle mixte, combinant différents éléments des premiers,


seconds et troisième cas
De Lisi et Mirsky (1984) postulent, soit que de multiples gènes
produiraient un facteur de croissance neuronal défectueux responsable d’un
développement précoce anormal, se manifestant ultérieurement par un
trouble de la cognition et du langage, soit qu’un locus majeur lié au
chromosome X, deviendrait actif à la fin de l’adolescence, déclenchant la
phase initiale de la schizophrénie clinique.
Kandel (1998) propose son concept du gène et de l’expression
génique en se référant aussi à l’étude de Gottesman(1987) portant sur une
cohorte de quarante schizophrènes.
L’incidence de la schizophrénie est plus élevée chez les parents du
premier degré (frères, parents, enfants) qui partagent 50% des gènes des
patients qu’auprès des parents du second degré (oncles, tantes, nièces,
neveux) qui ne possèdent avec eux que 25% des gènes en commun. Quant

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aux parents du troisième degré avec 12.5% de gènes identiques, ils présentent
un risque plus élevé que la population générale.
L’étude de Slater et Cowie (1971) constitue un argument génétique
manifeste… cependant le fait que la concordance pour les jumeaux
monozygotes, qui partagent tous leurs gènes ou presque, n’est que de 77.6%
en cas de vie séparée et de 91.5% en cas de vie commune, démontre que les
facteurs génétiques à eux seuls ne sont pas suffisants. Il ne s’agit donc pas
d’une transmission Mendélienne :
Proximité génétique Pourcentage de schizophrènes
Population générale 0.9 %
Cousins 2.6 %

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Neveux et nièces 3.9 %
Petits-enfants 4.3 %
Demi-frères/sœurs 7.1 %
Parents 9.2 %
Frères/sœurs 14.2 %
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Jumeaux dizygotes 14.5 %


Jumeaux dizygotes de même sexe 17.6 %
Enfants d’un parent schizophrène 16.4 %
Enfants de deux parents schizophrènes 39.2 %
Jumeaux monozygotes vivant séparément 77.6 %
Jumeaux monozygotes vivant ensemble 91.5 %

Survenue d’une schizophrénie en fonction de la proximité génétique


(Slater, 1977)
Selon Kendell (1991), il faut postuler une origine polygénique avec
trois à dix gènes différents, chaque gène en tant que tel étant insuffisant pour
créer la pathologie ; seule une combinaison de ceux-ci est nécessaire pour
engendrer une pathologie chez un individu. Plusieurs études récentes ont
permis de découvrir deux sites, l’un étant le bras long du chromosome 22
(22q) l’autre étant situé sur le chromosome 6 (6p). Chacun d’entre eux
contient 50 à 100 gènes.
Non seulement il faut accumuler plusieurs défauts génétiques, mais
encore des facteurs développementaux et environnementaux. Un enfant peut
posséder un site génétique programmant la croissance, mais sans bonne
nourriture, il ne grandira pas suffisamment.
Ainsi le stress, l’expérience sociale modifient l’expression du gène.
L’expression génique au niveau neuronal transforme les connexions
synaptiques, l’architecture du cerveau, base biologique du sujet et de son
comportement.

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192 André R. De Nayer

Outre les transmissions génétiques d’autres causalités pourraient


donc être mises en exergue :
1) des facteurs psycho-sociaux comprenant le modèle environnemental
de Murphy(1980), présenté plus loin,
2) des facteurs périnataux,
3) un trouble neuro-développemental.
Sauf exception, ces causes ne sont pas mutuellement exclusives et
sont même parfois complémentaires.

5) Facteurs de risques psycho-sociaux

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Beaucoup d’études ont tenté d’établir un pont entre les variables
macro-sociales et l’épidémiologie de la schizophrénie. La plupart de ces
relations semblent être non spécifiques et peuvent s’inscrire comme des
conséquences de la schizophrénie et non des causes de celle-ci.
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Qu’en est-il du statut social ? Les célibataires et, de façon moindre, les
femmes célibataires, sont sur-représentés lors de la première admission ou
du premier contact avec prise en charge médicale (68 et 39 %) dans l’étude
de Jablensky (1992), couvrant dix pays différents. Etant donné que la
schizophrénie et ses troubles pré-morbides sont associés à une diminution
des contacts sociaux, il semble évident que le fait d’être marié constitue une
sélection positive et un biais pour ces patients, probablement moins atteints.
Dans le cas contraire, on devrait supposer que le mariage pourrait
prévenir ou retarder le début d’apparition de la schizophrénie (Ödegaard,
1980).
Riecher et Rossler (1972) ont montré un taux 12 fois plus élevé de
premières admissions chez les hommes célibataires, comparés aux hommes
mariés. Ce taux est de 3.3 chez la femme célibataire.
Même si ces données semblent suggérer un effet protecteur du
mariage, la corrélation entre l’âge et le statut marital ne permet pas de
déterminer si le désordre est plus tardif du fait qu’ils sont mariés ou bien tout
simplement s’il est lié à l’âge.
Cette recherche demande donc à être approfondie.
Ohlund et Hultman (1992) mettent en exergue plus de pertes parentales
chez les schizophrènes, cet effet est particulièrement marqué chez les
femmes qui perdent précocement leur père.

12 De Nayer 192 7/04/05, 12:54


Etiologie de la schizophrénie : génétique et/ou systémique ? 193

On a attribué une étiologie spécifique au taux élevé de E.E. (Emotions


exprimées) et d’événements de vie durant les six mois précédant l’apparition
de la schizophrénie (Bebbington, 1993), cependant des taux identiques
précédent la manie ou la dépression psychotique.

Modèle environnemental
Murphy (1972) propose un modèle définissant quatre critères créateurs
de stress chez le schizophrène :
1) une situation demandant une action ou décision,
2) une complexité ou une ambiguïté à propos de l’information sur cette
tâche,

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3) le maintien de la pression jusqu’à la résolution du problème,
4) l’absence d’alternative.
Cette situation n’est pas sans rappeler, à notre sens, la double contrainte.
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La plupart de ces stress ne sont pas pathogéniques ; la possibilité


d’aboutir à une réaction schizophrénique n’apparaîtrait que lors de la
conjonction de ces stress et d’une atteinte génétique spécifique.
L’adversité sociale modifie les récurrences psychotiques chez les
familles génétiquement prédisposées, d’un facteur de 2 à 2.5. Par exemple,
si le risque moyen pour un enfant de schizophrènes de contracter la
pathologie est de 10 %, un stress social peut l’augmenter à 25 %, tandis que
des mesures socialement favorables peuvent le diminuer jusqu’à 5 %.

6) Facteurs périnataux

Modèle neuro-développemental
L’hypothèse principale est que le développement normal du cerveau
est interrompu durant des périodes critiques in utero ou post-natales et qu’il
en résulterait des lésions produisant les symptômes de la schizophrénie.
L’ontogenèse normale du cerveau peut être interrompue par des gènes
défectueux ou par des traumatismes environnementaux. Des chercheurs
évoquent la présence de troubles obstétriques à la naissance des futurs
schizophrènes. McNeil (1991) fait part de deux types d’études qui traitent
1) du risque des troubles obstétriques susceptibles d’apparaître chez les
femmes schizophréniques, et
2) des conséquences possibles de troubles obstétriques survenant chez
un nouveau-né à hauts risques génétiques pour la schizophrénie.

12 De Nayer 193 7/04/05, 12:54


194 André R. De Nayer

En ce qui concerne le premier point, les femmes schizophrènes ne


présentent pas de risque plus élevé d’accoucher d’enfants de faibles poids,
ils sont, au contraire, la plupart du temps, plus lourds que la moyenne. Le taux
de détresse fœtale est faible et on n’observe pas de mort prénatale et de
malformation congénitale excédant la norme.
En ce qui concerne le point 2, une recherche menée à Copenhague
(Parnas et Schulsinger,1982) et une étude longitudinale de Fish et Marcus
(1992) suggèrent que les troubles obstétriques n’entraînent une répercussion
qu’en cas de risques génétiques préexistants.
En présence des deux facteurs – troubles obstétricaux et risques
génétiques – la probabilité d’apparition d’un désordre développemental

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précoce, avec troubles moteurs et cognitifs, et ultérieurement d’une
schizophrénie, est augmentée. Rappelons que le risque génétique à lui seul
est suffisant pour provoquer un trouble du spectre schizophrénique.
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Le lien entre les saisons et les naissances a aussi été évoqué comme
étant un facteur prénatal favorisant.
Tramer (1929) rapporte dans une étude revue par Bradbury et Miller
en 1985 et Boyd (1986), un excès de naissances d’enfants schizophréniques
en hiver, à la fois dans l’hémisphère nord et dans l’hémisphère sud.
Cependant, à la lecture de ces études, le risque de schizophrénie est
contaminé par un artéfact, dû à l’âge et à la prévalence. En effet, étant donné
l’augmentation du risque de schizophrénie corrélé à l’âge, les individus nés
en début d’année atteignent un plus haut taux de schizophrénie que les
individus nés plus tard dans l’année.
De plus, les études de saisonnalité ont relevé que les dépressions, les
névroses et les troubles de personnalité et d’autres troubles mentaux sont
également plus élevés pour la cohorte de patients nés au début de l’année
(Häfner, 1987).
Lewis (1989) a montré que l’amplitude de l’incidence de l’âge était
suffisante pour simuler un effet de saisonnalité et a proposé une méthode
statistique pour corriger ce biais.
Lyon et Barr (1989) ont montré l’évidence d’un lien entre les épidémies
d’influenza et la naissance de bébés schizophrènes. Pour1000 décès par
influenza dans la population, le nombre de naissances de schizophrènes a
augmenté de 1.4% pour autant que l’épidémie a eu lieu durant les deux à trois
mois précédant la naissance. Un excès de morbidité schizophrénique,

12 De Nayer 194 7/04/05, 12:54


Etiologie de la schizophrénie : génétique et/ou systémique ? 195

attribuable à l’influenza, semble être maximal pour les naissances d’avril et


mai.
En tenant compte du temps d’incubation de l’influenza, on considère
que la fenêtre de susceptibilité pour ce facteur doit être comprise entre le
troisième et le septième mois de la gestation.
Force est cependant de constater que si l’évidence statistique du lien
entre l’influenza et les risques de schizophrénie est probant, un lien direct de
causalité entre ces deux termes n’a pas été démontré.
Outre le modèle viral in utero et les complications obstétricales, la
sensibilité au gluten et des malformations du cerveau ont été évoquées et
laissent penser qu’un nombre non spécifique de facteurs physiques sont

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suffisants pour produire des dysfonctions, indépendamment de la présence
ou de l’absence d’une susceptibilité génétique.
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3. Tentative d’intégration des différents facteurs


étiopathogéniques
Pour distinguer l’influence génétique, des facteurs environnementaux,
Kallman (1938) a comparé les jumeaux monozygotes aux jumeaux dizygotes.
En effet, en cas d’une étiologie purement génétique, les jumeaux monozygotes
qui ont des génomes identiques auraient des tendances identiques à développer
la maladie. Or la tendance pour les jumeaux d’avoir la même maladie, à
savoir la concordance, est de 45% pour les monozygotes et seulement de
15% pour les dizygotes. Les études d’adoption ont démontré que le taux de
schizophrénie chez des enfants issus de parents biologiques schizophrènes
mais adoptés par des parents normaux, était supérieur de 10 à 15 % à celui
des autres enfants adoptés, confirmant ainsi la prédominance de l’inné sur
l’acquis.
En tenant compte de la multiplicité des facteurs qui émergent, il est
possible de dresser un modèle qui laisse la place aux facteurs
environnementaux interagissant avec des prédispositions génétiques.
Une analyse de tous les résultats des études publiées montre qu’il n’y
a pas un facteur univoque, qu’il soit d’ordre périnatal ou viral, tandis que le
rôle du gène interagissant avec l’environnement paraît plus prometteur,
introduisant ainsi un nouveau concept : celui de l’expression du génome
modulée par les facteurs acquis.

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196 André R. De Nayer

4. Tentative d’intégration des facteurs


étiopathogéniques à la systémique
La causalité des différents mécanismes évoqués comme
« psychotisants » doit être reconsidérée si l’on adopte une perspective
systémique.
Beaucoup de thérapeutes ont tendance à s’en tenir aux principes de
circularité, au comment et non au pourquoi, résumant l’étiologie de la
schizophrénie à la formule ambiguë : « l’œuf ou la poule ? ».
L’étiologie est clairement génétique, c’est l’œuf qui est le potentiel
initial.

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Par contre, et il s’agit d’une contribution extraordinaire rejetant tout
dualisme réducteur, la parole, le message, peut faire basculer dans la
psychose un patient génétiquement lésé, en modifiant l’expression génique
neuronale.
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Cette même expression peut être modifiée par la parole ou


l’environnement thérapeutique, et cette manière de voir apporte une
formidable caution à nos thérapies, tout en les situant à leur juste place.
On pourrait donc concevoir, qu’au-delà de l’atteinte génétique, les
facteurs environnementaux, qu’ils soient d’ordre psychologique, tels que
des attitudes et contre-attitudes, ou d’ordre physique, sont des facteurs
d’induction épigénétique et créent ainsi, au niveau neuro-neuronal, une
cartographie cérébrale modifiée.
Les thérapies systémiques pourraient , via les expressions génétiques
neuronales, modifier la cartographie des neurones par le biais de nouvelles
connexions synaptiques et créer ainsi les voies d’un néo-apprentissage.
D’autres facteurs pourraient avoir une action directe sur le génome, et
on pense là au virus de l’influenza.
Il nous reste à répondre à une de nos interrogations premières, à savoir
l’universalité de la schizophrénie. S’il y a maladie génétique et ubiquité, il
nous faut présumer qu’elle préexistait à la période des grandes migrations
des premiers hominidés. Il serait tentant d’imaginer que cette pathologie de
la communication est née au moment de l’apparition du langage, langage
qui, dans l’évolution des hominidés, a permis à l’homo d’être sapiens. La
grande complexité de cette mutation fondamentale, le passage des grands
singes à l’homme, aurait peut-être entraîné ce « vice de forme ».

12 De Nayer 196 7/04/05, 12:54


Etiologie de la schizophrénie : génétique et/ou systémique ? 197

Le langage qui a permis à l’homme de développer son humanité, n’a


pu s’acquérir sans défaut. Selon Darwin, cette branche n’aurait pas pu
s’épanouir, sauf si l’on admet que la fratrie saine est porteuse du ou des gènes
de la maladie.
Tim Crow (1992) nous fournit une piste en évoquant la possibilité
d’une altération génétique, entraînant un trouble de la latéralisation des
hémisphères cérébraux, provoquant une dysfonction de la structuration du
langage.
On peut présumer que des troubles relationnels s’inscriront en
corollaire. Ce présupposé impliquerait que pour être universel, le processus
devrait être entravé très tôt, dès le début de l’humanité, sous forme d’une

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mutation génétique, touchant l’ensemble des humains. Donc, dès avant la
période migratoire des peuples, on devrait admettre que le berceau de
l’humanité a été touché. Cette lésion primitive permettrait d’expliquer qu’au
moment des grandes migrations humaines, le gène ou les gènes altéré(s) se
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soient répandus dans l’humanité entière.


Tout ceci bien sûr, en supposant que le recensement des schizophrènes
dans le monde entier ait été suffisamment vérifié.
In fine, et pour répondre à notre titre, l’étiologie, qu’elle soit génétique
ou liée au système relationnel, n’est-elle pas déjà prise en compte par les
thérapeutes sous le vocable « familial » embrassant de fait les deux concepts.

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Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux – n° 26, 2001/1

12 De Nayer 200 7/04/05, 12:54

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