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COMMENT Jésus ET SES CONTEMPORAINS POUVAIENT-ILS CELEBRER LA PAQUE A UNE DATE NON OFFICIELLE ? epcts longtemps, les exégites s'efforcent de coneilier les récits D des Evangiles synoptiques sur la derniére Céne célébrée par Jésus avant le vendredi saint (Marc 14, 12-25; Matthieu 26,17- 29; Luc 22, 7-38) avec les affirmations de S. Jean sur la Paque célébrée par les « Juifs » au soir du méme vendredi saint (Jean 18, 28 et 19, 14). Certains admettent que le dernier repas de Jésus n’était peut-étre pas un repas pascal, malgré les textes explicites de Mare 14, 12-16, de Matthieu 26, 17-19, de Luc 22, 7-13, D'autres supposent, puisque cette année-la le 15 nisan coincidait avec un sabbat, qu’en un tel cas limmolation, ou du moins la manducation, de l'agneau pascal pouvait étre réalisée a volonté soit le jeudi 13 nisan, soit le vendredi 14. Mais ces hypothéses soulevent Pune comme Vautre des difficultés Depuis les découvertes de Qumrin, Mademoiselle Annie Jau~ nent a indiqué une autre solution possible (1). Elle établit d'une part que, selon le calendrier solaire suivi par le livre des Jubilés et les documents de Qumran, le 14 du premier mois tombait toujours un mardi, et d’autre part que ce ealendrier était en fait la survivance de Vancien calendrier biblique utilisé duns le Pentaieugue, les Chronigues, Esdras et. Néhémie; puis elle eonelut logiquement que Jésus et ses eontemporains, méme sans avoir aucun lien direct avec la Communauté de Qumran, pouvaient fort bien adopter ce calen- drier traditionnel de préférence au ealendrier lunsire plus récent (1) Mile JaupERr a publié sur ce sujet : 1) D'abord trots articles: Le calen- drier des Jubilés el de la secle de Quraran, Sex origines bibiques, dans Vetus ‘Testamentum, 1953, n¢ 3, p. 250-264; La date de la derattre Cone, dans la Reoue de PHistoize des Religions, tome 148, octobre-décembre 1954, p. 140-179; Le fealendrier des Subiles et let jours liturpiques de fa semaine, dans Vetue Te ‘mentum, 1957, n° 1, p. 85-01, — 2) Puls un livre qui synthetise ces trols articles : ‘La dote deta Cone (Gabalda, Paris, 1957). — 3) En‘in an article complémentaire : Jésus ete calendrier de Qumrdn, dans New Testament Studie, vol. 7, n° 1, ‘Gctober 1960, p. 1-30 60 J. GARMIGNAG observé par les Pharisiens et par les autorités du Temple (2). Ainsi les témoignages apparemment contradictoires de Jean et des ‘Synopliques pourraient se concilier sans difficulté : Jésus aurait celébré la Paque le mardi saint et aurait été arrété dans la nuit du mardi au mercredi, alors que ses adversaires, suivant le calendrier officiel, ne mangeaient 'agneau pascal qu’au soir du vendredi saint. Cette hypothése a déclenché une véritable eontroverse parmi les extgétes. Certains se sont déclarés favorables; d'autres paraissent impressionnés, mais hésitent & se prononcer; d'autres enfin refusent leur adhésion pour divers motifs (3). Parmi les objections proposées, l'une des plus fréquentes est Ja suivante : Jésus ne pouvait pas, pour eélébrer la Paque le mardi soir, obtenir un agneau immolé légalement, puisque les autorites du Temple, hostiles au calendricr traditionnel, ne procédaient & Vimmolation rituelle que le vendredi suivant (4). Mile Javnenr et les partisans de son hypothése ont répondu qu'il devait exister & Jérusalem « un rite pascal indépendant du ‘Temple », « puisque la (ow les) communauté(s) essénienne(s) de Jérusalem ne celébrai(en)t certainement pas la Pague le méme jour que les autorités officielles » (5). A ce propos, diverses possi- DilitéS ont é€& évoquées (8) : a) Peut-ttre le clergé sadducéen tolérait-il Fimmolation de certains agneaux a une date différente de la date officielle; — 6) Peut-étre admettait-on Ia pratique d'immoler les agneaux en un autre lieu de Jérusalem; — ¢) Peut- etre y avait-il déja un rite pascal sans agneau, comme ce fut le cas plus tard aprés la destruction du Temple (7). Mais cette argumentation ne semble pas avoir convaincu les adversaires de I'hypothése des deux dates pour la Pague. 2) Cette divergence de calendrier expliqueralt peutétre aussi un texte comme Jean 7, &. () Comme certains auteurs Taissent parfois entendre que les critiques compétents te seraient généralement prononeés contre cette hypethose, un Appendice spéclal (ci-dessous p. 76-80) donnera les résultats d'une enguéte ‘mene parm les publications trouvées A la Sorbonne, a l'Institut Catholique a la Bibllothéque Nationale de Paris. (4) Parm! tes auteurs eités dans V'Appendice, cette objection est formulée principalement par P. Bexorr (p. 504), E. Buenzveuvpex (p. 222), R. E, Brows: (p. 53), M. Decor (p, 778), J. Devonwe (Lumidre ef Vie, n° 31, p. 39-40), P. Gazcuren (p. 555-556), A. Gro.tous (p. 104-165), X. Léow-Durovn (p. 483- 454, G. Oae (p. 156), P. W. SkeMan (p. 197), F. F. Sureuprs (p. 123), J. J. Ween (p. 542). (©) A. JavnERr, New Testament Studies, vol. 7, n° 1, October 1960, p. 22. (©) Principalement par A. Javoenr, mime article, p. 23-25, et par E. RucksromL, ouveage eité dans Appendiee, p. 105-107 (2) Getie derniére « explication », qui se concilie mal avec More 14, 12 et ‘Lue 22, 7, oblige & tmaginer, & Utre de subterfuge, que ces textes serafent des «ploses »interpolées par la suite, DATE DE LA CELEBRATION DE LA PAQUE? 61 Aussi le probleme mérite-til d'etre examiné & nouveau : Jésus pouvait-il, avant la date admise par le calendrier officiel, se procurer une victime immolée \également au Temple, afin de manger la Paque selon les rites preserits? Cette question doit méme étre généralisée, Car il ne pourrait suffire de proposer une solution occasionnelle, valable seulement pour un cas fortuit, En effet, Jésus ne s'est sans doute pas écarté du calendrier des Pharisiens uniquement pour la célébration de sa derniére Paque, et ila probablement suivi déja le calendrier biblique traditionnel pendant les années antérieures. Or, l'intervalle entre les deux dates de Paque était variable, puisque le calendrier lunaire officiel était fondé sur des années de 354 jours en moyenne, alors que le calendricr solaire utilisé dans I'Ancien Testament comportait des années de 364 jours. Si, l'année ot Jésus est mort, la Paque du calendrier solaire suivi par Jésus tombait 3 jours avant celle du calendrier lunaire suivi par les Pharisiens, année précédente elle avait di tomber environ 13 jours (8) avant la Paque de ce calendrier lunaire, et l'année d’avant elle avait di tomber environ 5 jours aprés ta Paque de ce méme calendrier hinaire (9). 11 faut, donc trouver une solution qui permette de célébrer la Paque tantét avant et tantdt aprés la date officielle. En outre, ce serait fausser le probléme que de le restreindre seulement au cas de Jésus, ou seulement au eas des gens de Qumran. De nombreux indices permettent de supposer que vers le premier sidele de l'ére chrétienne une partie assez notable de Ia population juive n'avait pas encore été gagnée au calendrier des Pharisiens et qu'elle continuait 4 suivre ancien calendrier biblique tradi- tionnel : a) Les Synoptiques présentent Ia date admise par Jésus comme la date normale de la Paque (10) : ére xo xdaxx EOvov () Cette ineertitude : « environ 13 jours » provient de ce que Von ne fait pas encore comment le calendrier biblique traditionnel, avec son année. de 364 jours, saccordalt avec l'année astronomique réelle, qui est de 363 jours 14 Y avait-l de tomps en temps intercalation d'une semaine supplémentaire? ou meme de plusieurs semaines? Le question test pas encore tirée au clair Pour plus de détails, volr A. Jaunanr, La date de la Céne, p. 142-140 et A. StRo- sex, Zur Funklionsfihigkell des esseniachen Kalenders, dans ta Reone de Qumran ne 1, vol. 3, fate. 3 (overnbre 1961), p. 395-412, En outre, année lunaire da calendrier des Pharisiens n’avait pat uniformément 354 jours, mais elle ‘variait entre 352 et 386, selon la Misha, “Arakin II, 2, Voir & ce sujet U, HoL- umistx, Chronologia Vitec Christi (Pontificium Institutum Biblicam, Rome, 1933), p. 186-188, (@) Entre ces deux annéesla (année X-2 et année X-1) Ie calendrier Junalre avalt dd rattraper son retard sur Wannée astronomique par Vinteres- lation d'un mois supplémentaire, appelé « second Adar ». (10) Les formules de Mare et de Lue paraissent aécouler @’une meme 62 J. CARMIGN. «quand on immolait la Paque » (Mare 14, 12), et % Bet OSeaBxe +b ndoye, «(le jour) ou il fallait immoler la Paque » (Lue 22, 7)3 5) La prise d'En-Gaddi par les Zélotes de Massadah pendant la Féte de Paques (FI. Josérie, Guerre des Juifs, IV. vit, 2 402) suppose probablement que les Zélotes célébraient cette féte a une autre date que la population d’En-Gaddi (11); — ¢) Plusieurs ouvrages, dont l'origine qumranienne n'est pas encore prouvée, sem- lent s'epparenter, tout comme les Jubilés, & V'ancien calendrier biblique : e’est le cas de I"Apocalypse d'Esdras, de I’ pocalypse de Baruch, des Secrets d Hénoch, des Antiquités Bibliques du Pseupo- Pumon (12); of, dans la mesure ott ces ouvrages ne seraient pas qumréniens, ils témoigneraient de la diffusion de ce calendrier; — dj) La Mishnah (Hagigah LI, 4) polémique contre ceux qui cél’- brent Ia Pentecdte le lendemain du sabbats or, selon Yancien calendrier biblique, Ja Pentecdte tombe toujours le lendemain du sabbat (13); — ¢) Selon le Talmud, les « fils de Bethyra » et les « Boéthusiens » n’acceptent pas le calendrier liturgique officiel, bien qu’ils continuent @ fréquenter le Temple (14); — f) Les Mon tanistes, au second siécle de Pére chrétienne, sont encore infhuencés par le souvenir de cet ancien calendrier biblique et ils fixent la Paque 14 jours aprés I'équinoxe de printemps (15). Avant de chereher 4 résoudre cette question, passons en revue les données de la Bible, qui soules avaient force de loi pour ceux qui n’adhéraient pas aux réglementations des Pherisiens, afin de bien voir la position du probleme. Voici les diverses indications dispersées & travers I’Ancien ‘Testament au sujet de la vietime pascale : formole hébretque, qui serait RODM NNT AYSN [WRIT (aver ass0- fones Intentionneli des deux deralers mots) (13) Voir C. Ror, The Historical Background of the Dead Sea Scrolls, (Btaskwet, Oxtora, 1958), p16, alnsl que Quinran und Masadah : a final Ca: Fifleation regarding the Dead Sex Sect, dans lo présont numéro de la Revue de Quinedn, p. 81-81 102} Volr J. vax Gouponvnn, Biblical Calendars (Bril, Leiden, 1951), [. 85-123. Plas spécialement. propos du Pszvvo-Prinox, voir G. Venwxs, Scripture and Tradition in Jadatem (Beil, Letden, 1961), p. 5-6, et M. Putte SexKo, Remarques sur un hymneeasénen te caralere gnosigue, dans Semitic, XI (1951), pA8-44. (13) Dans la mesure oit ces polémiques au sujet du calendrier visent éga- lement les postions qumriniennes, elles seralent & verser au dossier qu’'a com: meneé de constituer Joseph AmUssin : Spuren anfiqurednischer Potemkin der falmudischen Tradllin, dans. Quraran-Provieme, herausgegeben von Hens Banprae (Akademie-Veriag, Berlin, 1968) p. 5:27. (14) Voir les rétérencet relevées par A. Jacuenr dant New Testament Studies, vol. 7, n¢ 1, October 1960, p. £7 (38) Vote‘. vat Goupouven, Guvrage cit A a note 12, p. 102-103, DATE DE LA CELEBRATION DE LA PAQUE? 63 — On devait choisir soit un agneau soit un chevreau, en bon état, male, né dans l'année (16) (Exode 12, 5). fait mis a part dés le 10¢ jour du premier mois (Exode 12,3 : il s‘agit alors de la premiére Paque, faite en Egypte; cette prescription n'est pas renouvelée ailleurs dans la Bible. —Tl était immolé le 14 du premier mois (Prade 12, 6; Lévi- tique 23, 5; Nombres 9, 1.3.5; 98, 16; Josué 5, 10; Bzéchiel 45, 21; Esdras 6, 19), c'est~i-dire du mois « des épis » (Deutéronome 16, 1). — Entre les « deux soirs » (Ezode 12, 6; Lévitique 23, 5; Nombres 9, 3.5.11), c’est-2-dire le soir au coucher du soleil (Deutéronome 16, 6). — Au liew choisi par Dieu (Deutéronome 16, 2.6), c'est-i-dire au Temple de Jérusalem (2 Chroniques 30, 1.8). — Par toute Fassembiée de la congrégation d'Israé! (Exode 12, 6) ou bien, exeeptionnellement, par les lévites a la place de ceux qui ne sont pas purs (2 Chroniques 30, 17), ou bien par les prétres et les lévites a la place des rapatriés (Esdras 6, 20). — Les prétres recoivent le sang des mains des lévites et le versent sur Vautel (2 Chroniques 30, 16). —La victime est mangée la nuit suivante (Exode 12, 8). — Intégralement rétie au feu : téte, pattes et intérieur (Ezode 12, 8-9). — Avec des azymes et des herbes améres (Ezode 12, 8; Nombres 9,11; Deutéronome 16, 3). — Les convives avaient les reins ceints, les sandales aux pieds, le baton a la main, et ils mangeaient avec precipitation (Ezode 12, 11; cette prescription, valable pour le Paque faite en Egypte, n’est pas répétée ailleurs dans la Bible). — Is ne devaient pas briser les os de la victime (Exode 12, 48; Nombres 9, 12). — On ne devait pas transporter une partie de la victime hors de la maison oit se faisait le repas (Exode 12, 46; rien de semblable dans le reste de la Bible). —La mandueation devait étre terminge avant le matin (Brode 12, 10; 34, 95; Nombres 9, 12; Deutéronome 16, 4). —Aui matin les restes, s'il y en avait, devaient étre brolés (Exode 12, 10). — Pour les gens empéchés de manger la Paque normale, on pouvait en célébrer une autre supplémentaire le 14° jour du deuxiéme mois (Nombres 9, 6-12; 2 Chroniques 30, 2-3.15), —Lilsraélite qui omettait volontairement de faire la Paque Stait « retranché » (Nombres 9, 13). Comme on peut Je constater, la oérémonie au Temple était fort simple : I'Israélite qui avait amené I’agneau pratiquait immo- (26) Bt non pas, comme Kon tradult parfols: «Agé d'un an +, 64 J. CARMIGNAG lation, le sang était reeueilli (par qui?), puis transmis par un lévite un prétre, qui le versait sur 'autel, enfin I'Israélite emportait la chair de la victime pour le repas sacrificiel, qui avait lieu dans une demeure privée, a lintérieur de Jérusalem, Or, le rite accompli au Temple pour I'agneau pascal concordait avee le’ rite aecompli pour le sacrifice pacifique, pour le seerifice d'un premier-né et pour le sacrifice de seconde dime. En conséquenee, ainsi qu’on va le voir plus en détail, un agneau immolé au ‘Temple comme sserifice pacifique, comme premier-né ou comme seconde dime pouvait aussi étre considéré comme un agneau pascal et pouvait ensuite étre mangé & domicile selon les rites preserits pour Ia Paque. |. SACRIFICE PACIFIQUE La réglementation des sacrifices pacifiques (17), contenue dans le Lévitigque 3, 1-17; 7, 11-34; 9, 18-21; 10, 12-15; 22, 29-30, peut se résumer ainsi La victime, male ou femelle, en bon état, pouvait étre prise parmi les espéces bovine, ovine ou caprine; ce pouvait étre aussi tun pigeon ou une tourterelle. L'Israélite qui offrait le sacrifice étendait la main sur sa téte, l'égorgeait devant la Tente de Réunion (plus tard : dans le parvis du Temple), recueillait le sang, séparait, Te foie, les rognons et toutes les masses adipeuses (y compris la quoue des moutons), détachait la poitrine et la cuisse droite. Ces diverses purties étaient apportées au prétre, qui les présentait & Dieu (18), puis qui versait le sang sur Fautel, y faisait fumer les graisses, ct enfin gardait pour lui la poitrine et la euisse droite. La victime elle-méme restait la propriété de I'Israélite, mais il devait Ia manger le jour méme (ou au plus tard le lendemain, sil ‘agissait d'un sacrifice votif ou spontane) et il devait briler au matin ce qui aurait pu subsister. Dans le cas d'un sacrifice d'action de grices, on ajoutait des galettes et des gateaux, dont l'un revensit, au prétre, mais on devait consommer la chair avant le matin suivant. Cette réglementation, si on la compare & colle de 'agneau pascal, est & la fois plus souple, pour le choix de la vietime, et plus précise, (27) Catte traduction est adoptée Ici uniquement parce qu'elle est In plus courante. Le Pbre B. de Vaux préfére traduire par « sacriliee de communion » volt Ler institutions de f'Aneten Testament (Le Cert, Paris, 1958 et 1980), vol. 2, p. 204-205, et, tout récommont, Les sacrifees de l'Ancien Testament (Gabalaa, Parts, 1964), p. 31-33. (18) Les commentateurs discutent pour savoir sil sfagissait d’un « préle vernent + on chun « balancement »: voir R. de Vaux, Ler socrifioes de ? Ancien DATE DE LA CELEBRATION DE LA PAQUE? 65 pour les modalités de limmolation; mais l'une et l'autre peuvent se concilier dans un certain nombre de cas. ;pposons un Israélite en état de pureté légale. Au jour qu'il considére Iui-méme comme le 14 nisan, a l'heure qu'il considére comme étant « entre les deux soirs », il egorge au Temple un agneau (ou un chevreau) né dans l'année; il en recueille le sang (ou le fait recueillir par un lévite); il en sépare le foie, les rognons, la graisse (et la queue, s'il a choisi un agneau); il en désartieule (19) la cuisse droite et la poitrine, en ayant bien soin de ne briser aucun os; il fait apporter au prétre par un lévite le sang pour étre répandu sur l'autel, les parties grasses pour étre consumees par le feu, Ja cuisse et Ia poitrine pour étre réservées au prétre et a sa famille; puis il retourne en ville avec le reste de la vietime et il la mange cette nuit-la selon les prescriptions édictées pour la manducation de la Paque. Aux yeux du prétre, il a offert un sacrifice pacifique; ses yeux a lui, il fait immoler l'agneau pascal. En apparence, quelques difficultés pourraient provenir des parties qui, dans le sacrifice pacifique, sont briilées sur l'autel ou réservées pour le prétre, car rien de semblable n’est prévu. dans le cas de la Paque. Mais, d'abord, il était toujours interdit de manger la graisse des animaux (Lévitique 7, 23-25), et done celle de T'agneau pascal devait en toute hypothése etre brulée; qu’elle le soit sur Vautel du Temple n’était pas un obstacle, au eontraire! Puis, rien n’obligeait a manger l'agneau pascal en entier, et il était méme prévu explicitement que les restes devaient étre brilés au plus tard pour le matin; donc en bralant tout de suite le foie et les rognons on se trouvait en plein accord avec la Loi. Et puis, les prétres et les membres de leur famille devaient étre en état de pureté légale pour consommer leur part des sacrifices (Lévitique 6, 20; 10, 14; Nombres 18, 11), et ainsi ils pouvaient sans obstacle participer aussi 4 la manducation de Pagneau pascal. Enfin, si Ton avait eu soin d’accompagner le sacrifice de galettes et’ de gateaux, de facon a le faire rentrer dans la catégorie des sacrifices action de grices, les restes non-consommés devaient étre brOlés és le matin, tout comme ceux de Vagneau pascal (Lévitique 7, 15) sans qu’on puisse les conserver jusqu’au jour suivant. Ainsi donc, une seule difference subsiste réellement : Tagneau pascal devait étre réti intégralement et mangé avec des pains azymes et des herbes améres par des convives ayant le baton & la ‘main et les sandales aux pieds, alors que sans doute les prétres ne (49) Cette opération peut trts blen se réallser sans « briser + sucun os : volt les préeisions données par Ia Mishnah, Pesapim VIT, 12 et Tamid TV, 2 Et de fait, dans la PAque des Samaritains, telle qu'elle se pratique encore’ au Gorizim, on désarticale Iépaule droite de I'agnean pascal. aus 66 J. CARMTGNAG se croyaient pas astreints a ces rites particuliers quand ils man- Geaient. les prélévements faits sur les sacrifices pacifiques. Mais celui qui avait offert une victime, considérée par lui comme agnean pascal et par le prétre comme sacrifice pacifique, pouvait fort. bien rejeter sur le prétre la responsabilité de cette infraction, comme de toutes celles provoquées par Padoption du nouveau calendrier lunaire, D’ailleurs, dans le eas de Jésus, la question ne se posait méme pas, puisqu’'il enseignait que Ia culpabilité provient des manvaises dispositions du cceur et non pas des man- quements fortuits aux observances extérieures (Mare 7, 2-23; Matthieu 15, 2-20), En définitive, les adeptes du calendrier biblique traditionnel, qui par définition ne reconnaissaient que Fautorité de la Bible, pouvaient sans difficulté profiter de ce que les rites d'immolation étaient assez voisins dans le cas du sacrifice pacifique et dans le cas de la victime pascale, pour obtenir un agneau immolé légalement pour lz Pique, sous le couvert d'un sacrifice pacifique Mais, dira-t-on, puisque les partisans de l'ancien calendrier constituaient encore au temps de Jésus un pourcentage appréciable de la population palestinienne, le nombre de ces sacrifices pacifi- ques devait étre asser élevé (20) pour éveiller Ia suspicion des auto- rités du Temple. — La réponse est facile. La Loi preserivait de ‘ne pas so présenter les mains vides devant la face du Seigneur » (Ezode 34, 20 et Deutéronome 16, 16) et les interpretations rabbi- niques demandaient, en accord avee Nombres 10, 10 et avee 2 Chro- nigues 30, 22, que chaque Israélite monté a Jérusalem pour la Paque y offre un ou plusieurs sacrifice(s) pacifique(s). Le traité Hagigah de la Mishnah, qui est consacre A ces sacrifices, précise quills peuvent étre répartis pendant les sept jours de la solennité paseale (I, 6) ou méme accomplis par la suite, bien qu‘alors Tobli- gation ait cessé (ibidem). En conséquence, des sacrifices pacifiques devaient étre offerts au Temple, pendant toute cette période, en telle quantité que les partisans de T'ancien calendrier ponvaient sans se faire remarquer ehoisir le jour et "heure qui correspondaient 4 leur obligation pascale. En particulier, lorsque la Paque du calendrier solaire traditionnel tombait dans les 8 jours qui suivaient Ja Paque du calendrier lunaire des Pharisiens, les prétres du Temple devaient étre tellement absorbés par T'offrande de dizaine de milliers de saerifices paeifiques (sans parler d'autant d’holocaustes) (20) Cependant, rappetons-nous que chacun des convives du repas pascal pouvait se contenter dune portion minime : salon la Iégisltion rabbinique, I sulsaft Pune bouchée grosse comme une olive (Mishaah, Pesohim VI, 43.7, ote,ysh bien qu’avee tn seul agneau un groupe dune centalne de personne ‘ow méme davantage, pouvalt satisfaire au précepte de Ia PAque; ensuite, vil ‘alt nécessaire, on complétait le repas avec d'autres mets, DATE DE LA GALEBRATION DE LA PAQUE? 67 quiils ne pouvaient s'étonner que quelques centaines d'agneaux figurent parmi ces sacrifices pacifiques. Bien entendu, les fidéles du calendrier traditionnel ne se précccupaient pas de opinion des docteurs pharisiens ct ne se considéraient. pas comme soumis leurs réglements. Pourtant, on reléve avec intérét, méme dans la Mishnah et les Talmuds, plusieurs dispositions qui pouvaient, jusqu'a un certain point, favoriser cette immolation d'un agneau pascal sous couvert de sacrifice pacifique : a) La législation talmudique prévoit pour Yagneau pascal, comme pour la victime des sacrifices pacifiques, la combustion sur 'autel des masses adipeuses (Mishnah, Pesahim ‘VI, 1; VIL, 5; Talmud de Babylone, Pesahim 79 2), de la queue des moutons (Talmud de Babylone, Pesahim 3b; 84b; Zebahim 9b) et des rognons (Talmud de Babylone, Pesakim 64 b), — 6) Cette Isgislation affirme souvent I'équivalence du sacrifiee pascal et du sacrifice pacifique (la question de date mise a part) : Mishnah Pesahim IX, 6, Zebahim 1, 1.3; Talmud de Jérusalem sur Pesabim V, 2; V, 4 et VIL 5 (Scuwan (21), p. 66, 75 et 89-90); Talmud de Baby- lone, Pesahim 62.b; 64a (22); 70b; 73; Zebahim 7b. — c) Cette législation considére que la différence entre les deux sacrifices relive uniquement de V'intention de celui qui immole Vagneau, 2 condition que Von soit au soir du 14 nisan : Talmud de Jérusalem sur Pesahim V, 2 (Scawas, p. 65-60), aussi envisage-t-elle & plu- siours reprises les divers cas possibles de changement d’intention : Mishnah, Pesahim V, 2. 4; Zebakim 1, 4; Talmud de Jérusalem sur Pesahim V, 2 (Scawas, p. 66 et 67); Talmud de Babylone, Pesakim 59 b a 61 a; Zebakim 2 b et 8 b. —d) Un texte fort curieux nous révéle méme que oes changements d’'intention sont habituels, ct précisément dans le sens qui nous intéresse : « Il est juste qu'il y ait dispense pour les cas de modification de but des sacrifices rdinaires en sacrifice pascal, vu Vhabitude de changer & ce moment (qui est instant précis pour égorger Vagnean pascal), tandis qu’ Pinverse, la modification de but de lagneau pascal en un autre sacrifice n'est pas habituelle a ce moment » (Talmud de Jérusaten sur Pesahim VI, 5; traduction Scuwas, p. 90). Comme ee passage concerne une controverse entre Rabbi Eliézer et Rabbi Josué, qui vivaient l'un et Pautre avant la destruction du Temple par les Romains, ne serait-on pas en droit d'y voir une allusion diseréte (21) Le Talmud de Férusolem traduit pour la premiere fois en frangats GG. P. Maisonneuve, Paris); le traité Pesohim se trouve dans Je volume 5 de Ja premiére éaition et dans le volume 8 de la réddition anastatique de 1960. (22) Ce texte est particuligrement affirmatif : « Das Pesahopter ist ja an ‘den Obrigen Tagen des Jahres (cest-avdire en dehors du 14 nisan) Hellsopfer (= sacrifice pacifique) +. Traduction de Lazarus Gouosemaps, Der Baligle- risehe Talmud (Jodlscher Verlag, Bertin, 1980), vol, 2, p. S01. 68 J. CARMIGNAG 4 la pratique de ceux qui se procuraient un agneau pascal sous couvert de « sacrifices ordinaires » (entendons : de sacrifices paci- fiques)? Et nous sommes spécialement heureux de savoir que cette pratique était assez courante et qu'elle était considérée comme Kégitime (23). En définitive, cette pratique d'utiliser pour le repas paseal un agneau immolé au Temple titre de sacrifiee pacifique ne parait pas en désaccord avec les textes de la Bible et elle ne parait soulever aucune difficulté insurmontable sur le plan de la réali- sation, Ml. SACRIFICE DE PREMIER-NE Si, pour une raison ou pour une autre, on ne pouvait pas ow ne voulait pas recourir 4 la solution précédente, une autre possi- bilité était offerte par les sacrifices de premiers-nés (24), Sclon I’Ancien Testament, tout mile premier-né, ouvrant le sein maternel, était réservé & Dieu, soit parmi les hommes soit parmi les animaux; on devait racheter le premicr-né d'une femme et Von devait soit assommer le premier-né d'une anesse soit le racheter par un mouton (Exode 13, 2.12-13; 34, 19-20); par contre, le premier-né d’une vache, d'une brebis ou d'une chévre ne pouvait pas étre racheté, son sang devait étre versé sur l’autel et sa graisse bralée en fumigation agréable & Dieu (Nombres 18, 17-19). Plusieurs textes parlent de Pemploi de la chair des premiers- nés, mais ils ne paraissent pas en harmonie les uns avec les autres. Le Deuléronome 12, 17-18 suppose que cette chair est mangée par le proprictaire : « Tu (= chaque Israelite) ne pourras pas manger dans tes portes (= dans ta ville de résidence) la dime de ton froment, de ton moat ou de ton huile, ni les premiers-nés de ton gros ou de ton menu bétail, ni toutes tes offrandes offertes par voru, ni tes offrandes volontaires, ni le prélevement de ta main, Mais c’est devant Yahweh ton Dieu que tu les mangeras dans le lieu que ‘Yahweh ton Diew aura choisi, toi, ton fils, ta file, ton serviteur, ta servante et Ie lévite qui est dans tes portes (— qui habite la (23) Bn fait Ia discussion entre les deux rabbis concere le cas oit ce chan- gement c'intention a lien lors cu sapbat; mais la réponse citse semble plus générale et viser Vensemble des cas; elle peut donc valoir méme dans le eas da calendrier solaire traditionnol, ob le 14 du premier mols ne tombait jamais ‘un samed, mals toujours wn mardi. (24) Je dois a M. le Docteur Saul Liepeawan, Professeur au Jewish Vidée fondamentale de tout ce développe- nde gratitude. Je remercie également M. le Professeur au Séminaire Isradlite de Paris, de plusieurs points de sa particultire compétance. DATE DE LA CELEBRATION DE LA PAQUE? 68 méme ville que toi); le Deutéronome 14, 23 répéte la méme dispo- tion : « Tu (= chaque Isra¢lite) mangeras devant Yahweh ton Dieu, dans le lieu qu'il aura choisi pour y faire résider son nom... les premiers-nés de ton grps ou de ton menu bétail... x; et nouveat, le Deutéronome 15, 19-21) confirme la méme réglementation : « Tout premier-né male qui sera né dans ton gros ou ton menu bétail devant Yahweh ton Dieu tu (= chaque Israélite) le mangeras chaque année dans le liew que Yahweh aura choisi, toi et (les habitants de) ta maison ». Mais, & Lopposé, dans les Nombres, « Yahweh dit & Aaron (Nombres 18, 1 et 8)... Tout étre vivant (Kol basir) qui ouvre le sein maternel, parmi les hommes ou les animaux, on l'offrira a Yahweh et il sera pour toi (= Aaro (= Aaron et chaque Israélite) rachéteras le premier-né de homme (18, 15). tu (= Aaron et chaque Israélite) ne rachéteras pas le premier-né de la vache, de la brebis ou de la chévre (18, 17)... leur chair sera pour toi (= Aaron) comme la poitrine de balancement (25) et comme la cuisse droite, elle sera pour toi (= Aaron) (18, 18).. Je t'ai donne (cela) & toi (= Aaron), a tes fils, & tes filles (qui sont) avec toi par un décret perpétuel (18, 19) ». Pourrait-on faire concor~ der ces deux séries de textes en arguant que les Nombres ne réservent pas les premiers-nés aux prétres seuls, & I'exelusion des Israélites, et que Je Deutéronome prévoit positivement que les lévites (c'est-2- dire peut-ttre les membres de la tribu de Lévi, et done aussi les prétres) participeront au repas saerificiel? Le probleme n'est pas facile & résoudre. Les rabbins, naturellement, avaient élaboré une réglemen- tation plus complete, dont voici les principaux articles : le premier- né était remis par son propriétaire a n’importe quel prétre (Mishnah, Heallah IV. 9); comme Vagneau pascal, il devaitétve offer en sacrifice moins d’un an aprés sa naissance (Mishnak, Bekorct 1V, Let 2); si fon était au temps de Paques, il devait étre immolé pendant. les jours qui prévédaient la date officielle de la Paque (Sifra, Emor XV, 2, édition Wess 102 c) (26); comme pour Vagneau pascal, son sang était vers¢ sur l'autel en une seule fois, sans impo- sition des mains ni libation ni « balaneement » de la poitrine et de la cuisse droite (Mishnah, Zebahim X, 2), on précise méme que le sacrifice du premier-né ef ‘celui de lagneau pascal sont exactement identiques et quills ne se distinguent que par les modalités de la manducation (Mishnah, Zebahim V, 8). Comme nous savons que chaque prétre avait le droit d’oftrir en personne les premiers-nés qu'il possédait ou qu'il avait recus, méme s'il n'était pas A ce moment-la de service officiel au Temple (25) Voir is note 18, ci-dessus. G6) Référence fournie par M, le Professeur S. LizpznMax. 70 oe CARMIGNAC (Tosephta, Menakoi X11], 17) (27), nous pouvons facilement ima- giner la scéne suivante : une année oit la Paque du calendrier tradi- tionne] tombait avant la Paque du calendrier des Pharisiens, un adepte de ce calendrier traditionnel s‘entendait avec un prétre de ses amis qui était Ini aussi favorable a ce calendrier, ou duu moins qui acceptait de fermer les yeux; il lui remettait un agneau (ou un chevreau) premier-né, agé de moins d'un an, et il montait avec lui Jérusalem quelques jours avant la féte de Paques; au soir du 14 du 1st mois, selon le ealendrier traditionnel, le prétre offrait le sang et Ia graisse de l'agneau, selon les rites de limmolation d'un pre- mier-né, identiques & ceux de l'immolation d'un agneau pascal; ee sacrifice ne pouvait soulever aucune suspicion, car une foule de prétres devaient affluer & Jérusalem a cette époque pour immoler tous les animaux premiers-nés qui leur avaient ¢té remis depuis la féte des Tabernacles; méme si une question indiseréte était posee, il était parfaitement exact de répondre qu'il s’agissait de 'immola- tion normale d'un agneau premier-né; aprés la cérémonie accomplie au Temple, le prétre emportait lagneau et le mangeait & Jérusa- lem, selon Tes rites prévus pour la P&que, en compagnie de toute la famille et de tous les invités de son ami. Si l'on voulait éviter le moindre soupgon, on pouvait meme faire immoler un nowvel agneau au jour de la Paque officielle, en le considérant comme une offrande volontaire ou comme un sacrifice de « bagigah » (28). Contre une telle pratique, une seule objection, semble-t-il, peut étre formulée : le texte des Nombres 18, 15-19, qui attribuait aux prétres la chai des premiers-nés. Mais nous avons vu qu'il est contrebalancé par des textes différents dans le Deutéronome et qu'il ne stipule pas une attribution exclusive en faveur des prétres seuls, Si done on donnait la préférence au Deuléronome, ou du moins si Yon interprétait les Noméres dans esprit du. Deutéranome, la facon de faire que nous venons d'imaginer devenait tout a fait admissible. Cela devait suffire aux yeux des Juifs qui s'en tenaient aux données de la Loi, sans se considérer comme soumis aurx inter- prétations rabbiniques, Et d'ailleurs, méme selon ces interprétations, une telle pratique pouvait encore étre soutenue : bien que la Mishnah spécifie plusieurs fois que la chair des premiers-nés est réservée uniquement aux prétres et A leur famille (Pesahim IX, 8; Zeba- him X, 3; Bekorot Il, 6-8; HII, 1 etc), elle admet au moins une fois tun point de vue different : « The School of Shammai say "A layman may not be numbered (in the same group) with a priest for (the ‘consumption of) a firstling’. but the School of Hillel permit it even to a non-Jew » (Bekorot V, 2, traduction Ph. Brackstan) et Ie 27) Autre nitérence fournie par M. le Professeur S, Linnenman 8) Voir ei-dessus, p. 86-87. DATE DE LA CELEBRATION DE LA PAQUE? a Talmud de Babylone, dans le commentaire de co passage, rapporte que Rabbi Agiba se rangeait & cet avis de Hillel (Bekorof 32 b a 33 b, surtout 33 a). En conséquence, pour des groupes comme ceux de Qumran, qui comportaient de nombreux prétres, et pour l'ensemble des Israélites fidéles au calendrier traditionnel, qui connaissaient sans doute certains prétres sympathiques & leurs tendances, Vagneau pascal pouvait facilement étre immolé au Temple, s'il etait un premier-né, par un prétre complaisant qui participait ensuite au repas pascal, toutes les années ott la Paque traditionnelle précédait a Paque officielle, Par contre, ce procédé ne semble pas valable pour Jésus, lors de la demniére Céne, puisque ni Jésus ni ses disciples n'appartenaient A le descendance d’Aaron et que le récit évangélique ne paraft pas indiquer la présence d'autres convives. Faudrait-l imaginer que le propriétaire du Cénaele (Mare 14, 13-15; Luc 22, 10-12; Matthieu 26, 18) était précisément un prétre, ami de Jésus? Cela n'est oulle- ment nécessaire, car, en plus des deux solutions précédentes, une troisiéme est encore possible. IIL SACRIFICE DE SECONDE DIME Les textes bibliques sur la dime se répartissent en deux caté- gories : d'une part le Lévitigue 27, 30-33 et les Nombres 18, 21-32 instituent la dime au bénéfice des lévites et la dime de la dime au hénéfice des prétres, et d’autre part le Deuléronome 12, 5-7. 11-18 et surtout. 14, 22-27 prévoit que les Israélites mangeront eux-mémes cette dime prés du Temple en de joyeux banquets : « Tu (= chaque Israélite) mangeras devant. Yahweh ton Diew, dans le liew qu'il aura choisi pour y faire résider son nom, 1a dime de ton froment, de ton moat et de ton huile... Si la route est trop longue pour toi. tu échangeras (la dime) contre de argent... puis tu échangeras argent contre tout ce que désirera ton Ame : boeuf, mouton, vin, liqueur... tu mangeras la devant Yahweh ton Dieu et tu te réjouiras, toi et (les habitants de) ta maison » (Deuféronome 14, 23-26). Ces textes du Deuléronome étant diffcilement conciliables avee ceux du Lévitique et des Nombres, la tradition biblique y vit une insti- tution différente, la « seconde dime » (ma‘aéér shéni), qui se super- posait a la premiére dime en faveur des lévites et Ala dime de la dime en faveur des prétres, eomme le montre déja Tobie 1, 7. ‘Voici les principaux renseignements que nous fournit la plus ancienne littérature rabbinique sur cette « seconde dime », en ce qui concerne les animaux : une quinzaine de jours avant Paques ou avant la Pentecéte ou avant les Tabernacles (Mishnah, She- galim THI, 1 et Bekorot IX, 5), on rassemblait les animaux nés 72 de CARMIGNAG depuis la derniére décimation et \'on en désignait un sur dix, selon une méthode décrite par la Mishnah, Bekorot 1X, 7: les. bétes ‘amenées au Temple, ou celles achetées avec le prix des bétes vendues sur place, y étaient immolées selon un rite qui ne comportait ni libation ni’ imposition des mains (Mishnah, Menakot IX, 6 et 7); ‘on versait seulement le sang a Pautel et on y faisait briler les sgraisses, tout comme pour Pagneau pascal, ainsi que le déclare explicitement la Mishnah, Zebahim V, 8; d'ailleurs il était méme prévu que les simples Israélites pouvaient offrir les saerifices paci- fiques prévus pendant les fétes avec les animaux provenant de cette seconde dime (Mishaah, Hagigah 1, 4); aprés l'immolation, la chair pouvait étre emportée hors du Temple et mangée & Jérusalem dans un délai de deux jours et sans autre rite particulier (Mishnah, Zebahim V, 8), mais, bien entendu, on pouvait aussi la manger tout, de suite et selon les rites propres a la Paque. ‘A nouveau done, nous ponvons imaginer que, parmi les nom= breux fidéles qui se présentaient au Temple vers la date de la Paque pour immoler leurs animaux de seconde dime, figuraient aussi les adeptes du ealendrier biblique traditionnel, venus a 'heure qu'ils, considéraient comme le soir du 14 nisan ‘et pourvus d’animaux (au besoin achetés avec I'argent de cette seconde dime) qui se trouvaient étre des agneaux ou des chevreaux males agés de moins d'un an, Aprés Vimmolation et loffrande du sang et des graisses, ils retournaient dans leur domicile provisoire a Jerusalem et man- geaient dés la premiére nuit la chair rétie au feu, selon tout le rituel de la Paque. Ils étaient parfaitement en régle avec le Loi et méme avec les prescriptions rabbiniques (sauf, bien sir, en ce qui concer- nait la différence des dates de la Paque). Contre une telle pratique, on ne voit guére qu'une seule objec tion possible : la seconde dime n’était pratiquée que Ia 1%, Ia 2", la 4° et la 5¢ année du cycle septennal, puisqu’a la 3¢ et la 6* année elle était remplacée par la « dime da panvre » (ma‘asér ‘ani), selon les prescriptions du Deuléronome 14, 28-29 et 26, 12 (29). Par conséquent, immolation d’un agneau de seconde dime comme victime pascale n'était pas possible chaque année, mais seulement, quatre années sur sept. Dans le cas de Jésus et de la derniére Céne, nous ne pouvons malheureusement pas préciser avec certitude la position des années sabbatiques (30), méme si Ion retient comme tres probable qu'il soit mort en l'année trente. (29) La 7* année, qui était Fannée sabbatique, ne comportalt pas de récolte en Palestine, et done pas de dime sur le récolte (saul pour certains Gtrangers, selon la Mishnah, Yadayim TV, 3); mals y avait-ll une dlme sur Te produit des troupeaux? (G0) On dit souvent que Vannée 28/27 aprés Jésus-Christ (de ‘a septembre, comme Vindique le Deutéronome 31, 10-11 et comme Vexige le DATE DE LA CELEBRATION DE LA PAQUE? 3 climat de Ia Palestine, avec semsilles en autorine et moisson au printemps) était une snnée sabbatique, pulsquiune autre année sabbatique s'étendalt. de septembre 68 & septembre 60, juste avant le slége de Jérusalem, et que d'autres années sabbatiques peuvent étre repérées en harmonie avec ces deux dates. Male cette affirmation est moine solide qu'on ne T'imagine généralement et elle mériterait d’ttre soumise aux judicleuses critiques de R. Norn sur les « Maccabean Sabbath Years > (Biblica, vol. 34, 1953, n*4, p. 501-515) : @) J.T. Munim (Les grolles de Murabba'al, Discoveries in the Judaean Desert, UI, p- 425) allégue Ie témolgnage de Fiavios Joskpux pour année 68/60 aprés jes Christ, mals il oublle de donner la référence précise et l'on ne voit pas sur quel texte il s'appule. —b) Le Tolmud de Babylone (Ta'anit 29 a et ‘Arakin 11) dit que le premier Temple fut détruit la veille du 9 ab, le jour aprés le sabbat et née aprbs Pande sabbatique, et que la meme chose arriva au second Temple; mais cette précision sur Ia ruine du premier Temple, qui nest pas fondée sur les textes Dibliques, semble blen n'étre qu’une légende inspirée par le déste rexpliquer la famine qui sboutit & la prise de Jérusalem; par conséquent application de cette Iégende au eas du second Temple ne repose sans doute, elle non plus, sur aucune donnée historique. — ¢) Les autres témolgnages rabbiniques sont encore plus tardifs et encore moins pourvus de garantie Selentifgue, comme le reconnaft E, ScmOmen en les quallflant de « trellich spltrabbinische Notlz » (Geschichte des Jdischen Volkes im Zeltalter Jesu Christi, Leipzig, 1901, vol. 1, p. 35). — d) Polnt n'est besoin do recourir & Thypothése d'une année sabbatique pour expliquer l'absence de réserves de vivres & Yintérleur de Jérusalem, pulsque FLavivs Jostenie alt au contraire gue Ia ville possédait une réserve de blé suflsante pour plusieurs années, mals gu'ele fut presque entidrement bralée lors des incendies allumés par Jean ou par Simon, avant méme Je début du sidge (Guerre des Ju ¢) Un document de Murabba’at (n* 18, ligne 7), date de I'an 2 de Neron, parte d'une année sabbatique, mais les lacunes du contexte ne permettent pas de avoir sl ce document a’été rédigé pendant cette année sabbatique (comme le pense Manfred R. Lumwaxw dans Ia Reoue de Qumrdn n* 18, vol. 4, tase. 1, Janvier 1963, p. 56-57) ou sll envisage le cas d'une future année sabbatique (comme le pente J. T. Mctix dans « Les grotes de Murabba'al », p. 101-104). — 1) Un autre document de Murabba’at (ne 24, B 14, C12 (2) et #9), daté du 20 Shebat an 2 de la Libération a’lsraél, mentionne une année sabbatique a venir dans cing ans (B 10 (*) et E 10), mais Vinterprétation de ce texte donne égale- ‘ment lieu & discussion : voir Manfred R. Lensanx, méme article, p. 56. — 9) Fiaviws Joskeae signale la cotneldence de année sabbatique avec le siege 4e Jerusalem par Herode en 37 avant Jésut-Carist, sous le coneulat de Marcus ‘Agrippa ot de Caninius Gallus (Antiquilés Judalgues XIV, xvt, 4, 487); malhew reuserent il semble dire une fols que le slége avait été précédé par la privation sapbatique de réceltes (ibidem XAV, xvt, 2, 475) et une autre fois qu'il avalt &4€ suivl par Finterdiction sabbatique de semalles (Loldem XV, 1, 2, 7), sl Bien que eette année sabbatique peut correspondre a 38/38 ou 38/87 ou 37/96. — 1A) Meme si la date précise d'une année sabbatique pouvalt étre établle avec certitude, le calcul des autres années sabbatiques Wen resteralt. pas moins aléatoire, car nous ne savons pas encore quand se situalent les années jubilaires, ul étalent peut-ttre comptées 2 part, a titre d’années intercalaires, comme semble le suggérer le Lévilique 25, 8-22 et comme le pensalent la majorité des autorités rabblnlques (volr, par exemple, The Jewlsh Encgelopedia, art. « Sadba- tical Year and Jubilee », vol. 10, col. 60S; d'autres références sont indiquées par R, Nonti, dans l'article elt, p. 509, note 1). A J. CARMIGNAG CONCLUSION Aucune des trois hypotheses envisagées n’aboutit a une solution definitive, certainement applicable en tous les cas. Mais ces trois hypothéses suffisent largement. & montrer que l'on ne doit pas cansidérer comme insoluble le probléme de 'immolation rituelle de 'agneau pascal A une date différente de la date officielle admise par le Sanhédrin. Et ces trois hypotheses ne sont probablement pas les seules possibles : lesprit inventif et juridique du peuple juif me devait pas étre a court d’expédients pour imaginer des moyens légaux d’obtenir pour la Péque des. victimes immolées rituellement, sans provoquer un refus catégorique de la part des autorités installées au Temple. Nous sommes trop mal renseignes sur la pratique des sacrifices « volontaires » ou « spontanés » pour en tirer un argument positif, mais il est vraisemblable qu'en bien des cas ces sacrifices « volontaires » pouvaient, eux aussi, permettre, Gobtenir des agneaux immolés selon un rite identique au rite pascal. ‘Ainsi, les Juifs attachés au ealendrier biblique traditionnel, et parmi eux les gens de Quinran, ne font plus figure de révoltés, qui, pour rester fidéles A certains articles de la Loi, se seraient résignés en violer d’outres, tels que la célébration de la Paque. Sans pouvoir encore tirer ati clair tous les détails, nous pouvons croire a la sincérité des gens de Qumran, lorsqu'lls pronent Ie retour 4 lo veritable observance de la Loi. Comment auraient-fis pu se poser en parfaits disciples de Moise, s‘ils avaient négligé un point aussi important que Is mandueation de I'agneau pascal? Et ainsi, les exégétes et les historiens peuvent échapper au ‘ilermme oit certains se croyaient enfermés. Des documents valables (les Evangiles et les Péres de |'Eglise) attestent comme un fait tne double date pour la manducation de la Paque, d'un e6té par Jesus et d'un autre coté par les autorités offcielles. Au nom d'une théorie, qui proclamait l'impossibilité de cette double date, certains étaient tentés de récuser les témoignages et de nier le fait, bien que autres, au nom méme de la scienee, aient toujours cru devoir préférer les documents aux théories, Maintenant nous constatons que cette impossibilité d'une double date pour la Paque n’était qu'une apparenee, provoquée par les lacuunes de notre information, ‘mais heureusement dissipée par les découvertes de Qumran, Puisque, aux alentours de ere chrétienne, les Juifs palestiniens suivaient deux calendriers différents et que tous étaient fermement attaches 4 la Loi, qui les obligeait a célébrer la Paque, n’aurait-on pas tou- jours dG, au liew de contester les faits, supposer qu’ils ctaicnt DATE DE LA CELEBRATION DE LA PAQUE? ary coneiliables, méme si 'on ne voyait pas comment? Or, maintenant, nous découvrons que cette conciliation n’était pas impossible. Lorsque les deux calendriers commencérent étre en vigueur Tun et 'autre ( probablement vers le temps de la crise hellénistique et de la réaction macchabéenne, donc approximativement entre 180 et 150 avant Jésus-Christ), ce probleme de la célébration des fétes liturgiques, et spécialement de la Paque, dut se poser de facon cruciale. Bien vite, sans dovte, Mingéniosité proverbiale de Tesprit juif déeouvrit diverses solutions qui sauvegardaient tout, ensemble les dispositions de la Loi, les traditions liturgiques du ‘Temple et les exigences des adeptes de chaque calendrier : en plus de la Paque officielle, une autre était célébrée par eeux qui le vou- Jaient avec des agneaux immolés sous différents prétextes. ‘Méme si 'on rejetait ces hypothéses, il faudrait bien admettre qu'un certain compromis

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