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Texte n° 3/3 : Michel de Montaigne (1533-1592), Essais, « Des cannibales », I, 31, 1595,
Belin-Gallimard, 2019, pp. 23-25.
Auteur du XVIe siècle qui appartient au mouvement littéraire de l’humanisme. Il a occupé des fonctions
politiques : conseiller au parlement de Bordeaux et maire. Il est auteur d’un unique ouvrage Les Essais,
qu’il a remanié à plusieurs reprises de 1572 à sa mort en 1592. Il a été témoin des guerres de religion entre
catholiques et protestants qu’ils qualifient d’« imbécilités » en raison de leur cruauté inouïe. Parallèlement,
les grandes découvertes ont mis les Européens au contact de nouveaux peuples décrits dans leurs coutumes
comme « des barbares » par les auteurs de récits de voyage. Montaigne se fait l’écho des débats de son
temps et propose dans le livre I, chapitre 31, intitulé « Des cannibales », son point de vue sur cette
prétendue barbarie.
1 [Les cannibales] font des guerres contre les nations qui sont au-delà de leurs montagnes, plus loin sur
la terre ferme, guerres où ils vont tout nus, n’ayant autres armes que des arcs ou des épées de bois,
aiguisées par un bout, à la façon des fers de nos épieux. C’est une chose étonnante que la dureté de
leurs combats1, car, pour ce qui est des déroutes et l’effroi 2, ils ne savent pas ce que c’est. Chacun
5 rapporte, en trophée personnel, la tête de l’ennemi qu’il a tué et l’attache à l’entrée de son logis.
Après avoir longtemps bien traité leurs prisonniers et avec tous les agréments auxquels ils peuvent
penser, celui qui en est le maître fait une grande assemblée des gens de sa connaissance : il attache
une corde à l’un des bras du prisonnier par le bout de laquelle il le tient, éloigné de quelques pas, de
peur d’être blessé par lui, et il donne au plus cher de ses amis l’autre bras à tenir de la même façon ;
10 puis eux deux, en présence de toute l’assemblée, l’assomment à coups d’épée. Cela fait, ils le
rôtissent et en mangent en commun ; ils en envoient aussi des morceaux à ceux de leurs amis qui sont
absents. Ce n’est pas, comme on pense, pour s’en nourrir, ainsi que faisaient anciennement les
Scythes3 : c’est pour manifester une très grande vengeance. Et pour preuve qu’il en est bien ainsi :
s’étant aperçu que les Portugais 4, qui s’étaient alliés à leurs adversaires, usaient contre eux, quand ils
15 les prenaient, d’une autre sorte de mort qui consistait à les enterrer jusqu’à la ceinture et à leur tirer
sur le reste du corps force coups de traits, puis à les pendre, ils pensèrent que ces gens-ci de l’autre
monde5, en hommes qui avaient semé la connaissance de beaucoup de vices 6 dans leur voisinage et
qui étaient beaucoup plus grands maîtres qu’eux en toute sorte de méchanceté, n’adoptaient pas sans
cause cette sorte de vengeance et qu’elle devait être plus pénible que la leur, [alors] ils commencèrent
20 à abandonner la manière ancienne pour suivre celle-ci. Je ne suis pas fâché que nous soulignions
l’horreur barbare qu’il y a dans une telle action, mais plutôt du fait que, jugeant bien de leurs fautes,
nous soyons si aveugles à l’égard des nôtres. Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme
vivant qu’à le manger mort, à déchirer par des tortures et des supplices un corps ayant encore toute sa
sensibilité, à le faire rôtir petit à petit, à le faire mordre et tuer par les chiens et les pourceaux 7
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(comme nous l’avons non seulement lu, mais vu de fraîche date, non entre des ennemis anciens, mais
entre des voisins et des concitoyens8, et, qui pis est, sous prétexte de piété 9 et de religion), que de le
rôtir et de le manger après qu’il est trépassé.
Notes : 1. la vigueur de leurs combats : l’énergie qu’ils mettent au combat. – 2. la déroute et l’effroi : fuite en désordre de troupes battues ou prises
de panique et très grande peur. – 3. les Scythes : peuples indo-européens originaires d’Asie centrale, en grande partie nomades, et parlant des langues
iraniennes, qui ont vécu leur apogée entre le VII e siècle av. J.-C. et la fin de l'Antiquité. – 4. Portugais : les premiers Portugais ont commencé à
coloniser l’actuel Brésil dès le début du XVIe siècle. – 5. l’autre monde : l’Europe, par opposition au nouveau monde qui vient d’être découvert. – 6.
vices : penchants irrépressibles pour quelque chose que la morale, la religion réprouve. – 7. Pourceaux : porcs – 8. comme nous l’avons non
seulement lu, mais vu de fraîche date, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens : allusion aux guerres de religion du
XVIe siècle entre les catholiques et les protestants. – 9. piété : attachement fervent à Dieu ; respect des croyances et des devoirs de la religion.
Travail de recherches sur Michel de Montaigne à partir du site internet :
CORRECTION http://www.chateau-montaigne.com/fr/montaigne/6-biographie-
michel-montaigne
13° En quelle année débute-t-il la rédaction des Essais ? Il publie le premier recueil en 1580.
14° De quelle maladie souffre-t-il ? Il souffre de la gravelle.
15° Dans quels pays d’Europe voyage-t-il ? Il voyage en Suisse, en Allemagne et en Italie.
16° Quel témoignage de ce voyage a-t-on retrouvé ? Il raconte son périple dans son Journal
de voyage.
17° Á quel poste prestigieux est-il élu en 1581 ? Il est élu maire de Bordeaux.
18° En quelle année publie-t-il la seconde édition des Essais ? Il publie la seconde édition
en 1582.
19° De quel roi Montaigne a-t-il été très proche ? Il a été très proche d’Henri III.
20° En quelle année est publié le troisième tome des Essais ? Le troisième tome des Essais
est publié en 1588.
21° Á quel âge décède-t-il ? Il décède à l’âge de 59 ans.