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COMITÉ DE RÉDACTION
Jacques COLOMB, Département Didactiques des disciplines, INRP
Michel DABENE, Université Stendhal, Grenoble
Isabelle DELCAMBRE, Université Charles de Gaulle, Lille
Gilbert DUCANCEL, IUFM de Picardie, Centre d'Amiens
Claudine GARCIA-DEBANC, IUFM de Toulouse
Marie-Madeleine de GAULMYN, Université Louis Lumière, Lyon II
Francis GROSSMANN, Université Stendhal, Grenoble
Danièle MANESSE, Université Paris V
Francis MARCOIN, Université d'Artois
Maryvonne MASSELOT, Université de Franche-Comté
Alain NICAISE, Inspection départementale de l'E.N. d'Amiens I
Sylvie PLANE, IUFM de Poitiers
Yves REUTER, Université Charles de Gaulle, Lille
Hélène ROMIAN (rédactrice en chef de 1971 à 1993)
Catherine TAUVERON, INRP, Didactique des disciplines, Équipes Français École
Jacques TREIGNIER, Inspection départementale de l'E.N. de Barentin, 76
Gilbert TURCO, IUFM de Rennes
COMITÉ DE LECTURE
Suzanne ALLAIRE, Université de Rennes
Alain BOUCHEZ, Inspection générale de la Formation des Maitres
Jean-Paul BRONCKART, Université de Genève
Michel BROSSARD, Université de Bordeaux II
Jean-Louis CHISS, ENS de Fontenay-Saint-Cloud
Jacques DAVID, IUFM de Versailles, Centre de Cergy-Pontoise
Régine DELAMOTTE-LEGRAND, Université de Haute Normandie
Francette DELAGE, Inspection départementale de l'E.N. de Rezé
Simone DELESALLE, Université Paris VIII
Claudine FABRE, IUFM de Grenoble
Jacques FIJALKOW, Université de Toulouse-Le Mirail
Michel FRANCARD, Faculté de Philosophie et Lettres, Louvain-la-Neuve
Frédéric FRANCOIS, Université Paris V
Guislaine HAAS, Université de Dijon
Jean-Pierre JAFFRÉ, CNRS
Dominique LAFONTAINE, Université de Liège
Rosine LARTIGUE, IUFM de Créteil, Centre de Melun
Bernadette MOUVET, Université de Liège
Elizabeth NONNON, Université de Lille
Marie-Claude PENLOUP, Université de Haute-Normandie
Micheline PROUILHAC, IUFM de Limoges
Bernard SCHNEUWLY, Université de Genève
Françoise SUBLET, Université de Toulouse Le Mirail
Jacques WEISS, IRDP de Neuchâtel
DIVERSITÉ NARRATIVE
Sommaire
Présentation
Catherine TAUVERON, INRP 3
Récits : Approches didactiques
Narratologie, enseignement du récit et didactique du français
Yves REUTER, THEODILE, Université de Lille 3 7
Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit
Elisabeth NONNON, THEODILE, IUFM de Lille 23
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits : intérêts et problèmes
Patricia LAMMERTYN, THEODILE, Université de Lille 3 53
Récits : Media et cultures
Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures
Fabienne LECONTE, Université d'Orléans, ESA 6065 Dyalang 79
« IInous faut des preuves ». Compétences de lecteurs
et compétences de spectateurs : l'exemple du récit policier télévisuel
Brigitte CHAIX, François QUET, IUFM de Grenoble-Valence 95
Récits : Projets disciplinaires, projets de formation
Histoire, Géographie, Éducation civique, trois disciplines
aux prises avec la diversité narrative
François AUDIGIER, Université de Genève 121
Le cycle de vie du Cerisier : une narration « scientifique » ?
Elisabeth BAUTIER (ESCOL), Danièle MANESSE (INRP),
Brigitte PETERFALVI (INRP), Anne VERIN (INRP) 143
Sujet et héros du récit biographique. L'exemple des histoires
de vie enseignantes
Régis MALET, Université Lille 3 165
Note de synthèse
Sophie GONNAND, Harriet JISA 185
Actualité de la recherche en didactique du français 191
Notes de lecture
Francis GROSMANN, Isabelle DELCAMBRE,
Gilbert DUCANCEL, Noëlle CORDARY et Jacques DAVID 1 93
Summaries
Nick CROWTHER and Gilbert DUCANCEL 209
© INRP, 2000
ISBN : 2-7342-0838-5
PRESENTATION
Diversité des fonctions et des valeurs attribuées à la narration selon les dis¬
ciplines ou les situations d'apprentissage, enfin. On soulignait, dans l'ouvrage
cité, à quel point, dans les disciplines scientifiques, chez les chercheurs comme
chez les enseignants dans leur classe ou en formation, était sous estimée la
fonction heuristique de la description, considérée bien souvent comme une
base empirique de données, préalable à d'autres opérations de conceptualisa¬
tion et de raisonnement ultérieures, de plus haut niveau. Et l'un des enjeux
majeurs des auteurs (deux d'entre eux, François Audigier et Anne Vérin, sont à
nouveau sollicités dans le numéro) avait été de montrer, à rencontre des idées
reçues, que la description, loin de seulement « permettre à l'explication, à l'argu¬
mentation de se développer, de se concrétiser », loin de seulement « faciliter la
compréhension et la crédibilisation », dans la mesure où elle construit un ordre
par le travail énonciatif, aide à la construction du savoir. Ainsi conçue, la des-
Présentation
d'un fait scientifique inscrit dans la temporalité, Anne Vérin, Elisabeth Bautier,
Danièle Manesse et Brigitte Peterfalvi étudient précisément à quelles conditions
et sous quelles formes, la narration peut apporter sa contribution à une
démarche explicative en sciences expérimentales ou à l'inverse l'entraver. Enfin,
Régis Malet, après avoir étudié le statut du récit et du narrateur-héros dans le
discours biographique oral adressé, fait le bilan des recherches qui se préoccu¬
pent de comprendre les ressorts de l'activité enseignante à partir de l'expé¬
rience enseignante même, telle qu'elle est rapportée par les sujets dans
l'histoire de leur vie professionnelle, puis interroge la pertinence du transfert de
la pratique du récit de vie dans la formation.
NOTES
Résumé : Cet article propose une réflexion critique sur le passage de la narrato-
logie dans le champ de la didactique du français. Après un retour sur le contexte
de son introduction et les espoirs qu'elle a suscités, il étudie les transformations
qu'elle a subies et propose un bilan hypothétique de ses effets. Il élabore enfin
un programme de recherche portant sur l'enseignement-apprentissage du récit
dans un cadre proprement didactique qui ne réduit donc pas ses questions à
celles des applications possibles d'une théorie élaborée dans un autre champ
scientifique.
1. DE L'ENGOUEMENT AU FIGEMENT
II n'est sans doute pas inutile de rappeler que, dans les années 70-80, la
narratologie a suscité un enthousiasme certain, aussi bien dans le champ des
théories littéraires (voir les revues Littérature, Poétique...) que dans celui de l'in¬
tervention didactique et de la réflexion sur celle-ci (2) à une époque où la didac¬
tique (qui ne s'appelait pas encore ainsi) était en quête d'identité.
Cet engouement se fondait sans nul doute sur des dimensions cognitive,
pédagogique, politique, institutionnelle... inextricablement mêlées. Ainsi, et pour
ne mentionner que quelques éléments de l'état d'esprit de l'époque (3), je note¬
rai :
La situation que je viens d'évoquer a encore été renforcée par des phéno¬
mènes d'étayage liés à différents courants de la recherche, par exemple la psy¬
chologie cognitive (voir Denhière et Legros 1987 ou Fayol 1985) ou les travaux
autour des typologies de textes (sur ce point, voir aussi Nonnon 1994 : 151-
152).
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l'origine, comme tout concept, le statut d'outil heuristique. A des pratiques d'in¬
vestigation ont donc succédé, dans un espace social différent (20), des pra¬
tiques applicationnistes et d'étiquetage.
2. UN BILAN À QUESTIONNER
En premier lieu, il convient de noter, me semble-t-il, que l'état des lieux est
particulièrement difficile à dresser. II s'agit là d'un problème qui n'a rien de spé¬
cifique au récit et que l'on rencontre en didactique quelle que soit la question
prise en considération. On ne peut que le regretter en souhaitant que plus de
programmes de recherches y soient consacrés. A partir de ce manque, on
conviendra donc que ce qui concerne les pratiques effectives dans les points
suivants (2.2 et 2.3) est parcellaire et hypothétique.
- des analyses plus précises (22) des textes donnés à lire, écrire et analyser
aux élèves, ce qui a engendré, potentiellement, de meilleures articulations
dans l'enseignement de certaines pratiques : la production narrative, en
général (Ruellan 2000) ou à partir d'une entrée spécifique (par exemple, à
partir du personnage, voir Glaudes et Reuter 1 996 et surtout Tauveron
1995), la lecture (23), le commentaire des textes, l'évaluation des écrits
(Reuter 1994b et 1998 et les travaux du groupe EVA) ;
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L'enjeu est ici double : penser les écarts entre ces deux séries de pratiques
et, conséquemment, ce qui serait susceptible de les aider à s'étayer mutuelle¬
ment ; penser les lieux les plus féconds de l'intervention didactique en précisant
d'éventuels palliers de progression et lieux de résistance.
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Mais on peut aussi viser, w'a les récits, à développer les capacités à gérer
des referents imaginaires ou réels, à stimuler la créativité, à récapituler le vécu,
voire les aptitudes à la métacognition, à la résolution de problèmes ou aux
démarches heuristiques...
S'agit-il encore d'intervenir sur des difficultés tributaires de l'âge (voir les
analyses de Clanché, 1988 et 1992, sur les positions éthiques des jeunes
enfants réticents devant le « mentir-vrai » de la fiction réaliste) ou liées au niveau
scolaire ou à la catégorie sociale d'appartenance (voir les problèmes de dissy¬
métrie entre force de l'investissement et qualités formelles de l'écrit soulevées
par Kaïci 1992 ou ceux du rapport au langage et aux situations de communica¬
tion soulevées par Bautier et Rochex 1998 ou Lahire 1993) ?
S'agit-il enfin (et la clôture est ici arbitraire) de viser la réalisation de récits
« bien formés » d'un point de vue structurel et / ou correctement écrits (au
regard des normes grammaticales) et / ou contextuellement pertinents et / ou
intéressants (et pour qui ?) ? On conviendra qu'il s'agit là de choix cruciaux
mais complexes sur lesquels les décisions se prennent en général implicitement.
On conviendra encore que, bien souvent, la plupart de ces objectifs sont pré¬
sents mais reliés et hiérarchisés sous des formes différentes assez peu objecti¬
vées, explicitées et justifiées. On conviendra enfin que, selon les objectifs, les
choix concernant la progression, les démarches, les situations de travail, les
textes ressources, eto. seront sans doute fort différents. Et qu'il ne peut en être
que de même pour les théories de référence...
En effet, selon les questions traitées, il n'est pas possible de faire appel aux
mêmes paradigmes théoriques - ou au moins selon les mêmes modalités (32) -
et pour chacune de ces questions, au sein d'un même paradigme, différentes
théories sont généralement en concurrence, voire en conflit.
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« Nous croyons que les récits décrivent des problèmes ainsi que les plans
des personnages pour les résoudre. » (idem, 286)
« Si les récits sont des traces des activités de résolution de problèmes
mises en uvre par les personnages, alors la représentation de la structure
des récits doivent être similaires à la représentation de la résolution des
problèmes. » (ibidem, 292)
« On peut affirmer que le récit - le texte narratif - possède une structure
globale hiérarchique qui confère aux différents événements (même si leur
ordonnancement chronologique est déconstruit) une certaine valeur diffé¬
rentielle que traduit le schéma de la « super-structure narrative » :
(Adam 1987,4)
« Somme toute, nouer une intrigue, c'est introduire un événement singulier
qui déclenche l'action (et / ou l'évaluation) et permet de sortir de la situa¬
tion initiale que celle-ci soit problématique ou non. En ce sens, « nouer »
doit être compris comme désignant une opération spécifiquement narrative
de mise en texte, indépendamment de toute dimension sémantique.
L'ultime critère du récit est donc la présence, dans un texte d'action, d'un
N et d'un Dénouement. » (Revaz 1997, 195)
Pour conclure cet article, certainement décevant aux yeux de certains dans
la mesure où il pose plus de questions qu'il n'apporte de solutions, je dirais
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volontiers que la communauté des didacticiens n'a sans doute pas encore pris
la mesure des déplacements de la pensée qu'impose la didactique et qu'elle
construit pourtant avec ténacité. Le cas du récit en est un bon exemple dans la
mesure où l'on voit encore comment des propositions théoriques très intéres¬
santes ou des propositions pratiques très judicieuses peuvent être construites
dans un rapport aveugle à l'héritage d'objets scolaires. Le cas de la narratologie
est complémentairement éclairant quant aux zones de confusion entre espaces
didactiques et aux difficultés à se situer dans une configuration proprement
didactique en « s'accrochant » à des modes de pensée antérieurs liés à une
époque où celle-ci n'était pas autonomisée. Reste maintenant à travailler pour
que des recherches didactiques spécifiques (sur le récit, l'orthographe...) soient
cohérentes avec le projet didactique global qu'elles spécifient en retour...
NOTES
(1) Parmi les critiques les plus intéressantes, voir les analyses de Nonnon 1994 et 1998,
auxquelles cet article est très fortement redevable.
(2) Voir, notamment les numéros 1 -2 (1 974) à 1 4 (1 977) delà revue Pratiques.
(3) Je recommande aux plus jeunes lecteurs, entre autres, la lecture de l'éditorial du
n° 1-2 de Pratiques, suivie de (l'introduction de) l'article initial « Essai d'analyse
structurale du « Chat Noir » d'E. A. Poe. Pour une application pédagogique ».
(4) La narratologie - on l'oublie parfois - ne traite pas des questions de légitimité (ou de
valeurs) accordée aux récits qui, pour elle, relèvent de la sociologie ou de l'ethnolo¬
gie culturelle.
(5) Structures du récit et de la description, « dépassement » de la dichotomie floue entre
fond et forme, déplacement des questions du < pourquoi ? » au « comment ? » des
faits textuels...
(6) Et notamment de l'état initial avec l'introduction et de l'état final avec la conclusion.
(7) Due, au moins en partie, au retard dans les traductions de Propp en France et à la
sous-estimation de travaux tels ceux de Souriau.
(8) Je prie le lecteur de bien vouloir m'excuser pour la simplification extrême à laquelle
je me livre moi-même pour tenter de présenter plus clairement certains problèmes.
(9) Et sous quelles formes ?
(10) Ou didactique de la formation disciplinaire (cf. Brassart et Reuter 1992).
(11) Au moins dans un premier temps.
(12) Cela pose d'ailleurs de véritables problèmes d'articulation entre théories du texte et
théories du sujet auxquels la didactique ne peut éviter de se confronter, pas plus
d'ailleurs que les théories du texte ou les théories du sujet...
(13) Pour de multiples raisons parmi lesquelles un effet d'antériorité ou une impression de
plus grande adéquation aux cadres théoriques mis en place.
(14) Même au corps défendant de ses promoteurs.
(15) Pour avoir une idée d'autres approches possibles, voir - entre autres - Black et
Bower 1984, Bruner 1991, Debray et Pachoud 1992, Jolies 1930/1972, Labov 1978,
les travaux de Richur ainsi que les articles de Nonnon 1994 et 2000 et de Brassart
1993.
(16) Or la sélection d'un réfèrent théorique parmi d'autres possibles est une opération
fondamentale.
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(28) Ce qui ne l'empêche nullement, de continuer à produire nombre de ses effets à l'insu
des acteurs éducatifs.
(29) Ici encore en très forte convergence avec Nonnon 1 994 et 1 998.
(30) Ce qui pose de rudes problèmes pour la pratique didactique et aussi pour la
recherche didactique en raison non seulement de la spécialisation des chercheurs
mais encore des frontières entre recherche et idéologie.
(31) « Le texte n'est pas seulement l'objet d'un corpus de savoirs, de connaissances à
posséder, il renvoie à un ensemble de pratiques, de savoir-faire à mettre en auvre
(lecture - écriture), et la relation entre les deux ordres de maîtrise ne va pas de soi
[...]» (Nonnon 1998: 154).
(32) Ainsi la question de l'intérêt produit n'est pas au cÑur des préoccupations de la nar¬
ratologie - contrairement à l'approche de William Labov - mais on peut parfaitement
s'en servir pour tenter de rendre compte d'un certain nombre d'effets de lecture.
(33) Elisabeth Nonnon (1998 : 157) remarque à juste titre qu'a priori les réflexions de
RicRur, Veyne ou Bruner ne donnent lieu, immédiatement, à aucun savoir appre-
nable sur le récit et à aucun exercice.
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BIBLIOGRAPHIE
20
Narratologie, enseignement du récit et didactique du français
fusion Klincksieck.
RABATEL A. (1 998) : La construction textuelle du point de vue, Lausanne - Paris,
Delachaux et Niestlé.
REUTER Y. (1994a) : « La notion de scène : construction théorique et intérêts
didactiques », Pratiques, 81 , Scènes romanesques, mars.
REUTER (1 994b) : « A propos des relations dysfonctionnements - causes -
remédiations dans l'évaluation », Recherches, 21 , Pratiques d'évaluation, 2e
semestre.
REUTER Y. (1 994c) : « La didactique du français : Propositions », Inforec, 1 6,
octobre.
REUTER Y. (1 996) : Enseigner et apprendre à écrire, Paris, ESF.
REUTER Y. (1 998) : « La question des valeurs dans la didactique de l'écriture »,
Spirale, 22, Les valeurs en éducation et en formation, octobre.
REUTER Y. (2000) Éléments de réflexion à propos de l'élaboration concep¬
: «
tuelle en didactique du français » à paraître dans Marquillo M., éd. :
Questions d'épistémologie en didactique du français.
RICuUR P. (1983, 1984, 1985) : Temps et récit, Paris, Seuil (3 tomes).
RICUR P. (1990) : Soi même comme un autre, Paris, Seuil.
RUELLAN F. (2000) : Un mode de travail didactique pour l'enseignement -
apprentissage de l'écriture au cycle 3 de l'enseignement primaire, Thèse de
Doctorat Nouveau Régime, Université Charles-de-Gaulle - Lille III.
SOURIAU E. (1950) : Les deux cent mille situations dramatiques, Paris,
Flammarion.
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CE QUE LE RECIT ORAL PEUT NOUS DIRE
SUR LE RÉCIT
Elisabeth NONNON
Théodile Lille III. IUFM de Lille
Résumé : Le récit oral est un grand absent des discours sur le récit dans le cadre
scolaire alors qu'il est omniprésent dans les interactions de la vie sociale, de la
vie d'une classe notamment, et qu'il est depuis longtemps un objet d'investiga¬
tion dans d'autres champs. A certains égards, son étude confronte à une altérité
par rapport à ce qu'on dit à l'école des récits écrits : altérité constitutive du sup¬
port émotionnel et analogique de la voix et du rythme, caractère de performance
dans l'instant et la communication partagée ; mais aussi altérité simplement due
au fait qu'il a été étudié à partir d'autres questionnements, mettant l'accent sur
ses fonctions identitaires, sociales et axiologiques, sur son hétérogénéité et sa
variété. Mais beaucoup d'aspects mis en lumière pour les récits oraux valent en
fait pour tout récit (le ton, la littérarité notamment) et son étude est comme un
révélateur.
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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit
oral et le terme même de langue orale (parlant plutôt de français parlé), opposé
à celui de langue écrite : ils montrent qu'il n'y a qu'un système, mis en uvre
selon des régimes différents entraînant des façons différentes de faire sens
(linéarité temporelle ou spatiale, matériau intonatif et paraverbal opposé à l'abs¬
traction du matériau graphique), dans des conditions d'énonciation différentes,
ce qui amène notamment une organisation de l'information différente (par
exemple en ce qui concerne la thématisation).
Les analyses du récit oral peuvent apparaitre comme spécifiques par rap¬
port à celles du récit écrit. II a été érigé en objet d'étude dans des champs dis¬
tincts de ceux qui s'intéressaient aux récits écrits : l'anthropologie, la
psychanalyse et la pathologie, avec les récits de rêve et les entretiens cliniques
(5), la sociolinguistique avec des analyses d'entretiens ou de récits de vie (6).
Les histoires disciplinaires ont ainsi amené à accentuer son altérité par rapport
aux pratiques que nous jugeons légitimes dans nos propres cadres culturels : on
le voit comme apanage de sociétés primitives ou de cultures traditionnelles, de
malades mentaux ou de locuteurs de milieu populaire, sur lesquels se sont cen¬
trées beaucoup d'analyses d'entretiens ou de récits de vie (7). Et en même
temps, on voit bien qu'une approche anthropologique ou clinique de récits écrits
(récits de rêves, journaux intimes.) mettrait en évidence des parentés, autant
que des différences.
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Sauf dans une situation comme celle du conteur (9), où le droit d'occuper
la scène interiocutive est garanti par un rôle institutionnel, ou de genres seconds
comme le récit radiophonique, le récit advient à l'oral dans un contexte interac¬
tionnel de dialogue, et le plus souvent à partir d'autres conduites discursives. Ce
rapport immédiat au contexte existant et au réel des énoncés d'autrui serait,
pour Bakhtine, une des caractéristiques des genres premiers (10). II est donc
important, pour l'étude du récit lui-même, d'analyser, comme le dit Charaudeau,
« comment s'institue une parole de récit dans une situation de communication
donnée » (11), en fonction de quoi elle impose le silence, comment elle s'orga¬
nise en fonction de l'intrusion possible, et comment cet ancrage dialogique
marque le fonctionnement même de la narration orale. D'autre part, voir com¬
ment le récit émerge de contextes marqués par l'hétérogénéité discursive oblige
à interroger ses relations avec d'autres formes de discours, argumentation ou
explication, et les formes de passage de l'un à l'autre, par exemple dans les
entretiens. Cela amène à s'interroger sur les rôles divers que les narrations
jouent dans l'interlocution.
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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit
Mais, à l'intérieur même de la narration, l'altérité est aussi sans cesse pré¬
sente, de deux façons. Ce qui pour Labov commande la structure narrative est
la tension face aux questions possibles de l'interlocuteur, qu'il s'agit d'anticiper
et d'intégrer au récit, même quand il s'impose comme monologue : c'est cette
tension dialogique qui constitue la force d'engendrement de la narration.
Certaines de ces questions commandent les étapes de la présentation de la
fable, et rejoignent les descriptions traditionnelles (de quoi parle-t-on ? Et
après ? Comment cela a-t-il fini ?), même si, à la différence des structures du
récit des écoles structuralistes, les parties qu'il distingue (résumé, indications,
développement, conclusion, chute) renvoient moins à l'organisation du contenu
qu'à des types de discours différents (12).
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Surtout, alors que les récits étudiés par Labov restaient en un sens proches
du récit canonique (récits monologiques homogènes en réponse à un thème
proposé, du type la bagarre la plus mémorable), beaucoup d'études récentes se
situent au croisement de l'analyse du récit et l'analyse conversationnelle,
domaines restés longtemps distincts (16), pour étudier le récit conversationnel
comme une véritable construction interactive entre interlocuteurs engagés dans
une même activité.
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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit
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Ainsi on peut dire que tout ce qui relève de la voix, des significations analo¬
giques s'impose pour comprendre le fonctionnement du récit à l'oral, mais que
cette dimension est fondamentale aussi pour le récit écrit, particulièrement les
récits littéraires : selon Maingueneau, « l'éthos met particulièrement en évidence
la dimension analogique de la communication littéraire » (60), qui rejoint sur ce
point le fonctionnement de l'oral. Selon Meschonnic, la question, pour l'écrit
aussi, est de savoir « comment se fait la signification d'un texte, et comment elle
se fait chaque fois spécifiquement » (61). Se référant à Benveniste, et par oppo¬
sition à l'organisation fixe de formes régulières qu'est le schéma, il définit le dis¬
cours comme rythme, et le rythme comme organisation par un sujet du
mouvement dans le langage (62). C'est pourquoi il distingue à côté de l'opposi¬
tion binaire écrit / parlé, « un troisième mode de signification que masquait le
dualisme du signe », l'oral, caractérisé selon lui par un primat de la prosodie
dans le mouvement du sens : avec l'oralité, c'est de « l'organisation du mouve¬
ment d'une parole dans le langage qu'il s'agit » (63). Meschonnic peut dire en ce
sens que « le paradoxe de la littérature est d'être le lieu où s'accomplit au maxi¬
mum cette oralité » (ce qui est différent de l'imitation du parlé comme chez
Céline). Les écrits élaborés reprennent et transposent ainsi les carcatéristiques
de l'oralité, comme le dialogisme et la dimension émergente, dynamique de la
parole, de même que les oraux sont structurés, nourris par les organisations
écrites.
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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit
cette qualité d'accueil, comme une voix qui cherche à se faire entendre dans sa
qualité particulière, même à travers la banalité ou l'incohérence des choses
dites : avoir, comme le dit François, une vision esthétique des récits d'enfants,
en interrogeant l'expérience particulière de la production narrative, même balbu¬
tiante et de son écoute, même professionnelle, comme une expérience esthé¬
tique (64).
Comme le rappelle Zumthor, « le texte oral répugne plus que le texte écrit à
toute analyse qui le dissocierait de sa fonction sociale et de la place qu'elle lui
confère dans la communauté réelle ; de la tradition dont peut-être il se réclame,
explicitement ou de manière implicite ; des circonstances où il se fait entendre.
Le texte oral tient par là aux conditions et aux traits linguistiques déterminant
toute communauté orale » (65). L'ancrage des études du récit oral dans un
champ anthropologique, clinique ou sociologique a amené à mettre au premier
plan la question de ses fonctions sociales et épistémiques et de sa dimension
actionnelle. Pourquoi raconte-t-on, que fait-on en racontant ? En quoi le récit
est-il porteur de connaissances, comment participe-t-il à la régulation des rela¬
tions sociales et à la construction des identités ?
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ces aspects ne soient pas pris en charge implicitement, par la pratique intuitive
des enseignants, et ne suscitent pas des apprentissages incidents, à travers la
fréquentation régulière d'albums notamment.
Ce qui est souligné en anthropologie comme fonction épistémique explicite
des récits codifiés de la tradition (mythes et sagas, cas de la jurisprudence, évé¬
nements mémorables, paraboles) l'est aussi dans les études micro-sociolo¬
giques et ethnométhodologiques des multiples récits qu'appellent les situations
d'interaction plus ou moins codifiées de la vie sociale : plaintes ou audiences au
tribunal, entretiens médicaux, biographiques (67). Elle l'est aussi des récits infor¬
mels qui nourrissent les interactions quotidiennes (témoignages, anecdotes,
confidences), par lesquels les membres d'une communauté ajustent et confor¬
tent leurs catégories d'appréhension de l'expérience, leurs valeurs, leurs filia¬
tions. Cette fonction catégorisante et structurante des récits apparait, quoique
de façon très différente, dans les pratiques ritualisées de récits appartenant à la
culture commune (récits de fiction ou mémoire appartenant à l'histoire du
groupe d'appartenance) et dans ce grand versant de la narrativité que sont les
récits d'expérience personnelle, notamment à travers les narrations conversa¬
tionnelles.
II faudrait donc étudier chez l'enfant, non seulement les réalisations linguis¬
tiques des récits et leurs transformations, mais aussi les fonctions interactives et
cognitives mises en uvre dans ses pratiques narratives en situation, aux diffé¬
rents moments de son évolution. L'analyse des conduites narratives du jeune
enfant chez Bruner a l'intérêt de présenter l'apprentissage du récit comme
entrée dans un « jeu de langage » au sens d'action partagée, avec l'intrication
des dimensions cognitives, interpersonnelles et discursives. II aborde la narra¬
tion par les fonctions sociales, culturelles et cognitives qu'elle remplit en situa¬
tion dans l'environnement social de l'enfant. A travers les multiples récits
transmis par la tradition culturelle ou improvisés par son entourage pour com¬
menter et rendre lisibles les expériences quotidiennes, il apprend à négocier le
sens à donner aux conduites et à s'accorder sur leur interprétation : ainsi le récit
d'excuse peut changer la valeur d'une conduite, par la mise en séquence des
actions à l'intérieur d'ordres différents où elles trouvent place dans un réseau de
relations (de cause à conséquence, but à moyen) et par la mise en scène de l'in¬
tentionnalité. Les récits sont ainsi un lieu privilégié pour la construction de rela¬
tions logiques et la compréhension des règles : on peut penser, à la suite de
Luria, que les récits constituent « des interprétants précoces pour les proposi¬
tions logiques, avant que l'enfant dispose de l'équipement mental pour les
manipuler en ayant recours aux calculs logiques qui se développent plus tard »
(68). Cette analyse de la pratique précoce du récit renvoie, chez Bruner comme
chez Vygotski, à une conception plus large du développement de l'intelligence
et des connaissances à travers les formes culturelles et les uvres esthétiques.
Bruner souligne la pluralité des modes d'élaboration du sens, dont certains, for¬
tement contextualisés, gardent une autonomie par rapport aux exigences de
vérifiabilité ou de justification logique : ainsi les modes de signification liés aux
relations intersubjectives, ceux qui concernent les liens entre événements, actes
et paroles, et les modes normatifs, qui intègrent les événements dans des
contextes définis par des obligations, des déviations et des conformités. Ces
38
Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit
Apprendre la pratique du récit, c'est donc pour un enfant faire ces par¬
cours, en explorant successivement ses usages pour une investigation sur le
monde et les relations sociales, en fonction des questions qu'il peut se poser.
Bruner cite ainsi dans son ouvrage et s'appuie sur les observations de Nelson,
qui a suivi les narrations orales spontanées d'un fillette en notant leur évolution
fonctionnelle : elle utilise tour à tour le récit pour apprendre à séquentialiser les
actions, pour explorer les liens entre intentions et moyens, causes et effets, pour
réintégrer dans un ordre les infractions à la loi ou la régularité, pour confronter
une pluralité de perspectives intersubjectives sur une action. Ancré dans l'intérêt
pour le problème de la transgression et de la réintégration dans un ordre à tra¬
vers l'activité discursive, le récit est très précocement une exploration des
modalités et des logiques normatives dont a parlé Greimas. De même, à travers
la curiosité pour les réactions de protagonistes différents à un même événe¬
ment, il est très précocement polyphonique et centré sur la confrontation de
subjectivités, à travers la prise de rôles et le jeu sur les voix. Ce sont pour lui ces
enjeux prioritaires, qui fondent les fonctionnements narratifs privilégiés par l'en¬
fant aux divers moments de son histoire personnelle.
La narration orale est aussi souvent source de plaisir, qu'il s'agisse du plai¬
sir de conter, dont Zumthor parle comme d'un « plaisir de domination, associé
au sentiment de piéger celui qui écoute, capté de façon narcissique dans l'es¬
pace d'une parole apparemment objectivée » (74), ou plus largement, d'une
expérience esthétique partagée par celui qui raconte et celui qui écoute, qu'il
s'agisse d'invention, de mensonge ou d'expérience stylisée. François développe
cette approche dans l'analyse de narrations d'enfants, en reprenant les trois
aspects que Jauss a isolés à l'intérieur de l'expérience esthétique (75) : plaisir
de la poesis, celui de faire et de jouer librement du mélange des mondes, de la
trangression des interdits ou des impossibles dans un espace de jeu caractérisé
39
REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON
Mais il est rare que le récit à l'oral se présente sous forme close, isolée,
sauf dans certaines situations institutionnelles, et le plus souvent on a à faire
avec des récits intégrés à d'autres conduites discursives, par rapport auxquelles
la narration assume différentes fonctions. Lacoste analyse ainsi ces « situations
d'hétérogénéité discursive, où le narratif fait irruption dans du non-narratif », par
exemple dans une situation d'entretien. II s'agit pour elle de « rompre avec une
attitude taxinomique, pour en venir à l'analyse des processus internes de
construction », notamment des formes de narrativisation du discours, ou, au
delà d'une dichotomie entre récit fonctionnel et récit non-fonctionnel, de repérer
les processus de fonctionnalisation et de défonctionnalisation des séquences
narratives par rapport au contexte discursif (77). On a ici à faire, non pas à des
récits au sens où l'entend Labov, c'est à dire des conduites sociales riches et
différenciées, unifiées par l'évaluation, mais à « du récit », qui prend souvent
place dans un environnement argumentatif, en jouant comme témoignage,
moyen de susciter une vraisemblance, explication, preuve, et de façon plus
générale, établissement ou confirmation d'un savoir d'arrière-plan commun avec
l'interlocuteur. II s'agit plutôt de bribes étroitement mêlées au commentaire, où
on passe incessamment du générique au déictique, d'un système de catégori¬
sation à un autre, et où l'opposition présent / imparfait / passé composé est
remplacée par une combinatoire plus souple d'adverbes, de locutions, d'expres¬
sions générales. Comme d'autres conduites orales, la narration orale apparait
comme le domaine de l'hétérogène et de la variation et fait éclater les typologies
trop rigides. Mais ici encore, elle ne fait qu'éclairer un aspect du fonctionnement
des récits écrits, que masquent les formes scolaires quand elles sont trop rigi¬
dement codifiées.
40
Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit
CONCLUSION
Par la nature de son objet, par les traditions scientifiques dans lesquelles
elle a pris naissance, l'analyse de récits oraux pose à la narratologie des ques¬
tions épistémologiques plus générales sur le statut des concepts génériques et
des événements de parole, qui n'en sont jamais une application. Elle confronte à
la question de la spécificité et de l'hétérogénéité de conduites discursives en
41
REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON
42
Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit
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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON
NOTES
44
Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit
comme elle le montre, le témoin ne bénéficie pas d'emblée d'une légitimité, il doit la
mériter discursivement et interactivement).
(1 0) BAKHTINE (1 984), p. 267.
45
REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON
(35) « Parler ce n'est pas livrer une information à un destinataire, c'est présenter un
drame devant un public. Nous passons notre temps non à communiquer des infor¬
mations, mais à présenter des spectacles. Lorsqu'il arrive à quelqu'un de dire
quelque chose, ce n'est jamais une simple exposition de faits qu'il nous propose en
son nom propre. II raconte. II dirige une séquence d'événements pour engager l'au¬
ditoire auquel il s'adresse ; le narrateur doit faire en sorte que ceux qui l'écoutent
reviennent avec lui à l'horizon qui était le sien ce jour là. II n'est pas étonnant dans
ces conditions qu'il passe librement et soudainement de la tension du passé à la
tension du présent » GOFFMAN (1991) p. 499.
(36) MULLER (1994), p. 422.
(37) GENETTE (1972), p. 189.
(38) « On peut songer aux voix ou registres, aux accents stéréotypés qui nous permettent
d'attribuer un trait à une figure autre que le locuteur et qu'on définit par sa catégorie
plus que par sa biographie singulière. Plutôt que de résumer le personnage, le locu¬
teur transmet certains de ses traits en reproduisant des fragments ou aspects du
discours. Le sens du message se dévoile par ces traits phonologiques et grammati¬
caux, ce souci de reproduire les idiomes régionaux » GOFFMAN (1991), p. 527.
(39) BRUNER (1991), p. 91.
(40) « En socialisant linguistiquement les enfants, en leur faisant connaître le monde des
mots et des énonciations, on leur apprend très tôt à utiliser la parole sur ce mode
distancié et imaginatif. Ainsi, en même temps qu'il apprend à parler, l'enfant apprend
à parler pour, au nom de figures qui ne seront jamais ou ne sont pas encore le moi. II
apprend aussi et tout aussi tôt à enchâsser les tics et énoncés de toute une ménage¬
rie dans son propre comportement verbal. On peut soutenir que c'est précisément
ce modèle qui permettra plus tard à l'enfant de décrire ses propres actions passées,
qu'il ne ressent plus comme le caractérisant » GOFFMAN (1987), p. 160.
(41) FRANÇOIS (1993), chap. 5 : L'enfant et les récits.
(42) « Le narrateur en train de raconter son histoire va la commenter au fur et à mesure et
briser sans cesse le cadre narratif, pour fournir un arrière-plan dont l'importance
n'est que maintenant évidente, ou avertir qu'un événement critique est imminent.
Grâce à ces procédés, il change brièvement sa position par rapport à tout son texte,
et approche l'auditeur sous un angle légèrement différent » GOFFMAN (1987),
p. 180.
(43) GUMPERZ (1989 a), p. 102.
(44) « Par mode j'entends un ensemble de conventions par lesquelles une activité don¬
née, déjà pourvue d'un sens par l'application d'un cadre primaire, se transforme en
une autre activité qui prend la première pour modèle mais que les participants consi¬
dèrent comme sensiblement différente » GOFFMAN (1991), p. 52.
(45) DUCROT O. (1 984) : Esquisse d'une théorie polyphonique de l'énonciation
(46) NACAR et MOREL(1 994), p. 99.
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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit
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REPÈRES N° 21/2000 E. NONNON
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Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit
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LA SOLLICITATION DE L'IMAGINAIRE
DANS L'ÉCRITURE DES RÉCITS :
INTÉRÊTS ET PROBLÈMES
Résumé : Cet article rend compte d'une recherche portant sur les problèmes que
peuvent rencontrer des élèves de C.M.2. lors de la production de récits sollici¬
tant l'imaginaire. Afin de mieux comprendre leurs spécificités, on a comparé ces
récits à d'autres histoires sollicitant l'expérience vécue et on a fait passer des
entretiens à certains de ces jeunes scripteurs. Les résultats, en ce qui concerne
les récits « imaginaires », font apparaitre quatre catégories de textes au regard
des relations entre maitrise formelle et contenus mis en scène. Les différences
observées peuvent être mises en relation avec les interprétations de la consigne
et les représentations de l'évaluation. Dans le cas des récits « expérienciels »,
ces différences sont en quelque sorte réduites dans la mesure où la majeure par¬
tie des élèves développe peu les textes par souci de respecter la vérité des événe¬
ments. Ces premiers résultats permettent d'ouvrir quelques pistes de réflexion
quant aux effets produits par les consignes, à leur prise en compte dans l'évalua¬
tion et aux objectifs de l'enseignement de l'écriture du récit.
53
REPÈRES N° 21/2000 R LAMMERTYN
Mon parcours sera donc le suivant : après avoir précisé les principaux
concepts que j'ai utilisés, j'interrogerai les positions théoriques de P. Clanché
(1992) et d'A. Kaici (1992), qui se sont particulièrement intéressés à l'écriture
des récits sollicitant l'imaginaire. Puis je présenterai la recherche menée et j'en
exposerai les principaux résultats.
1. IMAGINAIRE ET RÉCIT
54
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits
1.2. Le récit
Le premier type se caractérise par une résistance qui s'appuie sur une
vision négative de l'imaginaire à l'école que B. Duborgel (1992) a très bien
décrite dans ses recherches ; il montre par exemple que certains enseignants
n'intègrent pas la dimension de l'imaginaire dans leurs activités de lecture-écri¬
ture par peur d'une dérive psychanalisante qu'ils ne pourraient pas gérer ;
d'autres attribuent à l'imaginaire un caractère infantilisant. A ce propos, Y.
Reuter (1996 p 29) évoquant les critiques émanant du champ de la didactique
indique que « pour certains didacticiens, travailler l'imaginaire et la créativité
55
REPÈRES N° 21/2000 P- LAMMERTYN
serait intéressant pour les petites classes, pour les élèves jeunes, voire très
jeunes, mais à limiter dans la suite de la scolarité ».
56
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits
Avant d'aller plus avant, j'aimerais formuler quelques remarques quant aux
concepts utilisés car il me semble qu'il existe un certain flou autour des types de
récits. En effet, les concepts utilisés sont généralement maniés selon des oppo¬
sitions tranchées : d'un côté le récit « imaginaire », de l'autre, le récit expérientiel
ou « récit de vie » mais on ne sait pas bien sur quels éléments repose réellement
cette opposition et jusqu'à quel point elle est fonctionnelle. Une partie de mes
investigations actuelles porte d'ailleurs sur ces questions. Pour la recherche pré¬
sentée ici, les termes de « récit imaginaire » et « récit expérientiel » seront diffé¬
renciés provisoirement par le contenu des consignes d'écriture données aux
élèves (même si cela reste encore très insatisfaisant).
À supposer que nous obtenions les résultats attendus, encore fallait-il four¬
nir quelques éléments d'explicitation complémentaires. Cela a constitué le troi¬
sième objectif de la recherche. Les travaux de Clanché et Kaici montrent que le
regard évaluateur est pris en compte et pèse sur les stratégies des élèves mais
les raisons diffèrent selon ces auteurs : pour Clanché, les élèves rechignent à
57
REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN
faire croire au lecteur à un texte faux, ce qui suppose chez tous les élèves une
dichotomie nette entre réel et imaginaire ; pour Kaici, c'est la perception diffé¬
rente des attentes scolaires qui expliquerait les deux types de productions obte¬
nues. Cela n'exclut pas, à la différence de la thèse de Clanché, une confusion
possible entre réel et imaginaire pour certains élèves. La troisième hypothèse a
donc été la suivante : les choix des élèves pourraient être déterminés ou accen¬
tués par des interprétations différentes des types de réponses attendues à
l'école : certains élèves prendraient la consigne sollicitant l'imaginaire au pied de
la lettre ; d'autres feraient leurs choix en fonction des attentes institutionnelles et
des habitudes scolaires.
Kaici met de surcroit en relation les stratégies avec le profil scolaire des
élèves. Sur ce point, j'ai adopté une perspective explicative quelque peu diffé¬
rente car ces fortes tendances référentes à deux catégories d'élèves ne recou¬
paient pas aussi nettement mes premières observations empiriques : certains
« bons » élèves ne semblaient pas réfréner leur imaginaire et se laissaient aller à
certaines incohérences. Ma dernière hypothèse a donc été que le facteur « profil
scolaire » n'est pas seul en jeu, les variations pouvant aussi être rapportées aux
milieux sociaux (au sens de socio-culturel) au sein desquels peuvent être
construits des discours et des attitudes différentes par rapport à la réussite sco¬
laire.
3. LA DÉMARCHE ADOPTÉE
J'ai d'abord fait écrire un récit référant à l'imaginaire et un récit renvoyant
au réel et procédé ensuite à quelques entretiens. Ces investigations ont été
menées dans deux classes de C.M.2. issues de deux écoles de Villeneuve
d'Ascq (1) que j'ai appelées A et B, en retenant comme critère de choix les
résultats des tests d'entrée en sixième sur plusieurs années. L'école A accueille
plutôt des « bons » élèves et l'école B plutôt des élèves « en difficulté ». II s'est
avéré que les deux écoles se différenciaient aussi par le niveau social des
familles, l'école A étant la plus favorisée.
Pour l'écriture du texte « imaginaire », il a fallu trouver une consigne (2) suf¬
fisamment ouverte pour que chaque élève puisse y trouver une motivation à
l'écriture. Elle devait également être un bon déclencheur d'imaginaire (3), sus¬
ceptible de « bousculer » l'enfant et de générer des images fortes afin que les
textes produits éclairent la manière dont les élèves gèrent cette situation. La
consigne suivante a été retenue :
58
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits
Raconte une soirée que tu as réellement vécue et qui t'a laissé un souvenir
marquant.
Les activités d'écriture des textes se sont déroulées entre fin janvier et
début février pour les deux classes. Les deux textes ont été produits à une
semaine d'intervalle en commençant par la production du récit référant au réel.
Pour chaque recueil, la consigne a été lue oralement puis écrite au tableau.
Le temps accordé à l'écriture a été de une heure trente (4). II a été également
demandé aux élèves de ne pas recourir à l'aide de l'adulte. Par contre, ils ont pu
utiliser leurs outils habituels : dictionnaires, cahiers de règles...
L'analyse des récits imaginaires et des récits faisant référence au réel a été
menée à partir de deux séries de critères (5) : les uns permettant d'analyser les
données sur le pôle formel, les autres sur le pôle imaginaire.
Pour apprécier si les récits les plus développés sur le plan de l'imaginaire
étaient également les plus originaux, - le critère d'originalité étant fort discutable
-, j'ai soumis les textes referents à l'imaginaire au jugement de trois lecteurs
experts, la consigne étant simplement de classer les textes en trois catégories :
les textes originaux, peu ou pas originaux et moyennement originaux.
59
REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN
Sur les 50 textes, on trouve une première série de 1 5 textes, que j'ai appe¬
lés textes 1 , pour lesquels le pôle formel est bien réalisé mais au détriment de
l'imaginaire. La deuxième série contient également 15 textes, (textes 2) dans
lesquels le pôle imaginaire est plus présent mais au détriment du pôle formel.
Ces deux familles correspondent aux catégories obtenues dans l'étude de Kaici.
Une troisième catégorie comprend 5 textes (textes 3) dans lesquels les deux
pôles sont bien investis. Enfin, on trouve les textes 4 au nombre de 15 pour les¬
quels aucun des deux pôles n'est réellement satisfaisant.
Par ailleurs, le jugement des experts remet en question les relations « déve¬
loppement de l'imaginaire / originalité » et « expression limitée de l'imaginaire /
stéréotypie » utilisées par Kaici puisque 12 récits sur 15 de type 1 (réussis sur le
pôle formel) ont été jugés « moyennement originaux » et 7 récits de type 2 (réus¬
sis sur le pôle imaginaire) ont été jugés « pas originaux ». En revanche, sur 1 5
récits de type 4 (aucun pôle réussi), aucun n'a été jugé « original ». Seuls les
récits de type 3 (réussite sur les deux pôles) ont été jugés très originaux ou
moyennement originaux. II semble donc que l'expression de l'imaginaire dans
un récit ne soit pas un critère suffisant pour le catégoriser comme texte original.
À la lecture de ces récits, il semble que l'imaginaire soit mis à distance car
les élèves élaborent des scénarios qui évitent le développement d'une dyna¬
mique conséquente. Dans ces scénarios, il s'agit le plus souvent d'un rêve de
l'enfant ou d'une blague que lui fait un de ses parents (en se déguisant par
exemple). On repère des tentatives d'investissement ou de projections, mais
celles-ci avortent très vite en raison du choix du scénario. Ainsi Marine écrit :
Alix avait eu très peur mais c'était une blague. C'était sa maman qui avait
mis un masque ou encore Anaïs : J'ai dû faire un mauvais rêve. Les person¬
nages servent en quelque sorte l'absence de l'intrigue : ainsi, la créature mons¬
trueuse est parfois annoncée comme pouvant faire peur mais la solution du rêve
ou du déguisement vient annuler cette caractéristique. Du coup, la créature agit
très peu dans l'histoire (entre 0 et 4 actions) et quand elle agit un peu, elle est
plutôt caractérisée comme « gentille », « non dangereuse » pour le personnage
de l'enfant.
60
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits
Ces textes montrent que les élèves ont des difficultés, dans le cadre de
l'écriture scolaire, à activer l'imaginaire. En restant très proches de la réalité, ces
élèves se gardent peut-être de se faire peur et de faire peur et s'attachent à gar¬
der le contrôle de leur récit. On pourrait peut-être parler de « stratégies d'évite¬
ment ».
Contrairement aux textes 1 , ces récits sont assez longs. Ils comportent des
incohérences dans la construction de l'univers fictionnel et/ou des contradic¬
tions entre les différentes scènes (celles-ci se rajoutant parfois les unes aux
autres sans qu'il y ait toujours des liens entre elles). La maitrise des aspects for¬
mels est moins bien assurée que pour le groupe précédent mais il existe des dif¬
férences entre élèves : certains ponctuent mal leurs textes et cela s'accentue
lors des passages où les thèmes imaginaires forts dominent le récit. Quand la
ponctuation est présente, il s'agit de textes moins longs.
Le pôle imaginaire est en revanche très présent dans ce type de récits : les
élèves montrent leur capacité à générer de nombreuses idées et images.
L'intrigue y est développée longuement et on trouve une succession d'actions
peu hiérarchisées qui s'accumulent sans être toujours utiles à l'histoire comme
si l'écriture se déroulait sans temps d'arrêt : J'ai pris un rocher je l'ai lancé sur
lui. J'ai pris la télé je lui ai balancé j'ai pris ma calculatrice... Ces actions
sont cristallisées autour du thème de la lutte et de la poursuite (thèmes absents
des textes 1). En ce qui concerne la caractérisation des personnages, la créa¬
ture monstrueuse est investie d'un rôle important : c'est un monstre dévoreur
qui met l'enfant en danger. Mais ce dernier garde souvent le statut de héros qui
triomphe à l'issue de l'histoire. L'implication et l'investissement de l'élève sont
accentués par le fait que les élèves se mettent eux-mêmes en scène dans l'his¬
toire, sans protection et dans un monde où tout semble possible.
61
REPÈRES N° 21/2000 P- LAMMERTYN
Les élèves qui ont écrit ce type de récit se focalisent essentiellement sur
les contenus. La sollicitation de l'imaginaire par le biais de la créature mons¬
trueuse génère des images fortes articulées autour de thèmes symboliques forts
et il semble que les élèves ont du mal à arrêter leur histoire comme s'ils étaient
captés par l'imaginaire. En revanche, les aspects formels sont moins bien réali¬
sés. Mais l'analyse textuelle ne permet pas d'affirmer qu'il y a absence totale de
contrôle sur le texte.
On trouve, comme pour les textes 2, les traces d'un investissement per¬
sonnel mais les élèves marquent une certaine distance ; ils semblent avoir des
stratégies pour se protéger, comme Nathan, par exemple, qui écrit à la première
personne tout en se mettant dans la peau d'une fille portant le même prénom
que sa mère.
Pour cette catégorie de récits, les deux pôles sont donc bien représentés.
Les élèves s'investissent dans leur histoire tout en s'assurant une certaine pro¬
tection par des stratégies appropriées, notamment le détournement de la situa¬
tion critique par l'humour...
62
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits
Si l'on s'attarde sur ces données, on remarque que l'on trouve plus de
textes 1 dans l'école A et plus de textes 2 dans l'école B. Mais il fallait vérifier
que ces textes 1 avaient bien été produits par les « bons » élèves et les textes 2
par les élèves « en difficulté » dans la mesure où chaque classe comporte ces
63
REPERES N" 21/2000 P. LAMMERTYN
deux catégories d'élèves. II fallait également regarder qui avait produit les textes
3 et 4 qui n'étaient pas attendus. J'ai donc mis en relation les catégories de
textes et les profils scolaires.
Si l'on regarde les résultats pour chaque école, on s'aperçoit que les
« bons » élèves produisent plus de textes 1 que les autres types de textes, et si
l'on réunit le total des deux écoles, on constate alors que sur 24 « bons » élèves,
12 ont produit un texte 1. Si l'on additionne le nombre d'élèves en « difficulté »
des deux écoles, on voit aussi que les textes 2 sont produits par la moitié de
ces élèves. Les tendances ne sont pas aussi marquées que celles qu'avait rele¬
vées Kaici mais les pourcentages indiquent malgré tout que le texte 1 est le
texte le plus produit par les « bons » élèves et le texte 2 le plus produit par les
élèves « en difficulté ».
Mais la seule variable « profil scolaire » n'explique pas tout car c'est dans
l'école la plus favorisée que les élèves « en difficulté » produisent 75 % de
textes 2. Par contre, dans l'école B, ce texte n'est produit que par 25 % des
élèves « en difficulté », les autres produisant des textes 4 (62,5 %). Enfin, on
remarque que les textes 3 ont été produits par de « très bons » élèves (selon les
propos de l'enseignante) et cela uniquement dans l'école la plus favorisée socia¬
lement.
J'ai alors cherché à mettre en relation les types de textes produits et les
C.S.R (7) auxquelles appartiennent les parents. Pour l'ensemble des C.S.P des
deux classes, les résultats indiquent que l'on produit plus de textes 1 dans les
C.S.P. favorisées (61,1 %). 58,8 % des textes 2 sont produits dans les C.S.P.
moyennes. Les textes 3 ne se trouvent que dans les C.S.P. favorisées et les
textes 4 dans les C.S.P. faibles (66,6 %).
64
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits
J'ai ensuite conjugué les deux variables : niveau scolaire et C.S.P. pour les
deux classes réunies :
Niveau / C.S.P. 1 2 3 4
C.S.P. +/ Bons élèves = 14 10 1 5 0
C.S.P. +/ lèves moyens = 2 1 1 0 0
C.S.P.+/ Elèves
0 1 0 1
en difficulté = 2
C.S.P. M / Élèves
0 0 0 2
moyens = 2
C.S.P. M / Élèves
en difficulté = 6 0 5 0 1
C.S.P. - / Élèves
en difficulté = 8 2 2 0 4
L'échantillon étudié est bien sûr insuffisant pour que l'on puisse en tirer des
conclusions fiables. Néanmoins, quelques tendances peuvent être dégagées :
- la conjugaison des deux variables « bon élève » et C.S.P. favorisée
engendre un plus fort pourcentage de textes 1 : 71 ,4 % qu'avec la seule
variable « profil scolaire » ;
- la conjugaison des deux variables « élève en difficulté ou élève moyen » et
C.S.P. moyenne engendre un plus fort pourcentage des textes 2, 83,3 %
qu'avec la seule variable « profil scolaire » ;
- la prise en compte de la variable C.S.P. défavorisée augmente le nombre
de textes 4 quel que soit le profil scolaire des élèves ;
- la conjugaison des variables « profil scolaire » et « C.S.P. » ne change pas
le pourcentage de textes 3 ;
Ces résultats (qui restent à vérifier sur un échantillon plus important) sem¬
blent confirmer que les choix textuels des élèves tiennent au moins à deux fac¬
teurs conjugués : les C.S.P. et le profil scolaire (ce qui mérite d'être expliqué).
65
REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN
- pour l'école A, plus favorisée, sur 28 élèves, 26 ont privilégié le pôle for-
mel : ces 26 textes manifestent une meilleure maitrise de la cohérence
d'ensemble et des aspects micro-structurels. Parmi ces textes, 5 mettent
en évidence la capacité des élèves à produire un effet humoristique mais
les récits restent très réalistes. Pour 2 élèves sur les 28, les aspects for¬
mels ne sont pas plus investis que dans les récits imaginaires : la struc¬
ture reste minimale et la cohérence temporelle n'est pas assurée.
- pour l'école B, on voit la même tendance à l'uniformisation : 18 élèves sur
21 semblent avoir pris davantage en compte les aspects formels ; des
améliorations (par rapport à leur récit imaginaire) sur ce point sont mar¬
quées à des degrés différents selon les élèves. On remarque également
qu'aucun n'introduit de jeu avec la réalité et ne cherche à produire un effet
particulier. II y a quelques traces d'investissement personnel mais l'ex¬
pression en reste très limitée. 3 élèves n'ont pas davantage pris en
compte les aspects formels que dans leur récit imaginaire. II s'agit égale¬
ment d'élèves en grande difficulté ayant produit eux aussi des textes ima¬
ginaires de la catégorie 4.
66
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits
Dix élèves ont été interrogés : parmi eux, quatre avaient écrit un récit imagi¬
naire 1 et six avaient produit un récit imaginaire 2. L'essentiel des données
recueillies porte essentiellement sur ces récits imaginaires. Les quelques ques¬
tions concernant le récit « réel » ont permis d'éclairer davantage l'analyse que
j'avais effectuée mais elles demeurent insuffisantes (8).
Lors des entretiens, neuf des dix élèves déclarent aimer écrire des récits
imaginaires. Ils définissent ce type de récit comme un espace de liberté où tout
est possible ; il est aussi perçu comme source de plaisir contrairement au récit
expérienciel ressenti comme une contrainte. La représentation première est
« positive » pour la majorité des enfants interrogés et un seul élève évoque le
manque d'idées comme difficulté (9).
Ces éléments sont les seuls points communs à l'ensemble des élèves. Les
difficultés, les stratégies et le regard qu'ils portent sur l'écriture d'un récit imagi¬
naire révèlent en revanche des oppositions marquées entre les élèves ayant écrit
un récit de type 1 et les élèves ayant écrit un récit de type 2.
Qu'en est-il pour les élèves qui ont produit les récits 1 (réussite sur le pôle
formel) ? Trois thèmes communs se dégagent de leurs discours :
67
REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN
Sur le premier point, les quatre entretiens montrent la capacité pour ces
élèves de parler de leur récit de manière distanciée. Pour eux, le récit imaginaire
est considéré comme d'autres écrits, c'est à dire un objet scolaire. Ils montrent
qu'ils ont construit un certain nombre de connaissances sur la manière dont est
traité l'écrit à l'école et produisent un discours « scolaire » pour analyser leur
activité ; ils explicitent peu leur histoire par le contenu comme le font les élèves
du groupe 2 mais se centrent sur l'aspect formel. L'emploi de termes comme :
consigne, lecteur, organisation du texte, dialogues... est récurrent.
Quelles sont les difficultés que ces élèves ont rencontrées ? Ils en évoquent
plusieurs : certaines sont liées aux aspects plus formels et sont bien explicitées ;
d'autres sont liées à la consigne ; un dernier type de difficultés est lié au
contenu de l'imaginaire et fait écho à des aspects psychologiques. Ces difficul¬
tés sont évoquées de manière plus implicite et les enfants n'en identifient pas
clairement les sources.
Les difficultés de type formel portent sur des aspects micro- structurels
comme l'orthographe, la syntaxe, la conjugaison. Mais c'est surtout la configu¬
ration du texte et l'organisation des informations qui posent problème. Les
élèves tiennent à garder la cohérence de leur récit et s'attachent à cette ques¬
tion. Ils sont conscients que l'imaginaire peut perturber la cohérence de leurs
textes et qu'ils risquent d'en perdre le contrôle. Face à cette difficulté, ils déve¬
loppent en quelque sorte des stratégies d'évitement ; leurs propos confirment
qu'ils ont choisi un scénario évitant un trop grand nombre d'informations à
gérer.
Trois élèves sur les six interrogés, évoquent la consigne comme source de
difficultés : le personnage de la créature monstrueuse les gêne. Maud par
exemple explique qu'elle aurait préféré écrire ce qu'elle voulait. Elle oppose
l'imaginaire à l'idée de contrainte : pour elle imaginer, c'est écrire ce que l'on
veut : Moi j'aurais préféré écrire ce que je voulais, quelque chose de vraiment
imaginaire, ce qu'on veut quoi, son rêve, des trucs comme ça.
En fait, cette position est modulée un peu plus loin dans l'entretien : ce
n'est pas la consigne en tant que telle qui la gêne mais son contenu
particulier qui impose le personnage de la créature monstrueuse :
Sur la créature monstrueuse, tu avais envie de dire des choses ?
- Pas tellement.
- Tu peux m'expliquer ?
- J'aurais préféré écrire ce que je voulais.
- Qu'est-ce-qui ne te plaisait pas dans la créature monstrueuse ?
- Ben, je sais pas.
- Ca te faisait peur ?
68
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits
On voit que Maud a du mal à expliquer sa difficulté mais, un peu plus loin,
on s'aperçoit que c'est l'irruption d'un tel personnage dans un monde réel qui lui
fait peur. Cette difficulté est amplifiée par le fait que Maud tient à respecter la
consigne donnée ; pour elle, c'est un aspect auquel elle donne de l'importance.
Le respect de la consigne revient aussi dans les propos de Yann :
- J'aime mieux quand on peut choisir son personnage ; là, on était obligé de
prendre une créature monstrueuse.
Ca t'a posé problème ?
- Au début, je savais pas quoi choisir ; après j'ai pensé à un extra terrestre ;
ça pouvait aller pour le monstre.
Tu tenais à bien respecter la consigne ?
Oui, on est obligé.
La consigne pour ces élèves génère donc des difficultés : ils doivent la res¬
pecter tout en étant gênés par le personnage imposé. On peut penser que les
raisons « scolaires » invoquées par les élèves sont réelles mais on remarque
aussi une mise à distance d'un contenu imaginaire qui leur fait peur. Les élèves
interrogés cherchent à s'en protéger et ne tiennent pas à l'explorer. Ils mettent
également une barrière nette entre réel et imaginaire : pour eux, l'imaginaire est
un autre monde, qui ne peut pénétrer la vie réelle.
Cette attention portée aux aspects formels est commune aux quatre élèves
qui déclarent faire toujours attention à la compréhension de la consigne, à la
cohérence du récit et aux aspects grammaticaux :
69
REPÈRES N° 21/2000 P- LAMMERTYN
- tous ont une connaissance de leurs propres capacités et ils s'y canton¬
nent ; ils ne prennent aucun risque qui puisse mettre leur réussite en péril.
Mais, en même temps, ces élèves ne se montrent pas sûrs d'eux : ils ne
savent pas bien ce qu'ils ont réussi dans leur texte. Ils expriment une cer¬
taine insécurité dans le cadre scolaire.
Ces élèves appartenant à un milieu favorisé et étant d'un bon niveau sco¬
laire, ne pourrait-on pas penser alors que, dans ces familles, on apprendrait
mieux à maitriser ses émotions, à se contrôler ? On mettrait, dans ces familles,
l'imaginaire à distance et cela en conformité avec les stratégies scolaires. II y
aurait, en quelque sorte, une « proximité » de valeurs, voire de stratégies entre
l'école et la famille. La maitrise des pôles formels de l'écrit correspondrait globa¬
lement aux attentes scolaires et aux attentes parentales qui y verraient un gage
de réussite scolaire.
Pour les élèves ayant écrit un récit imaginaire de type 2 (réussite sur le pôle
imaginaire), quatre points importants ont été retenus des entretiens :
- ces élèves évoquent peu de difficultés à écrire un récit imaginaire ;
- la pregnance du monde imaginaire est très marquée dans leur discours ;
- il existe une réelle difficulté pour eux à établir une frontière entre monde
réel et monde imaginaire ;
- ils privilégient dans leurs stratégies les contenus par rapport aux formes.
Sur le premier point, on remarque en effet une faible conscience des diffi¬
cultés. Les six enfants parlent de l'écriture de leur récit comme de quelque
chose de facile. Cette facilité apparente peut s'expliquer par la représentation
qu'ils ont de l'imaginaire : pour eux il est synonyme de liberté, de non contrainte.
Ils l'évoquent comme un monde où tout est possible et qui les délivre de tout
souci de plausibilité. Mais cette position peut s'expliquer également par une
moindre conscience de l'évaluation.
Ils disent n'avoir aucun mal à trouver des idées. L'idée de départ suffit à
engendrer la suite du récit. Quand je leur demande en début d'entretien de par¬
ler de l'histoire imaginaire qu'ils ont écrite, aucun n'évoque un aspect de la
situation scolaire. Tous entrent directement dans le contenu de leur histoire, en
racontant le début, en résumant brièvement l'histoire ou en présentant la créa¬
ture monstrueuse qu'ils ont choisie : Ça parlait d'un loup-garou il attaque l'en¬
fant et le père il est furieux. . . (Eddy).
70
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits
Certains problèmes sont malgré cela exprimés par quatre élèves. Leur pré¬
occupation n'est pas de type formel mais attachée au contenu, au sens de leur
histoire. Trois enfants parlent aussi de difficultés liées à la clôture du récit.
Thomas, par exemple, explique qu'il aurait aimé développer davantage son his¬
toire mais la peur de ne pas avoir assez de temps l'en a empêché :
Pour la fin, j'avais pas assez de temps pour la bataille avec les Arabes.
Sinon, tu aurais écrit plus ?
Oui j'aurais écrit toute la bataille.
Reste une difficulté importante dont les élèves n'ont pas conscience et qui
est sous-jacente à leur discours : dans quatre entretiens en effet, on remarque
qu'il existe une difficulté à distinguer le réel de l'imaginaire. Ainsi Laëticia choisit
comme scénario du récit imaginaire un événement qu'elle tient pour vrai : une
dame habillée de blanc qui étrangle des enfants à Hellemmes. Elle reprend aussi
l'interprétation de l'événement par les habitants, rumeur devenue croyance col¬
lective : la Dame Blanche est un fantôme. Laëticia dit qu'elle croit à cette inter¬
prétation :
J'ai écrit l'histoire de la dame blanche qui étrangle les enfants. J'ai choisi ça
pour la créature monstrueuse parce qu'en fait, c'est un fantôme... En fait, c'est
71
REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN
une histoire vraie, c'est ma voisine... elle nous a raconté que c'est une dame
blanche qui a étranglé des enfants à Hellemmes mais la dame blanche, c'est un
fantôme.
En ce qui concerne les stratégies mises en uvre par ces élèves, je remar¬
querai que les six élèves ont du mal à développer un discours réflexif sur les
choix qu'ils opèrent quand ils écrivent un récit imaginaire. Mon questionnement
a été fortement incitatif mais, malgré cela, leur discours reste très descriptif.
Tout d'abord, les six élèves déclarent écrire immédiatement dès que la consigne
est donnée. Ils puisent aussitôt dans leurs connaissances du monde l'idée de
départ. Cette idée est toujours centrée sur un personnage, ici en l'occurrence la
créature monstrueuse et c'est le type de personnage qui engendre la suite du
récit. II n'y a pas de réel moment de « planification » avant d'écrire. La consigne
est prise au pied de la lettre, immédiatement interprétée par l'enfant en fonction
de son attirance personnelle pour tel ou tel thème :
Comment tu as ton idée pour commencer ?
-je sais. Au début, c'est l'enfant qui se fait attaquer mais après Olaf il
trouve sa femme morte alors il décide de se venger... J'ai mes idées
comme ça.
- Tu réfléchis avant d'écrire ton texte ?
- Non, je trouve mes idées comme ça, quand j'écris. (Thomas)
Pendant la phase d'écriture, cinq élèves sur six disent privilégier clairement
le contenu et les idées par rapport aux autres pôles plus formels de l'écriture. Ils
écrivent alors sans s'arrêter afin de ne pas perdre le fil de leur récit et de pouvoir
exprimer ce qu'ils ont envie de dire. Ils s'attachent donc clairement au contenu
mais certains enfants n'évoquent pas de stratégie délibérée. Ils seraient en
quelque sorte dominés et dépassés par leur imaginaire pendant l'écriture.
D'autres, tout en privilégiant le contenu, indiquent qu'ils sont capables à cer¬
tains moments d'opérer une distance avec leur histoire. Ils cherchent par
exemple à se distinguer aux yeux d'un lecteur « potentiel » et à rendre leur his¬
toire intéressante en jouant avec le réel et l'imaginaire. En même temps, on voit
au sein de leur discours qu'eux-mêmes ne délimitent pas clairement de frontière
nette entre ces deux mondes et, du coup, on ne sait pas bien ce qui relève
d'une véritable stratégie.
Un dernier point me parait intéressant à mentionner : contrairement à mes
attentes, ces élèves n'ignorent pas les critères d'évaluation de leurs ensei¬
gnants. Ils font même plutôt preuve de clairvoyance à ce sujet. Ces critères por¬
tent essentiellement sur l'organisation des informations et sur les marques de
surface. Les élèves considèrent ces points comme importants mais cinq élèves
sur six n'en tiennent pas réellement compte pendant l'écriture. Ces pôles for¬
mels passent au second plan, après le contenu.
- A quoi la maitresse fait attention quand elle corrige les récits imaginaires ?
- Aux fautes, aux idées si c'est dans l'ordre.
- Et tu y penses quand tu es en train d'écrire ?
- Non, je pense à mon histoire plutôt. (Thomas)
72
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits
et cette « réussite » est liée au contenu de leur histoire qu'ils jugent intéressant.
On peut alors imaginer qu'au moment où l'enseignant donne la consigne, ces
élèves y lisent une certaine attente de l'enseignant sur le contenu : leur histoire
pourrait lui plaire même si, ensuite, il évalue des aspects plus formels, plus sco¬
laires. On pourrait dire alors qu'ils ne renoncent pas à réussir car pour eux, cette
réussite est liée en grande partie au contenu de leur histoire (10). Une autre
hypothèse non contradictoire serait que ces élèves ne tiendraient pas compte
des aspects formels, conscients que, sur ce point, ils ne peuvent réussir.
Les enfants ayant produit des récits de types 3 et 4 n'ont pas pu être inter¬
rogés. Néanmoins, quelques hypothèses peuvent être tirées de l'analyse des
textes en relation avec le profil scolaire et les C.S.P.
Les élèves ayant produit des textes 3 sont de très bons élèves issus de
C.S.P. favorisées. On sait également par l'enseignante de la classe que, dans les
familles de ce groupe d'élèves, l'apport culturel est très riche. On pourrait alors
supposer que, pour ces élèves, la réussite scolaire étant bien assurée, elle ne
serait pas source d'insécurité et ne représenterait pas un enjeu majeur. Ils pour¬
raient alors donner libre cours à leur imagination avec une certaine recherche
d'originalité, forme de distinction valorisée par les parents.
Les élèves ayant produit un texte 4 sont presque tous en difficulté scolaire
et issus de C.S.P. défavorisées. On peut se demander ici si la faible expression
de l'imaginaire ne serait pas due à des difficultés cognitives et/ou culturelles :
ces élèves manqueraient d'outils textuels pour exprimer leur imaginaire et/ou ne
percevraient pas la nécessité d'en dire beaucoup. Une autre hypothèse serait
qu'ils écrivent peu pour limiter le risque d'erreurs.
- les élèves sont peu motivés par l'écriture d'un texte « réel » ;
- la pregnance de la vérité est très marquée.
Huit élèves déclarent ainsi ne pas aimer écrire une histoire réelle et disent
préférer écrire un récit imaginaire. Les élèves expliquent leur manque d'intérêt
par le fait que l'écriture d'un texte réel est pour eux source de difficultés.
Remarquons au passage que les élèves du groupe 2 n'analysaient pas aussi
clairement leurs difficultés au sujet de leur récit imaginaire.
73
REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN
...je trouve que c'est un peu plus facile à raconter... c'est plus marrant ; on
peut mettre plein de choses, beaucoup de personnages alors que dans les his¬
toires réelles, on se rappelle plus de tout ce qui s'est passé, ce qu'ils ont dit
alors que dans une histoire imaginaire, on peut gérer ce qu'ils vont dire. Pour
autant, elle n'a pas écrit un récit imaginaire développé. Quand je lui ai demandé
ce qui est important pour elle dans les histoires « réelles », elle a déclaré :
Ben, dire la vérité et quelquefois, ils parlent en même temps ou il y a plu¬
sieurs choses qui se passent en même temps donc il faut rien oublier... Dans
une histoire imaginaire, on peut organiser comme on veut.
Quatre élèves ajoutent qu'ils n'aiment pas parler d'eux et de leur vie privée.
Ils ont peur de s'exposer :
J'aime pas trop parler de moi, raconter ma vie, je préfère garder ça pour
moi. (Maud)
Quatre élèves disent aussi moins aimer écrire une histoire réelle car ils
n'ont rien à raconter. Deux d'entre eux précisent même que cela a pour effet la
production d'un texte court et que cela les gêne :
Quelquefois, on n'a rien à dire et ça fait un petit texte. (Vivien)
Ben quelquefois j'ai rien à dire alors je sais pas quoi écrire, je raconte un
petit truc. (Eddy)
On peut percevoir ici, au moins en partie, leur représentation de ce qu'est
une histoire réussie : elle doit être longue ; si elle ne l'est pas, ils ont l'impression
de ne pas réussir leurs textes. Or, écrire un texte référant au réel ne leur permet
pas d'écrire longuement car le respect de la vérité les pousse en quelque sorte à
en dire le moins possible.
Alors que le récit imaginaire est défini comme un espace de liberté, le texte
réel, vécu, est perçu en terme de contrainte. II semble que la consigne soit plus
transparente aux yeux des élèves ; l'enjeu est perçu plus clairement et de
manière identique par la majorité d'entre eux : pour eux, écrire un récit vécu
consiste à dire la vérité. Ils sont plus attentifs à la cohérence et à la réalité des
événements qu'ils racontent. L'écriture devient alors moins spontanée. Cela
expliquerait en partie l'attention plus marquée portée au pôle formel.
74
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits
Pour conclure sur les entretiens, je retiendrai l'idée qu'il y a bien un traite¬
ment différent de la consigne lors de l'écriture d'un récit imaginaire : les bons
élèves se méfient davantage de l'imagination et déploient des stratégies pour
contenir en quelque sorte leur imaginaire ; ce choix est en grande partie lié à la
volonté de réussir à l'école.
CONCLUSION
Les éléments de réponses construits au travers de cette recherche incitent
à explorer des pistes complémentaires. La première consiste à vérifier ces pre¬
miers résultats sur un échantillon plus important d'élèves et à approfondir
davantage les entretiens afin de mieux comprendre la manière dont les élèves se
posent les problèmes quand ils écrivent, réécrivent et se représentent les types
de récits. Mais, pour cela, un travail de clarification des catégories employées
autour de la notion de récit s'avère indispensable. On a en effet fait fonctionner
deux grandes catégories, récit « imaginaire » et récit « réel » selon une opposi¬
tion tranchée. II y a, certes, un traitement textuel différent par les élèves selon
que la consigne sollicite plutôt l'imaginaire ou plutôt le réel mais, en même
temps, la subjectivité de l'élève est mise en jeu dans les deux types de
consignes. On peut donc se demander jusqu'où cette opposition est opératoire
et s'il ne faut pas réorganiser les catégories en tenant compte d'autres termes,
tels inconscient et investissement, auxquels on est sans cesse confronté.
75
REPÈRES N° 21/2000 P. LAMMERTYN
NOTES
(1) Je remercie les enseignants des écoles Louise de Bettignie et Verhaeren pour leur
accueil et leur disponobilité ainsi que M. Lagache, inspecteur de la circonscription de
Villeneuve d'Ascq qui m'a autorisée à intervenir dans ces écoles pour cette
recherche.
(2) Cette consigne doit être lue comme l'énoncé d'une thématique et ne constitue pas
forcément la situation initiale du récit.
(3) J'ai postulé que cette consigne était un bon déclencheur d'imaginaire car d'une part,
la créature monstrueuse suscite en général l'adhésion des élèves de cet âge et on
s'attend avec ce genre de personnage à un développement d'une dynamique de
récit articulée autour du thème de la lutte, du combat, du pouvoir. Ces thèmes facili¬
tent l'expression de l'imaginaire, l'enfant pouvant projeter ses conflits internes et ses
émotions. D'autre part, dans cette consigne, le père est momentanément
absent alors que l'enfant est « en danger » ; l'élève peut alors investir affectivement
le personnage du père sur le mode imaginaire
(4) II fallait un temps assez long afin que ce facteur n'engendre pas des difficultés spéci¬
fiques.
(5) Voici quelques exemples des critères utilisés (dont le caractère discutable ne
m'échappe pas).
Pôle formel :
- cohérence superstructurelle : ce critère indique la présence des grandes étapes du
schéma quinaire. La cohérence est présente si on trouve un début, un problème,
une dynamique et une fin.
- non contradiction séquentielle : ce critère indique le respect de la logique et de la
chronologie des actions.
- respect de la ponctuation : nous prenons en compte les points de fin de phrases et
les virgules. Une absence marquée de ponctuation peut révéler une succession
rapide et incontrôlée d'images ou d'idées survenant à la conscience de l'enfant.
Une marge de trois erreurs est acceptée.
- cohérence temporelle : ce critère indique le respect de la concordance des temps
utilisés.
Pôle imaginaire :
- implication potentiellement inconsciente : expression dans les textes de thèmes
psycho- affectifs personnels que l'élève développe par les voies de l'imaginaire
dans son récit. J'ai retenu cinq thèmes : l'abandon, l'enlèvement, la mort, le pou¬
voir, la peur.
- pregnance du monde imaginaire : ce critère sert à indiquer si le monde imaginaire
est présent partout dans le texte ou s'il est cadré ; en d'autres termes il doit indi¬
quer si l'enfant fait la différence entre le réel et l'imaginaire.
- nombre d'actions de l'enfant : nombre d'actions différentes du personnage
« enfant » à partir de l'arrivée de la créature monstrueuse dans le texte.
- nombre d'actions de la créature monstrueuse : nombre d'actions différentes de la
créature monstrueuse de son arrivée à sa disparition dans le texte.
(6) « En difficulté » indique que l'élève avait déjà du retard dans les classes précédentes
et que ses notes se situent généralement sous la moyenne.
(7) Plusieurs familles de l'échantillon sont mono parentales. Afin d'éviter un déséquilibre
entre familles monoparentales et les autres, j'ai choisi pour les couples de ne prendre
en considération qu'une seule profession sur les deux. La profession la plus élevée a
été retenue sur le plan économique faisant le pari que dans les couples, les profes¬
sions de chacun des membres sont relativement proches. Trois catégories ont été
constituées :
76
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits
BIBLIOGRAPHIE
FREUD S. (1 909) : Le roman familial des névrosés rééd. dans Névrose, psychose
et perversion, Paris, P.U.F., 1973.
KAICI A. (1992) : L'histoire d'un enfant perdu, Cahiers Binet- Simon n° 632.
KANT E. (1781) : Critique de la raison pure, Paris, P.U.F.
LAMMERTYN P. (1999) : Écrire un récit imaginaire au C.M.2., analyse des diffi¬
cultés et des stratégies des élèves, mémoire sous la direction d'Y. Reuter,
Lille III.
REUTER Y. (1996) : Imaginaire, créativité et didactique de l'écriture, Pratiques
n°89.
(1997) : L'analyse du récit, Paris, Dunod.
77
RÉCITS ENFANTINS EN SITUATION
DE CONTACTS DE LANGUES ET DE CULTURES
Fabienne LECONTE
Université d'Orléans et ESA 6065 Dyalang
Résumé : Les enfants de migrants scolarisés en France sont socialisés dans des
cultures différentes. Toutefois la culture scolaire française et les cultures d'ori¬
gine font une large place au récit, bien que sous des formes et avec des fonctions
divergentes. A partir de l'exemple des familles africaines en France, on présen¬
tera les pratiques langagières familiales et les évolutions des pratiques narratives
causées par la migration. En outre, les enfants confrontés à des modèles divers
se les approprient pour développer leur propre compétence de narrateurs. Leurs
narrations portent alors la trace de ces différents modèles linguistiques, interac¬
tionnels et culturels. Leurs choix s'orientent vers des contes dont le contenu thé¬
matique est à rapprocher de ceux circulant dans leur culture d'origine. Lorsque
les récits ont une structure formelle caractéristique de l'oralité celle-ci facilite le
rappel pour des enfants dont le français n'est pas la langue première.
Le récit oral occupe une place importante dans toutes les cultures sans
revêtir ni les mêmes formes ni les mêmes fonctions selon les sociétés. Le plaisir
d'écouter et de raconter est commun à tous, l'imaginaire véhiculé par les contes
distille sa part de merveilleux quelles que soient les latitudes. Mais les enfants
de migrants scolarisés en France sont confrontés à des cultures du récit très dif¬
férentes : culture léguée par la famille et culture scolaire française laquelle tient
une large place dans le développement des capacités langagières des enfants.
79
REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE
fidèlement le texte avec lequel ils auront été familiarisés. Cette fonction de la
narration comme aide à l'apprentissage de la lecture et à la conduite autonome
de récits est reconnue par les familles appartenant aux classes sociales culturel¬
lement les plus proches de l'école qui racontent une histoire à leur(s) jeune(s)
enfantfs), le plus souvent à l'aide d'albums, avant de s'endormir. La valorisation
et le développement de cette pratique est relativement récente à l'échelle histo¬
rique et loin de concerner toutes les couches sociales.
J'ai insisté sur la profonde altérité des fonctions sociales et partant des cir¬
constances de renonciation des contes traditionnels (ou non) dans chacune des
cultures car la similarité de leur structure ou la récurrence de certains person¬
nages du nord au sud de la Méditerranée et du Sahara a été maintes fois souli¬
gnée (D. Paulme 1976, N. Decourt et M. Raynaud 1999). Mais un conte ne se
limite pas à sa structure textuelle analysable par des linguistes ou des sémioti-
ciens : il reste vivant lorsqu'il est raconté devant un public dans des circons¬
tances qui sont toujours singulières. La similarité structurelle est fréquemment
utilisée dans des classes pluriculturelles en ZEP, que ce soit pour mener un tra-
80
Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures
vail comparatif ou/et créer une culture commune en valorisant celle de chacun.
Dès lors, le conte africain utilisé dans une classe française perd en même temps
que son lien avec l'environnement immédiat et la culture qui l'a fait naitre une
partie de ses fonctions et de sa signification pour en accueillir de nouvelles : le
lien avec les familles, la reconnaissance de l'Autre.
Les réflexions qui suivent sont issues d'une recherche sur l'activité narra¬
tive orale de l'enfant (2) menée par l'ESA CNRS 6065. Le cadre de ce travail est
constitué par la notion de « socialisation langagière » qui est opératoire pour
expliquer comment l'enfant s'approprie les modèles langagiers de son environ¬
nement immédiat et comment il les modifie. Pour mener à bien cette recherche,
notre équipe a recueilli des récits auprès d'une population d'enfants diversifiée
tant socialement que par le type de récits recueillis et les circonstances du
recueil. Pour ma part, je me limiterai, dans le cadre de cet article, à la situation
particulière des enfants d'origine africaine ou maghrébine en France et aux pra¬
tiques narratives dans les familles en m'appuyant sur une enquête menée dans
une école maternelle de la région rouennaise comportant une majorité d'enfants
d'origine étrangère, sur des recherches antérieures menées auprès des familles
africaines en France et sur une expérience passée d'enseignante de maternelle
ayant travaillé une quinzaine d'années en ZEP. Dans le cadre de notre étude, j'ai
interrogé une trentaine d'enfants sur les pratiques narratives dans leurs familles
et leur ai demandé de me raconter l'histoire de leur choix. En premier lieu, je
présenterai les pratiques narratives dans les familles africaines, d'une part parce
que ce sont celles que je connais le mieux pour avoir étudié les pratiques et les
81
REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE
82
Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures
83
REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE
84
Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures
groupe ne soit spécialisé dans cette tâche vu ses compétences. Or, en France,
la famille se rapproche du modèle nucléaire européen et perd ainsi la référence à
la mémoire que transmettent les personnes plus âgées et les membres de la
famille élargie.
Les recherches sur les pratiques langagières dans les familles migrantes
(africaines ou autres) ont montré l'existence d'une répartition des rôles au sein
de la famille dans les apprentissages langagiers. Les parents transmettent la
langue première alors que les aines servent de médiateurs linguistiques et cultu¬
rels entre la famille et les institutions françaises et se chargent d'apprendre le
français à leurs frères et sAurs plus jeunes et quelquefois à leurs parents. Le
rôle des aines dans l'acquisition langagière des cadets ne se limite pas à l'ap¬
prentissage de la langue stricto sensu car ils racontent volontiers des histoires
aux cadets, cette activité étant surtout assumée par les filles. En revanche,
lorsque les parents racontent, c'est la langue première qui est employée et ce,
que le récit appartienne au patrimoine traditionnel ou concerne l'histoire de la
famille. Les histoires choisies par les aines, selon les témoignages recueillis
auprès de jeunes enfants, sont surtout des contes traditionnels appartenant au
patrimoine français, la pratique du conte africain en langue africaine par des
aines étant beaucoup plus rare. On peut supposer que la pratique du conte en
français est considérée par les aines comme une part importante de la compé¬
tence dans cette langue pour qu'ils s'y adonnent si volontiers. Ils reproduisent
une pratique qu'ils ont aimée quand ils étaient plus jeunes et qu'ils considèrent
comme un bon moyen d'apprendre le français ou de s'initier à la lecture. Leur
vécu scolaire n'y est certainement pas étranger.
85
REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE
86
Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures
des contes récents souvent choisi par les enfants de cette école est « Chien
Bleu » qui peut être assimilé à un récit initiatique par son contenu thématique.
Surtout, qu'ils aient été élaborés directement à l'oral ou à l'écrit, les trois
contes préférés comportent une organisation formelle caractéristique des textes
oraux, telle qu'on l'a définie ci-dessus : répétitions, parallélismes, formules
rituelles, etc. Les enfants dont le français n'est pas la langue première retiennent
plus facilement des récits qui ont conservé leur organisation formelle de texte
oral ou qui s'en rapprochent par leur structure car ils peuvent s'appuyer sur ces
marques pour les rappeler. La scène du loup soufflant et tapant sur la maison
des cochons se répète trois fois, par exemple. II est d'ailleurs remarquable que
lors d'étayages entre enfants, l'intervention aidante ou réfutante du camarade se
focalise sur la structure du récit : non d'abord la maison en paille alors que le
contenu d'une réplique est rarement contesté. Pour les enfants, l'ordre des
séquences doit être respecté, ce qui maintient la cohérence du récit, la variation
individuelle étant permise à l'intérieur de ce cadre. De même, les formules
rituelles émaillant le récit du Petit Chaperon rouge sont vite retenues et resti¬
tuées à leur place exacte quand bien même les enfants n'ont pas accès au
sens, comme pour la célèbre chevillette qui fait choir la bobinette. Or, les procé¬
dés rhétoriques caractéristiques de l'oralité sont atténués voire disparaissent
dans la plupart des albums pour enfants de confection plus récente qui ont été
directement élaborés à l'écrit. II ne faut plus dès lors s'étonner de voir préférer
dans certaines écoles de banlieue des livres au graphisme désuet, en mauvais
état à force d'être manipulés, à des albums flambant neuf aux illustrations
attrayantes... mais si difficiles quand on veut les raconter tout seul.
87
REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE
les plus fragiles du français. Par exemple, la forme « que » est employée pour
tous les pronoms relatifs alors que les déclinaisons ont pratiquement disparu du
français. Pour les interférences, elles sont plus fréquentes chez les personnes
qui acquièrent une seconde langue à l'âge adulte ou lorsqu'il s'agit de langues
génétiquement proches (comme le français et le portugais). Simplifications et
interférences touchent tous les niveaux de l'organisation du discours, rhéto¬
rique, sémantique, énonciatif, morpho-syntaxique, lexical ou phonologique. II ne
s'agit pas de « fautes » qu'il faut à tout prix sanctionner avant qu'elles ne s'ins¬
tallent définitivement mais de marques perceptibles dans le discours d'un tra¬
vail actif de l'apprenant sur son acquisition.
Pour des enfants qui apprennent le français comme langue seconde dès
l'âge de deux ou trois ans, il peut être malaisé de faire la part des simplifications
qui sont communes à tous les enfants en cours d'apprentissage du français, de
ce qui est spécifique aux enfants bilingues. II s'agit souvent des mêmes phéno¬
mènes même si l'on observe un décalage dans le temps. On doit alors analyser
les écarts par rapport aux usages avec une grande circonspection, surtout lors¬
qu'il s'agit d'une transcription, car ceux-ci ressortissent de phénomènes de plu¬
sieurs ordres. Lorsque le Petit Chaperon Rouge apporte une canette et un petit
coup de beurre à sa grand-mère, comme nous l'a rappelé un des élèves, il est
préférable d'y voir l'influence du quartier plutôt que celle de la langue première.
De même la réalisation [i] ou [iz] pour /7s selon qu'il soit devant voyelle ou
consonne est une marque typique de l'oral quelle que soit la langue première du
locuteur, comme les hésitations, les répétitions et les reprises.
E1 et une galette
B2 et une galette I et puis euh dépêche toi avant /ajournée de ta nuit I alors
lày disait alors là il était i partit et puis I il avait entendu ting ting I c'était la voix
du loup I et puis i a disa comment ça va I et là a disa euh ça va bien et puis et
après al dit (. . .) et puis a dit et pis le lou disa u 'est-ce ue tu fais ans la forêt
et pis où vas-tu d'abord I sij'veux I bon sij'veux (. . .)
B3 j'y vais j'y vais loin de la forêt chez ma grand-mère I et puis I et puis I le
loup disa as d n e chemin là et moi è asserai dan hemin là I et c'est
moi et en c'est toi qui va arriver premier I alors I is étaient partis partis partis
après I c'était le loup qu'étaient i arrivé
88
Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures
E2 en premier
B4 en premier et puis i peut toc toc toc Itoc toc toc I qui est là II c'est
c'était moi votre petit chaperon rouge II et puis il est et puis I il le loup disa à la
voix du petit chaperon rouge I c'est moi votre petit chaperon rouge I tirez la che-
villette et la chère cherra I et puis le loup ouvra la porte et puis trouva la vieille
dame couchée dans son lit après II
Une des erreurs récurrentes dans les récits d'enfants en cours d'acquisition
du français langue seconde concerne le maniement des prépositions dont la dif¬
ficulté est bien connue de tous les enseignants de français langue étrangère
quel que soit leur public. Les plus fréquentes, à et de, sont suremployées,
comme dans à la voix du petit chaperon rouge (B3) pour avec la voix alors que
l'expression de la localisation induit de fréquentes erreurs vu sa complexité : il
faut utiliser par pour un chemin mais dans pour la forêt. De même lorsqu'il s'agit
d'exprimer la manière dont le loup dévore ses victimes, Bodri emploie d'abord
l'expression sur une seule bouchée puis en dans une seule bouchée. Ces refor¬
mulations divergentes du texte original montrent que son système est instable et
évolue sous la pression des modèles de langue auxquels il est exposé. Certains
segments du récit sont retenus globalement alors que d'autres font l'objet d'un
rappel en fonction de ses hypothèses sur le fonctionnement du français. Les
erreurs concernant les pronoms personnels ressortissent des mêmes phéno¬
mènes. S'agissant des rares formes, avec les pronoms relatifs, qui se déclinent
encore en français contemporain, l'opposition complément direct vs indirect et
l'absence de forme spécifique au féminin pour le datif est difficile à acquérir (sa
maman la disa, il faut l'amener) car elle fait figure d'exception.
89
REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE
A7 non non tout d'abord i trouva euh I une I dans l'armoire a i trouva un
pyjama (1 1) d'Ia grand-mère I après a i s'habilla avec le pyjama et puis mmh et
puis se coucha I dans le lit
C'est que les voix des personnages ont une grande importance pour notre
conteur. II a bien compris l'importance que celles-ci revêtaient dans la progres¬
sion du récit puisque c'est en travestissant sa voix que le loup peut berner la
grand-mère et la dévorer, séquence qu'il restitue (B4). Ainsi, chaque personnage
est joué avec une intonation particulière. Le loup, lorsqu'il rencontre le Petit
Chaperon Rouge, parle avec une voix grave et une intensité forte qu'il abandon¬
nera pour leurrer ses victimes. A l'inverse, la Grand-mère est rendue avec une
voix chevrotante et le Petit chaperon rouge une voix aiguë, Bodri réservant son
intonation habituelle à la narration proprement dite. Mais, d'un point de vue
strictement sonore, le narrateur est facilement identifiable grâce à la présence
récurrente de la voyelle [a] à la fin des verbes. Les jeux sur les temps et les voix
font sens en se renforçant mutuellement et permettent de produire un récit
fidèle, long, et beaucoup plus élaboré que celui de nombre d'enfants de cet âge
qui se limitent à l'emploi des temps verbaux les plus fréquents, les séquences
n'étant reliés entre elles que par les « et puis », « après » caractéristiques des
récits des jeunes enfants.
90
Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures
CONCLUSION
Raconter des histoires, le plus souvent à l'aide d'albums, apparait, pour les
enfants issus de l'immigration, comme une activité emblématique de l'école
maternelle et de la petite enfance. La pratique narrative en français remplit ses
fonctions de développement des capacités langagières globales des élèves.
L'école a dès lors tout à gagner à s'appuyer sur l'intérêt et le plaisir qu'éprou¬
vent les enfants à fréquenter des récits, que ce soit en production ou en récep¬
tion. Dans ce contexte, les contes du patrimoine traditionnel français
représentent cette activité d'acculturation et de premiers pas vers l'écrit, au
point d'être appropriés par les aines bien que l'école maternelle offre un choix
nettement diversifié. La proximité culturelle entre les histoires que l'on préfère
raconter et celles circulant dans les cultures d'origine est confirmée par les
récits récents qui remportent un succès particulier à cet âge. II s'agit soit de
récits d'initiation, comme Chien Bleu par exemple où une petite fille est perdue
dans la forêt ; soit d'histoires mettant en scène des sorcières ou certains ani¬
maux. Dans une perspective interculturelle d'échange et de reconnaissance de
l'Autre, il est important de varier le choix des textes en faisant appel, non seule¬
ment à des récits véhiculant des valeurs particulièrement appréciées par les
enfants - comme la solidarité - mais aussi aux contes du patrimoine appartenant
aux cultures représentées dans le quartier. En outre, la pratique sociale du conte
oral connait un important regain d'intérêt depuis une décennie dans de nom¬
breuses couches de la société. Les banlieues ne sont pas en reste : des asso¬
ciations, bibliothèques, établissements scolaires, etc., invitent en partenariat des
conteurs Africains et Maghrébins dans les cités.
Mon propos n'est pas de limiter le choix des contes offerts aux enfants de
migrants aux seuls contes traditionnels, ce qui reviendrait à ne proposer qu'une
sous-culture, caricaturale par sa stéréotypie, dans les écoles de banlieue. Je n'ai
pas demandé aux enfants quelles étaient les histoires qu'ils préféraient entendre
mais celles qu'ils voulaient me raconter. Toutefois, si on veut aider les élèves qui
apprennent le français notamment à l'école à produire des récits d'une manière
autonome, il semble important de leur offrir des modèles de texte oral acces¬
sibles et facilitants, qu'ils soient traditionnels ou non. Le récit directement éla¬
boré à l'écrit présente rarement ces caractéristiques et remplit une autre
91
REPÈRES N" 21/2000 F. LECONTE
NOTES
(1) Voir les travaux de J. Hamers et J. Blanc 1990, 1992 et F. Leconte 1999
(2) IIs'agit de l'opération de recherche « L'activité narrative de l'enfant » dirigée par
R. Delamotte-Legrand par l'équipe ESA CNRS 6065 dynamiques sociolangagières.
(3) Voir F. Leconte, 1 996, 1 997.
(4) Le nombre de locuteurs du français en Afrique est très variable selon les pays. II est
estimé à 10 % au Sénégal et au Mali mais à plus de 60 % au Congo-Brazzaville.
(5) Le symbole était un objet honteux, sabot, bouteille ou veille chaussure que les
enfants étaient obligés de porter lorsqu'ils laissaient échapper en classe voire dans
la cour un mot dans leurs langues premières. L'enfant devait conserver le symbole
jusqu'à ce qu'un de ses camarades fasse de même et récupère l'objet. A la fin de la
journée, celui qui conservait le symbole était sévèrement battu ou puni. Cette pra¬
tique fut d'abord employée dans les régions françaises (Bretagne, etc.) avant d'être
exportée dans les colonies. Au Sénégal, la pratique du symbole a perduré jusqu'à la
fin des années soixante.
(6) Pour une synthèse concernant le maintien des langues africaines en France, voir
F. Leconte 2000.
BIBLIOGRAPHIE
92
Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures
93
IL NOUS FAUT DES PREUVES »
«
COMPÉTENCES DE LECTEURS
ET COMPÉTENCES DE SPECTATEURS :
L'EXEMPLE DU RÉCIT POLICIER TÉLÉVISUEL
Brigitte CHAIX, François QUET
IUFM de Grenoble - Valence
95
REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET
d'images : ils les perçoivent d'abord en fonction de leur sensibilité, de leur his¬
toire, de leur milieu culturel : ils sont amenés progressivement à les percevoir en
fonction de leur intelligence, en s'exerçant à faire des choix » (p. 29).
On voudrait, au cours des lignes qui suivent, présenter un parti pris qui va à
l'encontre de ces précautions en développant l'idée que la position de téléspec¬
tateur rend familières des formes narratives élaborées et dont la réception est
rien moins que passive. S'il est admis que la télévision peut être pour l'école un
« partenaire cognitif » (G. Jacquinot-Delaunay), on voudrait montrer que c'est au
moins parce qu'elle lui fournit un grand nombre de récits extrêmement com¬
plexes : l'exploration de ces histoires qui, avec les élèves de l'école primaire,
passera nécessairement par la reformulation et la mise en débat des interpréta¬
tions, constitue à notre avis mieux qu'un prétexte au développement d'une
réflexion métatextuelle ou metacognitive, le modèle d'un travail sur le sens en
lecture.
Ainsi, on peut ne pas voir tel détail pourtant important dès les premiers
plans d'un film parce qu'on n'a pas encore fini de s'installer (Hitchcock préten¬
dait laisser le temps à ses spectateurs d'entrer dans le film et ne délivrer aucun
indice essentiel avant les quelques minutes nécessaires à l'accommodation du
spectateur), parce qu'on est attentif à tout autre chose, parce que la netteté de
l'image ne permet pas d'identifier tel ou tel objet, ou parce que, dans le cas du
dessin animé, le mode de représentation est d'une lisibilité contestable (dans
96
II nous faut des preuves »..
l'épisode de Fennec dont il sera question plus loin, certains enfants croient
reconnaître des loups quand il s'agit de rats ou confondent l'image d'un piment
(du poivre) avec celle d'une carotte : ce qui les conduit à élaborer un scénario
assez fantaisiste).
Erwin Panofsky, dans un texte célèbre (2), distingue trois catégories d'opé¬
rations interprétatives dans l'analyse de la signification des uvres d'art gra¬
phique. Les significations primaires dépendent de l'expérience pratique du
spectateur, de sa capacité à reconnaître les objets ou les événements représen¬
tés ; affecter à telle ou telle manifestation physique une valeur conventionnelle
(que signifient un froncement de sourcil ? un serrement de main ? ou, plus com¬
pliqué : comment expliquer ce que fait Pingu avec un bâton pour « serrer » la
main de son grand père malade ?) relève d'un processus secondaire, qui néces¬
site l'intervention de « l'entendement ». L'analyse du « contenu » ou de la « signi-
97
REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET
1.2.1. Dire que « l'écriture filmique repose toujours sur une segmentation
plus ou moins absolue » (Marie, & Collet Jean, 1976, p. 72) c'est affirmer qu'en
premier lieu, la réalisation suppose un découpage de l'espace qui sert de décor
à la représentation et une fragmentation du temps représenté. La multiplication
des plans amplifie et complique le nécessaire travail de montage. Eisenstein
décrit, non sans humour, cette alternance de fragmentations et d'assemblages
qui caractérise le travail du cinéaste : « condamnés à travailler sur des morceaux
de longueur donnée, nous devons à l'occasion rattacher un morceau à un
autre » (5). En effet, dans la narration cinématographique classique, il s'agit de
dissimuler le découpage initial et de faire en sorte qu'un matériau obligatoire¬
ment discontinu puisse donner l'illusion d'une continuité. L'analyse « plan après
plan » reconstitue le découpage du film, met à plat « sa structure interne, son
principe d'agencement ». On appellera donc « découpage » deux activités
symétriques et dont les objectifs sont assez différents :
- pour le cinéaste, il s'agit de constituer puis de réunir des fragments pour
produire une cohérence.
- pour l'analyste, il s'agit de dissocier à nouveau ces éléments que du sens
a réunis, pour mettre en évidence les « signifiants spécifiques » du
film (Michel Marie).
98
I nous faut des preuves ».
99
REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET
La plus élémentaire des séries télévisées pour enfant suppose par exemple
la mise en uvre d'une compétence narrative. Au cours d'un des premiers épi¬
sodes de la série Babar, le héros raconte un épisode de sa propre enfance :
Panalepse intervient quasiment au début de l'épisode, au moment où Babar
évoque le souvenir de sa mère, tuée par un chasseur. Le retour en arrière est ici
souligné par des indices visuels (l'image devient floue) et auditifs (présence
d'une petite musique à laquelle s'ajoutent les propos de Babar, devenu
narrateur : « II y a longtemps, très longtemps. C'était du temps où je n'étais pas
encore roi, du temps où Célesteville n'existait pas, du temps de votre grand-
mère, de ma mère »). Babar apparait physiquement très différent des toutes pre¬
mières images du dessin animé (où il porte son costume vert...). Les seuls
indices qui nous permettent alors de l'identifier sont auditifs : Babar bébé, pro¬
nonce plusieurs fois son prénom, et les autres personnages du dessin animé le
nomment à différentes reprises. Comment les spectateurs les plus jeunes s'y
retrouvent-ils ? Mais aussi quelles compétences spécifiques construisent-ils peu
à peu grâce à la fréquentation régulière de narrations qui jouent avec la chrono¬
logie, avec les plans d'énonciation, avec la mise en espace de la fiction ?
100
' II nous faut des preuves »...
En effet,
a. lamise en relation des plans (ou des séquences) permet de « construire
une représentation unique, qui intègre tous les éléments de représenta¬
tion » (13) donnés au fur et à mesure de la vision du film : la continuité
entre les plans par exemple ne peut être inférée qu'à condition de consi¬
dérer des éléments appartenant à des plans successifs comme entrete-
101
REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET
102
« II nous faut des preuves »...
1.4. 1. Deux types d'entrées ont ainsi été retenus pour travailler
avec les élèves sur leur compréhension des récits
filmiques
La première porte principalement sur le/les personnage/s comme
marques de cohérence « supra-segmentale » (C. Metz). Inspirées par l'ou¬
vrage de C. Tauveron (16), les enquêtes conduites par les étudiants ont porté sur
la typologie des personnages (représentation des « héros » ou des
« méchants »), sur la différenciation des personnages secondaires (par exemple
dans Le Livre de la Jungle - version Disney - ou dans plusieurs épisodes d'une
série télévisée - Winnie l'ourson -). II s'agit de réunir les informations qui définis¬
sent le personnage (but et plan, mais aussi traits physiques et attributs acces¬
soires, actions, propos) : les indices visuels ou sonores sont systématiquement
rassemblés, la mémoire est sollicitée, des extraits sont visionnés à plusieurs
reprises, plusieurs épisodes d'une même série permettent de construire un juge¬
ment sur le personnage :
Un premier épisode de Winnie l'ourson montre Porcinet impuissant face
à une inondation ; la situation est telle que la peur du personnage se jus¬
tifie, notamment pour « un si petit animal ». Les élèves (CP) ont pourtant
relevé que ce dernier tremblait tout le temps. Un second passage, extrait
d'un autre épisode, présente le même Porcinet terrorisé aux côtés d'un
Winnie serein. Dans une troisième séquence, Porcinet entend un bruit
(produit par l'estomac de Winnie) et s'inquiète en bégayant. La caractéri¬
sation du personnage (Porcinet = peureux) nait de la mise en relation de
son comportement avec des contextes différents, dans des films qui ne
sont pas faits pour être vus « à la suite ». L'objectif de séances de ce
genre est de conduire à un jugement globalisant appuyé sur des indices
précis et collectivement repérés.
103
REPÈRES N" 21/2000 B. CHAIX et F. QUET
2. FENNEC EN CYCLE 2
2.1. La situation
On voudrait maintenant proposer, à titre d'exemple, quelques éléments
d'une situation mise en place par des professeurs des écoles stagiaires dans un
CP et dans un CE1 (19). Les élèves des deux classes avaient été mélangés puis
réunis par groupe de six pour assister à la projection d'un épisode de la série
télévisée Fennec (20). À certains groupes, on a proposé la projection complète
de l'épisode, puis on leur a demandé de raconter le film à un enseignant qui
n'avait pas assisté à la projection. Avec les autres groupes, la projection a été
interrompue à plusieurs reprises et à chaque fois on a demandé aux élèves de
proposer la suite la plus probable en tenant compte de l'extrait qu'ils venaient
de voir. On ne fera pas de différence, dans le cadre de cet article, entre les pro¬
ductions orales des deux types de groupes dans la mesure où il ne s'agit pas
tant d'établir des distinctions entre deux situations, pertinentes l'une et l'autre,
que de montrer en quoi les interactions verbales permettent d'évaluer et d'amé¬
liorer (de mettre en valeur) des compétences narratives.
2.2. Le film
Croquiville, la nuit,
Bernié, le coq est réveillé en sursaut par du bruit, il se penche à la fenêtre
et voit une voiture rouge s'enfuir. II crie : « à moi, au secours, au voleur,
au voleur ! »
Fondu au noir.
Dans le bar du coq, le lendemain matin.
104
« II nous faut des preuves »...
105
REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET
Fennec ajoute : « et on sait que c'est quelqu'un qui aime les salières »
« pas tant que ça, il n'a volé que celles de Bernié »
« 1 5, c'est déjà pas mal non ? »
« Ouais, ça dépend pour qui ! »
« Exact, qui peut bien avoir besoin de tant de salières ? »
« Quelqu'un qui achète beaucoup de sel ? »
« tu es un très grand détective » conclut Fennec
106
I nous faut des preuves »...
107
REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET
Fennec : « la réponse est simple Achille, c'est parce que les trous des
salières sont plus grands et ça poivre plus vite » Georges acquiesce.
Basile et Georges sont condamnés à nettoyer toutes les plantes de
Croquiville et à replacer de vraies plantes à la place de celles en plas¬
tique.
108
« II nous faut des preuves >
avait volé des salières. Et après elle disa à Fennec et à son associé... heu
de retrouver le voleur qui lui avait volé les salières. . .
E2 : Après, heu...
E3 : Après y a eu le maire, il était dans la voiture, il a dit qu'y avait un ren¬
dez-vous au parc, puis y'avait un faux professeur, c'était pas un vrai pro¬
fesseur, c'étaient deux rats, c'était un des deux rats qui volaient des
salières et ben il avait fait le professeur et après il avait dit qu'il y avait eu
une allergie qui allait tomber sur la ville. Alors euh. . . y'a eu tout le monde
ils ont eu peur... et avec son frère, ils ont tous les deux mis du sel et... ou
du poivre dans toutes les fleurs de la ville. Puis après y avait Fennec il
comprenait rien, il avait trouvé un indice chez la poule, c'était un pétale
de fleur. Et à un moment y'avait eu le canard qui était le facteur, il avait
tombé une fleur en plastique, puis Fennec avait vu qu'il y avait deux...
elles se ressemblaient les deux pétales de fleur.
E4 : Après les rats... en fait Fennec avait trouvé que c'étaient les rats qui
avaient volé les salières. Et puis après euh... Quand il l'a su il a dit à tout
le monde que c'était eux et il avait une idée comment les attraper la nuit.
Après ils avaient mis du poivre la nuit et ils l'ont attrapé, tous les rats, là.
E5 : Eh ben parce qu'à ce moment y'a une dame qui passe, je sais plus
comment elle s'appelle... eh ben elle donne une fleura... elle avait tombé
une fleur, alors II la ramasse...
E3: .. .c'est le canard ! C'est le canard. En fait c'est le facteur qui avait fait
tomber une fleur.
E5 : oui, qui avait acheté des fleurs, des fausses fleurs. Et après quand
Fennec Ta prise dans ses bras et ben, elle Ta donnée et puis après ils
sont partis dans la voiture, il a arraché un pétale de fleur et puis il a pris. . .
il a demandé la loupe à son copain et il a vu que c'était les deux mêmes,
alors il a eu un plan et après c'est ce que Mathilde a raconté (E4).
PE2 : Tu peux préciser un peu ce plan ?
E5 : Ben en fait, ils se cachaient dans une fenêtre ouverte et quand ils
amvaient, quand ils les entendaient, ils allumaient les lampes et puis ils
sautaient ils avaient un tissu sur la bouche... sur le nez, pour pas qu'ils
sentent le poivre et puis après, Fennec il a enlevé le masque pour pas
qu'il tousse, au voleur quoi. Et puis ils ont vu que c'étaient les rats, qui
mettaient du poivre sur les fleurs.
E2 : Et ben, avant, y avait le monde... je veux dire plein de gens qui fai¬
saient Atchoum ! Et ils avaient tous des serviettes... euh... des trucs je
sais pas comment ça s'appelle...
PE2 : des foulards ?
E2 : Ouais des foulards ! Mais... y'avait aussi des casques et même
quand y'avait les deux rats dans le garage... et ben l'autre il dormait et H
lisait son journal. Après il l'a réveillé et alors il a li le journal et après il a
redormi, l'autre, comme ça ! Après, il y'avait les fleurs... (Rires) Après
quand ils sontaient en voiture, eh ben il a touché. ..il a dit à lui qui conduit
la voiture, il a donné la pétale qui était cassée là ! Et après... et ben...
après il a pris sa loupe, les deux dans sa main, après il a regardé et après
lui qui conduisait, il a vu, il a dit « C'esf les mêmes » et après euh. . .
E4 : A un moment le maire il a demandé une réunion.
PE2 : Pourquoi ?
109
REPÈRES N° 21 /2000 B. CHAIX et F. QUET
110
< II nous faut des preuves >
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REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET
D. La différence entre les élèves est une autre des observations que l'on
peut conduire au cours de l'analyse d'une séquence de ce genre. N'entrons pas
dans les détails (22) : E1 , silencieux la plupart du temps, énumère des actions
sans aucune distance, restitue le déroulement d'événements dont il a été le
témoin. E3 au contraire établit des relations, utilise le plus-que-parfait, anticipe
sur la suite du récit, double sa narration d'une perspective explicative qui mani¬
feste une distance et une réflexion dont les autres élèves ne semblent pas
capables à ce moment-là. Plus loin on verra comment des enfants se satisfont
d'un niveau de compréhension que d'autres souhaitent dépasser en soulignant
ce qui leur apparait provisoirement incohérent.
112
« II nous faut des preuves »..
113
REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET
archétypale que d'une analyse des informations données par le film. Deux
élèves seulement ont signalé que cette allergie leur permettait de vendre les
fleurs artificielles.
Et
E2 : En fait c'est le lendemain matin que les gens devaient venir pour la
réunion. Ça aurait empêché la réunion parce que tout le monde aurait
toussé. Eux ils savaient qu'ils allaient mettre du poivre, les détectives.
Alors ils ont prévenu tout le monde et le soir, ils se sont tous cachés.
114
« II nous faut des preuves >
CONCLUSION
II faudrait, pour conclure, s'interroger sur le double régime de la significa¬
tion mise en uvre par le récit filmique dans cet épisode. L'intrigue avance en
effet à partir d'indices dont dispose le détective : un petit morceau de plastique,
la découverte de poivre dans les fleurs. Ses réflexions à haute voix devraient
elles aussi alimenter les hypothèses du spectateur, comme la constatation de
coïncidences remarquables (l'épidémie et l'inauguration du magasin de Basile et
Georges). Curieusement, seuls quelques-uns de ces indices font sens pour la
plupart des jeunes téléspectateurs. Ceux-ci disposent d'autre part d'une variété
d'indices plus grande encore, indices qui passent inaperçus de Fennec ou dont
celui-ci ne parait faire aucun cas. Le spectateur seul peut voir l'image d'un
piment collée au sac de poivre placé sur le toit de la voiture, ou remarquer que
l'auto qui s'enfuit avec les salières est la même que celle que conduit la vieille
dame. Quant à la ressemblance des rats avec le savant ou la vieille dame, les
détectives n'en font aucun cas. Les élèves, eux, sont très sensibles à ces
indices perceptifs à partir desquels ils echafaudent du sens : ce qu'ils prennent
pour une carotte équivaut à une fausse indication destinée à égarer les enquê¬
teurs ; le visage peu amène du maire (c'est un bouledogue, qui transpire lui
aussi, et dont les apparitions précèdent les malheurs de la cité) en fait un coquin
en puissance, etc. Mais la mise en relation de ces indices sur l'ensemble de la
fiction, la mise en uvre systématique des règles de non-contradiction à
l'échelle du récit continuent à faire défaut à bon nombre d'entre eux. On dira
que c'est normal dans la mesure où une grande partie des productions audiovi¬
suelles qui leur sont destinées ne sont qu'une suite de scènes faiblement inté¬
grées dans un récit cohérent. Les enfants suivent cette série chez eux, mais ils
semblent arriver à des degrés d'interprétation variés : la restitution des événe¬
ments présentés à l'écran, l'insistance sur le spectaculaire peuvent tenir lieu de
résumé du film pour certains d'entre eux, alors que d'autres paraphrasent les
démonstrations du détective, ou que d'autres encore s'efforcent de combler les
ellipses narratives.
Le débat permet de rendre visible, surtout pour ceux qui donnent l'impres¬
sion de ne pas participer, l'intimité du travail cognitif qui, habituellement, est tou¬
jours caché : la compréhension des récits télévisuels ne relève pas de la magie,
elle se construit peu à peu dans une pratique domestique, mais elle s'améliore
ou s'approfondit à travers les échanges raisonnes qu'une situation scolaire peut
offrir. Avoir à argumenter et défendre un point de vue par des commentaires
explicites permet la mise à distance des impressions subjectives, organise les
tris et la pensée, permet de se rendre compte de ses erreurs. Les élèves éprou¬
vent alors le besoin de revenir à leur problème pour avancer en fonction des
pistes qui s'ouvrent à eux. On remarque que, dès qu'on suscite un débat, les
enfants souhaitent revenir au film pour en faire une deuxième lecture plus
« active » : ils découvrent qu'il y des choses à comprendre.
En écoutant les remarques des autres, en repérant comment ils s'y sont
pris pour arriver à telle conclusion... en notant sur quel type d'indices les uns ou
les autres s'appuient, ce qu'ils en font... c'est une compétence de lecteur de
film que l'on construit. L'argumentation des élèves de cycle 2 s'appuie encore
115
REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET
assez peu sur les indices spécifiques du récit cinématographique (aucune réfé¬
rence à la musique, aux cadrages, au montage...), mais la conversion d'une cul¬
ture domestique en terrain d'investigation, parce qu'elle conduit à adopter une
posture plus « active » donne les moyens d'aller vers un « autre niveau de lec¬
ture », une lecture à la fois plus vigilante et plus consciente.
NOTES
(1) « Tout a été dit et continue d'être répété : le bien, le mal et le neutre. Énumérons un
peu : la télévision « fenêtre sur le monde » et « aliénation des masses » (...), facteur
d'émancipation sociale et source d'inégalité, cause de comportements violents ou
assumant une fonction cathartique de l'agressivité... » (Geneviève Jacquinot-
Delaunay, « La télévision partenaire cognitif », ELA 117, Janvier-Mars 2000) ou
encore : « Un travail en cours sur la représentation télévisuelle de la violence, en col¬
laboration avec le CSA, nous a montré qu'il est encore très difficile d'amener l'élève
à une prise de distance génératrice de réflexion. Nous posons l'hypothèse que l'em¬
pathie manifestée par les élèves ne relève pas seulement des thèmes traités ou du
monde représenté, mais de la substance même des discours télévisuels, substance
visuelle et sonore. Le discours télévisuel est marqué par une gamme chromatique,
un rythme de succession des plans, une outrance sonore parfois, qui modèlent litté¬
ralement la construction du sens, a fortiori l'activité evaluative. » Maryvonne
Masselot-Girard, (1996), p. 24.
(2) L'introduction aux Essais d'iconologie (p. 13-31).
(3) S.M. Eisenstein (1 976), p. 21 4.
(4) id. p. 233.
(5) S.M. Eisenstein (1976), p. 213.
(6) La difficulté du matériau cinématographique n'est évidemment pas incompatible
avec des situations ordinaires de télespection qui invitent au contraire le jeune télé¬
spectateur à se conformer à un modèle hypercoopératif de réception. L'opposition
entre textes « résistants » et textes « collaborationnistes » développée par Catherine
Tauveron (Repères n" 19, « Comprendre et interpréter le littéraire à l'école : Du texte
réticent au texte proliférant ») a sans doute une valeur intrinsèque mais elle se prête
aussi à la description des situations de réception des textes ou des films. Dans le
cas présent, on défendra l'idée qu'une situation didactique adaptée permet de valo¬
riser la part d'opacité de tel ou tel fragment fictionnel, et de s'appuyer sur cette
résistance « restaurée » pour construire collectivement ou individuellement des hypo¬
thèses de sens.
(7) Plus loin C. Metz distingue une catégorie « segmentale » (qui relève effectivement du
découpage de la continuité filmique), et une catégorie « suprasegmentale » - cou¬
leurs, mouvements d'appareil, présence de formes ou d'objets à l'écran etc. - qu'il
identifie à des exposants « qui viennent affecter sélectivement (...) un segment fil¬
mique déterminé ». (id. p. 152).
(8) « Le récit est l'énoncé dans sa matérialité, le texte narratif qui prend en charge l'his¬
toire à raconter. Mais cet énoncé, qui n'est formé dans le roman que de la langue,
comprend au cinéma des images, des paroles, des mentions décrites, des bruits et
de la musique, ce qui rend déjà l'organisation du récit filmique plus complexe »
Jacques Aumont, Esthétique du film, Nathan-Université 1993, p. 75.
(9) Jean-Marie Schaeffer (1 999), p. 298-305.
116
« II nous faut des preuves »..
117
REPÈRES N° 21/2000 B. CHAIX et F. QUET
BIBLIOGRAPHIE
118
II nous faut des preuves >
119
HISTOIRE, GÉOGRAPHIE, ÉDUCATION
CIVIQUE : TROIS DISCIPLINES AUX PRISES
AVEC LA DIVERSITÉ NARRATIVE
François AUDIGIER
Université de Genève (1)
// reste que l'histoire-récit est à mes yeux un cadavre qu'il ne faut pas res¬
susciter car il faudrait le tuer une seconde fois. Cette histoire-récit dissimule et
se dissimule des options idéologiques et des démarches méthodologiques qui
doivent être au contraire clairement énoncées. II faut réduire l'histoire-récit à
n'être qu'un moyen parmi d'autres de la pédagogie dans l'enseignement scolaire
et de la vulgarisation.
121
REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER
ce genre de travail. II faut une maturité d'esprit que certains n'ont pas. Les
meilleurs, les meilleurs lecteurs l'ont. Mais les enfants en difficulté...
Institutrice, Périgueux, entretien hiver 1998, recherche INRP à paraitre.
Comme on l'a déjà mentionné, le texte scientifique met en jeu tout un caléi-
doscope de moyens de persuasion ; il est mise en spectacle (theoria) où
personnalités, expériences, critiques s'entrecroisent dans une chorégraphie
complexe. Le but est de mener le lecteur d'un état initial de méconnais¬
sance à un état ultime où il doit adhérer aux mêmes conclusions que l'au¬
teur. La forme narrative est ainsi inhérente à la démarche...
V. Berdoulay, Des mots et des lieux, la dynamique du discours géogra¬
phique, p. 26, éd. CNRS, 1988.
122
Histoire, géographie, éducation civique...
Sur ce fond commun, nous faisons deux hypothèses dont nous cherchons
à fonder la pertinence dans le cadre de cet article :
- la première souligne l'importance des savoirs factuels, déclaratifs, des
savoirs que..., des connaissances sur... Ce qui compte en premier lieu dans
l'enseignement des trois disciplines est d'acquérir des connaissances sur les
sociétés présentes et passées. Même l'éducation civique, dont les buts affirmés
sont pour une grande part aujourd'hui d'ordre comportemental, est prise dans
cette logique. La connaissance du réfèrent, du monde dont on parle commande
le fonctionnement des disciplines. Cela a pour conséquence le fait que la
dimension narrative ne saurait être un objet central, plus généralement que
l'étude des formes dans lesquelles se donnent et s'expriment les connaissances
dans ces disciplines est généralement mise de côté. Quelques approches à ten¬
dance méthodologique n'effacent pas cette puissante tendance ;
- la seconde prolonge la première en mettant en avant un « conflit de finali¬
tés ». Le discours de légitimation de ces disciplines insiste sur leur contribution
à la formation intellectuelle et critique des élèves ; c'est autour de ce thème que
s'énoncent les finalités les plus nobles de la discipline. Dans ce cadre, un travail
sur récriture et les manières dont les textes sont produits et construits s'impose.
Mais cette finalité et les travaux qu'elle appelle entrent en conflit avec les savoirs
factuels dont nous avons dit le poids. Ce qui est déclaré important n'est pas
seulement de savoir mais aussi de comprendre ; la narration apparait alors
comme trop « facile » pour être vraiment intéressante. Le renvoi du récit vers les
plus petits des élèves, renvoi qu'exprime Le Goff dans la citation placée en
exergue, est largement partagé. Tout converge pour que le récit, plus largement
toutes les formes d'écriture s'avancent masqués, cachés. Du récit partout, du
123
REPÈRES N" 21/2000 F. AUDIGIER
récit toujours, du récit plaisir, du récit soupçon, du récit enfantin... mais l'ensei¬
gnement a des visées plus nobles, celle de la formation de l'intelligence et de la
raison ; seule l'explication tiendrait ce rôle. Le récit est alors insuffisant, tout
juste une petite machine nécessaire, trop simple pour être honnête, trop évi¬
dente pour être un objet explicite d'apprentissage. C'est ainsi que certains rejet¬
tent le récit. Les choix didactiques sont alors sous la double commande des
finalités politiques et civiques qui appellent la construction d'un monde commun
et des connaissances « encyclopédiques » si fortement présentes dans ces dis¬
ciplines. Les deux commandes s'épaulent pour mettre de côté un travail sur les
formes et l'écriture, en dehors de l'apprentissage des modèles canoniques qui
sont ceux de l'évaluation.
124
Histoire, géographie, éducation civique...
125
REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER
126
Histoire, géographie, éducation civique...
127
REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER
La référence aux Annales dans l'éclipsé de récit pourrait laisser penser que
celle-ci est relativement récente. Le temps plus ou moins long pour qu'une posi¬
tion élaborée dans l'univers scientifique percole jusque dans l'enseignement
conduirait à énoncer l'hypothèse d'un déclin du récit à l'École dans les années
cinquante. Ajoutons à cela que notre imaginaire est habité par l'histoire « à la
Lavisse » comme référence privilégiée de l'enseignement à l'école primaire, et
donc par le récit qui lui est accolé ; ce récit a donné lieu à nombre d'analyses
critiques l'associant généralement sans autre forme de procès aux contenus
nationaux voire nationalistes qu'il emporte avec lui. Pourtant l'affaire n'est pas
aussi simple pour au moins deux raisons. La première est liée à la finalité identi¬
taire et culturelle de l'histoire et de son enseignement. Le récit scolaire a pour
fonction d'inscrire les jeunes générations dans le grand récit collectif de la
Nation. Sa mise en cause affecte profondément cette finalité, à moins que ce ne
soit la mise en cause de ce grand récit qui n'emporte avec lui l'idée même de
narration. La deuxième relève d'une longue tradition de suspicion à son égard,
une suspicion double : le récit est attractif, mais cette attraction, voire ce plaisir
est aussi un adversaire de la raison que l'on cherche à développer ; le récit est
pris en flagrant délit d'insuffisance, il n'explique pas, du moins pas
suffisamment ; il faut alors soumettre le récit à divers traitements. Les caractères
du texte scolaire énoncés précédemment sont la traduction de ce soupçon ; le
récit d'histoire s'inscrit dans la fragmentation du travail scolaire.
Ainsi, quelles que soient leurs spécificités, les trois disciplines s'intéressent
au devenir humain, un devenir passé, un devenir présent. La mise en perspec¬
tive temporelle est une condition même de l'intelligibilité de ce devenir et de la
production de sens. Même les tableaux, les présentations synchroniques, les
visons « arrêtées » de ces sociétés qui existent à des titres divers dans les trois
disciplines n'ont de sens que, d'une part, lorsqu'elles sont replacées dans le
grand mouvement du temps, d'autre part parce qu'elles incluent de nombreux
mini-récits comme autant de parcours diversifiés à l'intérieur du tableau. Par
exemple, la société féodale se présente comme un « tout » dans lequel l'étude
des relations suzerain-vassal constitue une sorte de structure stable, mais elle
ne se comprend que si ces relations sont remises en récit ; de l'adoubement du
chevalier à la division du travail au sein de la seigneurie, le texte d'histoire est
constamment pris et vivifié par ces narrations partielles. Certes, dès lors qu'il est
consubstantiel à l'expression de l'expérience humaine, le récit n'a jamais « dis-
128
Histoire, géographie, éducation civique..
A l'autre bout de la chaine, nous avons, in fine, la réception que les élèves
en font, leur capacité à construire une relation entre leur histoire personnelle et
l'histoire collective, les histoires collectives, plus largement leur capacité à rai¬
sonner leur présence au monde comme celle d'une personne dans une société
où les relations aux autres sont constantes et infiniment multiples, où ces rela¬
tions construisent leurs identités. En classe, c'est toujours une dimension col¬
lective qui est étudiée, mais le sens que les savoirs prennent pour les élèves,
pour chacun d'entre eux, condition même de l'apprentissage, reste l'objet d'une
alchimie intime où la capacité à se penser comme sujet et acteur d'histoire est
essentielle (8). Nous savons également que les modes de relation au passé sont
multiples, ce qui multiplie à la fois les chances d'une rencontre entre chaque
élève et les textes qu'il étudie mais aussi les difficultés pour mettre en scène les
conditions de cette rencontre dans une classe.
Dans cette seconde partie, nous entrons plus avant dans quelques compo¬
santes de l'enseignement, dans ce que nous avons nommé ailleurs un « modèle
disciplinaire » (Audigier 1 995, 1 997), pour y traquer différents aspects de la pré¬
sence de la narration. Nous y étudions principalement l'histoire et à la géogra¬
phie ; les spécificités de l'éducation civique, en particulier le lien avec la vie
scolaire, plus largement avec l'expérience, demanderaient des développements
particuliers, aussi seules quelques évocations de cette discipline sont ici pré¬
sentes. Pour cet examen nous convoquons plusieurs sources : des enquêtes
auprès d'enseignants et quelques incursions dans des classes, principalement
au collège, de rapides visites de manuels comme moyens d'enseignement
expressions de coutumes didactiques, et enfin des textes officiels comme
expressions des attentes de l'institution et donc d'un cadre premier dans lequel
s'exercent la pensée et l'action des enseignants.
129
REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER
vence étroite entre le récit et l'histoire enseignée, mais une connivence qui n'ose
pas pleinement s'affirmer.
130
Histoire, géographie, éducation civique...
131
REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER
que la ville où elle se trouve existait aux Xlle-Xllle siècles, mais n'appelle pas en
soi une narration. Dans le second cas, la dimension narrative tend à être plus
explicite et associée à l'idée d'une genèse du paysage ; les différents quartiers
d'une ville sont les témoins d'une histoire dont la connaissance explique les
aspects variés de ces quartiers.
Les deux manuels étudiés sont ceux édités pour le cycle 3, CM2, par les
éditions Hatier en 1998, et pour le cycle 3, niveau 2, par les éditions Hachette en
1996. Celui d'Hatier traite de l'histoire et de la géographie, celui d'Hachette de la
seule histoire. Ils correspondent donc aux derniers programmes publiés en
1995. Laissant de côté une présentation approfondie de la maquette et du
découpage de la matière, remarquons l'abondance des illustrations, générale¬
ment en couleur et l'aspect « magazine » de la mise en page. Pour notre propos,
cela signifie que l'on ne rencontre guère de textes longs.
132
Histoire, géographie, éducation civique..
133
REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER
Le second regard sur ces manuels porte sur les orientations de travail pro¬
posées aux élèves. Même si un « texte du savoir » existe avec les caractères
que nous avons relevés, la plus grande partie du livre est occupée par les
« documents » et autres compléments, tous auxiliaires de ce texte du savoir,
presque tous accompagnés de questions pour les élèves. Quels mots sont
employés et quelles consignes sont formulées pour conduire leur travail, leurs
activités, les tâches qu'ils ont à accomplir, etc. ? La moisson est abondante :
questions qui renvoient à un seul document, « Combien... ? Comment... ?
Quels sont... ? Qui sont... ? Observe... ? A quoi vois-tu... ?... » ; questions qui
appellent le secours d'un autre document, « Situe... ? De quand date... ?
Compare... ?... » ; questions qui demandent un peu plus de mobilisation intel¬
lectuelle, « Pourquoi... ? Explique... ?... » Pour l'essentiel les activités propo¬
sées sont des activités de prises d'informations, d'identifications, de
reproduction (11). Nulle référence à l'idée de raconter ou de construire un récit,
voire un texte un peu plus complexe ; les réponses attendues sont, pour la plu¬
part, supposées courtes.
134
Histoire, géographie, éducation civique...
rique ». Elle comporte trois « documents » au sens strict du terme, trois images
datant de 1816, 1 848 et 1 945, et en complément, des informations, une frise
chronologique et une batterie de questions portant sur chaque document.
L'écriture du texte historique est conduite comme la réunion, sur un objet
donné, de documents divers qui apportent des informations qu'il convient de
« classer dans l'ordre chronologique » avant d'« écrire pour chacun d'eux l'infor¬
mation recueillie », ensemble d'actes qui précèdent l'écriture du texte lui-même :
« organiser toutes ces informations dans un texte ». Notre observation devient
quelque peu monotone : nulle référence à une quelconque idée de récit ou de
narration. Plus encore, l'écriture d'un texte d'histoire est réduite à la formulation
d'une succession d'informations sur un objet ; l'exemple étudié ici gomme les
acteurs, les contextes, les tensions. Les trois documents choisis invitent à écrire
cette histoire en trois moments : suffrage censitaire, suffrage universel masculin,
suffrage universel ; le sens de l'histoire est marqué par trois périodes elles-
mêmes inaugurées par trois dates, ce que confirme une petite frise chronolo¬
gique. Les consignes de lecture pour chaque document sont de même nature
que toutes celles observées dans le corps de l'ouvrage : il s'agit de s'assurer
que l'élève est capable d'imaginer un minimum la réalité à laquelle se réfère
l'image, le monde qu'elle « re-présente ». La construction du texte d'histoire est
soumise à cette capacité ; plus encore il apparait comme une suite évidente,
normale, qui n'appelle aucune position intellectuelle différente, aucune problé¬
matisation ou thèse à défendre ; sans doute ces derniers termes sont-ils jugés
trop difficiles pour de jeunes élèves, mais l'absence de ce qu'ils impliquent,
même pour des élèves de 10-11 ans, réduit l'écriture de l'histoire à la mise par
écrit d'une suite chronologique d'énoncés. II y a bien succession, unité théma¬
tique, transformation d'une situation, mais les acteurs et les actions sont dis¬
sous et la causalité narrative totalement absente au profit d'une vague vision
téléologique puisque personne ne saurait contester que le suffrage universel est
un progrès démocratique par rapport au suffrage censitaire.
Une brève analyse d'une autre double page « étudier un événement histo¬
rique » confirme ces absences et cette mise en scène pédagogique. Étudier un
événement, c'est « situer l'événement dans l'espace », « ordonner les faits dans
le temps », « trouver des causes et des conséquences à l'événement ». II est vrai
que cette double page n'invite pas à une écriture, mais nous y trouvons cette
position implicite permanente qui consiste à réduire la construction du texte de
l'histoire à une lecture méthodique et chronologiquement ordonnée de « docu¬
ments ». L'examen fragmenté de ces derniers qui informent et l'écriture se
confondent ; celle-ci n'est pas un acte singulier dont il conviendrait de travailler
les caractères. Au-delà de ce contre-sens sur l'acte même d'écrire, une telle
activité ne peut que renforcer une représentation courante de l'histoire chez les
élèves dont le schéma principal est celui-ci : des témoins ont vu et éventuelle¬
ment participé à des événements, ils ont consigné ces observations ou ces
expériences dans des textes écrits, des livres, puis les historiens arrivent, effec¬
tuent éventuellement un travail critique pour s'assurer que ces textes sont
authentiques et cousent ensemble ces différents textes. C'est une opération peu
différente qui est ici proposée aux élèves.
135
REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER
Ce que nous n'avons pas rencontré dans les manuels d'histoire n'existe a
fortiori pas dans ceux de géographie. La priorité est attribuée à des activités de
description, de mise en correspondance d'images et de cartes par exemple. La
France, l'Europe et le monde sont étudiés dans leur état actuel. Ici ou là, une
phrase ou un paragraphe rappellent quelques brefs éléments d'histoire comme
pour la construction européenne, la croissance des villes ou l'étude de la pyra¬
mide des âges. Cela n'empêche pas les textes des auteurs des manuels d'être
habités de références au passé qui inviteraient à dire une histoire ou des actions
humaines qui ont elles aussi un caractère narratif. Nulle perspective temporelle
d'ensemble ne vient troubler cette mise en tableau. La discontinuité précédem¬
ment notée interdit à ces éléments et à ces références de s'inscrire dans une
telle perspective.
Dans les deux disciplines, nous avons alors une tension entre le sens de ce
qui est étudié, sens qui ne peut être que général, et le travail de lecture et
d'étude qui est proposé, travail qui fragmente à l'extrême les textes d'histoire et
de géographie, les réduisant de fait à une suite d'informations mises bout à
bout. Les titres généraux des chapitres, ceux des pages et des paragraphes,
énoncent ce sens général, celui au sein duquel les informations précises, celles
que comportent les documents selon une lecture très inductive, doivent se ran¬
ger. Les consignes, qui privilégient une lecture décomposée et invitent très peu
à se référer à d'autres textes, notamment au texte des auteurs, accentuent ce
côté fragmentaire. Nous retrouvons un tel schéma dans ce que nous pouvons
connaître des pratiques d'enseignement, notamment à l'école primaire.
136
Histoire, géographie, éducation civique...
Pourtant, ce récit en tant que tel est insuffisant (12), il ne saurait être à lui
seul la leçon d'histoire. L'histoire est une matière qui s'explique car elle
explique ; sa légitimité scientifique fonde sa légitimité civique et politique. Ce qui
est important est la compréhension et non un apprentissage qui relèverait du
psittacisme. Aussi le maitre doit constamment s'assurer que ses élèves ont
compris, c'est-à-dire qu'ils sont eux-mêmes capables de reprendre les explica¬
tions du maitre ou du manuel. Le soupçon que les historiens ont fait pesé sur le
récit est ici bien anticipé.
3. CONCLUSION
137
REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER
nous les avons placés sous la double contrainte des finalités politiques et
civiques et de l'importance des connaissances encyclopédiques. Cela nous a
conduit à soumettre narration et récit, quelle qu'en soit la forme, à cette exi¬
gence constamment affirmée dans ces disciplines : expliquer. Apprendre n'est
pas seulement accumuler des informations, mais être capable de les mettre
dans la double perspective de l'explication et de la compréhension. Nous avons
également interrogé les consignes et les modalités de travail et, par là, la ques¬
tion de l'écriture. II est une manière assez simple d'entendre récit et narration,
celle exprimée par l'enseignante citée en exergue, celle mise en cause dans la
citation de Le Goff : raconter des histoires comme nous les avons entendues
dans notre enfance. Le plaisir entre en conflit avec les exigences intellectuelles
de l'explication et la réalité des sociétés pensées comme complexes. Cette
manière n'a rien d'indigne ; nombre de travaux insistent sur la puissance du
récit, puissance pour construire des imaginaires, puissance pour fabriquer du
réel et y faire croire (14), puissance pour construire et légitimer des identités col¬
lectives, des combats... Dans cette perspective, étudier le récit dans l'enseigne¬
ment de nos disciplines n'est pas seulement étudier un type de texte, une forme
textuelle ; c'est surtout étudier un objet dont l'introduction dans l'enseignement
avait pour finalité la construction d'une représentation partagée de la mémoire,
du territoire et du pouvoir. Décrire, raconter, expliquer comment s'est constituée
la collectivité nationale, comment elle a mis en valeur le territoire et comment
elle a mis en place des institutions politiques démocratiques et républicaines,
telles étaient, rapidement formulées, les finalités premières et fondamentales de
nos disciplines. II s'agissait d'inscrire le devenir de chacun dans un grand récit
collectif, une histoire dans laquelle il avait à prendre place.
138
Histoire, géographie, éducation civique...
NOTES
139
REPÈRES N° 21/2000 F. AUDIGIER
lutionnaires pendant la Terreur ? Être « contre » eux, c'est se prononcer contre les
idéaux de la Révolution ; être « avec » eux, c'est passer pour cruel et partisan de
fonnes d'exercice du pouvoir qui sont condamnées aujourd'hui... Mieux vaut ne pas
trop s'en souvenir et gommer cela de la mémoire comme le montrent quelques
enquêtes sur ce que des élèves ont retenu de la Révolution française.
(11) Pour quelques précisions sur ces catégories, voir la recherche CM2-6", INRP 1987,
p. 20.
(12) Nous passons volontairement au présent pour marquer la permanence de cette
conception et reglissons vers un temps passé pour citer des textes plus anciens.
(1 3) Pour une histoire de la géographie dans l'enseignement secondaire, voir Lefort 1 992.
BIBLIOGRAPHIE
140
Histoire, géographie, éducation civique...
141
LE CYCLE DE VIE DU CERISIER :
UNE NARRATION SCIENTIFIQUE ?
Résumé : Dans le contexte d'une recherche sur les formes et les fonctions des
écrits en sciences, ce texte propose d'observer les conduites d'écriture que met¬
tent spontanément en uvre des élèves de 6e, répondant à une consigne de type
scientifique hors de la classe de sciences.
L'occasion nous en a été fournie par l'évaluation nationale, effectuée chaque
année auprès des élèves de 6e, laquelle comportait, en 1997, un item consistant à
traduire en texte un schéma obéissant à une logique chronologique. Les élèves
étaient ainsi invités à produire une sorte de « narration scientifique » dont les
différentes étapes devaient être mises en relation.
Nous examinons en premier lieu les difficultés et les ambiguïtés de la tâche, les
critères auxquels doit satisfaire une production d'élève « réussie » scientifique¬
ment, qui la démarquent d'une narration de type classique, telle que les élèves
en produisent en classe de français. Ensuite, l'examen attentif des productions
des élèves d'une classe de ZEP, dont l'essentiel figure dans cet article, permet de
repérer différentes conduite d'écriture reflétant des « postures » différentes dans
le rapport au savoir scientifique.
143
REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN
- quelles relations y a-t-il entre les formes des textes produits et la com¬
préhension conceptuelle ?
- quelles compétences d'écriture les élèves mettent-ils en euvre ?
- comment les interpréter en termes de modèles de référence des écrits en
sciences ?
Nous avons constitué un corpus, composé des productions des élèves
d'une classe de sixième de ZEP en 1997, qui fera l'objet de notre analyse.
En ce qui concerne cet exercice, les choix de codage des productions des
élèves témoignent de ce que les concepteurs de l'épreuve se limitent, à propos
de récriture scientifique, à un point de vue essentiellement normatif prenant en
compte l'usage de la langue (orthographe et morphologie, mise en page, calli¬
graphie, syntaxe) pour évaluer les textes produits. L'objectif annoncé par les
concepteurs de l'épreuve ne laisse aucun doute à ce sujet : il s'agit de « savoir
écrire : lisibilité, présentation, mise en page ». Notre analyse est donc décalée
par rapport à l'intention qui a présidé à la production de cet exercice. Mais,
d'une part, l'intérêt de l'étude d'écrits répondant à une consigne aussi complexe
que celle-ci, au plan cognitif comme au plan langagier et textuel, réside dans le
fait que cette consigne permet des interprétations de la part des élèves. D'autre
part, dans la mesure où cette consigne ne définit pas véritablement un genre
textuel (elle utilise le mot « expliquer » mais les spécifications (« le plus complè¬
tement possible » « les différentes étapes ») renvoient plutôt à un texte narratif),
on peut étudier ce que les élèves choisissent de faire avec le langage dans une
telle situation, les conduites discursives qui sont privilégiées, ce qui fait diffé¬
rence et homogénéité.
144
Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?
successives dont les mises en relation ne sont pas facilement accessibles aux
jeunes enfants. Or, dans le cas de la « narration scientifique », la pertinence du
récit passe nécessairement par une telle mise en relation qui garantit la compré¬
hension des processus en cause. On verra lors des analyses que les difficultés
dans ce domaine ont été réelles.
Notre intérêt pour cette consigne était guidé par une autre question tra¬
vaillée dans la recherche évoquée, celle des formes dans lesquelles les élèves
produisent des écrits intermédiaires (des « vrais » brouillons non préfigurés par
la forme de l'écrit achevé, abouti, canonique des écrits de la discipline), lorsque
des enseignants utilisent ce type d'écrit en classe. À un moment où se dévelop¬
pent des pratiques d'écriture pour soi (le cahier d'expériences dans « La main à
la pâte », par exemple) et pour apprendre dans des disciplines comme l'histoire
ou les sciences, cette question est une piste d'analyse de l'activité que dévelop¬
pent les élèves à cette occasion.
L'exercice est construit à partir d'un schéma représentant, sous une forme
circulaire symbolisant l'idée de « cycle », les étapes successives de la vie du
Cerisier. Ce schéma est accompagné d'une consigne demandant aux élèves de
produire un texte.
_...* Cerisier en /teurs
Quelques années ..---"
plus tard...
j»- .-'^-<
v :m %
Les jeunes plants
Voici un schéma pris dans un livre de sciences. II manque le texte qui Tac-
compagne. Explique de la façon la plus complète possible, dans le cadre ci-des¬
sous, les différentes étapes du cycle de vie du cerisier. Soigne la présentation.
LE CYCLE DE VIE DU CERISIER
145
REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN
Étant donné ces incertitudes, les élèves peuvent interpréter qu'on leur
demande soit de transcrire en texte français les informations données dans le
schéma, soit de donner des informations ou explications manquant dans le
schéma, soit de restituer des connaissances acquises par ailleurs en biologie,
soit enfin de comprendre quelque chose de nouveau en biologie à propos de cet
exercice. Ces remarques ne sont pas spécifiques, nous semble-t-il, à cette
situation précise : consignes écrites et lectures de schémas en sciences sont
dans les manuels chargées d'ambiguïtés et donc soumises à interprétations dif¬
férenciées de la part des élèves.
146
Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?
Notons que, dans le schéma original du livre dont est extrait celui de l'exer¬
cice, les légendes sont pour la plupart de petites phrases. Or « tes graines ger¬
ment dans le sol », du livre d'origine, devient sur le schéma de l'exercice « tes
graines dans le sol », « les jeunes plants se développent » devient « tes jeunes
plants », « tes cerises mûrissent » devient « tes cerises ». Quant à la proposition
« la fleur se fane, une cerise se forme », elle disparait complètement. Ce sont
essentiellement les verbes désignant des transformations qui sont effacés. Ces
modifications indiquent-elles que ce qui est attendu des élèves, c'est justement
de produire des énoncés sur ces transformations disparues des légendes ?
147
REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN
148
Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?
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REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN
Si l'on s'autorise, compte tenu des réserves exprimées, à étudier ce que les
élèves écrivent dans ce contexte, cela nous donne des indications sur la com¬
préhension de la notion de développement végétal et de cycle de vie ainsi que
ce que les élèves entendent par « écrire en sciences ».
150
Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?
tion : les flèches sont traduites par des expressions temporelles, lesquelles figu¬
rent déjà à certains endroits du schéma d'ailleurs. II serait intéressant de savoir
s'il y a là une conception du monde : le seul processus de transformation auquel
les enfants ont accès étant celui auquel ils se sentent soumis : le temps conduit
à grandir, à changer. On rejoint ici la conception première de la causalité
« linéaire » repérée très régulièrement dans les études des conceptions en phy¬
sique, où la succession chronologique des événements est interprétée comme
un enchaînement linéaire d'une cause suivie d'un effet, etc.
Trois types de textes peuvent être identifiés qui correspondent sans doute
à des manières privilégiées d'écrire chez les élèves quand ils veulent se situer
dans le registre scientifique. Des exemples en seront donnés dans le para¬
graphe suivant.
Le premier type est un texte rédigé à partir des reprises des énoncés du
schéma dans une structure chronologique, texte homogène « scientifique » au
sens qu'il organise une succession d'informations, avec un point de vue neutre,
sans implication personnelle. Dans ce cas, écrire un texte en biologie, c'est
raconter la vie d'un animal ou d'une plante. Faire de la biologie, c'est recueillir
des informations et les ordonner. Les textes sociaux de référence sont la mono¬
graphie ou le documentaire (texte 3).
Dans le second type, les élèves donnent l'impression d'être obligés de pas¬
ser par un geste « pratique » ou tout au moins d'avoir un « acteur » qui initie le
processus. Ils transforment implicitement la consigne qui devient : « comment
obtenir, faire, fabriquer des cerises ou un cerisier », et parfois l'explicitent :
« Pour faire des cerises, on prend..., ça fait. ». Pour ces élèves, écrire un texte
de biologie, c'est parler du vivant avec une représentation de la vie qui n'existe
qu'en relation avec une intervention humaine. Dans ce cas, décrire le processus
qui permet au jardinier de faire pousser des fruits. Faire de la biologie, c'est
comprendre la succession des opérations techniques nécessaires pour que
l'Homme tire partie du vivant. L'écrit social de référence, c'est le manuel de
savoir-faire pratique (textes 1 et 11).
Mais cette action humaine orientée peut aussi être réduite à la succession
des actions : écrire un texte en biologie, c'est alors donner un mode d'emploi
qui permet à un élève d'obtenir un phénomène. Faire de la biologie, c'est mani¬
puler. La référence sociale, c'est peut-être le journal pour enfants ou l'activité de
club, tous deux se référant au jardinage, ou l'activité de classe (on peut penser
151
REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN
que « tu l'arroses tous les jours », « tu vois des jeunes plants » renvoie à une
expérience de plantation de radis ou de haricots en classe). Pour mieux coller au
genre « mode d'emploi », les élèves rajoutent parfois des indications temporelles
qu'ils inventent ou des actions supplémentaires, comme l'arrosage (texte 6).
Ces options dans l'écriture sont sans véritable rapport avec la justesse des
connaissances biologiques énoncées. Certes, le premier type de texte en est
souvent le plus proche, mais c'est parce qu'il est en grande partie constitué de
reprises du document-source, en général partielles d'ailleurs.
152
Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?
Toutes les étapes figurent, mais elles sont simplement juxtaposées, comme
des états successifs : le cerisier a des fleurs, puis il a des cerises, sans qu'une
idée de transformation soit exprimée. Seule l'étape où les graines du noyau vont
dans le sol ne peut être comprise par l'élève que comme le résultat d'une action
de l'homme (on plante) ; pour le reste, la rédaction est neutre : pratiquement
toutes les légendes sont reprises, les seuls ajouts sont les indications chronolo¬
giques et les verbes « a » et « ont poussé ». Le souci semble être de rester
objectif en science, même si le propos est limité par l'absence de compréhen¬
sion des transformations et de l'aspect cyclique du phénomène.
Texte 11. Mode d'emploi pour obtenir des cerises. « Comment faire
pour obtenir des cerises »
Comment former un cerisier ? // faut planter des graines dans le sol, ef
laisser grandir. Quelques années plus tard... ça formera des fleurs
blanches et ensuite les fleurs s'enlèveront une par une. et. formera des
cerises toutes rouges et seront bonnes à manger.
153
REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN
La succession des étapes est complète, il est possible qu'il y ait une idée
de transformation : le mot « formeront » peut l'indiquer. Le cycle tourne, partant
de noyau pour aboutir à jeune plant : un premier individu donne naissance à de
nouveaux individus. Bien que le discours prenne la forme d'un exposé général,
l'expression « pour que plus tard » renvoie à une action humaine, qui motiverait
donc cet exposé, malgré l'apparente neutralité de l'énonciation. Les ajouts par
rapport aux légendes indiquent une connaissance du phénomène situé dans les
saisons (printemps, été).
154
Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?
ces textes sont également ceux qui présentent le plus grand nombre de
remarques subjectives d'évaluation des cerises (leur couleur, leur forme, leur
goût) ;
155
REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN
Les deux textes que nous avons choisis s'opposent dans chacune des
dimensions que nous nous proposons d'envisager :
- Le texte 14 est imparfait du point de vue linguistique (orthographe,
notamment grammaticale, ponctuation). C'est, en revanche, un texte
satisfaisant du point de vue langagier - la consigne est respectée, le type
de texte correspond à ce qui était demandé - comme du point de vue
conceptuel : la notion de cycle est explicite, il y a des éléments explica¬
tifs non redondants par rapport au schéma, et on ne trouve pas de trace
d'anthropomorphisme.
- A l'inverse du précédent, le texte 17 est satisfaisant du point de vue de la
maitrise de la norme - peu d'erreurs linguistiques d'orthographe et de
morphologie-. Mais il est bien moins convaincant du point de vue langa¬
gier : comme on l'a dit plus haut, pour le texte 1 1 analysé ci-dessus, « le
processus biologique n'intéresse que dans la mesure où il produit
quelque chose d'intéressant pour l'homme », qui mange les cerises avec
« appétit » ; et cette chute du texte, combinée avec l'emploi des adjectifs
évaluatifs véritables, belles, jolies contribue à transformer le projet du
texte, à le tirer du côté de la rédaction « fleurie » ; Enfin, le concept de
cycle, dont on ne saurait dire qu'il n'est pas compris, n'est en tout cas
pas explicite.
Les textes qu'on va à présent, pour chacun de ces deux élèves, mettre en
regard du texte « cerisier », correspondent, selon la présentation de l'épreuve
d'évaluation destinée aux professeurs à « l'activité » suivante : Composer un
récit, c'est-à-dire respecter le libellé et la consigne ; assurer la cohérence tex¬
tuelle ; respecter les contraintes de la langue.
Ce faisant, les deux élèves sont mis dans la situation de produire un récit
du type de ceux qu'ils ont lus et produits en grande quantité depuis leurs débuts
dans l'écrit. Les contraintes de la structure narrative leur sont familières, et l'un
et l'autre réussissent à traiter ce type de texte pour lequel ils ont subi un entrai¬
nement constant. L'un et l'autre parviennent à intégrer, après avoir exposé la
« situation initiale » de manière pertinente, l'élément perturbateur, de dégrada¬
tion de la situation initiale, qui leur est proposé dans la consigne, et l'un et
l'autre vont au terme d'un récit, jusqu'à la résolution, maîtrisant au passage les
modes d'organisation du récit.
Est-ce à dire que les deux récits se valent, pour le professeur de français ?
Certes, on peut faire l'hypothèse que le professeur de français préférera l'inspi¬
ration plus plaisante du second texte, mais il s'agirait alors de références à une
norme qui n'a rien à voir avec la maitrise linguistique ou celle du texte.
Indépendamment donc de ce dernier point, évidemment les deux textes ne se
valent pas, car, si les contraintes textuelles (étapes du récit, chronologie, cohé¬
rence), ainsi que la dimension langagière (type de texte, prises en compte de la
consigne) sont satisfaites dans les deux cas, la fragilité linguistique de l'élève
1 4, dont on ne pourrait espérer qu'elle ne se manifeste pas dans ce texte aussi,
perturbe le niveau textuel. Outre les difficultés patentes évidemment dans l'or¬
thographe, la ponctuation et la morphologie verbale, les indices de cohérence
textuels sont mal dominés : pronoms à référence ambiguë, ou même impossible
156
Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?
Narration de l'élève 14 :
La maison antée
Paul avait prévue de passé c'est vacances en Transilvanie et donc il loua
une maison très grand. Deux jour plus tard, Paul arrive dans la maison Le soir, il
ceux couche a 11 h et a 11 h 30, il dorre, et à ce moment-l ' n it 'tran e lui
i n I 'il n'était as seul dans la m i n . Le lendemain il alla au parc, et le
lendemain, il y avait du sang sur les marche Paul monta la dernière marche et
trouva un homme décapité avec une tronssonneuse taché de sang, et toup d'un
coup, un homme surgie de la chambre et li dit : « Tu va mourire » Paul prie la
tronçonneuse et lui coupa la tête, et a se monentlà, Paul sortie de la maison et
elle disparu, et on ne sue jamais ce qui amva à Paul.
Narration de l'élève 17 :
// était une fois au Nord de la France, dans une très grande maison, une
jeune dame qui attendait son très cher époux. Cette nuit là, elle était seule. Son
chat c'était enfui et son mari lui avait confirmé qu'il devrait rentrer tard à cause
du travail. Elle l'attendait en regardant la télévision, tout en espérant qu'il ne lui
anivera rien. La jeune dame finit tout de même à s'endormir, en laissant la télé
allumait.
A un moment donné, elle entendit des bruits de pas. Elle crue que c'était
son mari, alors elle se leva et elle alla vérifier dans le couloir. Mais ce n'était pas
lui. Alors la jeune fame se mit à avoir peur. Elle alla voir dans la cuisine, et à ce
m ment-là un i ' n I isi nala u'ellen'ét it s seule d n I m i n.
Elle demanda à toute voix « qui est là » ! personne ne répondit, alors elle
retourna dans la salle à manger et attendit sur son canapé. Après quelques
minutes, elle vit son petit chat noir. Elle était heureuse de le revoir, et savait que
c'était lui le responsable de tous ces bmits. Deux heures après, quelqu'un frappa
à la porte, la dame ouvra et vit son mari. II rentra et tous le monde alla se cou¬
cher car il était tous très fatigués. FIN
157
REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN
158
Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?
Mais le récit dont il s'agit a une visée explicative de type théorique - ces
auteurs utilisent le terme de « récit explicatif »-. II attribue à chaque « person¬
nage » un caractère prototypique, représentant non pas un individu mais une
classe d'objets, et a une validité externe (c'est parce que les mises en relations
ont été validées par d'autres moyens que l'on peut attribuer un caractère d'inva¬
riant au déroulement de l'histoire racontée).
Nous avons repéré, dans les textes sur le Cerisier, plusieurs conceptions du
discours scientifique et de la science : raconter une suite d'événements, obtenir
un résultat de façon raisonnée, et expliquer un processus. Plus généralement,
on pourrait distinguer trois grands types d'écrits premiers, correspondant à des
visées enonciatives différentes. Ils pourraient constituer des points d'appui vers
l'appropriation des discours scientifiques dans leur variété :
Le premier, monographie ou carte d'identité, relevant d'une pensée par
attributs, met en jeu la spatialisation et la tabularisation ; il peut évoluer
vers un discours scientifique descriptif ; les progrès à réaliser sont le res¬
pect des données (complétude) et la construction d'un point de vue.
159
REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN
Les élèves qui réussissent à l'école sont ceux qui sont capables de circuler
entre plusieurs visées, plusieurs postures cognitives et langagières (Bucheton,
1997 ; Bautier, Rochex, 1998). L'enjeu de ces propositions, qui ne sont encore
que des esquisses, est de chercher les moyens didactiques de favoriser cette
mobilité dans le domaine de l'apprentissage scientifique.
NOTES
BIBLIOGRAPHIE
160
Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?
ANNEXE
LE CERISIER
Nous reproduisons ci-dessous les réponses de tous les élèves d'une classe
de sixième en ZEP à la question sur le cycle de vie du Cerisier de l'épreuve
d'évaluation nationale des élèves entrant en sixième de 1 997. Pour faciliter la
lecture, ces textes ne sont pas reproduits dans l'écriture manuscrite, mais saisis
en caractères d'imprimerie. L'orthographe a été rétablie parce que l'analyse se
centre sur le sens du texte plus que sur sa forme. La ponctuation a été respec¬
tée et la disposition spatiale aussi dans les cas où elle paraissait avoir une signi¬
fication.
Les caractères romains indiquent les termes repris du schéma.
1. Osman
Le jardinper ?] veut avoir un cerisier, alors ils font e» plantes les graines
dans le sol. Plus tard les jeunes plants poussent. Quelques années plus tard... //
y a les cerisiers en fleurs, tes cerisiers en fleurs tombent. Plus tard il y a des
cerises ef chaque noyau de cerise contient une graine.
2. Vincent
On met des noyaux dans la terre. Chaque noyau de cerise contient une
graine. Après les graines poussent et forment des jeunes plants et quelques
années plus tard... ça forme un cerisier en fleurs. Et le cerisier en fleurs pousse
et forme de belles cerises bien rouges.
3. Abdelkader
En premier chaque noyau de cerise contient une graine.
Puis après on plante les graines dans le sol.
Ensuite, des jours passent, les jeunes plants ont poussé.
Quelques années plus tard, te cerisier a des fleurs
Et ensuite, quelques mois passent le cerisier a des cerises
4. Farid
La vie du cerisier se commence par planter les noyaux, et chaque noyau
contient des graines en poussant ils deviennent de jeunes plantes avec leurs
racines. Quelques ans plus tard, te cerisier commence à fleurir à grandir. Un peu
plus tard voici les cerises.
5. Fatima
La vie du cerisier évolue dans chaque noyau de cerise contient une graine
quand les graines dans le sol évoluent ça nous fait des jeunes plants
Quelques années plus tard un cerisier en fleurs ef quelque temps après des
cerises voilà le le de la vie risier
6. Kelly
tu vas acheter des cerises tu veux un cerisier fu prends un noyau de cerise
fu te plantes dans la terre tu l'arroses tous les jours, tu vois des jeunes plants,
161
REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN
quelques années plus tard, tu vois les cerises en fleurs ; 5 mois plus, tu vois les
cerises qui commencent à pousser (ils sont verts) 3 mois plus tard tu vois le
grosse cerise rouge, tu les manges, et en donnes à ton voisin.
7. Laïcia
Chaque noyau de cerise contient une graine. La graine est dans le sol pour
que plus tard il y ait de jeunes plants. Et bien des années plus tard ces jeunes
plants formeront un cerisier en fleurs au printemps qui en été donneront des
cerises. Et dans ces cerises il y aun noyau qui contient des graines qui plus tard
ces graines formeront de jeunes plants...
S. Kahina
Tout au début le noyau contient une graine, ef après les graines dans le sol
forment des jeunes plantes. Quelques années plus tard ça devient un cerisier en
fleur ef commence à former une cerise et après il y a plusieurs cerises.
9. Sue Ellen
Tout d'abord nous mettons des graines. Le cerisier petit à petit il grandit
dans le sol. Un peu plus tard il grandit et ça s'appelle les jeunes plants. Après
quelques années plus tard ça devient un grand arbre. La fleur pousse. Après elle
est abimée et plus tard ça devient des cerises.
10. Metin
Le c cl / vie du ceri i r
Plante des graines.
Ils grandissent, quelques années plus tard te cerisier devient en fleur,
deviennent des cerises ef chaque noyau de cerise contient une graine.
Plante-les et ça repartira.
H.Aicha
Comment former un cerisier ? // faut planter des graines dans le sol, ef lais¬
ser grandir. Quelques années plus tard... ça formera des fleurs blanches et
ensuite les fleurs s'enlèveront une par une. et. formera des cerises toutes rouges
et seront bonnes à manger.
12. Sandy
Les graines dans le sol bien planter. Après elle grandit les jeune plante.
Quelque année plus tard cette plante devient un cerisier en fleurs. Les fleurs
sont jolies et peu à peu elles fanent et ça nous fait des cerises dans [la] cerise ily
a un noyau dans ce noyau ily a une graine ef c'esf avec cette graine que l'on fait
pousser tes cerisiers.
13. Muslumé
En début, ils mettent des graines dans le sol ef après ça devient des jeunes
plants que quelques années plus tard ça sort des cerisiers en fleurs, après des
cerises toutes belles.
14. Aurélien
Le cerisier au début est une graine mais au bout de quelques semaines la
graine germe, cette graine qui a germé va devenir un arbuste et cet arbuste au
162
Le cycle de vie du cerisier : une narration scientifique ?
15. Jonathan
Chaque noyau de cerise contient une graine
une graine qu'on plante dans le sol
qui deviennent des jeunes plantes
Quelques années plus tard le cerisier fait de jeunes fleurs ef ensuite font
des cerises.
16. Oznan
Le jardinier fait pousser des graines dans le sol.
Les jeunes plants naissent petit à petit. Le cerisier en fleur esf rempli de
feuilles de cerisier il pousse petit à petit et bientôt les cerises seront mangées.
Chaque noyau de cerise contient une graine
te jardinier décide de refaire pousser des arbres de cerises.
17. Sabrina
Dès le début du cycle, chaque noyau de cerise contient une graine. Les
graines sont cachées dans le sol. Puis vient les jeunes plants gu; poussent et
quelques années plus tard, viennent enfin les petites graines du cerisier. Les
graines poussent et deviennent de véritables et belles fleurs. Celles-ci fanent et
tombent jusqu'au jour où poussent les jolies et bonnes cerises rouges.
Bon appétit !
18. Cherazad
Le cycle de vie du cerisier est un arbre spécial, il donne des fleurs qui après
meurent et de belles cerises poussent après eux. Chaque noyau de cerise
contient une graine ef après les graines qui restent au sol commencent tous un
par un et des plantes appelées les jeunes plants. Quelques années plus tard
viennent les...
19. Karim
Au début les cerisiers sont des graines qui deviendront des jeunes plantes
puis quelques années plus tard un cerisier fleuri ensuite sortir des fleurs des
cerises où teurs noyaux contiennent une graine qu'on plantera.
20. Sibel
Pour faire les cerises on prend déjà un noyau de cerise qui contient une
graine quelques semaines plus tard ça fait des jeunes plantes ef quelques
années plus tard = cerisier en fleur, après derrière ses feuilles commencent les
cerises.
21. Marina
Les fleurs des cerisiers poussent et deviennent des cerises. Les noyaux de
ces cerises contiennent des graines. On prend ces graines ef on les plante.
Quelques années plus tard, tes cerisiers sont en fleurs.
163
REPÈRES N° 21/2000 E. BAUTIER, D. MANESSE, B. PETERFALVI et A. VERIN
23. Fadil
On prend des graines de noyaux de cerises après on les plante dans le sol
on arrose les graines. Les graines deviennent des plantes et quelques années
plus tard elles deviennent l'arbre de cerisier.
24. Julien
Nous avons planté des noyaux de cerises et au bout de quelques semaines
des jeunes plants ont poussé et quelques années après nous avons obtenu un
cerisier en fleurs. Ses fleurs ont donné des cerises.
164
SUJET ET HEROS DU RECIT BIOGRAPHIQUE
L'EXEMPLE DES HISTOIRES DE VIE
ENSEIGNANTES
Régis MALET
Sciences de l'Éducation, Université Charles de Gaulle - Lille 3
165
REPÈRES N° 21/2000 R- MALET
d'autres auteurs ont exploré cette question selon l'intérêt de connaissance qui
les guide (Bertaux, 1997 ; Finger, 1984 ; Legrand, 1993 ; Pineau et Le Grand,
1996). Je proposerai pour ma part une approche herméneutique du récit de vie,
en envisageant le récit comme texte et comme espace (inter)subjectif, avant de
glisser ensuite vers l'exploration des potentialités de l'usage des histoires de vie
(1) sur un terrain spécifique, celui de la formation des enseignants, ce qui nous
donnera l'occasion d'élargir le questionnement sur le terrain méthodologique et
socio-épistémologique.
Le récit qui nous intéresse ici est le récit oral, qui se déploie dans un acte
de parole tenu à un narrataire. II se distingue donc de toute production biogra¬
phique écrite (autobiographie, journal, mémoires), principalement distincte du
premier en ce qu'elle ne résulte pas d'une situation d'interlocution. Les récits de
vie sont en effet le lieu d'une double rencontre : avec soi-même d'abord, projeté
et différencié sous la figure du « je » dans l'espace narratif ; avec l'autre ensuite,
celui face auquel l'énonciateur « se produit » en se racontant. Espace d'auto-
référenciation, le récit de vie est aussi le lieu intersubjectif où les textes du vécu
sont mis en partage, échangés. Envisager l'histoire de vie comme texte est bien
entendu discutable, dans la mesure où le texte désigne « un discours fixé par
l'écriture » (Ricoeur, 1986 : 154), et que l'histoire de vie est d'abord produite
dans une situation d'échange verbal ; pourtant, par l'écart créateur qu'elle intro-
166
Sujet et héros du récit biographique
167
REPÈRES N° 21/2000 R. MALET
d'agir qu'est le récit de vie, aussi référentiel soit ce dernier. Les paroles qu'il pro¬
jeté sont comme « en suspens » (Wittgenstein, 1 951 : § 1 98). Certes, celui qui
agit dans le récit de vie, c'est le narrateur, mais pour autant que le héros du récit
soit un miroir du sujet qui l'énonce et le produit, il n'est pas le sujet.
168
Sujet et héros du récit biographique
D'autres personnages gravitent bien sûr autour de lui, mais ceux-ci ont la même
fonction dans le récit que l'action elle-même, à savoir la mise au jour du narra¬
teur-héros, qui demeure celui qui agit et figure l'action et la conduite d'autrui,
quel que soit le degré d'initiative qui lui est accordé dans l'histoire narrée, c'est-
à-dire qu'il soit présenté comme le produit de l'histoire ou comme producteur de
celle-ci.
169
REPÈRES N° 21/2000 R. MALET
recevoir, mais participe de son élaboration (2). Le sujet ne récite pas sa vie, il la
met en forme en interaction avec le narrataire, quels que soient les motifs et les
attentes de ce tiers médiateur, et compte tenu d'une réserve de connaissances
communes, partagées qui assure la fécondité de la situation interlocutoire. La
notion de periocution désigne cet effet de l'acte de discours, et, en premier lieu,
sur son destinataire ; plus globalement, la periocution désigne tout changement
successif à l'acte de parole dans l'état du monde objectif. La dimension perlo-
cutoire de l'acte narratif renvoie à l'intersubjectivité de la situation locutoire dans
la mesure où elle signale la « circularité d'intentions » (Ricoeur, 1990 : 60) que
commande l'acte narratif pour véritablement accomplir quelque chose.
170
Sujet et héros du récit biographique
2. LE SUJET DU RÉCIT
Ce que le sujet donne à connaître en se racontant, c'est aussi bien une his¬
toire que l'acte même de raconter une histoire, « le discours en acte » (Ricoeur,
1 990 : 64). Le récit de vie présente ceci de particulier qu'il implique une auto¬
Ce qui est réalisé dans l'espace du récit de vie, c'est donc au moins tout
autant un acte performatif qu'une présence performative. L'enjeu est d'éclairer le
processus de subjectivation à l'uvre dans le récit de soi et l'interaction entre
l'histoire produite et le sujet qui l'énonce. Toute intention discursive signale un
locuteur, et c'est lui, et non les énoncés, qui réfèrent, qui disent quelque chose
sur quelque chose. Pour autant, si l'énonciateur est « réfléchi » dans l'histoire
qu'il raconte, comprendre « qui parle » ne signifie pas mettre en suspens les
énoncés, en espérant trouver derrière, ou dessous pour être épistémologique¬
ment correct, un sujet. Pas plus ne s'agit-il de pencher tantôt du côté de ce qui
est visé (le référentiel), tantôt du côté de « ce » qui vise (le modal). Ce serait glis¬
ser, mais probablement y a t-il quelque attirance à le faire, vers le sujet carté¬
sien, transparent, substantiel et pré-posé. L'intuition théorique du récit de vie est
celle d'un sujet qui se dessine à l'horizon du dire plutôt que d'emblée postulé et
préalable à tout discours. La notion aristotélicienne de mimesis traduit cette refi¬
guration créatrice de l'expérience du sujet à l'guvre dans l'acte narratif.
171
REPÈRES N" 21/2000 R. MALET
Envisagé sous cet angle, le processus narratif est mimétique, entendu non
pas seulement comme « imitation », mais aussi « expression », « extériorisa¬
tion », « création ». Le récit de soi ouvre le sujet au monde extérieur, le fait sortir
de soi et lui fait éprouver son extériorité constitutive. C'est en s'abandonnant au
monde que le sujet s'éprouve, fait l'expérience vive de lui-même. Le récit de vie
incarne cette vocation d'extériorisation d'un sujet voué à se chercher et à se
conquérir hors de lui. II dessine une subjectivité condamnée à se perdre dans
l'altérité (et pour commencer dans celle du « je ») pour se trouver.
Selon cette définition, le sujet promu par le récit l'aura été par la fixation
d'un « je » opéré par le fait même de se dire. Or, se dire, c'est devoir se dire,
c'est-à-dire être dans la nécessité syntagmatique de se désigner et de se recon¬
naître (4). La transitivité et l'insubstituabilité du récit de vie renvoient, par fixa¬
tion, à l'unicité d'un sujet (c'est le miracle du « je », ressort de la subjectivité, mis
en évidence par Benveniste : « est "ego" qui dit "ego" »). La spécificité du récit
172
Sujet et héros du récit biographique
de vie est que le texte narratif trouve un prolongement hors de lui, dans la per¬
sonne même de l'énonciateur. Cette mise en abyme des intentions opère une
différenciation du « je » qui acquiert au niveau diégétique une autonomie par
rapport au sujet qui l'énonce tout en favorisant l'émergence d'un savoir de
« soi ». La mise en forme narrative participe d'une sortie de soi contemporaine
de son dévoilement. Le récit de vie fait sens parce qu'il est ouverture, extériori¬
sation et vu de totalisation, qu'il est indéterminé et que dans le même temps il
se signifie par sa visée de clôture.
Dans le cadre du récit de vie, le sujet racontant son histoire est amené à
projeter des espaces-temps vécus rassemblés et configurés dans le milieu du
récit. Nous avons dit que le récit accouchait d'un temps singulier, affranchi du
modèle chronologique, un temps proprement subjectif articulant les espaces-
temps vécus par le sujet. Le sujet a en quelque sorte une expérience spatiale du
temps, car le temps ne peut être l'objet d'un senti que par sa spatialisation. II ne
saurait en effet y avoir de sensations du changement, de formation même du
sujet, si les expériences ne donnaient lieu à quelque représentation d'espaces
temporels, que traduit bien la métaphore visuelle du « point de vue ». Comme l'a
montré Bachelard, l'espace seul constitue la forme sensible de la durée (6).
173
REPÈRES N° 21/2000 R. MALET
Le récit de vie apparait régi par la quête d'un soi, par le fait que se raconter,
c'est aspirer à se signifier. Le pendant du déploiement d'une histoire (« voici ce
dont j'émerge... ») est l'affirmation d'une identité (« ...voici qui je suis »). Le récit
de vie participe d'une procédure identificatoire, significative du caractère mons-
tratif de l'acte narratif : le sujet ne dit pas frontalement ce qu'il est, il le
montre (8).
174
Sujet et héros du récit biographique
175
REPÈRES N° 21/2000 R. MALET
176
Sujet et héros du récit biographique
177
REPÈRES N° 21/2000 R. MALET
Pour autant que l'on puisse être séduit par « l'entrée de la vie en
formation », et par la spécificité même des récits de vie qui est de suppléer à
ces approches rationalistes et exogènes des démarches anthropologiques
attentives au sens qui habite l'expérience singulière, quel statut conférer à ces
récits du vécu en formation ? Au passage, il convient de remarquer que si
l'usage du récit de vie est très développé dans la recherche sur les enseignants,
en ce qu'il permet de découvrir des problématiques anthropologiques fonda¬
mentales, il demeure en revanche encore assez marginal en formation des
enseignants. Comment donc donner la parole aux enseignants tout en préten¬
dant les former par la production d'un récit de vie sans prendre le risque ou de
le trahir ou de s'enfermer dans la singularité du récit produit ?
Ce qu'il convient d'affronter pour rendre justice à l'usage des récits de vie
en formation, c'est ce que j'appellerai le dégagement du récit, nécessaire et
contemporain d'une ouverture à l'altérité. Ce dépassement du récit par
l'échange et sa soumission à la critique et à l'argumentation permet au sujet de
sortir de son propre récit et d'être en voie de réaliser ce faisant le potentiel for¬
matif de celui-ci. Pour accomplir ce dépassement du récit de vie auquel doit
consentir le sujet pour que le procès de formation ait quelque chance d'aboutir,
il convient d'engager en formation des pratiques visant à l'élucidation des
savoirs et des valeurs dont sont porteurs, individuellement et collectivement, les
enseignants en devenir. Travailler sur le récit de vie des enseignants, c'est en
effet les amener à réfléchir sur ce qui vaut pour eux, tout récit participant nous
l'avons vu d'une entreprise d'axiologisation. La question de la construction des
savoirs enseignants a pour corollaire une nécessaire interrogation sur les valeurs
enseignantes (Bliez-Sullerot et Mevel, 1999).
178
Sujet et héros du récit biographique
par leur mise en mots et leur échange, n'a pas pour vocation ultime l'émergence
d'un improbable consensus axiologique, mais permet de soumettre de façon
argumentative cette singularité à l'écoute du groupe. C'est précisément ce
changement de perspective et cette superposition des textes du vécu qui peut
être formateur. La reconnaissance réciproque par le biais d'une éthique de la
discussion (Habermas, 1992 ; Ferry, 1996) est tout autant la méthode que la fin
de ces pratiques. II s'agit non pas de démystifier la singularité du récit, mais de
l'intégrer par un travail sur des universalisâmes, c'est-à-dire des visées d'univer¬
salité elles-mêmes soumises à la discussion. C'est dans ce passage de la sin¬
gularité du récit relevant du savoir narratif à la définition d'impératifs moraux
relevant du savoir argumentatif que probablement se joue et s'actualise le
potentiel formatif du récit de vie.
CONCLUSION
« La science est d'origine en conflit avec les récits », annonce J.-F. Lyotard
en ouverture de La Condition postmoderne (1979 : 7). Les sciences humaines,
pour leur bien ou pour leur malheur, abritent des champs disciplinaires à « para¬
digme faible », c'est-à-dire ne pouvant se protéger - bien qu'elles aient long¬
temps uvré à cela - derrière des savoirs « durs » qui les mettraient à l'abri de
toute invasion du vécu et des récits subjectifs, et de leur inachèvement propre.
Si la voix du sujet mérite d'être entendue, elle ne saurait pour autant être
magnifiée. Prendre en considération la parole du sujet revient à ne pas vider
l'expérience vécue de son historicité propre, mais ce faisant, construire néan¬
moins du sens, un sens qui ne soit pas « commun », mais nécessairement en
rupture d'avec - en même temps qu'instruit par - ce qui est raconté par le sujet :
un sens commun somme toute, c'est-à-dire partagé.
NOTES
(1) Les termes de « récit de vie » et d'« histoire de vie » seront ici utilisés sans exclusive
dans la mesure où ils désignent les deux versants d'une même expérience, qui est
celle de « se raconter ». Pour, autant, l'un et l'autre seront investis de manière diffé¬
renciée. Le récit de vie renvoie explicitement à l'acte narratif et à l'instance d'énon¬
ciation qui est le sujet du récit : le récit y est envisagé dans sa dimension
179
REPÈRES N° 21/2000 R. MALET
1222).
(3) Voir sur ce point les analyses de J.-M. Ferry, 1 991 : 1 21 -1 34.
(4) Le devenir et la singularité du sujet s'affirment dans ce passage nécessaire du vivre
au dire, du réel au symbolique.
(5) «Les choses se trouvent dites et se trouvent pensées par une Parole et par une
Pensée que nous n'avons pas, qui nous ont » ; M. Merleau-Ponty, 1960 : 27.
(6) « On croit parfois se connaître dans le temps, alors qu'on ne connaît qu'une suite de
fixations dans des espaces de la stabilité de l'être, d'un être qui ne veut pas s'écou¬
ler... » ; G. Bachelard, 1957 : 28.
(7) Derrida, dans le prolongement de Husserl et de ses « temporels sentis », offre à pen¬
ser le mouvement rétentionnel et la présence-absence du passé dans l'instant pré¬
sent avec la notion heuristique de « trace » : « Sans réduire l'abîme qui peut en effet
séparer la rétention de la re-présentation, sans se cacher que le problème de leurs
rapports n'est autre que celui de l'histoire de la vie et du devenir conscient de la vie,
on doit pouvoir dire a priori que leur racine commune (...), la trace au sens le plus
universel, est une possibilité qui doit non seulement habiter la pure actualité du
maintenant, mais la constituer par le mouvement même de la différence qu'elle y
introduit » ; J. Derrida, 1967 : 75.
(8) Ainsi, annonce Ricoeur, « répondre à la question « qui ? », c'est raconter l'histoire
d'une vie. L'histoire racontée dit le qui de l'action » ; P. Ricoeur, 1985 : 442.
(9) « Ces cycles ne sont pas éprouvés en tant que cycles imposés objectivement à l'en¬
seignant, mais sont expérimentés rythmiquement. Les enseignants opèrent dans leur
récit une reconstruction de leur expérience à travers une répétition cyclique de la vie
dans l'établissement, et c'est par cette reconstitution que les enseignants en vien¬
nent à « connaître » rythmiquement leur classe » (Clandinin, 1989 : 123).
(10) Les implications dramaturgiques propres à la conception dialogique du soi condui¬
sent à concevoir un sujet moral qui « performerait » devant un public privé
présent/absent ses propres expériences morales tout au long de sa vie. C. Taylor
instruit ainsi le concept de « soi » en tant que « constitué au travers d'un échange
langagier incessant » (1989 : 509) et entrevoit la présence de l'autre en lui dans « les
sources morales hors de lui qui résonnent en lui-même sous forme langagière »
(Ibid : 51).
BIBLIOGRAPHIE
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Sujet et héros du récit biographique
181
REPÈRES N° 21/2000 R. MALET
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Sujet et héros du récit biographique
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LAKOFF G. et JOHNSON M. (1987) : Metaphors we live by, Chicago, IL :
183
REPÈRES N° 21/2000 R. MALET
184
NOTE DE SYNTHESE
Si le processus de production est complexe dans les deux cas (i.e. narra¬
tion dialogique et narration monologique) dans la mesure où il implique diffé¬
rents niveaux de planification (Levelt, 1989 ; Coirier, Gaonac'h et Passerault,
1996 ; Fayol, 1997), la situation monologique se complexifie d'autant plus que
les enfants ne profitent plus d'aucun étayage de la part de l'adulte. Aussi les dif¬
férents niveaux que nous allons décrire sont-ils plus coûteux en contexte mono¬
logique qu'en contexte dialogique. À un premier niveau, les contenus à
communiquer sont récupérés en mémoire à long terme. C'est aussi à ce niveau
que sont activées les structures textuelles (narration vs description par exemple)
et les connaissances relatives à la situation de discours (prise en compte du
destinataire, des buts, etc.). Le niveau suivant a pour tâche de linéariser le plan
issu du niveau antérieur, autrement dit, de transformer une structure concep¬
tuelle en une structure linguistique. À ce niveau, « formulateur » chez Levelt
(1989), deux activités prennent place : la première concerne l'encodage gram¬
matical, la deuxième la sélection lexicale. Dans une dernière étape, Youtput de
ce niveau est traduit en séquences articulatoires ou graphiques selon que la
condition de production est orale ou écrite.
L'objectif de cette note de synthèse est double : d'une part, nous souhai¬
tons montrer que le type textuel narratif est loin d'être monolithique, c'est-à-dire
qu'il existe une grande diversité au sein des narrations, diversité allant de la nar¬
ration personnelle basée sur des expériences vécues à la narration basée sur
des images mobiles, de la narration orale spontanée à la narration écrite plani¬
fiée, etc. D'autre part, nous désirons souligner que cette diversité joue un rôle
non négligeable sur le type de contraintes auxquelles les narrateurs ont à faire
face en situation de production. En effet, les compétences narratives d'un même
enfant peuvent considérablement varier selon la situation de production à
laquelle il est invité par le chercheur et/ou le professeur des écoles.
185
REPÈRES N° 21/2000 S. GONNAND et H. JISA
Selon Berman (1994), les tâches auxquelles sont confrontés les narrateurs
diffèrent en fonction du type de narration à produire. Pour définir ces diffé¬
rences, l'auteur distingue quatre types de méthodologies : production d'un
script vs production d'une expérience personnelle vs production d'une histoire
en images vs rappel d'un film muet.
Le type « script », qui répond à une consigne telle que « raconte une fête
d'anniversaire » par exemple, fait appel à la reconstruction et à la verbalisation
d'une suite d'événements qui se succèdent temporellement selon un ordre
connu. Les narrations personnelles prennent appui sur une expérience vécue,
qu'il faut reconstruire verbalement. Dans la plupart de cas, ce sont des narra¬
tions dont la structure épisodique est simple. Le troisième type de narrations est
produit à partir d'une série d'images organisées autour d'une trame narrative.
Dans ce cas là, la tâche des narrateurs est double. D'une part, ils ont pour
contrainte de transformer des données visuelles, statiques et spatiales en don¬
nées verbales, dynamiques et temporelles. D'autre part, les histoires servant de
base à ces narrations sont très souvent des histoires complexes, comprenant de
nombreux personnages interagissant sur plusieurs épisodes, d'où la nécessité
de construire une structure épisodique complexe. Enfin, est mentionné le rappel
de film muet, dans lequel le narrateur fournit un effort de mémoire afin de réali¬
ser une verbalisation de scènes visuelles à structure épisodique complexe. À
partir de ces remarques, Berman (1994) classe ces différents types selon l'ordre
croissant de difficultés suivant :
script < expérience personnelle < histoire en images < rappel de film muet
186
Note de synthèse
Pour rendre compte de ces travaux, seront observés l'utilisation, par des
enfants de 4 à 1 0 ans, de certains outils linguistiques syntaxiques, lexicaux ou
discursifs dans des tâches narratives.
187
REPÈRES N° 21/2000 S. GONNAND et H. JISA
Pour ce qui est des caractéristiques propres des supports manipulés, nous
pouvons également noter une différence significative de densité lexicale selon
que le support soumis à restitution est plus ou moins familier à l'enfant. Par
exemple, sur la base du Petit Chaperon Rouge (i.e. support familier), les enfants,
de 6 à 10 ans, insèrent peu d'items lexicaux, alors qu'en situation de restitution
d'histoire inconnue, les textes de ces mêmes sujets présentent de forts indices
de densité lexicale. Nous pouvons, de nouveau, évoquer le paramètre
« connaissance partagée » : en situation de restitution d'un support [+ connu],
les sujets ne se perdent pas dans les détails, supposant que le lecteur agrémen¬
tera lui-même le contenu restitué. En revanche, dans le cas d'un texte [- connu],
ils prendraient soin d'être précis et de restituer un maximum d'informations afin
que le lecteur comprenne l'histoire du mieux possible (Gonnand, 2000).
188
Note de synthèse
Sanchez y Lopez (1997) font produire un récit oral à partir d'images sans texte à
des enfants entre 4 et 10 ans en utilisant deux procédures différentes : dans la
première situation, le récepteur du message oral a les yeux bandés et n'a donc
pas vision de la série d'images que narre l'enfant, et dans la seconde situation,
le récepteur voit les images en même temps que l'enfant construit l'histoire. Les
résultats obtenus montrent que, dans le premier cas (i.e. pas de connaissance
partagée du support visuel), la majorité des introductions se fait par une forme
indéfinie tandis que dans le second (i.e. connaissance partagée du support
visuel), elle se fait au moyen d'une forme définie. Schnieder et Dubé (1 997) par¬
viennent à la même conclusion en opposant la restitution d'un stimulus auditif à
la verbalisation d'un stimulus visuel : les rappels de la bande sonore contiennent
des formes significativement plus appropriées que celles qui ont pu être rele¬
vées dans les productions effectuées à partir d'images. Ici encore, les images
mènent les enfants à un traitement « image par image » qui entraine une attitude
séquentielle. De même, Orsolini et Di Giacinto (1996) obtiennent de meilleurs
résultats lorsqu'ils font restituer une histoire à la superstructure prototypique
« conte » que lorsqu'ils demandent aux enfants d'inventer une histoire en s'ai¬
dant d'une manipulation d'animaux en plastique : dès l'âge de 4 ans, l'enfant,
qui rappelle le conte, introduit et réintroduit les referents de manière appropriée.
3. CONCLUSION
Les différences soulignées par cette note de synthèse suggèrent qu'il est
important de garder à l'esprit, lorsque l'on utilise une seule tâche, que les
conclusions auxquelles on aboutit sont nécessairement partielles. En d'autres
termes, les choix méthodologiques sont extrêmement importants et représen¬
tent donc une variable non négligeable que les chercheurs et/ou les professeurs
des écoles se doivent nécessairement de prendre en compte, de manière à ce
que la mesure des compétences des enfants ne soit pas biaisée par la métho¬
dologie adoptée, c'est-à-dire qu'elles ne soient ni sur-, ni sous-estimées.
BIBLIOGRAPHIE
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REPÈRES N° 21/2000 S. GONNAND et H. JISA
190
ACTUALITÉ DE LA RECHERCHE
EN DIDACTIQUE DU FRANÇAIS LANGUE
MATERNELLE
Cette rubrique, ouverte à partir du numéro 12 de REPÈRES, vise à informer nos lec¬
teurs des recherches nouvelles ou en cours en didactique du français langue mater¬
nelle à l'école, ou n'appartenant pas à ce champ mais contribuant à éclairer les
problèmes de l'enseignement du français à l'école. Les fiches descriptives rédigées
par les responsables des recherches sont publiées telles quelles dans l'ordre de leur
arrivée. La longueur souhaitée est de 4000 signes. L'infomiation peut aussi avoir la
forme d'un compte rendu de thèse.
Pour figurer dans cette rubrique, prendre contact avec :
Gilbert Ducancel, secrétaire de rédaction de REPÈRES
INRP, Didactiques des disciplines, 29 rue d'Ulm, F75230 PARIS Cedex 05
Jacqueline LAFONT.
Thèse de doctorat de Lettres modernes,
spécialité Sciences du langage, sous la direction de Nicole Gueunier.
Université F. Rabelais de Tours, 1999.
Longtemps quasi souterraine, la progression des ateliers d'écriture dans de
multiples lieux institutionnels a fait l'objet, depuis le début des années 90, de
diverses études (soigneusement recensées par J. Lafont et auxquelles elle a
elle-même participé dans son DEA) qui ont permis de dégager, peu à peu, au
delà de la diversité des pratiques recensées, la spécificité de la démarche mise
en place et ses effets, en termes de réassurance des scripteurs. Ces études
sont régulièrement assorties de propositions portant sur le transfert du dispositif
dans le contexte scolaire.
191
REPÈRES N° 21/2000
Pour la traiter, l'auteur a procédé à une enquête minutieuse dans trois ate¬
liers de type différent : un atelier de loisir, un atelier mis en place dans un lycée,
un atelier en formation continue. L'analyse des discours tenus par les partici¬
pants à ces ateliers vient confirmer les effets positifs, évoqués plus haut, du
« rituel » de l'atelier d'écriture sur le sujet écrivant.
Au total, malgré des différences sensibles entre les trois types d'ateliers et
entre les scripteurs, J. Lafont conclut dans tous les cas à « un impact globale¬
ment positif de la réécriture » provoquée par l'atelier en ce sens qu'elle induit
une « amélioration » mesurable des qualités linguistiques et pragmatiques du
texte produit. Si l'on considère, par ailleurs, que ces effets sont notables dans
les trois types d'ateliers retenus, quelle que soit leur insertion institutionnelle, on
peut en conclure aussi au caractère transférable de cette démarche d'apprentis¬
sage dans le cadre de l'école.
Marie-Claude Penloup
192
NOTES DE LECTURE
REVUE... DES REVUES
* ATELIERS
Cahiers de la Maison de la Recherche ; Université Lille 3
- N° 25 : Pratiques de l'écrit et modes d'accès dans l'enseignement
supérieur (2)
* CAHIERS PÉDAGOGIQUES
CRAP
- N° 388-389 : Écrire pour apprendre
* CAHIERS ROBINSON
SPIRALE Supplément, ARRED Lille
- N° 7 : L'enfant des colonies
* ENJEUX
Cedocef ; Facultés universitaires de Namur (Belgique)
- N° 47-48 : La description
* LA LETTRE DE LA DFLM
DFLM
- N° 27 : Dossier : Le français hors appareil scolaire
* LE FRANÇAIS AUJOURD'HUI
AFEF
- Nc 129 : Ordinateurs et textes : une nouvelle culture ?
- N° 130 : La vie de l'auteur
- N° 131 : Construire des compétences lexicales
* PRATIQUES
CRESEF
- N° 105-106 : La réécriture
193
REPÈRES N° 21/2000
* RECHERCHES
Revue de didactique et de pédagogie du français ; Lille
- N° 32 : Littérature de jeunesse
* SPIRALE
ARRED Lille
- N° 26 : Culture scientifique et technique à l'école
OUVRAGES REÇUS
AMIGUES R., ZERBATO-POUDOU M.-T. (2000) : Comment l'enfant devient
élève. Les apprentissages à l'école maternelle. Retz
BARRE DE MINIAC C. (2000) : Le rapport à l'écriture. Aspects théoriques et
didactiques. Lille, RU. du Septentrion
BEGUELIN M.-J. (dir.) (2000) : De la phrase aux énoncés. Grammaire scolaire
et descriptions linguistiques. Bruxelles, De Boek-Duculot
CHAUVEAU G. (2000) : Comment réussir en ZEP. Vers des zones d'excellence
pédagogique. Retz
CHISS J.-L., DAVID J. (2000) : Grammaire et orthographe. Le Robert et Nathan
FABRE-COLS C. (dir.) (2000) : Apprendre à lire des textes d'enfants. Bruxelles,
De Boeck-Duculot
GOIGOUX R. (2000) : Les élèves en grande difficulté de lecture et les ensei¬
gnements adaptés. Suresnes, Editions du CNEFEI
LEBRUN M. (2000) : Regards actuels sur les Fables de La Fontaine. Lille, P.U.
du Septentrion
Observatoire national de la lecture (2000) : La lecture dans les trois cycles du
primaire. M.E.N.
PENLOUP M.-C. (2000) : La tentation du littéraire. Essai sur le rapport à l'écri¬
ture littéraire du scripteur « ordinaire ». Didier, collection CREDIF, Essais
POSLANIEK C, HOUYEL C. (2000) : Activités de tecfure à partir de la littéra¬
ture de jeunesse. Hachette Éducation
PROG-INRP (BRIGAUDIOT M., coord.) (2000) : Apprentissages progressifs de
l'écrit à l'école maternelle. INRP et Hachette Éducation, Didactiques
PROG-INRP (BRIGAUDIOT M., coord.) (2000) : Apprentissages progressifs de
l'écrit à l'école maternelle. Fichier photocopiable. INRP et Hachette Education
REUTER Y. (2000) : La description. Des théories à l'enseignement. E.S.F.
ROPE R, BRUCY M. (2000) : Suffit-il de scolariser ? L'atelier
ROSIER J.-M., DUPONT D., REUTER Y. (2000) : S'approprier le champ litté¬
raire. Bruxelles, De Boeck-Duculot
194
Notes de lecture
195
REPERES N° 21/2000 F. GROSSMANN
196
Notes de lecture
codes spécifiques, que le lecteur doit maitriser. D'autre part, lorsque la descrip¬
tion gagne en étendue, elle se plie elle-même à une logique textuelle, logique
qui prend le pas sur la visibilité des objets décrits. Une didactique de la descrip¬
tion doit donc non pas effacer ces tensions, mais les penser dialectiquement.
Alors que certaines approches traditionnelles identifient, on l'a vu, trop rapide¬
ment observation de l'objet et construction de sa visibilité, les approches typo¬
logiques plus récentes ont tendance, à l'inverse, à effacer l'objet ou le réfèrent.
Ces précisions fort utiles sont prolongées dans le chapitre 5 consacré à l'organi¬
sation de la description et aux parcours descriptifs. L'auteur distingue deux
modalités du parcours descriptif. Dans le premier, l'objet à décrire est « posé
d'emblée comme évident » (p. 86), tandis que dans le second, la description est
le fruit d'un processus d'élaboration, qui apparait au travers de questionne¬
ments, de sollicitations du lecteur, de commentaires métatextuels. Cette dimen¬
sion « heuristique-explicative » est manifeste en particulier dans les écrits
scientifiques.
II faut reconnaître que la pensée d'Y Reuter est parfois difficile, en raison
du très grand nombre de types et de catégories qu'elle mobilise, et du re-travail
constant des notions qu'elle effectue. Le lecteur se trouve cependant récom¬
pensé au bout du compte, dans la mesure où les propositions didactiques pré¬
sentées en fin d'ouvrage ne sont pas gratuites, mais prennent appui sur les
différentes distinctions qui ont été progressivement élaborées (et qui ne sont
d'ailleurs pas purement « théoriques », puisqu'elles s'inscrivent déjà directement
dans le projet didactique). Parmi les pistes explorées, on notera en particulier
celles qui, visent à mettre à jour les « tensions » qui sont liées à l'écriture des
197
REPÈRES N° 21/2000 F. GROSSMANN
Francis Grossmann
198
Notes de lecture
199
REPÈRES N° 21/2000 I. DELCAMBRE
200
Notes de lecture
Isabelle Delcambre
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REPÈRES N° 21/2000 G. DUCANCEL
établies et comme des constructions dont il faut infléchir le cours pour éviter
qu'elles ne s'ossifient et ne deviennent des obstacles à ce cheminement. Pour
Vygotski, le développement résulte de l'interaction entre les concepts spontanés
et les concepts scientifiques fruits des apprentissages scolaires. Ces derniers
continuent de se développer après et en dehors des apprentissages scolaires et
entrent dans des réseaux complexes de relations avec les concepts spontanés.
L'analyse pédologique doit aider les enseignants à comprendre « comment les
processus se déroulent dans la tête de chaque enfant (...) à découvrir ce réseau
interne, sous-terrain, génétique ». C'est à ce prix que les enseignants peuvent
concevoir de nouveaux apprentissages scolaires susceptibles de réorienter le
développement. M. Brossard et J. Fijaikow soulignent qu'« il serait vain de cher¬
cher à concilier ou à opposer de façon purement formelle ces deux théories ». II
est plus fécond de les interroger à partir de domaines de recherches, ce à quoi
se sont employés les différents auteurs de ce livre. S'agissant de l'entrée dans
l'écrit, c'est bien sûr avant tout Vygotski qui est explicitement interrogé.
M. Brossard se consacre à une « Approche socio-historique des situations
d'apprentissage de l'écrit ». Parmi les connaissances et les outils historiquement
élaborés qu'aucune psychogenèse ne saurait à elle seule réinventer figure le
système d'écriture. La situation de l'apprenti-scripteur est radicalement diffé¬
rente de celle des inventeurs de l'outil. II doit rechercher à la fois les caractéris¬
tiques propres au système constitué et, surtout, découvrir les usages de l'outil. II
ne s'agit donc pas d'un .« savoir de l'outil » mais d'un « savoir se servir de
l'outil ». Se démarquant d'un point de vue piagétien, l'auteur souligne que l'en¬
fant ne peut effectuer ce travail seul. II ne peut l'effectuer que dans des
« contextes sociaux d'apprentissage et en particulier dans les contextes sco¬
laires (grâce aux) apports que réalisent les adultes au travers des situations et
des tâches ». Les situations et les tâches scolaires qui sont de nature à per¬
mettre à l'apprenti scripteur à se servir de l'outil sont des « tâches communica¬
tives - tant en production qu'en compréhension. C'est en effet à partir des
problèmes communicatifs qu'il aura à résoudre (qui parle à qui, dans quel
champ, dans quel but...) que l'élève découvrira la fonctionnalité des conven¬
tions communes et qu'un travail de réflexion et d'appropriation des outils d'écrit
pourra se faire. » M. Brossard y insiste, il ne s'agit pas de situations et de tâches
assurant le développement naturel de l'enfant mais un développement culturel :
« l'éducation restructure de manière fondamentale les processus évolutifs ».
Se centrant sur une approche socio-historique des situations d'apprentis¬
sage de l'écrit, M. Brossard n'insiste pas sur la nature systémique de l'outil et
sur ce qui, de ce point de vue, est fondateur des apprentissages. C'est à ce plan
que se situe, après lui, E. Ferreiro.
Elle entame, à soixante-dix ans de distance, un dialogue avec Luria à pro¬
pos du développement de l'écriture chez l'enfant. (Signalons que le texte de
Luria, traduit pour la première fois en français, figure à la fin de l'ouvrage). Ce
dialogue lui permet d'expliciter son point de vue et d'y apporter des complé¬
ments.
Pour Luria, l'écriture est une technique socio-culturelle historiquement
créée et il s'interroge sur les mécanismes de son appropriation par l'enfant. Pour
Ferreiro, il s'agit d'un objet ayant une existence socio-culturelle et ce qu'elle se
demande, c'est « quelle sorte d'objet est l'écriture pour un enfant en développe¬
ment » et, donc, quelles fonctions il lui attribue.
202
Notes de lecture
203
REPÈRES N° 21/2000 G. DUCANCEL
indications, compte tenu de la faiblesse des effectifs des élèves pris en compte :
12 dans le groupe expérimental et 12 dans le groupe témoin (ayant bénéficié de
séances spécifiques d'apprentissage de l'orthographe). Ces premiers résultats,
notons-le, recoupent ceux d'autres recherches. Les élèves du groupe expéri¬
mental ont des résultats inférieurs en situation de dictée. Par contre, leurs per¬
formances sont supérieures en situation des production de textes. Leurs textes
sont plus longs. En cours d'écriture, ils recherchent davantage la graphie de
mots et leurs recherches sont davantage ciblées, plus courtes et davantage
couronnées de succès. Après la production, leurs explications méta-procédu¬
rales sont plus nombreuses et plus élaborées. L'auteur ne dit rien de la manifes¬
tation des compétences propres à la mise en texte ni des stratégies ayant trait à
la gestion des composantes de la tâche.
Gilbert Ducancel
Les auteurs partent du constat que, dans les erreurs orthographiques com¬
mises par des scripteurs experts, existent des erreurs de périphérie - celles qui
touchent les zones marginales de notre orthographe - et des erreurs qui portent
sur des zones centrales et mal conceptualisées de la langue. On observe
notamment une répétition des erreurs de ce type sur le verbe puisque, le verbe
étant un élément fléchi, les incertitudes à ce niveau entraînent une multiplication
d'écarts et de difficultés. La conséquence en est un brouillage de la lisibilité des
textes produits par les élèves. Quand, de plus, ces erreurs apparaissent dans
des tapuscrits d'étudiants, voire d'experts, on est en droit de penser que ces
étudiants ou experts, qui ont appris et récité les tableaux de conjugaison, ont
204
Notes de lecture
D'où le projet des auteurs dans ce livre : changer les habitudes d'enseigne¬
ment de la conjugaison elles-mêmes calquées sur les habitudes d'apprentis¬
sage des paradigmes latins : a) l'élève récite le paradigme (c'est de
l'apprentissage réflexe) et b) le professeur vérifie l'acquisition d'une nomencla¬
ture. En fait, l'objectif à fixer à l'apprentissage de la morphologie verbale est la
maitrise de l'expression. Pour cela, la conjugaison doit être intégrée dans une
représentation linguistique plus générale qui présente les propriétés morphosyn¬
taxiques du verbe et leurs régularités majeures. Au delà, cette étude doit être
articulée au travail de production d'énoncés qu'il convient de ne pas isoler de
l'apprentissage des paradigmes. Trois parties structurent l'ouvrage et fondent la
démonstration.
Autre critique portée à ces tableaux : pour chacun, les cellules apparaissent
comme des entités autonomes et spécifiques. On apprend les temps composés
comme s'il s'agissait de formes autonomes. Or, ces cellules sont associables
par couples, chaque forme simple correspondant directement avec une forme
composée. En effet, la formation d'un temps composé se réalise par la flexion
du verbe auxiliaire et la variation du participe passé. Mais cette variation relève
d'un problème de syntaxe, et non de morphologie verbale. De fait, du point de
vue morphologique, la forme du verbe est constituée d'une base lexicale,
variable dans certains verbes et isolable dans la plupart (sauf être et avoir) et
d'une flexion modale, temporelle et personnelle qui est régulière, sauf quand la
base lexicale du verbe n'est pas isolable. Or, parmi les morphèmes constitutifs
205
REPERES N° 21/2000 N. CORDARY et J. DAVID
C'est cet objectif qui motive la deuxième partie de l'ouvrage. Selon quels
principes pédagogiques et comment peut-on enseigner la conjugaison ? Les
auteurs proposent des activités de structuration des connaissances qui repo¬
sent à la fois sur des pratiques d'écriture diversifiées, des entraînements spéci¬
fiques et une réflexion métalinguistique consistant avant tout à réfléchir sur les
différents actes à accomplir et sur les marques que chaque scripteur doit choi¬
sir. Passons en revue les activités proposées :
206
Notes de lecture
Cet ouvrage très bien informé s'adresse donc à tous, enseignants, forma¬
teurs, chercheurs, en ouvrant sur des pistes didactiques concrètes, tout en
offrant des données linguistiques essentielles. L'ensemble est à la fois novateur
et convaincant : nul doute qu'il est dorénavant possible d'apprendre « le verbe
autrement ».
207
SUMMARIES
Nick CROWTHER and Gilbert DUCANCEL
REPÈRES 21 - 2000
NARRATIVE DIVERSITY
Presentation
Catherine TAUVERON
The spoken narrative is notably absent from discourse ori the narrative
within the school framework whereas it is omnipresent in everyday social inter¬
action, especially in the classroom, and has for a long time been the subject of
investigation in other fields. In certain respects, by studying this area we
confront what is said about written stories in school with an otherness which
constitutes the emotional medium of story telling and is analogical with voice
and rhythm which characterise instant and shared communication; but this
otherness is also simply due to the fact that the spoken narrative has been stu¬
died using different types of reasoning, which place the emphasis on its social
and moral functions and those relating to identity, as well as its heterogeneity
and its diversity. But many of the aspects highlighted for the spoken narrative
apply to any narrative (especially tone and literariness) and studying this genre is
revealing.
209
REPÈRES N° 21/2000 N. CROWTHER and G. DUCANCEL
regards the link between formal mastery and the content of the stories. The dif¬
ferences noted can be linked to the interpretations of the instructions and the
representations of the evaluation. In the case of the "experience-based" stories,
those differences are in a way reduced insofar as most of the pupils give little
substance to their narratives as their first concern is to recount the events as
they actually happened. The initial results enable us to open up some lines of
reflection, on the one hand with regard to the effects of the instructions and
taking them into account in the evaluation and, on the other hand, as regards
the objectives of the teaching of narrative writing.
- Children's stories: when pupils are in contact with languages and cultures
Fabienne LECONTE, University of Orléans and ESA 6065 Dyalng
Migrant children who are schooled in France are socialised in different cul¬
tures. However, the narrative is extremely important in the French school culture
and the migrant cultures, although the forms it takes and the functions it fulfils
differ. Using the example of African families living in France, we will present the
linguistic practices of these families and the changes in narrative practices as a
result of migration. Moreover, children who are in contact with a range of models
appropriate them so as to develop their own narratological skills. Their narra¬
tions bear the hallmarks of these different linguistic, interactional and cultural
models. Their choices tend towards stories whose thematic content is similar to
that found in their native culture. When the stories have a formal structure res-
sembling an oral narrative, this helps bring back memories for children whose
mother tongue is not French.
- "We need proof. Reader skills and viewer skills: the example of the tv
detective series
Brigitte Chaix, François Quet, Grenoble IUFM, Valence
There is no exact correspondence between representations of the filmed
narrative on the one hand and the spoken narrative on the other hand; however,
the understanding of films and of texts have enough points in common for the
approach to televised fiction at school to be applied to the larger framework of a
didactic method relating to understanding/interpreting. The work and reflection
presented in this article are essentially the result of the activities of a teacher
training class (a "memory workshop" in second-year teacher training). Firstly, we
endeavoured to show that the reception of televised stories cannot be studied
using merely the principles of narratology or with the aim of "finding" the
constants of a "code". On the contrary, the diversity of the clues and the nume¬
rous ways of linking them foster ambiguity, interpretive debate, and reasoned
justifications of understanding. Secondly, an oral reconstruction of a detective
cartoon (Fennec) by second-cycle pupils (six and seven-year-olds) enables us to
present some of the difficulties pupils encounter when trying to understand the
motivation behind a piece of fiction which is nevertheless targeted at them, but it
also enables us to highlight some of the comprehension strategies that these
young viewers possess.
210
Summaries
The aim of history, geography and civics is to study societies past and pre¬
sent. In this respect, they deal with human experience and are thus intimately
linked to narration in all its forms. However, the narrative, which in the past has
repeatedly been embraced then abandoned, still bears the mark of being incom¬
plete. It is good for children, but is incapable of explaining, whereas explana¬
tions are the legitimate and legitimising aims of these disciplines. In this paper,
the author examines a few points of reference with regard to each of these disci¬
plines, thus asserting how putting human experience into a temporal perspec¬
tive is important as a condition of understanding this experience. That said, a
sort of contradiction in the school system has meant that narration, in whatever
form it is presented, figures only rarely as the object of explicit work, as eviden¬
ced by the following: informal interviews with teachers, class observation, some
textbooks or even official ministerial documentation. This mistrust is the result of
a school framework which imposes constraints and which is currently destabili¬
sed by conflicts over objectives. Current studies of textual comprehension and
the link between human experience and narration encourage us to make the lat¬
ter the explicit object of work with pupils, especially through writing. This direc¬
tion is also an important heuristic means of working on the link between form
and content, point of view and the exigency of truth.
Within the context of a piece of research into the forms and functions of
written work in science, this article proposes to observe behavioural patterns in
writing used spontaneously by pupils in 6ème (Year 7) when given a scientific
type instruction in a non-scientific framework.
We were able to do this thanks to the national tests which are given to Year
7 pupils each year. In 1997, this evaluation included an item which required the
pupil to translate a scientific diagram outlining the life cycle of the Cherry tree
into a written account of this same process. The pupils were thus asked to pro¬
duce a sort of "scientific" narration, the different stages of which had to be lin¬
ked together.
Firstly, we examine the difficulties and the ambiguities of the task, the crite¬
ria which must be met in order for work produced by a pupil to be considered a
"success" scientifically speaking, which therefore makes it different from a tradi¬
tional type of narration, such as pupils produce in French. Next, we examined
the work produced by a class of pupils from a school in an Educational Priority
Area, the main elements of which are included in this paper; this enabled us to
identify different behavioural patterns in writing, reflecting different "positions" in
the relationship to scientific knowledge.
211
REPÈRES N° 21/2000 N. CROWTHER and G. DUCANCEL
212
HACHCm tDOCATtON
Apprentissages
Apprentissages progressifs
progressifs
de l'écrit à de l'écrit à
l'école matemelle
l'école maternelle
PROG INRP
coordonné par Mireille Brigaudiot
0HP
Diffusion Hachette
Distribution en librairie, dans les CRDP, CDDP, et à ITNRP
ISBN: 2-01-170621-1
BULLETIN D'ABONNEMENT
REPERES
Recherches en didactiques du français langue matemelle
à retourner à
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REPÈRES
Numéros disponibles
Ancienne série
Tarif :20 F. /ex
n° 60 - Où en sont les sciences du langage, les sciences de l'éducation ? [1983]
n° 61 - Ils sont différents ! - Cultures, usages de la langue et pédagogie [1983]
n° 64 - Langue, images et sons en classe [1984]
n° 65 - Des pratiques langagières aux savoirs (problèmes de Français) [1985]
n° 67 - 71s parlent autrement - Pour une pédagogie de la variation langagière [1985]
n° 69 - Communiquer et expliquer au Collège [1986]
n° 70 - Problèmes langagiers - Quels apprentissages dans quelles pratiques ? [1986]
n° 72 - Discours explicatifs en classe - Quand ? Comment ? Pourquoi ? (Collèges) [1987]
n° 74 - Images et langages. Quels savoirs ? [1988]
n° 75 - Orthographe: quels problèmes? [1988]
n° 76 - Éléments pour une didactique de la variation langagière [1988]
n" 77 - Le discours explicatif- Genres et texte (Collèges) [1989]
n° 78 - Projets d'enseignement des écrits, de la langue [1989]
n° 79 - Décrire les pratiques d 'évaluation des écrits [ 1 989]
Nouvelle série
. Tarif: 87 F. /ex du 1/08/00 au 31/07/01 .
n° Contenus, démarche de formation des maitres et recherche [1990]
1 -
2 - Pratiques de communication, pratiques discursives en maternelle [1990]
n°
n°3 - Articulation oral/écrit [1991]
n° 4 - Savoir écrire, évaluer, réécrire [1991]
n° 5 - Problématique des cycles et recherche [1992]
n° 6 - Langues Vivantes et Français à l'école [1992]
n° 7 - Langage et images [1993]
n° 8 - Pour une didactique des activités lexicales à l'école [1993]
n° 9 - Activités métalinguistiques à l'école [1994]
n° 10 - Écrire, réécrire [1994]
n° 11 - Écriture et traitement de texte [1995]
n° 12 - Apprentissages langagiers, apprentissages scientifiques [1995]
n° 13 - Lecture et écriture littéraires à l'école [1996]
n° 14 - La grammaire à l'école : pourquoi en faire ? Pour quoi faire [1996]
n° 15 - Pratiques langagières et enseignement du français à l'école [1997]
n° 16 - La formation initiale des Professeurs des Écoles en Français [1997]
n° 17 - L'oral pour apprendre [1998]
n° 18 - À la conquête de l'écrit [1998]
n° 19 - Comprendre et interpréter les textes à l'école [1999]
n° 20 - Recherches-actions et didactique du français - Hommage à Hélène Romian [1999]
^"21 - Diversité narrative [2000]
repensé, prise en compte des recherches sur le récit oral, rôle du récit télévisuel dans le
développement de compétences d'interprétation, poids des traditions du contage chez les
enfants de migrants, de la représentation de la tâche d'éciiture dans la redaction de récits de
vie et de lecits d'imagination, fonctions de la narration de vie enseignante dans la formation,
de la nairation factuelle dans les disciplines autres que le français, autant d'entrées différentes
qui devraient ouvrir de nouvelles pistes de réflexion et de travail dans les classes.
Sommaire
Présentation
Catherine TAUVERON, INRP
Récits : Approches didactiques
Narratologie. enseignement du récit et didactique du français
Yves REUTER. THEODILE, Université de Lille 3
Ce que le récit oral peut nous dire sur le récit
Elisabeth NONNON, THEODILE, IUFM de Lille
La sollicitation de l'imaginaire dans l'écriture des récits : intérêts et problèmes
Patricia LAMMERTYN. THEODILE. Université de Lille 3
Récits : Media et cultures
Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures
Fabienne LECONTE. Université d'Orléans. ESA 6065 Dyalang
> II nous faut des preuves >. Compétences de lecteurs
9 '782734n208389
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