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LE THÉÂTRE, TEXTE ET REPRÉSENTATION A CORNEILLE, Cinna, 1640 (acte V, sc.

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« Héros tragique, héros romantique » Auguste, empereur de Rome, découvre qu’Emilie et Cinna, qu’il avait couverts de bienfaits, préparent sa mort.
Devant une telle trahison, Auguste songe à se tuer puis, par un pur élan de générosité, s’élève jusqu'à la
clémence.
AUGUSTE
Documents En est-ce assez, ô Ciel ! et le Sort, pour me nuire,
A – Pierre CORNEILLE, Cinna, 1640 (acte V, sc.3) A-t-il quelqu’un des miens qu’il veuille encor séduire 1 ?
B – Jean RACINE, Phèdre, 1677 (acte I, sc.3) Qu’il joigne à ses efforts le secours des Enfers.
C – Victor HUGO, Hernani, 1830 (acte III, sc.4) Je suis maître de moi comme de l’Univers.
D – Alfred de MUSSET, Lorenzaccio, 1834 (acte III, sc.3) 5 Je le suis, je veux l’être. Ô Siècles, ô Mémoire 2,
Conservez à jamais ma dernière victoire,
Je triomphe aujourd’hui du plus juste courroux
Questions De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous.
1. Le héros tragique est un personnage hors du commun : en quoi est-ce Soyons amis, Cinna, c’est moi qui t’en convie :
le cas d’Auguste et de Phèdre ? Analysez néanmoins ce qui les 10 Comme à mon ennemi je t’ai donné la vie,
oppose. (2 pts) Et malgré la fureur de ton lâche destin 3,
2. Etudiez en quoi les héros romantiques de HUGO et de MUSSET se Je te la donne encor comme à mon assassin.
distinguent des héros tragiques (situation, caractère, langage…) ? Commençons un combat qui montre par l’issue
(3 pts) Qui l’aura mieux de nous, ou donnée, ou reçue. 1. séduire : détourner du droit
chemin
15 Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler,
2. mémoire : souvenir de la
Je t’en avais comblé, je t’en veux accabler. postérité, renommée
Ecriture Avec cette beauté4 que je t’avais donnée, 3. destin : projet, dessein
Reçois le Consulat pour la prochaine année. 4. cette beauté : Emilie
5. pourpre : la toge des consuls
Sujet I : Commentaire Aime Cinna, ma fille, en cet illustre rang, était bordée de rouge.
Vous ferez un commentaire composé de la célèbre tirade d’Auguste. 20 Préfères-en la pourpre5 à celle de mon sang, 6. rends : avant d’être empereur,
Apprends sur mon exemple à vaincre ta colère, Auguste avait fait tuer le père
Sujet II : Dissertation Te rendant un époux, je te rends6 plus qu’un père. d’Emilie.
Dans L’Essence du théâtre (1943), Henri Gouhier écrit : « L’ambition du
théâtre est de créer des personnes : il ne crée que des personnages…
Mais le personnage a l’air d’être une personne. La suprême réussite du B RACINE, Phèdre, 1677 (acte I, sc.3)
théâtre est dans la création paradoxale d’un personnage mystérieux
La pièce se passe à Trézène, dans le Péloponnèse. Le roi d'Athènes, Thésée, fils d'Egée, a disparu depuis
comme une personne ». D’après les textes de ce corpus et ceux que vous plusieurs mois et passe pour mort. A la demande de Phèdre, sa seconde femme, Hippolyte, fils de sa première
connaissez par ailleurs, comment les personnages de théâtre femme, a été exilé à Trézène. Apparemment Phèdre déteste son beau-fils, mais les deux premières scènes de
apparaissent-ils à la fois mystérieux et vraisemblables ? la pièce nous révèlent une Phèdre mourante, rongée par une maladie inconnue. Ce mal, c'est l'amour. Juste
avant cet extrait, Phèdre, pressée par sa nourrice OEnone, vient de lui avouer qu'elle aime Hippolyte.
Sujet III : Invention
Un metteur en scène et une comédienne discutent de la manière dont PHÈDRE
Phèdre doit déclamer sa tirade. L’un la voit en victime accablée, l’autre en Mon mal vient de plus loin. A peine au fils d'Egée 1
furie déchaînée. Composez ce dialogue en veillant à la solidité des Sous les lois de l'hymen2 je m'étais engagée, 1. le fils d’Egée = Thésée
2. les lois du mariage
arguments de part et d’autre : vous vous appuierez bien sûr sur le texte de Mon repos, mon bonheur semblait être affermi 3 ;
3. affermi = assuré (le
Racine. Athènes me montra mon superbe4 ennemi : participe concerne les deux
5 Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; noms : repos et bonheur.)
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ; 4. superbe = fier, noble
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir5 et brûler : 5. transir = grelotter de Si, parfois, haletant, j'ose tourner la tête,
Je reconnus Vénus6 et ses feux redoutables, froid Une voix me dit : Marche ! et l'abîme est profond,
10 D'un sang qu'elle poursuit7 tourments inévitables ! 6. Vénus = déesse de Et de flamme ou de sang je le vois rouge au fond !
l’amour
Par des vœux assidus8 je crus les détourner : 7. Phèdre croit sa famille Cependant, à l'entour de ma course farouche,
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l'orner ; (son sang) persécutée par 20 Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche !
De victimes9 moi-même à toute heure entourée, Vénus car la déesse avait Oh ! fuis ! détourne-toi de mon chemin fatal !
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée : déjà provoqué l’amour de Hélas ! sans le vouloir, je te ferais du mal !
sa mère, Pasiphaé, pour un
15 D'un incurable10 amour remèdes impuissants ! taureau (de cette union
En vain sur les autels ma main brûlait l'encens : naquit le Minotaure).
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse, 8. prières ferventes et D MUSSET, Lorenzaccio, 1834 (acte III, sc. 3)
répétées
J'adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,
9. animaux désignés pour A Florence, en 1537, le jeune Lorenzaccio rêve d’assassiner le tyran Alexandre de Médicis. Il gagne
Même au pied des autels que je faisais fumer, être sacrifiés à la déesse sa confiance en l’accompagnant dans sa vie débauchée. Mais à force de côtoyer d’aussi près le vice
20 J'offrais tout à ce dieu que je n'osais nommer, afin d’apaiser sa colère.
et à force de jouer le rôle de complice, il se laisse gagner par un pessimisme profond qu’il confesse ici
Je l'évitais partout. Ô comble de misère ! 10. qu’on ne peut pas guérir
11. j’encourageai mon cœur à Philippe Strozzi, le chef du clan des républicains, qui veulent également renverser Alexandre.
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père. 12. je fis semblant
Contre moi-même enfin j'osai me révolter : d’éprouver la colère d’une LORENZO
J'excitai mon courage11 à le persécuter. méchante belle-mère Suis-je un Satan ? Lumière du ciel ! je m'en souviens encore ; j'aurais pleuré avec
25 Pour bannir l'ennemi dont j'étais idolâtre, 13. je pressai = je hâtai la première fille que j'ai séduite, si elle ne s'était mise à rire. Quand j'ai commencé
J'affectai les chagrins d'une injuste marâtre 12 à jouer mon rôle de Brutus1 moderne, je marchais dans mes habits neufs de la
Je pressai13 son exil ; et mes cris éternels grande confrérie2 du vice, comme un enfant de dix ans dans l'armure d'un géant de
L'arrachèrent du sein et des bras paternels. 5 la fable. Je croyais que la corruption était un stigmate 3, et que les monstres seuls
le portaient au front. J'avais commencé à dire tout haut que mes vingt années de
vertu étaient un masque étouffant - ô Philippe ! j'entrai alors dans la vie, et je vis
C HUGO, Hernani, 1830 (acte III, sc.4) qu'à mon approche tout le monde en faisait autant que moi ; tous les masques
tombaient devant mon regard ; l'Humanité souleva sa robe, et me montra, comme
Hernani a vu les préparatifs des noces de Dona Sol avec don Ruy Gomez. Il accable la jeune femme de
10 à un adepte digne d'elle, sa monstrueuse nudité. J'ai vu les hommes tels qu'ils sont,
reproches ironiques. Mais Dona Sol lui montre le poignard avec lequel elle se tuera pour échapper à ce
mariage. Hernani, pris de remords, se jette à ses pieds, la suppliant de le fuir, lui qui n'aurait à offrir qu'une et je me suis dit : Pour qui est-ce donc que je travaille ? Lorsque je parcourais les
"dot de douleurs", "un écrin de misère et de deuil". rues de Florence, avec mon fantôme à mes côtés, je regardais autour de moi, je
cherchais les visages qui me donnaient du cœur, et je me demandais : Quand
HERNANI j'aurai fait mon coup, celui-là en profitera-t-il ? - J'ai vu les républicains dans leurs
Dona Sol, prends le duc, prends l'enfer, prends le roi ! 15 cabinets, je suis entré dans les boutiques, j'ai écouté et j'ai guetté. J'ai recueilli les
C'est bien. Tout ce qui n'est pas moi vaut mieux que moi ! discours des gens du peuple, j'ai vu l'effet que produisait sur eux la tyrannie ; j'ai
Je n'ai plus un ami qui de moi se souvienne, bu, dans les banquets patriotiques, le vin qui engendre la métaphore et la
Tout me quitte ; il est temps qu'à la fin ton tour vienne, prosopopée, j'ai avalé entre deux baisers les larmes les plus vertueuses ; j'attendais
5 Car je dois être seul. Fuis ma contagion. toujours que l'humanité me laissât voir sur sa face quelque chose d'honnête.
Ne te fais pas d'aimer une religion 20 J'observais... comme un amant observe sa fiancée, en attendant le jour des noces !
Oh ! par pitié pour toi, fuis !... Tu me crois, peut-être,
Un homme comme sont tous les autres, un être
1. Lorenzo confond les deux Brutus : celui qui, pour tuer Tarquin, se fit passer pour un fou, et
Intelligent, qui court droit au but qu'il rêva. celui qui tua Jules César. Le nom de Brutus incarne la liberté républicaine. – 2. confrérie :
10 Détrompe-toi. Je suis une force qui va! communauté, association pieuse ; le mot forme une antithèse violente avec le mot « vice ». – 3.
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres ! stigmate : marque laissée sur la peau par une maladie : cicatrice ; mais le terme désigne aussi
les blessures miraculeuses dont certains saints ont été marqués en souvenir de la crucifixion de
Une âme de malheur faite avec des ténèbres ! Jésus : là encore, violente antithèse avec le mot « corruption ».
Où vais-je ? je ne sais pas. Mais je me sens poussé
D'un souffle impétueux, d'un destin insensé.
15 Je descends, je descends et jamais ne m'arrête.

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