Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Olivier Mevel
Université de Brest/ICI - IUT de Brest
Olivier.mevel@univ-brest.fr
Thierry Morvan
Université de Rennes 1/ICI - IUT de Saint Malo
Thierry.morvan@univ-rennes1.fr
Nélida Morvan
Université de Rennes 1/I IUT de Saint Malo
nelida.morvan@univ-rennes1.fr
Résumé :
En rapprochant l’émergence d’un puissant courant lié au phénomène de mutualisation logistique dans le
canal de distribution à la théorie des coûts de transaction, cet article basé, sur une approche empirique
du terrain, a pour but d’interpréter l’évolution des comportements de certains chargeurs, tout
particulièrement dans la domaine des filières alimentaires, du point de vue de l’organisation et de la
restructuration actuelle de leurs logistiques aval autour des nouvelles pratiques collaboratives de
mutualisation des flux.
1
INTRODUCTION
Quelques mois après la disparition de Ronald Coase, il nous semble opportun de rendre hommage au
brillant théoricien qu’il fût en rapprochant très directement la théorie des coûts de transaction (1984) de
l’émergence d’un puissant phénomène de mutualisation des flux logistiques dans le canal de distribution
(Livolsi et Camman, 2012, Pan et al., 2011, Hiesse, V., Paché, G. 2010). L’économiste de l’Université de
Chicago, nobélisé1 en 1991 pour ses travaux liés à l’existence2 de l’entreprise, a constamment pointé du
doigt l’un des grands trous noirs de l’économie néoclassique à savoir pourquoi des acteurs se réunissent-
ils au sein d’entreprises afin de produire plus efficacement sous contrainte hiérarchique alors même que le
La question de recherche vise ici à repositionner le questionnement originel de Coase dans le canal de
distribution du commerce de détail français dans le but d’interpréter l’évolution des comportements de
certains chargeurs, tout particulièrement dans la domaine des filières alimentaires, du point de vue de
l’organisation et de la restructuration actuelle de leurs logistiques aval autour des nouvelles pratiques
collaboratives de mutualisation des flux (Camman et al., 2013, Senkel et al., 2013, Gozé-Bardin, 2009).
caractérisent par une très forte asymétrie informationnelle en faveur des distributeurs. Ce faisant, dans un
tel contexte d’asymétrie de l’information, les négociations commerciales restent inlassablement dominées
par les différents jeux de pouvoir mais aussi par l’opportunisme développé par les sept supers centrales
Sur le terrain et en réponse à une situation de négociation commerciale sous contrainte des GMS, certains
industriels, définis à l’instar de Coase comme des agents autonomes devant discuter en permanence des
volumes de prestations et des prix de marché dans le seul but d’optimiser leurs processus, renoncent
aujourd’hui à négocier contractuellement avec les Prestataires de Services Logistiques (PSL) pour
1
Il obtient en 1991 le Prix de la Banque de Suède en Sciences Economiques « pour la découverte et la clarification de l'importance des
coûts de transaction et des droits de propriété dans la structure institutionnelle et dans le fonctionnement de l'économie »
2
La nature de la firme, publiée en 1937
3
La circulaire du 31 mars 1960 relative à l'interdiction des pratiques commerciales restreignant la concurrence, dite « circulaire Fontanet »
vient sanctionner le refus de vente mais aussi donner le vrai coup d’envoi à l’essor de la grande distribution en France.
2
agencer et sous-tendre leurs chemins logistiques autour de nouvelles relations inter-organisationnelles
verticales avec les distributeurs et/ou horizontales avec d’autres industriels (Mével, et al., 2014).
Plus précisément, en s’engageant dans un processus complexe de mutualisation, les industriels tendent
actuellement de contourner le mur logistique (l’importance du coût logistique par rapport à la valeur du
produit) dressé par les PSL (Mével et al., 2014) alors même que ces derniers n’ont prospéré, à partir des
années 90, que par la seule volonté des industriels et des distributeurs de confier à un tiers une fonction
transport qui leur semblait devenue une simple activité support de leur chaine de valeur respective
(Fimbel, 2004 ; Lièvre et Tchernev, 2004). En effet, au travers du contexte économique de crise qui
frappe les industries agro-alimentaires fraîches et ultra-fraîches en Europe depuis 2008 et des exigences
actuelles des distributeurs en termes de logistique, le PSL a définitivement acquis, en France, une
fonction normative, intégrative mais également organisationnelle nouvelle au cœur des relations
Industrie-Commerce (Filser et al., 2012 ; Camman et Livolsi, 2007). Ce faisant, la réallocation des
processus logistiques au profit des PSL a eu aussi pour corollaire de favoriser la revendication par ces
derniers d’un nouveau partage de la valeur ajoutée plus orientée vers le service logistique. En menaçant
très directement la rente ricardienne détenue par les distributeurs depuis l’application de la Loi Galland4,
cette revendication pose néanmoins question aux différents maillons des filières alimentaires puisqu’il
s’agit, ni plus ni moins, pour les PSL de rejoindre industriels et distributeurs dans une relation triadique
Pour répondre à notre problématique dans un premier développement (1), nous présentons un état des
lieux transactionnel de la logistique dans le canal (1.1) avant de confronter le concept de mutualisation à
une analyse par la Théorie des Coûts de Transaction (1.2). Dans un second temps (2), nous avons souhaité
mener une enquête empirique in vivo auprès d’un échantillon représentatif d’industriels des différentes
filières des industries agroalimentaires bretonnes. Les aspects méthodologiques seront présentés en
4
Loi du 1er juillet 1996 qui a facilité l’explosion des marges arrière payées par les industriels au profit des enseignes de distribution.
3
premier lieu (2.1) avant de discuter des principaux résultats liés à l’étude empirique et d’analyser les
Dans un premier temps, nous présentons un état des lieux de la situation transactionnelle de la logistique
dans le canal (1.1) avant de conceptualiser la mutualisation au travers de la Théorie des Coûts de
Transaction (1.2).
1.1. Un état des lieux de la situation transactionnelle de la logistique dans le canal de distribution
En amont du canal, face aux exigences actuelles des distributeurs (circuits imposés, heures de livraison
sur plateformes par métier, temps de réactivité de plus en plus court, etc.), les PSL sont désormais
devenus les seules organisations en mesure de proposer une formule de services logistiques pertinente
pour assurer, au coût le plus juste, la projection rapide des flux des industriels en quantité et en qualité
(Tyan et al., 2003) vers les cinq principaux formats de magasins des enseignes de grande distribution :
Cette situation est consubstantielle d’un puissant mouvement d’externalisation des activités logistiques
des industriels vers les PSL qui, paradoxalement, commence sérieusement à poser problème aux
chargeurs mais aussi aux distributeurs (Fulconis et al., 2011). En effet, c’est le prix auquel est facturée la
relation de service désormais étendue à de multiples activités (transport, couche industrielle, système
d’information) par le PSL qui paraît souvent excessive aux chargeurs (Mével et al, 2014), durement
confrontés aux exigences de compétitivité du distributeur, lui-même soumis à une exigence en termes de
En aval, la présence d’un consommateur recherchant constamment les prix les plus bas possibles tout en
déplorant in fine les emplois perdus près de chez lui, incite le distributeur, contre toute logique
industriels (Allain et Chambolle, 2003). Ce faisant, la pression sur les prix de cession des industriels est
4
intense et cette tension se transmet aux différentes filières, remontant depuis les distributeurs jusqu’aux
producteurs en impactant la formation des prix agricoles mais aussi le mix- logistique des industriels
(Samii, 2004).
Aussi, face à la logique d’affrontement tarifaire qui prévaut, en France, depuis plus de cinquante ans, le
PSL semble un coupable d’autant plus désigné que la radicalisation de la politique stratégique des
distributeurs autour de la logique des seuls prix bas, implique l’impérieuse nécessité, pour les
distributeurs, d’infléchir le coût logistique total des chargeurs (Hertz et Alfredsson, 2003).
D’un point de vue transactionnel, la radicalisation du distributeur, vent debout contre les hausses tarifaires
présentées par les chargeurs lors des négociations commerciales 2014, fait alors apparaitre une asymétrie5
majeure entre les besoins en prestations logistiques des industriels et les métiers développés aujourd’hui
par le PSL. Confrontés aux exigences des centrales d’achat en termes d’ajustement à la baisse de la taille
des lots livrés, de nombreux industriels6 se voient contraints de se positionner sur des flux inférieurs à 300
kg qui les situent systématiquement sur la partie la moins favorable des conditions générales de vente des
PSL.
Dorénavant confrontés à un double jeu de pouvoir imposé par les distributeurs et les PSL, les industriels
s’engagent donc progressivement vers des pratiques verticales et horizontales plus collaboratives en
termes de mutualisation des coûts logistiques dans l’espoir de mieux maîtriser leur mix-
logistique7(Livolsi et Camman, 2012, Pan et al., 2011). Pour les chargeurs, le temps est donc venu de
reconsidérer la réintégration de leur logistique sous de nouvelles formes organisationnelles (Frisk et al.,
Par conséquent, si dans l’esprit des industriels, le recours à la mutualisation s’oppose autant à la logique
de contractualisation jusqu’alors définie principalement avec le PSL, c’est parce que les deux modes de
gouvernance ont des formes de coordination fondamentalement différentes. La collaboration avec le PSL
5
L’optimisation du coût logistique total d’un industriel nécessiterait l’achat de camion complet tandis que le métier d’un PSL est de vendre
du transport partiel pour reconstruire et/ou acheter du camion complet.
6
Essentiellement les TPI et les PMI mais aussi parfois quelques ETI au sens de la Loi du 5 août 2008.
7
Le mix-logistique rend compte du coût logistique total qui est lui-même la somme systémique des cinq coûts logistiques (coût de traitement
des commandes, coût de préparation des commandes, coût de stockage, coût d’entreposage et coût de transport).
5
nécessite un ajustement périmétrique et volumétrique permanent des flux, en référence à un système
complet de prix de marché, tandis que la mutualisation requiert un ajustement plus incertain des volumes
par voie hiérarchique, voire par l’autorité des entrepreneurs quand la mutualisation se déploie au travers
d’organisations hybrides acquises aux asymétries d’information et à la sélection adverse (Akerlof, 1970).
1.2. L’émergence de la mutualisation des services logistiques au sein du canal de distribution : une
Si ce courant théorique a pour principal objet d’analyse l’étude des échanges, en l’occurrence les
transactions, entre agents économiques (Williamson, 1991), il s’est aussi progressivement scindé en deux
courants distincts. D’abord, celui de l’environnement institutionnel (North, 1990, 1994) qui explique et
délimite les zones de liberté des chefs d’entreprise et, ensuite, celui des institutions de l’économie (ou
modes de gouvernance) qui caractérise les actions d’intégration verticale, horizontale (Williamson, 1970)
mais aussi d’internationalisation (Stuckey et White, 1993). C’est ce deuxième courant qui nous sera ici le
L’approche par la théorie des coûts de transaction de la couverture des besoins des industriels, en termes
typologie des choix de la structure de gouvernance ex ante (institutions) nécessaire aux chargeurs en
fonction de la transaction logistique considérée avec les distributeurs. La transaction logistique est
susceptible alors d’être véhiculée, au sens de Williamson par les trois institutions principales que sont le
Dans le canal de distribution, l’industriel doit faire face actuellement, à la fois, à un fort contexte
d’incertitude et d’information imparfaite sur les trois différents systèmes de prix (matières premières,
services logistiques, produits finis) qui conditionnent son équilibre économique. En outre, relativement à
un contexte législatif8 fragile et mouvant qui préfigure aux échanges dans le canal de distribution, les
8
La loi de Consommation de Benoit Hamon, applicable au 1er janvier 2015, est la 10ème réforme fondamentale du canal.
6
chargeurs sont trop souvent amenés à quasiment prendre l’ensemble de leurs décisions sous hypothèse de
Ensuite, au sein des supply-chains, l’idée pourtant primordiale de l’optimisation du rapport poids/volume
s’efface et disparait pour être remplacée par la seule logique de la minimisation des coûts. C’est là tout le
problème aussi que rencontrent les chargeurs français aujourd’hui qui, dès lors, tentent de trouver la
solution logistique la plus adaptée à la projection de leurs flux dans le cadre d’une coordination souvent
très incomplète entre PSL, d’une part, et mutualisation verticale et/ou horizontale avec le distributeur ou
Par conséquent, du côté des industriels, l’émergence d’un besoin de mutualisation est donc bien à
rechercher du côté des défaillances du marché de la prestation de services logistiques surtout lorsque les
coûts de transaction qu’il définit sont nettement supérieurs à ceux pratiqués par ces institutions que sont
devenues les nouvelles formes inter-organisationnelles générée par la mise en œuvre d’une action
mutualisatrice des flux. Cependant, pour les industriels, économiser sur les coûts de transaction avec les
PSL est sans doute préférable au gaspillage des ressources résultant de choix guidés par le hasard ou
Chez les chargeurs, cette substitution du PSL au profit d’un management plus mutualisé des flux
logistiques reste assujettie à une volonté persistante de ces derniers de constamment rechercher des
économies de coûts sur leurs chaines logistiques. Ces coûts sont principalement liés à des coûts dits
logistique en particulier, l’information n’est ni parfaite, ni gratuite, très peu disponible naturellement
(bien au contraire) ce qui représente déjà par là-même un coût de transaction relativement important pour
De fait, l’accès au marché de la prestation de services logistiques n’est absolument pas neutre
économiquement pour l’industriel (Visser, 2010) puisqu’il implique, d’un point de vue managérial, une
7
d’informations. En outre, le recours à un PSL implique souvent la mise en œuvre d’instruments lourds de
coordination de type EDI, WMS, Work Flo qui nécessite des compétences rares dans la conduite des
minimisation des trois principaux coûts de transaction que sont le coût de découverte des prix adéquats au
juste service logistique pour le bon chemin logistique, le coût de négociation et de conclusion des contrats
avec le PSL et enfin le coût de contrôle de la qualité et du prix de la servuction rendue par le prestataire
dans le cadre de la relation se service établie. En outre, la fonction principale de l’industriel reste de
comparer inlassablement le coût supplémentaire d’une transaction par le marché à celui de son
internalisation. A bien y regarder, il y a donc une relative incertitude pour l’industriel à continuer
Les attributs des transactions, en tant que déterminants principaux des coûts de transaction, sont donc des
éléments essentiels pour comprendre l’arbitrage entre les différents modes de gouvernance. Pour ce faire,
trois attributs distincts sont utilisés par Williamson : la spécificité des actifs, l’incertitude et la fréquence
des échanges transactionnels. Le tableau n°1 ci-dessous rend compte des résultats prédictifs qu’apporte
considéré.
Tableau n°1- Typologie du choix des structures organisationnelles en fonction des attributs des
transactions
Internalisation Très privilégié par les Peu privilégié par les Peu privilégié par les
(hiérarchie) industriels industriels et les GMS industriels et les GMS
Non privilégié par les Théoriquement non Théoriquement très
Mutualisation
différents acteurs du privilégié par les acteurs privilégié par les acteurs du
(hybride)
canal canal
8
En conclusion, la théorie des coûts de transaction définit bien trois modes majeurs de gouvernance dans le
canal : l’achat de prestation logistiques en faisant appel au marché, l’internalisation des moyens
logistiques ayant pour objet et pour effet de réduire les coûts de gestion de l’information et de limiter les
possibilités de comportements opportunistes sans pour autant se traduire par des structures de gestion très
intégrées.
Dans une première partie, nous traitons des aspects méthodologiques de l’enquête menée auprès d’un
échantillon représentatif d’industriels des différentes filières des industries agroalimentaires bretonnes
(2.1), ensuite dans une seconde partie, nous analysons les résultats obtenus et nous commentons les
implications managériales liées aux résultats qui émergent de nos travaux (2.2.).
2.1. Méthodologie
Afin d’analyser le phénomène émergent de la mutualisation des moyens logistiques, nous avons souhaité
savoir si les industries agroalimentaires de la région Bretagne perçoivent cette mutualisation comme une
réponse à envisager comme choix de structure organisationnelle. En effet, cette région se caractérise par
un fort développement de ses filières alimentaires depuis plus de 50 ans avec l’obligation de maitriser un
positionnement géographique situé à l’extrémité ouest de l’Union Européenne. Ainsi, les industriels
implantés en Bretagne sont en quelque sorte condamnés à l’excellence logistique aussi bien
technologiquement (système d’information, traçabilité, etc.) que d’un point de vue organisationnel
(mutualisation des transports, massification des volumes, réduction des stocks, minimisation des périodes
d’entreposage, etc.) afin de maintenir la compétitivité-prix des productions régionales sur l’échiquier
européen.
Pour évaluer, sur le terrain, la perception du concept de mutualisation par les IAA bretonnes, nous avons
eu recours à un outil spécifique de mesure de la satisfaction des industriels : le Net Promoter Score
(Reichheld, 2003 ; 2006). Cet outil s’appuie sur une construction de perception non observable,
9
l’intention de comportement futur vis-à-vis d’une entreprise, d’une marque, d’un service, etc. (Schmitt et
al, 2012 ; Keniningham et al., 2007 ; Morgan et Rego, 2006). Il va donc nous permettre de savoir si les
industriels sont prêts à recommander la mutualisation comme une réponse à leurs exigences logistiques au
sein du canal de distribution. Pour déterminer le NPS, dans le cadre de notre étude de terrain, nous avons
souhaité savoir si les entreprises de l’échantillon étaient convaincus par la mutualisation des moyens
NPS (Reichheld, op.cit.), les individus en trois catégories : les promoteurs (personnes interrogées qui ont
répondu entre 9 et 10), les neutres (personnes interrogées qui ont répondu 8 ou 7) et les détracteurs
(personnes interrogées qui ont répondu 6 ou moins). Le NPS est alors calculé comme la différence entre
le pourcentage des promoteurs et le pourcentage des détracteurs car les personnes aux extrêmes de
l’échelle de mesure expriment une attitude plus engagée au contraire des neutres qui traduisent un
manque d’implication voire une indifférence à la question posée. Il est à souligner que le NPS se définit
comme un nombre situé entre – 100 (les individus sont dans leur ensemble détracteurs) et + 100 (les
Afin de donner toute sa pertinence à cet outil de mesure de la performance, il est recommandé d’ajouter
un certain nombre de questions complémentaires qui consistait, dans notre cas, à déterminer les raisons
pour lesquelles les chargeurs mutualisaient ou non leurs moyens logistiques mais aussi à évaluer la
perception de la qualité de la prestation de service proposée par leur PSL principal (ils correspondent aux
PSL auxquels les entreprises font appel régulièrement), tout en les citant. En effet, recommander un PSL
traduit non seulement une satisfaction en tant que client mais surtout une forme de fidélité active chez
l’industriel au travers du souhait manifesté par ce dernier de promouvoir ce PSL. Il s’agit alors de
déterminer s’il existe ou non une relation entre la satisfaction des industriels vis-à-vis de leur PSL et la
promotion de la mutualisation des moyens logistiques comme réponse alternative. En définitive, nous
avons soumis un questionnaire auprès d’un échantillon représentatif d’industriels des différentes filières
10
des industries agroalimentaires bretonnes (produits carnés, plats préparés, lait, fruits et légumes,
Il est également à noter qu’au sein de notre échantillon, nous avons distingué trois catégories
d’entreprises : ETI, PMI, TPI au sens de la loi de Modernisation Economique. Nous avons ainsi sollicité
Six résultats principaux émergent de l’enquête empirique menée sur le territoire spécifique défini.
Le premier résultat souligne que la mutualisation est globalement mal perçue par l’ensemble des
entreprises de l’échantillon puisque le NPS calculé est négatif et d’une valeur élevée (-32,17), (cf. tableau
n°2). Ce NPS s’explique par l’existence d’une majorité de détracteurs (55%) et des proportions
équivalentes de promoteurs (22,6%) et de neutres (21,7%). Plus précisément, les raisons invoquées pour
9
ne pas s’inscrire dans un processus de mutualisation sont, tout particulièrement, la forte concurrence
entre industriels, les contraintes de livraison imposées par le distributeur, la perte de réactivité et de
flexibilité engendrées par la mise en place d’une organisation commune. Au regard de ces raisons
communes semble encore très hypothétique dans la mesure où les industriels ont le sentiment que le
risque de ne pas pouvoir répondre aux demandes du client est trop important et, donc, à terme de voir leur
disposées à recommander la mutualisation comme une solution logistique alternative et, par conséquent, à
s’engager à terme dans un processus nécessitant de mobiliser des ressources qu’elles n’ont pas
9
74 % des entreprises interrogées ne sont pas engagées dans un processus de mutualisation.
11
nécessairement à leur disposition eu égard à leur taille. En effet, nous remarquons que le NPS obtenu par
ces entreprises est fortement négatif (-71,4) ; il résulte d’une très large majorité de détracteurs (80% à
comparer aux 11,4% de neutres et aux 8,6% de promoteurs). Cette perception fortement négative de la
mutualisation démontre que les TPI se sentent écartées de la mutualisation, comme le confirme le fait que
91 % des TPI de notre échantillon ne se sont pas engagées dans un processus de mutualisation. Un
ensemble de raisons organisationnelles, concurrentielles et logistiques, révélées par les réponses apportées
par les TPI, explique cette perception de la mutualisation par ces structures. Ainsi, un seuil minimum de
compétences et moyens qu’elles ne possèdent pas au regard de la taille des structures. Par ailleurs, leur
très petite taille, la faiblesse voire l’obsolescence de leur outil industriel, induisent l’absence de tout
référencement commercial en centrale d’achat les contraignant à livrer en direct les magasins des
distributeurs, plusieurs fois par semaine. Cette situation (faiblesse et éparpillement des poids livrés en
magasin) implique aussi que la mutualisation s’avère une solution alternative quasi-inapplicable dans ce
contexte.
Le troisième résultat de recherche a trait au fait que, les PMI, qui présentent le NPS le plus élevé des
trois catégories d’entreprises étudiées, tout en restant malgré tout négatif (-12), regroupent la plus grande
part de promoteurs (31% à comparer aux 8,60% des TPI et aux 23,5% des ETI). Au regard de ces
résultats ils perçoivent plus positivement, mais de manière toute relative, la mutualisation comme une
solution organisationnelle envisageable. Ce résultat est corroboré par le fait qu’elles apparaissent
majoritaires dans la mise en place de processus de mutualisation (63,3% à comparer aux 26,70% des ETI
Malgré tout, le pourcentage élevé de détracteurs (43%) souligne le fait que cette catégorie d’entreprises
n’est pas non plus disposée dans son ensemble à promouvoir la mutualisation comme une réponse à
envisager. Au regard des raisons de non mutualisation évoquées par les PMI interrogées, nous constatons
qu’elles sont fortement réticentes à la mise en commun des moyens logistiques en arguant que la
12
concurrence exacerbée existant au niveau des produits frais et ultra frais est un frein. A ces raisons
concurrentielles s’ajoutent aussi, comme pour les TPI, des raisons organisationnelles, des raisons
logistiques (horaires de livraison, modifications des tournées, gestion des urgences, etc.) mais aussi des
raisons liées à la perception contraignante de cette forme d’organisation impliquant selon les PMI une
perte d’autonomie. Les PMI souhaitent donc garder en interne leurs pleines capacités en termes de
Le quatrième résultat de recherche porte sur les ETI dont le NPS est proche de celui de l’échantillon
global (-28,57 et -31,37 pour l’échantillon global). Elles présentent un peu plus de 25% de neutres, 23,8%
de promoteurs et un peu moins de la moitié de détracteurs : la mutualisation est donc aussi mal perçue par
les ETI qui ne sont pas prêtes à recommander cette solution logistique originale, notamment, par le fait
qu’au regard des volumes transportés, elles sont capables de transporter des lots complets vers les
Le cinquième résultat de recherche concerne la perception des PSL par les industriels. En effet, lorsque
nous interrogeons les industriels sur la perception qu’ils ont de leurs PSL principaux, les entreprises
interrogées semblent satisfaites de leur PSL sans pour autant être disposées à le recommander (cf. tableau
3). Le NPS, -2,40, est obtenu en raison d’une majorité importante de neutres (74, 10%) et des proportions
presque équivalentes entre les promoteurs (11,80%) et les détracteurs (14,10%). Nous pouvons souligner
que ce score, faible, varie très peu quelque soit la taille de l’industriel : -5 pour les TPE, - 2,20 pour les
PME et 0 pour les ETI. Les entreprises interrogées ont donc des difficultés à exprimer une opinion
franche à l’égard de leurs PSL et par conséquent, elles ne souhaitent pas les recommander au regard des
prestations offertes. Finalement, le résultat peut s’expliquer par le fait que si les PSL font bénéficier leurs
clients d’économies de compétences, ils n’apportent pas vraiment de réponses personnalisées face aux
exigences des industriels ce qui implique une notation « neutre » des chargeurs. A moins que ce soit la
structure même du marché, l’existence d’un duopsone formé par STEF et STG (Mével et al., 2014) et
13
confirmé par notre étude empirique10, qui légitime aussi l’absence de volonté claire de différenciation des
PSL.
PSL par les chargeurs, le 6ème résultat de recherche met en exergue le fait que nous ne pouvons pas
valider l’hypothèse selon laquelle les entreprises peu ou pas satisfaites de leurs PSL sont des promoteurs
de la mutualisation. En effet, parmi ces entreprises interrogées nous n’avons pas plus de promoteurs de la
mutualisation. La tendance serait même plutôt l’inverse : parmi les entreprises satisfaites de la prestation
de leur PSL, 33% des entreprises interrogées recommanderaient la mutualisation alors que sur l’ensemble
En définitive, et au regard des différents résultats qui émergent de notre étude empirique fondée sur une
analyse des modes de gouvernance par les coûts de transaction, nous pouvons résumer ci-dessous les
Tableau 4- Typologie des choix de la structure de gouvernance en fonction de la taille des lots et de
la nature de la transaction logistique
Attributs des transactions
Spécificité des actifs Fréquence des
Incertitude des échanges
transactionnels transactions
Faible : PSL Faible : PSL Faible : PSL
Lot complet Moyenne : Mutualisation Moyenne : Mutualisation Moyenne : PSL
Elevé : Internalisation Elevé : Internalisation Elevé : PSL
Taille des lots
10
Au regard des entreprises sollicitées les PSL principaux cités se découpent comme suit : 49, 3% pour STEF, 25, 3% pour STG et 5% pour
Delanchy.
14
Conclusion
ressemble encore aujourd’hui à l’échelle d’un territoire au paradoxe qui frappe la productivité américaine
selon Solow11 (1987), à savoir que tout le monde en parle sans que jamais personne finalement ne la
les industriels des industries agro-alimentaires fraîches en Bretagne tout en étant freinée dans son
Pour autant, les PSL ont aussi senti le vent du boulet et ces derniers entrent désormais aussi
progressivement dans une logique de regroupement des flux de leurs clients sur un seul site, notamment,
pour ceux qui évoluent dans une logique de multi-pick/multi-drop afin de construite du complet et/ou au
moins des flux supérieurs à 300 kg. En outre, la réponse des PSL à la demande de mutualisation s’inscrit
aussi dans une logique de contractualisation insistant sur une volumétrie et un tarif fixe à l’euro/tonne. On
s’aperçoit aussi que la volonté de mutualisation des chargeurs peut-être largement battue en brèche par la
logique d’optimisation des flux que propose aujourd’hui les PSL autour de la maximisation du
poids/palette par expédition afin d’abaisser les coûts de transaction de leurs clients.
Ce faisant, le PSL redécouvre aussi que son vrai métier est celui d’un optimisateur des flux logistiques de
ses clients en leur facilitant la construction de volume d’expédition critique leur permettant de basculer
Enfin, la mutualisation agit aussi comme un aiguillon pour des PSL qui acceptent enfin d’avancer sur la
transmission aux chargeurs d’un taux de service quotidien ce qui constitue indéniablement pour ces
derniers un vrai progrès transactionnel. En effet, lors d’un rendez-vous commercial en centrales d’achat,
l’industriel a souvent besoin de justifier de son taux de service vis-à-vis de son client final et seul le PSL
peut construire un script de service permettant de livrer précisément cette information jour après jour.
11
Robert Solow est Prix Nobel d’Economie en 1987.
15
Cela signifie aussi que l’information logistique est en train de conditionner et d’orienter durablement la
Bibliographie
- Akerlof, G. (1970), The Market for Lemons: Quality Uncertainty and the Market Mechanism, The
Quaterly Journal of Economics, vol. n°84, pp.488-500.
- Allain, M.L., Chambolle, C. (2003), Les relations entre la grande distribution et ses fournisseurs. Bilan
et limites de trente ans de régulation, Revue française d’économie, vol. XVII, n°4, pp. 169-212.
- Asawasakulson, A. (2009), Transportation collaboration : partner selection criteria and inter-
organizational system (IOS) design issues fort supporting trust, International Journal of Business and
Information, vol. 4, n°2, pp. 199-220.
- Camman, Ch., Livolsi, L. (2007), Les prestataires de services logistiques dans les relations industrie-
distribution : vers l’émergence d’un véritable acteur, 1ère journée de recherche Relation Industrie et
Grande distribution Alimentaire, Avignon.
- Camman, Ch., Monnet, M., Guieu, G., Livolsi, L. (2013), Les stratégies d’acteurs dans la
mutualisation logistique, Logistique & Management, vol. 21, n°3, pp. 57- 73.
- Cruijssen, F., Cools, M., Dullaert, W. (2007), Horizontal cooperation in logistics : opportunities and
impediments, Transportation Research Part. E, Vol. 43, n°2, pp. 129-142.
- Coase, R. (1937), The Nature of the Firm, Economica.
- Coase, R. (1984), The New Institutional Economics, Journal of Institutional and Theorical Economics,
140, pp. 229-231.
- Colla, E. (2006), Distorted Competition: Below-cost Legislation, “Marges Arrières” and Prices in
French Retailing, The International Review of Retail, Distribution and Consumer Research, vol. 16,
n°3, pp. 353-373.
- Filser, M., Paché, G. (2008), La dynamique des canaux de distribution – Approches théoriques et
ruptures stratégiques, Revue Française de Gestion, n°182, pp. 109-133.
- Filser M., des Garets Véronique, Paché G. (2012), La Distribution organisation et stratégie, EMS, 2ème
édition.
- Fimbel E. (2004). « Nature et enjeux stratégiques de l’externalisation », Revue Française de Gestion,
n°143, Avril, pp. 27-42.
- Frisk, M., Göthe-Lundgren, M., Jörnsten, K., Rönnqvist, M. (2010), Cost Allocation in Collaborative
Forest Transportation, European Journal of Operational Research, vol. 205, n°2, pp. 448-458.
- Fulconis, F., Paché, G., Roveillo, G. (2011), La prestation logistique (origine, enjeux et perspectives),
Editions EMS.
- Ghertman, M. (2004), Stratégie de l’entreprise : Théories et Actions, Economica.
- Gozé-Bardin, I. (2009), les défis de la logistique de distribution à l’horizon 2035, Revue Management
et avenir, vol.4, n°24, pp. 217-236.
- Hertz, S., Alfredsson, M. (2003), Strategic Development of Third Party Logistics Providers, Industrial
Marketing Management, vol. 32, pp. 139-149.
- Hiesse, V., Paché, G. (2010), Logistique mutualisée : une nouvelle architecture organisationnelle dans
les canaux de distribution, Economie et Société, Série Systèmes Agroalimentaires, n°32, pp. 1513-
1533.
- Keininingham, T.L., Cooil, B., Wallin Andreassen, T., Aksoy, L., A longitudinal Examination of Net
Promoter and Firm Revenue Growth (2007), Journal of Marketing, vol. 71, July, pp.39-51.
- Livolsi, L., Camman, Ch. (2012), La mutualisation logistique dans le canal de distribution : une
stratégie de contournement de la loi de Modernisation de l’Economie, Management & Avenir, n°52,
PP. 99-118;
16
- Lièvre P.; Tchernev N. (2004). La logistique entre management et optimisation, Hermès-Lavoisier
- Mével, O.; Morvan, T. (2010). Prestation logistique en produits frais et mesure de la valeur ajoutée
client : le cas des industries agroalimentaires bretonnes, Revue Française de Gestion Industrielle,
vol.29, n°3, pp. 47-74.
- Mével, O., Morvan, T., Morvan, N. (2013), De l’émergence du PSL en tant que nouvelle variable
d’ajustement aux relations industrie-commerce en France : le cas des PSL frais et ultra frais dans les
filières agroalimentaires en Bretagne », Revue Française de Gestion Industrielle, vol. 32, n°3, pp. 65-
91.
- Mével, O., Morvan, T., Morvan N. (2014), L’émergence des PSL est-elle constitutive de la formation
d’un mur logistique au cœur même des relations Industrie-Commerce en France ? le cas des filières
alimentaires fraîches et ultra-fraîches en Bretagne, Management International, vol.18, n°2, pp. 106-
123.
- Morgan, N.A., Rego, L.L. (2006), The value of different customer satisfaction and loyalty metrics in
predicting business, Marketing Science, vol.25, pp. 426-439.
- North, D. (1990), Institutions, Institutional Change, and Economic Performance, Cambridge,
University Press, New-York.
- North, D. (1994), Economic Performance through Time, The American Economic Review, 84-3, pp.
Pan, S., Ballot, E., Fontane, F. (2011), Enjeux environnemental et économique de la mutualisation
logistique pour les PME : le cas de l’alimentaire dans l’ouest de la France, Revue Française de Gestion
industrielle, vol. 30, n°3, pp. 79-100.
- Prakash, A., Deshmukh, S.G., Horizontal collaboration in flexible supply chains: a simulation study,
Journal of Studies on Manufacturing, vol. 1, n°1, pp. 54-58.
- Reichheld, F.F. (2003), The one number you need to grow, Harvard Business Review, vol. 81, n°12,
pp. 46-54.
- Reichheld, F.F. (2006), The ultimate question. Driving goog profits and true growth, Boston.
- Senkel, M-P, Durand, B., Vo Hoa, T. (2013), La mutualisation logistique : entre théories et pratiques,
Logistique & Management, vol.1, n°1, pp. 19-30.
- Simon, H.A. (1955), A Behavioral Model of Rational Choice, The Quarterly Journal of Economics,
vol. 69, N° 1, pp. 99-118, 1955.
- Samii, A.K., (2004), Stratégie Logistique, Dunod, Paris.
- Schmitt, Ph., Meyer, S., Skiera, B. (2012), Etude du lien entre l’intention de recommander une
entreprise et la valeur à vie de ses clients, Recherche et Applications en Marketing, vol. 27, n°4, pp.
121-143.
- Stuckey, J., White, D. (1993), When and When not to Vertically Integrate ? Sloan Management
Review, spring, pp. 71-83.
- Visser, L. (2010), Logistics collaboration decisions: not a fully rational choice, Logistics research, vol.
2, n°3-4, pp. 165-176.
- Williamson, O.E. (1970), Corporate Control and Business Behavior, Englewood Cliffs, N.J., Prentice-
Hall.
- Williamson, O.E. (1975), Market and Hierarchies: Analysis and Antitrust Implications, Free Press.
- Williamson, O.E. (1991), Comparative economic organization: the analysis of discrete structural
alternatives, Administrative Science Quaterly, vol. 36, n°2, pp. 263-296.
- Williamson, O.E. (1996), The Mechanism of Governance, Oxford University Press, New-York.
17