BUSINESS STORY / CULTURE / STYLE / ...

ET MOI
N° 263. SUPPLÉMENT AU N° 23 466 DU QUOTIDIEN « LES ÉCHOS » DES 04 ET 05 JUIN 2021. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT. 5,50 €

RESTAURANTS
RACONTE-MOI L’APRÈS-COVID
Mercredi prochain, les restaurateurs vont enfin accueillir à nouveau
leurs clients en salle. Conscients qu’après sept mois de fermeture
due à la pandémie, les recettes du succès auront changé.

SPÉCIAL VIN
Code Etude ACPM

LES PRIMEURS 2020

TWITCH CHAIS D’ARCHITECTES ENTRETIEN
Un nouveau média MIRACLE AU CHILI Le géopolitique intime
pas comme les autres SURPRISE EN CÔTE-RÔTIE d’une ambassadrice
 SOMMAIRE
8 L’AGENDA DES SORTIES
14 LIRE, ÉCOUTER, VOIR
18 LES MENUS PLAISIRS DE…
Catherine Touvrey, directrice générale
d’Harmonie Mutuelle.
20 EN TROIS MOTS
L’actualité vue par Dominique Seux.
BUSINESS STORY
21 TWITCH, NAISSANCE D’UN NOUVEAU MÉDIA
La plate-forme de streaming, qui fête
ses 10 ans, s’est imposée comme l’outil
privilégié pour s’adresser aux jeunes.
28 LES CARNETS D’AMBASSADE
DE SYLVIE BERMANN
MUGLÜCK POUR LES ECHOS WEEK-END
La diplomate a confié aux Échos Week-End
ses souvenirs d’observatrice privilégiée
à Pékin, Londres puis Moscou.
34 QUAND LES ENTREPRISES
PARTENT EN MISSION
Que signifie vraiment le statut
d’« entreprise à mission » mis en lumière
ROMAIN RICARD/MUN PARIS SOCIETY CAROLE BARRAUD POUR LES ECHOS WEEK-END
par l’affaire Faber chez Danone ?
38 LA VOIX, SALUT DES COMÉDIENS
AU TEMPS DU COVID
Privés de scène, ils se sont souvent tournés
vers le doublage, les podcasts ou les livres
audio, qui connaissent un essor inédit.
CULTURE
41 PHILIPPE SOLLERS, LE SINGULIER PLURIEL
À 84 ans, l’écrivain se confie sans masque
dans Agent secret, son 84e livre. Portrait
d’un électron libre et heureux.
SHUTTERSTOCK
46 LACATON ET VASSAL, ARCHIS MODESTES
Le credo des lauréats du prix Pritzker :
bâtir à petit prix, détruire le moins possible.
04 JUIN 2021
75 L’OBJET ÉTHIQUE
L’étui Seconde Peau du champagne Ruinart.
76 MANUFACTURÉ
Le pull marin Le Minor.
77 LA PIÈCE DE GAUTHIER BORSARELLO
Le trench-coat.
78 ARMÉE DE STYLE
Quand la tenue militaire inspire la mode.
84 CADRANS
Trois montres qui voient la vie en vert.
85 HIGH-TECH
Des écouteurs haute performance.
86 GOÛTS
88 AUTO
La DS9, haut de gamme à la française.
Le rooftop de Mun, à Paris. Un exemple
de restaurant à expérience augmentée.
…ET MOI
STYLE 89 L’APPEL DU TERROIR
Ils ont quitté la ville pour retrouver
leurs racines. Témoignages.
51 EN COUVERTURE :
RESTAURANTS : LES SCÉNARIOS
DE L’APRÈS-COVID 94 DÉLICES D’INITIÉS
Enfin, les restaurateurs vont pouvoir
accueillir à nouveau leurs clients à l’intérieur
de leurs établissements. Mais ils ne le feront
sans doute plus comme avant… Enquête
sur les changements qui s’annoncent.
96 BIEN-ÊTRE
58 LE FABULEUX DESTIN DU PIEDRA SAGRADA Du burn-out à la pâtisserie bien-être.
L’histoire étonnante d’un grand cru chilien
qui s’apprête à débarquer en France. 98 LE CLAP DE FIN DE MARC DUGAIN
62 LES NOUVEAUX CHAIS D’ARCHITECTES
Cinq réalisations aussi belles que technos POUR ALLER PLUS LOIN
dévoilées dans le vignoble bordelais. SUR LESECHOS.FR/WEEKEND
Le podcast sur Twitch, une interview de ZeratoR,
66 LES PRIMEURS 2020 : ●
l’un des streamers les plus populaires, et 5 choses
UN MILLÉSIME QUI A DE L’AVENIR
que vous ne savez pas sur cette plate-forme.
Joyeux, fruité, structuré, il promet !
● Un podcast sur le bilan mitigé de l’opération
Barkhane au Mali.
74 L’ENTREPRENEUR À IMPACT
● Gastronomie : notre dossier spécial Tops 5.
Thomas Lemasle, militant du vin bio
● Un diaporama sur les 10 derniers prix Pritzker.
et des bouteilles consignées.
LE S E CHOS WE E K- E ND – 5
 Cuvée Rosé, choisie par les meilleurs.

Le Taillevent
Paris

*
NE D
O P E
T RE
J U S

MAISON FAMILIALE INDÉPENDANTE

* JUST REOPENED : OUVERT champagnelaurentperrier www.laurent-perrier.com Photographe : Iris Velghe / Illustration : SF Poliakoff

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.

 ÉDITO 04 JUIN 2021

CULTURE
04 JUIN 2021

BUSINESS STORY / CULTURE / STYLE / ... ET MOI

ET MOI…
04 JUIN 2021

PHILIPPE
BUSINESS STORY SOLLERS STYLE
04 JUIN 2021
LE SINGULIER 04 JUIN 2021

PLURIEL Fin mai 2021, les Parisiens

de retour en terrasse,
au Musset, dans le
L'APPEL
Après sept mois DU TERROIR
Par Josyane Savigneau Ier arrondissement.

Par Romane Groleau

Illustrations : Morgane Fadanelli

de fermeture,
les restaurants peuvent

ISTOCK
N° 263. SUPPLÉMENT AU N° 23 466 DU QUOTIDIEN « LES ÉCHOS » DES 04 ET 05 JUIN 2021. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT. 5,50 €

RESTAURANTS

SIMON STACPOOLE/OFFSIDE/PRESSE SPORTS

de nouveau accueillir RESTAURANTS :
RACONTE-MOI L’APRÈS-COVID LES SCÉNARIOS
Mercredi prochain, les restaurateurs vont enfin accueillir à nouveau
leurs clients en salle. Conscients qu’après sept mois de fermeture
leurs clients en SIMON STACPOOLE/OFFSIDE/PRESSE SPORTS
APRÈS-COVID
DE L’APRÈS-COVID
intérieur et rêvent
due à la pandémie, les recettes du succès auront changé. Par Laurent Guez

FRÉDÉRIC STUCIN / PASCO

SPÉCIAL VIN
Code Etude ACPM

LES PRIMEURS 2020
TWITCH CHAIS D’ARCHITECTES
Un nouveau média MIRACLE AU CHILI
de retrouver
ENTRETIEN
Le géopolitique intime
EFE/FELIPE GUERRA /ABACA

pas comme les autres SURPRISE EN CÔTE-RÔTIE d’une ambassadrice

leur activité d’avant…

L E S E C HO S W E E K - EN D – 4 1
BALTEL/SIPA

MANUEL BRAUN POUR LES ECHOS WEEK-END

MEMMLER/EIBNER/EXPA/PRESSE SPORTS

TWITCH L E S E C HO S W E E K - EN D – 8 9

NAISSANCE D’UN NOUVEAU MÉDIA

Par Isabelle Lesniak — Illustrations : Israel Vargas

L E S E C HO S W E E K - EN D – 5 1
L E S E C HO S W E E K - EN D – 2 1

Directeur de la publication, Pour obtenir votre correspondant,

président de la SAS Les Echos : composez le 01 87 39 suivi des quatre
Pierre Louette chiffres entre parenthèses.
Directeur des rédactions : Nicolas Barré Les adresses e-mail se construisent ainsi :
initiale du prénomnom@lesechos.fr

RESTAURATION
RÉDACTION
Directeur : Henri Gibier (7249) Éditrice :
Directeur de création : Marie Van de Voorde-Leclercq
Fabien Laborde (7273) Éditrice adjointe :
Assistante : Maria Lopez-Pissarra (7325) Clémence Callies
Rédacteurs en chef : Directeur de la diffusion et du marketing Restauration, voilà un joli mot de la langue française.
Laura Berny (7166), clients : Etienne Porteaux
Directeur Stratégie & Communication : Celui attribué au métier qui consiste à nous nourrir
Karl De Meyer (7219)
Mariana Reali (7335) Fabrice Février à l’extérieur du foyer, devenu un vrai casse-tête quand
Rédacteur en chef adjoint : PUBLICITÉ la planète entière a dû se confiner face à un virus
Claude Vincent (7361) Les Echos Le Parisien Médias
Chef d’édition : potentiellement mortel. C’est aussi, comme nous le dit
Tél. : 01 87 39 78 00
Anne-Sophie Pellerin (7322) Présidente : Corinne Mrejen le dictionnaire, le mot employé quand on remet en l’état
Directrice artistique : Directeur général :
Cécile Texeraud (7354) une vieille maison ou un monument, quand on tente
Philippe Pignol (8311)
Directrice artistique adjointe : Directrice adjointe du pôle Lifestyle : de redonner vigueur à quelque chose – comme la
Alice Lagarde (7276)
Chef de service photo :
Sophie Chartier (7501) restauration de l’ordre, ou remettre un roi sur son trône.
Directeur du pôle Réseaux, International
Jany Bianco-Mula (7170) et Régions : Nicolas Grivon (7526) Enfin, le terme a une résonance culturelle, englobant
Conseiller éditorial : Daniel Fortin (7240)
Conseillère éditoriale et directrice mode :
Pour obtenir votre correspondant, ces actions destinées à interrompre la destruction d’une
composez le 01 87 39 suivi
Béline Dolat des quatre chiffres entre parenthèses. œuvre, à la consolider, voire à la rétablir dans son aspect
Rédaction : Philippe Chevilley (7192)
(chef de service), Florence Bauchard SERVICE ABONNEMENTS originel. Les enjeux du 9 juin pour nos restaurants, date
(7162), Isabelle Lesniak (7290), Stefano 4, rue de Mouchy, 60438 Noailles Cedex du vrai déconfinement pour un marché pesant dans le
Lupieri (7295) (chefs de rubrique), Du lundi au vendredi de 9 h à 17 h30
Pierre de Gasquet (7215) (grand au 01 70 37 61 36.
monde dix fois plus que ceux du cinéma et de la musique
reporter), Anaïs Moutot (7026) (reporter) serviceclients@lesechos.fr réunis, sont tous résumés dans ces multiples sens donnés
Editrice Web : Cécilia Delporte (7218)
Edition : Véronique Broutard (7183), FABRICATION au terme de restauration. Il va leur falloir relégitimer leur
ILLUSTRATION KIM ROSELIER

Emmanuelle Chabert (7187), Directeur : Jérôme Mancellon (7444) raison d’être, malgré le progrès du télétravail qui rend
Annette Lacour (7275) Responsable fabrication groupe :
Maquette : Christine Liber (7291) Sandrine Lebreton (7442),
moins incontournable la pause déjeuner hors de chez soi,
Service photo : Clémentine Neupont assistée de Jean-Claude Lainé (7129) rebâtir et relancer un modèle que la crise sanitaire a
(7317), Constance Paindavoine (7320) Photogravure : Key Graphic
Infographies : service infographie Impression : Maury SA, Malesherbes
frappé plus qu’à aucune autre époque de son histoire,
des « Echos » Origine du papier : Finlande. inverser le processus de dégradation culturelle menaçant
Documentation : Anne Flateau (7239)
Ont collaboré à ce numéro :
Taux de fibres recyclées : 0 %. Le papier cette pièce essentielle de l’« art de vivre à la française ».
de ce magazine est issu de forêts gérées
Judith Benhamou, Jérôme Berger, durablement. Ptot 0.009kg/tonne Lorsqu’en 2013, la France découvrit qu’on absorbait
EN COUVERTURE : THE KOBAL COLLECTION/AURIMAGES

Philippe Besson, Ludovic Bischoff,

Gauthier Borsarello, Laurence Boccara, Les Echos Week-End est une publication plus de nourriture dans ses fast-foods que celle cuisinée
Sarah Braeck, Béatrice Brasseur, Vicky hebdomadaire du Groupe Les Echos. à domicile, l’émotion fut telle que, depuis lors, chaque
Chahine, Frank Declerck, Anne-Charlotte ISSN 2430-7599. CPPAP 0421 C 83015.
De Langhe, Sabine Delanglade, Dépôt légal : juin 2021 gouvernement a élu le bien manger cause prioritaire.
Christophe Donner, Marc Dugain, Dans son patrimoine mondial de l’humanité, l’Unesco
Christian Eudeline, Astrid Faguer, Romin a par la suite retenu le repas gastronomique comportant
Favre, Alexandre Fillon, Cédric Fréour,
Principal associé : Ufipar (LVMH)
Adrien Gombeaud, Clara Le Fort, Romane
Président-directeur général :
plusieurs plats dans lequel excelle notre grande cuisine.
Groleau, Laurent Guez, Shereen Mahhouk Le classant parmi les biens immatériels, pour préserver
Pierre Louette
(iconographie), Frédéric Martin-Bernard,
Directrice générale Pôle Les Échos :
Alice d’Orgeval, Sylvain Ouchikh,
Bérénice Lajouanie
l’expérience dans son ensemble. La défendre et la
Jean-Francis Pécresse, Martine Robert, réinventer après les ravages du Covid représente un défi
Directeur délégué : Bernard Villeneuve
Raphaël Sachetat, Josyane Savigneau,
Dominique Seux. presque plus culturel qu’économique. Henri Gibier

LE S E CHOS WE E K- E ND – 7
 ESPRIT WEEK-END
04 JUIN 2021

L'AGENDA DES SORTIES

Ci-contre : Ci-dessous :
La Puce à l’oreille, Noémie Goudal,
mise en scène par Southern Light,
Lilo Baur, avec Station VI (2016).
Pauline Clément et Galerie Les Filles
Serge Bagdassarian. du calvaire.

rencontre musicale ou chorégraphique

(ce dimanche, concert « Telemann à Paris »
à 15 h 30) ainsi qu’un atelier jeune public
et une conversation aux jardins. Ajoutons que
l’une des plus belles ailes du monument a été
restaurée et qu’un nouveau service de navettes
gratuites met l’abbaye à moins d’une heure
de trajet de Paris via la gare du Nord.
www.royaumont.com

de taille monumentale, souvent monochromes
FEYDEAU ET MOLIÈRE et brossés à larges coups de pinceaux, rencontre
Comédie-Française, Paris le travail de Matthias Grünewald, le peintre
L’ART DU RECORD
Dans tout Paris
Paris Gallery Week-End bat des records
pour cette édition 2021 qui aligne 127 galeries
participantes ! Jusqu’à dimanche, pas moins de
138 expositions sont à découvrir au fil de sept
parcours. Au programme : des grands noms de
l’art moderne et contemporain, plus de 30 expos

NOÉMIE GOUDAL/ GALERIE LES FILLES DU CALVAIRE

Jour J pour la Comédie-Française qui rouvre
ce samedi la salle Richelieu au public !
À l’affiche, neuf nouvelles productions et
autant de reprises placées sous le signe du
divertissement, a annoncé son administrateur
général Éric Ruf. Le rideau se lève donc,
dans un premier temps, sur du Feydeau (La
Puce à l’oreille jusqu’au 4 juillet) avec Thierry
Hancisse, Alexandre Pavloff et Clotilde de
Bayser, et du Molière (Le Bourgeois
Gentilhomme du 18 juin au 25 juillet) avec
Christian Hecq, Guillaume Gallienne, Françoise
du célèbre Retable d’Issenheim, chef-d’œuvre dédiées à la jeune scène, 54 galeries fondées
des collections du musée Unterlinden. Une par des femmes et une présence importante de
exposition rassemblant plus de 50 tableaux du la photographie. parisgalleryweekend.com
peintre chinois, qui présente une lecture inédite
de l’œuvre de l’artiste dont l’esprit et le travail
coïncident avec les thèmes de la filiation,
du sacré et du sacrifice traités par Grünewald
cinq siècles plus tôt. Jusqu’au 6 septembre.
www.musee-unterlinden.com
ÉCHAPPÉE MUSICALE

BRIGITTE ENGUERAND / DIVERGENCE / COLL. COMÉDIE-FRANÇAISE

Gillard, Sylvia Bergé. www.comedie-francaise.fr
PEI-MING RENCONTRE GRÜNEWALD
Musée Unterlinden, Colmar
Yan Pei-Ming, peintre contemporain
mondialement reconnu pour ses tableaux
Abbaye de Royaumont, Val d’Oise
Après six mois de parenthèse pendant lesquels
musiciens, maçons et charpentiers ont pu
créer et restaurer sur le site de l’abbaye, la
Fondation Royaumont revient avec un nouveau
programme tout public. « Les dimanches à
Royaumont » propose chaque week-end une

DU 6 AU
11 JUILLET IL EST TEMPS DE RÉSERVER BAROQUE À CIEL OUVERT
La première édition du festival « À ciel ouvert » se tiendra au château du Champ de bataille, en Normandie, du 6 au 11 juillet. Au menu,
seize concerts de musique baroque, autour des compositeurs Lully et Moulinié, avec une cinquantaine d’artistes sur huit scènes réparties
dans les splendides jardins de cette propriété du décorateur Jacques Garcia. Parmi les invités, les sopranos Ana Quintans et Claire Lefilliâtre,
le ténor Cyril Auvity, la contralto Anthea Pichanick, le claveciniste Justin Taylor, la harpiste Sara Agueda... www.festivalacielouvert.fr

8 – L E S E CHOS WE E K- E ND
ESPRIT WEEK-END

Portrait de Laure Prouvost avec masque.
LAURE PROUVOST SUR SES TERRES
LaM, Villeneuve-d’Ascq
BONNES NOTES
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
Fondée en 2013 à l’initiative des Bouffes du Nord,
La Belle Saison, espace de création dédié à la
musique de chambre, n’a jamais aussi bien porté
son nom. Jusqu’en juillet, sa programmation
prolifique devrait réjouir les amateurs. On
commence ce dimanche par Beethoven et une
partie de violon, violoncelle et piano menée par
David Grimal, Anne Gastinel et Philippe Cassard.
On retient aussi le concert « Juke Box » à écouter
en famille le 24 juin à Coulommiers et le duo
d’Adèle Charvet et de Florian Caroubi le 4 juillet
à Chambord. la-belle-saison.com
MUSÉE CAPITAL
Musée Carnavalet, Paris
Après plus de quatre ans de travaux, le plus
ancien musée de la Ville de Paris consacré à
l’histoire parisienne rouvre ses portes, embelli,
plus accessible et toujours gratuit. Ses
collections (sculptures, peintures, mobilier,
boiseries, arts décoratifs, estampes, affiches,
monnaies) profitent aussi d’un parcours
muséographique repensé, grâce notamment
à l’ajout, par petites touches, d’éléments
contemporains. Au grand bonheur du visiteur
à qui l’on conseille de prendre sa journée avant
FAUTES DE GOÛT
Chaque semaine, l’écrivain
Philippe Besson égratigne
ces célébrités qui ont perdu
le sens des limites.
Parce que sa chanson accompagnait
la présentation de l’équipe de France
retenue pour l’Euro, le rappeur
Youssoupha a mis en ébullition la
fachosphère. Signe indéniable que le
choix était judicieux. Et puis Noël Le
Graët est arrivé. N’écoutant que sa
lâcheté, il a répudié le titre. Venant
d’un homme qui considère qu’il n’y a
pas lieu d’arrêter les matchs quand
sont entonnés des chants homophobes,
attendait-on autre chose? Les minables

ILLUSTRATIONS PORTRAIT : KIM ROSELIER POUR LES ÉCHOS WEEK-END

Première artiste française lauréate du Turner
Prize, Laure Prouvost revient sur sa terre natale
et signe sa première exposition au LaM, en
revisitant Deep See Blue Surrounding You,
l’installation immersive qu’elle avait imaginé
pour le Pavillon français de la Biennale de
Venise 2019. Une nouvelle vie pour cette œuvre
qui dialogue avec la collection d’art brut du
musée. Jusqu’au 3 octobre. www.musee-lam.fr
LES FLANDRIN, FRÈRES ARTISTES
Musée des Beaux-Arts, Lyon
Hippolyte, Paul et Auguste Flandrin comptent
parmi les artistes les plus importants de la
scène artistique lyonnaise au XIXe siècle. Des
trois frères, Hippolyte est le plus célèbre : élève
d’y mettre un pied ! www.carnavalet.paris.fr
restent toujours des minables.
On ne sait plus quoi dire au sujet
de la dérive de Jean-Marie Bigard,
dont le complotisme effréné le
dispute à la violence la plus vulgaire.
Sinon que rapidement, il devrait avoir
surpassé Dieudonné dans l’ignominie.
Remarquable performance.
Laeticia Hallyday a réagi à un
documentaire qui ne lui était guère
favorable et, quoi qu’on pense d’elle,
sa réponse fait mouche : « On
n’empêchera jamais les imbéciles de
se faire des idées. C’est d’ailleurs la
seule manière pour eux d’en avoir. »
Kim Kardashian a échoué au premier
examen pour le barreau de Californie.

DR
préféré d’Ingres, il se distingue comme peintre Son rêve de devenir avocate s’éloigne.

CYRILLE WEINER
d’histoire et est l’un des portraitistes les plus Les tribunaux, eux, respirent : ils ne
recherchés de son temps. Le paysage est le sont pas équipés en tapis rouge et ne
domaine de prédilection de son frère cadet, disposent pas de salles de bains en or.
Paul. Le plus âgé, Auguste, demeure le moins Le prince Harry poursuit le grand

GENE PITTMAN/COURTESY WALKER ART CENTER, MINNEAPOLIS

connu, en raison d’un décès prématuré. On déballage : « Ma famille a toujours
découvre l’héritage de cette fratrie d’artistes Les fresques de l’escalier de Luynes, répondu à mes problèmes par le
jusqu’au 5 septembre. www.mba-lyon.fr au musée Carnavalet. silence ou la négligence. » Devant
ces révélations, son frère, le futur
roi William, « enrage ». En voilà un
au moins qui sait défendre la firme.
LE LIEU LA MINI-BOUTIQUE DES PRAIRIES DE PARIS Nabilla va se marier avec Thomas
La créatrice des Prairies de Paris, Laetitia Ivanez, invite à une pause devant Vergara… pour la troisième fois !
les portes du jardin du Luxembourg, avec sa nouvelle galerie-boutique aussi Une cérémonie – le 6 juillet au château
riquiqui que généreuse où l’on peut découvrir une sélection de vinyles rares de Chantilly – dans le seul but de
et sélectifs (proposée par Station Records : Nino Rota, Michel Legrand, tourner une émission de téléréalité…
Léo Ferré…), du mobilier chiné (chaise en rotin 70’s, table de jeux, tapis iranien, Et donc de gagner encore plus
desserte à roulettes) et les gouaches joyeuses de l’artiste Adrien Pelletier, d’argent. Quand on aime, on compte.
l’invité de la saison. www.lesprairiesdeparis.com

10 – LE S E CHOS WE E K- E ND
Précisiologie
par WMF
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Redécouvrez chaque jour le plaisir incomparable de couper, émincer, ciseler…
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haute précision “Performance Cut”, les couteaux WMF, fabriqués en
Allemagne, offrent un tranchant exceptionnel et durable.

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ESPRIT WEEK-END
PIONNIÈRES DE LA POP
Mamac, Nice
À l’occasion des 30 ans du musée d’Art moderne
et d’Art contemporain de Nice, l’exposition
« She-Bam Pow POP Wizz ! Les Amazones
du Pop » met en scène ces artistes qui, dans
le sillage de Niki de Saint Phalle, ouvrirent
la voie vers un univers artistique alternatif dans
les années 1960. On découvre les peintures
colorées d’artistes comme Evelyne Axell, Angela
Garcia, Dorothy Iannone, Martha Rosler,
Christa Dichgans ou Kiki Kogelnik. Des artistes
pas forcément très connues dont le travail
a pourtant influencé une grande partie
de la scène artistique de la fin du XXe siècle.
Jusqu’au 29 août. www.mamac-nice.org
EFFUSION D’ÉCHANGES
Centre Pompidou, Paris
Rattraper le temps perdu et gommer la distance
grâce aux dialogues : c’est la proposition
séduisante du Centre Pompidou qui accueille
ce week-end le premier « Parlement des liens ».
Pendant trois jours, 43 conversations inédites,
au croisement des disciplines, sont
proposées. Avec des scientifiques,
économistes, juristes, anthropologues,
écrivains et médecins, parmi les plus
émérites de la scène intellectuelle française.
www.centrepompidou.fr
HORIZON NOUVEAU
Rue d’Uzès, Paris
À partir de samedi et jusqu’au 27 juin, nouvelle
exposition d’art contemporain à l’agence
d’architecture Franklin Azzi (Pavillon français
de l’expo universelle de Dubaï, nouvel Hôtel-
Dieu, et bientôt métamorphose de la tour
Montparnasse), dans le IIe arrondissement.
Nina Childress, Immeuble danois (2017).
ET AILLEURS DAMIEN HIRST, ARCHÉOLOGUE À ROME
Parmi les 80 œuvres de l’artiste britannique présentées jusqu’en novembre à la somptueuse
Galleria Borghese de Rome, la délirante et colossale sculpture représentant l’hydre de Lerne
combattant la déesse Kali. Un avant-goût de la prochaine expo Hirst de la Fondation Cartier,
à Paris. « Archaeology Now », jusqu’au 7 novembre. www.galleriaborghese.beniculturali.it
Présentant 24 œuvres dont une dizaine
d’artistes de la scène française telles Eva Jospin
et Nina Childress, « Horizons » propose une
réflexion sur la perte des utopies et le devenir
de l’homme. www.franklinazzi.fr
BIEN S’ASSEOIR À LA VILLA SAVOYE
Poissy, Yvelines
Pas mieux que l’emblématique bâtiment de
Le Corbusier, classé au patrimoine mondial
de l’Unesco, pour présenter une
vingtaine de sièges stars issus des
collections du Mobilier national.
Des rééditions mythiques (Le
Corbusier et Charlotte Perriand),
des poufs (Roger Tallon, ci-contre),
des sièges pliants (Peter Toby
Schummer), une chaise longue de
Pierre Paulin… Dans les autres pièces,
l’expo retrace l’histoire du siège depuis les
assises basses des années 1960 jusqu’aux
fauteuils en fibre de lin ou de carbone des
années 2010 (Noé Duchaufour-Lawrance).
Le visiteur peut prolonger la balade à
la Maison de Fer de Poissy, à quelques minutes,
qui présente une expo sur le design de métal,
toujours en collaboration avec le Mobilier
national. www.villa-savoye.fr
GILLES BARBIER, COPISTE STAKHANOVISTE
HAB Galerie, Nantes
La HAB Galerie présente une fascinante
exposition du travail obsessionnel de Gilles
Barbier qui s’astreint à recopier les pages du
Petit Larousse illustré (version de 1966) depuis…
trente ans ! L’artiste reproduit texte et images
à l’encre et à la gouache sur de grands formats
demandant chacun jusqu’à 400 heures de
travail. Pour la première fois, 24 de ces « pages
géantes » sont réunies, recensant tous les mots
de la langue française de A à P. Une réflexion
sur le savoir encyclopédique et un objet, le
12 – LE S E CHOS WE E K- E ND
Niki de Saint Phalle
en session de tir
sur les collines
de Malibu, en 1962.
dictionnaire, qui tend à devenir une relique
à l’ère du numérique. En prime, sculptures et
d’installations qui interrogent sur le langage.
Jusqu’au 26 septembre. www.levoyageanantes.fr
Ludovic Bischoff et Alice d’Orgeval
ISABELLE BIDEAU/ROGER TALLON 1968/ MOBILIER NATIONAL-ARC
LES ADRESSES DE MONOCLE
Les spots du magazine
trendy et international
DES ÉLOGES
Slow-food à Barcelone
Dans les collines d’El Coll, à Barcelone,
l’Agreste de Fabio & Roser sert une cuisine
slow-food dans une ancienne gare
routière décontractée de 1925. Il faut
goûter les menus du chef italien Fabio
NINA CHILDRESS/COURTESY GALERIE BERNARD JORDAN, PARIS
Gambirasi pour y croire.
agreste.cat
CHANGER DE VOIE
Hôtel à Helsinki
Le designer Jaakko Puro a transformé
une grande partie de la gare ferroviaire
d’Helsinki conçue par Eliel Saarinen en
1909 en un hôtel élégant de 491 chambres.
Le Scenic Grand Central Hotel est plus
qu’une simple halte.
scandichotels.com
ÉCHAPPÉE BELLE
Lodge au Mozambique
WILLIAM CLAXTON / COURTESY DEMONT PHOTO MANAGEMENT
Au nord de la ville côtière de Vilankulo,
au Mozambique, Sussurro est un lodge
de six bungalows qui célèbre l’artisanat
et le design locaux. Le summum :
les vues sur le lagon couvert de mangrove
et les couchers de soleil magiques qui
strient le ciel.
sussurro.co
Le magazine «Monocle» s’appuie sur
un réseau de correspondants qui s’étend
sur trois continents et 35 villes.
Abonnez-vous sur monocle.com/subscribe
Clara et son smartphone,
c’est une histoire qui dure.
Ensemble, faisons durer
nos smartphones plus longtemps.
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longtemps dans les bons moments ? Avec les
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ESPRIT WEEK-END

LIRE, ÉCOUTER, VOIR

À LIRE
« Canoës », Maylis de Kerangal
Verticales / Gallimard,
170 p., 16,50 euros.
L’auteure de Naissance d’un pont
et de Réparer les vivants signe
un recueil de huit récits en forme
de roman éclaté, explorant les tours
et détours des voix humaines. Une
jolie petite cantate, dominée par
la longue nouvelle « Mustang »,
qui nous plonge dans le quotidien
mélancolique et fascinant d’une
petite ville du Colorado. Ph. C.

« Des diables et des saints »,

Jean-Baptiste Andrea
L’Iconoclaste, 364 p., 19 euros.
Couronné par les prix RTL-Lire
et Ouest France-Étonnants
Voyageurs, le troisième roman
de Jean-Baptiste Andrea raconte
la belle histoire de Joe le pianiste
qui ne joue que du Beethoven
dans les gares et les aéroports.
Sa passion pour le compositeur
remonte à son enfance – une
enfance d’orphelin sauvé par la
musique et un premier amour… A. F.
« La Maîtresse du peintre »,
Simone van der Vlugt
Traduit par Guillaume Deneufbourg,
10-18, 308 p., 7,80 euros.
Simone Van der Vlugt réhabilite
la figure de Geertje Dircx,
la nourrice du fils de Rembrandt
qui fut longtemps la maîtresse du
peintre, avant d’être rejetée, puis
emprisonnée pour une vague affaire
d’escroquerie. La Néerlandaise,
auteure de Bleu de Delft, signe
un roman historique féministe, qui
dévoile la face sombre du maître
hollandais. Ph. C.
À ÉCOUTER
« Seeking New Gods », Gruff Rhys
Album Rough Trade
L’ex-leader du groupe gallois Super
Furry Animals s’est affirmé depuis
quinze ans comme un orfèvre pop.
UN GRAND BAIN D'AMAZONIE
LE COUP DE FOUDRE À l’entrée de
l’exposition « Amazônia », une carte murale
du Brésil nous propose une géographie
des lieux. Et surtout, nous renseigne sur
le grignotage incessant de l’homme sur la
nature. La forêt a perdu 18% de son territoire
ces trente dernières années. Les zones
inondables et inconstructibles sont
précisées, comme les territoires visés par
le président Jair Bolsonaro, ceux que les
populations locales habitent depuis toujours.
Les seuls encore vierges de toute exploitation.
Cela nous permet de comprendre que cette
exposition qui se tient à la Philharmonie
de Paris n’est pas seulement un plaisir
des sens, mais une réflexion sur le devenir
du poumon de la planète.
Brésilien, Sebastião Salgado, photographe
humaniste, était sans aucun doute la
meilleure personne pour documenter
cette partie du monde. Ses immenses clichés
en noir et blanc se conjuguent bien avec
Le Rio Jaú,
dans l’État d’Amazonas,
au Brésil (2019), vu
par Sebastião Salgado.
au cœur de la forêt même. Il faut imaginer
une gigantesque salle avec des photographies
à perte de vue – une véritable féerie.
L’habillage musical de Jean-Michel Jarre
s’avère aussi étrange que fascinant.
L’immersion est totale. Les bruits de la forêt
nous transportent. Pas de leitmotiv
mélodique, la bande-son mêle les bruits
de la nature, la pluie et les oiseaux, le vent…
Quelques voix humaines, échanges étranges,
lointains et légèrement inquiétants, nous
interpellent. Voyage vers une terre inconnue,
sollicitation totale des sens… il ne faut pas
bien longtemps pour ressentir comme
une sensation d’étouffement. L’immensité
de la nature donne le vertige.
Heureusement, on tombera, au hasard de
la visite, sur l’une des petites salles réservées
aux tribus (Suruwaha, Korubo, Marubo,
Yanomami…). Des invitations à découvrir
le visage et le corps d’hommes et de femmes
immergés dans cette nature. Les portraits
SEBASTIÃO SALGADO

l’immensité de la forêt. Ce projet est le sont magnifiques, saisissant de pureté,

« Seeking New Gods », son
septième album solo, ne déroge
pas à la règle. Un feu d’artifice
musical qui convoque aussi bien
les Beatles que les Beach Boys
résultat de six années de travail, de 2013
à 2019. On ne s’improvise pas reporter dans
la forêt amazonienne, c’est elle qui vous
invite. La scénographie, réalisée par Lélia
Salgado, l’épouse de Sebastião, nous plonge
d’innocence, de bonne humeur et de fierté.
On serait bien resté à les contempler
quelques jours de plus. Christian Eudeline
« Salgado Amazônia »,
à la Philharmonie de Paris, jusqu’au 31 octobre.
DR

14 – LE S E CHOS WE E K- E ND
DÉCOUVREZ LES SHORTS PARFAITS
Avec les Originaux, MR MARVIS a créé une
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exclusivement en ligne
ESPRIT WEEK-END
dans ses morceaux supersoniques.
Refrains ravageurs, rythmique
hypnotique, orchestrations
majestueuses… Un très grand
album de pop moderne. Ph. C.
« Hella Love », Marinero
Album Hardly Hart/Sub Pop
Jess Sylvester, alias Marinero,
célèbre sa ville, San Francisco,
et ses origines latines (sa mère
est américano-mexicaine)
dans ce « Hella Love » gracieux et
hypersolaire. Le songwriter surdoué
mêle à ses mélodies pop des
accents latinos de bossa et de
samba, le tout orchestré à la façon
d’une BO de film des années 1970.
Un hymne à l’amour lumineux qui
dissipe toutes les brumes de Frisco
et réchauffe le cœur. Ph. C.
« Standing in the Doorway »,
Chrissie Hynde sings Bob Dylan
Album BMG
La chanteuse des Pretenders fête
les 80 ans de Bob Dylan en neuf
morceaux choisis. Aucun véritable
« hit » dans sa sélection (à part
peut-être You’re a Big Girl Now
et Love Minus Zero / No Limit)
et très peu de chansons des
débuts. Chrissie Hynde reprend
notamment des extraits de « Shot
of Love », « Infidels », « Time Out
of Mind » en mode électrique
dépouillé. Un hommage sobre
et élégant, magnifié par le vibrato
craquant de la rockeuse. Ph. C.
À VOIR
« Fanny et Alexandre »
à la Comédie-Française
Le 4 juin sur France 5, à 21 h 05.
Julie Deliquet, désormais à la tête
du TGP de Saint-Denis, est une
étoile montante de la mise en scène.
Après un Vania d’anthologie, elle a
adapté avec brio pour la Comédie-
Française en 2019 le film d’Ingmar
Bergman Fanny et Alexandre. La
captation de cette vibrante ode au
théâtre sera suivie à 23 h 15 de la
diffusion des Fables de La Fontaine,
autre spectacle culte du Français,
créé en 2004 par Bob Wilson. Ph. C.
« L’Orfeo » à l’Opéra-Comique
Le 10 juin sur Mezzo, à 20 h.
L’Opéra-Comique offre une
réouverture de gala avec cette
production nouvelle de L’Orfeo
de Monteverdi. À la baguette, Jordi
Savall dirigeant son Concert des
Nations. Et à la mise en scène,
la jeune Pauline Bayle, qui a marqué
les esprits au théâtre avec ses
adaptations ultrasensibles
d’Homère et de Balzac. La chaîne
Mezzo retransmet ce bijou lyrique
sélectionné dans nos six
incontournables du déconfinement
(Les Échos Week-End du 21 mai).
Ph. C.
L’affaire Skripal,
l’espion empoisonné
Le 10 juin sur Arte, à 20 h 55.
Il y a trois ans, la petite ville de
Salisbury, en Angleterre, a connu
une crise sans précédent. Un espion
d’origine russe est victime avec sa
fille d’un étrange empoisonnement.
Il s’avère qu’ils ont été les cibles
d’une attaque au Novitchok, un
neurotoxique ultrapuissant utilisé
encore l’an dernier contre Alexei
Navalny. Les enquêteurs se
démènent pour trouver l’origine de
la contamination alors que l’affaire
vire à la crise diplomatique entre
Londres et Moscou. Une série
passionnante en quatre parties
avec des acteurs au top. L. B.
Fanny et Alexandre, avec Thierry Hancisse,
Elsa Lepoivre, Rebecca Marder et Jean Chevalier.
16 – L E S E CHOS WE E K- E ND
SALLES OBSCURES
Adrien Gombeaud a retenu
cette semaine deux films
français au casting en or.
Nos salles déconfinées voient défiler
une belle parade de comédiens français.
Dans Villa Caprice, Gilles Fontaine (Patrick
Bruel), homme d’affaires milliardaire,
est accusé d’avoir acquis une superbe
propriété sur la Côte d’Azur en versant
des pots-de-vin. Pour le défendre, il
STEFAN BRION
engage Maître Germon (Niels Arestrup),
ténor redouté du barreau. Villa Caprice
est de ces films conçus comme des arènes.
LENYSTORA/JPGFILMS/BACFILMS
ILLUSTRATION : KIM ROSELIER POUR LES ÉCHOS WEEK-END
De sa tribune, Bernard Stora filme deux
grands fauves qui se flairent, s’attirent,
s’affrontent et s’entretuent à coups
de regards et dialogues tranchants. Trop
séduisant pour être honnête, Patrick
Bruel met certainement à profit ses
talents de joueur de poker. Face à lui,
Niels Arestrup déploie l’alliage troublant
de violence et de fragilité qui fait
ses grandes compositions. Autour des
prédateurs solitaires, naviguent en eaux
troubles quelques solides seconds rôles
BRIGITTE ENGUERAND / DIVERGENCE / FRANCE 5
campés par Michel Bouquet, Irène Jacob
ou Laurent Stocker.
Des hommes de Lucas Belvaux s’ouvre
par une scène de banquet. Parmi les hôtes
et invités se détachent des visages
familiers. Catherine Frot, Jean-Pierre
Darroussin et enfin Gérard Depardieu. Le
film va basculer quarante ans en arrière,
dans les souvenirs cruels de la guerre
d’Algérie. Il reviendra aux trois acteurs
de porter dans leur corps les cicatrices
JAMES PARDON 2019
d’un conflit qui marque encore le pays. Et
la voix de Darroussin d’égrener les pages
du roman de Laurent Mauvignier, en
soulevant dans un souffle fatigué le poids
d’un XXe siècle qui refuse de disparaître.
DR
 PAR I S G RE N IE R SA IN T-L A ZARE

Prolongation jusqu’au 3 juillet 2021

GÉRARD GAROUSTE
Correspondances
Gérard Garouste • Marc-Alain Ouaknin
Alt-Neu-Shul sur le Pont-Neuf, détail, 2020, huile sur toile, 160 x 220 cm

28 RUE DU GRENIER SAINT-LAZARE 75003 PARIS | +33 (0)1 85 76 55 55

info@templon.com | www.templon.com
ESPRIT WEEK-END
Quelles satisfactions trouve-t-on à travailler
dans un univers comme le mutualisme ?
J’y suis venue par hasard. Étudiante dans une
école de commerce, j’avais plusieurs offres
d’emploi, notamment chez Rhône-Poulenc à
l’époque. Le mutualisme, c’était plutôt un ovni
pour moi. Mais en fait, parce que diriger une
mutuelle c’est s’astreindre à un dialogue constant
entre l’entreprise et les représentants des clients,
le métier est tout sauf austère. La dimension
humaine l’emporte sur le financier, on parle de la
vraie vie, de la santé des gens, quelles plus
grandes satisfactions trouver dans son travail ?
Vous auriez pu être sportive de haut niveau,
cela n’y ajoute-t-il pas le plaisir et l’adrénaline
de la compétition ?
Je discute encore beaucoup avec ces sportifs de
haut niveau. En fait, je considère qu’il y a une
certaine correspondance entre le coach sportif et
LES MENUS PLAISIRS DE…
CATHERINE
TOUVREY
Directrice générale d’Harmonie
Mutuelle, la première mutuelle
de France couvrant près
de 5 millions de Français, cette
ancienne joueuse de hand-ball
de haut niveau puise ses leçons
de management dans le sport,
la littérature et la nature.
18 – L E S E CHOS WE E K- E ND
mon métier : il s’agit de créer les conditions pour
atteindre le potentiel maximal d’une équipe en
conjuguant au mieux le collectif et l’individuel.
Où vous êtes-vous le plus épanouie comme
sportive ?
J’ai fait de l’athlétisme, je cours encore beaucoup,
je skie, et nage pas mal, mais j’ai surtout pratiqué
le hand-ball où j’ai joué en Nationale. J’ai arrêté
la compétition, mais le sport reste important à
mes yeux pour l’équilibre d’un dirigeant. Il y a
une dimension collective forte, et on y découvre
mieux qu’ailleurs le rôle clé du mental.
Hors travail, quelle autre activité vous est
indispensable ?
La littérature tient une énorme place dans ma
vie. C’est elle qui m’a apporté mes premières
leçons de management, plus précisément Victor
Hugo qui, depuis toujours, me fascine. Il avait
rédigé une sorte de programme présidentiel où il
y dénonce la peine de mort. J’en ai retenu, ce qui
me sert encore là où je suis, qu’on ne peut refuser
à personne le droit d’essayer de s’améliorer. Cette
passion des lettres, je l’ai éprouvée chez mes
parents, qui avaient une belle bibliothèque avec
de magnifiques livres en cuir. Tout Shakespeare,
ça en fait des heures de lecture !
Quel est le dernier écrivain qui vous a le plus
marquée ?
Sans aucun doute l’Iranienne Chahdortt
Djavann, qui a écrit Je viens d’ailleurs.
Y a-t-il des moments privilégiés que vous
réservez plutôt à la famille ?
C’est très lié à la nature. Mon mari et moi nous
avons eu des grands-parents paysans. Nous
aimons nous réunir avec nos trois garçons dans
notre vieille maison du Jura. Je crois qu’il y a une
âme dans ces vieilles demeures. La nôtre est un
bon point d’observation de la nature, un ami
entomologiste m’a appris à être à son écoute.
En ce moment, nous mettons dans sa forme
définitive la raison d’être d’Harmonie Mutuelle,
qui doit devenir entreprise à mission en juillet,
et un des points qui y sera introduit sera
justement la santé environnementale.
ET LÀ MAINTENANT QU’EST-CE QUI VOUS FERAIT
LE PLUS PLAISIR ?
Qu’on cesse enfin d’opposer les contraintes de
l’économie avec le rôle sociétal de l’entreprise.
C’est pour cela que nous travaillons depuis plus
d’un an avec mon président sur le rendez-vous de
juillet prochain, l’AG qui nous donnera qualité
d’entreprise mutualiste à mission.
Propos recueillis par Henri Gibier
Photographe : Dorian Prost
ESPRIT WEEK-END
Trois instantanés retenus par notre
chroniqueur Dominique Seux dans l’actualité
1 2
INÉGALITÉS
UNE ÉTUDE DE L’INSEE qui n’a pas reçu
l’écho qu’elle méritait vient de révéler
que la redistribution entre les riches et
les pauvres est en France deux fois plus
importante qu’on le croyait. Oui, deux
fois. Dans un pays persuadé que la vie
sous Zola était un paradis par rapport
à aujourd’hui, cela mérite d’être signalé.
Pour évaluer la réalité des écarts
de revenus dans la « vraie vie », les
chercheurs sont allés au-delà des seuls
transferts monétaires, impôts d’un côté,
prestations sociales de l’autre. Ils ont
regardé qui bénéficie des transferts
sociaux « en nature » (santé, éducation)
et des services publics collectifs (police,
justice, etc.). Juste deux exemples :
davantage malades, les moins aisés
reçoivent davantage de soins ; la gratuité
de l’éducation les aide relativement plus,
puisqu’ils y auraient moins accès que les
autres si elle ne l’était pas. Résultat ?
Avant toute redistribution, les revenus
des 10% les plus riches sont treize fois
plus élevés que ceux des 10% les plus
pauvres. Selon les calculs habituels, ce
ratio chute à sept fois. Eh bien, avec la
définition élargie, le ratio n’est plus que
de trois fois. À gauche, on y verra une
raison de plus pour défendre des
services publics puissants, à droite qu’il
faut arrêter de crier à l’injustice matin,
midi et soir. Mais cette découverte est
en tout cas déjà savoureuse.
EN TROIS MOTS
économique de la semaine.
TRAIN
LE PATRON DE LA BRANCHE
VOYAGEURS, Christophe Fanichet,
a présenté mardi une réforme
de la grille tarifaire de la SNCF qui
vient de loin. C’est au début des années
1980 que l’entreprise s’est inspirée
du transport aérien, pour moduler ses
prix en fonction du délai de réservation
et des taux de remplissage. C’est un
certain… Jean-Pierre Farandou,
aujourd’hui PDG du groupe ferroviaire
mais alors jeune ingénieur des Mines,
qui était allé expliquer à son lointain
prédécesseur Jacques Fournier les
avantages de ce qu’il avait appelé une
tarification Robin des bois : faire payer
aux riches des billets à 400 francs pour
financer les billets à 100 francs des
moins aisés. À l’époque, le « yield
management » était encore modeste,
mais il est depuis devenu tellement
sophistiqué qu’il est largement
incompris aujourd’hui. La direction de
la SNCF s’est aussi rendu compte que
les leaders d’opinion, notamment des
médias, réservent leurs billets au
dernier moment, et ne connaissent pas
les prix Ouigo. Ils sont du coup les
premiers à véhiculer l’idée que le TGV
est hors de prix ! C’est cette image que
le groupe veut casser, sans revenir au
tarif kilométrique d’antan…
20 – LE S E CHOS WE E K- E ND
3
DONATIONS
POURQUOI LE GOUVERNEMENT
A-T-IL RENONCÉ à mettre en place
l’incitation aux donations entre
générations dont il avait parlé
cet hiver, pour débloquer l’épargne
WALT DISNEY PRODUCTIONS/PRISMA/COLLECTION CHRISTOPHEL
faramineuse accumulée depuis
un an ? Envisagé par Bruno Le Maire,
le dispositif ne figure pas dans
le projet de loi de finances rectificative
(le collectif budgétaire, en langage
d’initié) adopté en conseil des
ministres ce mercredi. La raison
invoquée est que c’est inutile, avec
une activité qui repart sur les
chapeaux de roues. C’est la vérité,
mais ce n’est pas toute la vérité.
Politiquement, une telle mesure aurait
constitué, j’ose l’expression triviale,
une machine à prendre des baffes :
les oppositions auraient dénoncé un
SHUTTERSTOCK
cadeau aux riches. Ce n’est pas tout.
Techniquement, Bercy avait transmis
à Matignon un mécanisme facilitant
les donations des grands-parents et
ILLUSTRATIONS PORTRAIT : KIM ROSELIER POUR LES ÉCHOS WEEK-END
parents aux seuls jeunes de moins de
30 ans. Malin. Problème : la mesure
aurait créé une inégalité illégale dans
les familles avec des enfants de moins
et d’autres de plus de 30 ans… Out !
 MEMMLER/EIBNER/EXPA/PRESSE SPORTS BALTEL/SIPA EFE/FELIPE GUERRA/ABACA SIMON STACPOOLE/OFFSIDE/PRESSE SPORTS SIMON STACPOOLE/OFFSIDE/PRESSE SPORTS ISTOCK

04 JUIN 2021

TWITCH

LE S E CHOS WE E K- E ND – 2 1
BUSINESS STORY

Par Isabelle Lesniak — Illustrations : Israel Vargas

NAISSANCE D’UN NOUVEAU MÉDIA
BUSINESS STORY

La plate-forme reine du a dernière fois que j’ai donné autant d’interviews

presse, télé et radio, c’est quand je suis arrivé

ERIK PENDZICH/SHUTTERSTOCK/SIPA
streaming en direct souffle
à Questions pour un champion en 2016 »,
sa dixième bougie le 6 juin. s’amuse Samuel Étienne devant notre requête
Ces dernières années, d’entretien. Sans abandonner les médias
la filiale d’Amazon s’est traditionnels, le journaliste de France
Télévisions s’est, à tout juste 50 ans, offert
largement diversifiée
une véritable cure de jouvence, ces derniers
au-delà du jeu vidéo pour mois, en lançant sa chaîne sur Twitch.
aborder des catégories De décembre à avril, à peine en avait-il terminé
très larges : talk-shows, avec la Matinale de France Info – de fort bon

NICOLAS MESSYASZ/SIPA
matin – qu’il rempilait, du lundi au vendredi,
musique, sport… Au point
avec une revue de presse XXL sur la plate-forme
de devenir la coqueluche phare du moment. Il a, depuis, fait
de toutes les personnalités une pause, sérieusement menacé
publiques désireuses par le burn-out. « Je ne suis pas Terminator »,
s’est-il justifié devant son public de fans…
de toucher une audience
ANTHONY DIBON/ICON SPORT/ABACA

Pour ce passionné d’info,

jeune et rétive aux médias #LaMatinéeEstTienne est l’occasion
traditionnels. de partager et de commenter, avec humour
et décontraction, des articles de la presse
nationale et quotidienne à destination d’une
audience qu’il a identifiée comme « âgée à 87%
de 18 à 35 ans », a priori moins portée sur la
lecture des journaux. Avec sa gouaille et son
aisance naturelles, le journaliste aux 395 000
ISTOCK

followers désacralise la découverte de titres

2 2 – LE S E CHOS WE E K- E ND

Musique, sport, politique, société : Twitch, c’est bien plus que du jeu vidéo. On y retrouve des personnalités comme Thomas Pesquet,
Alexandria Ocasio-Cortez, Gaël Monfils…
réputés trop sérieux pour être agréables, remet
chaque organe dans son contexte, insiste sur
SHUTTERSTOCK
l’identification et la pluralité des sources.
« Totalement addictif », s’exclame-t-il. « Les forces
de Twitch, ce sont les véritables parties de
ping-pong entre le diffuseur et le spectateur via
le chat, la liberté totale donnée à chaque créateur
JENS MOMMENS/SHUTTERSTOCK
pour imaginer son cadre et la longueur des
échanges que rien ne contraint a priori, résume
Samuel Étienne. En radio ou en télé, une revue de
presse dure entre trois et six minutes. Sur Twitch,
je peux streamer pendant trois heures si je veux.
J’ai essayé de me limiter à une heure trente mais
c’était insatisfaisant. La durée moyenne qui s’est
imposée à moi tourne autour de deux heures. »
OMAR VEGA/AP/SIPA
PAS DE PLACE POUR LA LANGUE DE BOIS
Comme si cela ne suffisait pas à ce boulimique
de travail, il convie aussi des invités de prestige
à son domicile, certains soirs, pour des
PIERRE LAHALLE/PRESSE SPORTS
entretiens très commentés, bien au-delà de sa
« commu » (communauté) traditionnelle. De
François Hollande à Jean Castex, en passant par
Julien Bayou, secrétaire national d’Europe
Écologie Les Verts, des politiques se sont essayés
à l’exercice, ainsi que des artistes (Grand Corps
Malade, le rappeur Zed Yun Pavarotti). Avec plus
ou moins de bonheur pour les débutants, qui ne
maîtrisaient ni les codes ni le langage de Twitch.
« Si on fait de la langue de bois ou si l’on raconte
des bêtises, le chat ne vous loupe pas. Il y aura
toujours un spécialiste pour vous reprendre. Mieux
vaut reconnaître qu’on ne se sait pas si l’on n’a pas
la capacité de répondre en profondeur aux
viewers », témoigne le député LREM Denis
Masséglia. Après avoir longtemps pratiqué
Twitch en tant que gamer – il a fait partie des
Croisés, l’une des meilleures équipes françaises
1 000 MILLIARDS DE MINUTES
DE CONTENUS DÉJÀ REGARDÉES
Twitch affiche, dix ans après sa création,
des statistiques impressionnantes :
30 millions de visiteurs venus de 230 pays :
c’est l’audience quotidienne moyenne.
50% environ de l’audience a entre 18 et 34 ans,
21% a de 13 à 17 ans.
7 millions de streamers diffusent
en live chaque mois.
(SOURCE : TWITCH, 2020)
LE S E CHOS WE E K- E ND – 23
TWITCH
de World of Warcraft – l’élu s’est, en novembre,
décidé à créer sa chaîne politique, où il aborde
durant une heure à une heure trente des sujets
variés (des cryptomonnaies au génocide
rwandais) à la demande de sa communauté.
AU SERVICE DE LA DÉMOCRATIE
L’ingénieur quadragénaire, passé par Thales et
une start-up de réparation de consoles de jeux
avant de rejoindre l’Assemblée en juin 2017,
estime que Twitch peut « aider à la
compréhension de la démocratie et à réduire le
fossé entre citoyens et élus ». Encore peu suivi
(200 spectateurs en moyenne), il dit « préférer
la qualité des échanges à la quantité de viewers »
et profite de cette relative intimité pour mettre
en place de vrais ateliers exigeants. Il compte
notamment associer sa communauté à la
construction d’amendements à la loi sur le
piratage des contenus, qu’il déposera ensuite
en commission. De son côté, l’économiste du
travail Mathieu Cocq, responsable à la CGT,
se dit persuadé que Twitch « vaut toutes les
formations syndicales et autres séminaires de
recherche » pour initier le public à des sujets
aussi pointus que la pertinence des indicateurs
de conjoncture, la crise de la zone euro et la
BUSINESS STORY

courbe de Phillips qui lie chômage et inflation.

Excellent connaisseur de la plate-forme pour lui
avoir consacré sa thèse (Constitution et
exploitation du capital communautaire : le travail
des streamers sur Twitch), il s’est lancé en tant
que streamer il y a quatre mois, s’astreignant à
deux live par semaine au moins. Malgré la
charge de travail associée, il apprécie un format
interactif dont il est « le chef d’orchestre ».

AU-DELÀ DU GAMING
Drôle d’anniversaire que celui que s’apprête à

MICHEL SPINGLER/AP/SIPA
célébrer Twitch, propriété d’Amazon depuis
2014. Dix ans après le lancement d’une version
bêta, le 6 juin 2011, la plate-forme reine
du live n’est plus l’apanage des gamers, qui
s’y retrouvaient en masse depuis des années
pour suivre en direct des parties de jeux vidéo
ELIJAH NOUVELAGE/ REUTERS

commentées par les utilisateurs. Elle a été,

ces dernières années, adoptée par des
communautés de plus en plus diverses.
« Les audiences hors gaming ont quadruplé
dans le monde ces trois dernières années »,
indique Melissa Simoni, directrice commerciale
pour la France et le Benelux.

2 4 – LE S E CHOS WE E K- E ND
 TWITCH

À gauche : machines officiel avec Twitch.

de jeux d’arcade au Ci-dessous : Jeff
siège de San Bezos, PDG d’Amazon,
Francisco. En bas : qui a racheté De quoi susciter la convoitise de pas mal de juillet. En France, l’Olympique de Marseille,
l’OM (match contre Twitch en 2014 monde. Inspirée par le précédent d’Alexandria à la recherche d’un canal pour ses premiers
Lens, le 3 février) a pour 970 millions Ocasio-Cortez, la jeune représentante au matches de préparation de la saison, a tâté
signé un partenariat de dollars. Congrès qui a fait un triomphe sur la plate- le terrain dès l’été dernier avec un succès
forme en octobre (voir encadré p. 27), la classe inattendu. « On a réalisé à chaque fois la
politique y voit un moyen de se réconcilier meilleure audience mondiale du jour avec un pic
avec une génération supposée peu intéressée à 100 000 spectateurs pendant le direct et plus de
4 MANIÈRES DE MONÉTISER SON AUDIENCE
par les affaires publiques et très critique 250 000 viewers au total à chaque match »,
à l’égard des classes d’âge qui l’ont précédée. précisait récemment dans L’Équipe Hervé
Les abonnements du stream. Les médias traditionnels y jouent aussi Philippe, en charge des médias à l’Olympique de
Pour recevoir les À la différence de les cobayes, de BFM-TV bizuté cet hiver durant Marseille. Le club a, dans la foulée, conclu un
abonnements (« subs ») YouTube, on ne peut la un premier live houleux consacré au Covid, partenariat officiel avec Twitch, imité par le PSG
des viewers, le zapper. À ce « preroll » au magazine Challenges qui s’intéresse ainsi que, comme le précise Farhan Ahmed,
streamer doit être peuvent s’ajouter des par exemple aux robots et à l’IA. directeur des partenariats stratégiques basé à
affilié ou, mieux encore, coupures publicitaires Londres, « sept autres clubs européens et non des
partenaire. Pour être de trente secondes à DE LA MUSIQUE, DU SPORT ET DES TALK-SHOWS moindres : le Real Madrid, la Juventus, le Milan
affilié, il faut avoir trois minutes durant Dans une interview exclusive depuis le siège AC, Arsenal, le Borussia Dortmund, etc. »
diffusé, au cours des 30 le stream (midrolls), de San Francisco, Sara Clemens, la numéro 2 Autre catégorie en vogue, les talk-shows,
derniers jours, huit par exemple lors de de l’entreprise, reconnaît que la diversification regroupés dans un onglet « just chatting »,
heures de contenus courtes pauses entre actuelle répond à une stratégie assumée par ont fait florès ces douze derniers mois. Dans
durant sept jours deux sessions de jeu. Twitch. « Nous avons volontairement investi dans l’Hexagone, une émission comme Popcorn, du
différents avec au Comme le souligne trois genres : la musique, le sport et les talk- vidéaste Domingo, a largement participé à la
moins trois spectateurs Melissa Simoni, shows », précise la COO (chief operating officer). diversification et la massification de l’audience.
en moyenne, et être directrice commerciale Le nombre d’heures regardées consacrées à la Chaque mardi à 20 heures pile, son équipe y
suivi par plus de 50 France et Benelux, musique a été multiplié par six dans le monde divertit la jeune génération pendant plus de
personnes. Pour pour une marque, ces douze derniers mois, alors que des poids deux heures via des sujets originaux. En plus
devenir partenaire, il investir dans une lourds de la discipline y faisaient leurs premiers des thèmes d’actualité, on peut y trouver des
faut avoir diffusé, au publicité sur Twitch pas, à l’instar de John Legend pendant le chroniques sur les grands faussaires français
cours des 30 derniers permet de toucher premier confinement. ou sur Louis Braille. Quelques jours avant
jours, vingt-cinq heures une audience jeune, Les sportifs s’y retrouvent de plus en plus, de décoller vers l’espace, Thomas Pesquet
de contenus durant captive, généralement des stars de la Formule 1 comme Lando Norris y a – à distance – fait un tabac, perceptible
douze jours différents méfiante face aux ou Charles Leclerc y rejoignant les « vieux » dans la déferlante d’émojis et de messages
avec au moins 75 chaînes de télévision streamers, dont Gaël Monfils ou Antoine enthousiastes postés sur un chat énamouré :
spectateurs en mais plutôt réceptive à Griezmann. Aux États-Unis, les matches de NFL « Tellement le boss », « Pesquet président »,
moyenne. Les viewers la pub surtout si on lui sont retransmis sur Twitch chaque jeudi depuis « Thomas 2022 »…
peuvent alors prendre propose des formats
une formule originaux : escape
d’abonnement de game pour Porsche,
4,99 € à 24,99 € par pilotage de drones
mois. Les partenaires pour aller acheter des
en récupèrent au céréales Trésor chez
minimum 50% (plus Kellogg’s, défilé
s’ils ont un grand interactif avec
nombre d’abonnés), possibilité de choisir
les affiliés 30%. son angle de
Les dons visionnage durant les
Les viewers peuvent défilés chez Burberry…
dépenser leur argent Les parrainages
pour mettre en avant Les streamers
leurs messages dans le bénéficiant d’une large
chat et débloquer des audience séduisent les
contenus spécifiques sponsors qui leur
via un « cheer », fournissent du matériel
SHUTTERSTOCK

l’équivalent d’un don (Logitech, Intel…) ou

au streamer. Pour cela, financent leurs
ils doivent acheter des contenus. Ainsi, le
« bits », la monnaie talk-show Popcorn du
PATRICK SEMANSKY/AP/SIPA

virtuelle de Twitch. célèbre animateur

Les publicités Domingo est-il soutenu
Sur Twitch, une depuis 2019 par les
publicité est parfums Diesel,
automatiquement Pringles, Domino’s
lancée au démarrage Pizza, etc.

LE S E CHOS WE E K- E ND – 2 5
BUSINESS STORY

DIGNE SUCCESSEUR DE JUSTIN.TV

« Il faut revenir aux sources de Twitch pour
comprendre à quel point cette diversification
est inscrite dans ses gènes », rappelle Cyrille
Bourdeaux, senior analyst au bureau de
FaberNovel à San Francisco. En 2006, Justin
Kan, un jeune entrepreneur américain
du Net, fonde avec trois associés l’ancêtre
de Twitch, Justin.tv, qui inaugure le concept
du lifecasting, « la rencontre de la culture Web
et de la téléréalité », selon Cyrille Bourdeaux.
Le site diffuse en direct la vie de Justin dans ce
qu’elle a de plus banal, au moyen d’une caméra
attachée sur sa tête et reliée à un ordinateur
qu’il porte sur le dos. L’expérience est lancée
le 19 mars 2007 et dure pas loin de huit mois,
24 heures sur 24, sept jours sur sept. Suffisant
pour assurer à Justin une immense notoriété
et à attirer sur le site d’autres broadcasters
qui retransmettent en live leurs voyages
ou expériences.
C’est après avoir constaté la grande
popularité des jeux de stratégie, de combats,
de tirs, de courses que Twitch est créée en 2011 à
côté de Justin.tv pour se concentrer sur les jeux
vidéo. Succès foudroyant : en février 2014, le site Ci-dessus : mur À droite : premier Même si la société, qui compte aujourd’hui
dépasse Facebook en termes de consommation de différents live de Gabriel Attal, 1 800 salariés, continue d’être dirigée depuis
de bande passante aux États-Unis. En août streamings de jeux porte-parole San Francisco, loin du siège d’Amazon à Seattle,
suivant, Justin.tv est définitivement fermée vidéo, au siège du gouvernement, les synergies sont exploitées à fond. Deux ans
au profit de Twitch. Pas étonnant que la de San Francisco. pour son émission après le rachat, Jeff Bezos intègre Twitch au
plate-forme déclenche l’intérêt de plusieurs Ci-dessous : François #SansFiltre depuis programme Prime : les abonnés premium
GAFA. En pleine diversification de ses contenus, Hollande, invité de l’Élysée, ici avec (200 millions dans le monde) peuvent s’inscrire
Amazon remportera finalement la mise Samuel Étienne en la youtubeuse gratuitement pour un mois à leur chaîne Twitch
à la barbe de Google, en rachetant Twitch direct sur Twitch EnjoyPhoenix, le de prédilection. La pandémie a renforcé les
en cash pour la coquette somme de 970 millions le 8 mars 2021, a 24 février (environ liens entre les deux entités via les « watch
réalisé 700 000 vues. 200 000 vues).
de dollars durant l’été 2014. parties » qui permettent aux abonnés Prime de
regarder ensemble sur Twitch des séries et films
du catalogue Prime Video, même s’ils sont
géographiquement éloignés. Comme sa maison
mère, Twitch se caractérise par une grande
opacité dans la communication de ses résultats.
Impossible de se voir confirmer en interne les
estimations indépendantes qui, en 2019,
tablaient sur un chiffre d’affaires avoisinant
1,5 milliard de dollars et des revenus
publicitaires de l’ordre de 300 millions. Tout au
plus Sara Clemens lâche-t-elle que « les revenus
publicitaires augmentent en proportion de
l’audience qui a crû de 100% en un an ».

L’EFFET COVID
ELIJAH NOUVELAGE/REUTERS LÉO PIERRE / HANS LUCAS
Avec le Covid, la plate-forme a en effet changé
de braquet, les confinements libérant du temps
et incitant les spectateurs isolés à partager des
moments de convivialité, fût-ce à distance.
« Désormais, 2, 5 millions de personnes regardent
du live sur notre plate-forme à n’importe quel
moment de la journée », s’enthousiasme Damian
Burns, senior vice-président pour la région
EMEA. Comme le souligne le responsable basé
à Londres, Twitch est si facile à utiliser qu’on y
vient pour regarder mais aussi pour créer des
contenus : 13 millions de streamers se sont

26 – L E S E CHOS WE E K- E ND
 TWITCH

POLITIQUES : DES DÉBUTS MITIGÉS

Dans le monde comparable à celle de aussi bien tiré, en mai,

politique, tout le Twitter ou Facebook sur la chaîne Twitch
monde a en tête le lors des élections de BFM-TV, révélant,
triomphe d’AOC. Âgée précédentes. tout sourire sous
de 31 ans, la En France, où les le masque, qu’il fait
représentante au politiques mesurent ses lessives lui-même,
Congrès Alexandria l’importance de repasse ses chemises
Ocasio-Cortez a, en rameuter de jeunes et gagne 6 500 euros
octobre, réalisé la électeurs en prévision nets par mois.
troisième meilleure de 2022, les Encore faut-il
audience de l’histoire prestations des invités distinguer les
de Twitch, en invitant de Samuel Étienne ont apparitions
des streamers à jouer illustré qu’il ne ponctuelles sur Twitch
durant trois heures et suffisait pas de et la diffusion régulière
demie à Among Us, tomber la cravate, sur une chaîne dédiée.
avant d’appeler les comme l’a fait Jean Peu s’y astreignent,
jeunes à se rendre aux Castex, pour réussir à part Jean-Luc
urnes à quelques jours dans une enceinte où Mélenchon, dont
d’un scrutin crucial. l’humour et la chaîne Twitchons,
Son expérience des l’authenticité priment. lancée en juin dernier,
jeux vidéo l’a aidée à François Hollande – est suivie par 70 500
trouver le ton et qui avait gardé la personnes. Celle
l’attitude justes sur sienne ! – l’a compris. du député de la
une plate-forme qui ne Sa décontraction, sa France insoumise Ugo
fait pas de cadeaux à manière de gentiment Bernalicis, alias
la classe politique, chambrer des « leDépuTwitch », a
comme l’ont montré personnalités aussi 4 200 followers, contre
les exemples de populaires chez les 7 000 pour Gabriel
Donald Trump jeunes que les Attal, le porte-parole
ou Bernie Sanders. youtubeurs McFly & du gouvernement,
Certains Carlito, sa sincérité au dont la dernière
commentateurs se moment d’évoquer ses émission #SansFiltre
sont un peu emballés regrets ont créé le en février a été très
en parlant d’une buzz (700 000 vues). critiquée sur les
influence de Twitch Olivier Véran s’en est réseaux sociaux.

lancés sur Twitch en 2020, beaucoup de chaînes
ne dépassant pas les cinq followers ! Plus de
500 000 d’entre eux ont acquis l’an dernier le
statut d’affiliés et 8 500 seulement celui de
partenaires, préalable indispensable pour
monétiser l’audience (voir encadré p. 25). « Par
rapport à YouTube, par exemple, l’investissement
de départ est moindre, pas besoin notamment
de passer du temps au montage, mais il ne faut
pas pour autant sous-estimer les contraintes de
l’exercice, souligne Samuel Coavoux, chercheur
au département de sciences sociales (SENSE)
d’Orange Labs. D’abord, parce que le talent
d’animation n’est pas donné à tout le monde.
SHUTTERSTOCK
plutôt du genre fidèle, il faut aussi diffuser
régulièrement pour ne pas se faire oublier face
à la concurrence. « La durée de vie d’une
réputation est courte sur Twitch », observe
Samuel Coavoux.
LES RISQUES DE LA MASSIFICATION
Plus mainstream que jamais, Twitch s’expose à
des problèmes inédits. La plupart des créateurs
mettaient jusqu’ici en avant sa « bienveillance »
relative, par rapport à des concurrents comme
Twitter. Non seulement les communautés y
sont plus homogènes, mais elles sont
encadrées par des instruments de modération
prétendu être un espace de liberté d’expression.
Nous avons toujours eu des règles strictes
à propos des comportements tolérés de la part
de notre communauté. Nous avons toujours
banni les discours haineux et le harcèlement »,
expose fièrement Sara Clemens. Dès
juillet 2020, Twitch suspendait Donald Trump
durant deux semaines après ses insultes
sur les Mexicains, plusieurs mois avant
que les grands réseaux sociaux se penchent
sur le sujet. Depuis avril, la société se donne
même le droit de bannir des utilisateurs
malveillants en cas de harcèlement intervenant
sur d’autres plates-formes.

Ensuite parce que, pour percer puis pour durer,
il faut trouver la bonne niche, bien préparer ses
live, faire de la veille technologique, surveiller la
concurrence. C’est un travail à temps plein si on
ANTOINE WDO / HANS LUCAS
efficaces. Les bénévoles qui œuvrent à la bonne Cette ligne de conduite a jusqu’ici permis
tenue des diffusions de Samuel Étienne (deux à Twitch d’être épargnée par la haine qui
pour la revue de presse, cinq pour une contamine la plupart des autres services, mais
interview politique) ont ainsi la main sur son les dangers se multiplient. Dernièrement,

veut en tirer un revenu, même modeste. Les
streamers français connus que j’ai interviewés
en 2017-18 gagnaient entre 400 et 2 000 euros
par mois. Pas énorme pour des
autoentrepreneurs qui doivent payer leurs
charges. » Même si les communautés sont
live et peuvent, à tout moment, déclencher une
riposte graduée : effacement d’un message,
suspension du viewer durant trente secondes à
cinq minutes, exclusion définitive pour
laquelle est prévue une procédure d’appel.
« Contrairement à d’autres, nous n’avons jamais
une enquête du New York Times dénonçait
son infiltration par des influenceurs d’extrême
droite conspirationnistes et des partisans
du tristement célèbre groupe QAnon.
Plus d’infos sur lesechos.fr/weekend

LE S E CHOS WE E K- E ND – 2 7
BUSINESS STORY

LES CARNETS D’AMBASSADE

DE SYLVIE BERMANN
La diplomate française a été en poste dans remière femme diplomate à avoir été élevée
trois ambassades clés : Pékin (2011-14), à la dignité d'« ambassadeur de France » (titre
Londres (2014-17) et Moscou (2017-19). conféré à un petit nombre de diplomates), Sylvie
Bermann est venue à la rédaction des Échos
Auteure d’un essai sur les conséquences Week-End pour nous confier quelques-uns
du Brexit, « Goodbye Britannia », paru en de ses souvenirs les plus forts. Des moments
janvier, elle livre ici sa vision du rôle de marquants qui tous disent quelque chose du
la Chine, du Royaume-Uni et de la Russie monde de 2021, happé par les conséquences
de la pandémie, la rivalité sino-américaine,
dans un monde marqué par la crise des l’accélération du progrès technologique
démocraties et la pandémie. et les suites du Brexit.

Propos recueillis par LA CHINE, UNE ASCENSION INÉDITE

Pierre de Gasquet et Karl De Meyer EN SEULEMENT TRENTE ANS
Photographe : Deborah Farnault 6 octobre 1976, une nouvelle Chine après
la chute de la bande des Quatre
J’étais alors étudiante à Pékin à l’Institut des
langues. Mao était mort quelques jours plus tôt,

2 8 – L E S E CHOS WE E K- E ND

et ce jour-là on entend retentir des gongs et des
tambours. On se demande ce qu’il se passe. La
bande des Quatre [inspirateurs de la révolution
culturelle qui a duré de 1966 à 1976, dont la
veuve de Mao, NDLR] venait d’être arrêtée.
Suivent trois jours complets de liesse absolue
car les Quatre étaient haïs. Les Chinois qui ne
pouvaient jusque-là pas parler à des étrangers
se sentaient soudain libres. Nous montions sur
leurs camions pour prendre des photos, c’était
un moment extraordinaire. Je me souviens d’un
rassemblement géant de 1 million de personnes
sur la place Tian’anmen.
Ces quelques jours marquent clairement
la fin d’une ère et le début d’une nouvelle. C’est
la fin de la Chine maoïste, celle où j’ai repiqué
du riz dans une commune populaire et où les
universités étaient fermées aux enfants de
cadres car réservées aux enfants d’ouvriers,
de soldats ou de paysans. À la rentrée 1977,
les universités rouvraient pour former la
génération qui est au pouvoir aujourd’hui. De
ce point-là, j’ai vu évoluer la Chine, certes sans
« démaoïsation » comme il y a eu déstalinisation
en URSS, mais avec l’abandon de toutes
les politiques du Grand Timonier.
Je ne vais pas prétendre que j’ai alors eu
une vision du développement que connaîtrait
la Chine, jusqu’à devenir un jour la première
puissance mondiale. À l’époque, Pékin est
encore un village, sans trottoir, où ses habitants
enterraient des choux pendant l’hiver ; il régnait
une grande pauvreté. La Chine venait d’entrer
aux Nations unies mais n’avait aucun rôle dans
la diplomatie mondiale. Il n’y a aucun autre
exemple de pays ayant connu une ascension
aussi rapide. La Chine a vécu en trente ans
ce que d’autres nations ont accompli en trois
siècles.
1979, naissance de Shenzhen,
la Silicon Valley chinoise
Le meilleur exemple de ce succès, c’est
Shenzhen, où je suis allée pour la première fois
en 1979. J’étais alors dans mon premier poste,
au consulat général de France à Hong Kong, à
l’époque une vraie colonie britannique. Les
autorités chinoises nous invitent à visiter le site
de Shenzhen. À la descente du train, une voiture
nous conduit au milieu d’un champ, devant
OLIVIER CULMANN/TENDANCE FLOUE
deux maigres bâtiments en construction,
parcourus d’échafaudages en bambou. Les
autorités municipales nous expliquent
posément que là va naître le prochain Hong
Kong grâce à une zone économique spéciale.
Nous étions quelque peu sceptiques. J’ai écrit un
rapport auquel le consul général de l’époque a
ajouté la mention : « Il ne se passera jamais rien
là-bas. » J’y suis retournée trente ans plus tard,
la ville comptait 11 millions d’habitants, il doit y
en avoir 14 maintenant. C’est la Silicon Valley
chinoise, qui a affiché des croissances annuelles
allant jusqu’à 25%. La région n’est plus l’usine
du monde, mais son laboratoire.
2011, le comité France-Chine du Medef
sous le charme de Xi Jinping
Le patron du groupe Schneider Electric,
Jean-Pascal Tricoire, mène aux côtés de l’ancien
Premier ministre Jean-Pierre Raffarin la
délégation française qui rencontre le vice-
président Xi Jinping à Pékin, où je viens de
prendre mes fonctions d’ambassadeur. Tout le
monde était enthousiaste, on avait l’impression
que Xi allait ouvrir la Chine. Il vise les deux
centenaires : 2021, centenaire du parti
communiste et Chine comme puissance
moyenne ; 2049, anniversaire de la République
populaire et Chine grande puissance respectée.
Nous sommes tous « séduits » pour ainsi dire ;
les Chinois partageaient alors cet espoir.
En 2013, Xi devient chef de l’État. Il y avait
alors une presse et des réseaux sociaux féconds,
beaucoup de débats sur la démocratie, tout le
monde pensait qu’on entrait dans une nouvelle
LE S E CHOS WE E K- E ND – 29
SYLVIE BERMANN
ère de libéralisation. Les Chinois pouvaient faire
des plaisanteries sur les responsables du parti,
se moquer de leurs accessoires de luxe. Cette
liberté est totalement exclue aujourd’hui.
Xi pose alors les bases de la banque asiatique
de développement pour les infrastructures,
basée à Pékin, ainsi que du projet des routes de
la soie. Le Royaume-Uni, la France et les pays de
l’Union européenne se rallient au concept de la
banque en devenant membres fondateurs mais
Obama refuse d’y adhérer… Un de ses anciens
conseillers vient de confesser que c’était selon
lui une erreur, dans la mesure où sa gestion est
plus internationale que celle des routes de la
soie. Plus tard, la Chine va s’intéresser aux pays
des Balkans, aux pays de l’est de l’Union
européenne, en créant une enceinte baptisée
« 16 + 1 », devenue « 17+1 ». Une diplomate balte
m’a dit un jour : « Personne ne s’intéresse à nous,
petits pays de l’Est, alors si la Chine veut investir
chez nous, pourquoi pas. »
L’idée d’une revanche chinoise, après deux
siècles d’humiliation, n’avait pas de traduction
agressive jusqu’aux toutes dernières années.
Elle n’est pas toujours bien comprise. La Chine
ne veut pas dominer le monde, elle veut être la
première et surtout qu’on ne puisse pas lui
Ci-contre :
à Shenzhen
en août 2008,
la Silicon Valley
chinoise, des
touristes se
prennent en photo
devant un immense
portrait de Deng
Xiaping, à l’entrée
du Litchi Park.
À gauche : Sylvie
Bermann,
photographiée
à Paris en mars
dernier.
BUSINESS STORY
imposer un système, la démocratie. Son
obsession, c’est de ne pas connaître le même
destin que l’URSS. C’est à cette aune-là que, tout
en la dénonçant, il faut lire la répression
actuelle au Xingjiang. La question des
Ouïghours musulmans n’est pas vraiment
religieuse. Ce dont a peur Pékin, c’est du
séparatisme ouïghour, dans lequel les Chinois
pensent que l’islam joue un rôle, portant en lui
les germes d’un démantèlement du pays, avec
des mouvements centrifuges au Tibet, en
Mongolie intérieure.
La question du Xingjiang est remontée au
premier rang récemment dans un contexte
d’escalade entre Washington et Pékin. Début
2020, Donald Trump a commencé par féliciter
la Chine pour sa gestion de la pandémie, mais
voyant le risque de ne pas être réélu, il a baptisé
le Covid-19 « virus chinois ». Les Chinois, en
retour, commencent à répandre l’idée que les
gouvernements français et européens laissent
mourir leurs aînés. Tout cela renverse en
Occident le sentiment à l’égard de la Chine. Le
récent sommet américano-chinois d’Anchorage
en Alaska, qui a commencé par de fortes
accusations publiques de la part de Washington, en déclin. Ils veulent convaincre leur propre
indique qu’on est entré dans une guerre froide population qu’ils développent un meilleur
multidimensionnelle déterminée. modèle, et refusent toute ingérence. Les récents
Le fait que la Commission européenne ait dérapages de l’ambassade de Chine en France
défini la Chine comme un « rival systémique », ce à l’égard d’un chercheur français et l’escalade
qui au demeurant pose question – elle est à mon des contre-sanctions envers les institutions
sens un rival systémique des États-Unis, mais européennes traduisent un raidissement
est-ce vraiment le cas de l’Europe ? –, montre ultranationaliste. L’absurdité est que cela a
qu’on est entré dans une nouvelle relation avec conduit au gel par la partie européenne d’un
Pékin. Les Chinois, qui se sont beaucoup accord sur les investissements qui, sans être
inspirés de l’Europe, la jugent désormais parfait, apporte des concessions chinoises, déjà
accordées aux États-Unis, en termes d’ouverture
du marché chinois. Ce qui rend le dialogue
encore plus difficile, c’est que nous ne les ADAM FERGUSON/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA
comprenons pas et vice versa, car nous avons
Ci-dessus : À droite : Sylvie des logiciels trop différents.
manifestation Bermann,
pro-Brexit ambassadrice LE ROYAUME-UNI, LE PARI DU GLOBAL BRITAIN
à Londres, de France, AU RISQUE DE LA LITTLE ENGLAND
en juin 2016, présente 18 septembre 2014, les indépendantistes
dix jours avant ses lettres écossais échouent
le référendum de créance à la reine J’arrive de Chine pour prendre mes fonctions
qui donne Elizabeth II à Londres et je découvre des Écossais très
la victoire au camp à Buckingham, militants, une nation coupée en deux. Pendant
du « Leave ». le 25 novembre 2014. longtemps, Londres a minimisé le risque de
30 – LE S E CHOS WE E K- E ND
 SYLVIE BERMANN

sécession, mais les sondages se font soudain
inquiétants. En panique, David Cameron,
le Premier ministre, mobilise les chefs
d’entreprise, ceux de l’économie réelle, pas les
champions de la City qui n’ont pas bonne presse
dans l’électorat depuis la crise financière de
2008. Ils exposent le coût d’une sécession,
soulèvent la question de la monnaie puisque
le maintien de la livre dans une Écosse
indépendante serait problématique. Ils
multiplient les arguments économiques,
rationnels. Le référendum a finalement échoué.
Sept ans plus tard, les législatives de
mai 2021 donnent la victoire aux tories en
Angleterre mais accordent en Écosse la
majorité aux indépendantistes (Scottish
National Party et Verts). La Première ministre
Nicola Sturgeon est déterminée à organiser un
nouveau référendum. Même en cas de victoire,
s’il n’est pas autorisé et donc validé par Londres,
il ne sera pas légitime et ne permettra pas
l’adhésion de l’Écosse à l’Union. Il y a là pour
Boris Johnson un enjeu énorme car il ne
survivrait pas à l’éclatement du Royaume-Uni.
Son projet de Global Britain se transformerait
alors en Little England. De toute façon, le
concept de Global Britain n’a pas beaucoup de
réalité. Ce que Boris Johnson veut faire hors de
l’Europe, il pouvait le faire en étant dedans, les
deux stratégies n’étaient pas exclusives. Sur le
plan commercial, l’Allemagne, membre de
l’Union, connaît bien plus de succès que le
Royaume-Uni.
« LA PRESSE BRITANNIQUE
A SURTOUT RETENU DE MON
LIVRE QUE JE PRÉSENTE
BORIS JOHNSON EN
MENTEUR INVÉTÉRÉ, MAIS
TOUT LE MONDE LE SAIT. »
des masques d’Hillary Clinton, puis à
l’ambassade américaine. Au fil de la soirée, on
voyait des résultats qui ne collaient pas avec ce
qu’on attendait dans les différents États. Je me
suis dit : on revit la même chose, comme un
écho. Je crois qu’on n’a pas mesuré les
frustrations des populations. Peut-être parce
qu’il y avait une belle croissance économique
aux États-Unis et au Royaume-Uni. Et on a mal
mesuré les évolutions des partis, car les
conservateurs britanniques avaient glissé de
plus en plus à droite alors qu’ils étaient plutôt
centristes au départ. Le Parti républicain
américain s’est aussi beaucoup droitisé.
Après coup, on s’est demandé pourquoi ces
populations qui ont voté Trump et Brexit l’ont
fait alors que cela pouvait paraître contraire à
leurs intérêts. C’est vraiment le début de la crise
des démocraties représentatives. Et l’apparition
de leaders ouvertement menteurs. La presse
britannique a surtout retenu de mon livre (1)
que je présente Boris Johnson en menteur
invétéré, mais tout le monde le sait. Ce n’est ni
un secret diplomatique ni un scoop
journalistique. Le Brexiter Peter Oborne, dans
son livre The Assault on Truth, a documenté
tous les mensonges de Boris Johnson. Mais mon
portrait de lui ne se résume pas à ça. Il a été
aussi très solidaire au moment des attentats.
Il sait créer un lien avec le peuple, comme il
l’a montré lors de sa campagne, en 2019. Il est
capable de monter sur un tracteur, de faire des
gaffes, de se mettre dans des situations ridicules
et de se rendre sympathique alors qu’il est un
pur produit de l’establishment.
Novembre 2020, la saison 4 « The Crown »
ressuscite les démons des Windsor
Ma présentation à la reine, lorsque j’ai pris
mes fonctions à Londres, m’a fait une forte
impression. Elizabeth II, ce n’est pas seulement
le soft power britannique connu dans le monde
entier. Quand on est face à elle, on a conscience
qu’elle a vu défiler tous les dirigeants de la
planète et tous les Premiers ministres
britanniques depuis Churchill. Elle est assez
drôle, se montre charmante et connaît les
dossiers. Il y a quelque chose chez elle qui
impressionne. D’ailleurs, beaucoup de
Britanniques, y compris ceux qui ne sont
pas favorables à la monarchie, partagent ce
sentiment. On retrouve cette vénération de la
reine dans toutes les couches sociales.

23-24 juin 2016, la nuit sans sommeil

du référendum sur le Brexit
Jusqu’à minuit environ, cette nuit-là, tout le
monde pensait que le camp du « Remain »
gagnerait. La veille, un ministre m’avait confié :
« Don’t worry, we will stay. » Trois jours plus tôt,
un Brexiter me disait : « On veut partir, mais bien
évidemment, on va rester », un autre ajoutant :
« On n’aura pas le courage de partir. » Autour
de minuit, David Cameron a commencé à
interroger son conseiller : « A-t-on des raisons
de s’inquiéter ? » Et puis à 1 h du matin, avec
les résultats de Sunderland, siège de Nissan au
Royaume-Uni, on a commencé à comprendre
que tout pouvait basculer. A posteriori, on se dit
qu’il y avait sans doute des signaux faibles.
Mais c’était difficile d’anticiper. Même les
bookmakers, souvent plus fiables que les
sondeurs, s’étaient trompés, pour ne rien dire
des députés, malgré le lien avec leur
circonscription.
Cinq mois plus tard, j’étais invitée à la soirée
REX/SIPA

électorale américaine dans les locaux de CNN, à

Londres, où ils avaient prévu des majorettes et

LE S E CHOS WE E K- E ND – 31
BUSINESS STORY

Ce sera peut-être un peu différent avec le

prince Charles, à qui on reproche de ne pas
observer la retenue de sa mère sur les questions
de gouvernance du pays. Lui s’est engagé sur
des sujets comme l’écologie où il a été
précurseur. Et puis, il y a eu la série « The
Crown ». La quatrième saison a réveillé les
fantômes de l’affaire Diana et les critiques
contre le prince Charles. Là-dessus intervient
l’interview d’Oprah Winfrey avec le prince
Harry et son épouse Meghan. C’est vrai que les
tabloïds n’aimaient pas Meghan. Est-ce parce
qu’elle est métisse, américaine, divorcée ? Sans
doute un peu tout cela. Le contexte actuel de
crise avec les Sussex rappelle un peu le
précédent d’Édouard VIII [qui a choisi
d’abdiquer en 1936 pour épouser Wallis
Simpson, une Américaine divorcée, NDLR].
L’aura et l’avenir de la monarchie ne sont pas
pour autant menacés, à en juger par le respect
témoigné au moment du décès du prince Philip.

LA RUSSIE, VOISIN INCONTOURNABLE

DES EUROPÉENS
11-13 septembre 2018, rapprochement
sino-russe à Vladivostok
J’ai été frappée par l’édition 2018 de ce forum
économique oriental, organisé chaque année
à Vladivostok, pour promouvoir les
investissements étrangers dans l’extrême-orient
russe, où Xi Jinping était invité d’honneur,
de même qu’au Forum européen de Saint-
Pétersbourg. Ces deux moments illustrent
l’évolution des relations entre Chine et Russie.
Pendant longtemps, il y a eu des méfiances, puis
un rapprochement. Les Chinois, par principe,
ne concluent pas d’alliance et en 2018, on disait
que ce n’était même pas un partenariat. Or,
aujourd’hui, la relation évolue vers un véritable
partenariat à cause des politiques hostiles
de Washington et des Européens vis-à-vis
de la Russie, assorties de sanctions.
Le rapprochement s’accompagne d’une
coopération dans les domaines militaire et
spatial. Cela était de plus en plus visible à
Vladivostok et Saint-Pétersbourg. On dit
souvent que l’extrême-orient russe s’est
dépeuplé alors que la Chine du Heilongjiang
est surpeuplée, sous-entendant que les Chinois
vont coloniser, en quelque sorte, cette région
russe. En réalité, j’ai constaté qu’il n’y a pas de
Chinois à Vladivostok. Les Russes voudraient
surtout les inciter à y investir. Mais les Chinois En haut : Vladimir le 19 août 2018. vidéo depuis
investissent là où il y a de l’argent et des Poutine au château Ci-dessus : à Moscou, son centre
bénéfices à faire, c’est-à-dire dans la partie de Brégançon, le 28 janvier de détention,
occidentale de la Russie. Tout ce qui se dit sur avec Emmanuel dernier, Alexeï lors d’une audience
cette peur supposée de la Russie d’une invasion et Brigitte Macron, Navalny en liaison du tribunal.
chinoise, n’est pas fondé. Vladivostok est une

32 – LE S E CHOS WE E K- E ND
 SYLVIE BERMANN

ville « totalement blanche » et russe, où on vit de

la même manière qu’à Moscou, alors qu’elle est « POUTINE
à deux heures de vol de Pékin.
APPARAÎT
19 août 2019, Poutine et Macron négocient
à Brégançon EN OCCIDENT
C’était juste avant le sommet du G7 à Cannes.
Il y a eu cette invitation un peu impromptue du
COMME UN
président de la République pour essayer de voir
avec Poutine comment relancer le dialogue. Les
HOMME TRÈS
deux présidents ont évoqué les conflits gelés et
Emmanuel Macron a présenté ce qu’il appelle
FROID,
un « agenda de confiance et de sécurité » parce
que selon lui, on ne peut pas traiter des dossiers
NE SOURIANT
de crise sans négocier avec la Russie.
Emmanuel Macron a toujours eu cette idée
JAMAIS,
qu’il fallait essayer de « distancier » la relation ALORS QU’EN
entre Moscou et Pékin, ce qui, à mon avis, ne se
fera pas, même si Poutine se rapprochait de RUSSIE,
l’Europe – et on en est loin – car il veillera à
garder les deux options. Les deux présidents IL PASSE
ont eu une discussion de plusieurs heures
en tête-à-tête, puis un long dîner. Le courant SON TEMPS
passait assez bien. Ils ont décidé une réunion
en format « Normandie » (France-Allemagne- À RIRE ET À
Russie-Ukraine) à Paris lors de laquelle
Vladimir Poutine a rencontré pour la première PLAISANTER. »
fois Volodymyr Zelensky, le président ukrainien.
Ce sommet a eu des effets positifs avec
notamment des échanges de prisonniers
et un cessez-le-feu.
Poutine m’a toujours fait l’effet d’un « homo
sovieticus ». Pour lui, la force réside dans les
armes des militaires, c’est cela qui représente
DEBORAH FARNAULT POUR LES ECHOS WEEK-END

la puissance du pays, beaucoup plus que son

économie. À l’exact inverse des Chinois, donc.
Par ailleurs, on le voit toujours en Occident
comme un personnage très froid, ne souriant
jamais, alors qu’en Russie, il passe son temps
à rire et à plaisanter, y compris pendant les
conférences de presse. La relation avec l’Union
européenne s’est toutefois tendue avec le
camouflet infligé au Haut Représentant pour
la politique étrangère et de sécurité, avec
l’expulsion de trois diplomates européens
le jour même de sa visite officielle à Moscou.
EVGENIA NOVOZHENINA/REUTERS
connaissaient même pas. Soudain, parce qu’il
est devenu une victime, qu’il a eu le courage de
rentrer en Russie, il y a eu plus de gens dans la
rue que d’habitude. Pour autant, cela ne signifie
pas qu’ils vont renverser Poutine ou que ce
dernier a perdu la face. Les Occidentaux sont
souvent enclins à prendre leurs désirs pour la
réalité.
La Russie reste un membre permanent du
N’oublions pas que Poutine a redonné de la
fierté aux Russes après la période Eltsine, qui
est honni. Poutine représente l’homme fort qui
a rétabli l’ordre, et qui, dans un premier temps,
a rétabli l’économie. Certes, il y a, comme
ailleurs, des mécontentements à cause de la
réforme des retraites. Certes, il y a une baisse
continue du niveau de vie qui exaspère la
population et une certaine lassitude, puisqu’il

17 janvier 2021, Alexeï Navalny rentre
à Moscou pour s’y faire arrêter
La gestion de l’affaire Navalny a été plutôt
désastreuse. L’activiste n’avait le soutien
ni de la population russe, ni même de certains
opposants qui le jugeaient trop égocentrique.
En 2018, par exemple, il a refusé de soutenir
JACQUES WITT/SIPA
Conseil de sécurité et le plus grand voisin de
l’Union européenne : cela n’aurait pas de sens
de ne pas lui parler. Je cite souvent la phrase
du général De Gaulle qui en 1966, se rendant
en Union soviétique, a dit : « C’est une visite de
la France éternelle à la Russie éternelle. » Cela
signifiait que de toute façon, on a une relation
avec un pays important et qui va le rester. Il
est au pouvoir depuis vingt ans. Mais sur le plan
macroéconomique, la Russie va plutôt bien.
Dès que le prix du pétrole remonte, l’excédent
est versé dans les réserves. Contrairement à ce
que l’on écrit parfois, nous n’assistons pas à la
fin de l’ère Poutine, même si la question de
sa succession reste lancinante.

les candidats démocrates opposés à Poutine, serait vain d’attendre un éventuel successeur (1) « Goodbye Britannia : Le Royaume-Uni au défi
prônant l’abstention en estimant que cela serait qui ne sera pas nécessairement plus démocrate du Brexit », Stock, 2021.
comptabilisé comme un soutien à sa personne. que Poutine. Nombre de libéraux affirment que
Beaucoup de Russes ne l’aimaient pas ou ne le cela peut même être pire. Plus d’infos sur lesechos.fr/weekend

LE S E CHOS WE E K- E ND – 33
BUSINESS STORY

QUAND LES ENTREPRISES PARTENT EN MISSION

Créé il y a deux ans par la loi Pacte, et brusquement placé sous les projecteurs
MAIA FLORE / AGENCE VU

par l’affaire Faber chez Danone, le modèle de l’entreprise « à mission » séduit

et mobilise les salariés concernés. La solution pour concilier business et intérêt
général ? Il faudra déjà convaincre les actionnaires.
Par Stefano Lupieri

34 – LE S E CHOS WE E K- E ND

l’avenir, le Comité de
mission de Danone s’assurera que le processus
évolue pour être davantage “impact oriented” […]
Il pourrait intervenir au-delà de la simple
vérification et recommander des moyens de
réaliser la mission de manière plus ambitieuse. »
Manifestement, Pascal Lamy, président du
comité de mission du géant agroalimentaire et
ses acolytes, n’ont pas l’intention de jouer les
faire-valoir. Leur rapport, présenté lors de la
dernière assemblée générale de l’entreprise,
le 29 avril dernier, était très attendu. Après
l’éviction tonitruante d’Emmanuel Faber pour
cause de résultats financiers insuffisants,
beaucoup se demandaient ce qui allait subsister
de cette démarche dans laquelle l’ancien PDG
avait engagé son groupe. Certains y ont même
vu la preuve que ce nouveau modèle d’entreprise
« à mission », promu par la loi Pacte, permettant
à toute société d’inscrire dans ses statuts des
objectifs d’intérêt général était, sinon mort-né,
du moins déjà largement disqualifié.
Avant même la tenue de cette assemblée
générale, Gilles Schnepp, président par intérim
de Danone, avait jugé bon de monter au créneau
pour confirmer « la détermination du conseil
d’administration de continuer à piloter l’entreprise
selon ce modèle ». Il aurait d’ailleurs fallu un vote
à la majorité des deux tiers pour en sortir.
MISE EN LUMIÈRE PAR L’AFFAIRE DANONE
Pour l’instant, cette nouvelle forme d’entreprise
a plutôt fait la preuve de sa robustesse et,
si l’on en juge par le doublement au cours des
quatre derniers mois, du nombre de sociétés
qui l’ont adopté (166 début mai), de son intérêt.
Après une première fournée surtout composée,
à quelques grosses exceptions près comme
Danone ou le groupe Rocher, par de petites
sociétés de services, cette deuxième vague
rassemble des entreprises de taille plus
importante, actives dans des secteurs beaucoup
plus diversifiés. De bon augure, même si encore
peu d’entre elles sont aussi connues du grand
public que la Maif dans l’assurance, Aigle
Photo extraite de la et Le Slip français dans l’habillement, Léa
série Situations Nature dans les produits bios, Botanic dans
(2012) de Maia Flore les jardineries ou Invivo dans les coopératives…
qui explore « Paradoxalement l’affaire Danone a eu un effet
la relation entre le positif car elle a permis de mettre en lumière ce
corps et l’espace, la nouveau modèle d’entreprise apparu fin 2019 dans
poétique du décalage. un relatif anonymat », observe Armand Hatchuel,
LE S E CHOS WE E K- E ND – 35
L’ENTREPRISE À MISSION
chercheur à Mines ParisTech. Lui et son équipe
sont à l’origine des travaux sur « l’entreprise à
objet social étendu » qui ont nourri le rapport
Notat-Senart « Entreprise et intérêt général »,
lui-même à la source de la loi Pacte.
Or, mine de rien, ce texte se révèle assez
disruptif car il change la manière dont est
définie une société dans le Code civil. Hier
constituée dans le seul « intérêt commun de ses
associés », elle doit, désormais, être aussi gérée
« dans son intérêt social, en prenant en
considération les enjeux sociaux et
environnementaux de son activité ». Toute
association pourrait donc, en théorie, venir lui
demander des comptes sur le sujet.
Dans la foulée, la loi offre la possibilité, aux
entreprises qui le souhaitent, d’aller plus loin en
se donnant une « raison d’être » et, pour les plus
ambitieuses, de la transformer en une mission.
Avec des objectifs concrets dûment inscrits dans
ses statuts. Pour éviter qu’on en reste aux vœux
pieux, le texte prévoit la création d’un comité de
mission, où siègent notamment les parties
prenantes de l’entreprise, chargé de conduire
cette politique et de rédiger chaque année un
rapport à faire certifier par un organisme tiers
indépendant. Le tout étant opposable
juridiquement. Plutôt bien bardé donc !
UN EXERCICE UTILE ET MOBILISATEUR
« Apporter la santé par l’alimentation au plus
grand nombre », pour Danone, « permettre à
chacun de vivre des expériences sans laisser
d’autres empreintes que celles de ses pas », pour
Aigle ; « réinventer avec panache l’industrie textile
française », pour Le Slip français ; « remettre le
commerce au service de l’intérêt collectif », pour
Frey, la foncière de centres commerciaux en
plein air… Jusqu’à présent, les « raisons d’être »
adoptées par ces entreprises pionnières peuvent
sembler beaucoup trop générales pour être
contraignantes. Pourtant, à en croire leurs
dirigeants, s’il est bien fait, l’exercice peut être
très utile et mobilisateur.
« Chaque mot de notre raison d’être, “rendre
l’éducation accessible”, a été soupesé, souligne
Pierre Dubuc, cofondateur d’OpenClassrooms.
Nous affirmons ainsi notre volonté d’inventer un
nouvel écosystème éducatif, allant au-delà de la
formation ou de l’apprentissage. De le faire
fonctionner en synergie avec le dispositif actuel. Et
de favoriser son accessibilité tout au long de la vie
quels que soient son niveau d’études, sa situation
professionnelle, géographique ou financière, voire
ses handicaps. » Dans cette start-up en forte
croissance, la formule a été bien sûr conçue en
collaboration avec les salariés. « Chacun doit
savoir pourquoi et dans quel but il travaille chez
nous », appuie le manager.
Dans certains cas, la consultation peut être
élargie aux clients, fournisseurs et autres parties
prenantes. Harmonie Mutuelle, qui est sur le
point d’adopter le modèle d’entreprise à mission,
a ainsi sollicité près de 350 000 personnes.
Mais, aussi réfléchie et partagée qu’elle soit,
la raison d’être ne peut servir que de
BUSINESS STORY

boussole à l’entreprise sans véritablement
l’engager. Pour aller plus loin et la transformer
en une mission, il faut lui associer des objectifs
opérationnels mesurables.
« Beaucoup d’entreprises qui se sont lancées
dans cette démarche étaient déjà de près ou
de loin “mission natives” », souligne Laurence
Méhaignerie, cofondatrice du fonds à impact
Citizen Capital. De Frey, promoteur du concept
de « green center », au Slip français, qui ne
fabrique que sur le territoire national, en passant
par Aigle, qui a toujours veillé à la durabilité
de ses produits, et a fortiori la Maif ou le Crédit
coopératif qui relèvent de l’économie sociale
et solidaire, peu partaient d’une feuille blanche.
« Ce nouveau dispositif nous offre un cadre
pour structurer et accélérer la démarche »,
explique Sandrine Conseiller, directrice générale
d’Aigle. L’enjeu étant bien sûr d’aller plus loin
que ce qui a déjà été mis en place. L’entreprise
d’équipements d’extérieur s’est notamment
engagée à porter à 50%, d’ici l’été prochain,
la part écoconçue de sa collection. Chez Frey,
on s’est donné pour objectif de réserver,
d’ici à 2025, au moins 10% des surfaces de tous
les actifs à des activités sociales et solidaires,
voire à des commerces indépendants ou
des marchés de production en circuits courts.
Mais aussi à déployer sur tous ses centres
de plus de 50 000 m2 un concept de recyclerie

« IL N’Y solidaire et des espaces dédiés à la culture et

aux associations.
AURA PAS DÉJÀ DES CONSÉQUENCES CONCRÈTES
D’ENTREPRISE Bien décidé à « rendre l’assurance transparente
et impactante », Olivier Jaillon, PDG de la
À MISSION compagnie d’assurances en ligne Wakam,
qui vend en marque blanche dans treize pays,
SANS s’oblige, de son côté, à ne plus travailler avec des
distributeurs qui proposeraient des garanties
ACTIONNAIRES inutiles car déjà couvertes. Et, surtout, qui
ponctionneraient des commissions trop
À MISSION. » importantes. Pour crédibiliser le dispositif
auprès des forces de ventes, il a nommé à la tête
(LAURENCE MÉHAIGNERIE,
du comité de mission son ancien directeur
CITIZEN CAPITAL) commercial. « La réalisation de ces objectifs
extra-financiers fait désormais partie des critères
de rémunération variable », précise-t-il.
Encore en devenir, cette démarche a déjà eu
des conséquences très concrètes sur le
comportement des entreprises qui l’ont adoptée.
« Si nous n’avions pas travaillé sur notre raison
d’être et défini notre mission, nous ne nous serions
probablement pas mobilisés l’an dernier
pour aider Bercy à coordonner 1 500 ateliers
de fabrication de masques au début de la crise
sanitaire », observe Guillaume Gibault,
fondateur du Slip français. Pour certains,
l’impact touche aussi le business. « Privilégier les
bardages en bois plutôt qu’en métal, comme nous
nous l’imposons, coûte évidemment plus cher,
explique Antoine Frey. Mais c’est indispensable si
Sandrine Conseiller, nous voulons atteindre notre objectif de neutralité
directrice générale carbone pour 2030. » Pour se stimuler, l’entreprise
d’Aigle, engage son n’hésite pas à recalculer ses bénéfices en leur
groupe à porter à 50% imputant le prix de son empreinte carbone.
la part écoconçue Confrontée ce printemps à la pénurie
de sa collection, de conteneurs dans le transport maritime, la
d’ici l’été prochain. directrice générale d’Aigle, qui s’est aussi fixé

Pourquoi la loi Pacte de leur activité sur inscrits dans ses N’y a-t-il pas un potentielle de perdre
marque-t-elle un vrai leur environnement statuts. Membres risque que tout ce son label. Très risqué
tournant ? physique et social. de droit du comité dispositif fasse pour son image
A.H. Avant ce texte, de mission, les salariés « pschitt » ? « corporate ».
les sociétés Comment le modèle y gagnent une nouvelle L’heure du bilan n’est
CORENTIN FOHLEN/ DIVERGENCE

ARMAND HATCHUEL* : continuaient d’être de l’entreprise responsabilité car pas encore venue. Mais * Chercheur en science
« C’EST LA PREMIÈRE régies dans le Code à mission s’inscrit-il cet organe dispose c’est la première fois de gestion à Mines
FOIS QU’UNE DÉMARCHE civil par une définition dans la lignée de la d’un pouvoir de qu’une démarche de Paritech. Les travaux
DE CE TYPE EST qui remontait au RSE ? proposition et ce type est contrôlée de son équipe sur
CONTRÔLÉE PAR UN XIXe siècle et qui Il la crédibilise en d’investigation plus par un organisme tiers « l’entreprise à objet
ORGANISME TIERS ne tenait aucun obligeant l’entreprise étendu que celui du indépendant. social étendu » ont
INDÉPENDANT » compte de l’impact à définir des objectifs Comité d’entreprise. Avec pour sanction nourri la loi Pacte.

36 – L E S E CHOS WE E K- E ND

comme objectif de renoncer au fret aérien, a
préféré recevoir sa nouvelle collection en retard
plutôt que remettre en cause son engagement.
Dans un autre genre, le fabricant de cadeaux
d’entreprise Anaïk, qui se fait fort de « générer
un impact positif et durable sur les personnes
et la planète dans le secteur de la promotion »,
n’hésite pas à faire le tri dans ses clients.
« Nous refusons tous les projets de cadeaux futiles
qui n’auraient d’autres buts que d’inciter
à la consommation », précise son PDG Frédéric
Delloye qui a engagé son entreprise dans une
démarche de sourcing responsable.
Tous ces dirigeants ont un point commun : ils
ne voient pas ces sacrifices à court terme comme
des coûts mais comme des investissements.
« J’ai l’intime conviction que notre performance
commerciale et nos futurs profits résulteront
des objectifs attachés à notre mission », résume
Antoine Frey. Encore faut-il arriver à en
persuader ses actionnaires. « Ils doivent être
associés dès le départ à la démarche », assure
OLIVIER ROLLER/DIVERGENCE
B CORP, LE LABEL QUI MONTE
C’est un peu un ovni dans l’univers des
certifications RSE. Venu des États-Unis, le label
B Corp a été adopté par 2 800 entreprises dans
51 pays. Arrivé en France en 2015, il en a certifié
150 jusqu’à ce jour. Mais plus de 3 000
entreprises ont déjà eu recours à l’outil
d’autoévaluation en ligne, et donc répondu aux
200 questions du référentiel. L’adhésion à cette
démarche peut être vue comme complémentaire
à celle de la mission. D’ailleurs de plus en plus
d’entreprises suivent l’exemple de la Camif ou
d’OpenClassrooms qui ont fait les deux. Mais là
où dans un cas, on cherche surtout à cocher des
cases – les mêmes pour tout le monde – afin de
décrocher la certification, le modèle issu de la loi
Pacte oblige davantage à se questionner et
dessiner son propre chemin. Moins intransigeant
mais potentiellement plus mobilisateur !
Guillaume Gibault, le
président fondateur
du Slip français,
insiste surtout
sur la provenance
(« à deux heures
de TGV de Paris »)
et la transparence
de fabrication de ses
produits.
LE S E CHOS WE E K- E ND – 37
L’ENTREPRISE À MISSION
Olivier Jaillon pour Wakam. En particulier
s’il s’agit de fonds d’investissement par nature
moins engagés sur le long terme. « Même si tous
n’ont pas encore franchi le pas, certains d’entre
eux commencent à comprendre que ce type
d’objectifs peut devenir un facteur de performance
commerciale », indique Pierre Dubuc qui a inscrit
la mission d’OpenClassrooms dans son pacte
d’actionnariat. Guillaume Gibault a réussi
à convaincre l’un d’eux d’intégrer le comité de
mission du Slip français.
Reste que pour une entreprise cotée avec
un capital dilué, l’affaire est encore compliquée.
Il lui faut faire un gros travail de pédagogie
en amont. C’est sans doute ce qui a péché chez
Danone. « Il n’y aura pas d’entreprises à mission
sans actionnaires à mission », martèle Laurence
Méhaignerie, dont le fonds est présent au capital
de trois entreprises estampillées : la Camif,
OpenClassrooms et la start-up Deuxièmeavis.fr.
Pour autant, il faudra aussi que la démarche
se précise car, pour le moment, tout est basé sur
le volontariat. Chaque entreprise est totalement
libre de déterminer son combat. Pourvu qu’il
favorise l’intérêt général.
LA MARGE D’INTERPRÉTATION
En se donnant pour raison d’être de « reconnecter
les Français et les Françaises à la nature », Groupe
Rocher a choisi de ne pas lier sa mission à son
activité. Risquant qu’on lui reproche de retomber
dans le registre dépassé des fondations et,
accessoirement, d’apporter de l’eau au moulin de
ceux qui ne voient dans tout cela qu’un nouveau
levier de greenwashing. Le PDG Bris Rocher,
petit-fils du fondateur, revendique cette décision.
« Le succès du groupe construit par mon grand-
père vient de la nature à laquelle nous voulons
restituer un peu de ses bienfaits. Nous avons
ainsi planté 100 millions d’arbres en treize ans »,
explique-t-il. Le modèle d’entreprise à mission
nous permet pour la première fois d’inscrire
cette culture d’entreprise dans nos statuts », assure
celui qui vient de se voir confier par le
gouvernement une mission sur la mise en place
et le développement des entreprises à mission.
On le voit donc, le modèle laisse beaucoup de
marge d’interprétation. Le principal écueil serait
qu’on se serve de cette souplesse pour se lancer
dans une démarche a minima, juste pour arborer
l’estampille « Entreprise à mission ». « À l’inverse
d’une certification, on reçoit son diplôme avant
d’avoir passé l’examen », reconnaît la fondatrice
de Citizen Capital qui préside la communauté de
ces entreprises. Tout se joue après coup, dans la
mise en place et le respect des objectifs. « Nous
avons choisi d’être conciliants au début pour ne
pas dissuader les bonnes volontés, mais nous
entendons bien relayer l’exigence du modèle,
insiste Laurence Méhaignerie. Toutes les
entreprises n’ont pas encore forcément compris
qu’il ne s’agissait pas juste de bricoler une politique
de RSE améliorée. Mais bien d’instaurer une
nouvelle gouvernance ! »
Plus d’infos sur lesechos.fr/weekend
BUSINESS STORY

LA VOIX, SALUT
out ne s’est pas arrêté pour le spectacle vivant
avec la pandémie. Les comédiens, qui ont été
particulièrement bien protégés en France, ce

DES COMÉDIENS que les grévistes actuels semblent avoir oublié,

ont continué de prêter leur voix. Pendant que
la France était sous cloche au printemps 2020,

AU TEMPS DU COVID André Dussolier a enregistré depuis son

domicile, avec son iPhone, Semmelweis de
Louis-Ferdinand Céline, pour France Culture, et
Productions radiophoniques, « dès la fin mai, les fictions à plusieurs comédiens
avaient été relancées », souligne Sandrine
doublage de films et de séries,
Treiner, directrice de la radio publique.
documentaires, mais aussi jeux À la sortie de ce premier confinement,
vidéo, livres audio et podcasts l’activité a aussi repris pour Françoise Gillard.
en plein essor… La voix n’a jamais La sociétaire de la Comédie-Française a donné
une vie sonore au dernier roman d’Amélie
été aussi recherchée, apportant
Nothomb, Les Aérostats. « C’était un bonheur de
pendant la crise sanitaire pouvoir subitement retourner dans un studio »,
une bouffée d’oxygène aux acteurs se souvient-elle. « J’ai immédiatement
du spectacle vivant. recommencé à travailler », lance également
Gabriel Le Doze, voix française de nombreuses
Par Nathalie Silbert stars internationales – de Kevin Spacey dans
une vingtaine de longs métrages et dans la série
culte « House of Cards » à Philip Seymour
Hoffman, Mickey Rourke ou l’Italien Toni

MATTHIEU RONDEL / HANS LUCAS

Dans les studios de Dubbing Brothers, leader français du doublage, à La Plaine-Saint-Denis. L’entreprise fait travailler quelque 4 000 artistes.

38 – L E S E CHOS WE E K- E ND
 LA VOIX, SALUT DES COMÉDIENS AU TEMPS DU COVID

Servillo (Il Divo, La Grande Bellezza). L’acteur

a enchaîné les contrats : il a prêté son timbre
au Dr Aaron Glassman dans « Good Doctor »,
au poète Miguel de Unamuno dans le film Lettre
à Franco ainsi qu’à Herman J. Mankiewicz,
le scénariste de Citizen Kane interprété par Gary
Oldman dans Mank, le biopic de David Fincher.
« Cinq jours de travail intense assortis d’un
protocole sanitaire strict », dit-il.
Productions radiophoniques, spots
publicitaires, documentaires, mais aussi jeux
vidéo, livres audio en plein essor… La voix n’a
jamais été aussi recherchée. Certains secteurs
ont même connu un développement inattendu
grâce aux confinements et aux couvre-feux.
Les podcasts de fiction, par exemple, dont
l’écoute a explosé. Mais aussi le doublage des
œuvres en stock, les Netflix, Amazon Prime
Video, Disney+ et autres plates-formes
souhaitant enrichir rapidement leur catalogue
à destination des Français privés de sorties.

À CHAQUE MARCHÉ SES EXIGENCES

« Ces mondes, très variés, sont déconnectés
les uns des autres », souligne Chloé Sitbon,
présidente de l’association Les Voix, qui
représente 250 comédiens spécialisés dans
la voix enregistrée. Chaque « marché » a son
organisation. Les studios de doublage ne sont
pas ceux où l’on enregistre les livres audio
ou la version française des jeux vidéo. Les
usages, aussi, sont différents. Dans l’univers
de la publicité, des agents spécialisés dans
la voix jouent les intermédiaires. « L’agence
créative nous transmet le brief de ce qu’elle
recherche. Par exemple, Pampers nous a demandé
une voix cassée ni trop jeune, ni trop vieille,
joyeuse et rassurante », relate Shany Berreby,
à la tête de l’agence O.djo. Sur les doublages
de films et de jeux vidéo, ce sont en revanche
les directeurs artistiques – souvent des acteurs,
eux-mêmes doubleurs – qui choisissent et
dirigent les castings. « Rien ne se fait sans la
validation de la major », insiste Virginie Méry,
doublure dans le film d’animation Princesse
Mononoké de Hayao Miyasaki.
Cet engouement pour la voix crée des
opportunités nouvelles pour les acteurs.
Le métier requiert des talents différents selon
les secteurs. « Lorsque vous doublez, vous devez
savoir vous oublier ! Il faut être à la fois
malléable, caméléon et virtuose, résume Gabriel
Le Doze. L’enjeu est de comprendre ce que
l’acteur original a voulu faire, rentrer dans son
corps et sa respiration. C’est la partie jubilatoire
du métier. » Tout le monde n’est pas à l’aise
avec cet exercice. « Michel Serrault était tétanisé
devant un micro », glisse-t-il. Le jeu vidéo
comporte une difficulté supplémentaire. Il exige
de l’imagination. « Le comédien travaille sans
DAVID GIESBRECHT/NETFLIX
Kevin Spacey, dans « House of Cards ». En français, on croirait entendre Gary Oldman...
L’écrivain peut intervenir avec son éditeur
DES MODES DE RÉMUNÉRATION VARIÉS dans le choix du récitant. C’est le cas de
Guillaume Musso, attaché à Rémi Bichet pour
la lecture de ses textes. Certains comme Pierre
Spots publicitaires : et 106,78 euros Lemaitre, Éric-Emmanuel Schmitt, Véronique
cachet négocié pour un téléfilm Olmi ou Claire Berest, Grand Prix des lectrices
au gré à gré auquel si la prestation Elle en 2020 pour Rien n’est noir, veulent
s’ajoutent des droits se déroule sur une assurer eux-mêmes la performance.
de diffusion. demi-journée. Sur le marché des podcasts, ce sont encore
d’autres règles. « On cherche à créer nos propres
Doublage Doublage codes pour sortir de ce que l’on entend à la radio
de fictions : de jeux vidéo : ou au cinéma », résume Nawal Hadrami.
une convention cachet négocié La cofondatrice de l’agence Calliopé, spécialisée
collective fixe les tarifs de gré à gré. dans les podcasts de marque, évite ainsi
en fonction du nombre les comédiens de doublage qu’elle juge « trop
de lignes de texte. Livres audio : formatés ».
Les six premières rémunération calculée
sont valorisées en fonction du nombre DES DÉLAIS TRÈS SERRÉS
112,40 euros pour de mots et du temps Pour les acteurs, tout se fait dans l’urgence.
un long métrage, passé. Dans la publicité, ils sont régulièrement appelés
la veille pour le lendemain. « Il faut être
disponible et souple », confirme Chloé Sitbon,
qui a démarré il y a vingt ans en interprétant
le jingle « Maggi Maggi » et a depuis séduit
trop appuyé », indique Valérie Lévy-Soussan, les publicitaires de Renault, d’Hermès, de
PDG d’Audiolib. Les habitués des planches Valentino, etc. « On doit correspondre à l’identité
à l’image de Pierre Arditi, Thibault de vocale recherchée par l’annonceur avec son état
Montalembert ou Guillaume Gallienne sont émotionnel du jour », souligne la jeune femme,
prisés. Sollicitée pour plusieurs romans également voix officielle de plusieurs médias.
d’Amélie Nothomb ou pour le dernier Delphine Mieux vaut ne pas avoir un rhume ou être
de Vigan, Les enfants sont rois, Françoise Gillard perturbée ce jour-là…

image. Il n’a pas l’histoire dans sa continuité »,
explique Hubert Drac, directeur artistique sur
des opus d’« Assassin’s Creed », la saga d’Ubisoft.
Le livre audio requiert d’autres qualités.
« L’acteur doit travailler entre la lecture et
l’interprétation du texte. Son jeu ne doit pas être
avoue adorer cet exercice « qui vous permet
d’entrer dans l’intimité d’un écrivain et d’une
œuvre littéraire ». Mais, physiquement, il faut
être solide. « Les séances de lecture durent
quatre heures d’affilée. Cela exige beaucoup
de concentration », dit-elle.
La rapidité a aussi gagné l’industrie du
doublage. Le « doubleur » découvre en arrivant
au studio d’enregistrement le texte et le
personnage qu’il va incarner. La plupart du
temps, il ne dispose que d’un seul visionnage
pour s’imprégner de la situation. « Quand

LE S E CHOS WE E K- E ND – 39
BUSINESS STORY LA VOIX, SALUT DES COMÉDIENS AU TEMPS DU COVID

Doublure attitrée d’une star hollywoodienne

et têtes d’affiche ont le privilège de négocier
leurs cachets et de décrocher des contrats en or.
Dans l’animation notamment, où les majors
veulent un casting aussi prestigieux que celui
de la version originale. Question de standing,
mais pas seulement. Ce sont les « voix
françaises » qui assurent la promotion du film.
Les Dany Boon, Marion Cotillard, Jean Reno,
Alain Chabat ou Omar Sy se sont laissé séduire.
Pour les autres, la concurrence est rude.
Les candidats se bousculent. « Actuellement,
j’ai 500 acteurs dans mon fichier et plus de 1 000
qui souhaitent y entrer », relève l’agent Delphine
L’auteure Claire Routier, à la tête de Voix-ci Voix-là. « Dans tous
Berest a tenu à les secteurs, il y a la volonté d’injecter du sang
donner sa propre neuf », constate Jérôme Berthoud, qui a doublé
voix à la version Johnny Depp dans Edward aux mains d’argent
audio de son livre de Tim Burton et est régulièrement appelé
Rien n’est noir. sur des séries télévisées.
Ci-contre, lors Les studios veulent disposer d’un vivier
d’une séance plus large pour répondre à la demande
d’enregistrement croissante. « Une série exige jusqu’à 30 à 50 voix
au studio Rosalie de différentes », rappellent Mathieu et Alexandre
bouche à oreilles,
Taïeb, qui s’appuient sur quelque 4 000 artistes.
le 22 juin 2020.
Il en va de même pour les « blockbusters »
du jeu vidéo. Et, à elle seule, France Culture
fait travailler dans ses émissions un millier
d’acteurs chaque année. « Nous sommes le plus
grand théâtre de France pour les comédiens ! »
s’exclame Sandrine Treiner.

« C’EST LE MÊME MÉTIER »

vous découvrez une scène, vous devez scruter
le regard, les expressions, le corps de l’acteur,
décrit la comédienne Maëlle Genet. C’est du jeu,
c’est très agréable, à condition de maîtriser
la technique. »
À la tête de Dubbing Brothers, leader
français du doublage, Mathieu et Alexandre
Taïeb constatent que les délais se sont
raccourcis car « les plates-formes veulent pouvoir
procéder à des lancements mondiaux de leurs
programmes ». Pour une série, il faut être encore
plus rapide que pour un long métrage.
« Sur “House of Cards”, on avait quatre jours
et demi pour doubler trois épisodes », se rappelle
Gabriel Le Doze, qui n’a jamais rencontré
Kevin Spacey ni aucune des autres célébrités
qu’il a doublées.
CLAUSES DE CONFIDENTIALITÉ
Dotée d’une forte culture du secret, l’industrie
du divertissement impose à ses « voix » des
clauses de confidentialité draconiennes.
témoigne Blanche Ravalec (Bree Van de Kamp
dans « Desperate Housewives », Gloria Trillo
dans « Les Soprano »), dans le métier depuis
trente ans. Et il n’est pas rare qu’un acteur soit
convoqué sans savoir pour quel programme.
« Les majors ont une peur bleue des copies
et des fuites », glisse un familier sous couvert
d’anonymat. Gare à celui qui enfreint les règles :
« On est vite grillé dans ce milieu ! »
« LORSQUE L’ON DOUBLE
POUR NETFLIX OU DISNEY+,
IL EST INTERDIT DE
PARLER DU PROJET SUR
LEQUEL ON TRAVAILLE
TANT QUE L’ŒUVRE
Si les revenus tirés de ces activités de l’ombre
permettent à beaucoup de comédiens de se
lancer sur des projets risqués, au théâtre par
exemple, pour nombre d’entre eux, il ne s’agit
pas d’un métier d’appoint. « En temps normal,
j’enchaîne une quinzaine de prestations par mois
et j’en vis assez bien », avoue François Hatt.
Polyvalent, il prête son timbre à des livres audio
– il a reçu en 2020 le Prix France Culture
pour Léonard de Vinci, de Walter Isaacson –,
joue dans des émissions radiophoniques,
fait du doublage et enregistre des audioguides
pour les musées, marché en expansion.
Depuis vingt ans, les métiers de la voix ont
acquis leurs lettres de noblesse. « Ils ne sont plus
considérés comme le parent pauvre du métier
de comédien. Et ce, entre autres, grâce à
l’animation qui a médiatisé les acteurs qui
prêtaient leur voix », note Jérôme Berthoud.
Avec la crise sanitaire, tout n’a certes pas
repris comme avant. Mais l’effervescence
autour de la voix apporte une bouffée d’oxygène
à beaucoup d’acteurs. « C’est le même métier !
On est tout simplement comédien », affirme
Gabriel Le Doze. Françoise Gillard assure
elle aussi que sa passion pour les planches
ne l’empêchera pas de continuer à enregistrer
des livres audio malgré la réouverture de
la Comédie-Française. « Je le fais avec la même
recherche et le même engagement que lorsque
DR

« Lorsque l’on double pour Netflix ou Disney+, je joue au théâtre. »

AUDIOLIB

il est interdit de parler du projet sur lequel

on travaille tant que l’œuvre n’est pas diffusée », N’EST PAS DIFFUSÉE. » Plus d’infos sur lesechos.fr/weekend

40 – LE S E CHOS WE E K- E ND
 CULTURE
04 JUIN 2021

PHILIPPE
SOLLERS
LE SINGULIER
PLURIEL
Par Josyane Savigneau
FRÉDÉRIC STUCIN / PASCO

LE S E CHOS WE E K- E ND – 41
CULTURE
ui aurait imaginé qu’un jour Philippe Sollers
se confierait sans masque, comme il vient de
le faire, à 84 ans, dans Agent secret (Mercure
de France) son quatre-vingt-quatrième livre ?
Jusqu’ici, son texte le plus directement
autobiographique, Portrait du joueur
(Gallimard, 1985) était un roman. Quant à
ses Mémoires, ils ont pour titre Un vrai roman
(Plon, 2007).
Philippe Forest, dans son Philippe Sollers
Toujours différent (Seuil, 1992) soulignait que la fiction était
pour lui « le lieu absolu de la vérité : inversion
et toujours lui-même. des illusions, traversée des apparences,
Flirtant avec le nouveau construction d’un simulacre plus présent
roman, puis avec la que le modèle auquel on voudrait le fixer.
littérature classique. En ce sens, le roman est la vérité ; la vérité est
le roman. » Sollers aurait-il soudain mis de côté
Fou de fiction et d’essais cette vérité ? Absolument pas.
mordants. Passant sa vie On ne peut toutefois pas exclure qu’il ait
à briller, à surprendre voulu devancer les biographes en parlant plus
– et aussi à décevoir. clairement que jamais de son enfance, de
sa famille, de ses amours, de son fils qui
Portrait d’un écrivain affronte avec panache des problèmes de santé
électron libre et constants. Mais ce n’est pas l’essentiel, car
heureux de 84 ans. tout ce qui est évoqué dans Agent secret, photos
42 – LE S E CHOS WE E K- E ND
comprises – enfance, souvenirs, amours,
écrivains aimés, peintres, musiciens, etc. –
est présent dans son œuvre, sous des formes
diverses qui se répondent et se complètent.
Si on aime les livres de Sollers, on les relit
à la lumière d’Agent secret, on recherche
des pistes, des traces, des détails.
MAURICE ZALEWSKI / ADOC-PHOTOS
MOTHER
La mère, par exemple. Voici un beau passage
du Secret (Gallimard, 1993) : « Mon Dieu, tout
arrive en même temps… J’avais beau savoir
que Mother vivait son dernier parcours, jamais
je n’aurais cru que la fin irait aussi vite.
Mother ? Non ? Déjà ? Quatre-vingt-quatre ans,
mais quand même… Toujours vive, précise,
JOHN FOLEY/OPALE / BRIDGEMAN IMAGES
les yeux, l’esprit, le front lumineux lavé,
la gaieté… Ma jeune et vieille petite mère,
ou plutôt ma définitive, pudique et impérieuse
petite fille, depuis des années… »
Dans le même roman, il est beaucoup
question de la relation père et fils. Et la femme
du narrateur – comme dans d’autres textes –
ressemble à sa propre épouse, Julia Kristeva.
La figure de Dominique Rolin (1913-2012),
 PHILIPPE SOLLERS

SOLLERS EN DATES

1936, 28 novembre. 1983 Quitte le Seuil Philippe Sollers,

Naissance à Talence, pour Gallimard l’homme aux
Gironde. et publie Femmes. multiples visages,
1958 Parution d’Une 1987 Collaboration et l’écrivain
curieuse solitude régulière au Monde qui se revendique
(Seuil), son premier des livres. inclassable…
roman. Commence 1994 La Guerre Page de gauche,
en 1999, ci-contre,
sa longue histoire du goût (articles
en 1959. Il vient
d’amour avec du Monde et autres
d’accéder à la
Dominique Rolin essais).
notoriété avec son
(1913-2012), de 2000 Passion fixe. premier roman, Une
vingt-trois ans Dominique Rolin curieuse solitude.
son aînée. publie Journal
1960 Fondation de la amoureux. Bernard
revue Tel Quel et du Pivot les invite
groupe du même nom. tous les deux à
1961 Le Parc, prix Bouillon de culture
Médicis, (Seuil). et révèle leur relation,
1967 Épouse jusqu’ici clandestine.
la linguiste 2007 Un vrai roman.
et psychanalyste Mémoires (Plon).
Julia Kristeva. 2014 Médium
1973 Parution de H, inaugure une série
livre sans ponctuation de romans courts,
(Seuil). publiés chaque année
1981 Paradis, autre depuis lors.
livre non ponctué 2021 Légende,
(Seuil). Agent secret.

son grand amour longtemps clandestin
avant la publication d’un choix de leur énorme
correspondance – quatre volumes entre 2017
et 2020 (Gallimard) – est présente dans
de nombreux livres, et plus particulièrement
dans Passion fixe (Gallimard, 2000), à travers
l’héroïne Dora, même si Sollers prend soin
de composer ses personnages, pour préserver
une certaine ambiguïté romanesque.
Dans tous ses romans – ceux qui sont
considérés comme d’avant-garde comme les
narrations plus classiques – le but est le même,
unique : affirmer la singularité de l’écrivain
– « un corps spécial qui poursuit sa liberté » –
et la cohérence de son œuvre, au-delà
des images sociales qu’il a pu donner à tel
ou tel moment, pour de bonnes – selon lui –
ou de mauvaises raisons, peu importe.
Au-delà aussi des clichés : catholique
revendiqué, maoïste non repenti, traître à
l’avant-garde, bourgeois provocateur, faux
révolutionnaire… Le début d’Agent secret est une
réponse : « Contrairement aux apparences, je suis
plutôt un homme sauvage, fleurs, papillons
arbres, îles. Ma vie est dans les marais, les vignes,
les vagues. Qu’importe ici qui dit je. Écrire à la
main, nager dans l’encre bleue, voir le liquide

Musée Champollion
Aux origines de l’égyptologie
Ouverture
juin 2021
45 rue Champollion
38450 Vif

ENTRÉE GRATUITE DANS LES MUSÉES DU DÉPARTEMENT DE L’ISÈRE

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CULTURE

Deux femmes
puissantes dans
la vie de Philippe
Sollers : son épouse
depuis 1967,
Julia Kristeva
(ci-contre, en 1987),
psychanalyste,
écrivain
et sémiologue,
d’origine bulgare…
… Et la romancière
belge Dominique
Rolin (à droite, en
1996), avec laquelle
il a entretenu une
liaison durant plus
de cinquante ans,
et une très large
correspondance.

s’écouler sont des expériences fondamentales.
Je vis à la limite d’une réserve d’oiseaux, mouettes
rieuses, goélands, faucons, sternes, bécasseaux,
canards colverts, hérons. Ah être un oiseau ! »
On peut y ajouter, preuve de sa science de
la dissimulation, la citation des 36 stratagèmes–
Manuel secret de l’art de la guerre, faite
dans son dernier roman, Légende, paru lui aussi
au printemps de cette année (Gallimard) :
« À se garder de tous côtés la vigilance s’endort,
un spectacle familier n’éveille pas le soupçon.
L’occulte est au cœur du manifeste et
non dans son contraire. Rien n’est plus caché
que le plus apparent. »
Singularité est le mot-clé – jamais de
« nous », jamais d’ensemble. Rencontres
singulières amours singulières… tout cela est
réaffirmé sans cesse dans Agent secret : « Encore
une fois, ce qui compte, ce sont les rencontres
de singularités. Elles sont radicalement
inabsorbables par le tissu social officiel.
Tout ça se passe dans une profonde clandestinité.
Sans clandestinité, rien. » Sans exercice de
la solitude, rien non plus. Déclaré dès le titre
de son premier roman Une curieuse solitude
(Seuil, 1958), et répété à la première page de
Studio (Gallimard, 1997) – un de ses plus beaux

PHILIPPE MATSAS/OPALE / BRIDGEMAN IMAGES

L’HOMME DE L’ART textes, trop peu commenté. « J’ai rarement été
aussi seul. Mais j’aime ça. Et de plus en plus. »

Musique et peinture imprègnent
toute l’œuvre de Philippe Sollers.
Improvisations (1991) est dédié
aux musiciens, qu’il admire
« parce qu’ils ne peuvent pas
mentir »… Les musiciennes y
sont toujours des personnages
positifs. La claveciniste de
mais sur fond de stupeur, de
torpeur. » (Mystérieux Mozart,
Plon, 2001).
Les œuvres d’art sont au cœur
de l’intrigue du roman La Fête à
Venise (1991). Sollers a consacré
des livres entiers aux peintres
qui sont dans son panthéon :
profondeur. » Et la fin de
De Kooning, vite (La Différence,
1988) : « L’ivresse est d’une
sûreté magnétique, tout le
monde ne peut pas être ivre
avec précision, relâché-tendu,
Van Gogh libéré, avec
élégance. » Quant à Picasso,
LE GOÛT DU BONHEUR
Autre règle de vie : la joie, le goût du bonheur.
Là aussi présent dès les débuts, avec en
épigraphe d’Une curieuse solitude, ce mot
de Joubert : « Le plus beau des courages, celui
d’être heureux. » Puis en ouverture de Carnet
de nuit (Plon, 1989) : « Pour vivre cachés,
vivons heureux. » Et enfin tout au long de
SOPHIE BASSOULS / BRIDGEMAN IMAGES

Femmes, Lisa, l’héroïne pianiste
de Beauté (2017)…
Un livre entier est consacré à
l’un de ses compositeurs
préférés, Mozart : « Il est étrange
de se dire qu’après Mozart tout
s’est brusquement ralenti dans
le bruit et la fureur. Il y a eu une
accélération de l’Histoire, soit,
Fragonard, Cézanne, Picasso,
De Kooning, Bacon. Souvent
en écho à ses propres principes,
de vie et de création.
Prenons le début du Paradis
de Cézanne (Gallimard, 1995) :
« La solitude de Cézanne,
nous n’en avons sans doute pas
encore mesuré l’ardeur et la
le héros (Cercle d’art, 1996), il
s’ouvre sur un propos du peintre,
que Sollers applique aussi à
la littérature : « La peinture n’est
pas une question de sensibilité :
il faut usurper le pouvoir ;
on doit prendre la place de la
nature, et ne pas dépendre des
informations qu’elle vous offre. »
Légende et Agent secret : « Se tenir à la joie est
un principe de vie, une politesse, un savoir-vivre ».
« La joie est ma philosophie essentielle. »
Cette singularité tant souhaitée, elle n’était
pas si facile à imposer quand on a connu,
comme Sollers, il y a soixante-quatre ans,
des débuts flamboyants à 21 ans. En 1957, paraît
un court texte, Le Défi, dans la collection Écrire,
de Jean Cayrol, au Seuil. François Mauriac, dans

44 – L E S E CHOS WE E K- E ND

son Bloc-notes de L’Express, le 12 décembre
1957, écrit une longue « contribution personnelle
à la Nouvelle Vague » à propos de Sollers :
« J’aurais été le premier à écrire ce nom. Trente-
cinq pages pour le porter, c’est peu – c’est assez. »
L’année suivante, c’est Aragon, dans un article
des Lettres françaises du 20 novembre 1958,
« Un perpétuel printemps », qui voit Une curieuse
solitude comme « le livre de la grâce » et conclut,
à propos de son auteur : « Le destin d’écrire
est devant lui comme une admirable prairie. »
DÉCEVOIR
Que faire si on veut rester libre ? Décevoir.
Créer en 1960, avec d’autres jeunes gens doués
– Jean-Edern Hallier, Jean-René Huguenin,
Renaud Matignon – une revue, Tel Quel,
et un groupe, qui allaient bouleverser le paysage
éditorial. Devenir, comme Sollers le dit avec
humour, dans Vision à New York (Grasset, 1981),
« un écrivain qui a donné de grands espoirs
à la culture française et qui a épouvantablement
déçu par la suite ». Et puis écrire des livres dits
d’avant-garde, à commencer par Le Parc, celui
qui est le plus proche du Nouveau Roman, (Seuil,
1961, prix Médicis), jusqu’à Paradis (Seuil, 1981)
et Paradis II (Gallimard, 1986) long texte sans
ponctuation, appelé à devenir une œuvre infinie.
Enfin, décevoir de nouveau, en quittant
les éditions du Seuil, en liquidant Tel quel
et en arrivant chez Gallimard – où seront
désormais tous ses romans –, avec Femmes,
et un spectaculaire virage littéraire qui sera
interprété comme un retour à une narration
classique et, pour beaucoup, comme une
trahison, aggravée par le succès commercial
du livre. On peut pourtant le relire aujourd’hui
comme un texte prémonitoire, explorant
le malentendu des relations entre les hommes
www.museedartsdenantes.fr
#USAbstraction
« FEMMES », UN TEXTE
PRÉMONITOIRE, EXPLORANT
LE MALENTENDU DES
RELATIONS ENTRE LES
HOMMES ET LES FEMMES.
et les femmes, qui n’a fait que s’amplifier
depuis. Et voir que c’est aussi, d’une manière
plus facilement lisible, une réécriture et une
poursuite de Paradis.
Suivent alors, jusqu’en 2012, et L’Éclaircie,
de nombreux essais – sur la littérature,
la peinture – et une douzaine de romans,
où se mêlent autobiographie détournée,
critique sociale et grande tradition du roman
philosophique, héritée des Lumières. Puis,
à partir de Médium (2014), Sollers qualifie plutôt
les courts textes qu’il publie chaque année,
de « romans métaphysiques ». On peut les lire
comme de petits précis de résistance aux
UNITEDSTATES OF
ABSTRACTION
ARTISTES
AMÉRICAINS
EN FRANCE,
PHILIPPE SOLLERS
dérives de l’époque. Une manière de continuer
cette « guerre du goût » commencée dans
le recueil d’essais de 1994 portant ce titre,
qui sera suivi d’Éloge de l’infini (2001), Discours
parfait (2010), Fugues (2012), Complots (2016).
PREUVES
Contrairement à son écrivain américain
contemporain préféré, Philip Roth, Philippe
Sollers ne prendra pas sa retraite. Comme
on le voit dans ses Lettres à Dominique Rolin,
écrire, est pour lui, comme il l’était pour elle,
une manière de vivre. La particularité de
leur correspondance est justement d’être
celle de deux écrivains, nourrie de leurs projets
et de leur travail : « Ma page quotidienne »,
comme aimait à le dire Dominique Rolin.
Dans le journalisme, on préconise de ne pas
terminer un article par une citation.
En littérature, on reproche à Sollers de faire,
dans ses romans, trop de citations. Il répond
que ce sont, non pas des collages gratuits,
mais des preuves. Alors voici une preuve,
très emblématique de sa démarche, tirée
du chapitre Paradoxes, de Légende: « Tout se
détraque, et se recompose en douce. On n’a jamais
vu autant de folie, mais celui qui garde la raison
tient de l’or. La perversion règne, l’innocence
brille. L’escroquerie est partout, l’honnêteté
se renforce. Le désert s’accroît, les fleuves
débordent. Le doute prolifère, la foi s’approfondit.
L’ignorance augmente, la science progresse.
La vulgarité explose, la délicatesse s’impose.
La violence s’acharne, la douceur répond. »
La majeure partie des livres de Philippe Sollers
est disponible dans la collection Folio Gallimard.
Plus d’infos sur lesechos.fr/weekend
vers 1961-1962, Stockholm, Moderna Museet © 2021 Sam Francis Foundation,
Musée d'arts de Nantes - Nantes Métropole | Sam Francis, Blue Balls (détail),
18 JUILLET 2021
JUSQU'AU
California / ADAGP, Paris, 2021 | Graphisme :
CULTURE LACATON ET VASSAL, PRIX PRITZKER

Le couple de Français a reçu

en mars le prix Pritzker,
la récompense suprême des
architectes. À contre-courant
total du star-system,
ils réalisent des projets pour
moins cher et en démolissant
le moins possible. Une nouvelle
époque pour l’architecture.
Par Judith Benhamou

haque année le résultat

du Pritzker, souvent appelé le Nobel de
l’architecture, est claironné à travers toute
la planète. Un comité indépendant distingue
un architecte pour l’excellence de son œuvre.
Le nom de cette récompense suprême reprend
le patronyme de Cindy & Jay Pritzker, le couple
de Chicago – membre de la famille propriétaire
de la chaîne d’hôtels Hyatt – qui a eu l’idée
en 1979 de créer un prix pour encourager
la créativité dans la discipline.
Le palmarès est ahurissant. Ainsi, le lauréat
du millésime 1979 était une légende de
l’architecture de la transparence et de la
géométrie aux États-Unis : Philip Johnson. En
1983, c’est le futur inventeur de la pyramide du
Louvre, le Sino-Américain Ieoh Ming Pei, qui
est nommé ; en 1995 le Japonais autodidacte, roi
du béton Tadao Ando, en 2000 le théoricien
hollandais de la ville du futur Rem Koolhaas…
Jusqu’en 2020, seuls deux Français avaient
obtenu la récompense : Christian de
Portzamparc en 1994 et Jean Nouvel en 2008.
Recevoir le Pritzker, c’est se hisser au rang
de ce que les Américains nomment les
« starchitects », les super vedettes du genre
souvent associés à des réalisations
spectaculaires et photogéniques.
Mais même à Chicago les temps changent et
les esprits aussi. Le 16 mars 2021, c’est un couple
de Français qui a reçu le fameux prix : Anne

LACATON ET
BRUNO LEVY /DIVERGENCE IMAGES

Lacaton (née en 1955) et Jean-Philippe Vassal (né

en 1954). « Starchitect » eux ? Associés à la ville
comme à la maison, ces deux-là n’appartiennent

VASSAL, en rien à un star-system. « L’ego ? interroge

surpris Monsieur. Non ! Il oriente tout à l’excès
vers sa propre personne. » Ce qui les intéresse c’est

ARCHIS MODESTES leur pouvoir d’influence : « Nous savons qu’il y a

beaucoup de jeunes architectes qui sont au

46 – L E S E CHOS WE E K- E ND
 2 place de la Concorde
75008 PARIS
© JEAN-PIERRE DELAGARDE / CMN. © DIDIER PLOWY / CMN.

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JOSEPH ACHKAR
& MICHEL CHARRIÈRE
DÉCORATEURS
CULTURE LACATON ET VASSAL, PRIX PRITZKER
courant de ce que nous faisons. Ce sont eux qui
sont importants. Ils sont les artisans d’une vie
urbaine meilleure pour l’avenir. » En dehors des
normes, leur vision passe avant tout, non par la
construction signature mais par la
transformation de bâtiments déjà existants.
Même simplicité pour les locaux dans
lesquels ils nous reçoivent. Un modeste
bâtiment de banlieue populaire dans lequel ils
occupent le dernier niveau. À Montreuil, juste à
côté de la rue de la Révolution. Un détail qui
n’est pas pour déplaire à Jean-Philippe Vassal.
Seule la vue du ciel qui encercle l’open space
confère un caractère grandiose au lieu. Ils sont
une dizaine d’employés plutôt très jeunes et très
affairés, à travailler dans un silence monacal.
Les deux patrons sont installés parmi eux, à
traitement égal. Lui s’est cependant octroyé un
petit privilège qui profite à tous : un grand
espace réservé à sa passion : les orchidées.
Leur histoire a commencé à l’autre bout
de la France. Il était une fois à Bordeaux deux
étudiants en architecture qui partagent les
mêmes idéaux et sont scandalisés par le projet
d’un développeur immobilier visant à détruire
une barre d’immeubles sociaux qui porte le joli
nom de Cité lumineuse. « Une cité au bord
de la Garonne qui s’exposait au soleil de manière
généreuse, qui a été détruite pour faire place
à trois petits blocs insipides. On n’a rien pu
faire », se lamente encore Anne Lacaton pour
laquelle l’opération a été l’élément déclencheur
d’une forte prise de conscience : « Ce qu’on fait
de mieux depuis trente ans est moins bien
que ce qu’on construisait avant. Le logement
est devenu un produit financier bien plus qu’un
espace d’habitation. »
Ils s’associent donc en 1987. En 1993, la
réalisation de la maison Latapie, jouera, pour
le cabinet bordelais, le rôle de propulseur. Cette
1993: la maison
Latapie, à Floirac,
en Gironde (les deux
façades). La première
réalisation du duo
Anne Lacaton et
Jean-Philippe Vassal.
résidence particulière de 150 m2 à Floirac est
chiffrée 55 275 euros de l’époque. Sur le site
du couple d’architectes, les coûts de production
sont systématiquement indiqués. « C’est une
maison très économique. Notre objectif consistait
à avoir le plus grand espace possible en dépensant
le moins possible : 180 m2 pour un coût habituel
de 65 m2 », précise Anne Lacaton.
DU BEAU AVEC PAS GRAND-CHOSE
Jean-Philippe Vassal fait un aparté : « Au Niger,
juste après avoir obtenu mon diplôme,
j’ai travaillé à l’aménagement du territoire.
Là-bas on est capable de créer un endroit agréable
avec pas grand-chose. J’y ai appris beaucoup. »
À l’époque du projet Latapie, l’école d’art
de Bordeaux et le musée d’art contemporain
voisin, le CAPC, sont des lieux très en vue
qui brassent beaucoup d’artistes. Des artistes
internationaux comme le suisse Thomas
Hirschhorn ou l’américain très influent
Dan Graham, en profitent pour venir voir cette
maison, sorte de « miracle » du beau pour tous.
Jean-Philippe Vassal raconte, le sourire
aux lèvres : « Bernard Blistène était commissaire
d’une exposition d’art français au Guggenheim
de New York avec une section architecture.
48 – L E S E CHOS WE E K- E ND
Dan Graham lui a dit : Si tu n’y mets pas
cette maison tu loupes tout. Elle sera même en
quatrième de couverture du catalogue. » C’est le
premier pas vers la postérité Lacaton & Vassal.
À Paris, les nouveaux patrons du futur Palais
de Tokyo, Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud,
leur confient le grand chantier de l’immeuble
art déco en piteux état. Les architectes
s’installent dans le palais même, y travaillent
deux ans et remettent le projet en 2002,
puis le complètent en 2014. Les visages
des intéressés s’illuminent à l’évocation du
colossal chantier : « 25 000 m2 de surface
consacrés à l’art en pleine ville. C’est le plus grand
lieu du genre à l’échelle européenne. »
Au palais de Tokyo, ils mettent en application
une esthétique de la friche qui a fait flores
depuis lors. « Les espaces étaient incroyables. Il
fallait en faire le minimum, ne pas hésiter à laisser
apparaître les différentes strates. Nous avons gardé
l’ambiance de la friche, avons assuré sa solidité,
tout en faisant en sorte qu’elle soit remplie de vie. »
Et d’ajouter : « Il arrive qu’on trouve des lieux
extraordinaires, avec une histoire marquante. À
vouloir trop en faire, le risque est de le dénaturer. »
Lacaton & Vassal ont pour principe de base
de détruire le moins possible. « En France,
nous sommes dans une situation de manque
de logements. Or, 150 000 d’entre eux ont été
détruits depuis quinze ans contre 125 000
qui ont été reconstruits. C’est un vrai problème »,
observe Jean-Philippe. Anne discute un peu
les chiffres puis confirme. C’est comme
cela que les deux fonctionnent : à parts égales,
en discussion permanente. Ils sont mus
par le désir commun de répondre sans cesse
PHILIPPE RUAULT
à des enjeux humains, écologiques et de
développement durable. Ainsi leur solution
pour améliorer l’habitat depuis quelques
années est le jardin d’hiver : « C’est ce qu’on
 © Nadine Fraczkowski

PARTENAIRE DE LA CARTE BLANCHE À

ANNE IMHOF « NATURES MORTES »
PARTENAIRES ANNUELS PARTENAIRES MÉDIA

22.05
24.10.2021
PERFORMANCES
EN OCTOBRE 2021
CULTURE LACATON ET VASSAL, PRIX PRITZKER

2013 : Le Frac utilise lorsqu’on doit transformer des barres

(fonds régional
d’art contemporain)
Nord-Pas-de-Calais,
à Dunkerque.
2011: réhabilitation
de la tour Bois-le-
Prêtre, à Paris.
d’immeubles dans lesquelles les gens vivent mal. »
Dans le genre, la tour Bois-le-Prêtre, à Paris
près du cimetière des Batignolles, est devenue un
cas d’école. Construite entre 1959 et 1961 elle a été
réhabilitée par Lacaton & Vassal en 2011 en y
adjoignant des balcons de deux mètres de
profondeur transformés en jardins d’hiver.
« Il s’agit d’espaces de liberté, de tranquillité, qui
permettent de voir le ciel. Ce qui est une terrasse
l’été se transforme en espace bioclimatique, plus
efficace que des isolants, l’hiver. » La réhabilitation
de la tour parisienne a été chiffrée à 11,25 euros
par mètre carré. Tout aussi audacieuse, la
construction du Frac Nord-Pas-de-Calais en 2015.
« On nous a demandé de réhabiliter un hangar du
port de Dunkerque de 80 mètres de long qui était
surnommé la cathédrale. Nous avons répondu que
nous ne voulions pas perdre ce vide. Car le vide
c’est la liberté. Le projet a donc consisté à
construire son frère jumeau juste à côté qui
contient le Frac. La halle ancienne elle, est affectée
ponctuellement à des projets spécifiques. » Depuis
deux ans, Lacaton & Vassal travaillent aussi
sur un projet de théâtre à Hambourg dans
d’anciennes usines à grues du port.
Le prix Pritzker semble n’avoir rien changé
aux habitudes du couple, si ce n’est, comme ils
le confient, qu’ils passent beaucoup de temps
avec les journalistes. « Nous recevons aussi
beaucoup de messages de personnes qui
ne veulent pas voir détruits leurs immeubles.
Nous leur donnons des conseils d’actions pour
infléchir les propriétaires. Vous savez on parle
de foudroyer pour détruire une construction.
Nous ne voulons pas voir ces gens qui observent

PHILIPPE RUAULT
choqués et malheureux la destruction de leur lieu
de vie », conclut Philippe Vassal.

Plus d’infos sur lesechos.fr/weekend

V i S i TER
POMPÉ i
Claudio Sabatino ABBAYE DE
un photographe
sur les pas de JUMIÈGES
Gustave Flaubert Jusqu’au 1er août 2021
W W W. F L A U B E R T 2 1 . F R
 STYLE
04 JUIN 2021

Fin mai 2021, les Parisiens

de retour en terrasse,
au Musset, dans le
Ier arrondissement.

RESTAURANTS :
LES SCÉNARIOS
DE L’APRÈS-COVID
Par Laurent Guez
MANUEL BRAUN POUR LES ECHOS WEEK-END

LE S E CHOS WE E K- E ND – 51
STYLE

Mercredi prochain, les restaurateurs

vont enfin pouvoir accueillir leurs clients
à l’intérieur deleurs établissements.
Après sept mois d’angoisse, ils rêvent
de retrouver leur activité d’avant
la pandémie. Mais ils devront revoir
les recettes de leur succès. Durablement…

e mercredi,
ils vont enfin respirer. Après neuf mois sur
quinze sans voir un vrai client, les restaurateurs
vont pouvoir ouvrir leurs salles. Et les
consommateurs retrouver le bonheur d’être
choyés. Quel soulagement ! Beaucoup de
professionnels, privés de terrasses ou méfiants
sur la météo, ont laissé passer le train du 19 mai.
Ils attendaient cette deuxième étape du 9 juin
pour redémarrer. Dans quel état vont-ils
retrouver leurs convives ? Malgré la violence du
choc et l’effondrement de leur chiffre d’affaires,
ils ont au moins survécu. Grâce au chômage
partiel et au fonds de solidarité, les restaurants
ont résisté, au point que le nombre des
défaillances a chuté de 39% en 2020 par rapport
à 2019. Selon plusieurs sources, certains se sont
même maintenus en activité pour profiter des
aides, alors que, hors crise sanitaire, ils auraient
dû déposer le bilan ! Un chef célèbre confie
avoir enregistré le pire chiffre d’affaires mais
le meilleur résultat de toute sa carrière : lorsqu’il
était fermé, les subventions – par définition non
imposables – ont compensé l’absence des clients ;
et lorsqu’il était ouvert, il ne désemplissait
pas, avec des additions records. Mais le temps
des aides s’achève et lorsque l’été sera passé,
tout pourrait se corser. « Jusqu’ici, les pouvoirs
publics ont fait ce qu’il fallait, mais il ne faudra
pas lâcher les restaurateurs lorsqu’ils devront
rembourser leurs dettes, prévient Damien
Rodière, le patron France de l’application de

52 – L E S E CHOS WE E K- E ND
 RESTAURANTS : LES SCÉNARIOS DE L’APRÈS-COVID

Christophe Hay, le chef résolument écolo

de La Maison d’à côté, à Montlivault.
À gauche, le rooftop de Mun, du groupe
Paris Society, sur les Champs-Élysées.

réservation The Fork (ex-La Fourchette), qui

regroupe 18 000 établissements dans l’Hexagone,
et 80 000 dans le monde. Heureusement, nous
constatons un boom des réservations depuis
l’annonce de la réouverture. » Rendez-vous donc
à la rentrée pour le moment de vérité.

S’ADAPTER AUX NOUVEAUX MODES DE VIE

Les questions seront alors nombreuses. Faut-il
craindre de nouvelles crises sanitaires ? Les
touristes reviendront-ils ? La vente à emporter
s’inscrira-t-elle dans la durée ? Restera-t-il des
salariés qualifiés, prêts à accepter les servitudes
du métier ? Surtout, le modèle même du
restaurant va-t-il devoir changer ? Sûrement,
car le virus a joué un rôle de catalyseur.
L’établissement d’après-Covid sera plus
authentique, plus attentif aux producteurs et
aux clients locaux, plus écolo, plus inclusif,
JULIELIMONT

mais aussi plus digital. Le secteur qui prenait

son temps pour se mettre au goût du jour va
devoir s’activer… « C’est un métier qui a un avenir,
MANUEL BRAUN POUR LES ECHOS WEEK-END

mais à condition qu’il s’adapte aux nouveaux

modes de vie, en particulier au télétravail, estime
le consultant François Blouin, président de
Food Service Vision. Son lieu d’implantation sera
décisif. Un restaurant aura plus de chance de
réussir s’il est installé dans une zone résidentielle
à fort pouvoir d’achat (plutôt qu’à La Défense), ou
bien dans un lieu de flux comme les gares de villes
moyennes, où transiteront de plus en plus de
salariés ayant fui les grandes villes. » Depuis

LE S E CHOS WE E K- E ND – 53
STYLE

son poste d’observation, Damien Rodière
partage cet avis : « Les situations des
restaurateurs sont très disparates suivant les
quartiers : les quartiers touristiques et de bureau
risquent de souffrir plus que les autres. »
RENOUER AVEC LA CLIENTÈLE DE PROXIMITÉ
La priorité à court et – peut-être – à moyen
terme, consistera à attirer le voisinage… Car la
manne de la clientèle internationale n’est pas
près de se déverser à nouveau dans les caisses
des restaurants, pas plus que dans celles des
hôtels. « Les seules grandes maisons qui ont bien
Jusqu’à présent,
la pandémie a épargné
les restaurants. Le pire
est peut-être à venir,
LES PREMIÈRES mais sur l’ensemble
VICTIMES DU VIRUS de l’année dernière,
le nombre de dépôts
fonctionné, l’été dernier, étaient celles qui avaient à Paris, Thierry Bourdoncle juge lui aussi
une clientèle domestique, à moins de quatre heures que le gros enjeu de l’après-Covid consistera
de voiture », rappelle Olivier Roellinger, vice- à satisfaire les consommateurs proches. « Nous
président du groupe Relais et Châteaux (600 devons aller plus loin sur le “circuit court”, un
hôtels et tables de luxe dans le monde). L’ex-trois concept qui englobe à la fois nos fournisseurs et
étoiles Michelin à Cancale se souvient du vieil nos clients, lâche l’homme d’affaires, qui a mis la
adage de son ami Pierre Troisgros : « Il avait deux main juste avant la pandémie sur six brasseries
règles d’or : une salle pleine et une poubelle vide. en Normandie, dont Le Central à Trouville et
Pierre voulait travailler avec les produits et les gens Le Drakkar à Deauville. Nous proposerons dans
qui l’entouraient, c’est-à-dire la clientèle locale. » nos restaurants des offres plus simples, à prix plus
Propriétaire d’une vingtaine d’adresses abordables, pour les clients locaux… sans oublier
emblématiques, comme Sénéquier à Saint- d’être attractifs pour une clientèle internationale
Tropez, Durand Dupont à Neuilly et Le Mabillon aisée. » Au passage, si les étrangers sont peu
nombreux à entrer, les nationaux seront eux
aussi peu enclins à sortir. « Plus les Français sont
privés de voyages, plus ils plébiscitent les concepts
2019 ! » précise le En septembre dernier, de cuisine étrangère exotique ! », relève Clarisse
consultant François les 237 restaurants Ferreres-Frechon, la fondatrice de l’agence
Blouin, à la tête de Courtepaille ont été Melchior, qui conseille plusieurs grands noms
Food Service Vision. rachetés par Buffalo de la gastronomie, parmi lesquels Shabour,
Trois grandes Grill à la barre du un restaurant israélien de Paris qui a décroché
enseignes ont tribunal de commerce. sa première étoile cette année, Yaya, les tables
toutefois connu Enfin, l’enseigne grecques branchées de Juan Arbelaez, ou encore
CONSTANCE DECORDE/HANS LUCAS

de bilan a chuté de graves difficultés. Flunch a été placée Cali Sisters, un jeune concept californien.
de 39% en 2020, avec La chaîne belge Exki, en procédure de
seulement 3 300 très présente dans sauvegarde en janvier MISER SUR LES PRODUITS LOCAUX ET NATURELS
procédures collectives les gares et les dernier, et cherche Le restaurant du futur devra aussi faire
enregistrées. « Il y a aéroports, a mis des repreneurs pour sa révolution écolo. Christophe Hay, le chef
plus d’entreprises sa filiale française 57 de ses restaurants, de La Maison d’à côté, à Montlivault (Loir-
de restauration en redressement soit près du tiers et-Cher), est l’une des étoiles montantes
aujourd’hui qu’en judiciaire. de son réseau. de la gastronomie française. Il incarne cet

54 – L E S E CHOS WE E K- E ND
 RESTAURANTS : LES SCÉNARIOS DE L’APRÈS-COVID

90%
engagement, lui qui ne jure que par la nature À gauche, à Belle-Île- qui proposera, selon les mots du chef, une
et la façon dont ses producteurs la chérissent. en-mer, à 19 mai « naturalité accessible » : « Dans la salle, nous
« Depuis que j’ai créé mon restaurant, il y a 2021. À droite, à avons récupéré d’anciennes tables de la fin
six ans, je m’approvisionne dans ma région. Lyon, le même jour. du XIXe siècle du lycée Lakanal à Sceaux,
Nous avons un formidable caviar de Sologne L’empressement des et des bancs en noyer des années 1950, confie

DES CLIENTS
à 30 km, un producteur de truffes à 15 km Français à profiter le cuisinier le plus étoilé du monde. Les clients
et un merveilleux foie gras de canard à 35 km ! des terrasses tout pourront y manger pour 25 euros. » Alain
Je travaille avec l’un des derniers pêcheurs de juste rouvertes, Ducasse lancera aussi prochainement
la Loire et j’ai acquis un élevage de bœuf wagyu. quelle que soit un burger végétal, qu’il a baptisé « Burgal ».
Nous avons notre propre jardin. Chez nous, seules interrogés dans la météo, témoigne Toujours dans cet esprit vert, mais dans une
de leur envie
les épices ne sont pas locales. » Pas un hasard le cadre d’une de retrouver
version haut de gamme, il ouvre ces jours-ci
s’il a été couronné Chef de l’année 2020 par un restaurant gastronomique au Grand
le guide Gault & Millau.
enquête de The les restaurants.
Contrôle, à Versailles, dans le dernier-né des
Avant lui, d’autres géants de la gastronomie, Fork affirment Au centre : luxueux hôtels de Stéphane Courbit.
comme Alain Passard ou Alain Ducasse, avaient leur préférence le restaurant de
eu leur prise de conscience environnementale. pour les Yannick Alléno à S’ENGAGER POUR LA PLANÈTE
Dès 1987, année de son arrivée à l’Hôtel de Paris l’Hôtel Hermitage « Partout dans le monde, confirme Olivier
à Monaco, Ducasse avait perçu l’appétence
restaurants de Monte-Carlo, Roellinger, de la Californie au Japon, en passant
soucieux inauguré le 17 mai
LAURENT CIPRIANI/AP/SIPA

pour une nourriture saine et respectueuse par l’Europe, les cuisiniers s’interrogent :
2021 (lire p. 86).
de la planète. Près de trente ans plus tard, avec d’écologie et Le chef multi-étoilé
que faisons-nous sur cette planète ? Je pense pour
son chef Romain Meder, il décidait même d’axer 65% se disent a mis à profit
ma part que la meilleure cuisine sera celle qui
la cuisine de son restaurant du Plaza Athénée sur exprimera un environnement naturel et culturel,
la « naturalité » : une gastronomie trois-étoiles
prêts à payer le confinement
à travers le filtre affectif d’une personne. »
fondée sur les légumes, les légumineuses, et plus cher. pour réfléchir aux
Le Guide Michelin l’a compris, en inventant
problématiques
un soupçon de poissons de pêche durable. Selon d’inclusion au sein l’année dernière les « étoiles vertes », pour
ANTHONY LANNERETONNE

nos informations, cette naturalité est même
au cœur du divorce entre le palace parisien et
le chef monégasque, annoncé le 17 mai dernier.
Alain Ducasse n’était pas prêt à en perdre la
propriété. Il lancera d’ailleurs bientôt Sapid,
rue de Paradis à Paris, un réfectoire populaire
de ses équipes. récompenser les établissements les plus écolos.
Car les consommateurs poussent… Damien
Rodière, le directeur général de The Fork,
a interrogé les utilisateurs de son application.
Selon cette enquête, réalisée avec l’association
FIG qui délivre un label écoresponsable,

LE S E CHOS WE E K- E ND – 55
STYLE
90% des clients affirment leur préférence
pour les établissements soucieux de
l’environnement, et 65% se disent prêts à payer
plus cher. « Les restaurateurs avec qui nous
travaillons ont d’ailleurs fait évoluer leur carte,
précise le dirigeant, notamment pour jouer
la saisonnalité et les producteurs locaux.
Même McDo a supprimé les jouets en plastique. »
EN FINIR AVEC LES DISCRIMINATIONS
Mais l’engagement pour la planète ne suffira
pas. Préserver la nature, c’est bien, respecter
ses collaborateurs, c’est encore mieux.
Or, ces derniers mois, comme dans d’autres
métiers, la parole s’est libérée en cuisine.
En France, de nombreux témoignages de jeunes
cheffes ou employées derrière les fourneaux
ont révélé les agressions sexuelles, le
harcèlement et les discriminations dont elles
sont trop souvent victimes. Un contexte qui
Stéphanie Le Quellec, 2020 à Paris Mam,
la cheffe doublement une boutique
étoilée de La Scène, qui propose plats
a élargi son offre en cuisinés, pâtisseries,
ouvrant en décembre épicerie fine...
invite à la remise en cause. Mûr pour cette
introspection, Yannick Alléno en a tiré un petit
livre autoédité, Tout doit changer, dans lequel
il repense « l’inclusion ». Avant le premier
confinement, en septembre 2019, le chef
triplement étoilé avait prononcé au cours d’une
conférence des mots de son propre aveu
« déplacés ». « Beaucoup de femmes nous
demandent à travailler le midi car, le soir, elles
doivent s’occuper des enfants. L’ADN des femmes,
c’est d’enfanter », avait-il lancé, en guise
d’explication de la prédominance masculine.
Au-delà de ses excuses publiques, le chef
du Pavillon Ledoyen a profité de son inactivité
forcée pour réfléchir. « Nous étions fermés,
et j’ai été “covidé”, ça laisse du temps pour
gamberger ! confie-t-il aujourd’hui. Je veux
désormais concilier le soin absolu du client avec
le soin absolu de mes collaborateurs. » Après
avoir rencontré des spécialistes en ressources
humaines, le chef est à l’heure des décisions.
Elles concerneront l’organisation de la cuisine
et du service, et la place qu’y occupent ses
collaboratrices. Les plannings de travail
participatifs ont déjà été introduits, et des
postes de travail aménagés pour des cuisiniers
handicapés sont à l’étude.
56 – LE S E CHOS WE E K- E ND
Tout le petit monde de la gastronomie veut
en finir avec l’image d’un métier cruel et sexiste.
Alain Ducasse s’est constitué une garde
rapprochée de plus en féminisée. À la direction
générale de son groupe, Véronique Lartigue.
À la direction du réseau d’hôtels Les
Collectionneurs, Carole Pourchet. Aux
commandes de tous ses bistrots, huit cheffes,
dont la très prometteuse Marie-Victorine
Manoa, qui prendra bientôt les rênes des
Lyonnais, à Paris. « Marie-Victorine est la future
mère Brazier », souffle le chef.
CONFORTER LE VIRAGE DIGITAL
La transformation du modèle passera aussi
par la diversification. Face à la réduction du
nombre de couverts et l’absence des étrangers,
il faudra trouver de nouvelles recettes… La
vente à emporter devrait ainsi survivre au virus.
Thierry Bourdoncle, dont les brasseries n’ont
pas su prendre la vague des livraisons pendant
la crise, estime qu’il n’est pas trop tard pour
se mettre à la page : « Le monde de demain,
débarrassé du Covid, restera marqué par l’essor
de la restauration consommée à domicile. »
François Blouin, le patron de Food Service
Vision, estime que 20 à 30% du parc s’est
MANUEL BRAUN POUR LES ECHOS WEEK-END

Des soldats
allemands devant
un restaurant
de Montmartre,
dans le Paris occupé
de juin 1940.
UN BAISSER DE RIDEAU
HISTORIQUE
La fermeture des
restaurants n’a pas
de précédent dans
l’histoire, selon Jörg
Zipprick. Le
cofondateur de La
Liste a compulsé de
nombreux documents dans de nombreux
et il n’a pas trouvé pays à l’occasion de
d’autre épisode, ni cette crise du
guerre ni épidémie, où coronavirus : « Nos
ils auraient été ancêtres connaissaient
totalement fermés, des pandémies à
comme en France et chaque génération.
transformé pendant les fermetures. L’explosion
du « click and collect » a fait surgir des
restaurants d’un nouveau genre : les « dark
kitchens » (ou « ghost kitchens »), des
établissements sans salle ni serveur, pensés
pour la livraison à domicile. « Nous avons
dénombré 4 500 points de restauration sans salle
en France, dont 500 opérés par des dark kitchens
créées uniquement pour le digital », révèle
François Blouin. Les propriétaires de « vrais »
restaurants peuvent eux aussi lancer leurs
marques dédiées à la livraison, ce qu’ont fait
des chefs étoilés comme le Belge Sang Hoon
Degeimbre avec Out Fry, une marque de poulet
frit qui rend hommage à ses racines coréennes.
Décidément, la crise sanitaire fait bouger les
lignes… et le commerce en ligne. En retard par
rapport à d’autres secteurs, y compris le voyage
et l’hôtellerie, les restaurateurs ont bricolé
en quelques semaines une offre de click and
collect. Souvent, les bouis-bouis de quartier
étaient mieux préparés que les grandes toques.
Ces derniers, comme Akrame Benallal
(Akrame), Stéphanie Le Quellec (La Scène),
Jérôme Banctel (La Réserve Paris) ou la jeune
star Mory Sacko (MoSuke), ont donc improvisé
des sites marchands, qu’ils ont améliorés
depuis. Dans le Loir-et-Cher, Christophe Hay
SUDDEUTSCHE ZEITUNG/LEEMAGE
s’y est mis aussi, il a même expédié ses plats
dans toute la France, grâce à un service
de livraison qui respecte la chaîne du froid.
ZenChef, fournisseur de solutions
numériques pour les restaurateurs, a conquis
plus de 150 clients par mois pendant la
fermeture, alors qu’il craignait d’en perdre.
RESTAURANTS : LES SCÉNARIOS DE L’APRÈS-COVID
Des interdictions leurs échanges avec
locales ont pu se leurs voisins, confiné
produire, comme à l’intégralité de leurs
Charleston (Caroline populations, ni fermé
du Sud) en 1918, mais les restaurants.
jamais ils n’ont J’espère que cela
totalement stoppé restera un cas unique. »
Chez The Fork, on a aussi sauté sur l’occasion.
« Nous sommes désormais le conseiller digital
global de nos partenaires, affirme Damien
Rodière. The Fork est la seule appli en France à
être agrégée à Instagram. L’utilisateur, en suivant
son resto préféré sur Insta, a un bouton pour
réserver sa table. » La plateforme a aussi lancé
une solution de paiement (The Fork Pay), qui
permet de régler depuis l’appli, sans attendre
que le serveur lui apporte l’addition. Les
pourboires seront facilités, et le restaurant
pourra vendre des cartes-cadeaux sans payer
de commission. Autre avantage, plus sanitaire :
le paiement numérique évitera les interactions
entre le consommateur et le personnel.
DIVERSIFIER LES SOURCES DE REVENUS
La diversification passera aussi par le
développement des produits dérivés. Stéphanie
Le Quellec, deux étoiles à Paris avec La Scène,
a ouvert en décembre dernier Mam, une
boutique de plats cuisinés, de pain, de
pâtisseries, de vins et d’épicerie fine, près du
marché Poncelet à Paris. Le « stretching de
marque » peut aller plus loin. « Jusqu’ici, le client
venait à nous, désormais nous irons vers lui
en ouvrant des boutiques partout dans le
monde. » C’est ainsi qu’Alain Ducasse annonçait,
en septembre dernier, l’arrivée d’un nouvel
actionnaire, le fonds Mirabeau Patrimoine
Vivant créé par l’ancien ministre Renaud Dutreil.
Grâce à cette augmentation de capital, le chef
compte décliner les valeurs attachées à son
nom. Il est sans doute le seul grand cuisinier
français vivant connu dans la plupart des
LE S E CHOS WE E K- E ND – 57
grandes métropoles mondiales, en Europe,
aux États-Unis et en Asie. Pendant la fermeture,
il a ouvert à tour de bras des boutiques
de sa Manufacture de chocolat, a développé
son enseigne de café haut de gamme et préparé
la suite : bientôt une marque de glaces de luxe,
une autre de biscuits et sablés fins, avant
de s’attaquer aux pâtes fraîches et sèches…
COMMUNIQUER AUTREMENT
La transformation du métier appellera de
nouvelles formes de communication. « On va
de plus en plus chercher une cuisine élaborée
par une personne qu’on aime, avec qui on partage
des valeurs, estime Pascale Venot, patronne de
l’agence de communication qui porte son nom.
Un grand pâtissier comme Pierre Hermé est
désormais beaucoup plus accessible qu’avant,
il s’adresse au public dans des Instagram Live. »
Son agence forme d’ailleurs certains cuisiniers à
l’exercice, eux qui n’ont pas toujours l’expression
facile, surtout s’ils sont seuls face à la caméra
de leur smartphone… Pour sa consœur Clarisse
Ferreres-Frechon, la dirigeante de l’agence
Melchior, la communication d’après-Covid devra
conjuguer réassurance et légèreté : « Un
restaurant qui défend des valeurs superficielles ne
durera pas. Après le premier confinement, on n’a
pas vu le monde d’après. Là, on va bientôt le voir !
Les consommateurs vont venir chercher de la
sincérité, et une expérience globale, comme c’est
le cas chez “Shabour”, qui propose un véritable
voyage dans l’assiette, mais aussi une ambiance
musicale et un service extraordinaire. »
Les restaurants capables d’offrir une
expérience augmentée, comme les groupes Big
Mamma (des établissements italiens plébiscités
par les jeunes) ou Paris Society (Mun, Girafe,
Monsieur Bleu…), pourraient tirer leur épingle
du jeu. Mais ils ne sont pas les seuls. À l’autre
extrémité, la simplicité et le rapport qualité-prix
devraient permettre aux bons bistrots de
quartier de prospérer. « Depuis quelques années,
on a vu fleurir des restaurants médiatiques, où
il fallait absolument aller au moins une fois avant
de mourir, estime Jörg Zipprick, cofondateur
de La Liste, un guide numérique des meilleurs
restaurants du monde. Ces établissements,
situés dans le nord de l’Europe ou aux Galapagos,
formaient une sorte de bulle qui pourrait bien
éclater ! » Si la pandémie a secoué nos repères,
l’après-Covid pourrait bien nous ramener
à l’essentiel. « Ces dernières années, le restaurant
a perdu ses odeurs, s’enflamme Jean-Georges
Vongerichten, l’un des chefs français les plus
connus dans le monde, et notamment à New
York où il possède une dizaine d’établissements.
Avant, vous pouviez sentir le canard en train de
rôtir. Aujourd’hui, il est découpé en cuisine, cuit
sous vide et servi à l’assiette. Il faut en finir avec
cette cybercuisine instagrammable. Après la crise,
les clients vont exiger des expériences avec
de vrais produits, de vraies sauces, sans artifices. »
Si seulement ils pouvaient être entendus…
Plus d’infos sur lesechos.fr/weekend
STYLE

LE FABULEUX DESTIN
DU PIEDRA SAGRADA
Cet été débarquera en France un grand
cru chilien, dont l’histoire est aussi délicieuse
que son goût en bouche. L’aventure débute
sous Pinochet dans les années 1970, fait
un détour par la France avant de se conclure
au Chili à l’aube des années 2000.
Par Christophe Donner

e 21 avril
dernier, sur le site de Jancis Robinson, une note
de 18/20 était attribuée au premier millésime
(2014) d’un vin chilien encore confidentiel, le
Piedra Sagrada. « C’est sans doute l’un des
meilleurs débuts que je me souvienne d’avoir
goûté ces dernières années », écrivait le critique
Alistair Cooper. Nous vous épargnerons la
traditionnelle litanie des saveurs, textures et
longueur en bouche qui, d’après cet éminent
œnologue, élèvent le Piedra Sagrada au
firmament des cabernets américains.
Des vins d’excellence, on sait qu’il y en a en
Amérique, certains n’ont rien à envier aux plus
réputés du Vieux Continent. Ils n’ont souvent
qu’un seul défaut : l’absence de cette légende sur
laquelle repose, aussi, la réputation de nos
terroirs séculaires. Derrière l’étiquette qui porte
le nom mythique de tel ou tel premier grand cru
classé, il y a une histoire, qui participe, qu’on le
veuille ou non, à la dégustation. Quand on met
son nez au-dessus d’un verre de Romanée-
Conti, c’est une légende qu’on respire, et quand
le nectar est en bouche, nos papilles ne seraient
pas affolées pareillement sans les récits attachés Arturo Perez Rojas est nommé secrétaire d’État Ci-dessus : Tela des vignes,
à cette parcelle de terre. Alors on ferme les à la Viticulture. À ce titre, pendant près de trois et Arturo Perez, sur un terrain vendu
yeux, c’est naturel, on voyage dans le temps, ans, il va parcourir la planète pour promouvoir en 2002 à Pirque, par la sœur
on rencontre les moines, et c’est une gorgée le vin chilien tout en s’instruisant sur ce qui se dans la vallée de de Tela. À droite :
de temps qu’on avale, toute honte bue. fait de mieux sur le Vieux Continent. Maipo au Chili, le vignoble
En principe, et c’est heureux, l’histoire Le 11 septembre 1973, c’est le coup d’État du lors de la plantation aujourd’hui.
du vignoble n’entre pas dans la note que général Pinochet, la mort d’Allende et le début
les dégustateurs attribuent aux vins. Chaque d’un régime dictatorial dans lequel Arturo Perez
année, tout est à refaire, rien n’est gagné n’a plus sa place et risque sa vie. Accusé d’avoir
d’avance, il faut être à la hauteur, et si possible fourni des camionnettes dotées de moyens de
un peu au-dessus. communication longue distance au Mouvement
C’est malheureux, mais nous ne sommes pas de la gauche révolutionnaire, il est condamné à
dans une cave, vous lisez un journal, alors voici vingt ans de prison, mais par contumace car il a
l’histoire. En novembre 1970, après l’élection qui réussi à fuir juste avant que la police ne vienne
a porté Salvador Allende au pouvoir au Chili, l’arrêter. Sa femme Tela et leurs quatre enfants,

58 – LE S E CHOS WE E K- E ND

Arturo, Marcela, Lorena et Marco le rejoignent
en France, où il a trouvé refuge, chez des amis.
« C’était super, se souvient Marco, le plus
jeune de la fratrie, alors âgé de 8 ans. On vivait
dans une grande bâtisse occupée par des
étudiants mexicains, à Sèvres. Il y avait un
peintre qui vendait des tableaux au Sacré-Cœur.
Un autre qui étudiait la photographie. Il y avait
une fille, aussi, une Hollandaise qui parlait
espagnol et qui était guide touristique. On allait
à Notre-Dame avec les Mexicains. On allait dans
la forêt, à Fausses-Reposes, on jouait à la guérilla
avec des fusils en bois. On fabriquait des frondes.
C’était un peu les vacances. On était les
coqueluches de tout le monde. Il y avait beaucoup
DR
de solidarité envers les Chiliens, à cause du coup
d’État. » Ces vacances parisiennes n’auront duré
qu’un mois. À la suite de quoi ils doivent
repartir, direction Montpellier, où le père
a trouvé du travail à l’Institut français
de la vigne et du vin.
« On ne parlait pas un mot français, mais
on allait quand même à l’école, témoigne Marco.
Nos parents suivaient des cours de langue à
l’université. Le soir, on se retrouvait tous les
six autour de la table de la salle à manger, on
branchait la radiocassette et on apprenait comme
ça, en famille. Je crois qu’en trois mois, c’était
bon, on parlait français. » Ils ont visiblement
des capacités. L’aîné, Arturo, deviendra
LE S E CHOS WE E K- E ND – 59
LE PIEDRA SAGRADA
LE VIGNOBLE
DE PIEDRA SAGRADA
Situés dans la vallée d’Alto Maipo,
au pied de la cordillère des Andes,
à 650 mètres d’altitude, ses 4,5
hectares font partie d’une vaste
terrasse au sol pierreux, riche en
minéraux, gravier et pierres issus
d’anciens glaciers. Le climat contrasté, avec ses
hivers froids et pluvieux, puis les brises fraîches
au moment de la maturation des raisins, finit de
donner à ce terroir son caractère exceptionnel.
https://piedrasagrada.cl
STYLE

médecin urgentiste, comme sa sœur Lorena

et Marcela est architecte. Marco, malgré les
possibilités qui s’offriront à lui d’intégrer les
grandes écoles, abandonnera ses études pour
se consacrer à la musique. D’abord concertiste
de guitare classique, il devient compositeur.
Pour gagner sa vie, il travaille à la direction
de l’orchestre de Montpellier auprès de
René Kœring, avant d’immigrer en Suisse
où il dirige l’orchestre symphonique de Bienne
Soleure, tout en continuant de composer.
Le vin dans tout ça ? Les enfants Perez
sont loin de s’y intéresser. Et voir les difficultés
de leur père à trouver du travail ne les
encourage pas. Si on respecte le vin, et
suffisamment pour savoir quand il est bon,
excellent ou exceptionnel, c’est un chagrin
réservé au père.
Après avoir travaillé six mois à l’Inra, Arturo
Perez Rojas perd son travail. Commence une
période de chômage qui va durer dix ans,
durant lesquels il est contraint de repasser
tous ses examens, car ses diplômes chiliens
ne valent rien. Il redevient ingénieur agronome,
obtient un diplôme d’œnologue, et tant
qu’il y est, un doctorat en économie. Il cherche
à se faire embaucher dans diverses caves
coopératives, mais le problème c’est qu’à chaque
fois qu’il présente son CV, il est jugé trop
qualifié pour le poste.

QUINZE ANS APRÈS LE PUTSCH, RETOUR AU PAYS

En désespoir de cause, il part travailler en
Algérie, comme professeur à l’Institut national
agronomique d’Alger. Il reste deux ans là-bas,
assez pour déprimer et comprendre qu’il n’avait
décidément rien à faire dans un pays où tout
est fait pour anéantir la culture du vin.
De retour en Europe, il parvient se faire
embaucher par l’Assemblée régionale catalane,
à Barcelone, où il est chargé d’étudier les
différentes politiques viticoles, ce qui
correspond mieux à ses compétences.
Cependant, sa famille et certains de ses amis
restés au Chili œuvrent auprès des autorités
pour lui permettre de revenir dans son pays. ON LE PREND AU MIEUX expériences locales n’auraient pu lui
apprendre en un siècle.
Sans obtenir la révision de son procès, il a
l’assurance qu’il ne sera pas arrêté à son arrivée POUR UN FOU, AU PIRE De retour à Montpellier, par souci de
démocratie familiale, il réunit ses proches
à l’aéroport de Santiago. Quinze ans après le
putsch, le régime de Pinochet n’a rien à gagner
POUR UN FRANÇAIS. pour leur présenter cette alternative : construire
une maison ou planter de la vigne. Ils rigolent
à faire incarcérer un ancien secrétaire d’État ouvertement en l’entendant proposer un vote :
à la Viticulture, notoirement innocent du trafic ils savent bien de quoi il a envie et ce dont il rêve
d’armes dont on l’a accusé. Arturo se rend sur place. Au premier coup depuis toujours. Comment pourraient-ils s’y
Régulièrement, et toujours dans le même d’œil, il sait qu’il va l’acheter, mais qu’il ne opposer ?
vide juridique, Arturo retourne au Chili, une construirait jamais de maison sur ce terrain. Arturo Perez achète donc le terrain en 2000
fois avec ses enfants qui ne gardent pas un bon Il voit déjà les vignes qu’il va planter là. Selon et plante la vigne. Mais il la plante à son idée,
souvenir de ce pays qu’ils ne reconnaissent pas ce qu’il sait de la région, son terroir, son climat, qui n’est pas celle de la région, où, par exemple,
et pour lequel ils n’ont que du ressentiment. ajouté au fait que les vignes d’Almaviva à l’époque, on plante encore les pieds avec
Et puis un jour, la sœur de Tela, sa femme, et de Santa Rita, qui comptent parmi les plus 1,50 mètre de distance. Arturo les espace de
lui dit : « Écoute, Arturo, j’ai un terrain à Pirque grands vins du Chili, ne sont pas situées 75 centimètres. On ne comprend pas pourquoi
[vallée de Maipo, à 50 kilomètres au sud de par hasard à moins de 15 kilomètres de là, il fait ça. Il fait creuser un puits, pour arroser la
Santiago], je ne sais pas quoi en faire, si tu veux tout concourt à faire de ces quatre hectares vigne, mais il va chercher l’eau au plus profond,
je te le vends à bon prix. Tu fais construire et demi un vignoble de choix. et il met en place un système de goutte-à-goutte
une petite maison, et comme ça, plus besoin Mais Arturo a quelque chose en plus afin que chaque pied soit irrigué selon le temps
d’aller chez les uns ou chez les autres, vous aurez de ses compatriotes : il a voyagé, il a vécu, qu’il fait, ni plus ni moins. En le voyant
un endroit à vous quand vous viendrez au Chili. » et appris en vingt ans plus que toutes les dépenser tellement d’argent pour ces broutilles,

60 – L E S E CHOS WE E K- E ND

Au pied
de la cordillère
des Andes,
le vignoble planté
par Arturo Perez
ne donnera du vin
qu’après sa mort.
tout le monde le prend au mieux pour un fou,
au pire pour un Français. Mais à son âge,
il estime n’avoir de compte à rendre à personne,
il continue son idée, plantant ses vignes
en fonction de l’orientation du soleil, du vent,
en tenant compte de la spécificité de chaque
parcelle, des précipitations, il calcule, prévoit
la façon de se prémunir contre les gelées,
il y met toute sa science, comme s’il avait à
traiter une parcelle de Romanée-Conti.
Le premier raisin de la Piedra Sagrada arrive
en 2005. « Son ambition, raconte Marco, c’était
évidemment de faire lui-même son vin. Mais pour
ça, il lui fallait une cave. Il avait déjà planifié sa
cave, une cave gravitationnelle. Il fallait que tout
descende : les camions arrivaient en haut, le raisin
descendait, puis il était traité, à chaque étape,
sans être jamais molesté par la main de l’homme,
c’était ça son idée. Il n’a jamais pu la réaliser,
c’était beaucoup trop d’argent. »
Arturo demande des prêts, qu’on ne lui
accorde pas : trop âgé. Alors il vend ses raisins
DR
LE S E CHOS WE E K- E ND – 61
LE PIEDRA SAGRADA
à Concha y Toro, l’entreprise vinicole la plus
LE CABERNET CHILIEN, puissante du Chili. Un raisin de grande qualité
L’ORIGINEL qui vient enrichir les marques aux étiquettes
réputées. Il se bat pendant dix ans pour trouver
En 1841, les de l’argent et finit par tomber malade. Il meurt
républicains chiliens en mars 2013, sans avoir pu goûter son vin.
arrachent toutes Les enfants se retrouvent alors avec ces
les vignes issues quatre hectares de vignes dont ils ne savent pas
des cépages espagnols quoi faire : « Des gens nous ont proposé d’acheter
pour les remplacer le vignoble, de prétendus amis qui nous disaient :
par des cabernet “Ne vous enquiquinez pas avec ça, ça va être
sauvignon du trop compliqué. Moi, je peux vous l’acheter.”
Bordelais. À la fin Sauf qu’avant la mort de notre père, on s’était
du XIXe siècle, quand tous réunis autour de lui, les quatre enfants
le puceron phylloxéra et notre mère, et on lui avait fait cette promesse :
s’est répandu sur la “Papa, de toute façon, on va aller jusqu’au bout.
planète, un des rares On va le faire, ton vin.” » Après la mort d’Arturo,
pays, avec l’île de cet engagement devient une obligation
Chypre à ne pas avoir commune. Le problème, c’est qu’ils n’y
été touché, fut le Chili. connaissent rien. Pas plus Arturo le médecin
On donne trois raisons que Marco le musicien, encore moins les sœurs
à ce phénomène : Lorena et Marcela qui ne boivent pas.
l’isolement du pays Que faire ? C’est le mois de mars, les vendanges
(protégé par la sont en avril. Ils sont désemparés.
cordillère des Andes
à l’est, le Pacifique à ÉRIC VERDIER, DEUS EX MACHINA
l’ouest et le désert C’est alors que, d’une amitié ancienne, surgit
d’Atacama au sud) ; le deus ex machina en la personne du wine
l’abondance des pluies maker français Éric Verdier : « Ne t’en fais pas,
(le phylloxéra ayant Marco, je vais t’aider. » Depuis son petit
la réputation de ne pas appartement du XVIIe arrondissement de Paris,
aimer l’eau) ; Verdier va tout diriger, de la date des vendanges
l’exploitation intensive pour telle et telle parcelle, à la méthode de mise
du cuivre qui, avec en bouteille, en passant par le choix des fûts
plus de 400 mines de chêne, évidemment neufs et importés
réparties un peu de France. Les frères Perez ont suivi à la lettre
partout dans le pays, toutes les consignes de leur professeur,
a répandu dans les se relayant dans des allers-retours Genève-
rivières et les sols une Santiago (quatorze heures d’avion !) qui
infime mais suffisante obligeaient Arturo à laisser ses malades et
quantité de métal Marco, ses musiciens.
qui est encore à ce jour Nous n’avons pas la place de détailler
le seul insecticide le processus qui a conduit finalement à
« naturel » connu cet exploit : la création, en 2014, du premier
contre le ravageur. millésime de Piedra Sagrada. On peut
C’est en greffant ces simplement énumérer la succession de
plants sains chiliens bonheurs qu’il a produit. Celui d’Éric Verdier,
que les viticulteurs d’avoir contribué à la naissance d’un véritable
du Bordelais et de grand cru, ce qui dans la vie d’un œnologue
Californie ont réussi n’arrive pas tous les jours. Bonheur pour Tela
à sauver leurs de voir ses enfants réaliser la promesse faite
vignobles. De telle à leur père. Bonheur des amateurs de découvrir
sorte que le vin produit un vin rare.
aujourd’hui au Chili Aujourd’hui, une grande question se pose,
est issu des cabernets un débat, presque une polémique : le 2015 est-il
sauvignons encore meilleur que le 2014 ? Et qu’en est-il
non greffés, originaux, du 2016 qu’on croyait perdu à cause des
remontant aux temps conditions climatiques : est-il vraiment
immémoriaux de la ce miraculé prodigieux qui va surprendre
vigne. le monde, comme l’annonce Éric Verdier ?
Le petit Jésus en culotte de velours arrive en
France cet été. S’il est un vieil officier du régime
de Pinochet réfugié en France, désolé pour lui,
mais il ne sera pas convié à la dégustation.
Plus d’infos sur lesechos.fr/weekend
STYLE

LES NOUVEAUX CHAIS

icardo Bofill fut pionnier avec le chai rond
imaginé pour Lafite Rothschild, en 1988. Il aura
fallu ensuite attendre deux décennies pour que

D'ARCHITECTES
Jean-Michel Wilmotte, Mario Botta, Christian
de Portzamparc, Jean Nouvel, Norman Foster,
Philippe Starck s’emparent de Bordeaux et
Alors que la campagne des primeurs livrent des chais bouleversant parfois par leur
audace des paysages séculaires. Puis, tout s’était
bat son plein, cinq propriétés dévoilent calmé. Et voilà coup sur coup, rive droite et rive
leurs nouvelles installations. gauche, cinq réalisations à quelques millions
Le Bordelais compte désormais une d’euros, pas forcément signés par des stars de
douzaine de chais aussi beaux que technos. l’architecture mais par des cabinets spécialisés
très recherchés. Des outils hypersophistiqués
Par Béatrice Brasseur pour sublimer le travail accompli à la vigne,
gagner encore en précision, en pureté et en
complexité lors des vinifications et de l’élevage,
FLORENT LARRONDE

et minimiser l’impact sur l’environnement.

On ne cache plus rien de la fabrication du vin,
magnifiée par la technologie dans des écrins
taillés à la mesure d’exigence des grands crus..

62 – L E S E CHOS WE E K- E ND
 LES CHAIS D’ARCHITECTE

Chais Haut-Bailly (à
gauche), de l’architecte
Daniel Romeo, au deux
tiers enterré avec son
toit végétalisé.
Lynch Bages, dessiné
par Chien Chung Pei
et réalisé par
Arnaud Boulain, et ses
80 cuves inox (à droite).

HAUT-BAILLY LÉOGNAN
Un vaisseau aérien de béton blanc d’une
élégance discrète, 4 500 m2 fondus dans la
colline, aux deux tiers enterrés, masqués par
les vignes et un jardin sur le toit. Une élévation
très symbolique d’où l’on embrasse du regard
les 30 hectares de Haut-Bailly, sa maison de
maître, le village de Léognan en contrebas.
L’intérieur est spectaculaire. Une voûte circulaire
parfaite de 38 mètres de diamètre, autoportante,
s’élève à près de neuf mètres au-dessus du
cuvier et supporte le jardin suspendu. Béton
brut blanc, baigné d’une lumière naturelle
magnifiant ses courbes, il y règne un sentiment
d’ascèse harmonieuse. Dehors comme dedans,
aucune ligne droite, aucune pesanteur, partout
la fluidité en une succession de rondeurs
et sinuosités apaisantes, de volutes douces.
Pas de démonstration technologique, tout est
exactement à sa place et d’une grande
ingéniosité mais dissimulé, intégré dans
les parois. Sur les 54 cuves en béton ou inox
d’une grande sobriété, reliées par une coursive
en chêne, l’architecte a dessiné un effet drapé
pour plus d’élégance. Des escaliers suspendus
mènent au chai lambrissé de chêne blond,
qui peut accueillir 900 barriques. L’architecte
Daniel Roméo, 47 ans, ancien disciple
de Christian de Portzamparc pour lequel
il avait conduit le chantier du chai de avec la famille Cazes, propriétaire du grand cru TROPLONG MONDOT SAINT-EMILION
Cheval Blanc, est l’auteur de cette prouesse classé de pauillac. Il livre ici un bâtiment La beauté du paysage prime et l’extérieur
technologique et esthétique. Le paysagiste également tout en transparence. La lumière de l’édifice est resté volontairement austère.
Hervé Rosset signe le jardin de 2 400 m2 animé naturelle descend jusqu’à dix mètres et nimbe Quel contraste sitôt les portes franchies !
de milliers d’arbres, arbustes, vivaces et d’une surprenante douceur l’inox, le béton Plongée dans la pénombre, une passerelle,
graminées résistantes et frugales en eau. et le bois du cuvier et des chais. L’enveloppe incrustée de cabochons de lumière octogonaux
De la haute couture sans couture apparente, de verre coiffe une vie souterraine : trois reflétés par les garde-corps en verre,
à l’image de ce superbe cru classé de Graves, niveaux, trois lignes de réception de vendanges surplombe les barriques dix mètres plus bas.
dont les propriétaires américains sont aussi pouvant traiter jusqu’à 12 hectares par jour Les scarifications douces des parois de béton
des mécènes de la culture à Bordeaux. (le vignoble en fait 109), six cuves ascenseurs, reprennent le motif des carrières de pierre
un cuvier gravitaire de 3 300 m2 et 80 cuves de Saint-Emilion et animent la verticalité
LYNCH BAGES PAUILLAC et un chai de 3 900 m2 pouvant accueillir des lignes. Étrange impression de flotter dans
C’est un New-Yorkais francophile, œnophile et deux récoltes. Un outil très technologique un espace-temps suspendu, prolégomènes
« bordeaux maniaque » qui signe ces nouvelles et une première pour Chien Chung Pei dont à la découverte des différents niveaux sur
installations et c’est une question d’affinités l’agence livre majoritairement en Chine et aux 4 300 m2 reliés par un escalier de béton blanc
électives. À Paris, il y a trente-cinq ans, Chien États-Unis des tours de bureaux, des bâtiments déployé comme un origami. Quarante-deux
Chun Pei avait œuvré au côté de son père, culturels et des hôtels. Sa première incursion cuves en inox tronconiques recueillent
la star mondiale de l’équerre Ieoh Ming Pei, dans un vignoble s’insère relativement la vendange par gravité, le chai aligne ses
sur le chantier de la Grande Pyramide du discrètement dans le paysage et sans heurt barriques de chêne clair sur un luxueux sol
Louvre, où ils avaient noué des liens d’amitié aucun dans le village oenotouristique de Bages. de béton quartzé blanc légèrement brillant
DR

LE S E CHOS WE E K- E ND – 63
STYLE LES CHAIS D’ARCHITECTE

Inauguré en 2020,
le chai Montalembert, DES CHAIS À VOIR
réalisé sur les plans OU À REVOIR
de l’architecte
bordelais Olivier
Chadebost, joue sur les RIVE GAUCHE
métaphores graphiques À Saint-Estèphe
de l’univers vinicole. Clos d'Estournel
Jean-Michel Wilmotte,
2008.
Montrose
et sous un plafond de bois brut. C’est le plus Bernard Mazières,
capé et pionnier des architectes spécialisés 2013.
bordelais Bernard Mazières (chais de Montrose, Calon-Ségur
Pétrus, Latour, Mouton Rothschild…) Alain De La Ville, 2017.
qui a conçu, avec Audrey Pédezert, celui de À Pauillac
ce premier grand cru classé, propriété Pédesclaux
du réassureur Scor. L’architecte d’intérieur Wilmotte, 2015.
Bruno Moinard en a signé la scénographie, À Margaux
l’élégance des formes et des matières, jusque Margaux
dans le restaurant attenant, grand ouvert sur Norman Foster, 2015.
le vignoble de 36 hectares, tout en ondulations. Kirwan
La pièce maîtresse de l’œnotourisme à Troplong- Guy Troprés et
Mondot, complément logique à ce chai d’œuvre ! Caroline Marly, 2017.
À Saint-Julien
MONTALEMBERT SAINT-EMILION Talbot
Ce grand cru discret de saint-émilion est Paul Nairac et Gérard
le fleuron depuis 2008 des châteaux de la Vacheyrout, 2010.
famille Castel dont le groupe est numéro 3 Beychevelle
mondial du négoce de vins français. Après Arnaud Boulain, 2017.
la restructuration et la restauration du vignoble, À Bordeaux
le projet de nouveau chai, la décoration Les Carmes
de la chartreuse XVIIIe, l’aménagement du parc, Haut-Brion
la construction d’une orangerie et d’un bassin Philippe Starck, 2016.
d’eau ont été confiés à l’architecte Oliver
Chadebost, à l’aise dans le vinicole comme RIVE DROITE
dans l’industrie ou l’habitat privé. La volonté À Saint-Emilion
des propriétaires était de recréer village, Faugères
pas d’implanter une « soucoupe volante ». Mario Botta, 2009.
La maison reste au premier plan, le chai, Cheval Blanc
imposant, est invisible depuis la route et reste Christian de
très traditionnel dans son aspect extérieur. Portzamparc, 2011.
Les surprises et les trouvailles sont à l’intérieur, La Dominique
dans les murs recouverts de liège réifié (broyé Jean Nouvel, 2014.
et chauffé), un isolant thermique naturel utilisé
ici pour la première fois dans un chai. Le cuvier
gravitaire accueille seize cuves tronconiques
inox et béton, inclinées sur leur base, le parfaire qu’un concentré de technologies Au-dessus, la vague protectrice du toit. Deux
pour absorber les 21 hectares de la propriété. serti dans un nouvel écrin. Les Bordelais grands chais à barriques semi-enterrés,
La lumière naturelle est partout présente, des Guy Y. Troprés et Caroline Marly du ponctués de lumière naturelle indirecte, offrent
vues s’ouvrent sporadiquement sur le vignoble. cabinet A3A (ils ont œuvré à Margaux la sérénité nécessaire à l’élevage des vins.
Les deux chais en continuité sont enterrés avec Norman Foster, à Kirwan, à Yquem…) Deux salles de dégustation épurées cadrent
à six mètres dans l’argile. L’architecte inscrit l’ont dessiné en osmose avec le paysage. des vues précises sur le vignoble et, mieux
la partition technique dans une composition Une vague épouse le relief en déclivité et coiffe qu’un plan en relief, disent tout de la particularité
esthétique : la structure inversée de l’escalier discrètement le toit des nouvelles installations, de Figeac. La précision du coup de crayon
en béton menant au chai dématérialise l’espace, mi-visibles et mi-furtives. Le bâtiment en des architectes n’a d’égale que celle du vin,
les luminaires en céramique évoquent pierres de taille respecte le charme des lieux un classique intemporel, régulier dans
les douelles et le cerclage des barriques. et le château attenant, ne laissant pas deviner l’excellence, propriété de la famille Manoncourt
ses 5 000 m2. Huit cuves en chêne disposées très attentive aussi à son environnement,
FIGEAC SAINT-ÉMILION en cercle forment le cœur du cuvier gravitaire pour les hommes (l’acoustique du chai a été
Un château XVIIIe, un parc aux essences semi-enterré, complétées par 40 cuves réglée pour être la plus silencieuse), les arbres
centenaires, des prairies naturelles, un vignoble tronconiques en inox dimensionnées pour (on ne coupe pas, on contourne, on s’adapte)
de 40 hectares… Figeac est unique. Ce premier des vinifications parcellaires et intraparcellaires. et les animaux (machines en sourdine
grand cru classé pourrait bien enfin conquérir L’étage supérieur offre le meilleur profil : pour ne pas perturber la faune)…
en 2022 le grade A, au plus haut du classement nous voici sur le pont ciré d’un vaisseau
de saint-émilion car il ne manquait pour à l’étrave effilée, scandé par des mâts obliques. Plus d’infos sur lesechos.fr/weekend
DR

64 – L E S E CHOS WE E K- E ND
© STUDIO D—AD—A. ATELIER GOODDAY.

L’émotion du temps
et de la terre

L’ A B U S D ’ A L C O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É , À C O N S O M M E R A V E C M O D É R A T I O N .
STYLE PRIMEURS 2020

LES PRIMEURS 2020

UN MILLÉSIME
QUI A DE L'AVENIR
Les propriétés bordelaises ont dévoilé leur
millésime 2020 en cours d'élevage. Un vin frais,
fruité avec de la structure. Déjà bon aujourd'hui,
il le sera encore davantage demain.
Par Sylvain Ouchikh – Illustrations : Muglück

u mois d’avril et jusqu’à 2020 restera une année

la mi-mai, les professionnels particulière pour cette formidable
du vin (journalistes, courtiers et propriété. Elle vient tout juste
négociants…) ont pu découvrir en d’inaugurer son nouveau chai
avant-première le millésime 2020 qui accueillera les prochaines
présenté par les châteaux vendanges. Frédéric Faye, le
bordelais.. Certes, le vin présenté directeur, continuera à nous offrir
n’est encore qu’un nouveau-né car des vins d’une extrême élégance à
il n’a que quelques mois d’élevage la personnalité aboutie. Car Figeac
(il faudra attendre 2022 pour la est une signature, celle du cabernet
mise en bouteille), mais il est déjà sauvignon et du cabernet franc.
possible de percevoir ses qualités Unique dans cette appellation où
naissantes. Il est plein de vie, le merlot est roi. Ce 2020 côtoie la
joyeux, avec du fruit et de la perfection. Un vin reconnaissable

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.

structure. On peut déjà affirmer
que ce sera un grand millésime.
Sur les deux rives de la Garonne,
les vins ont été des réussites. Ce
n’est pas toujours le cas, car les
cépages réagissent de manière
différente aux aléas climatiques.
Petit rappel pour les néophytes :
les vins de la rive droite sont à
majorité de merlot (un cépage plus
aimable dans sa jeunesse) et ceux
de la rive gauche à majorité de
cabernet sauvignon (souvent plus
fermé au départ). Et pourtant, sur
le millésime 2020, nous trouvons
une belle homogénéité au niveau
de la qualité. Pierre-Olivier Clouet,
le directeur technique du château
Cheval Blanc à Saint-Emilion,
donne une jolie définition de
ce millésime : « ce sont des vins
vivants avec un fruit éclatant et
d’une pureté remarquable.
L’intensité aromatique est marquée
avec pourtant une structure
tannique bien présente, presque
aristocratique ». Nous rajouterons
que le 2020 est également plein de
fraîcheur. Qu’il semble loin le temps
où les vins de Bordeaux jouaient
la carte des vins surpuissants.
Ils ont acquis de l’élégance et de la
délicatesse. Les vins de Bordeaux
n’ont jamais été aussi bons
que ces dernières années.
RIVE DROITE
Château La Conseillante 2020,
pomerol, rouge
Ce château, l’un des plus réputés de
l’appellation Pomerol, fête cette
année son anniversaire. En effet,
depuis 150 ans, la famille Nicolas
veille à la destinée de cette
propriété de presque douze
hectares. Ce millésime aura une
place particulière dans son histoire
car il est sublime. Certainement
l’un des plus aboutis avec ses
arômes intenses de fruits noirs au
nez. En bouche, il est déjà soyeux,
plein de fruits avec une trame
tendue rendue possible par les très
beaux cabernets francs. Un vin
remarquable promis à un grand
avenir !
Château Figeac 2020, premier
grand cru classé, saint-émilion
par son fruité pur, son élégance
et sa verticalité. Son touché en
bouche, franc et honnête, emmène
le vin vers les sommets.
Château La Gaffelière 2020,
premier grand cru classé,
saint-émilion
Rendre visite aux vignes de ce
château, c’est comme pénétrer
dans le jardin privé d’une humble
demeure. On ressent tout de suite
l’amour porté aux rangs de ceps
(merlot et cabernet franc) adossés
littéralement au coteau sud du
village de Saint-Emilion. Ce 2020,
encore un bébé, se distingue
immédiatement par un fruité
intense et par sa fraîcheur. Cette
impression est confirmée en
bouche où le nectar se fait élégant,
suave, tout en reflétant la
personnalité de son terroir. Ce
2020 est admirablement abouti.
Château Angélus 2020, premier
grand cru classé A, saint-émilion
Ce château est reconnu comme
l’une des propriétés iconiques dans
le monde du vin. De ce fait, l’attente
est grande quand il s’agit de
déguster un nouveau millésime.
On est toujours plus exigeant avec
les premiers de la classe. A peine,
le vin est-il dans le verre, qu’il

66 – LE S E CHOS WE E K- E ND
Le secret le mieux gardé de Saint-Estèphe
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION
STYLE PRIMEURS 2020
enivre par une robe foncée et
dense. Les arômes de fruits noirs
gourmands viennent littéralement
envahir nos sens olfactifs. On
ferme les yeux et c’est un voyage
vers la volupté. Le vin se révèle
avec toute son élégance et sa
structure délicate mais présente.
Certainement, l’un des plus grands
vins produits par le château.
L’avenir nous le dira mais il est déjà
possible de se prononcer
sur son avenir radieux.
Château Corbin 2020, grand cru
classé, saint-émilion
Ce château d’une superficie de
treize hectares est admirablement
dirigé par sa propriétaire
Annabelle Cruse-Bardinet. Elle vit
son terroir en le regardant chaque
matin. Elle le connaît par cœur.
Son souhait est d’offrir un vin
reflétant la richesse des argiles
et la délicatesse des sables anciens
où sont implantés ses ceps. Sur
ce 2020, avec ses quelques « Wine
Globe », elle a expérimenté un
nouveau type de vinification. Les
vins s’en ressentent car ils sont
d’une pureté remarquable. Aucun
artifice. Le fruité est là. Il est
accompagné par beaucoup de
fraîcheur. La bouche est droite et
complexe. Il se pourrait qu’avec ce
2020, Annabelle est enfin trouvée
le vin qu’elle recherche depuis si
longtemps.
Château Croix de Labrie 2020,
saint-émilion grand cru
Le nom de cette petite pépite de
5,78 hectares commence à
résonner parmi les amateurs. Et
c’est mérité car les vins élaborés
par Axelle Courdurié ont du cœur.
On ressent à la dégustation toute la
personnalité complexe de cette
vigneronne exigeante avec sa vigne
(merlot, cabernet sauvignon et
cabernet franc) et avec elle-même.
Si les millésimes précédents étaient
déjà aboutis, ce dernier a pris une
dimension supplémentaire. Il est
profond, fruité avec de l’élégance.
En bouche, il est déjà en équilibre.
L’avenir va lui offrir encore
davantage de corps tout en
préservant sa fraîcheur existante.
Le vin a définitivement franchi
un cap. Et ce n’est pas terminé.
Château Couvent des Jacobins
2020, grand cru classé
Ce merveilleux château est situé
en plein cœur du village de
Saint-Emilion. Les vinifications ont
lieu ici sous l’oeil professionnel et
bienveillant de son directeur Denis
Pomarède. Les raisins sont issus
de l’agriculture biologique afin
d’apporter à ce nectar une
dimension supplémentaire. Le vin
est toujours affectueux, charmant,
plein de bonté. Le 2020 ne déroge à
cette règle si agréable. Il a un fruité
délicat et plein de charme
(merlot) ; une structure droite
apportée par le cabernet franc avec
une note poivrée sur la finale par
l’original petit verdot. L’ensemble
est très abouti.
Château Grand Corbin Despagne
2020, grand cru classé saint-
émilion
François Despagne, le propriétaire,
est un personnage, très attachant.
Il aime la philosophie et la
convivialité. Déguster ses vins,
c’est véritablement rentrer dans
son univers. Ils nous racontent
une histoire complexe comme peut
l’être la vie. L’homme est pétri de
réflexion sur la conduite de son
vignoble en agriculture
biodynamique. Il sait que la qualité
de son vin viendra de là. Ce 2020
en est l’aboutissement. C’est un vin
avec une suavité remarquable,
accompagné par une aromatique
bien présente (fruits noirs).
La finale, subtilement épicée,
lui apporte de la fraîcheur.
Château Monlot 2020, grand cru
classé, saint-émilion
L’actrice et productrice chinoise,
Zhao Wei, n’a pas investi dans ce
vignoble par caprice. Cette star
dans son pays se donne les moyens
pour produire un très grand vin
dans le respect de l’environnement.
Elle s’est, pour cela, entourée des
meilleurs consultants. La conduite
culturale exemplaire de ses
68 – LE S E CHOS WE E K- E ND
merlots (75 %) et de ses cabernets
francs (25 %) récolte aujourd’hui le
fruit du labeur. Le vin est abouti
avec un côté appétant dès le
premier nez. Le cassis et la
framboise se marient. En bouche le
vin est à la fois droit et vertical tout
en gardant son élégance. Ce 2020
est une très belle réussite !
Château Ripeau 2020, grand cru
classé, saint-émilion
Voici en toute discrétion, l’un des
plus beaux châteaux de cette
appellation. Il a été entièrement
rénové par la famille Grégoire.
Le propriétaire et sa femme (Cyrille
et Peggy) sont des personnages
aux caractères bien trempés.
Ils font véritablement un vin qui
leur ressemble, c’est-à-dire
généreux, riche, complexe.
En bouche, ce 2020 est déjà
gourmand avec ses fruits rouges
et ses notes légères de cacao.
Il devrait l’être encore davantage
quand il aura fini son élevage.
Cette propriété n’a pas fini de nous
surprendre dans un avenir proche.
Château Petit Village 2020,
pomerol, Bordeaux
Le vignoble de ce château est situé
sur un terroir exceptionnel. Sur
les 10,5 hectares, on y trouve une
grande majorité de merlot (80 %),
de cabernet franc (15 %) et un peu
de cabernet sauvignon (5 %). Cet
assemblage procure au vin toute sa
complexité. Est-pour cette raison
que l’on retrouve au nez des notes
de cerises croquantes, des fruits
noirs comme le cassis ? En bouche,
le vin a de la densité qui n’occulte
en rien un touché soyeux. Il a
également de la fraîcheur (merci
le cabernet franc) sur une finale
longue avec des tannins présents.
Château la Fleur de Boüard 2020,
lalande de pomerol, Bordeaux
Hubert de Boüard et sa fille Coralie
travaillent de concert sur cette
propriété. L’objectif est de réaliser
le plus grand vin possible. Le
vignoble est travaillé dans le
respect de la vigne et le chai est
remarquable par son niveau
technique. Sur un millésime 2020
pas facile, le vin est une grande
réussite. On trouve un nez flatteur
sur un fruit arrivé à juste maturité.
Le vin se fait fondant en bouche.
Il est généreux avec toujours cette
élégante trame aromatique et une
belle fraîcheur sur la finale.
Château Troplong Mondot 2020,
premier grand cru classé,
saint-émilion, Bordeaux
Cette magnifique propriété vient
d’être entièrement restaurée.
On y trouve un restaurant
gastronomique et des chambres
d’hôtes. On y fait surtout de
grands vins dans le respect de
l’environnement sur ce vignoble
de 43 hectares d’un seul tenant
où il n’est point rare de croiser
des chevaux dans les vignes.
La robe de ce 2020 est sombre.
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.
Mystérieuse. Elle révèle des épices
douces, des fruits noirs. La
fraîcheur est là pour mieux tirer
le vin vers la verticalité. Les
tannins présents mais soyeux sont
un gage pour l’avenir. Ce millésime,
déjà grand, est certainement
le point de départ de très grands
vins à venir.
Château Clinet 2020, pomerol,
Bordeaux
Voici une autre très belle propriété
de cette minuscule appellation
qu’est Pomerol. Ronan Laborde, le
propriétaire, veille avec soin sur les
vignes composées principalement
de Merlot. Il laisse faire la nature
car il a confiance en elle et la
respecte. Il sait qu’elle saura lui
donner le meilleur d’elle-même.
Il doit avoir raison tant le 2020 est
déjà très bon avec ses notes de
cerises noires, de framboises. Il est
également plein de fraîcheur avec
de légères épices et des tannins
soyeux sur une finale toute en
équilibre. L’une des grandes
réussites de cette année !
Château Canon 2020, premier cru
classé, saint-émilion, Bordeaux
Cette belle propriété revendique
deux cépages sur son terroir
exceptionnel : le merlot
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(largement majoritaire) et une
forte proportion de cabernet franc
pour cette appellation. On est
immédiatement impressionné
par la discrétion des arômes.
Il se révèle avec une progression
déconcertante. Les fruits rouges
comme la framboise et la groseille
se diffusent, entraînant avec eux
des notes épicées. En bouche, le vin
est d’une extrême précision déjà. Il
le sera encore davantage à la fin de
son élevage. Ce 2020, sera grand.
Château le Gay 2020, pomerol,
Bordeaux
Un retour à l’optimisme, c’est
ce que semble nous proposer ce
vin. Son nez aromatique aspire à la
convivialité. Les fruits rouges sont
soyeux. Croquants. C’est un
millésime joyeux, avec de
consistance mais sans aucune
lourdeur. Sa belle longueur
confirme sa personnalité
généreuse.
Château Gazin 2020, pomerol,
Bordeaux
Le merlot est le cépage roi de
l’appellation Pomerol. Certes,
il peut être exubérant par moment
mais quand il est récolté à juste
maturité, puis vinifié avec soin, les
émotions procurées sont énormes.
Cette propriété a bien compris
les caractéristiques de son cépage
emblématique. Le vin est puissant
en arômes et en intensité mais
il garde en bouche toute sa
fraîcheur. La trame tannique,
élégante, encadre l’ensemble
dans une douce symphonie. Les
quelques pourcentages de cabernet
70 – LE S E CHOS WE E K- E ND
franc ne sont, sans doute pas
étrangers, à cette harmonie.
Château Franc Mayne 2020,
grand cru classé saint-émilion,
Bordeaux
Le nouveau propriétaire depuis
2018, la famille Savare, a de
grandes ambitions pour ce
vignoble. Il souhaite « créer un vin
de caractère reflétant le terroir où
l’on vient approcher l’âme du vin ».
Le merlot est le cépage très
majoritaire puisqu’il entre dans la
composition à hauteur de près de
90 %. Le 2020 nous offre un vin
avec de la fraîcheur et un fruit
intense (framboise). La trame
tannique est présente. Elle est bâtie
pour conduire le vin vers l’avenir.
On sent déjà la direction que
souhaite prendre la famille :
structure et élégance.
Château Petit Val 2020, saint-
émilion grand cru, saint-émilion,
Bordeaux
Les propriétaires, Jean-Louis et
Olivia Alloin sont parfaitement
épaulés par David Liorit.
Ensemble, ils forment un trio
incroyable qui allie parfaitement
bonne humeur et exigence.
Cela se ressent dans
ce millésime. Il est joyeux avec
des arômes matures mais frais
de fruits. On croque avec
gourmandise dans la framboise
et le cassis juteux. La jolie trame
tannique enveloppe le tout et
apporte un bel équilibre sur
une finale fraîche. Bravo !
Château Cheval Blanc 2020,
premier grand cru classé A,
Saint-Emilion
Faudrait-il encore présenter
ce château mythique ? Son nom
rayonne à travers le monde.
Il a toujours été synonyme de vin
d’exception et les derniers
millésimes montrent que la qualité
n’a point de limite. Le 2020
confirme cette douce impression.
Le vin a une intensité incroyable.
Au nez d’abord : fruits noirs, épices
comme le poivre noir. La bouche
est puissante mais jamais opulente.
Elle est au contraire maîtrisée avec
une persistance délicate et des
tannins aristocratiques. Elle infuse
son excellence. Ce millésime
restera parmi les très grands de
cette propriété. C’est une certitude.
RIVE GAUCHE
Château Talbot 2020, 4e cru classé
1855, saint-julien, Bordeaux
Ce château, appartenant à la même
famille depuis plus de 100 ans, est
l’un des plus importants du Médoc
avec 102 hectares de vignes. Il a
la particularité très agréable de
refléter les caractéristiques de son
appellation. En effet, c’est un vin,
et notamment dans le millésime
2020, généreux avec une
aromatique fruitée marquante
sur les fruits rouges. Les épices
sont là aussi bien présentes. En
bouche, il a une belle structure.
Il vieillira paisiblement grâce à
ses tannins raffinés pour offrir à
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l’amateur un véritable plaisir.
Château Cantemerle 2020, 5e cru
classé 1855, haut médoc, Bordeaux
Les vieux platanes de plus de
400 ans semblent veiller sur cette
magnifique propriété. Le parc
s’étend sur 28 hectares et les
essences rares imprègnent
certainement la vigne. Les vins de
ce château et notamment le 2020,
sont rassurants. Ils sont d’un abord
classique avec toujours une
personnalité affirmée. La robe est
sombre. La matière est présente.
Les arômes floraux du merlot sont
présents au premier nez. En
bouche, il se veut tendre et
gourmand avec des tannins
présents juste comme il faut. La
structure est là grâce à de très jolis
cabernet sauvignon (majoritaires
dans l’assemblage final). La finale
est longue. Un vin très plaisant qui
affrontera le temps sans aucun
problème.
Château Meynet 2020,
saint-estèphe, Bordeaux
Cette propriété serait l’une des plus
anciennes du médoc. Elle a la
chance de posséder un vignoble
d’un seul tenant de 51 hectares.
C’est toujours mieux pour travailler
efficacement que des parcelles

parsemées comme une mosaïque.
Le grand vin de ce château
présente toujours de l’amplitude.
Le 2020 ne déroge pas à cette
particularité. Il révèle un bouquet
de fruits noirs avec des épices bien
présentes. Le vin est puissant sur
une finale tannique
lui conférant une assurance pour
l’avenir.
Château Grand Puy Ducasse
2020, 5e cru classé 1855, pauillac,
Bordeaux
Sur ce grand millésime qu’est 2020,
l’appellation Pauillac se distingue
par des vins d’une belle fraîcheur.
C’est véritablement la première
impression laissée par ce vin. Les
notes sont gourmandes. On dirait
presque voluptueuses au premier
nez. Le cassis se mêle à la mûre.
En bouche, le vin joue une musique
harmonieuse. Il n’est jamais
austère. La finale est persistante
avec des tannins présents et des
parfums de moka. La sensation
épicée lui donne de la hauteur.
Château d’Issan 2020, 3e cru
classé 1855, margaux, Bordeaux
Ce château est admirablement
dirigé par Emmanuel Cruse. La
famille Cruse a fait l’acquisition de
cette propriété en 1945. Le devoir
de transmission avec la volonté de
réaliser des grands vins est un gage
pour l’avenir. Le vignoble est tenu
parfaitement. Ici, le cabernet
sauvignon a trouvé son expression.
Les premières notes aromatiques
sont la réglisse, les fruits noirs avec
une pointe mentholée. La fraîcheur
est là. Bien au rendez-vous. La
bouche est dynamique avec une
gourmandise très agréable. Les
épices sur la finale le rendent
aérien. Ce 2020 est une réussite.
Château Les Carmes Haut Brion
2020, pessac leognan, Bordeaux
Attention, ce château est une
véritable pépite. Chaque année, les
vins sont remarquables. Mais le
2020 semble encore avoir franchi
un cap. Guillaume Pouthier, le
directeur, est un homme de
conviction. Il n’hésite pas à être
audacieux car il sait que les grands
vins se réalisent ainsi. Pour ce
L ES EC HO S WEEK -EN D – 7 1
STYLE PRIMEURS 2020
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millésime, il a travaillé avec une
forte proportion de vendange
entière (environ 55 %). Atypique
pour Bordeaux. Ce parti pris lui a
permis d’obtenir des vins avec
une fraîcheur extraordinaire sans
perdre de leur consistance. On a
donc un vin en équilibre parfait.
C’est certainement l’un des plus
grands bordeaux dans ce
magnifique millésime 2020 !
Château Calon Ségur 2020,
Bordeaux 3e cru classé 1855,
saint-estèphe, Bordeaux
Il est indéniable que ce millésime
restera parmi les grands de ce
château à l’étiquette si élégante
puisqu’elle représente un coeur.
Mais le coeur est également dans
la bouteille avec cet assemblage
subtil et efficace de cabernet
sauvignon, de merlot, de cabernet
franc et de petit verdot. Au final,
on a un vin friand, fruité, élégant.
Chaque cépage a joué parfaitement
sa partition. Ensemble, ils sont
harmonieux pour donner un vin
déjà très bon. Nul doute qu’il le
sera encore davantage à la fin de
son élevage.
Château Léoville Poyferré 2020,
2e cru classé 1855, saint-julien
Le château appartient à la même
famille, les Cuvelier, depuis 1920.
Le château est relativement
imposant puisqu’il comprend 80
hectares de vignes dans cette jolie
appellation qu’est Saint-Julien. Ce
2020 a un très séduisant bouquet
avec ses parfums de fruits noirs et
rouges. Le vin est déjà ouvert alors
qu’il est encore si jeune. En bouche,
le nectar est d’une très belle grâce.
Il allie la finesse, l’élégance sans
manquer de caractère avec des
tannins fins mais frais. On retrouve
sur la finale une douceur satinée et
une belle amertume qui est une
assurance pour l’avenir.
Château Fourcas Hostens 2020,
listrac, Bordeaux
Millésime après millésime,
cette jolie propriété nous offre
des vins de plus en plus aboutis.
La conversion en agriculture
biologique se réalise avec
pragmatisme. Le soin apporté
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à la vigne par les équipes porte le
vin vers les sommets. Le vin blanc
est déjà remarquable. Le rouge
n’a rien à lui envier. Il est d’une
grande finesse. Les arômes fruités
et l’équilibre sont là. La fraîcheur
est le curseur distinctif de ce vin. Il
sera grand car il est déjà en place
pour notre plus grand bonheur.
Château Lynch-Bages 2020, 5e
cru classé 1855, pauillac, Bordeaux
Avec la construction du nouveau
chai, ce château emblématique
de l’appellation pauillac, dans
le Médoc, s’est offert un nouvel
avenir. L’idée est de rendre les vins
encore plus grands. Car ce château
est aujourd’hui une référence.
Le 2020 s’inscrit dans cette lignée
de l’excellence. Le cabernet
sauvignon est la signature des vins
de cette propriété. Le vin est
déjà expressif avec des parfums
de fruits noirs. L’attaque en bouche
est franche, sans concession.
Le grain des tannins est fin.
Il y a de la pureté dans ce vin.
La finale est légèrement iodée
et épicée. Elle procure à ce
millésime une fraîcheur
surprenante. Lynch-Bages
a encore réussi un grand vin
en devenir.
Château Cos d’Estournel 2020,
2e cru classé 1855, saint-estèphe,
Bordeaux
2020 est un millésime particulier
pour son propriétaire, Michel
Reybier. Cela fait 20 ans qu’il veille
avec un soin particulier sur cette
propriété, l’une des plus belles de
Bordeaux. Ce vin est donc comme
un anniversaire. Et comme ce n’est
pas tous les jours qu’on a 20 ans,
il fallait que la fête soit réussie.
Elle l’est. Assurément. Le vin est
d’une élégance et d’une fraîcheur
rare. Il côtoie les sommets. Il est
un mélange subtil d’harmonie,
de richesse sans jamais occulter
le coté aérien apporté par les
magnifiques cabernet sauvignon.
En bouche, il révèle sa puissance
et son élégance. Quelle réussite !
Château Pichon Baron, 2e cru
classé 1855, pauillac, Bordeaux
Ce magnifique château recherche
les vignes les plus anciennes pour
réaliser son grand vin. La sélection
parcellaire menée depuis
longtemps par les équipes en place
permet à l’équipe de ne récolter
que la « crème de la crème »
comme pourrait le dire, avec
son accent anglais, son directeur
général, Christian Seely.
72 – L E S E CHOS WE E K- E ND
Si le cabernet sauvignon est
majestueux, le merlot a été
exceptionnel en 2020. Il procure
à ce vin un bouquet de fruits frais
et de fruits noirs. Puis, presque
avec modestie, les épices se
positionnent. En bouche, le vin
est droit, altier mais sans aucune
arrogance. Il est très aimable avec
une conversation intelligente et
charnue sur une grande fraîcheur.
Château Léoville Barton 2020,
2e cru classé 1855, saint-julien,
Bordeaux
Ce château vient d’entamer de
grands travaux afin de moderniser
son outil de production. L’idée est
de proposer aux amateurs des vins
encore plus aboutis. On a hâte
car devant ce 2020, nous sommes
déjà très séduits. La robe est
d’un grenat pourpre profond.
Elle inspire la réflexion.
Puis les parfums de groseille,
de framboise et de cacao
nous font voyager. En bouche,
le vin a de la puissance mais
également beaucoup de fraîcheur.
Ces deux qualités se compensent
naturellement sans jamais prendre
le dessus. La finale tendue,
aérienne et persistante laisse
un grand souvenir.
L’ACHAT EN PRIMEUR
L’amateur a la possibilité d’acheter
un vin alors même qu’il est encore
en barrique à un prix souvent
inférieur à son prix de sortie
deux années plus tard. Il a ainsi
l’assurance de se procurer le vin
qu’il souhaite car ces vins ne sont
peut-être pas accessibles plus tard.
Cette année, il est fort probable
que les prix resteront raisonnables.
Ils ne seront peut-être pas comme
l’année passée où une baisse allant
jusqu’à 25 % avait été constatée
par rapport à 2019 mais la pandémie
de la Covid-19 a remis un peu
de raison dans le prix fixé.
C’est le moment d’en profiter !
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.
Château Pape Clément 2020,
grand cru classé de Graves,
pessac léognan
Si Monsieur Bernard Magrez est le
propriétaire de plusieurs dizaines
de propriété viticole dans le monde
et en France, ce château est son
favori. Tout est mis en place pour
réaliser, millésime après millésime,
des vins d’exception. L’assemblage
de 50 % de merlot et 50 % de
cabernet sauvignon (assez atypique
pour ce château) donne à ce vin des
allures affables. Il nous offre des
notes intenses de cerises noires, de
cassis, de moka. En bouche, le vin
est suave avec des tannins fermes
et aboutis. La finale est persistante
et fraîche. Ce 2020 s’inscrit comme
l’égal des plus grands.
Château Haut Bailly 2020,
grand cru classé, pessac léognan,
Bordeaux
Le nouveau chai vient à peine
d’être inauguré. L’architecture
toute en discrétion est à l’image
de cette magnifique propriété. On
recherche l’élégance et l’efficacité.
Cela se traduit parfaitement dans
les vins qui figurent parmi les
meilleurs de Bordeaux. Le 2020
va s’inscrire dans cette lignée
prestigieuse des grandes réussites.

Le nez est savoureux avec ses
arômes de cerises noires, de
myrtilles sauvages. On le
supposerait léger mais en fait, en
bouche, il révèle sa puissance toute
en retenue. La finale s’étend vers
des notes iodées et persistantes.
Déjà bon aujourd’hui, il sera
immense demain.
Château Lafon-Rochet 2020,
4e cru classé, saint-estèphe,
Bordeaux
Basile Tesseron est à la tête de
cette sublime propriété d’environ
40 hectares. Il prend la suite de son
père Michel avec le souci de porter
les vins vers la suavité, l’élégance
et la gourmandise. Le travail à la
vigne est effectué avec un respect
total de l’environnement. Cette
terre de graves coule dans ses
veines. Il ne faudrait pas l’abîmer.
Le vin est un bouquet de cerises,
de cassis, de myrtilles. On croque
dans un fruit à juste maturité.
En bouche, il est droit et subtil.
La fraîcheur sur la finale lui donne
de l’énergie.
Château Pichon-Longueville
Comtesse de Lalande 2020, 2e cru
classé, pauillac, Bordeaux
Si les vins de cette propriété sont
toujours remarquables, il faut
avouer que le 2020 l’est encore
davantage. C’est une immense
réussite. Le nez est sublime avec
ses arômes de fruits comme la
groseille, la framboise. Comme
un voyage étrange, on ressentirait
presque un peu de lavande. La
surprise est totale. En bouche, la
matière est d’une délicatesse rare.
L’élégance est omniprésente : en
milieu de bouche et en finale. La
sapidité persistante lui confère
encore davantage de hauteur. Ce
2020 est assurément l’un des plus
grands vins réalisés par ce château.
Château Smith Haut Laffitte
2020, grand cru classé, pessac-
léognan, Bordeaux
A proximité de la ville
de Bordeaux, ce château mérite
le détour tant il est beau et
majestueux. Mais être beau ne
saurait être suffisant. Il faut
L ES EC HO S WEEK -EN D – 7 3
STYLE PRIMEURS 2020
également que les vins produits
soient bons. Et ils le sont, tant en
blanc qu’en rouge. Afin d’élaborer
des vins où le terroir s’exprimera
davantage, le vignoble est conduit
en agriculture biologique. Le rouge
2020 exprime immédiatement ses
fruits noirs et rouges. Il est ouvert,
aimable. Il veut engager la
conversation. Séducteur au premier
nez, il l’est également en bouche
avec une attaque horizontale,
franche et puissante. La trame vive
lui apporte de la hauteur pour
une finale en fraîcheur.
Château Phelan Ségur 2020,
saint-estèphe, Bordeaux
Véronique Dausse, la directrice
du château peut être fière de son
2020. Elle effectue un travail
remarquable sur la propriété afin
d’offrir aux amateurs des vins
élégants, fruités et frais. Il me
semble que cette quête soit aboutie
en 2020. Le vin est certes taillé
pour l’avenir avec ses tannins
présents mais il procure déjà,
alors qu’il n’est un petit enfant,
des émotions. Il est comme un
chemin où les fleurs et les fruits
se seraient donné rendez-vous.
Il est charnu à souhait mais sans
opulence. La trame est serrée et
pleine d’énergie pour une finale
toute en clarté.
Château Brane Cantenac, 2e cru
classé 1855, margaux, Bordeaux
En 2020, si en règle générale,
le millésime est grand, dans
l’appellation Margaux, il l’est
particulièrement. Henri Lurton,
le propriétaire, est un grand
professionnel. Il est aussi discret
que ses vins sont réguliers,
21h34, coucher de soleil sur Franc Mayne.
millésime après millésime.
Dans les grandes années, son vin
possède alors une dimension
particulière. Il s’élève pour mieux
côtoyer les étoiles. Le 2020 est
une corbeille de fruits frais avec
une structure pour encadrer
l’ensemble. Il a une personnalité
qui ne cessera jamais de s’épanouir
avec l’âge. Il est à la fois gourmand
et intense.
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L’ENTREPRENEUR À IMPACT

THOMAS
LEMASLE
Cofondateur d’Oé, site de vente
en ligne de vins bios, véganes
et sans pesticides, ce diplômé
des Arts et métiers convertit
peu à peu la filière viticole
à la consigne des bouteilles.

Métro, boulot, écolo

« J’ai commencé ma carrière chez L’Oréal, à la
coordination des lancements de produits. Six ans
après, ma femme et moi attendions notre
première fille. Nous avons quitté Paris pour
Lyon ; Claire a ouvert une école Montessori, j’ai
travaillé un an chez Danone. En prenant part au
MOOC “Devenir entrepreneur du changement”
organisé par HEC et Ticket for Change, j’ai ouvert
les yeux sur deux choses primordiales : les causes
qui me tenaient à cœur – dont l’écologie – et la
façon dont mes talents pouvaient les servir. Le
fait d’être père a joué ; avec un enfant, tout
devient plus concret. La notion de don et l’envie
de montrer l’exemple l’emportent sur le reste. »

Le bio jusqu’à plus soif

« En 2015, avec François-Xavier Henry, j’ai
cofondé Oé (ex-Pinot Bleu) dans l’objectif de
promouvoir une viticulture durable. Au-delà du
format de vente que nous proposions via cette
plate-forme – des vins 100% bios, produits par
des viticulteurs engagés, respectueux de la
biodiversité et de l’environnement –, c’est la
cohérence absolue de notre sélection qui
séduisait la clientèle. La transparence rassure ;
être radicalement bon et authentique pose un
cadre. Pour aller plus loin, mais aussi maîtriser
toute la chaîne de production et ordonner encore
mieux notre discours, nous avons choisi de
lancer nos propres vins. Oé compte aujourd’hui
une dizaine de références, de l’Alsace au
Bordelais, en passant par le Languedoc. Le
bouchon est en liège naturel, l’étiquette en papier
recyclé, la colle hydrosoluble et l’emballage
carton minimisé. Notre entreprise est d’ailleurs
certifiée B Corp (Benefit Corporation). »
Rendre de la bouteille
« À l’été 2020, une levée de fonds de 2,5 millions
d’euros nous a permis de remettre au goût du
jour la consigne des bouteilles. Personne
n’y croyait, pas même cette figure emblématique
de la filière qui, dans un sourire, m’a dit : “Ça ne
marchera pas. Tu fais fausse route !” Mais je savais
que nos convictions étaient un gage de
persévérance. La preuve : un autre mode de
fonctionnement est bien possible. La consigne
des bouteilles Oé, associée à la collecte en casiers
et au lavage par des spécialistes du réemploi,
représente 80% de gaz à effet de serre en moins,
79% d’énergie et 33% d’eau économisés, par
rapport au recyclage. En clair : réutiliser jusqu’à
50 fois de suite une bouteille consignée vaut
mieux que d’en acheter une nouvelle, refondue
et remoulée avec 20% de nouveau verre. »
Petites bêtes et grands espaces
« Pour participer à l’enrichissement de
l’écosystème, Oé consacre 1% de son chiffre
d’affaires au développement de programmes
directement menés auprès des vignerons et sur
leur domaine. Introduction d’une espèce animale
à proximité des vignes, plantation de haies,
installation de nichoirs ou d’un plan d’eau… :
tout ce qui peut encourager l’équilibre de
l’environnement est étudié, puis cofinancé. »
Les supermarchés dans la boucle
« Au fur et à mesure que nous avançons dans
nos engagements, nous mesurons ce qu’il reste
à faire. Ce mois-ci, Oé lance une nouvelle
gamme baptisée « Le bien par le bon », destinée
aux enseignes de la grande distribution. Un
outil pour que la bascule s’opère plus largement
encore et que le bio touche davantage de
personnes. Parallèlement, le service de consigne
- mis en place à Lyon, Bordeaux, Lille, Paris ou
encore Toulouse - va se développer et finir par
coûter moins cher que le recyclage. Tout en
restant à l’avant-garde, nous sommes même
en train d’encourager d’autres acteurs à nous
imiter. Plus nous serons nombreux à faire de la
consigne, plus les coûts seront écrasés. Alors,
dans cinq ans, ce sera le jour et la nuit. »
Anne-Charlotte De Langhe
Photographe : Lucien Lung

74 – L E S E CHOS WE E K- E ND
 MODE

L’OBJET ÉTHIQUE

LES INFOS DU LUXE

Supprimer ses coffrets et DORMIR COMME

réduire par 9 le poids de UN ROI
l’emballage : le pari était fou. Un nouvel hôtel de
Pourtant après deux années luxe de 14 chambres,
de R & D et pas moins de sept une gastronomie
prototypes, l’étui Seconde Peau de prestige signée
de Ruinart s’impose avec Ducasse, voilà la
évidence : enveloppe écoconçue nouvelle vie du
composée à 100% de fibres Grand Contrôle, hôtel
de cellulose, entièrement particulier signé
recyclable, la coque minimaliste Jules Hardouin-
permet de protéger l’intégrité Mansart en 1680
du goût Ruinart jusqu’à la dans le domaine du
dégustation. Elle prône château de Versailles.
un retour à la nature tout Classé Monument
en rendant hommage, Historique et laissé à
via sa texture, aux crayères l’abandon depuis une
historiques de la maison. Invité quinzaine d’années, le
à colorer ces étuis, l’artiste lieu a retrouvé depuis
dessinateur Alexandre le 1er juin ses ors et
Benjamin Navet a traduit en ses marbres sous
couleurs l’univers aromatique la houlette du groupe
de chacune des cuvées. LOV Hotel Collection
La Grande Épicerie. Chaque et de sa nouvelle
édition limitée à 100 pièces, marque Airelles
à partir de 68 euros. collection.

Clara Le Fort
Photographe : Sarah Braeck GUIDES DE VOYAGE
À l’heure où l’horizon
s’éclaircit, Louis
Vuitton étoffe sa
collection d’ouvrages
dédiés au voyage
avec deux
nouveaux albums
photographiques
dans la collection
Fashion Eye, l’un sur
Venise photographiée
par Cecil Beaton,
l’autre sur
l’effervescence
de São Paulo saisie
par l’artiste
ILLUSTRATION : CALL ME GEORGE(S) POUR LES ÉCHOS WEEK-END

Alexandre Furcolin.
La maison dévoile
également une
nouvelle édition
de son City Guide
Arles, en
collaboration
avec Les Rencontres
de la photographie.
Une librairie
éphémère sera
installée au cœur
de la ville, le temps
du festival.

LE S E CHOS WE E K- E ND – 75
STYLE

LA CHRONIQUE DE
SABINE DELANGLADE
Le match séculaire qui opposait slip,
caleçon et boxer a finalement été
remporté par KO par ce dernier.

Tout le monde ne peut pas péter

dans la soie. Le site Comme un camion
revient sur la fracture sociale
qui investit au début du XXe siècle
les sous-vêtements masculins. Quand
les plus riches s’offraient de la soie,
les autres devaient se contenter
d’une laine rugueuse. Mais il ne
s’agissait encore que de caleçons
longs, assez proches finalement
des bonnes vieilles braies. Le boxer-

STÉPHANE LAVOUÉ POUR LES ECHOS WEEK-END

short n’avait pas encore entamé
sa marche triomphale. Petit flash-
back Jusque dans les années 1920,
les poids lourds montaient sur le ring
équipés d’un short tenu par
une ceinture en cuir. Cela rendit
les parties inconfortables jusqu’à
ce que le créateur de la marque
Everlast inventât un short court
et moulant à ceinture élastique.
Il faudra quelques décennies
pour que celui-ci descende du ring

ILLUSTRATION PORTRAIT : KIM ROSELIER POUR LES ÉCHOS WEEK-END

dans la rue. Depuis les années 1990,
60% des hommes l’ont adopté,
c’est une victoire par KO. Attestée par
les jeans adolescents taille très basse
laissant dépasser la fameuse ceinture
élastique siglée Calvin Klein ou
autre Armani. Montesquieu changeait
de dessous chaque jour nous apprend
Paris Match. Hélas, sur ce sujet
non plus, il n’a pas fait école.
Car Le Parisien l’affirme. Si 94%
des femmes changent quotidiennement
de culotte, qu’il s’agisse de slip,
de caleçon ou de boxer, c’est le cas
d’à peine 73% des hommes, taux
qui tombe à 50% pour les plus MANUFACTURÉ

ILLUSTRATION : CALL ME GEORGE(S) POUR LES ÉCHOS WEEK-END

de 65 ans. Pour 21%, c’est deux fois
par semaine, pour 1%, une fois
tous les quinze jours. Culotté.
DANS L’ATELIER PULL MARIN DU MINOR
La maison Le Minor a longtemps fourni les
officiers de la Marine nationale et les pêcheurs
du Morbihan en pulls et marinières. Et même si
depuis sa création, en 1922, elle a connu plusieurs
repreneurs – la Manufacture de bonneterie
lorientaise (1982), Jérôme Permingeat et Sylvain
Le Flet (2018) –, son pull marin est toujours
fabriqué dans les règles de l’art. Une recette quasi
séculaire qui s’applique au modèle tricolore
en laine Babord-Tribord, produit en petite série
(entre 150 et 200 modèles). « On assure toutes les
étapes dans nos ateliers historiques à Guidel, du fil
au produit fini et l’expédition à nos boutiques ou
clients Web », explique Sylvain Le Flet, directeur
général. « Par exemple, pour ce modèle, on a
commencé par le tricotage par couleurs, puis
injecté de la vapeur pour assouplir et rétracter
un peu la matière (de la laine mélangée), ensuite
l’atelier de coupe a arrondi et échancré à la main
chaque partie du pull. On a ensuite procédé
à l’assemblage des piqûres, jusqu’à la broderie
de l’écusson issu de notre stock des années 1990,
puis on a terminé par le repassage et le contrôle
qualité », conclut Sylvain Le Flet. Astrid Faguer
https://leminor.fr/

76 – LE S E CHOS WE E K- E ND
 MODE

LA PIÈCE DE GAUTHIER BORSARELLO

Toutes les semaines, l’expert du vintage et directeur artistique
Gauthier Borsarello décrypte une pièce des vestiaires féminins et masculins.
Avec pour seuls critères, une fabrication irréprochable et la pérennité du style.

GOOD DATA

112
MILLIARDS
C’est le poids,
en euros, du
marché
mondial du
bio en 2019,
en hausse de
8,2%. En
ILLUSTRATION PORTRAIT : KIM ROSELIER POUR LES ÉCHOS WEEK-END

France, la
progression
des ventes de
produits
alimentaires
bios a même
atteint 13,5%
sur la même
année.

LE TRENCH-COAT
ILLUSTRATION : CALL ME GEORGE(S) POUR LES ÉCHOS WEEK-END

DATE ET LIEU DE CRÉATION
Tout début du XXe siècle
en Angleterre.
HISTOIRE Le terme « trench-
coat » semble être utilisé pour la
première fois dans un catalogue en
1916. Littéralement, un manteau fait
pour les tranchées de la Première
Guerre mondiale. Deux maisons
– britanniques, évidemment – ont
donné ses lettres de noblesse au
trench-coat en équipant les
officiers de l’armée, Aquascutum
et Burberry. Ce manteau est
reconnaissable à ses épaulettes,
ses poches profondes à rabat, son
double boutonnage, son col haut et
cette ceinture qui marque la taille et
dont les anneaux permettaient
d’accrocher notamment des
grenades. À partir des années 1940,
cette pièce militaire s’émancipe à
Hollywood et devient l’accessoire
fétiche du mystère, celui du
détective, du gangster ou du
journaliste : Humphrey Bogart dans
Casablanca, puis, plus tard, Alain
Delon dans Le Samouraï ou Meryl
Streep dans Kramer contre Kramer.
MATÉRIAU Un mélange coton
et laine, dont chaque fil a été
imperméabilisé avant le tissage,
appelé gabardine, et inventé par
Thomas Burberry en 1879. La maille
est si serrée qu’elle protège du vent
et de la pluie mais continue à
respirer. En général beige ou mastic.
COTE ACTUELLE Le trench-
coat a explosé dans les années
1970-80, il en reste de très beaux
en circulation de cette époque
qui avoisinent les 200 euros.
Husbands Paris en propose
une très belle version
(1 400 euros).
PRIX Trench Heritage The
Westminster, 1 890 euros, Burberry.
Photographe : Nathan Robin

LE S E CHOS WE E K- E ND – 77
STYLE

Veste matelassé
et legging en polyester,
THE FRANKIE SHOP.
Manteau « Blaise Short » en Frédéric Martin
soie, LORO PIANA.
Chaussettes personnelles.
Bottines en toile et cuir
de veau, CELINE PAR
HEDI SLIMANE.

78 – LE S E CHOS WE E K- E ND
 MODE

KAKI FOREVER

ARMÉE DE STYLE
Les habits militaires sont
une inépuisable source
d’inspiration des stylistes.
Dans le prêt-à-porter masculin
et, aussi, en mode féminine
pour leur côté essentiel,
fonctionnel et durable.
Par Frédéric Martin-Bernard
Photographe : Edward Lane
Styliste : Laetitia Paul

F
aites la mode, pas la guerre ! À mesure que
les pays se sont démilitarisés dans la
seconde partie du XXe siècle et, pour certains
– dont la France – qu’ils ont supprimé le passage
obligatoire des jeunes hommes sous les
drapeaux, le vêtement militaire est devenu une
sorte de référence obsessionnelle pour les
stylistes de mode. Olivier Renaudeau, le
conservateur et responsable du département
ancien du musée de l’Armée, confiait lors de
l’exposition « Les canons de l’élégance » qui s’est
tenue fin 2019, début 2020 à Paris, que de
nombreux directeurs artistiques étaient
familiers de l’établissement des Invalides,
renfermant une impressionnante collection LA SAHARIENNE Mogambo de John
de tenues de parade et de combat. DANS LE RÔLE Ford qui est un remake
Les visiteurs qu’il citait – off record, bien que PRINCIPAL de La Belle de Saïgon,
le sujet ne soit secret-défense –, n’étaient pas Une veste couleur la saharienne
particulièrement spécialistes de la mode sable avec quatre est détournée
homme. Au contraire même, il s’agissait plutôt poches plaquées, une une première fois
de talents reconnus en haute couture ou ceinture ou martingale au féminin, portée par
prêt-à-porter féminin. L’habillement masculin et pas besoin d’autre Ava Gardner et Grace
et, par extension, les vêtements militaires, chose pour situer Kelly. Côté mode, Yves
repose sur des savoir-faire tailleurs qui ont l’action d’un film ou Saint Laurent
été beaucoup repris dans la garde-robe l’inspiration d’une commence
contemporaine pour femme. Et puis le trench Saharienne collection sous des par la réinterpréter
DR

de Burberry – plus ancien habit de soldat qui JW Anderson pour latitudes tropicales. La de façon assez littérale
DOREAN SPOONER/MIRRORPIX/GETTY IMAGES

a connu une formidable reconversion dans Moncler Genius 2021. saharienne a été mise dans sa Collection
le civil –, n’a-t-il pas gagné des galons en étant En haut : Yves Saint au point pour les africaine du printemps
porté au féminin ? Idem pour la saharienne Laurent, le missions dans des 1967. Le couturier la
de Saint Laurent, qui vient des troupes en poste 10 septembre 1969, colonies, à la fin du réédite un an plus tard,
n-Bernard dans les colonies, ainsi que la marinière devant sa première XIXe siècle, lorsque la dans une version
de Chanel, inspirée des tenues de jeunes boutique tenue de tous les jours beaucoup plus
officiers marins, et ne parlons pas du londonienne, avec (le treillis) a été féminine, portée avec
camouflage, dont il serait peut-être plus rapide Loulou de La Falaise ajoutée à la panoplie une large ceinture à
de citer les griffes qui ne l’ont pas réinterprété (à droite) et Betty du soldat occidental. anneaux pour seul
au cours des dernières années. Catroux. En 1953, dans le film accessoire.

LE S E CHOS WE E K- E ND – 79
STYLE

LE PRESTIGE souvent référence aux

DE TOUS uniformes. Entre 2000
LES UNIFORMES et 2007 pour Dior
« L’habit militaire Homme, Hedi Slimane
a toujours inspiré signe plusieurs
les stylistes, observe collections magistrales
Olivier Renaudeau, rehaussées d’insignes
du musée de l’Armée. et de galons. Chez
Ils sont fascinés par Balmain depuis dix LE CAMOUFLAGE, habillait les quatre
le côté pratique et ans, Olivier Rousteing POUR SE CACHER généraux à l’origine
fonctionnel, éprouvé aime aussi enrichir OU ÊTRE VU du putsch d’Alger en
à l’usage des tenues ses créations L’idée de cet imprimé 1961 et, depuis cette
de combat. Ils de passementeries se fondant dans le tentative de coup
apprécient également à foison. paysage naît sur le d’État, il a été remplacé
celles d’apparat qui front de la Première par un autre motif.
s’avèrent bien plus Guerre mondiale, Qu’importe, Valentino
riches et variées. Mais lorsqu’on découvre que va jusqu’à le draper
c’est encore leur l’industrie de en haute couture à
bien-aller millimétré, l’armement a fait de l’automne 1995. Plus
la perfection de la gros progrès et que la récemment, son
coupe, le sens Valentino, collection poudre à canon ne successeur Pier Paolo
du détail qui suscitent homme automne 2021. produit plus une Piccioli en a fait un
surtout leur En haut : Self épaisse fumée dessin récurrent
admiration. » Dans Portrait permettant d’avancer des collections de la
les années 1990, (Camouflage), incognito. Bientôt, maison italienne. Marc
le créateur autrichien acrylique et chaque pays aura son Jacobs, qui a
Helmut Lang fait sérigraphie motif caméléon. longtemps dirigé
sur toile, d’Andy Aux États-Unis, il est la mode féminine
Warhol (1986). récupéré par la rue dès de Louis Vuitton, l’a
la fin des années 1960, également mêlé à la
pour protester contre toile emblématique du
la guerre du Vietnam. malletier dans le cadre
En 1986, Andy Warhol d’une édition avec
le détourne pour une l’artiste Takashi
de série de Self- Murakami. « Le
Portrait qui s’avérera monogramouflage »
une de ses dernières appelaient-ils leur
productions. De notre version du dessin
côté de l’Atlantique, militaire, que pléthore
ses premiers emprunts d’autres ont également
par des stylistes tenté de décliner
DR

mettent le ministère de comme signe extérieur

la Défense français de marque.
AKG-IMAGES

Modèle Balmain, dans l’embarras.

automne-hiver 2021. Le « camo » français

80 – L E S E CHOS WE E K- E ND
 MODE

Manteau en laine, veste et

T-shirt en coton, jean en
union wash denim, bottines
en toile et cuir de veau,
CELINE PAR HEDI SLIMANE.
Chaussettes personnelles.

LE S E CHOS WE E K- E ND – 81
STYLE

Veste en gabardine de coton

et pantalon en satin de soie et lin,
LOUIS VUITTON.
T-shirt en coton vintage
chez LE VIF BOUTIQUE.
Ceinture vintage.
Bottines en toile et cuir de veau,
CELINE PAR HEDI SLIMANE.

Modèle : Aurore Franche @Elite

Maquilleuse : Caroline Fenouil
Coiffeur : Nico Philippon
Assistante styliste : Caroline Martin
Assistants photographes : Jean
Romain Pac, Iris Della Roca
et Loup Catusse
Production : Hortense Bernardin

82 – L E S E CHOS WE E K- E ND
 MODE

SURPLUS D’ICI fréquentés par

ET D’AILLEURS les stylistes. Et
Les revendeurs de l’approvisionnement
vêtements, accessoires des surplus de
et matériels du soldat démystifier les vagues
se sont multipliés au successives de
Modèles de baskets fur et à mesure de la tendances militaires.
et tennis Bensimon, démilitarisation. Leur En effet, lorsqu’une
été 2021. principe est d’écouler armée abandonne un
des marchandises modèle, ce sont des
PREMIERS PAS puis ils proposent souvent neuves, dans conteneurs du même
SOUS LES des collections de multiples tailles. pantalon, blouson ou
DRAPEAUX prêt-à-porter avec une Contrairement aux veston qui arrivent
En 1978, les frères touche surannée. Au échoppes de seconde sur le marché et, par
Bensimon passent de rayon chaussures, le main qui ne proposent extension, dans les
l’univers des surplus à modèle Rangers est qu’un exemplaire. studios de création.
celui de la mode grâce aussi prisé. Si le Qu’importe, ces deux Ces habits, taillés pour
à un stock de 100 000 brodequin classique types de commerce résister à des
tennis blanches de n’est pas associé à une vintage sont très conditions climatiques
gymnastique de marque en particulier, extrêmes, s’adaptent
l’armée française. Ils sa version estivale en tels quels aux usages
ont l’idée géniale de toile de coton, dite de la vie quotidienne.
les teindre pour coller « chaussure de Pièces phares du
aux tendances de la brousse », est souvent moment : la parka M64
rue. Le succès est associée à la marque de l’armée française
immédiat et ils se française Pataugas, avec sa coulisse à la
mettent à en fabriquer créée en 1950 par taille, ou la M-51 de
pour toute la famille, René Elissabide. l’US Army avec sa
pointe en queue-de-
pie très pratique
pour parer aux
éclaboussures à
scooter ou vélo.

Manteaux de l’armée
américaine dans
un surplus.
MATTHEW PUTNEY/AP/SIPA

Ci-contre : Lillian
Lorraine Yonally,
vers 1943-44. Elle
faisait partie
des WASP, unité
de femmes pilotes
civiles employées
L.L. YONALLY/AKG-IMAGES

par l’US Air Force

pendant la Seconde
Guerre mondiale.
DR

LE S E CHOS WE E K- E ND – 83
STYLE HORLOGERIE
L’ACTU
Bonne nouvelle pour les
passionnés de belles mécaniques :
Jaeger-LeCoultre a ouvert
les inscriptions en ligne pour
ses ateliers découverte. Dans
son bâtiment historique du Sentier
en Suisse, la manufacture a créé
un espace dédié : l’Atelier
d’Antoine, du prénom de l’un des
fondateurs. En groupes limités à
huit personnes, encadrées par un
instructeur et un expert, la maison
de haute horlogerie propose cette
CADRANS
année une série d’expériences 69 300 CHF
dynamiques consacrées aux Lors de la vente Phillips
montres à sonnerie, domaine du 8 mai à Genève,
qu’elle maîtrise depuis 150 ans. une montre de plongée
Au programme : trois heures Omega Seamaster de
d’immersion sur les origines 1967 en acier, modèle
du célèbre « tic-tac », l’expression spécial pour l’armée
du temps à travers le son, britannique, a été
la conception d’une Répétition adjugée 69 300 CHF
Minutes et sa différence (63 241 euros),
avec une Grande Sonnerie. au-dessus de
Inscription sur online-booking. sa fourchette (30000-
jaeger-lecoultre.com. 50000 CHF).
84 – L E S E CHOS WE E K- E ND
LA VIE EN VERT
Jusqu’ici plutôt discrètes dans les collections
des grandes manufactures, les montres vertes
se multiplient cette année. Effet de mode
ou tendance de fond, l’avenir nous le dira.
Toujours est-il que la couleur signature
de l’écologie est bien dans l’air du temps.
En annonçant l’arrêt de la production de son
emblématique Nautilus automatique en acier
à cadran bleu, la maison Patek Philippe a créé
la surprise en début d’année. Une disparition qui
n’en était pas vraiment une, puisque ce phénix
horloger, très convoité par les collectionneurs,
renaît dans une version à cadran vert olive.
Chez TAG Heuer, la montre de plongée
Aquaracer automatique bénéficie d’une belle
réinterprétation esthétique et ergonomique.
Étanche à 300 m, dotée d’une lunette tournante
unidirectionnelle en céramique, elle existe en
différentes versions en acier habillées de bleu,
de noir ou d’argenté. La manufacture a aussi créé
cette édition en titane sablé, la seule à arborer
un cadran et une lunette de teinte verte.
Autre fonction chez Grand Seiko avec ce modèle
GMT en acier à lunette en céramique. Dédié
aux globe-trotters, il affiche un second fuseau
horaire avec une aiguille additionnelle 24 heures
qui contraste joliment sur le cadran. L’ensemble
abrite un calibre Spring Drive combinant
remontage automatique et technologie du
quartz. Un mouvement hybride dans une montre
verte : logique…
Frank Declerck
Photographe : Romin Favre
Grand Seiko, montre GMT (ref SBGE257) :
6 400 €.
TAG Heuer, Aquaracer Professional 300: 4000€.
Patek Philippe, Nautilus 5711/1A : prix sur
demande.
LA COTE
36 250 FRANCS CHF 27 500 CHF
Estimée entre Toujours à Genève, le
20 000 et 30 000 CHF 10 mai chez Christie’s,
chez Antiquorum, le une Cartier Tank
9 mai, également à Cintrée Double Fuseau
Genève, une Rolex en platine (circa 1990),
Submariner « Flat Four à deux calibres
Kermit » de 2004 manuels indépendants,
en acier, à lunette était estimée entre
verte, a fait mieux en 20 000 et 30 000 CHF.
partant à 36 250 CHF, Elle a été adjugée
l’équivalent de à 27 500 CHF
33 081 euros. (25 095 euros).
 STYLE HIGH-TECH

ACOUSTISSIME
Sennheiser propose avec ses IE 900
des écouteurs intra-auriculaires
filaires particulièrement performants. PAS D’ADAPTATEURS APPLE OU USB-C
Malgré les 1 300 euros déboursés, il faudra
Sans fioriture. dépenser un petit plus pour adapter
les écouteurs aux smartphones d’Apple,
Par Raphaël Sachetat
ou autres, sans prise jack.

L
DISTORSION MINIME TORSION EXTRÊME
Ennemie du beau son, la distorsion est ici réduite Les câbles ne s’abîmeront pas de sitôt :
au minimum grâce à une membrane assurant la partie la plus fragile est en effet renforcée
un fort degré d’amortissement (THD : 0,05% par une protection en para-aramide,
à 94 dB, 1 kHz pour les experts). conçue pour résister à plusieurs milliers
a découverte est digne d’une chasse de cycles de torsion.
au trésor. Au cœur d’une boîte se nichent
deux minuscules écouteurs, présentés tels des
bijoux sur une mousse anthracite. Un
certificat d’authenticité avec numéro de série
écrit à la main finit d’apporter ce sentiment
d’exception. En dessous, une multitude de fils
et d’accessoires. Pas de « plug and play » : il
faut monter soi-même son casque, proposé en
kit. La manœuvre n’est pas compliquée et elle
participe à une expérience hors norme. Le
corps des écouteurs est moulé dans un seul
bloc d’aluminium, avec une précision
d’orfèvre : tout est fait en Allemagne, avec des
caméras qui analysent les composants en
cours de fabrication et les écouteurs droit et
gauche appairés manuellement.
La spécificité technologique repose sur le
système d’absorption à triple chambre, pour
éviter la résonance et l’effet de masque. Pour
les non-initiés, ce dernier empêche l’oreille de
percevoir certains aigus, « masqués » par les
basses. Le système breveté de haut-parleur
dynamique permet à toutes les nuances
acoustiques d’être entendues, avec un son
cristallin. Si les voix d’opéra prennent une
dimension toute particulière, tous les styles
musicaux trouvent grâce aux oreilles. Il est
bien sûr conseillé d’opter pour l’écoute de
fichiers non compressés, sur une plate-forme
comme Qobuz ou directement depuis une
chaîne hi-fi. Mais les MP3 ou services de
streaming écoutés sur smartphone s’en
sortent assez bien.
Le port des écouteurs se révèle quant à lui très DES EMBOUTS POUR TOUS LES GOÛTS TRANSDUCTEUR UNIQUE
agréable, une partie du câble, plus rigide et Six paires d’embouts sont proposées avec Contrairement à certains concurrents
malléable, s’enroulant autour de l’oreille pour les IE 900. Deux types de formes : sphériques qui utilisent plusieurs transducteurs pour
assurer une bonne tenue. Le poids très et très souples en silicone, ou moins larges reproduire la gamme de fréquences
raisonnable des IE 900 autorise une mais rigides en mousse à mémoire de forme, – ce qui peut occasionner des effets
utilisation sur la durée sans gêne. Pas de le tout dans trois tailles différentes. de croisement et des différences de phase –,
fonctionnalité antibruit (les bouchons isolent Sennheiser a opté pour un nouveau
relativement bien), ni d’option sans fil via transducteur unique, le X3R.
Bluetooth, mais l’essentiel est ailleurs : dans la
perfection du son. À ce prix-là, ces écouteurs
sont destinés aux professionnels de la
musique, et aux audiophiles… aisés.

COMBIEN ? 1 299 euros.

DR

LE S E CHOS WE E K- E ND – 85
STYLE

LA CHRONIQUE GASTRONOMIE
DE LAURENT GUEZ

ALLÉNO À MONACO
Bonne nouvelle pour les
gourmets de la Riviera. Le 17 mai dernier,
Yannick Alléno inaugurait son nouveau
restaurant à Monaco, à l’Hôtel Hermitage,
intronisé en grande pompe par Alain
Ducasse en personne. Déjeuner à quatre
mains, échanges de mots doux et, le soir,
dîner ensemble à l’invitation du prince…
Mais pourquoi le chef le plus étoilé du
monde s’est-il autant impliqué dans l’arrivée
sur ses terres d’un concurrent ? En pleine
pandémie, Ducasse, très attaché à la
principauté depuis qu’à 33 ans il décrochait
trois étoiles à l’Hôtel de Paris, apprend
qu’Alléno est pressenti pour rejoindre l’Hôtel
Métropole, qui peine à retrouver son brio
culinaire depuis la disparition de Joël
Robuchon en 2018. Le Monégasque se dit La demeure du XVIe siècle a conservé pierres et ferronneries d’origine.

MARIE-FRANCE NELATON
que son brillant cadet serait bien mieux
sur le trottoir d’en face, à l’Hermitage,
un établissement prestigieux mais « ami » :
il appartient au même groupe que l’Hôtel
de Paris, à savoir la Société des Bains de Mer
(SBM), une société d’État. Ducasse présente
LE REPAIRE
alors Alléno à Jean-Luc Biamonti, le patron LE CHÂTEAU DE MASSILLAN, UNE HISTOIRE DURABLE

ILLUSTRATIONS PORTRAITS : KIM ROSELIER POUR LES ÉCHOS WEEK-END

de la SBM. Affaire conclue ! Avec désormais
deux géants de la gastronomie, le Rocher
gagne des points. Quand elle reviendra,
sa chiquissime clientèle n’aura qu’à traverser
la rue pour varier les plaisirs. Ils seront
multiples, sur la belle terrasse végétale
de l’Hermitage. Nous y avons retrouvé le
bonheur, décrit voici dix-huit mois dans ces
colonnes, de cette haute cuisine créée à Paris
au Pavyllon, le restaurant de comptoir
imaginé par Yannick Alléno en s’inspirant…
de Joël Robuchon. Avec ses ravioles de
légumes nageant dans le bouillon, son
exceptionnel king crabe nappé d’une crème
fraîche crue parfumée au citron caviar, ou
encore son mémorable soufflé au fromage
VAUCLUSE Sur un domaine de dix hectares,
à Uchaux, à une quarantaine de minutes
d’Avignon, l’ancien relais de chasse de Diane
de Poitiers devient un hôtel écoresponsable
qui vise les quatre étoiles.
LE CONCEPT C’est une bâtisse construite
en 1555 par Henri II pour Diane de Poitiers,
laquelle, trop affairée à la cour, n’y mettra
finalement jamais les pieds. Au fil des siècles,
la demeure passera entre plusieurs mains,
dont celles de la décoratrice Birgit Israël qui le
transforme en hôtel dès 2000. Lorsque Didier
Perréol, propriétaire des produits bio Ekibio, qui
marques Biovive et Dr. Hauschka pour les soins
du spa. Ce dernier s’étend sur 600 m2, avec
machines de fitness en bois NOHrD, sauna aux
herbes, grand bassin où profiter des jets en
tous genres et douche sensorielle. L’harmonie
des lieux a été validé par un maître feng shui.
LE GOÛT Auréolé d’une étoile en janvier dernier,
le restaurant gastronomique Le M, comme
la carte du bistrot, est placé sous la houlette
du chef Christophe Chiavola. Une cuisine locale
et de saison réveillée par des pointes d’acidité,
comme le pigeon aux huîtres fumées avec
fèves, sarrasin et jus ibérique au gingembre. Les

ILLUSTRATIONS : AMÉLIE FALIÈRE POUR LES ÉCHOS WEEK-END

– cuit à la vapeur et non au four traditionnel – fut le premier à importer le quinoa en France,
accompagné d’une sauce intense, subtile et rachète le lieu en 2013, il décide d’en faire
légère (sa spécialité), le chef renouvelle son un établissement tourné vers le durable.
répertoire en puisant dans Sans se départir d’un esprit provençal avec la
le terroir méditerranéen. charmante cour dotée d’une fontaine en pierre,
Yannick Alléno à l’Hôtel les bancs à l’ombre des oliviers, le terrain
Hermitage : Square de pétanque et bien sûr la piscine extérieure.
Beaumarchais,
98000 Monaco. LA DÉCO Trésor du patrimoine, l’historique
Tél. : +377 98 06 98 98. château aux deux tours a conservé la ferronnerie
À la carte, comptez et les pierres d’origine. La décoration et le design,
une centaine d’euros. quant à eux, mettent en exergue l’esprit durable
Menu déjeuner à 68 €. insufflé par le propriétaire : isolation en chanvre,
draps et serviettes en coton bio, choix des
produits – fleurs de courgette, radis, artichauts
et autres herbes aromatiques – proviennent du
potager maison de 4 000 m2 labellisés Ecocert.
Une partie est d’ailleurs ouverte à la visite,
rythmée par les bruits des résidents du poulailler.
Côté vins, on pioche dans la biodynamie avec
le domaine La Guicharde, appartenant au même
propriétaire. Vicky Chahine
LES CHAMBRES : 32 chambres réparties entre
la bâtisse historique et une aile plus moderne.
COMBIEN : chambre double à partir de 150 €.
C’EST OÙ : 730 chemin de Massillan, 84100 Uchaux.
www.chateaudemassillan.fr.

86 – LE S E CHOS WE E K- E ND
 GOÛTS

LA RÉDACTION DES « ÉCHOS » A TESTÉ

À PARIS, LA MAISON IFANTIS, GOÛT DE GRÈCE
À emporter Depuis un peu moins d’un an à
Paris, La Maison Ifantis revisite tout en finesse
le sandwich à la grecque. Le Mykonos (keftedes
au veau, tzatziki, taboulé vert), le Santorin
(bouchées de courgettes féta, houmous de
tomates séchées de Santorin, concombre et
oignons rouges) ou le Corfou (souvlaki de poulet
mariné, mâche, roquette marinée au vinaigre
balsamique) font voyager les papilles. La pita
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.
maison sur mesure, elle, associe un tartinable
savoureux – ne manquez pas les fèves
délicieusement citronnées –, un cromesquis
à la viande ou végétarien et une salade. Ce petit
restaurant cosy de huit couverts vend aussi
le traditionnel saucisson Parizaki et les saucisses
qui ont fait la réputation, en Grèce, de cette
affaire familiale fondée en 1981. F. B.
COMBIEN : formule de 6,90 à 12,50 €.
C’EST OÙ : 59 rue de Paradis, 75010 Paris.
Tél. : 01 88 61 69 39. Livraison via Epicery.
À PARIS, BAMBINI, TRATTORIA FESTIVE
En terrasse Durant le confinement, musées
et centres d’art se sont refait une beauté et, pour
certains, ont peaufiné leur offre de restauration.
Si la Bourse de Commerce a choisi les frères
Bras, le Palais de Tokyo a fait appel à Paris
Society pour sa nouvelle trattoria. Bambini
se veut une « néocantine populaire et festive,
transgénérationnelle, dépaysante », dotée d’une
grande terrasse, appréciable en ces temps de
Covid. Au menu, club de mozza panée ou salade
de haricots verts, pistaches, ricotta pour débuter,
suivis de green linguines ou d’un tagliata de bœuf.
Au dessert, spectaculaire Gigante al Limone,
mêlant génoise moelleuse et meringue. M. R.
LA CHRONIQUE VIN
DE JEAN-FRANCIS PÉCRESSE
LA, LA, LA ET LÀ
Et si c’était là ? Et si c’était là, sur cette langue
si rêche que la pierre et la terre s’y fondent,
et si c’était là, sur cette pente raide à s’y briser
les mollets, entre deux murs de schistes secs
remontés à l’ancienne, dressés comme des
paravents entre ces frères Jamet à jamais
ennemis ? Et si c’était là, s’élançant du faîte
de ce dôme parfait, prenant naissance en
cet horizon où la colline s’incline en plateau,
puis dévalant vers l’ombre profonde du
Reynard, ruisseau où baigne une vallée
d’arbres, que se tenait, en secret, la
quatrième merveille des Guigal ? Ce n’est
qu’un songe encore, mais un songe auquel
l’héritier du grand destin rhodanien a déjà
prêté un nom. La Reynarde. Et un nom posé
sur une pensée en fait un peu plus qu’un
souhait. Au tour de Philippe de faire jaillir
la rareté du sein de la majesté, de discerner
l’origine du vertige au milieu de cette folie de

la géologie qu’est Côte Rôtie. Ainsi procèdent

TOP 5 LES MEILLEURES TARTES À LA RHUBARBE
01 LA PLUS BOULANGÈRE
Mamiche sert la boulange
jusque dans ses desserts.
Témoin sa crostata à la
rhubarbe, dont la pâte sucrée
et la compotée de pomme
contrastent avec la douce
acidité de la plante (4,50 €).
Mamiche : 45, rue Condorcet,
75009 Paris. Tél. : 01 53 21 03 68.
Et 32, rue du Château d’Eau,
75010 Paris. Tél. : 01 42 08 42 02.
02 LA PLUS PRÉCIEUSE
Le nouveau chef pâtissier du
Bristol, Pascal Hainigue, affole
déjà réseaux sociaux et becs
sucrés. En cause, des créations
aussi soignées qu’alléchantes,
telle cette tarte à la rhubarbe
aux allures de calisson, alliant
COMBIEN : de 7 à 27 €.
C’EST OÙ : 13 avenue du Président Wilson,
75016 Paris. Tél. : 01 40 70 86 08.
compotée de rhubarbe et confit de fraise et un crémeux
ganache verveine sur un biscuit de rhubarbe au poivre de
pain de Gênes au citron (12 €). Sichuan. Le tout vegan et sans
L’Épicerie du Bristol Paris : 114, gluten. Merci Sucré Cœur pour
rue du Faubourg Saint-Honoré, cette délicatesse d’une fraîcheur
75008 Paris. Tél. : 01 53 43 43 74. folle nommée « Barbara » (6 €).
Sucré Cœur : 12, rue Manuel,
03 LA PLUS MARQUÉE 75009 Paris. Tél. : 09 80 64 62 49.
Un biscuit sablé aux amandes,
des tronçons de rhubarbe 05 LA PLUS BASQUE
pochés dans un jus de fraise et Le restaurant Septime a ouvert
relevés de thym… L’entremets en début d’année sa pâtisserie.
« Rosa » de Bontemps ne Tapisserie – c’est son nom –
manque ni de caractère ni de se distingue notamment par un
textures (20 € pour 2/3 pers.). gâteau basque fourré de crème
Bontemps : 57, rue de Bretagne, pâtissière aux amandes et de
75003 Paris. Tél. : 01 42 74 10 68. compote à la rhubarbe (4,50 €).
Une pure gourmandise !
04 LA PLUS RAFRAÎCHISSANTE Tapisserie : 65, rue de Charonne,
Sur une pâte sablée ultrafine, 75011 Paris. Tél. : 01 55 28 79 43.
un biscuit aux amandes, un Jérôme Berger
les Guigal. Longtemps, avant d’en perdre
la vue, Étienne, par qui tout arriva au milieu
du siècle passé, lorgna les terrasses de
La Mouline, un hectare de syrah et viognier
aux pieds tords, parfois centenaires,
que d’admirables forçats accrochèrent
férocement au flanc de la Blonde. Bon sang
ne saurait mentir. À la vigne chaque petit
matin de l’année, Marcel, fils unique, fils
magique, qui donna sa majuscule à Guigal,
sut d’instinct qu’en lettres d’argiles rouges
La Landonne écrirait la légende de la Brune.
Puis, lorsqu’il ne manqua à ce bâtisseur
de tunnels, à ce passeur de frontières, qu’un
trait d’union entre les deux faces d’une
même Côte, le géographe créa La Turque,
comme une conjugaison inclusive de deux
genres opposés par la nature, le féminin
et le masculin. Comme dans une balade
amoureuse, les amateurs les appellent les
« la, la, la », ces trois sœurs Guigal courtisées
jusqu’au bout du monde. Dans un an, deux
peut-être, elles pourraient bien être quatre.
Il se pressent, ce legs de la nouvelle
génération, dont l’œuvre immense ne se
résume pas aux étiquettes du prestige. La
vraie fierté des Guigal est dans la production
quotidienne d’un impeccable côtes-du-
rhône, vieilli longuement sous la maison
familiale, exprimant la syrah avec une
précision admirable.
Guigal, côtes-du-rhône 2017, 8,40 € la bouteille.
petitballon.com

LE S E CHOS WE E K- E ND – 87
STYLE AUTO
LUXE
HEXAGONAL
C’est la plus grande, la plus
chère et la haut de gamme
des autos françaises… La DS9
vaut plus qu’un petit tour !
Par Cédric Fréour
P resque 80 000 euros. C’est le prix, avec
quelques belles options, de la nouvelle DS9
dans sa version ultime E-Tense 4×4 360.
Révolution autant que fleuron de l’industrie
hexagonale, elle est assemblée en Chine
où elle espère faire une jolie carrière en
comptant notamment sur ses places arrière
permettant d’étendre parfaitement les
jambes. Dotée de sièges chauffants, ventilés
et massants, cette berline se montre aussi
plus accessible financièrement que le
traditionnel clan Audi A6, BMW Série 5 et
Mercedes Classe E, tout en offrant le plein de
sensations, voire de dépaysement. Derrière
le volant, pas un bruit (le double vitrage est
l’un des plus épais du monde) au milieu de
cuirs d’un soyeux magistral et emmené par
des motorisations hybrides rechargeables
(225 et 250 ch) tout à fait dans l’air du temps.
Mention évidemment spéciale à la version
360 ch qui donne plus que le tonus voulu
au placide palace, alors capable d’atteindre
100 km/h en moins de 6 secondes dans une
décontraction et une précision de conduite
qui n’est pas sans rappeler la DS originelle.
Le tout pour une consommation joliment
tenue (sous les 2 l/100 km au quotidien).
CARACTÉRISTIQUES
DS9 E-TENSE 4×4 360
– Puissance : 360 ch.
– De 0 à 100 km/h : 5,2 s
(estimation).
– Longueur : 4,57 m.
– Rejets de CO2 : 46 g/km
(estimation).
– Consommation : 1,8 l/100 km
(cycle mixte WLTP).
– Prix : 69 400 euros (hors bonus).
LES ALTERNATIVES
– Audi A6
– BMW Série 5
– Mercedes ClasseE
– Volvo S90
LE TABLEAU DE BORD
Toute de cuir vêtu, mais aussi
d’Alcantara, la planche de bord
impressionne par son coloris
rouge – laissé à discrétion.
En lieu et place du noir
(au catalogue), il confère à
l’habitacle le charme d’un salon
Empire. Pas banal et élégant
puisque les finitions,
notamment les surpiqûres
au point perlé, font appel à
un savoir-faire artisanal. Pour
le reste, l’instrumentation
numérique et l’écran central
inscrivent l’engin dans les
années 2020.
88 – LE S E CHOS WE E K- E ND
LE DÉTAIL
D’inspiration horlogère, un « sabre » de
métal guilloché sépare en deux parties
égales le long capot de l’auto. Un rien
suranné mais délicieux à détailler,
avec ses ciselures en « clous de Paris ».
LA BONNE SURPRISE
Si le système multimédia de l’inédite DS4
(attendue à la rentrée) s’annonce plus
évolué que celui de la DS9 – qui n’a pas le
DS Iris System de nouvelle génération –,
les équipements technologiques de la
plus grande des DS ne sont pas pour
autant hors jeu : la suspension pilotée, la
vision nocturne et les aides à la conduite
sont même de très belle qualité.
LE REGRET
Il faut aller cherche les boutons des
lève-vitres sur la console centrale. Rien
de rédhibitoire, mais à contre-courant
ASTUCE PRODUCTIONS
de l’ergonomie naturelle. Autre point :
la palette de l’habitacle (rouge ou noir)
mériterait des couleurs claires, hélas
absentes pour le moment.
ET MOI…
04 JUIN 2021

L'APPEL
DU TERROIR
Par Romane Groleau
Illustrations : Morgane Fadanelli

LE S E CHOS WE E K- E ND – 89
ET MOI…

La crise sanitaire
a conforté
des tendances
émergentes,
comme quitter la
ville, troquer les
tableurs Excel
pour le tracteur.
Certains optent
pour un lieu
intimement lié
à leur histoire
familiale. Entre
brebis et miel,
huîtres, chips
artisanales et
pain au levain,
zoom sur quatre
parcours.

90 – LE S E CHOS WE E K- E ND
 L’APPEL DU TERROIR

Au sud d’Orléans, en Sologne, les forêts se

succèdent à perte de vue le long de la route.
C’est dans cette région aux 3 000 étangs
qu’on découvre la ferme de Saint-Marc, près
d’Yvoy-le-Marron. Là, quelque 120 brebis
montent la garde tandis que les abeilles des
400 ruches installées non loin dansent
et bourdonnent aux alentours. Une quasi-
résurrection pour cette belle ferme bâtie
en 1894, porteuse d’un riche héritage familial
et qui a bien failli voir cesser toute activité
agricole. Accoudé au comptoir de sa boutique,
Nils Aucante, grand blond de trente-trois ans
au sourire doux, m’offre un bonbon au miel
maison avant d’entamer le récit de son retour
en terres solognotes.
Il y a quelques années, quand il rêve
de grands espaces et de sédentarisation,
ce journaliste documentariste globe-trotter
installé à New-York pense plutôt acheter une
ferme… dans le Wyoming. Dans le même temps,
de l’autre côté de l’Atlantique, la ferme d’Yvoy-
le-Marron tombe en ruines. La mort dans l’âme,
le grand-père en est convaincu : l’agriculture
n’a plus d’avenir, il n’y aura pas de repreneur.
Face à ce dilemme, Wyoming ou Sologne, Nils
Aucante ne réfléchira pas longtemps. « Mon
attachement à ce lieu bâti par mes ancêtres était
très fort, j’aurais eu du mal à vivre en me disant
que j’avais regardé s’effondrer notre ferme. »
Début 2015, sa décision est prise : retour
au bercail. L’objectif ? Réhabiliter les lieux
en y installant des ruches et en élevant des
brebis solognotes. Le grand-père, lui, conseille
plutôt de transformer la bâtisse en gîtes de
tourisme mais Nils Aucante est déterminé.
Et en voyant débarquer le troupeau un an
plus tard, le grand-père reprend espoir : la
ferme de Saint-Marc n’est pas près de s’éteindre.
Jean Viard, sociologue, directeur de
recherche associé au Cevipof/CNRS, observe
« une redéfinition par le lieu qui a pris une
« J’AURAIS EU DU MAL
À VIVRE EN ME DISANT
QUE J’AVAIS REGARDÉ
S’EFFONDRER
NOTRE FERME. »
importance énorme, des gens sont allés habiter
un lieu pour en réincarner l’identité […], il y a
un mouvement général de recherche et
d’appartenance localisée. Aujourd’hui, plein
de gens essayent de se donner une identité
dominante à travers le lieu où ils habitent. Et
quand, en plus, ce lieu est un lieu hérité, ceci
renforce cela », explique-t-il.
RETOURNER À SES RACINES
Comme Nils Aucante, ils sont de plus en plus
nombreux à avoir choisi de retourner dans
un endroit chargé de leur histoire personnelle
et familiale pour y mener un projet lié au
terroir. Patrice Le Cain est né dans le Finistère.
Ses parents ont appris le français à l’école
car, à la maison, on s’exprimait en breton.
Il faut l’entendre parler de la Bretagne pour
comprendre le lien qui l’unit à cette région.
« J’ai toujours été extrêmement fier d’être Breton
et de l’histoire de la Bretagne. J’ai l’impression
de retourner à mes racines. » Aujourd’hui
ostréiculteur en Vendée, il a auparavant
travaillé pendant vingt ans pour une société
de transport frigorifique à Paris puis à Lille,
avant que l’opportunité d’être muté à Pornic
ne se présente, il y a trois ans. « Quand on vit
avec un Breton ou une Bretonne, en général,
arrive un moment où ils lèvent les voiles
et mettent le cap à l’ouest pour rentrer à la
maison », sourit-il. Mais l’histoire ne s’arrête
pas là. Car ce que Patrice Le Cain aime plus que
tout, c’est sortir en mer avec les ostréiculteurs
du coin dont il est devenu l’ami. « J’adore
les huîtres, j’adore les produits de la mer, l’eau
de mer coule dans mes veines. » Sur un bateau,
c’est toute une période de sa vie qui ressurgit
et s’empare de lui, celle où, trente ans plus tôt,
il accompagnait son père et son grand-père,
marins-pêcheurs, au large des Glénans. « J’ai
vécu des choses d’une force qu’un terrien ne peut
pas comprendre » confie-t-il. Un an et demi après
avoir posé ses valises à Pornic, il démissionne
de son job pour devenir ostréiculteur.
RENTRER À PARIS ? IMPOSSIBLE
Normal : pour Jean Viard, on ne s’installe jamais
quelque part par hasard. Pour les uns, c’est
un ancrage familial, pour d’autres, un coup
de foudre, un souvenir de vacances qu’on veut
réveiller, faire durer. Ainsi, du haut de ses
25 ans, un master en écologie, biologie et
environnement en poche, Emma de Soumagnat
n’aurait jamais pensé quitter un jour la capitale
pour s’installer dans (ce qu’il reste de) la ferme
familiale limougeaude abandonnée depuis
trente ans, nichée au cœur du hameau bien
nommé de… Soumagnat ! Pourtant, à chaque
fois qu’elle écrit son nom, c’est son histoire
qui resurgit. Le déclic, pour elle, s’est produit
à l’annonce du premier confinement. « On
se dit que c’est pour un mois, que ce n’est pas
grave s’il n’y a ni eau ni d’électricité, qu’on va
bien s’en sortir ! » Et voilà que ça dure et
qu’Emma ne rentre plus à Paris, « cela s’impose
comme si nous n’avions pas eu le choix »,
poursuit cette grande brune aux yeux bleus
et aux taches de rousseur sur le nez.

ET VOUS, OÙ IRIEZ-VOUS ?

AGATHE , BLOIS ANNA, PARIS, VINCENT, BORDEAUX, LEÏLA, PARIS MATHILDE, PARIS THIBAUD, LUXEMBOURG
ARTISTE PEINTRE : RESPONSABLE RH : CHARGÉ D’ÉTUDES AVOCATE : CHARGÉE DE PROJETS COMMERCIAL :
« En Bretagne, « J’irais en Ardèche, ACTUARIELLES : « Je retournerais ASSOCIATIFS : « J’irais dans le Cantal,
je déteste l’eau non loin de la Drôme « Je partirais au Pays basque. « À Marseille, j’y ai des pour son art de vivre
mais je ne trouve rien où vit ma mère. m’installer en Je n’y ai pas d’attaches amis et de la famille. simple, et ses habitants
de meilleur que les Nous n’en sommes Normandie pour la mais j’y suis souvent C’est une ville bienveillants. J’y ai des
habitants de la mer. pas originaires, proximité avec la mer, allée avec mes amis dynamique et les souvenirs d’enfance, de
Je raffole des nous n’y avons pas la fertilité des sols pendant les vacances. possibilités de s’en randonnées joyeuses,
coquillages et d’attache mais c’est et les produits laitiers C’est un endroit échapper pour accéder et aussi le souvenir
crustacés. Je n’ai un endroit où j’aime qui y sont délicieux. très vert où il fait bon à la nature sont faciles. de mon père qui aimait
aucune attache là-bas partir en vacances. J’aimerais quitter le vivre. Et les fromages Et puis c’est le Sud, beaucoup cet endroit.
mais je pourrais Je reprendrais monde de l’actuariat de brebis sont plein de produits Les produits locaux
m’y exiler rien que un vignoble pour faire pour me lancer dans excellents. » ensoleillés… » sont exceptionnels :
pour la gastronomie du vin. » l’agriculture biologique truffade, aligot, viande
locale. » en Normandie. » de Salers, myrtilles… »

LE S E CHOS WE E K- E ND – 91
ET MOI…

Cahier de tendances Pour Gaspard d’Allens, auteur du livre Les

LECTURES 2021. Les personnes, Néo-Paysans, paru aux éditions du Seuil en 2016,
les objets, les lieux « ces parcours tissent la toile d’un récit commun
et les idées qui qui remet en cause notre modèle de société,
Gaspard d’Allens vont tout changer, urbain, très centré sur la carrière. On va
et Lucile Leclair, en partenariat avec revaloriser le travail manuel. Ce n’est pas tant
Les Néo-Paysans, les éditions de l’Aube, un retour à la terre qu’un recours à la terre pour
Seuil (2016), avril 2021, 19,90 euros. se réapproprier la vie, apprendre à travailler le
144 p., 12 euros. vivant, travailler avec les éléments. Il y a quelque
Luc Ferry, chose de très profond qui fait aussi écho à la crise
Jean Viard, Les Sept Écologies. écologique que l’on traverse aujourd’hui.
La révolution Pour une alternative On est dépossédés de nos conditions matérielles
que l’on attendait au catastrophisme d’existence et donc on va devoir recourir à la terre
est arrivée. antimoderne, pour pouvoir les retrouver, comprendre comment
Le réenchantement éditions de ça pousse, etc. Des petites choses toutes bêtes
du territoire, l’Observatoire, 2021, que nos grands-parents avaient mais que, nous,
éd. de l’Aube (2021), 288 p., 20 euros. on a perdues. » Lorsque Patrice Le Cain repense
240 p., 17 euros. à son ancien métier qui consistait à « acheter
Un site Internet à une prestation le moins cher possible pour
Fondation consulter également : la revendre le plus cher possible », il se demande
Jean-Jaurès, www.partirdeparis.fr comment il a fait pour tenir vingt ans.

Ce genre de coup de foudre, Patrice Le Cain
aussi l’a connu quand il a fait connaissance
avec les ostréiculteurs de la région. « Il a fallu
que je les rencontre pour avoir le déclic. Ça a été
un coup de cœur. »
UNE QUÊTE DE SENS
Les destins de Nils Aucante, de Patrice Le Cain
et d’Emma de Soumagnat étaient loin d’être
écrits à l’avance. Déclic, opportunité
professionnelle, envie de sédentarisation,
confinement : les raisons de leur retour dans
ces lieux chargés de leur histoire sont variées.
Pour autant, une chose les rassemble. L’envie
de donner plus de sens à leur vie, comme
Mathieu et Clémence Maisons.
« Parfois, il ne faut pas trop hésiter », estime
ainsi Mathieu. Fils d’agriculteurs en Beauce,
il a grandi dans la ferme familiale où il aidait
ses parents à récolter les pommes de terre
le week-end. Diplômé d’une école d’ingénieur,
il entame sa carrière comme chargé
de la prévision des ventes chez un géant
de l’agroalimentaire. Cinq ans et des centaines
de prévisions plus tard, il peine pourtant
à se projeter à long terme. Sa rencontre avec
Clémence, sa femme, et l’envie de construire
un projet à deux finissent de le convaincre
de se lancer dans la production de chips
artisanales. « Ça apporte plus de sens à notre
travail. Aujourd’hui on va planter les pommes
de terre, dans quelques mois on va les récolter,
ce sont celles-ci que l’on va transformer puis que
l’on va vendre. C’est hyperconcret. » Sans l’aide
de son épouse et de ses parents, Mathieu
Maisons n’aurait pas pu construire son projet.
Grâce au nouveau souffle qu’il a impulsé dans
la ferme familiale du XVIIe siècle, il a réinvesti
des murs devenus trop petits pour accueillir les
machines agricoles modernes et celles adaptées
à la transformation des pommes de terre.
LE RETOUR DU « FAIRE »
Apprendre à cultiver la terre, vivre au rythme
des saisons, réhabiliter les savoirs ancestraux,
c’est le projet d’Emma de Soumagnat : « On veut
faire un lieu où l’on retrouve ces savoirs perdus
depuis des générations : cultiver la terre sur de
petites parcelles, faire du levain, pétrir à la main.
Mon grand-père les a vus mais, pour lui, c’est
quelque chose d’archaïque », reconnaît-elle.
C’est aussi ce que cherchait Mathieu Maisons
en commercialisant ses chips artisanales :
retrouver le goût de celles que préparait sa
grand-mère. Selon Jean Viard, c’est le grand
retour des métiers du « faire ». Longtemps, c’est
plutôt la recherche de l’anonymat au travail
et une quête de l’épanouissement personnel
dans d’autres sphères – l’amour, les loisirs,
les voyages – qui dominaient. Depuis quelques
années, le curseur s’est déplacé. « Avant, on avait
la volonté de faire des métiers propres, on allait
travailler en costume-cravate et les mamans
poussaient leurs filles à aller vers la ville où il
y avait le propre et l’eau courante. Aujourd’hui,
c’est le retour du faire, des gens qui travaillent le
bois, la terre, le fer, la boulangerie. C’est le retour
de ces métiers parce que les gens veulent montrer
ce qu’ils font », observe Jean Viard.
La quête de sens, c’est aussi le retour
de valeurs fortes comme « le courage, le sens « CE N’EST PAS TANT
de l’effort, la générosité, la force. Quand il y a
un coup de vent, il faut oser aller en mer,
UN RETOUR À LA TERRE
il y a toujours un danger. Il faut prendre ses
responsabilités et faire face à l’adversité », estime
QU’UN RECOURS
pour sa part Patrice le Cain. L’ostréiculteur
a perdu dix kilos en six mois. Mais quand
À LA TERRE POUR
il repense à son bureau sous les néons, il n’a
aucun regret : « Je ne trouvais plus de sens
SE RÉAPPROPRIER
à ce que je faisais, je trouvais que ce n’était plus
éthique. » Dans nos vies ultraconnectées,
LA VIE, APPRENDRE
notre rapport à la nature s’est étiolé et nous
ressentons le besoin de renouer avec elle.
À TRAVAILLER LE
« C’est aussi une crise de l’attention, de notre VIVANT, TRAVAILLER
sensibilité et de notre rapport au monde, au
vivant. En quittant la ville pour devenir paysan AVEC LES ÉLÉMENTS. »
92 – LE S E CHOS WE E K- E ND

ou paysanne, on trouve justement une autre
manière d’habiter ce monde », remarque Gaspard
d’Allens. Pour Emma de Soumagnat, cette
reconnexion à la nature est vitale, d’ordre
charnel : « À Paris, tu es dans un cocon, tu vois
passer les saisons mais tu ne te rends pas compte
d’à quel point on est fragiles face aux éléments.
Ici, notre toit n’est pas isolé alors on entend
le vent, la pluie... »
LA SOCIÉTÉ DU LIEN
Changer de vie et se reconnecter à la nature
ne signifie pas pour autant vivre isolé. « Ce qu’on
recherche, ce n’est pas d’être en autarcie loin des
autres. On sent qu’il y a des changements dans
le monde qui vont se produire, des changements
climatiques, sociétaux, des pandémies, etc.
Ça bouge de plus en plus vite. Si un jour il y a
un problème, nous, ce qu’on aimerait, c’est être
l’axe de résilience du village, des gens qui sont
autour de nous », pressent Emma de Soumagnat.
Et le lien social commence souvent à la porte
d’à côté, explique Gaspard d’Allens : « Nourrir
le monde, c’est l’injonction qu’on faisait aux
paysans et paysannes dans les années 1950.
Aujourd’hui, ce n’est plus nourrir le monde mais
nourrir ses voisins […] On voit leurs visages, leurs
sourires, on voit des gens autour de soi heureux
d’avoir de bons produits. C’est une forme de
relocalisation de la politique, une micropolitique
du quotidien. »
Pour certains, la vie sociale est même plus
intense depuis qu’ils ont quitté la ville. Pendant
que nous parlions abeilles et brebis, Nils
Aucante a été interrompu à trois reprises par
des visiteurs. « J’ai plus de vie sociale ici qu’à New
LE S E CHOS WE E K- E ND – 93
L’APPEL DU TERROIR
York », raconte-t-il amusé. Alors, qui a dit qu’à
la campagne on vivait isolé ? Pour Jean Viard,
en laissant la ville derrière eux, ces nouveaux
venus conservent un fort lien à leur réseau. « On
est une société du lien, on vend du lien. Les gens
cherchent du lien avec leurs origines, du lien avec
le sol à travers ce qu’on fait et puis du lien avec les
gens à qui l’on vend. On construit une société de
réseau. Ces gens ont une culture de réseau, qu’ils
importent dans ces territoires ruraux », poursuit-
il. Ces néopaysans préfèrent privilégier le lien
social, le sens qu’ils donnent à leur travail
et à leur vie. Ils vont gagner moins, posséder
moins, peut-être travailler moins, en tout cas
différemment, mais être beaucoup plus dans
l’échange et la sociabilité. À chacun ses choix.
Plus d’infos sur www.lesechos.fr/we
ET MOI…
DÉLICES D’INITIÉS
Six idées pour rêver, faire fructifier son argent. Ou dépenser futé.
Par Laurence Boccara
01
Cette Fender GUITARES DE LÉGENDES
Telecaster
modèle 52 dédicacée MISE DE DÉPART :
par Johnny
HHHII
Hallyday est
estimée entre PROFIL DE RISQUE :
4 000 et 5 000 euros.
MM
À une quinzaine de jours de la 40e édition de la
fête de la musique, pourquoi ne pas craquer pour
une guitare électrique ? Mais pas n’importe
laquelle : l’iconique modèle Telecaster de la
célèbre marque américaine Fender. Dans le
cadre de sa vacation Art Contemporain-Design
programmée le 8 juin prochain chez Drouot, la
maison De Baecque & Associés propose deux
exemplaires de cette guitare mythique adoptée
par les légendes du rock comme Bruce
Springsteen, Keith Richards et Jimmy Page.
Emblématique, le premier lot est une Telecaster
de 2009 baptisée « The Queen ». Réalisé sur
commande, cet exemplaire unique a été l’une des
dernières réalisations de George Fullterton
(1923-2009), luthier historique de Fender. Outre
sa sonorité si particulière et son confort de jeu,
cette Fullerton dispose d’un corps en aulne, de
deux micros et d’une finition blonde « heavy
relic » qui lui donne cet aspect vieilli. Lors de la
vente, une photo montrant Prince posant auprès
cet instrument sera présentée. Rien ne prouve
qu’il en a joué, mais on peut se prêter à rêver.
Cette pièce est estimée entre 20 000 et
30 000 euros. L’autre lot vedette est une
Telecaster modèle 52 fabriquée en 1996.
Également « made in USA », elle présente une
couleur Butterscotch Blonde, la plus réputée, et
dispose sur sa table d’harmonie d’une dédicace
de Johnny Hallyday datant de 2001. Elle est
vendue avec son étui d’origine, son certificat
d’authenticité avec en prime une photo du
chanteur. prise le jour de cette dédicace. Cette
guitare a été estimée entre 4 000 et 5 000 euros.
94 – LE S E CHOS WE E K- E ND
02
PME : TAUX « BOOSTÉ », LE RETOUR
MISE DE DÉPART :
HHIII
PROFIL DE RISQUE :
MMM
Cela faisait plusieurs mois que les investisseurs
attendaient ce changement tant de fois
annoncé. C’est depuis peu officiel par décret.
Le taux de réduction d’impôt sur le revenu
accordé à des investissements réalisés dans
l’économie réelle a été majoré, passant de 18
à 25% des montants investis. Valable jusqu’au
31 décembre 2021, cette disposition concerne les
contribuables investissant en direct dans le
capital d’une PME ou achetant des parts de
Fonds d’investissement de proximité (FIP) ou de
Fonds commun de placement dans l’innovation
(FCPI). Devenue plus appétissante, cette carotte
fiscale ne se croque pas sans fin. La réduction
s’applique dans la limite annuelle de
12 000 euros pour une personne seule (soit
3 000 euros d’économies d’impôts par an)
et de 24 000 euros pour un couple marié ou
pacsé (soit 6 000 euros). « De plus, cet
investissement entre dans le plafond annuel des
niches fiscales de 10 000 euros », rappelle Erwan
Grumellon, directeur juridique et des expertises
patrimoniales chez Swiss Life Banque Privée.
03
LA TENTATION DE L’IMMOBILIER POLONAIS
MISE DE DÉPART :
HHHHI
PROFIL DE RISQUE :
MMMM
MNK Partners, une société de gestion d’actifs
immobiliers créée en 2017, lance Polska by MNK,
DE BAECQUE & ASSOCIÉS
un nouveau un fonds à destination du grand
public. Prévoyant de collecter une centaine de
millions d’euros et de lever de la dette (environ
50%), ce véhicule d’une durée de six ans investira
dans une quinzaine d’actifs (bureaux, entrepôts,

retail park) du marché immobilier secondaire
(reventes) polonais. « La Pologne affiche toujours
une bonne croissance économique et son marché
immobilier tertiaire est mature. D’ailleurs, les
volumes de transactions ne cessent de s’étoffer »,
indique Mansour Khalifé, fondateur de MNK
Partners. Selon ce dernier, « même si ce marché
décolle et commence à s’apprécier, il existe encore
une fenêtre de tir d’un an et demi pour dénicher
des actifs “core” (bon état et bonne localisation) qui
rapportent et qui devraient s’apprécier. Ce marché
est géographiquement assez homogène car réparti
sur plusieurs villes (Varsovie, Cracovie, Lodz,
Lublin, Poznan). » Éligible aux unités de compte
des contrats d’assurance-vie luxembourgeois,
ce fonds vise un rendement annuel de 5 à 7%
par an (première distribution prévue fin 2021)
avec un TRI cible supérieur à 10% sur six ans.
Noté 5 sur une échelle de 7 selon les critères
de l’AMF, ce placement est risqué : les actifs sont
concentrés dans un seul pays et il existe à la fois
un risque politique et de devise. Ticket d’entrée :
100 000 euros.
04
CRYPTO-ACTIFS : QUELLE TAXATION ?
MISE DE DÉPART :
HIIII
PROFIL DE RISQUE :
MMMM
Le compte à rebours s’amenuise. Vous avez
jusqu’au 8 juin prochain (pour les contribuables
résidant dans les départements de 55 à 976) pour
remplir en ligne votre déclaration d’impôt sur le
revenu 2020. Comme toujours dans cette période
rush, certains se posent de nombreuses
questions. Notamment ceux ayant encaissé de
coquettes plus-values grâce à la flambée du
bitcoin en 2020. Même numérique, cet actif
passe à la moulinette fiscale. « Attention : ne sont
taxés que les ventes et les achats de biens et services
réalisés en cryptomonnaie », signale Marion
Chapel-Massot, dirigeante de Decarion Gestion
Privée. Vous n’êtes donc pas imposé si vous n’en
avez pas cédé ou si vous avez basculé d’une
cryptomonnaie vers une autre. « Pour des
opérations occasionnelles, les revenus nets (gains
– pertes) sont alignés sur la taxation des valeurs
mobilières, soit à la flat tax de 30%. Il faudra
prendre en compte l’ensemble des “wallets”
détenus sur toutes les plates-formes utilisées,
comptabiliser les plus et moins-values pour chaque
MANEMOS
opération réalisée dans l’année et remplir le
formulaire n° 2086 », précise cette dernière.
05
GIVERNY, SUR LES TERRES DE MONET
MISE DE DÉPART :
HHHHH
PROFIL DE RISQUE :
MM
À proximité immédiate de Giverny, commune
rendue célèbre par le peintre impressionniste
Claude Monet, cette maison de caractère du
XIXe siècle est posée sur un domaine arboré et
paysagé de 2 800 m2. Au cœur du village de
Limetz-Villez (Yvelines), cette bâtisse en pierres
de 375 m2 habitables, exposée au sud, compte
douze pièces dont cinq chambres plus un
bureau. À 45 minutes de Paris, c’est un refuge
idéal pour élire sa résidence principale ou
secondaire. Dans le prolongement du séjour de
40 m2 et plus de six mètres de hauteur, une
terrasse aménagée de 100 m2 ouvre sur un écrin
de verdure. Érigée sur deux niveaux, l’habitation
dispose d’une piscine intérieure de 4 mètres sur
6. Chauffée par des panneaux solaires, elle offre
la possibilité de nager à contre-courant. Dans le
MISE DE DÉPART :
Presque rien
Très faible
Significative
Importante
Très élevée
PROFIL DE RISQUE :
Nul
Très faible
Faible
Significatif
Important
Très élevé
LE S E CHOS WE E K- E ND – 95
MON ARGENT
Cette propriété
de douze pièces
dans les Yvelines
se négocie
à 850 000 euros.
jardin, on trouve une dépendance de 85 m2.
Une fois aménagée, cette annexe pourrait servir
de maison d’invités ou convenir à l’exercice d’une
activité professionnelle. La taxe foncière s’élève
à 3 294 euros. Cet espace ne suffit pas ? Il est
actuellement possible d’acquérir un terrain
constructible de 700 m2 attenant à la propriété
pour 97 500 euros. La maison est proposée
par l’agence Keller Williams Cardinal au prix
de 850 000 euros.
06
IMMOBILIER LOCATIF : QUE CHOISIR ?
MISE DE DÉPART :
HIIII
PROFIL DE RISQUE :
L’immobilier locatif est réputé générer des
revenus réguliers sur la durée. Mais que choisir
au départ : de la location nue ou meublée ?
Faut-il opter pour le dispositif Pinel dans
le neuf ou le Denormandie dans l’ancien ?
Et puis que faire de son bien une fois la période
de défiscalisation terminée ? Vous trouverez
les réponses à ces questions et ainsi qu’à
beaucoup d’autres dans ce Guide du super
investisseur immobilier. Rédigé par trois experts
du cabinet BLC & Associés, spécialisé en
gestion patrimoine, cet ouvrage de 220 pages
vient de paraître chez 1min30 Publishing.
Prix : 19,90 euros.
ET MOI… BIEN-ÊTRE
DU BURN-OUT À LA PÂTISSERIE BIEN-ÊTRE
Par Claude Vincent – Illustrations : Carole Barraud
I l y a cinq ans, Johanna Le Pape a été victime
d’un burn-out. Jusqu’alors, le parcours de cette
jeune femme était aussi original que sans faute,
digne de la sportive qu’elle était : après un bac S
et le Staps (sciences et techniques des activités
physiques et sportives), l’évidence de la pâtisserie
s’impose à elle : CAP à Marseille, le Lutetia, le
Meurice, l’école Ducasse, le titre de championne
du monde des arts sucrés en 2014 avec son
binôme Gaëtan Fiard. Tout roule… jusqu’au
fameux burn-out. « J’ai compris alors que cette
pâtisserie haut de gamme, de palace, où le visuel
écrase tout, souvent au détriment du goût, n’était
pas pour moi, pas assez d’amour, de bienveillance,
pas assez reliée à nos émotions, à la santé. La
pâtisserie c’est aussi bien nourrir », témoigne
Johanna Le Pape. Changement de cap, depuis,
vers la pâtisserie « bien-être » qu’elle organise
autour de cinq piliers : diversifier les ingrédients
(fruits, sucres, légumes, huiles essentielles…) en
TRAVAILLER AVEC LES PIEDS
veillant à l’apport nutritionnel ; penser diététique,
en associant sucre et fibres ; valoriser les déchets,
par exemple en déshydratant ce qui reste de
l’agrume après le jus et le zeste pour en faire des
poudres ; sourcer local, durable, écoresponsable ;
et innover en cherchant comment ne pas
détruire les vitamines, les minéraux, les oligo-
éléments. « Je texture les fruits à l’alginate, à froid,
pour éviter l’ébullition, je travaille sur les poudres
cuisinables à 180 °C mais sans déperdition des
qualités organoleptiques », explique Johanna
Le Pape. Aujourd’hui consultante et formatrice,
elle crée chaque mois une pâtisserie unique en
son atelier culinaire Auraé, disponible en click &
collect sur réservation (johannalepape.shop).
En juin, c’est le Moonflower : une pâte feuilletée
croustillante caramélisée, une crème légère au
citron bio, un croustillant praliné, un gel basilic
à froid, une mousse praliné onctueuse, le tout
recouvert d’une fine couche de spiruline.
Comment faire un peu d’exercice quand on est
scotché à son bureau de longues heures, avec à la
clé des douleurs articulaires et le risque de favoriser
des maladies cardiovasculaires, du diabète,
l’obésité… Hormis se lever et faire quelques
mouvements, pas grand-chose. D’où l’idée d’eveia,
une start-up du Val-de-Loire : proposer un cyclo
repose-pied dynamique, interactif et connecté. Côté
matériel, une roue à inertie permet un pédalage
fluide et confortable. Côté connexion, deux
applications ludiques : l’une de suivi et de partage de
l’activité qui permet de se mesurer à soi-même ou à
sa communauté, l’autre qui propose des sortes de
« randonnées » dans le monde entier. Homologué
dispositif médical CE, eveia-premier n’est pas donné :
499 euros en précommande sur KissKissBankBank.
96 – L E S E CHOS WE E K- E ND
LE STRESS DE L’ACCÉLÉRATION
Un conducteur sur deux serait victime du « stress
de l’accélération », avec des syndromes d’anxiété et
d’épuisement à la clé. Un phénomène qui passe
souvent inaperçu, mais facteur potentiel de phobies
et de stress à long terme. C’est ce qu’ont mis en
évidence des chercheurs de l’université de Houston
qui ont surveillé par imagerie thermique la
transpiration nasale (un bon marqueur de stress)
d’une dizaine de conducteurs de 18 à 27 ans
confrontés à un parcours urbain standard d’une
demi-heure et de 19 km dans des conditions de
circulation normales (Association for Computing
Machinery, mai 2021). Selon l’étude, la moitié a
présenté un niveau de stress élevé sans en avoir
vraiment conscience, lors des phases d’accélération,
comme au démarrage à un feu. Intéressant à savoir
pour tous ceux (livreurs, taxis, commerciaux,
ambulanciers…) amenés à conduire régulièrement.
SAVOIR DIRE NON
Assez de ne jamais savoir dire non
à un ami qui vous demande un « petit service »
qui va vous prendre la journée,
d’être systématiquement celui qui s’écarte
devant la personne qui arrive en face,
de ne pas savoir comment demander
une augmentation, de sortir du magasin
avec un pantalon dont vous n’avez pas besoin
mais sans la chemise que vous vouliez ?
Où en est votre libre arbitre, qui manipule
qui, quel est votre réel pouvoir d’influence ?
C’est à toutes ces questions que répond
Nicolas Guéguen, docteur en psychologie
et chercheur en sciences du comportement,
dans son dernier ouvrage (L’Art de l’influence
et de la manipulation au quotidien, Dunod,
2021). On est vite surpris, à la lecture,
par le nombre d’exemples de manipulations
auxquelles on ne pense même pas,
mais également par son propre pouvoir
de séduction, qui se travaille. Un livre
à manipuler sans modération.
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CLAP DE FIN
Détourner un avion de ligne dans son espace
aérien pour y récupérer un opposant politique,
si vous mettez cela dans une mauvaise série
pour une plate-forme, personne ne va y croire.
Pourtant il l’a fait. Alexandre Loukachenko,
dictateur de la Biélorussie, n’a même pas
assez d’honneur pour reconnaître les faits
et justifie son acte par une fiction insultante
pour ceux qui sont supposés y croire. Informé
par ses services secrets d’une action terroriste
préparée par le Hamas, il aurait pris la décision
d’envoyer un MIG-29 arraisonner l’aéronef.
Le jeune Roman Protassevitch, qui d’une
certaine façon est l’honneur de cette nation
corrompue, n’imaginait certainement
pas que Loukachenko irait pour l’arrêter
jusqu’à détourner un vol Athènes-Vilnius, qui
plus est opéré par une compagnie étrangère.
L’aurait-il fait sans le soutien inconditionnel
de Moscou ? Certainement pas. D’ailleurs
sans cet appui, la Biélorussie serait sans doute
devenue une démocratie, empêchée de l’être
depuis 1994 par la répression et des élections
truquées. Parce que la démocratie, par principe,
est une insulte à Poutine qui ne voit dans
ce régime politique que décadence et
putréfaction. L’alternative proposée par
MARC DUGAIN
TERRORISME D'ÉTAT
la Russie à ce modèle occidental périmé
selon elle, c’est un régime brutal aux contours
idéologiques flous, dessinés à contrecœur
et où se mélangent un nationalisme blanc
orthodoxe et un soi-disant antifascisme inspiré
des années de guerre. La grande vexation
vient de là, que l’Occident n’ait jamais inclus
dans sa narration que la libération de l’Europe
occupée par les nazis a été essentiellement
le fait des Soviétiques. Ce voile idéologique
manque d’épaisseur pour masquer une autre
réalité, celle d’un capitalisme essentiellement
mafieux, plus aux mains des dirigeants de l’État
LA DÉMOCRATIE,
PAR PRINCIPE, EST
UNE INSULTE À POUTINE
QUI NE VOIT DANS CE RÉGIME
POLITIQUE QUE DÉCADENCE
ET PUTRÉFACTION.
LE TRAIT
98 – L E S E CHOS WE E K- E ND
et de ses complices que de l’Etat lui-même,
dont l’orientation faiblement technologique
est essentiellement basée sur des ressources
considérables en matière première.
Il est intéressant de constater que le régime
biélorusse se refuse de reconnaître
Protassevitch comme un défenseur de
la démocratie et des libertés fondamentales,
mais qu’il y est dénoncé comme un fasciste
en lien avec des groupes nazis ukrainiens
dont la dangerosité n’aurait d’équivalent
que celle des partisans du groupe État
islamique. Devant tant de mensonges
et de brutalités, l’Europe semble aussi désarmée
qu’elle l’a été pendant la crise ukrainienne,
toujours gênée que sa puissance militaire
ne soit pas à la mesure de son poids
économique, toujours abritée derrière
ILLUSTRATION PORTRAIT : KIM ROSELIER
le grand frère américain revenu par bonheur
à de meilleurs sentiments à son égard.
Mais il reste cette fondamentale impuissance
qui pèse sur l’Europe comme une malédiction
au moment où la crise sanitaire a consacré sa
mise sous tutelle numérique. Et pour couronner
le tout, on n’a même pas de plate-forme
européenne pour diffuser de mauvaises séries
inspirées de la réalité de notre continent.
Marc Dugain
LE PLUS GRAND ÉVÉNEMENT EUROPÉEN DÉDIÉ À LA
TECH & AUX STARTUPS

TIME TO
RECONNECT *Il est temps de se reconnecter

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