Vous êtes sur la page 1sur 262

Neurophysiologie clinique

en psychiatrie
Pratique diagnostique et thérapeutique
Chez le même éditeur

Du même auteur
Pratique de l'EEG. Bases neurophysiologiques, principes d'interprétation et de prescription, par
J. Vion-Dury et F. Blanquet. 2008, 224 pages.

Dans la collection Psychologie


Manuel de psychologie et de psychopathologie clinique générale, par R. Roussillon, 2e édition,
2014, 720 pages.
Traumatismes psychiques. Prise en charge psychologique des victimes, par L. Crocq. 2014, 352 pages.
Ateliers d'écriture thérapeutique, par N. Chidiac. 2013, 2e édition, 224 pages.
Art-thérapie, par A.-M. Dubois. 2013, 168 pages.
Manuel de la pratique clinique en psychologie et psychopathologie, par R. Roussillon. 2012, 256 pages.

Dans la collection Les Âges de la vie


Petite enfance et psychopathologie, par A. Guedenev. 2014, 312 pages.
Psychopathologie de la périnatalité, par J. Dayan, G. Andro, M. Dugnat. 2e édition, 2014.
Adolescence et psychopathologie, par D. Marcelli, A. Braconnier. 2013, 8e édition, 688 pages.
Psychopathologie transculturelle, par Th. Baubet, M.-R. Moro. 2013, 2e édition, 304 pages.
Crise et urgence à l'adolescence, par Ph. Duverger, M.-J. Guedj-Bourdiau. 2013, 352 pages.
Enfance et psychopathologie, par D. Marcelli, D. Cohen. 2012, 9e édition, 688 pages.
Psychopathologie de la scolarité, par N. Catheline. 2012, 3e édition, 432 pages.
Psychopathologie du travail, par C. Dejours, I. Gernet. 2012, 168 pages.
Psychopathologie de l'adulte, par Q. Debray, B. Granger, F. Azaïs. 2010, 4e édition, 488 pages.
Le geste suicidaire, par V. Caillard, F. Chastang, 2010, 316 pages.
Psychopathologie du sujet âgé, par G. Ferrey, G. Le Gouès. 2006, 6e édition, 384 pages.
Introduction à la psychopathologie, par A. Braconnier, E. Corbobesse, F. Deschamps et al. 2006,
352 pages.

Dans la collection Médecine et psychothérapie


Le développement psychique précoce. De la conception au langage, par B. Golse, M.-R. Moro,
R. Riand. 2014, 360 pages.
Thérapie cognitive et émotions. La troisième vague, par J. Cottraux. 2014, 224 pages.
Les thérapies familiales systémiques, par K. et T. Alberne. 2014, 4e édition, 336 pages.
Cognition sociale et schizophrénie, par N. Franck. 2014, 288 pages.

Dans d'autres collections


La psychothérapie : approches comparées par la pratique, par C.-E. Rengade et M.-C. Michel.
Collection Pratiques en psychothérapie, 2014, 248 pages.
Psychopathologie pathologique théorique et clinique, par J. Bergeret et alii. Collection Abrégés de
médecine, 2012, 11e édition, 368 pages.
Psychiatrie de l'adulte, par T. Lemperière, A. Féline, J. Adès, P. Hardy, F. Rouillon, 2006, 2e édition,
554 pages.
Neuropsychologie, par R. Gil, 2012, 5e édition, 512 pages.
Neurophysiologie
clinique
en psychiatrie
Pratique diagnostique
et thérapeutique
J. Vion-Dury
C. Balzani
J.-A. Micoulaud-Franchi
Ce logo a pour objet d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, tout
DANGER ­particulièrement dans le domaine universitaire, le développement massif du « photocopillage ».
Cette pratique qui s'est généralisée, notamment dans les établissements d'enseignement, provoque
une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des
œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée.
Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans autorisation, ainsi que le recel, sont passibles
de poursuites. Les demandes d'autorisation de photocopier doivent être adressées à l'éditeur ou au
LE
Centre français d'exploitation du droit de copie : 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
PHOTOCOPILLAGE Tél. 01 44 07 47 70.
TUE LE LIVRE

Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays.
Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées
dans le présent ouvrage, faite sans l'autorisation de l'éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont
autorisées, d'une part, les reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une
utilisation collective et, d'autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d'information de
l'œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle).

© 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés


ISBN : 978-2-294-74086-2
e-ISBN : 978-2-294-74166-1

Elsevier Masson SAS, 62, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux CEDEX


www.elsevier-masson.fr
Les auteurs

Balzani Céline, docteur en médecine, psychiatre, Pallanca Olivier, docteur en médecine, psychiatre
neurophysiologiste et médecin du sommeil, chef de spécialiste du sommeil, neurophysiologiste, pra-
clinique-assistante, service du professeur ­Naudin ticien hospitalier en neurophysiologie clinique,
et Unité de Neurophysiologie, Psychophysiologie et hôpitaux universitaires Pitié-Salpêtrière, Paris.
Neurophénoménologie (UNPN), pôle de psychia- Quiles Clélia, docteur en médecine, docteur ès
trie universitaire, CHU Sainte-Marguerite. sciences cognitives, psychiatre, chef de clinique-
Brion Agnès, docteur en médecine, psychiatre, assistant, pôle de psychiatrie adulte universitaire
praticien ATT, service des pathologies du sommeil, (professeur Verdoux), centre hospitalier Charles
hôpitaux universitaires Pitié-Salpêtrière, Paris. Perrens, Bordeaux et INSERM U657, pharmaco-
Cermolacce Michel, docteur en médecine, doc- épidémiologie et évaluation de l’impact des pro-
teur ès sciences, psychiatre, praticien hospita- duits de santé sur les populations, Université de
lier service du professeur Naudin et Unité de Bordeaux.
Neurophysiologie, Psychophysiologie et Neuro- Richieri Raphaëlle, docteur en médecine, doc-
phénoménologie (UNPN), pôle de psychiatrie teur ès sciences, psychiatre, praticien hospitalier,
­universitaire, CHU Sainte-Marguerite ; Labora- pôle universitaire de psychiatrie, responsable
toire de Neurosciences Cognitives (LNC), UMR du  centre expert dépression résistante, respon-
CNRS 7291, Marseille. sable de l’unité ECT et RTMS, hôpital Sainte-
Faugère Mélanie, doctorante, master de neu- Marguerite, Marseille.
rosciences intégratives et cognitives, attachée de Steffen Marie-Laure, interne en psychiatrie,
recherche, service du professeur Lançon, pôle de pôle de psychiatrie universitaire, CHU Sainte-
psychiatrie universitaire. Marguerite, doctorante, membre de l’Unité de
Micoulaud-Franchi Jean-Arthur, docteur en Neurophysiologie, Psychophysiologie et Neuro-
médecine, docteur ès sciences, psychiatre, neuro- phénoménologie (UNPN), pôle de psychiatrie
physiologiste et médecin du sommeil, ancien chef universitaire, CHU Sainte-Marguerite, Marseille.
de clinique-assistant, Unité de Neurophysiolo- Vion-Dury Jean, docteur en médecine, docteur ès
gie, Psychophysiologie et Neurophénoménologie sciences, habilité à diriger les recherches, maître
(UNPN), pôle de psychiatrie universitaire, CHU de conférences, praticien hospitalier, CHU de
Sainte-Marguerite ; Laboratoire de Neurosciences Marseille, responsable de l'Unité de Neurophy-
Cognitives (LNC), UMR CNRS 7291, Marseille. siologie, Psychophysiologie et Neurophénoméno-
Assistant hospitalo-universitaire, services d'explo- logie (UNPN), pôle de psychiatrie universitaire,
rations fonctionnelles du système nerveux, clinique hôpital Sainte-Marguerite, Marseille ; Laboratoire
du sommeil (professeur Philip), CHU de Bordeaux de Neurosciences Cognitives (LNC), UMR CNRS
et Sanpsy, USR CNRS 3413, Université de Bordeaux. 7291, Marseille.

V
Préface

La psychiatrie et l'électrophysiologie entretiennent depuis bien longtemps des


relations feutrées et étroites. Après une relative distance, l'électrophysiologie
retrouve actuellement au sein de l'art psychiatrique une place importante au
travers des travaux actuels. Les auteurs de cet ouvrage nous permettent de
mieux appréhender les aspects techniques actuels de cette discipline. Ils nous
montrent aussi, avec beaucoup de perspicacité, la place retrouvée de l'électro-
physiologie dans l'exploration des troubles psychiatriques, leur physiopatho-
logie, leur clinique et leurs possibilités thérapeutiques. Cette belle synthèse
aide à mieux cerner les enjeux présents et futurs autour des phénomènes élec-
trophysiologiques, et à mieux saisir l'apport phénoménologique des troubles
psychiques.
Il faut savoir prendre le temps de lire et relire cet ouvrage, prendre le temps de
traverser les diverses synthèses qui y sont proposées ; synthèses parfois com-
plexes mais aussi accessibles pour les non initiés.
Le temps de l'électrophysiologie traverse ainsi celui de la chose psychiatrique.
C. Lançon

VII
Avant-propos

Proposer aux cliniciens une compréhension pratique de la neurophysiologie en


psychiatrie, tel est le propos de ce livre.
Celui-ci est la continuation et le complément de notre Abrégé d'électroencé-
phalographie1. Continuation parce qu'il développe la pratique d'examens neu-
rophysiologiques plus particulièrement dans le domaine de la psychiatrie, alors
que celle-ci n'y avait fait l'objet que d'un court paragraphe. Complément, parce
qu'il décrit également une neurophysiologie thérapeutique, héritière notam-
ment de l'histoire de l'électricité.
En effet, la physiologie nerveuse, ou neurophysiologie, peut en quelque sorte
être divisée en deux grandes sous-disciplines :
– la neurophysiologie dite « sèche » des courants électriques, c'est à dire la
physiologie des cellules excitables que constituent les neurones et les cellules
gliales ; cette approche s'ouvre à la structure des différents réseaux ;
– la neurophysiologie dite « humide » que constitue la neurochimie ; celle-ci
se décline en neurochimie de la communication intercellulaire et en neuro-
chimie des métabolismes au sens large. La première inclut l'étude des neuro­
médiateurs, des récepteurs, des neurohormones et de la communication non
spécifique par le biais de molécules libérées dans l'espace intercellulaire. La
seconde étudie les métabolismes des différentes cellules, leur organisation
génétique et protéique, et la perfusion cérébrale en lien avec la fourniture des
substrats. Notons que l'une et l'autre peuvent partiellement se recouper, les
métabolismes modifiant la fonction synaptique et inversement.
Dans cet ouvrage, nous ne nous préoccuperons que de la première sous-­
discipline, celle qui concerne la production et la modulation de charges élec-
triques dans le cerveau, et non des questions relatives aux anomalies des neu-
romédiateurs et des traitements psychopharmacologiques en psychiatrie. Dans
ce contexte, et chez l'homme, la seule approche est macroscopique, en général
à partir du scalp, soit parce qu'on enregistre une résultante des courants élec-
triques cérébraux instantanés, soit parce qu'on délivre à cet organe excitable
qu'est le cerveau des champs électriques ou magnétiques aptes à soigner les
troubles mentaux.
C'est donc cette neurophysiologie à la fois diagnostique et thérapeutique, prati-
quée chez le patient dans le cadre de la psychiatrie clinique et non expérimen-
tale, que nous abordons dans cet ouvrage.
Nous avons voulu le rendre le plus pratique possible, sans pour autant faire
­l'impasse sur des réflexions plus théoriques. Il nous semblait en effet que

1
Vion-Dury J, Blanquet F. Pratique de l'EEG. Paris : Masson ; 2008.

IX
Avant-propos

­ anquait dans le domaine de la psychiatrie, depuis l'ouvrage de Morault,


m
Bourgeois et Paty2, un ouvrage de synthèse en langue française, plus spécifique
de cette neurophysiologie, et qui rassemble à la fois les éléments bibliogra-
phiques les plus récents dans les différents domaines et l'expérience clinique
ou paraclinique de praticiens. Notre espoir est que le psychiatre en forma-
tion ou aguerri puisse, sur la base de cet ouvrage, trouver les renseignements
indispensables à l'initiation d'une pratique ou d'une utilisation d'une de ces
méthodes neurophysiologiques dans son exercice quotidien de la psychiatrie.
Cet ouvrage comprend quatre parties, chacune formée de trois chapitres :
I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques
II. Neurophysiologie diagnostique
III. Neurophysiologie thérapeutique
IV. Épistémologie et phénoménologie
Nous nous expliquons plus loin sur l'importance que nous avons donnée à
l'épistémologie et la phénoménologie, mais les pratiques fondées sur l'usage
de l'électricité en psychiatrie soulèvent des questions éthiques et épistémolo-
giques qu'il nous semble nécessaire d'aborder.
Nous espérons ainsi faire découvrir au lecteur la très grande variété des
approches neurophysiologiques chez l'homme et leur utilité dans l'exercice
de la psychiatrie tout autant que l'initier à une discipline qui, bien souvent,
semble abstraite et éloignée de la problématique des troubles mentaux.
Jean Vion-Dury
Céline Balzani
Jean-Arthur Micoulaud-Franchi

2
Morault P, Bourgeois M-L, Paty J. Électrophysiologie cérébrale en psychiatrie. Paris :
Masson ; 1992.

X
Abréviations

AAPB Association for Applied Psychophysiology LORETA


Low Resolution Tomography
and Biofeedback LPC Late Positive Component
AASM American Academy of Sleep Medicine MADRS Montgomery-Asberg Depression Rating
ASA  American Society of Anaesthesiologists Scale
ASRS Adult ADHD Self-Report Scale MHLS Multidimensional Health Locus
BCIA Biofeedback Certification ­International of Control Scale
Alliance MMN Mismatch Negativity
BDI Beck Depression Inventory MMS Mini Mental State Examination
BFE Biofeedback Foundation of Europe MPJ Syndrome des mouvements p­ ériodiques
BSA Biofeedback Society of America des jambes
CAARS Conners’ Adult ADHD Rating Scale NES Night Eating Syndrome
CAD Convertisseur analogique digital NMDA Acide N-méthyl-D-aspartique
CAP Cyclic Alternating Patterns NREM Non-Rapid Eye Movement sleep
CNEP Crise non épileptique psychogène PE Potentiels évoqués
CPFDL Cortex préfrontal dorsolatéral PEA Potentiels évoqués auditifs
cTBS Continuous Theta Burst Stimulation PEC Potentiels évoqués cognitifs
DC Direct Current PEM Potentiels évoqués moteurs
DSM Diagnostic and Statistical Manual PES Potentiels évoqués somesthésiques
of Mental Disorders PEV Potentiels évoqués visuels
ECG Électrocardiogramme PINV Post-Imperative Negative Variations
ECT Électroconvulsivothérapie PIPV Post-Imperative Positive Variations
EEG Électroencéphalogramme PLED Periodic Lateralized Epileptiform
EME État de mal épileptique Discharges
EMG Électromyogramme PPSE Potentiel postsynaptique d’excitation
EOG Électro-oculogramme PPSI Potentiel postsynaptique d’inhibition
ERD Event-Related Desynchronization PSG Polysomnographie
ERP Event-Related Potentials PSS Perceived Stress Scale
ERS Event-Related Synchronization PV Polygraphie ventilatoire
FFT Transformée de Fourier rapide qEEG EEG quantifié
FIC Facilitation intracorticale REM Rapid Eye Movement
HAMD Hamilton Depression rating scale rTMS Repetitive Transcranial Magnetic
HPN Hyperpnée Stimulation
IAH Index d’apnées-hypopnées SABC Suppression de l’activité bioélectrique
ICE Institute for Credentialing Excellence corticale
ICSD International Classification of Sleep SAOS Syndrome d’apnées/hypopnées
Disorders obstructives du sommeil
IIC Inhibition intracorticale SCP Slow Cortical Potential
IRSNa Inhibiteurs de la recapture de la SG Sensory Gating
­sérotonine et de la noradrénaline SIMI Syndrome d’impatiences des membres
ISI Intervalle inter-stimulus inférieurs
ISNR International Society for N
­ eurofeedback SJSR Syndrome des jambes sans repos
and Research SLI Stimulation lumineuse intermittente
ISRS Inhibiteurs de la recapture SLP Sommeil lent profond
de la sérotonine SMR Sensory Motor Rhythm
iTBS Intermittent Theta Burst Stimulation SMT Stimulation magnétique transcrânienne
ITI InterTrial Interval SMTr Stimulation magnétique transcrânienne
LART Left Anterior Right Temporal répétitive

XV
Abréviations

SOA Stimulus Onset Asynchrony TDAH Trouble du Déficit de l'Attention avec


SP Sommeil paradoxal Hyperactivité
SRED Sleep-Related Eating Disorder THC Δ9-tétrahydrocannabinol
SRPS Syndrome de retard de phase TILE Test itératif de latence d’endormissement
du sommeil TME Test de maintien d’éveil
SSMQ Squire Subjective Memory Questionnaire TMS Transcranial Magnetic Stimulation
SSNR Society for the Study of Neuronal TPS Temps de période de sommeil
Regulation TSA Troubles du spectre autistique
SSPI Salle de soins post-interventionnels TST Temps de sommeil total
SSQ Social Support Questionnaire VCN Variation contingente négative
STAI State-Trait Anxiety Inventory VIGALL Vigilance Algorithm Leipzig
TAL Temps au lit WASO Wake time After Sleep Onset
TBS Theta Burst Stimulation WCC-R Ways of Coping Checklist-Revised
TCSP Trouble du comportement en sommeil WFSBP World Federation of Societies
paradoxal of Biological Psychiatry

XVI
Partie I

Rappels historiques,
techniques
et méthodologiques

Chapitre 1 Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie 3


Chapitre 2 De l'activité électrique corticale au tracé EEG 21
Chapitre 3 Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG 31
Introduction
Dans cette première partie, nous insistons sur position du matériel d'enregistrement de l'EEG et
la problématique historique et technique sous- ses différentes modalités, en lien notamment avec
jacente à la pratique de la neurophysiologie cli- les diverses applications de la neurophysiologie
nique en psychiatrie. à la pratique thérapeutique (électroconvulsivo-
Le premier chapitre s'intéressera tout particu- thérapie avec enregistrement EEG concomitant,
lièrement à l'histoire de l'électricité en médecine, neuro­ feedback). Maîtriser la neurophysiologie
plus particulièrement en neuropsychiatrie. Cette chez l'homme, c'est d'abord maîtriser des dispo-
affaire remonte au xviiie siècle et fut l'objet de sitifs techniques.
très nombreux débats, eux-mêmes évocateurs Le troisième chapitre détaillera les modalités
des conceptions instables, à cette époque, sur la de transformation et d'interprétation du signal
nature de l'électricité et de l'électromagnétisme. EEG dans ses différentes applications. Nous
Dans ce chapitre, une première réflexion épisté- avons voulu dans ce chapitre souligner les pro-
mologique sera engagée à propos de la place de blèmes méthodologiques afférents à ces modalités
l'objet technique. En effet, l'histoire de l'électri- et nous avons particulièrement insisté sur l'enre-
cité en médecine peut être interprétée — mais gistrement et l'analyse des potentiels évoqués
pas seulement — comme une histoire de certains cognitifs en psychiatrie. Par ailleurs nous ferons
objets techniques relatifs au diagnostic et au soin. une place à une méthode encore peu diffusée mais
Le second chapitre abordera comment l'on potentiellement très importante en clinique : le
passe de l'activation cellulaire cérébrale à la trace vigigramme, largement d'inspiration phénomé-
électroencéphalographique. Il abordera la com- nologique.

2
Histoire technologique Chapitre 1
de l'électricité en
psychiatrie
J.-A. Micoulaud-Franchi1

Les applications cliniques de l'électricité en psychia- laboratoire du Collège de France et va mesurer,


trie ont débuté à la fin du xviiie siècle [1–5]. Contraire- avec une sonde électrique et un galvanomètre, la
ment à l'utilisation de certains poissons « électriques » température d'un lapin vivant [7]. Il représente ce
depuis l'Antiquité (raie torpille de Méditerranée, qui peut être appelé l'« École des électrophysiolo-
anguille électrique d'Amérique du sud ou poisson gistes », centrée sur la mesure, la méthode expé-
moustache d'Afrique) qui auront un rôle majeur rimentale et la compréhension de la physiologie.
dans la naissance de la neurophysiologie [6], les appli- Dans le second tableau, Jean-Martin Charcot
cations cliniques s'appuyaient désormais sur le déve- (1825–1893) est entouré de ses collègues neurolo-
loppement technologique de machines permettant gues et psychiatres, et présente une jeune femme
de produire, contrôler et mesurer l'électricité. souffrant d'un probable trouble somatoforme
Le développement de cette branche de la méde- à type de trouble de conversion avec crises non
cine était donc fortement lié aux inventions et épileptiques. Mais un détail du tableau est par-
évolutions techniques de l'époque ; celles-ci ont ticulièrement intéressant pour notre propos : il
d'ailleurs été développées par leurs inventeurs en s'agit d'un appareil électrique de stimulation qui
premier lieu pour une utilisation médicale (dont se trouve au centre du tableau. Ce tableau illustre
psychiatrique) avant d'être transférées dans le de ce fait ce qui peut être appelé l'« École des élec-
champ de la science physique ou de l'industrie trothérapeutes », centrée sur la stimulation, la
indépendamment de la médecine [7]. méthode clinique et l'action thérapeutique.
Bien que les électrophysiologistes et les électro-
thérapeutes utilisaient les mêmes machines et se
confrontaient à un tissu biologique commun (les
Électrophysiologistes nerfs et les muscles), les médecins électrothéra-
et électrothérapeutes peutes revendiquaient la spécificité du patient por-
teur d'une maladie et d'une histoire face aux élec-
Deux traditions ont marqué la culture des « méde- trophysiologistes qui auraient travaillé uniquement
© 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

cins électriciens » français du xixe siècle [7] : sur des éléments biologiques isolés sur une paillasse
• celle de la médecine expérimentale de Claude de laboratoire [7]. Pourtant, les techniques d'électro-
Neurophysiologie clinique en psychiatrie

Bernard ; thérapie ont longtemps manqué de preuves d'effi-


• et celle de la médecine clinique de Jean-Martin cacité thérapeutique, que ce soit généralement pour
Charcot. les pathologies médicales ou plus spécifiquement
Elles furent illustrées par deux tableaux célèbres : pour les troubles mentaux [3]. Dès 1876, le rapport
• La Leçon de Claude Bernard ; de la commission de l'Académie des Sciences sur
• Une leçon clinique à la Salpêtrière. l'électrothérapie signé par Edmond Becquerel
Dans le premier tableau, Claude Bernard (1813- (1820–1891) soulignait le manque de données quan-
1878) est entouré de ses collaborateurs dans son tifiées sur les effets médicaux de l'électricité et met-
tait en avant le désaccord entre médecins. Le r­ apport
1
Relecture : C. Balzani, C. Quiles, J. Vion-Dury. concluait aussi sur la nécessité de ­développer des

3
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

travaux en é­ lectrophysiologie, permettant de com- lourds et indigestes », pouvant même nuire à


prendre les mécanismes cérébraux sous-jacents, l'utilisation thérapeutique de l'électricité et ne
afin que le véritable guide de l'électrothérapie soit pouvant bénéficier au praticien [7]. La physique
l'électrophysiologie. avait donc une place importante dans le milieu
De même, en Allemagne, ce débat a donné lieu de l'électrothérapie française et c'est la création
au « Frankfurt Council » de 1891 qui allait poser d'un enseignement de physique médicale, et non
dix questions permettant de différencier l'élec- d'électrophysiologie, qui s'est surtout développé à
trothérapie du charlatanisme, et qui reste d'une partir des années 1870 dans les facultés de méde-
actualité étonnante [3] (tableau 1.1). Les électrothé- cine. À partir de 1895–1896, avec le développe-
rapeutes allemands ont donc également essayé de ment de la radiologie à la suite de la découverte
légitimer leurs pratiques thérapeutiques sur les des rayons X par Wilhelm Röntgen (1845–1923),
bases scientifiques de l'électrophysiologie [7]. et dans un contexte de perte d'intérêt pour l'élec-
Mais en France, les électrothérapeutes sont trothérapie et du besoin en imagerie généré par la
restés avant tout des ingénieurs, des inventeurs Première Guerre mondiale, au début du xxe siècle,
et des physiciens avant d'être des neurophysio- la physique médicale aura été transformée
logistes [7, 8]. Des revues spécialisées, des sociétés ­progressivement en électroradiologie médicale [7].
savantes, des traités ont été créés mais, de manière Le manque d'ancrage neurophysiologique,
paradoxale, les travaux fondamentaux des neuro- associé d'une part au développement au xixe siècle
physiologistes allemands ont été considérés par la de la chimie thérapeutique sur la base de la chimie
communauté médicale comme plutôt « étranges, telle qu'elle avait été initiée par Antoine Laurent de
Lavoisier (1743–1794) et, d'autre part, au dévelop-
pement de ce que Guillaume Duchenne de Bou-
Tableau 1.1. Les dix questions du « Frankfurt
logne (1806–1875) appelait des « saltimbanques
Council » de 1891. autorisés à électriser sur les places publiques » [7],
entraîna progressivement un désintérêt des psy-
1 Dans quelle mesure l'effet de chiatres pour les applications thérapeutiques de
l'électrothérapie est-il fondé sur la
suggestion ? Y a-t-il des effets qui pourraient l'électricité au début du xxe siècle.
ne pas être produits par suggestion ? Contrairement à ce déclin, le développement de
l'électrophysiologie pour l'étude du cerveau humain
2 L'électrothérapie peut-elle produire des
effets biologiques sur les maladies du par le biais de l'électricité connut un grand essor
système nerveux central ? et allait faire naître la neurophysiologie que l'on peut
3 Peut-elle produire des effets curatifs dans les
appeler « sèche » (en référence aux électrodes et aux
maladies du système nerveux périphérique ? courants électriques neuronaux), venant boulever-
ser la compréhension du fonctionnement cérébral [9].
4 Quel pourrait être l'avantage du courant
d'induction, contrairement à d'autres types
De son côté, le développement de la chimie permit à
de courant ? la fois le développement d'une neurophysiologie que
l'on peut appeler « humide » (en référence aux méta-
5 De quelle manière et dans quel but devront
être appliqués les bains électriques ? bolismes et à la neurochimie) et l'essor formidable
de la psychopharmacologie moderne [10].
6 Comment expliquer l'effet du courant sur les
tissus malades ?
7 Quelles sont les indications spécifiques du
courant galvanique d'une part et du courant Deux légitimations
induit d'autre part ? des techniques électriques
8 Existe-t-il une standardisation conseillée et
bénéfique dans l'application du courant ?
en psychiatrie
9 Existe-t-il des résistances particulières pour
certaines maladies ?
Une légitimation
10 Dans quelle mesure la guérison des névroses
neurophysiologique
fonctionnelles peut-elle être positivement À partir de la fin des années 1990, on observe
affectée par électrothérapie, ou pas du tout ? un renouveau des applications cliniques de

4
Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

l­'électricité en psychiatrie [1]. L'électrothérapie est à leur déclin au début du xxe siècle [7]. Bien qu'elle
­désormais désignée par l'expression « techniques reste incomplète — et parfois problématique —,
non pharmacologiques de neuromodulation et de l'identification des patterns neurophysiologiques
neurostimulation cérébrale » [11–18]. Ainsi, les gui- sous-tendant certains symptômes ou troubles
delines éditées en 2010 par la World Federation of psychiatriques, et la normalisation de ces patterns
Societies of Biological Psychiatry (WFSBP) concer- après un geste thérapeutique spécifique ont per-
nant l'utilisation de ces techniques thérapeutiques mis et permettront de développer de nouveaux
indiquaient en préambule que « le rôle de plus en traitements électriques ciblant spécifiquement
plus important des techniques de stimulation des anomalies fonctionnelles de certains réseaux
cérébrale pour la psychiatrie rivalisera possible- neuronaux [22–25]. Nous sommes donc passés de
ment avec le rôle de la neuropsychopharmaco­ l'électrothérapie à ce que l'on pourrait appeler une
logie » [19]. « neurophysiologie (“sèche”) thérapeutique ».
Dans ce contexte, une lettre du Pr Michael
Trimble du 29 avril 2008 publiée sur le site du Une légitimation technologique
WFSBP s'intitule « Goodbye Drugs, Hello Sti-
mulation » [20, 21]. Il y prédit le progrès rapide des La réalisation d'études contrôlées randomisées
stimulations cérébrales en psychiatrie et le fait rigoureuses et d'études neurophysiologiques
que les connaissances sur l'électricité et l'activité est essentielle à l'utilisation des techniques élec-
des circuits neuronaux deviendront aussi essen- triques en psychiatrie, d'autant qu'un aspect
tielles que « celles sur la sérotonine et la dopamine particulier des applications cliniques de l'élec-
aujourd'hui ». Il nous propose de nous projeter tricité y est l'utilisation de machines qui ont en
50  ans dans le futur et « de se demander avec le elles-mêmes un fort pouvoir suggestif [3, 11, 26, 27].
recul du temps pourquoi nous avons continué de L'histoire de l'électrothérapie est ainsi associée au
prescrire avec tant de prédilection des psycho- baquet magnétique de Mesmer, aux attracteurs
tropes avec autant d'effets secondaires et à de telles magnétiques de Perkins et à d'autres machines
posologies que l'organisme entier en est saturé, électriques « à guérir » [7]. Les applications cli-
lorsque sont apparues ces nouvelles options de niques de l'électricité en psychiatrie souffrent
neurostimulation ciblée » [20, 21]. On peut retrouver ainsi d'avoir été et d'être encore bien souvent
ici une certaine opposition persistante entre la associées au charlatanisme.
neurophysiologie « sèche » et « humide » déjà pré- Dans la droite ligne de l'histoire des électro-
sente chez Jacques Arsène d'Arsonval (1851–1940) thérapeutes ingénieurs français, nous proposons
qui postulait en 1884 que « la thérapeutique de que les applications cliniques de l'électricité en
l'avenir n'emploiera comme moyen curatif que les psychiatrie impliquent de la part du psychiatre un
modifications physiques (chaleur, lumière, élec- savoir technologique complémentaire au savoir
tricité et autres agents encore inconnus) ; les dro- neurophysiologique. En d'autres termes, il doit
gues, c'est l'empoisonnement » [7]. connaître sa machine ! Il doit savoir ce qui dis-
En dehors de l'opposition avec la psychophar- tingue technologiquement le baquet de Mesmer
macologie, le renouveau actuel des applications d'autres techniques d'électrothérapie plus légi-
cliniques de l'électricité en psychiatrie est dépen- times.
dant de deux différences essentielles avec l'élec- Il est intéressant de noter que d'Arsonval, alors
trothérapie des xviiie, xixe siècles et du début du externe en médecine venant d'arriver à Paris,
xxe siècle : assista à un cours de Claude Bernard sur la cha-
• d'une part, le développement d'études contrô- leur animale au Collège de France (scène repré-
lées randomisées rigoureuses ; sentée sur le tableau de Lhermitte). D'Arsonval ne
• et, d'autre part, des analyses électrophysiolo- s'y fit pas remarquer par son savoir neurophysio-
giques et neurophysiologiques des effets pro- logique mais par ses compétences techniques. En
duits, permettant de justifier et valider leurs effet, au cours d'une des démonstrations le galva-
utilisations. nomètre ne fonctionna pas. D'Arsonval démonta
Ces exigences ont permis d'éviter de repro- et remonta correctement l'appareil ce qui permit
duire les erreurs du passé quant à l'utilisation à Claude Bernard de mener à bien l'expérience [8].
non contrôlée de ces thérapeutiques, conduisant Il devint le référent pour l'exactitude de la mesure

5
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

dans le laboratoire de Claude Bernard et mit au type de stimulations cérébrales. Michael Faraday
point le galvanomètre à cadre mobile. D'Arsonval (1791–1867) avait en effet découvert les principes
inventa ensuite un nombre impressionnant de de l'électromagnétisme et du courant induit par
machines, depuis son galvanomètre jusqu'à l'in- un champ magnétique alternatif, permettant le
duction haute fréquence, prémisses de la stimu- développement dans les années suivantes d'un
lation magnétique transcrânienne, en passant par type de neurostimulation, plus fonctionnelle et
le téléphone, la lyophilisation, le frigorifique ou en moins lésionnelle : l'inducteur faradique [30].
participant à l'invention du sous-marin [8]. Dès leur invention, les outils de stimulation
Une des barrières faisant en sorte que le méde- électrique (bouteille de Leyde, pile Volta, induc-
cin électricien ne franchisse pas les frontières de teur faradique) (figure 1.1) ont été utilisés par les
la science académique vers l'hypnotisme et le spi- médecins afin de tenter de guérir des maladies,
ritisme, une des lignes de séparation entre méde- notamment des troubles psychiatriques.
cins « instruits » et « charlatans » [7], reste donc la Les pionniers appliquaient la galvanisation
connaissance et la référence à la neurophysiologie (usage du courant continu). Le premier à avoir
mais également la capacité à manipuler et donc appliqué l'électricité en médecine était Johann
comprendre la machine électrique utilisée. La Gottlob Krüger (1715–1759) pour traiter des
connaissance de l'histoire de l'évolution technolo- membres paralysés puisqu'il avait été montré que
gique de ces instruments est à ce titre essentielle, les décharges électriques provoquaient la contrac-
comme nous allons le voir. tion des muscles [6].
Benjamin Franklin (1706–1790) développa
en médecine de manière intense, empirique et
Évolution technologique des outils rigoureuse le traitement par stimulation élec-
trique [20, 28, 30, 31]. Il évalua l'efficacité de l'électri-
électriques en psychiatrie cité sur les paralysies et conclut qu'elle n'était pas
efficace sur les paralysies chroniques, notam-
Le développement de l'électricité en psychiatrie ment celles provoquées par un accident vascu-
peut être décrit selon deux perspectives selon que laire cérébral sévère [29, 31]. En revanche, en 1752,
l'on s'adresse à la stimulation cérébrale ou à l'enre- il traita avec succès une patiente (probablement
gistrement des activités électriques cérébrales [18]. la sœur d'un de ses étudiants) qui présentait un
trouble de conversion à type de crises non épi-
Les outils de stimulation leptiques. La stimulation n'était pas appliquée
sur la tête mais sur les parties des membres
L'arrivée de la neurostimulation électrique pré- convulsants. Franklin n'expliqua pas pourquoi il
cède de près d'un siècle celle des techniques eut l'idée de cette stimulation ni pourquoi cela
d'enregistrement. Elle est née de la découverte de avait fonctionné [29].
l'électricité puis de l'induction électromagnétique C'est au cours d'échanges avec Jan Ingenhousz
[2, 20]
. Le premier outil de stimulation électrique a (1730–1799), un médecin allemand défenseur de
été la bouteille de Leyde au xviiie siècle. Formée la variolisation, que fut suggérée l'application de
d'un récipient en verre rempli d'un liquide et d'une l'électricité dans la mélancolie. Cette idée ne sem-
tige métallique baignant dans un bain d'électro- bla pas avoir été sous-tendue par une conception
lytes, la bouteille de Leyde (premier condensateur particulière des troubles mentaux, notamment
électrique) permet de stocker la charge électrique par l'idée de provoquer une stimulation électrique
produite par un générateur électrostatique [28, 29]. « réveillant » les facultés intellectuelles endormies,
Alessandro Volta (1745–1827) inventa, quelques mais plutôt par une succession d'accidents que les
années plus tard, une bouteille de Leyde modifiée : promoteurs de ces méthodes subirent eux-mêmes
la pile voltaïque, qui fournit des stimulations élec- et à partir desquels ils établirent des comptes ren-
triques continues, nommées «  galvaniques  » par dus détaillés [29]. Les accidents décrits par Franklin
Volta (en hommage à Galvani), moins brutales et plus montrèrent que l'on pouvait survivre sans séquelle
faciles à obtenir que celles de la bouteille de Leyde. majeure à des décharges massives de grosses bou-
Une évolution technique supplémentaire teilles de Leyde à travers les mains ou la tête. Les
majeure permit le développement d'un nouveau accidents décrits par Ingenhousz ­montrèrent qu'il

6
Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

Figure 1.1. Évolution technologique des premiers outils d'électrostimulation.


Source : 1re image ; Blondel, C., Wolff, B., 2006. L'énigme de la bouteille de Leyde. 2e image ; D.R. 3e image ; Balasse, A., 2011. Le Compendium. http://
lecompendium.com.

avait ressenti une amélioration de l'humeur après College of Surgeons de Londres sur le corps du pri-
un réveil un peu confus [29]. En 1783, ils propo- sonnier George Foster [34]. Aldini était le neveu de
sèrent que le choc électrique puisse être utilisé Galvani, et ses expériences publiques ainsi que ses
pour traiter les mélancolies [32]. voyages et rencontres dans toute l'Europe pour diffu-
Plusieurs pionniers allaient alors développer ser les principes de l'électricité appliquée sur la tête et
cette application thérapeutique [29] ancrée dans prôner l'intérêt de cette thérapeutique en psychiatrie,
un contexte technologique organisé par le déve- ancrèrent son nom dans l'histoire [34–36]. Il appliqua
loppement progressif d'outils électriques au xviiie ainsi des courants électriques continus voltaïques sur
siècle (figure  1.1) et par le développement de la de nombreux patients souffrant de mélancolies [28, 32,
neurophysiologie naissante : 34, 37]
. En France, il rencontra notamment Philippe
• Thomas Gale aux États-Unis (vers 1800) ; Pinel (1745–1826) et appliqua sa thérapeutique sur
• John Birch (1745–1815) en Angleterre ; nombre de patients de l'hôpital de la Salpêtrière [34].
• et Giovanni Aldini (1762–1834) en Europe. Le terme d'électrothérapie fut alors créé et de
Giovanni Aldini (1762–1834) faisait des expé- nombreux services spécialisés ouvrirent à Paris
riences en public sur des cadavres d'animaux ou et en province ; les « machines électriques » ou
de prisonniers tout juste décapités afin de démon- « machines à guérir » se multiplièrent dans les
trer que l'électricité appliquée sur la tête pouvait hôpitaux. Le premier et le plus célèbre de ces ser-
entraîner des contractions de certains muscles. Il vices fut fondé en 1875 par Romain Vigouroux
appela cette électricité « voltaïque » en hommage à (1831–1895) et Jean-Martin Charcot (1825–1893),
Volta, mais il s'agit du même type d'électricité que à la Salpêtrière, où divers types de stimulations
l'électricité « galvanique » [33]. La plus célèbre de  ses électriques, « galvanique » ou « faradique », furent
expériences eut lieu le 17 janvier 1803 (décrite dans appliquées aux patients présentant des troubles
le journal The Times du 22 janvier) devant le Royal psychiatriques [7, 28, 38].

7
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

L'application psychiatrique moderne des le nerf, reprenant ainsi les expériences de Galvani
c­ourants alternatifs provient des principes de mais sur la base de l'électromagnétisme [40].
l'électromagnétisme initié par Faraday et ensuite En 1985, l'équipe de Anthony Barker de Shef-
théorisé par James Clerk Maxwell (1831–1879) [20, field obtint la contraction musculaire des mains
30]
. Tout champ électrique oscillant est associé à un par stimulation magnétique non douloureuse du
champ magnétique oscillant perpendiculaire et se cortex moteur d'un sujet. Ces expériences consti-
déplaçant dans la même direction, et vice versa. tuèrent le point de départ de l'application en psy-
Ce principe a permis le développement de la sti- chiatrie de la TMS répétée (rTMS).
mulation électrique transcrânienne magnétique- La machine de TMS se perfectionna rapi-
ment induite actuellement dénommée stimulation dement. Fonctionnant d'abord par de simples
magnétique transcrânienne (TMS) [20, 30]. impulsions de stimulation, l'adjonction à la
D'Arsonval s'intéressa également à l'applica- bobine de stimulation d'un système de refroidis-
tion des hautes fréquences en électrothérapie sement permit leur répétition à haute fréquence.
et décrivit en 1896 la production de magnétos- Désormais, l'adjonction d'un système de position-
phènes lorsque la tête d'un sujet était introduite nement de la bobine permet la neuronavigation et
dans une puissante bobine magnétique [8, 39]. Cette la localisation précise de la zone corticale où est
­expérience fut reproduite par un certain nombre délivrée l'impulsion de stimulation (figure  1.2)
d'auteurs, mais étant donné la faible intensité et (cf. chapitre 8).
la fréquence peu élevée des stimulations, il est L'histoire décrite précédemment n'évoque
probable que les phosphènes fussent en réalité volontairement pas l'électroconvulsivothérapie
produits par la stimulation de la rétine, davantage (ECT). En effet, bien qu'appliquant un courant
que par celle du cortex occipital [20]. électrique, Cerletti ne fait pas référence aux travaux
En 1959, l'équipe de Kolin publia les résultats sur l'application thérapeutique de l'électricité de
d'une stimulation d'un muscle de grenouille par Franklin, Aldini, Gall ou Birch [29]. Les ECT appa-
la variation d'un champ magnétique appliqué sur raîtront en 1938 avec Ugo Cerletti (­1877–1963) et

Figure 1.2. Évolution technologique des outils de stimulation électromagnétique.


Source : 1re image ; Daudet, C., 2009. Historique de la technique. In: Brunelin, J., Galinowski, A., Januel, D. et Poulet, E.
(éds.), Stimulation magnétique transcrânienne: principes et applications en psychiatrie. Solal, Marseille. Autres images ; D.R.

8
Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

Lucio Bini (1908–1964) dans un contexte de déclin rage de l'activité EEG en temps réel juste après
relatif des thérapeutiques électriques en psychia- la stimulation (cf. chapitre 7).
trie [37, 41–43]. Cerletti est plutôt guidé par l'idée cli-
nique que les crises épileptiques s'avéraient être Les outils d'enregistrement
un facteur protecteur pour les troubles psychia-
triques, notamment la schizophrénie [29]. L'existence d'une activité électrique produite par
L'ECT est donc plutôt reliée à l'histoire pharma- les muscles et les nerfs a été postulée par Luigi
cologique des drogues proconvulsogènes comme Galvani (1737–1798) qui inventa le concept d'« élec-
le camphre ou le metrazol. L'électricité apparaissait tricité animale » [45]. Il montra en effet que les
simplement comme un agent « quasi pharmacolo- muscles de grenouille se contractent quand ils sont
gique » plus facile à manipuler et plus efficace pour mis en contact avec un arc de métal ou quand ils sont
induire des crises épileptiques que les drogues stimulés par une bouteille de Leyde [9]. Il concluait
proconvulsogènes, mais pas comme un agent « par que l'arc de métal fermait le circuit et entraînait la
lui-même » thérapeutique [43]. Ainsi, l'ECT a une contraction du muscle par la décharge de l'« élec-
histoire ambiguë qui ne fait paradoxalement pas tricité animale » accumulée dans le muscle, comme
directement partie de l'histoire de l'électrothérapie elle peut l'être dans une bouteille de Leyde [28].
en psychiatrie et qui pourrait expliquer une partie Volta reprit les mêmes expériences que Gal-
de l'incompréhension de cette technique dans la vani et les appliqua chez des animaux autres que
population générale contrairement à l'engouement des grenouilles. Cependant Volta, contrairement
et à l'attrait suscité par les travaux des pionniers à Galvani, ne croyait qu'en l'électricité d'origine
de l'électrothérapie [44]. Les progrès en ECT ont métallique et non en l'existence de l'électricité ani-
cependant été permis par le perfectionnement de male. Volta voyait le muscle comme passif, ne pro-
la machine électrique utilisée (figure 1.3), avec : duisant pas par lui-même de l'électricité mais étant
• d'une part le contrôle optimal du courant de stimulé par l'électricité d'origine métallique [34].
stimulation ; La controverse fut intense entre Galvani et
• d'autre part l'adjonction d'un système d'enre- Volta, d'autant plus que les techniques de stimu-
gistrement électroencéphalographique à la lation du xviiie siècle précédaient les techniques
machine de stimulation permettant le monito- d'enregistrement du xixe siècle. L'interprétation

Figure 1.3. Évolution technologique des outils d'électroconvulsivothérapie (ECT).


Source : 1re image ; Norman S. Endler, Convulsive Therapy 413:5-i tO, 1988. The Origins of Electroconvulsive Therapy ECT.
Autres images ; D.R.

9
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

de Galvani se révéla erronée. En effet, les deux Le développement de l'EEG allait ensuite pas-
branches de l'arc en métal utilisées pouvaient être ser par le perfectionnement des méthodes d'en-
constituées de métaux différents ce qui formait registrement, la miniaturisation des systèmes
probablement une sorte de pile stimulatrice dans d'enregistrement, la digitalisation et le traitement
le milieu chargé en électrolytes que constitue la numérique des données, et permettre d'asseoir
patte de grenouille [34]. Mais, malgré cette inter- l'électrophysiologie comme moyen d'exploration
prétation erronée, le concept d'électricité animale essentiel du fonctionnement cérébral (figure 1.4)
fut la base indispensable du développement des (cf. chapitres 2, 3 et 4).
techniques d'enregistrement de cette activité élec-
trique.
L'électrophysiologie est née au xixe siècle avec
l'invention de nouveaux ampèremètres, les mil- Machine électromagnétique
liampèremètres, permettant des mesures précises technologique et non
et la comparaison fiable entre des expériences technologique en psychiatrie
indépendantes [7].
Le premier ampèremètre ou galvanomètre La connaissance de l'histoire de l'évolution tech-
(en référence à Galvani) fut inventé par Emil du nologique des machines électromagnétiques est
Bois-Reymond (1818–1886). Il fut le premier à essentielle pour comprendre leur fonctionnement
­enregistrer un courant sur les muscles et les nerfs et la légitimité de leurs utilisations en psychiatrie.
stimulés [9, 46, 47]. L'utilisation de ces milliampère- Encore faut-il bien comprendre ce qui sous-tend
mètres pour enregistrer de manière externe des et rend compréhensible cette évolution technolo-
activités cérébrales par l'intermédiaire d'élec- gique. Les phénomènes électriques et magnétiques
trodes posées sur le scalp allait permettre la ont émerveillé le public à la fin du xviiie siècle [2].
genèse de l'électroencéphalographie. Parmi ces phénomènes, certaines conceptions
Richard Caton (1842–1926) fut le premier à développées autour du magnétisme sont inté-
enregistrer une activité électrique des hémis- ressantes pour la renommée qu'elles ont reçue
phères chez le lapin et le singe. Il visualisa des dans la population générale et par la critique du
variations de faible voltage entre deux électrodes, regard médical. C'est d'elles que nous partirons
l'une placée sur le cortex et l'autre sur l'os, mais pour explorer ce qui différencie ces techniques
il n'existe pas de trace graphique des enregistre- magnétiques des techniques électromagnétiques
ments [48]. actuelles, et donc ce qui peut légitimer techno-
C'est Vladimir Pravdich-Neminsky (1879–1952) logiquement ces dernières comparativement aux
qui publia une trace d'activité électrique et inventa premières.
le terme d'« electrocerebrogram » [47, 49].
Hans Berger (1873–1941), chef de service de
psychiatrie à l'université de Iena en Allemagne, a Le baquet de Mesmer : une
été le premier à enregistrer une trace EEG chez machine magnétique suggestive
l'homme. Quatorze rapports d'enregistrement
ont été effectués à partir du premier tracé réa- Des succès thérapeutiques
lisé chez son fils Klaus en 1925 [50]. Hans Ber- à l'invention du baquet
ger a rejeté le terme d'« electrocerebrogram » de Franz Anton Mesmer (1734–1815) a suivi des
Pravdich-­ Neminsky, critiquant le mélange de études de médecine et de théologie à Vienne et
racine grecque (electro et gram) et latine (cerebro) était décrit comme un homme charismatique [52].
[47]
. Il inventa donc le terme actuel d'« electroenke- Il considérait qu'un fluide invisible et subtil dif-
phalogram » à partir de la racine grecque enke- fusait dans l'univers et permettait d'unifier et de
phalon (littéralement : « ce qui est à l'intérieur de connecter les choses. Sa conception n'était pas
la tête »). directement rattachée aux conceptions scienti-
En 1934, Edgar Douglas Adrian (1889–1977) fiques du xviie siècle qui avaient vu se développer
confirma l'existence du rythme alpha dans les les notions de forces électriques, magnétiques et
régions occipitales et la réaction d'arrêt à l'ouver- gravitaires. Pourtant, il pensait qu'un fluide simi-
ture des yeux [47, 51]. laire diffusait à travers les organismes et l'appela

10
Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

Figure 1.4. Évolution technologique des outils d'enregistrement électroencéphalographique (EEG).


Source : 1re image ; Margaret Rowbottom, Charles Susskind, Electricity and Medicine: History of Their Interaction Hardcover,1984. Autres images : D.R.

« magnétisme animal ». Pour Mesmer, la maladie ment et du fait que sa filleule avait été séduite par
était alors conçue comme un obstacle à la libre Mesmer et était partie vivre avec lui [52].
circulation du fluide magnétique à travers les dif- Mesmer dut alors quitter Vienne et s'installa à
férentes parties du corps et le traitement consis- Paris en 1778. La Société Royale de Médecine lui
tait à retrouver une circulation de ce fluide dans refusa la licence pour pratiquer la médecine, mais
le corps [52]. Mesmer pensait qu'il était possible de il se mit sous la responsabilité de Charles Deslon
manipuler le fluide magnétique dans l'organisme. (1750–1786), docteur-régent (c'est-à-dire profes-
Pour ce faire, plusieurs artifices étaient utilisés seur) à la Faculté de Médecine de Paris et membre
avec notamment les aimants ou, parfois, l'inges- de la Société Royale de Médecine. Sa technique
tion de limaille de fer par le patient ou bien des thérapeutique rencontra un très grand succès,
perches ou baguettes en fer. Dans tous les cas, dans un contexte où les traitements médicaux
le thérapeute était amené à toucher le malade consistaient principalement en des purgations,
puisque la capacité du magnétiseur à manipuler des émétisants et des saignées qui étaient bien
le fluide magnétique contenu dans le corps du souvent plus nocifs que bénéfiques. Parmi ses sou-
malade était considérée comme la base des gué- tiens Mesmer comptait le Marquis de Lafayette,
risons [53]. Jean-Paul Marat et la Reine Marie-Antoinette [52].
À Vienne, Mesmer fut amené à traiter Marie Alexandre Dumas (1802–1870) décrira d'ailleurs
Paradies, une pianiste souffrant d'un trouble de longuement, dans le « Collier de la reine », les
conversion avec cécité. Après le traitement, sa aventures de Mesmer.
cécité disparut temporairement, mais la patiente Afin de répondre à l'affluence suscitée par le
développa ensuite des troubles de l'équilibre et succès de sa méthode thérapeutique, Mesmer
perdit la possibilité de jouer du piano. Malheureu- et son mentor Deslon développèrent des théra-
sement pour Mesmer, la patiente était la filleule peutiques de groupe. Ils utilisèrent un baquet
de l'impératrice austro-hongroise Maria Theresa, en bois autour duquel les patients étaient reliés
qui fut au courant des résultats relatifs du traite- par des tiges de fer. Le baquet était censé être un

11
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

c­ ondenseur et un conducteur du magnétisme ani- peut être utilisé s'il n'existe pas [55]. » Pourtant le
mal. Le thérapeute circulait alors entre les parti- « subtil fluide » avait comme caractéristique de
cipants et touchait avec une baguette en fer une ne pas être mesurable. L'ingéniosité de la com-
partie de leur corps, particulièrement le bas de mission a donc été de tester les effets du supposé
l'abdomen et les cuisses des femmes (la plupart fluide plutôt que ses propriétés physiques. On
des patients étaient des femmes) [52]. Fréquem- retrouve là l'état d'esprit de Franklin qui cher-
ment les séances étaient accompagnées d'attaques chait plus à savoir si quelque chose marchait
de panique, de larmes, de pertes de connaissance plutôt que pourquoi il marchait [31]. Par ailleurs,
et surtout de convulsions [52, 53]. la commission préféra tester les effets produits
lors des séances, notamment les convulsions
induites, plutôt que les effets thérapeutiques sur
Du baquet à la commission un processus pathologique. En effet, Franklin
Franklin soulignait que les améliorations thérapeutiques
Le succès du mesmérisme développa l'hostilité pouvaient être liées à de multiples causes diffi-
des médecins qui considéraient cette thérapeu- ciles à contrôler. Il indiqua notamment que l'ef-
tique comme irrationnelle. En 1784, la vogue du fet thérapeutique du mesmérisme pouvait être
mesmérisme était telle que Louis XVI établit deux simplement dû au fait que les patients traités par
commissions royales pour évaluer les effets du Mesmer n'étaient pas correctement traités par la
magnétisme animal [54]. La plus importante était médecine traditionnelle, dont les potions et les
la commission de la Faculté de Médecine et de saignées retardaient souvent le rétablissement
l'Académie Royale des Sciences [55]. Celle-ci était naturel des malades [52].
constituée de nombreux médecins et scientifiques Mesmer refusa de collaborer avec la com-
de l'époque et notamment de Benjamin Fran- mission et c'est donc Deslon qui participa aux
klin et Antoine Laurent de Lavoisier (1743–1794). expériences développées par Lavoisier. La com-
­Franklin était le président de la commission ; il mission commença par des observations et des
était un éminent promoteur des techniques d'élec- expériences non contrôlées sur ses membres
trothérapie. Il conduisit les expériences d'évalua- eux-mêmes et quelques sujets sains puis malades.
tion du magnétisme animal. Lavoisier était connu Aucun effet ne fut ressenti par les membres de la
pour ses découvertes révolutionnaires concernant commission et de très rares effets par les sujets
la chimie. Il représentait l'esprit de la méthode sains ou malades. La commission aboutit cepen-
scientifique qui inspira cette commission, dont dant à cette hypothèse : les crises convulsives
il a rédigé la version finale du rapport. On peut induites par le mesmérisme chez les patients
noter que Joseph-Ignace Guillotin (1738–1814), peuvent être liées soit au pouvoir de la suggestion
physicien et inventeur de la guillotine pour une psychologique, soit à l'action invisible d'un fluide
mort « plus humaine », faisait également partie de magnétique.
la commission. Le « protocole expérimental » consista alors à
Bien que la commission ait été plutôt hostile réaliser un des premiers essais contrôlés de l'his-
à Mesmer, le rapport qui fut rendu est un docu- toire de la médecine. Deux conditions furent
ment important dans le développement d'une créées :
médecine fondée sur une pensée rationnelle [52, 54, • dans la première, les patients étaient soumis à
55]
. Ainsi, la méthode expérimentale de Lavoisier l'effet de la suggestion sans être magnétisés ;
(quelques années avant Claude Bernard) per- • dans la seconde, les patients étaient magnétisés
mit de déterminer, dans la situation complexe sans être soumis à la suggestion.
que représentait l'étude du magnétisme ani- Seule la première condition permettait d'obte-
mal, les facteurs causaux possibles, en répétant nir des crises convulsives. La conclusion du rap-
des expériences dans des situations contrôlées port est la suivante : « Les crises sont causées par
et en faisant varier un seul facteur à la fois. La la suggestion : il n'y a pas d'évidence pour un effet
commission a donc commencé son enquête par du fluide ; ainsi le magnétisme animal comme
une position de départ simple mais essentielle : force physique doit être rejeté. La pratique du
« Le magnétisme animal pourrait bien exister magnétisme est l'art d'augmenter l'imagination
sans qu'il soit pour autant utilisable, mais il ne par degrés [55]. »

12
Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

Du rapport de la commission klin pour y répondre [59, 60], il nous semble que la
au charlatanisme annoncé position de Mesmer est riche d'enseignements
pour la neurophysiologie clinique appliquée à la
Le cas Mesmer est un exemple d'utilisation d'une psychiatrie d'un point de vue « technologique ».
thérapeutique fondée sur des principes que la Nous proposons donc de décentrer la critique
science ne pouvait justifier. De manière intéres- du baquet de Mesmer du concept de « magné-
sante, Mesmer avait été lui-même commissionné tisme », vers l'objet « baquet » lui-même. Nous
par l'Académie des Sciences de Munich pour éva- allons analyser le baquet suivant les perspectives
luer en 1775 les traitements pratiqués par un moine offertes par Simondon et voir dans quelle mesure
exorciste : Johann Joseph Gassner (1727–1779). Alors le baquet se distingue des machines électroma-
que Gassner pensait qu'un certain nombre de mala- gnétiques plus légitimes [61].
dies étaient dues au diable, qu'il s'agissait d'expulser Les électrothérapeutes et les magnétiseurs
par la prière, Mesmer, dans une position médicale accordaient en effet beaucoup d'attention à leurs
matérialiste, mettait en avant la nécessité de ne pas équipements. Ainsi, le baquet était constitué
rechercher de causes supranaturelles aux maladies d'une cuve en bois contenant des bouteilles rem-
[54]
. Ainsi, bien que les médecins de l'époque aient plies d'eau disposées en faisceaux sur un mélange
accusé Mesmer de charlatanisme, il semble qu'il de verre pilé et de limaille de fer, desquelles sor-
était plutôt un homme cultivé, en marge, promou- taient des tiges métalliques. Si l'on se centre sur
vant un certain type de rationalité [56]. Mais il était l'usage de cette machine, alors elles peuvent pré-
probablement emporté par son style flamboyant et senter une certaine parenté avec les machines
ses approches thérapeutiques teintées d'érotisme. électriques de Galvani ou Volta [62]. En effet, les
Mesmer aura permis cependant de mettre en avant deux types de machines sont censés permettre un
le phénomène de suggestion, phénomène que Fran- transfert d'énergie (électrique ou magnétique) au
klin lui-même reconnut comme potentiellement patient. Mais si l'on s'intéresse à la structure et à
intéressant pour la médecine [31], sans pouvoir cepen- la logique interne de ces deux types de machines,
dant ni pour l'un ni pour l'autre avoir les outils psy- alors il pourrait apparaître des différences impor-
chologiques conceptuels pour le théoriser [52, 54, 57]. tantes.
D'un point de vue politique, une note secrète
rédigée par les commissaires pour le ministre
mettait en avant le danger que constituait le mes- La logique d'un objet technique
mérisme pour les mœurs et, au-delà, pour la sta- Gilbert Simondon (1924–1989) est un philosophe
bilité de la société [58]. De fait, le mesmérisme avait atypique qui centra tout son travail sur l'objet
enflammé l'imagination de certains radicaux, technique en tant que tel. Il commence en souli-
devenant un des symboles de la remise en cause gnant que « nous n'avons pas jusqu'ici tenté d'ana-
de l'autorité dans un contexte prérévolutionnaire à lyser l'objet technique autrement que par la voie
travers les personnalités de Marat et Lafayette. La indirecte de son rapport à l'homme qui le produit
force magnétique, à la source de l'« Harmonie uni- ou l'utilise, sans essayer de définir sa structure et
verselle » prônée par Mesmer, s'incarnait dans le son dynamisme interne » [61]. Il propose alors de
mouvement politique pour la liberté, l'égalité et la dépasser « la métaphysique naturelle » qui consiste
fraternité, notamment dans les loges maçonniques à considérer l'objet technique comme une entité
mesméristes [53, 54]. Ironiquement, dix ans après la artificielle au contour net et fabriqué par l'homme
tenue de la commission, Louis XVI et Lavoisier à des fins utilitaires.
devaient mourir décapités par l'instrument du bon Simondon nous propose une ontogenèse de l'ob-
docteur Guillotin [52]. L'accusateur public déclara jet technique. En dépassant l'humain qui a produit
que la République n'avait pas besoin de savants. l'objet et qui l'utilise, il propose d'analyser la relative
autonomie de l'objet technique, autonomie qu'il dif-
Le baquet de Mesmer : férencie de l'automatisme. Simondon considère en
effet que les « définitions et classifications des objets
une machine non technologique
techniques par l'usage ou les finalités sont four-
Au-delà des questions sur la suggestion soulevées voyantes : elles nous font passer à côté de la techni-
par Mesmer [54] et des limites du rapport de Fran- cité des objets techniques et donc de leur dimension

13
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

culturelle » [63]. La « culture technique » est ce qu'il y a milieu de l'énergie, à la terre, milieu du travail et de
apparemment « de plus froid, de plus déshumanisé, la vie de l'homme ». Le moulin apparaît alors comme
de moins culturel, dans “l'intériorité dynamique” un centre, une voie de passage, un trait d'union
de l'objet technique, dans le schématisme concret, entre les puissances de la nature et le domaine des
mais ouvert, de sa structure et de son fonctionne- activités humaines. La planche suivante approfondit
ment » [64]. Et pourtant, c'est dans les schèmes opéra- le schème de technicité et montre tous les intermé-
toires, appelés aussi « archétypes technologiques », diaires, les axes, engrenages, arbres… assurant la
que l'on peut retrouver quelque chose de l'humain. transmission de l'énergie jusqu'à la meule. « Ce ne
Cette part d'humanité des objets techniques est ce sont pas des accessoires qui se trouvent ici présen-
que Simondon appelle le « pouvoir transductif » des tés, ni, à proprement parler, de simples détails, mais
objets techniques, qui consiste à faire communi- bien plutôt les maillons essentiels de cette chaîne
quer la réalité humaine et les processus naturels. entre le mouvement des vents et le travail par lequel
Simondon s'appuie sur l'encyclopédie de Dide- l'homme obtient son pain […] Le moulin complet,
rot et d'Alembert du xviiie siècle en soulignant concret, est une chaîne, et la technophanie est la pré-
que le grand apport de ce recueil en matière de sentation plénière de tous les maillons de la chaîne.
connaissance technologique réside dans le parti Une telle chaîne institue une communication et, par
pris de montrer les objets techniques « en leur inti- conséquent, une continuité et une unité de valeurs
mité à la fois structurale et fonctionnelle » avec des entre le milieu géographique et l'activité humaine de
« planches analytiques de plus en plus détaillées travail, d'invention, de consommation [61]. » « C'est
[approfondissant] le secret des formes et des fonc- le schème de concaténation qui organise le rapport
tions en allant au cœur même des machines et des entre le travail humain et les processus naturels,
montages » [61, 64]. c'est-à-dire entre deux ordres de réalités initialement
Simondon prend l'exemple des planches illustrant incommensurables [64]. »
le fonctionnement du moulin (figure 1.5). La première L'invention technique consiste donc à créer un
planche le représente en sa totalité, « reliant le ciel, archétype ou schème technologique faisant lien

Figure 1.5. Schème technologique : exemple du moulin à vent. Figure modifiée d'après


les concepts de Simondon à partir de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.
Source : Moulin à vent de Meudon. Extrait du volume 1 : Hydraulique. Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, troisième
édition. Recueil de planches pour la nouvelle édition du dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers avec
leur explication, 1779.

14
Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

entre la réalité humaine et le monde naturel, et Leyde à la pile Volta est ainsi une invention dans
permettant de résoudre un problème concret la mesure où elle modifie radicalement la répar-
d'agencement technique. De plus, l'invention per- tition des fonctions du métal et des électrolytes
met de créer un objet technique qui présente : dans le dispositif technique de génération élec-
• un perfectionnement ou une évolution, appelée trique. L'invention de l'induction électroma-
« concrétisation » par Simondon ; gnétique de Faraday fait disparaître le rôle des
• et une relation à d'autres objets techniques for- électrolytes au profit de l'aimant (cf. figure 1.1).
mant un « réseau ». L'évolution de la pile Volta ou celle de l'induc-
teur faradique sont ensuite des transformations
Concrétisation mineures permettant de résoudre des anomalies
Un objet technique se définit en effet par « un de fonctionnement ou des accidents et de pro-
type de cohérence qui vient des propriétés confé- poser une intégration de plus en plus optimale
rées aux composants en action par le fait que le des composants permettant l'obtention des sti-
problème est supposé résolu ; une réciprocité mulations contrôlées actuelles.
d'actions causales et d'échanges d'informations
engagée ou dégagée (explicite) entre le tout et les Réseaux
parties en fonctionnement constitue l'objet tech- Un objet technique se différencie également
nique comme réalité possédant un mode d'exis- d'un simple outil « qui permet de prolonger et
tence propre  ; l'invention est l'aspect mental, d'armer le corps pour accomplir un geste » [61] par
psychologique de ce mode propre d'existence » les relations technologiques que les objets tech-
[65]
. Une invention s'inscrit donc dans un perfec- niques entretiennent entre eux. Le fonctionne-
tionnement, une évolution concrète d'un arché- ment d'un moulin à vent implique par exemple
type technologique. Simondon utilise le concept tout un ensemble technologique impliquant
de « concrétude ». « Concret, c'est concretum, l'agriculture, le transport…, alors que le fait de
c'est-à-dire quelque chose qui se tient et en quoi, casser simplement une graine avec une pierre
organiquement, aucune des parties ne peut être reste relativement indépendant. La relation des
complètement séparée des autres sans perdre son archétypes technologiques crée ainsi une sorte
sens [66]. » « L'objet concret est celui en lequel il y de « réseau technologique », étendu, ramifié et
a ce qu'on peut nommer une résonance interne organisé quasiment comme un « monde techno-
ou réverbération interne, c'est-à-dire qui est fait logique » [67]. En effet : « Le terme général de réseau
de telle sorte que chaque partie tient compte de communément employé pour désigner les struc-
l'existence des autres, est modelée par elles, par le tures d'interconnexion de l'énergie électrique,
groupe qu'elles forment et, peut donc également des téléphones, des voies ferrées, des routes, est
jouer un rôle plurifonctionnel. Non seulement [ainsi] beaucoup trop imprécis et ne rend pas
elle est informée par les autres pièces, mais encore compte de régimes particuliers de causalité et de
elle joue un rôle pour elles, elle est en rapport avec conditionnement qui existent dans ces réseaux,
elles [66]. » et qui les rattachent fonctionnellement au monde
Simondon distingue deux types de perfec- humain et au monde naturel, comme une média-
tionnement ou « concrétisation » : « Ceux qui tion concrète entre ces deux mondes. (…) Il n'y
modifient la répartition des fonctions aug- aurait pas de réseau s'il n'y avait pas une certaine
mentent de manière essentielle la synergie du structure naturelle d'une part, un certain besoin
fonctionnement, et ceux qui sans modifier humain d'autre part, ensuite l'invention d'une
cette répartition, diminuent les conséquences relation harmonieuse entre cette nature, et ce
néfastes des antagonismes résiduels [65]. » Les besoin humain. Le réseau, c'est la rencontre de la
seconds sont des perfectionnements continus possibilité technique et de l'existence naturelle »
mais mineurs tendant à supprimer les inconvé- [61]
. La bouteille de Leyde, la pile de Volta, l'induc-
nients d'une invention existante, alors que les teur faradique appartiennent ainsi au monde
premiers sont des perfectionnements disconti- technologique de l'électricité du xviiie siècle qui
nus et majeurs et sont véritablement des inven- fait lien entre une force physique et le monde des
tions faisant advenir une nouvelle « essence hommes, comme le met en avant la célèbre expé-
technique » [67]. Le passage de la bouteille de rience du cerf-volant de Franklin.

15
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

La logique technique du baquet ? absolument tous les effets avec une rigoureuse pré-
Les deux caractéristiques de concrétisation et cision » ; « Il subsiste une certaine distance entre
d'appartenance à un réseau technique nous les systèmes d'intentions techniques correspon-
paraissent faire défaut dans l'invention de Mes- dant à une finalité définie et le système scienti-
mer, contrairement aux machines électroma- fique de la connaissance des interactions causales
gnétiques. Ainsi, en dehors de toutes critiques qui réalisent cette fin (…). La distribution ultime
pouvant porter sur les preuves d'efficacité (et la des fonctions aux structures et le calcul exact des
nécessité d'essais thérapeutiques bien construits) structures ne pourraient se faire que si la connais-
ou les conceptions thérapeutiques (et la néces- sance scientifique de tous les phénomènes suscep-
sité de leurs justifications neurophysiologiques), tibles d'exister dans l'objet technique était complé-
l'utilisation du baquet par Mesmer permet de ment acquise ; comme ce n'est pas le cas, il subsiste
souligner une troisième caractéristique néces- une certaine différence entre le schème technique
saire à prendre en compte lors de l'utilisation de l'objet (comportant la représentation d'une
d'une machine électromagnétique en psychiatrie. finalité humaine) et le tableau scientifique des
Il s'agit d'utiliser une machine qui ne soit pas ce phénomènes dont il est le siège (ne comportant que
qu'on pourrait appeler une « imposture technolo- des schèmes de causalité efficiente, mutuelle ou
gique ». L'exemple du baquet permet au psychiatre récurrente) [61]. » Pour devenir technique (et tech-
de comprendre les critères technologiques à ana- niquement viable), l'objet matériel « abstrait » doit
lyser et critiquer avant de décider d'utiliser une se « concrétiser » en un mode de fonctionnement
machine en psychiatrie. cohérent, unifié et unitaire, à partir de ses propres
lois et non plus simplement à partir des lois du
Le problème de la concrétisation modèle qui ont conduit à sa version idéalisée.
Mesmer idéalise et crée une machine mais ne
Le baquet reste en effet stable, incapable de dys- fait pas ensuite d'effort d'invention créatif pour
fonctionnement ou d'accident technique, et ne résoudre les problèmes entraînés par le fonctionne-
peut être amélioré ; or : « Ce n'est que lorsque ment concret de sa machine. Son unique acte d'in-
l'outil ou la machine sont défectueux ou viennent vention serait le fait que sa machine tienne debout,
à manquer que m'apparaissent alors leur tech- puisque ce n'est qu'uniquement face à la force de
nicité, leur réticularité (le fait qu'ils nécessitent la gravitation et à la manipulation des tiges métal-
d'autres objets et infrastructures techniques pour liques que le baquet doit résister. Ce qui manque
fonctionner) [63]. » La fonction de lien entre l'éner- ensuite à Mesmer, c'est donc la confrontation de son
gie magnétique et l'homme du baquet est totale, objet technique à la concrétude du fonctionnement
parfaite, et donc d'un autre point de vue (celui de de sa machine dans son environnement électro-
l'objet technique de Simondon) inexistante. Cette magnétique. Mesmer a créé une machine qui n'est
absence de perfectionnement montre en fait que pas « concrète », en manquant presque totalement
le baquet ne présente aucun archétype techno- « d'inorganique organisé », elle reste « abstraite » [63].
logique censé résoudre un problème concret. La
création du baquet n'est donc pas une invention
mais la constitution imaginative d'un objet « abs- Le problème des réseaux
trait » qui ne se confronte en réalité pas aux forces Le baquet est indépendant des technologies élec-
de la nature. triques de l'époque. Il le serait également des tech-
En reprenant les idées de Simondon, le pro- nologies actuelles. Le seul lien que le baquet crée se
blème n'est pas tant que Mesmer ait créé son situe entre l'homme et l'Univers indépendamment
baquet de manière imaginative, mais plutôt que des autres artifices techniques créant un monde et
cette c­ réation ait été « uniquement » imaginative. des réseaux technologiques permettant « la média-
L'invention technique fait en effet appel à une part tion entre l'homme en société d'une part et la
d'imagination puisque « les connaissances scien- nature d'autre part » [66]. Le baquet est une média-
tifiques qui servent de guide pour prévoir l'uni- tion isolée. Incapable de créer des liens techniques
versalité des actions mutuelles s'exerçant dans le avec d'autres dispositifs, le baquet est une machine
système technique restent affectées d'une certaine sans technique qui n'a de valeur que dans l'usage
imperfection ; elle ne permettent pas de prévoir que Mesmer et Deslon veulent bien en faire.

16
Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

Cet isolement technologique nous semble dis- sité est le contraire de l'optimisation fonctionnelle.
tinguer radicalement le concept d'«  électricité Il est intéressant de noter que, pour Simondon,
animale » inventé par Galvani du concept de il y a une tératologie qui s'applique aux objets et
« magnétisme animal » de Mesmer. Si le concept aux actes techniques [64]. » La nécessité de penser
d'électricité animale provenait effectivement une optimisation fonctionnelle de l'évolution des
d'une interprétation erronée d'un outil (l'arc élec- machines électriques en psychiatrie sous l'angle
trique de Galvani), cet outil restait attaché mal- tératologique peut être considérée comme un
gré tout à la bouteille de Leyde et à un ensemble guide éthique de leur utilisation [68]. Cette éthique
technologique cohérent et évolutif formant pro- implique d'analyser la structure et le dynamisme
gressivement les outils de la neurophysiologie interne des machines électromagnétiques avant
moderne. En revanche, le concept de magnétique d'analyser la voie indirecte de leurs utilisations.
animal provient également d'une interprétation C'est d'ailleurs à partir de cette analyse technolo-
erronée d'un outil (le baquet avec ses tiges métal- gique qu'il peut être envisagé un retour original à
liques), mais cet outil est détaché de toute autre la neurophysiologie afin de proposer une intégra-
technologie et n'a de lien qu'avec les conceptions tion psychophysiologique optimale des techniques
théoriques de Mesmer. Le concept de magnétisme électriques en psychiatrie [2, 69].
animal, contrairement à celui de l'électricité ani-
male, est donc totalement inopérant d'un point Références
de vue technologique et finalement expérimental.
Alors que le concept de Galvani, qui a donné lieu [1] Micoulaud-Franchi J-A, Quiles C, Vion-Dury J.
Éléments pour une histoire de l'électricité et du cer-
à une dispute avec Volta, pouvait s'opérationnali-
veau en psychiatrie. Applications thérapeutiques de
ser dans un dispositif expérimental différent de la stimulation externe et de l'enregistrement élec-
celui des arcs électriques, le concept de Mesmer, trique en psychiatrie (Partie II). Annales Médico
avec lequel Franklin était en désaccord, ne peut Psychologiques 2013 ; 171 : 323–8.
aucunement être justifié expérimentalement. [2] Micoulaud-Franchi J-A, Quiles C, Vion-Dury J.
L'isolement technologique du baquet explique Éléments pour une histoire de l'électricité et du cer-
l'incapacité du magnétisme animal à être évalué, veau en psychiatrie. Naissance et développement de
mesuré, appréhendé dans un dispositif technique la stimulation et de l'enregistrement électrique en
neuro­ physiologie (Partie I). Annales Médico
autre que le baquet. Psychologiques 2013 ; 171 : 318–22.
[3] Steinberg H. Electrotherapeutic disputes : the ‘Frank­
furt Council' of 1891. Brain 2011 ; 134 : 1229–43.

Conclusion : vers une intégration [4] Rowbottom M, Susskind C. Electricity and medi-
cine. History of their interaction. San Francisco : San
de la technologie et de la Francisco Press Inc ; 1984.
[5] Morault P, Bourgeois M-L, Paty J. Électrophysiologie
neurophysiologie cérébrale en psychiatrie. Paris : Masson ; 1992.
[6] Finger S, Ferguson I. The role of The Gentleman's
L'histoire de l'électricité en médecine est marquée Magazine in the dissemination of knowledge about
par des ingénieurs et des inventeurs [7, 8]. Nous electric fish in the eighteenth century. J Hist ­Neurosci
avons donc voulu souligner la nécessité d'une com- 2009 ; 18 : 347–65.
préhension technologique historique lors de l'uti- [7] Blondel C. La reconnaissance de l'électricité médi-
lisation d'une machine électromagnétique en psy- cale et ses « machines à guérir ». Annales historiques
chiatrie. Elle permet, dans la lignée des travaux de de l'électricité 2010 ; 8 : 38–51.
Simondon, d'envisager l'objet technique dans son [8] Vayre P. Docteur Jacques Arsène d'Arsonval
ancrage dans la vie. Cet ancrage vivant consiste (1851–1940)  : De la biophysique à l'Académie de
chirurgie. e-mémoire de l'Académie National de
en quelque sorte à explorer la poursuite dans la
Chirurgie 2007 ; 6 : 62–71.
technique du principe structurant de l'organisme
[9] Vion-Dury J. Le monde imaginaire des neurobio­
défini par Georges Canguilhem (1904–1995) par le logistes, ou comment a-t-on toujours rêvé d'un cerveau
fait que « la totalité de l'organisme n'est pas équiva- qui n'existait pas. In : Vion-Dury J, Clarac F, editors. La
lente à la somme des parties ». « Selon Simondon, construction des concepts scientifiques. Entre l'artéfact,
qui se souvient ici de Canguilhem, la monstruo- l'image et l'imaginaire. Paris : L'Harmattan ; 2008.

17
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

[10] Delay J, Deniker P. Méthodes chimiothérapeutiques [27] Schwitzgebel RK, Traugott M. Initial note on the pla-
en psychiatrie. Paris : Masson ; 1961. cebo effect of machines. Behav Sci 1968 ; 13 : 267–73.
[11] Gilman S. Electrotherapy and mental illness : then [28] Cambridge N. Electrical apparatus used in medicine
and now. History of Psychiatry 2008 ; 19 : 339–57. before 1900. Journal of the Royal Society of Medicine
[12] Najib U, Bashir S, Edwards D, et al. Transcranial brain 1977 ; 70 : 635–41.
stimulation : clinical applications and future direc- [29] Beaudreau SA, Finger S. Medical electricity and
tions. Neurosurg Clin N Am 2011 ; 22 : 233–51 ix. madness in the 18th century : the legacies of Ben-
[13] Sakas DE, Panourias IG, Simpson BA, et  al. An jamin Franklin and Jan Ingenhousz. Perspect Biol
introduction to operative neuromodulation and Med 2006 ; 49 : 330–45.
functional neuroprosthetics, the new frontiers of cli- [30] Basford JR. A historical perspective of the popular
nical neuroscience and biotechnology. Acta Neuro­ use of electric and magnetic therapy. Arch Phys Med
chir Suppl 2007 ; 97 : 3–10. Rehabil 2001 ; 82 : 1261–9.
[14] Birbaumer N, Ramos Murguialday A, Weber C, et al. [31] Finger S. Benjamin Franklin and the neurosciences.
Neurofeedback and brain-computer interface clini- Funct Neurol 2006 ; 21 : 67–75.
cal applications. Int Rev Neurobiol 2009 ; 86 : 107–17. [32] Finger S, Zaromb F. Benjamin Franklin and shock-
[15] George MS, Aston-Jones G. Noninvasive techniques induced amnesia. Am Psychol 2006 ; 61 : 240–8.
for probing neurocircuitry and treating illness : [33] Sabbatini R. The history of electrical stimulation of
vagus nerve stimulation (VNS), transcranial magne- the brain ; 2003. www.cerebromente.org.
tic stimulation (TMS) and transcranial direct cur- [34] Parent A. Giovanni Aldini : from animal electricity
rent stimulation (tDCS). Neuropsychopharmacology to human brain stimulation. Can J Neurol Sci 2004 ;
2010 ; 35 : 301–16. 31 : 576–84.
[16] Zanardi R, Barbini B, Rossini D, et  al. New pers- [35] Sironi VA. Origin and evolution of deep brain stimu-
pectives on techniques for the clinical psychiatrist : lation. Front Integr Neurosci 2011 ; 5 : 42.
Brain stimulation, chronobiology and psychiatric [36] Quétel C. Images de la folie. Paris : Gallimard ; 2010.
brain imaging. Psychiatry Clin Neurosci 2008 ; 62 : [37] Gisquet S. L'électroconvulsivothérapie. Histoire,
627–37. pratique actuelle et apport dans la maladie de Par-
[17] Howland RH, Shutt LS, Berman SR, et al. The emer- kinson. Thèse. Université Henri-Poincaré ; 2005.
ging use of technology for the treatment of depres- [38] Blondel C, Wolff B. L'énigme de la bouteille de Leyde.
sion and other neuropsychiatric disorders. Ann Clin www.ampere.cnrs.fr ; 2006.
Psychiatry 2011 ; 23 : 48–62. [39] Geddes LA. History of magnetic stimulation of the
[18] Wang W, Collinger J-L, Perez M-A, et  al. Neural nervous system. J Clin Neurophysiol 1991 ; 8 : 3–9.
interface technology for rehabilitation : exploiting [40] Kolin A, Brill NQ, Broberg PJ. Stimulation of irri-
and promoting neuroplasticity. Phys Med Rehabil table tissues by means of an alternating magnetic
Clin N Am 2010 ; 21 : 157–78. field. Proc Soc Exp Biol Med 1959 ; 102 : 251–3.
[19] Schlaepfer TE, George MS, Mayberg H. WFSBP [41] Endler NS, Persad E. Electroconvulsive therapy.
Guidelines on brain stimulation treatments in psy- The myths and the realities. Toronto : Hans Huber
chiatry. World J Biol Psychiatry 2010 ; 11 : 2–18. Publishers ; 1988.
[20] Daudet C. Historique de la technique. In : Brunelin J, [42] Passione R. Italian psychiatry in an international
Galinowski A, Januel D, Poulet E, editors. Stimula- context : Ugo Cerletti and the case of electroshock.
tion magnétique transcrânienne : principes et appli- History of Psychiatry 2004 ; 15 : 83–104.
cations en psychiatrie. Marseille : Solal ; 2009. [43] Fink M. Convulsive therapy : a review of the first
[21] Trimble MR. Goodbye drugs, hello stimulation. 55 years. J Affect Disord 2001 ; 63 : 1–15.
WFSBP ; 2008. [44] Fink M. Impact of the antipsychiatry movement
[22] Rodriguez E, Jerbi K, Lachaux J-P, et al. Brainweb 2.0 : on the revival of electroconvulsive therapy in the
the quest for synchrony. Ten years of Nature Reviews United States. Psychiatr Clin North Am 1991 ; 14 :
Neuroscience : insights from the highly cited. Nat 793–801.
Rev Neurosci 2010 ; 11 : 718–26. [45] Galvani L. De viribus electricitatis in motu muscu-
[23] Timsit-Berthier M. Intérêt de l'exploration neuro- lari commentarius. Bologna ; 1791.
physiologique en psychiatrie clinique. Neurophysiol [46] Abbott A. Hidden Treasures : Institute of Physiology
Clin 2003 ; 33 : 67–77. collection. Nature 2008 ; 454 : 31.
[24] Linden DE. How psychotherapy changes the brain – [47] Niedermeyer E, Lopes da Silva FH. Electroence-
The contribution of functional neuroimaging. Mol phalography, basic principles, clinical applications,
Psychiatry 2006 ; 11 : 528–38. and related fields. Baltimore : Urban & Schwar­
[25] Schneider F, Backes V, Mathiak K. Brain imaging : zenberg ; 1982.
on the way toward a therapeutic discipline. Eur Arch [48] Caton R. The electric currents of the brain. Brit Med J
Psychiatry Clin Neurosci 2009 ; 259 : S143–7. 1875 ; 2 : 278.
[26] Stroebel CF, Glueck BC. Biofeedback treatment in [49] Pravdich-Neminsky V. Ein Versuch der Registrie-
medicine and psychiatry : an ultimate placebo ? rung der elektrischen Gehirnerscheinungen. Zbl
Seminars in Psychiatry 1973 ; 5 : 379–93. Physiol 1913 ; 27 : 951–60.

18
Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

[50] Berger H. Über das elektrenkephalogramm des Men- [60] Perry C, McConkey KM. The Franklin Commis-
schen. Arch Psychiatr Nervenkr 1929 ; 87 : 527–70. sion Report, in light of past and present understan-
[51] Adrian E, Matthews B. The Berger rhythm : poten- dings of hypnosis. Int J Clin Exp Hypn 2002 ; 50 :
tial changes from the occipital lobes in man. Brain 387–96.
1934 ; 57 : 355–85. [61] Simondon G. Du mode d'existence des objets tech-
[52] Herr HW. Franklin, Lavoisier, and Mesmer : origin niques. Paris : Aubier ; 2001.
of the controlled clinical trial. Urol Oncol 2005 ; 23 : [62] Guédron M. L'imaginaire des fluides au XVIIIe
346–51. siècle. Sociétés & Représentations 2009 ; 2 : 173–86.
[53] Martin D. Le mesmérisme ou « magnétisme ani- [63] Steiner P, Stewart J. Philosophie, technologie et
mal »  : un puissant mouvement culturel à la fin du cognition. Intellectica 2010 ; 53–54.
18e siècle ; 2006. www.ampere.cnrs.fr. [64] Guchet X. Pour un humanisme technologique.
[54] Kihlstrom JF. Mesmer, the Franklin Commission, Culture, technique et société dans la philosophie de
and hypnosis : a counterfactual essay. Int J Clin Exp Gilbert Simondon. Paris : Presses Universitaires de
Hypn 2002 ; 50 : 407–19. France ; 2010.
[55] Franklin B, Majault, Le R, et al. Report of the com- [65] Simondon G. L'invention dans les techniques : Cours
missioners charged by the King with the examina- et conférences. Paris : Seuil ; 2005.
tion of animal magnetism. 1784. Int J Clin Exp Hypn [66] Simondon G. Entretien sur la mécanologie. Revue de
2002 ; 50 : 332–63. synthèse 2009 ; 130 : 103–32.
[56] Donaldson IM. Mesmer's 1780 proposal for a [67] Chateau J-Y. Le vocabulaire de Simondon. Paris :
controlled trial to test his method of treatment using Ellipses ; 2008.
“animal magnetism”. J R Soc Med 2005 ; 98 : 572–5. [68] Micoulaud-Franchi J-A. Analyse de livre : Pour un
[57] Forrest D. Mesmer Int J Clin Exp Hypn 2002 ; 50 : humanisme technologique. Culture technique et
295–308. société dans la philosophie de Gilbert Simondon.
[58] Bailly JS. Secret report on mesmerism, or animal Annales Médico Psychologiques 2011 ; 169 : 70–7.
magnetism. 1784. Int J Clin Exp Hypn 2002 ; 50 : 364–8. [69] Micoulaud-Franchi J-A, Fond G, Dumas G. Cyborg
[59] Lynn SJ, Lilienfeld S. A critique of the Franklin psychiatry to ensure agency and autonomy in mental
Commission Report : hypnosis, belief, and sugges- disorders. A proposal for neuromodulation thera-
tion. Int J Clin Exp Hypn 2002 ; 50 : 369–86. peutics. Front Hum Neurosci 2013 ; 7 : 463.

19
De l'activité électrique Chapitre 2
corticale au tracé EEG
C. Balzani, J. Vion-Dury1

Bases neurophysiologiques Rôle majeur des structures ­­


sous-corticales
de l'EEG
Thalamus
L'activité électrique cérébrale L'activité électrique corticale est fortement dépen-
dante des afférences thalamocorticales, c'est-
Enregistrement d'une activité ­à-dire des informations provenant de la structure
corticale sous-corticale diencéphalique de substance grise
Les activités enregistrées avec des électrodes qu'est le thalamus, jusqu'aux couches corticales.
externes lors de la réalisation d'un électroencé- Les afférences thalamocorticales spécifiques
phalogramme (EEG) sont la somme d'un nombre véhiculent les influx venant de la périphérie,
considérable d'activités individuelles des neurones notamment des organes sensoriels et moteurs. Les
du cortex cérébral. Cependant, pour des raisons relais se font par des noyaux thalamiques dits spé-
d'organisation des champs électriques, toutes les cifiques. Les arborescences axonales des neurones
activités électriques cérébrales ne peuvent pas thalamiques spécifiques ne s'étendent que sur une
être enregistrées. En réalité, seule une propor- petite partie des cortex primaires (par exemple, le
tion limitée de neurones du cortex, représentée cortex somesthésique). Ce mode de fonctionne-
par les neurones pyramidaux corticaux organi- ment en « mode direct » du thalamus, relayant les
sés en macrocolonnes perpendiculaires à la sur- informations venant du système nerveux périphé-
face du crâne (par contraste avec les neurones rique jusqu'aux aires corticales, se retrouve prin-
des macrocolonnes des sillons corticaux), parti- cipalement pendant la veille.
cipe à la genèse du signal EEG. En effet, ces neu- Un autre groupe de noyaux thalamiques, dits
rones possèdent des dendrites perpendiculaires à réticulaires, possède des neurones avec des pro-
la surface du cortex. Le signal EEG provient des priétés oscillantes. Ils présentent une arborisation
potentiels postsynaptiques d'excitation (PPSE) et axonale diffuse, non spécifique, s'étendant jusqu'à
d'inhibition (PPSI) qui arrivent sur ces dendrites. plusieurs aires corticales. Les neurones des noyaux
Ces PPSE et PPSI, d'une durée de l'ordre de 10 ms, réticulaires du thalamus sont particulièrement
correspondent à l'influx électrique en lien avec la impliqués dans la dynamique de régulation cor-
© 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

libération des neurotransmetteurs dans la fente ticale veille/sommeil, dans la genèse des fuseaux
synaptique et induisent des variations de poten- du sommeil et, à un moindre degré, dans celle du
Neurophysiologie clinique en psychiatrie

tiel électrique dans l'espace extracellulaire. Étant rythme alpha. Dans ce cas, le fonctionnement du
donné que chaque neurone pyramidal du cortex thalamus n'est alors plus en mode direct mais en
possède sur ses dendrites environ 10 000 synapses, mode oscillant. Ce mode oscillant possède une
l'activité enregistrée de manière globale au niveau fonction de porte (ouverte/fermée) quant aux
du scalp va donc correspondre à la sommation des influx périphériques entrant dans le cortex. C'est
activités synchrones liées aux courants extracellu- un mode de fonctionnement qu'on retrouve classi-
laires de nombreux neurones pyramidaux [1]. quement dans le sommeil lent profond [1].

1
Relecture : J.-A. Micoulaud-Franchi.

21
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

Formation réticulaire du tronc cérébral retour au maintien de l'activité tonique des neu-
La régulation des deux modes, direct et oscillant, rones GABAergiques du thalamus réticulaire, qui
de l'activité thalamique est sous la dépendance de inhibe son fonctionnement en mode oscillant. Les
la formation réticulaire située dans le tronc céré- ­informations envoyées au cortex par le thalamus
bral. C'est dans cette dernière que s'organise, en spécifique arrivent ainsi au cortex de manière
lien avec les noyaux supraoptiques de l'hypotha- non synchrone et sont à l'origine sur l'EEG d'un
lamus, la régulation globale des états de veille et rythme rapide, dans la bande bêta. Cette augmen-
de sommeil. tation générale de l'activité corticale produit ce
On notera enfin que certaines structures qu'on dénomme une désynchronisation.
cérébrales, comme le striatum ou le cervelet,
­ Lors de la veille calme, un système oscillant,
ne participent pas à la genèse du signal EEG et d'origine principalement corticale visuelle, mais
­probablement pas à sa régulation. impliquant également le thalamus, en particulier
le pulvinar et le thalamus réticulaire, s'active et on
observe sur l'EEG un rythme alpha, à prédomi-
Grands modes de régulation nance occipitale.
de l'activité cérébrale Lors de l'endormissement, ce rythme alpha est
peu à peu fragmenté et interrompu par un rythme
Axe réticulo-thalamo-cortical plus lent, dans la bande thêta. Le sommeil est
et stades de vigilance déclenché par l'arrêt de la sécrétion de substances
Historiquement, l'individualisation des diffé- maintenant l'éveil (acétylcholine et monoamines).
rents stades de sommeil et de vigilance par la Cet arrêt est dépendant de l'activité du noyau pré-
technique de l'EEG a pu être réalisée dans les optique ventrolatéral, notamment sous l'influence
années 1930 [2]. Nous reprendrons plus loin, de l'adénosine accumulée pendant l'éveil. La dis-
dans le chapitre consacré au sommeil (cf. cha- parition de l'effet cholinergique libère les neurones
pitre 6), les différentes caractéristiques des réticulaires thalamiques GABAergiques, géné-
stades de sommeil, mais il nous faut néanmoins rateurs des fuseaux de sommeil, qui à leur tour
présenter dès à présent certaines notions neu- inhibent les neurones relais thalamocorticaux.
rophysiologiques à propos des différents stades Le thalamus acquiert ainsi sa fonction « porte »,
de vigilance. et les oscillations neuronales thalamocorticales
L'éveil dépend du système réticulaire activateur sont alors synchronisées et de basse fréquence [4],
et de ses projections thalamiques et corticales. ­traduisant la déafférentation fonctionnelle pro-
L'éveil est caractérisé par une activation corti- gressive du cortex, maximale dans le sommeil
cale, donnant lieu à une électrogenèse de faible lent profond. En effet, un cortex qui ne reçoit plus
amplitude et de fréquences rapides, et une activité d'influx en provenance du thalamus spécifique
motrice à la fois tonique et phasique. Les neu- et des structures réticulaires montre une activité
rones responsables de l'induction et du maintien lente spontanée, de type delta. Cette situation
de l'éveil sont localisés dans la formation réticu- correspond à une déafférentation, c'est-à-dire une
lée, l'hypothalamus postérieur, le télencéphale déconnexion du cortex. Celle-ci peut être soit
basal ainsi que plusieurs noyaux (locus coeruleus, fonctionnelle et régulée par les structures sous-
noyaux du raphé, noyau tegmental latérodor- corticales décrites plus haut, comme c'est le cas
sal et pédunculopontin), ainsi que la substance dans le sommeil lent, soit pathologique, comme
noire et le tegmentum ventral [3]. Ils sécrètent des par exemple lors d'une atteinte de la formation réti-
neuro­ transmetteurs, tels que l'acétylcholine et culaire activatrice, qui peut donner lieu à un coma.
les monoamines que sont la dopamine, la séro- Lors du sommeil paradoxal, le cortex sera à
tonine, l'histamine, ou encore la noradrénaline. nouveau réafférenté sous l'effet d'une activation
Les neurones thalamocorticaux ainsi activés pro- réticulaire, mais des processus inhibiteurs blo-
duisent du glutamate, neurotransmetteur exci- queront toute activité motrice, à l'exception des
tateur le plus répandu dans le système nerveux mouvements oculaires (stade de sommeil dit
central, qui active à son tour les neurones pyra- REM pour Rapid Eye Movement), ainsi qu'une
midaux corticaux. L'éveil cortical participe en partie des activités conscientes en lien avec cette

22
Chapitre 2. De l'activité électrique corticale au tracé EEG

activation corticale. Ce stade de sommeil, décou- et réalise un modèle de connectivité corticale


vert dans les années 1950 [5], bien que présentant propre. Elle est généralement considérée comme
certains aspects similaires à la veille, dépend d'un le support neuronal des fonctions cognitives
fonctionnement neurophysiologique spécifique, supérieures.
en particulier via des neurones « SP-on » et « SP- De cette manière, on peut grossièrement réduire
off » (SP pour sommeil paradoxal) qui jouent un les examens d'exploration de l'activité électrique
rôle clé dans son déclenchement et son arrêt [3]. cérébrale à ces deux grands types de régulation.
Si l'EEG propose principalement une exploration
Régulation verticale et régulation qui correspond à la modulation verticale, ce qui
horizontale est notablement le cas lors de l'exploration de la
Plus schématiquement, on peut dire que l'activité vigilance et du sommeil, les potentiels évoqués
électrique corticale est régulée de deux manières. cognitifs proposent une exploration de l'acti-
En premier lieu, il existe une régulation qu'on vité corticocorticale, qui pourrait correspondre
peut qualifier de « verticale », qui correspond à à la mise en activité de blocs d'activité corticale,
une régulation cortico-sous-corticale telle que traduisant ainsi le partage d'une activité diffuse
nous venons de la présenter. Cette régulation tient et organisée. Ceci sera détaillé dans le chapitre
donc en grande partie aux modulations des dyna- consacré aux potentiels évoqués (cf. chapitre 5).
miques de vigilance, transmises au cortex via
l'axe réticulo-thalamo-cortical (figure 2.1).
Mais si nous avons surtout présenté leur carac- Technique de l'EEG :
tère ascendant, il faut noter que les régulations l'enregistrement de vecteurs
verticales peuvent se faire dans deux sens diffé-
rents [6] : électriques
• soit depuis les structures sous-corticales vers les
structures corticales : il s'agit alors d'une modu- Principe technique à la base
lation dite bottom-up (de bas en haut) ; de l'électroencéphalographie
• soit depuis le cortex vers les structures sous-
corticales : il s'agit alors d'une modulation dite Rappel historique
top-down (de haut en bas). Nous avons décrit dans le chapitre 1 l'histoire de
La régulation dite « horizontale », quant à elle, l'électricité en médecine. C'est en 1924, à Iéna, que
se fait entre les différentes structures corticales Hans Berger put recueillir avec un ­galvanomètre à

Cortex
Modulation horizontale
uni - ou bidirectionnelle

Modulation verticale
bidirectionnelle

Haut-bas Bas-haut

Structures
sous-corticales

Figure 2.1. Modes principaux de régulation de l'activité cérébrale : modulation horizontale et


modulation verticale.

23
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

corde les activités électriques cérébrales humaines placées sur le scalp du patient et reliées à une chaîne
à partir d'électrodes placées sur le scalp  ; c'est d'amplification. L'électroencéphalogramme (EEG)
lui qui proposa d'utiliser le terme « électroencé- est donc constitué par ces oscillations électriques
phalogramme » (EEG). On peut imaginer la diffi- de forme plus ou moins sinusoïdale et survenant à
culté, à l'époque, pour enregistrer des différences de des fréquences variables, globalement inférieures à
potentiel de l'ordre de quelques dizaines de millio- 50 Hz, provenant des neurones corticaux que nous
nième de volt avec les piètres galvanomètres dispo- avons présentés.
nibles et sans le moindre dispositif d'amplification [1]. Cette activité électrique cérébrale est, dans les
En 1929, Berger publia la découverte de deux conditions physiologiques, présente en perma-
types d'activités électriques cérébrales quasi nence et de manière spontanée, indépendam-
sinusoïdales, qu'il dénomma « rythme alpha » ment de toute stimulation sensorielle ou de toute
et « rythme bêta » [7]. La difficulté principale fut activité mentale consciente. Mais des stimula-
de s'assurer que les variations de potentiels ainsi tions externes (stimulus environnementaux) ou
obtenues constituaient réellement une activité internes (cognitives) peuvent avoir deux effets sur
bioélectrique d'origine corticale et non pas des cette activité cérébrale spontanée :
artefacts provoqués par la pulsation des vais- • soit elles génèrent des réponses spécifiques,
seaux, la contraction des muscles, le mouvement d'importance topographique et de décours tem-
des yeux ou encore le tremblement de la tête. L'im- porel variables : il s'agit dans ce cas de potentiels
portance de la découverte de Berger ne fut vrai- évoqués (sous-entendu, évoqués par une stimu-
ment reconnue qu'en 1937, époque où il décrivit la lation ou une activation mentale) ;
réaction d'arrêt du rythme alpha qui a lieu quand • soit elles modifient l'état de fonctionnement
le sujet est attentif. C'est la même année que fut des réseaux neuronaux actifs : il s'agit alors de
réalisé l'enregistrement des premières crises synchronisations ou désynchronisations liées à
d'épilepsie par Gibbs [8]. Cependant, la Seconde l'événement.
Guerre mondiale allait retarder l'éclosion de cette Ainsi, alors que le rythme alpha de l'EEG, dont
méthode d'exploration du cerveau humain ; ce l'amplitude est de l'ordre de 50 microvolts, est
n'est qu'à la fin de celle-ci que l'emploi de l'EEG recueilli dans un état de veille calme quand des zones
comme méthode diagnostique se généralisera étendues du cerveau présentent une activité cohé-
en neurologie. À la fin des années 1940, les pre- rente, l'enregistrement d'activités liées à un stimulus
mières explorations invasives par électrodes pro- spécifique est réalisé à partir de petites populations
fondes furent réalisées. Les premières analyses de de neurones présentant une activité étroitement
fréquences eurent lieu dans le contexte du déve- synchronisée. Les différents types de variations de
loppement des méthodes de traitement du signal. potentiels, lentes ou rapides, sont regroupés sous le
Les grands noms de cette période sont notam- nom de potentiels liés à l'événement (Event-Related
ment Penfield, Jasper, Walker, Magoun, Moruzzi, Potentials, ERP) (cf. chapitres 3 et 5).
puis, en France, Gastaut, Naquet, Roger. Moruzzi Les synchronisations et désynchronisations
et Magoun, en réalisant des sections étagées du (ERS et ERD), quant à elles, sont liées à des événe-
tronc cérébral, mirent en évidence le rôle fonda- ments tels que l'ordre d'ouverture des yeux, l'appel
mental de la substance réticulée activatrice ascen- du nom, l'acte moteur ou les stimulations noci-
dante dans la régulation de l'activité électrique ceptives. Elles reflètent l'état d'activation du cor-
cérébrale [9]. C'est ainsi qu'à partir des années 1950 tex et leur analyse, plutôt effectuée en recherche,
put s'accroître la place de l'EEG, non seulement en conduit à une meilleure compréhension de l'orga-
recherche neurophysiologique mais également en nisation rythmique des activités cérébrales.
pratique clinique en milieu hospitalier.

Matériel nécessaire pour


Activité spontanée et réponses l'enregistrement d'un EEG
provoquées
L'électroencéphalographie conventionnelle consiste Locaux
donc en l'enregistrement de l'activité électrique La réalisation de l'EEG nécessite de préférence
cérébrale, au moyen d'électrodes adéquatement un local dédié, en l'occurrence une pièce calme,

24
Chapitre 2. De l'activité électrique corticale au tracé EEG

à l'abri des nuisances sonores et à faible éclairage. une à une, ce qui justifie d'un temps de pose non
Le patient est installé sur un fauteuil confortable, négligeable ; mais il existe désormais dans le com-
muni d'un dossier réglable et d'accoudoirs ajus- merce des bonnets incluant les électrodes déjà
tables. Les conditions environnementales doivent positionnées, à placer directement sur le crâne du
être les plus propices possibles à la détente [10]. patient ; ils ont cependant également leurs incon-
L'EEG est un examen de routine, non invasif, vénients propres (tailles différentes, modalités
généralement bien toléré. Néanmoins, la proba- d'entretien, etc.). Le contact entre l'électrode et la
bilité de déclencher une crise épileptique, notam- peau du patient est assuré par une pâte conduc-
ment lors des manœuvres d'activation, n'est pas trice, comprenant généralement une solution
nulle. Aussi la salle d'enregistrement doit-elle être saline, injectée via le centre de l'électrode à l'aide
pourvue du matériel de soins primaires néces- d'une seringue.
saire pour prendre en charge une crise épileptique Il faut préalablement nettoyer soigneusement
si elle venait à survenir (canule de Guedel, O2, les emplacements de pose des électrodes, et ce
matériel pour injection, benzodiazépines injec- quel qu'en soit le type, afin de les débarrasser de
tables…). tout excès de sébum et de débris cellulaires qui
majoreraient l'impédance. Enfin, les électrodes
sont reliées chacune par un fil de connexion à une
La chaîne d'enregistrement, ou boîte têtière. Une fois que les électrodes sont posi-
le chemin du signal électrique tionnées sur le crâne du sujet, il convient de véri-
cérébral depuis la voûte fier leur impédance (loi d'Ohm) et de la réduire au
crânienne jusqu'au tracé EEG maximum afin qu'elle ne s'oppose pas au passage
du signal sinusoïdal en provenance du cortex.
L'appareillage EEG se compose actuellement d'une En EEG conventionnel, les électrodes sont
chaîne d'enregistrement du signal électrique céré- classiquement disposées selon le système 10/20.
bral, transmis depuis le scalp du patient jusqu'à Il existe différents montages, c'est-à-dire diffé-
un ordinateur, permettant l'affichage du tracé en rentes dispositions des électrodes sur le scalp,
temps réel ainsi que son enregistrement [11]. qui vont conditionner le signal que l'on obtiendra
(figure 2.2).
Les électrodes et le système 10/20 Le système 10/20 est un système de convention
Le signal électrique est recueilli au moyen d'élec- internationale, visant à la standardisation et à la
trodes disposées sur le scalp du patient. Ces élec- reproductibilité de l'examen, utilisant vingt et une
trodes peuvent être de plusieurs types. électrodes (dix-neuf électrodes actives, électrodes
Les électrodes tampons, les plus utilisées, sont de terre et de référence) et permettant d'obtenir
constituées d'argent chloruré recouvert de tissu. seize dérivations [12]. Dans le système 10/20, les
Maintenues sur le crâne à l'aide d'un filet de électrodes positionnées du côté gauche du scalp
caoutchouc, leur principal inconvénient reste la sont représentées par un chiffre impair, et celles
faiblesse de leur fixation. positionnées du côté droit sont représentées par
Les électrodes cupules sont des petits disques un chiffre pair. Électrodes paires et impaires se
concaves, en argent chloruré, classiquement col- font face de manière symétrique par rapport à la
lées sur le scalp à l'aide d'une pâte adhésive — ligne médiane, où les électrodes sont dénommées
anciennement à base de collodion, qui doit désor- par la lettre z. Les électrodes sont placées depuis
mais être évité. le nasion, zone glabre entre les sourcils, jusqu'à
Les électrodes aiguilles, plus invasives, sont l'inion, point proéminent de l'os occipital, en pas-
placées au niveau sous-cutané ; elles sont le plus sant par le vertex. D'avant en arrière, on retrouve
souvent utilisées en réanimation. les zones frontopolaires, frontales, centrales et
De manière générale, les électrodes nécessitent temporales, pariétales puis occipitales, abrégées
un certain entretien ; elles doivent notamment respectivement Fp, F, C, T, P, O. Une électrode de
être trempées dans une solution javellisée afin de référence est placée sur chaque os mastoïde (A).
maintenir leur chlorurisation. Une dérivation (ou voie, ou canal) est représen-
Classiquement, les électrodes sont indépen- tée par une paire d'électrodes, entre lesquelles est
dantes les unes des autres et doivent être placées enregistrée une différence de potentiel générée

25
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

Figure 2.2. Positionnement des électrodes dans le système 10-20. Aperçu de la face gauche du
cerveau avec les électrodes impaires.

par l'activité simultanée des neurones de la zone des signaux électriques initialement faibles. Elle
corticale sous-jacente. doit être adaptée à une fourchette de valeurs pré-
Les différents montages, en regroupant d'une sumées, en fonction du signal que l'on cherche
certaine façon les dérivations, permettent d'avoir à caractériser. L'amplification se fait au moyen
accès au maximum de signal. Les montages sont d'amplificateurs différentiels, c'est-à-dire d'am-
généralement bipolaires, c'est-à-dire qu'ils enre- plificateurs dont la sortie est proportionnelle à
gistrent une différence de potentiel relative, entre la différence de potentiel présente entre les deux
deux électrodes actives. Le montage référentiel, entrées. Ce type d'amplification différentielle
aussi appelé monopolaire, permet quant à lui implique également l'élimination de la tension
d'obtenir la différence de potentiel entre une élec- commune dans les deux entrées, définissant le
trode active et une électrode de référence (dont taux de réjection en mode commun.
le potentiel ne varie pas). Enfin, une électrode de Un autre paramètre primordial est la constante
terre, appliquée généralement sur le nasion, per- de temps. Celle-ci correspond au temps mis par
met de prévenir d'éventuels courants de fuite et le signal pour diminuer de 37 % par rapport à la
donc de stabiliser le signal. déflexion d'un signal continu appliqué aux bornes
Sur le plan spatial, le montage antéropostérieur, d'entrée du stimulateur dans un circuit RC, qui est
ou longitudinal, explore les différences de poten- composé d'une résistance et d'un condensateur.
tiel d'avant en arrière, de chaque côté du crâne. La constante de temps, exprimée en secondes, est
Le montage transverse permet d'explorer les dif- égale au produit des valeurs de la résistance (en
férences de potentiel entre droite et gauche, et ce mégaohms, MΩ) et de la capacité du condensa-
en progressant de l'avant vers l'arrière (figure 2.3). teur (en microfarads, μF) du canal d'amplification
d'EEG. Elle est également impliquée dans le fil-
Amplification trage du signal.
La chaîne d'enregistrement comprend ensuite un
amplificateur, qui permet de diminuer de nom- Filtrage
breux artefacts et d'augmenter le signal de faible Le filtrage permet d'éliminer des fréquences
voltage issu des électrodes. L'amplification per- jugées non pertinentes, parasites, c'est-à-dire n'ap-
met en effet d'obtenir un gain important pour partenant pas au signal qu'on cherche à étudier.

26
Chapitre 2. De l'activité électrique corticale au tracé EEG

A B C
Figure 2.3. Les principaux montages utilisés en EEG clinique chez l'adulte.
A. Montage standard. B. Montage longitudinal. C. Montage transverse.

En diminuant le bruit de fond, il permet donc stockage sur disque dur. Le CAD permet donc de
l'augmentation du rapport signal/bruit, comme le transformer un signal analogique, qui a une infi-
fait à sa manière l'amplification en augmentant le nité de valeurs possibles, en une suite de nombres
signal. Il existe deux types de filtres : pris dans une collection limitée de valeurs pos-
• le filtre passe-haut, qui est l'équivalent de la sibles (figure 2.4).
constante de temps, et qui laisse passer les La numérisation d'un signal doit respecter le
hautes fréquences (et qui filtre donc les basses théorème de Nyquist-Shannon selon lequel la fré-
fréquences) ; quence d'échantillonnage d'un signal doit être au
• et le filtre passe-bas qui laisse passer les basses moins égale au double de la fréquence de ce signal.
fréquences (et qui filtre donc les hautes fré- Pour l'EEG, la numérisation du signal demande
quences). une vitesse d'échantillonnage assez faible (128 à
L'intervalle de fréquences ainsi obtenu, entre 256 Hz). Ainsi, si on veut numériser de l'EEG de
filtre passe-haut et filtre passe-bas, est dénommé routine, c'est-à-dire une bande passante allant de
bande passante (exprimée en hertz, Hz). 0 à 50 Hz, la fréquence d'échantillonnage devra
Les paramétrages de l'amplification et du fil- être au minimum de 100 Hz. Très souvent, la
trage doivent être réalisés avec précaution : de numérisation du signal s'effectue selon la tech-
mauvais réglages pourraient compromettre l'ac- nique du multiplexage, correspondant à un entre-
cessibilité au signal recherché. De même, il est mêlement de signaux provenant simultanément
important de bien connaître les caractéristiques des différentes voies d'acquisition. Ce procédé
techniques des appareillages qu'on utilise. Ceci est permis du fait de la relative faiblesse de la
sera abordé plus précisément dans le chapitre 3. fréquence d'échantillonnage nécessaire en EEG,
au regard de la vitesse actuelle des horloges des
Numérisation du signal ordinateurs. Le signal arrive ainsi sous une forme
Historiquement, le signal était recueilli de amplifiée et numérisée directement à l'ordinateur
manière analogique et mobilisait les plumes d'une qui, par le biais d'une carte graphique, réalise
table traçante, dont le papier se déroulait à une la présentation des données. Le transfert boîte
vitesse préalablement définie. têtière-­ordinateur se fait souvent par l'intermé-
Actuellement, un convertisseur analogique diaire d'une fibre optique, ce qui a pour intérêt de
digital (CAD), pouvant être contenu dans la boîte diminuer considérablement le bruit électronique
têtière, permet de numériser d'emblée le signal et l'effet d'antenne des fils connectés [1].
afin de permettre son affichage en temps réel sur
l'écran d'ordinateur, mais aussi sa modification Systèmes de stimulation
(application de filtres, changement des montages Le plus souvent, les systèmes d'enregistrement
affichés), ainsi que son enregistrement et son de l'EEG sont reliés à un ou des système(s) de

27
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

Figure 2.4. Principe de la numérisation, en partant du signal analogique (fond gris uni).


DW, dwell time, ou temps d'échantillonnage ; TA, temps d'acquisition du signal.
La matrice du signal numérisé donne l'intensité ou la tension de courant pour chaque point échantillonné (ici 64). Ce
schéma vaut pour une seule voie d'enregistrement. Dans les appareils actuels, les signaux des différentes voies sont
entrelacés par la méthode du multiplexage.

s­ timulation, plus particulièrement quand il s'agit et à mesure de l'enregistrement (entre 1 et 60 Hz


de l'enregistrement de potentiels évoqués (cf. cha- en général).
pitre 5). Le stimulateur peut être intégré dans l'appareil
Le plus simple des stimulateurs employés est d'enregistrement, comme c'est le cas pour la SLI,
la stimulation lumineuse intermittente (SLI) qui ou constituer un module extérieur, comme c'est
génère des éclairs dont la fréquence varie au fur le cas pour les potentiels évoqués (cf. chapitre 5).

28
Chapitre 2. De l'activité électrique corticale au tracé EEG

Dans tous les cas, l'élément essentiel est le sys- [3] Billiard M, Dauvilliers Y. Les troubles du sommeil.
tème de synchronisation entre stimulus et acquisi- Issy-les-Moulineaux : Elsevier-Masson ; 2011.
tion du signal. Par ce moyen, une information est [4] Steriade M, McCormick DA, Sejnowski TJ.
émise par le module de stimulation, à la fois pour Thalamocortical oscillations in the sleeping and
aroused brain. Science 1993 ; 262 : 679–85.
que le système d'acquisition se déclenche quand le
stimulus apparaît et pour que le système de visua- [5] Jouvet M, Michel F. Corrélations électromyogra-
phique du sommeil chez le chat décortiqué et
lisation ou de calcul puisse disposer de cette infor- mésencéphalique chronique. Comptes Rendus
mation pour une analyse ultérieure : on aura ainsi Séances Société Biol Ses Fil 1959 ; 153 : 422–5.
les marqueurs de SLI ou des marqueurs différen- [6] Northoff G. What catatonia can tell us about “top-
tiels de diverses tâches cognitives pour réaliser le down modulation” : a neuropsychiatric hypothesis.
rétromoyennage des potentiels évoqués complexes Behav Brain Sci 2002 ; 25 : 555–77 ; discussion
(cf. chapitre 4). 578–604.
[7] Berger PDH. Über das Elektrenkephalogramm des
Menschen. Arch Für Psychiatr Nervenkrankh 1929 ;
87 : 527–70.
Conclusion [8] Gibbs FA, Gibbs EL, Lennox WG. Epilepsy : a
paroxysmal cerebral dysrhythmia. Epilepsy Behav
Nous avons vu dans ce chapitre la genèse du signal 2002 ; 3 : 395–401.
EEG, depuis les dendrites des neurones pyramidaux [9] Moruzzi G, Magoun HW. Brain stem reticular for-
du cortex jusqu'à sa matérialisation à l'écran, sous mation and activation of the EEG. Electroencephalogr
forme d'un tracé désormais numérisé. Le chapitre Clin Neurophysiol 1949 ; 1 : 455–73.
[10] Micoulaud-Franchi J-A, Balzani C, Faugere M,
suivant s'attardera sur les diverses modalités d'acqui-
Cermolacce M, Naudin J, Vion-Dury J. Neurophy-
sition de ce signal, ainsi que sur les méthodes d'ana- siologie clinique en psychiatrie. 1. Techniques, voca-
lyse et d'interprétation, en se focalisant sur celles bulaires et indications de l'électroencéphalographie
dont la pertinence est de mise en psychiatrie, qu'il conventionnelle. Ann Méd-Psychol Rev Psychiatr
s'agisse de la recherche ou de la pratique clinique. 2013 ; 171 : 334–41.
[11] Deuschl G, Eisen A. Guide pratique de neurophysio-
logie clinique. Recommandations de la Fédération
Références internationale de neurophysiologie clinique : Else-
[1] Vion-Dury J, Blanquet F. Pratique de l'EEG  : Bases vier ; 2002.
neurophysiologiques. Principes d'interprétation et [12] Jasper H. The ten twenty electrode system of the
de prescription. Paris : Masson ; 2008. international federation. Electroencephalogr Clin
[2] Loomis AL, Harvey EN, Hobart GA. Cerebral states Neurophysiol 1958 ; 10 : 371–5.
during sleep, as studied by human brain potentials.
J Exp Psychol 1937 ; 21 : 127–44.

29
Modalités d'acquisition Chapitre 3
et d'analyse du signal
EEG
J. Vion-Dury, C. Balzani, M. Cermolacce 1

Dans le chapitre précédent, nous avons décrit la Par ailleurs, l'utilisation des plumes avec de
chaîne d'acquisition du signal EEG avec ses élec- l'encre, donnait aux signaux de grande amplitude
trodes, ses amplificateurs et le convertisseur ana- la forme d'un arc de cercle, mais, en plus, le dis-
logique digital. positif de ces plumes frottant sur le papier confé-
Dans ce chapitre nous essaierons de répondre rait à l'ensemble une inertie qui se traduisait par
à la question : « Mais que peut-on faire de ce un « émoussement » de la trace. On doit noter que
signal ? » Nous verrons donc les différentes moda- l'expression grapho-élément, largement utilisée
lités par lesquelles le signal EEG recueilli peut dans le langage de l'EEG, vient de cela : l'écriture
donner des informations à la fois différentes et par les plumes.
complémentaires. La numérisation (cf. chapitre 2) n'a pas seule-
Dans un second temps, nous aborderons les dif- ment changé la manière de lire l'EEG courant.
férentes manières d'analyser ce signal en fonction Même si, en raison de la qualité moyenne des cartes
des procédures d'acquisition décrites. graphiques, les premiers systèmes numérisés éton-
naient par le caractère « point à point » du tracé et
À propos des modalités d'acquisition par l'absence d'« émoussement » qui, parfois, faisait
On imagine mal, parce qu'ils sont désormais douter de la réalité de certains g­ rapho-éléments,
d'utilisation courante, l'impact des calculateurs actuellement la qualité de la numérisation est,
et donc des systèmes électroniques de numéri- pour peu que les paramètres d'acquisition soient
sation sur la manière de concevoir l'acquisition corrects, excellente. La possibilité de comparer à
du signal EEG. Il en est de même pour l'amé- partir des données de base, les différents montages,
lioration des amplificateurs, notamment leur d'amplifier à volonté ou de changer la constante de
miniaturisation. temps ou le filtrage sur la même fenêtre temporelle,
Les premiers enregistrements EEG nécessitaient qui peut également elle-même varier à volonté,
des chaînes d'amplification à lampes, lourdes et constitue une révolution dans la manipulation des
encombrantes, en particulier si on voulait avoir données électroencéphalographiques.
au moins douze voies d'amplification. La rigidité De même, si les potentiels évoqués par
© 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

des câblages entraînait un choix de montages ­moyennage direct pouvaient être réalisés sur des
prédéterminés sur lesquels il n'était pas possible oscilloscopes analogiques — comme d'ailleurs
Neurophysiologie clinique en psychiatrie

d'intervenir après l'acquisition du tracé. La quan- l'enregistrement des traces intra- ou extracellu-
tité de papier nécessaire encombrait de manière laires de l'activité des neurones ou des nerfs  —,
non négligeable les archives et rendait le transport seule la numérisation permet l'obtention de
des examens très limité, en raison du poids et des potentiels évoqués par rétromoyennage. Évidem-
dimensions de ceux-ci. Quant aux tracés de som- ment, tous les traitements ultérieurs du signal que
meil, ils consommaient une quantité de papier nous verrons plus loin ont été permis par la numé-
encore plus impressionnante. risation. Cette numérisation est également indis-
pensable pour les différentes analyses de l'hypno-
gramme et du vigigramme ou toutes les analyses
1
Relecture : J.-A. Micoulaud-Franchi. informatisées du signal EEG.

31
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

Une autre conséquence de cette numérisation globale du tracé en une structure fréquentielle
est que, par contraste avec les anciens appareil- pensée comme représentative de l'électrogenèse.
lages pour lesquels une connaissance de la chaîne Le problème de la quantification des potentiels
d'acquisition pouvait rester sommaire, les utilisa- évoqués cognitifs est légèrement différent, parce
teurs ont à acquérir à la fois la connaissance de qu'un potentiel évoqué est lui-même un résumé
l'appareillage lui-même (hardware) mais surtout d'une toute petite partie de l'activité cérébrale,
celle des logiciels le faisant fonctionner, en parti- dans des conditions données. Le signal est moins
culier les différentes fonctions qui en permettent complexe et le plus souvent moins variable que
la versatilité. Trop de médecins ne s'intéressent celui de l'EEG continu de surface et il a la pro-
pas à ces logiciels et utilisent les appareillages de priété d'être quantifié sur une base de temps très
manière limitée, ne faisant pas l'effort, à vrai dire faible, d'au maximum 1 seconde. Dans ce cas, le
significatif, de « rentrer dans la machine ». Nous problème de la quantification sera en lien avec
ne pouvons qu'attirer l'attention du lecteur sur ce l'élimination du « bruit » ou sa prise en compte
point, qui nous semble essentiel si on veut faire dans le processus de quantification.
une neurophysiologie clinique de qualité. Il existe de plus en plus de programmes et de
Il faut enfin remarquer que la sémiologie de logiciels intégrés multivalents qui permettent
l'EEG a été construite sur les enregistrements toutes sortes de calculs et qui, le plus souvent, sont
papier, alors que rien ne nous dit qu'une modi- capables de faire cette quantification de manière
fication de la trace, en jouant facilement sur les automatique. Mais nous voulons attirer l'attention
paramètres de numérisation ou de présentation, du lecteur sur deux points absolument essentiels.
ne pourrait pas constituer le support d'un com- Une quantification aveugle, sans visualisation
plément sémiologique. Par exemple, on ne regarde de la trace initiale pouvant permettre l'élimination
jamais les courants à très basse fréquence (DC ou la prise en compte d'artefacts, est une faute qui
currents) obtenus en augmentant considérable- met en cause la compétence de l'opérateur. Que
ment la constante de temps [1]. l'on fasse de l'analyse spectrale, de la polysomno-
graphie ou du moyennage de traces de potentiels
À propos de la quantification évoqués, il faut toujours « sentir et voir » le signal
Le signal de l'EEG de surface est un signal éminem- avant toute application d'un programme de traite-
ment variable, formé d'une succession de configu- ment. C'est en raison de cette absence de rigueur
rations et de formes, qui impose tout d'abord une que la cartographie EEG a été en partie discré­ditée
analyse visuelle, qui est d'ailleurs la base de l'inter- dans l'interprétation courante, au début de son
prétation clinique quotidienne (chapitre 12). développement. Beaucoup croyaient qu'une jolie
Cependant, d'une part cette analyse visuelle carte des fréquences les dispensait d'une analyse
peut être très dépendante de celui qui inter- visuelle du tracé et se servaient d'une quantifica-
prète  — c'est une interprétation qu'il faut com- tion à des fins essentiellement cosmétiques. Il en
prendre au sens musical du terme — et, d'autre est de même pour les potentiels évoqués cognitifs
part, on peut vouloir sinon donner une objectivité (en particulier les composantes P50) pour lesquels
à un tracé donné, du moins faire des études de certains opérateurs se contentent d'appuyer sur le
groupes qui nécessitent des quantifications. bouton du programme, quitte à ce que le logiciel
D'une manière générale, il faut bien com- positionne automatiquement les marqueurs n'im-
prendre que la quantification est une réduction porte où entre deux bornes préalablement choi-
nécessaire. Ainsi, l'analyse d'une polysomno­ sies. Le plus souvent d'ailleurs les logiciels ne sont
graphie, qui inclut la quantification des différents pas en cause : ils font ce qu'ils doivent faire. Mais
stades de sommeil ainsi que leur organisation, ou in fine, la décision de validation appartient à l'opé-
bien l'analyse de la vigilance reviennent à extraire rateur et celle-ci ne peut se faire qu'en retournant
une information quantifiée de ces formes com- au signal même.
plexes qui se succèdent dans le temps et donc Trop souvent les personnes qui utilisent les
revient à les résumer pour les rendre accessibles logiciels de traitement n'ont strictement aucune
rapidement à l'interprétation clinique. Il en est de idée non seulement de leur fonctionnement —
même des analyses spectrales de l'EEG courant on ne peut leur demander de connaître les algo-
qui, d'une certaine manière, résument la structure rithmes — mais surtout des choix techniques faits

32
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

par les concepteurs de logiciels : chaque logiciel rons une particulière attention aux potentiels évo-
fonctionne à partir de choix de calcul, de repré- qués cognitifs, dont l'acquisition et le traitement
sentation, de visualisation. Choisir un logiciel, ne sont que bien rarement détaillés.
c'est assumer ces choix pour son propre compte. Les différentes modalités d'acquisition et d'ana-
Cette variété des choix, dans un contexte assez lyse de ces divers signaux ont fait l'objet de gui-
concurrentiel, impose une grande prudence. D'un delines éditées par la Société internationale de
logiciel à l'autre, les résultats de la même ana- neurophysiologie clinique [2]. Nous suggérons au
lyse pourront être très différents. Comprendre lecteur de s'y reporter.
le paramétrage des algorithmes et des processus
d'analyse est indispensable. Les radiologues l'ont
compris avec l'IRM, après s'être désintéressés,
pendant quelques années, des bases physiques de Différentes modalités
génération du signal de RMN. Beaucoup ont fait d'acquisition du signal EEG
le sacrifice d'une vraie formation (quelques jours
avec les ingénieurs d'application des construc- Enregistrement de l'EEG
teurs), même si celle-ci est très éloignée de leur conventionnel
intérêt initial. Le risque est grand, en raison de
la moindre complexité de l'appareillage, que les Historiquement, c'est la présentation d'une trace
neurophysiologistes fassent l'impasse sur ce type sur du papier défilant qui a permis de constituer le
de formation concernant les bases mathématiques premier mode d'acquisition du signal EEG.
(par exemple, transformée de Fourier) et phy- Compte tenu des limites du dispositif à lampes
siques (par exemple, qualité et types de filtres) du et à plumes que nous avons évoquées plus haut,
traitement du signal qui les intéresse. les modalités d'acquisition de la trace EEG dans le
Ainsi, la quantification en électrophysiologie contexte clinique standard ont été organisées de
est un problème délicat, nécessitant une grande telle sorte qu'un maximum d'informations soient
attention et demandant beaucoup de temps, retirées d'un examen obtenu sur un système peu
contrairement à ce que l'on pourrait penser. versatile.
Il faut aussi avoir à l'esprit que, alors qu'on Nous ne donnerons ici qu'un panorama assez
peut analyser en routine clinique le tracé EEG de général des procédures d'obtention et de la sémio-
manière visuelle en moins de 5 minutes pour une logie de l'EEG conventionnel. Pour plus de détails
acquisition qui en fait 25 (soit 20 % du temps d'ac- nous renvoyons à notre ouvrage précédent [3].
quisition), l'analyse quantifiée d'un examen EEG
par une analyse spectrale peut prendre facilement Conventions de polarité du signal
15 minutes, soit près de 60 % du temps d'acquisi-
Nous avons vu que l'enregistrement de l'activité
tion. La situation est encore pire avec les poten-
électrique cérébrale s'effectue très généralement
tiels évoqués cognitifs dont le temps de traitement
de manière bipolaire. La différence de potentiel
et d'interprétation peut facilement dépasser ou
entre les deux électrodes entraîne la déviation du
être le double du temps d'acquisition.
signal vers le bas ou le haut selon qu'elle est res-
Plusieurs conséquences relèvent de ces points :
pectivement positive ou négative.
• le plus souvent, dans l'EEG courant, la quanti-
Mais, dans tous les cas, il reste très difficile de
fication ne fait pas partie de la routine clinique
trouver des corrélations simples entre ce qui se
car elle consomme beaucoup de temps médical ;
passe au niveau des structures corticales (neu-
c'est pour cela que l'analyse spectrale de l'EEG
rones, groupes de neurones) et la morphologie
est le plus souvent réservée aux études scienti-
complexe de l'activité électrique cérébrale telle
fiques de groupes (en pharmacologie) ;
qu'elle est présentée à l'écran ou sur le papier.
• l'utilisation de potentiels évoqués cognitifs en
clinique est freinée par cette contrainte tempo-
relle qui pèse sur ce type d'analyse. Réalisation pratique de l'examen
Nous verrons successivement les différentes La réalisation d'un tracé électroencéphalo­
modalités d'acquisition et les différentes méthodes graphique, en routine clinique, comprend les
d'analyse du signal. Dans ce chapitre, nous porte- étapes suivantes :

33
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

• préparation, positionnement et branchement Nous avons vu que l'amplification normale en EEG


des électrodes, le patient étant assis ou allongé ; correspond à une échelle de 10 μV/mm. La constante
• vérification des impédances et des paramètres de temps habituellement employée est de 0,3 s. Une
d'amplification, c'est-à-dire de la chaîne d'enre- page de tracé standard est présentée dans la figure 3.1.
gistrement ; La numérisation du signal EEG et le développe-
• enregistrement dans les conditions de veille ment de logiciels, le plus souvent conviviaux et de
calme, yeux fermés, avec des épisodes d'ouver- manipulation agréable, ont permis une évolution
ture et de fermeture des yeux de 10 secondes, significative de l'analyse d'un tracé : la possibilité
pour évaluer la réactivité ; cet enregistrement se de faire varier tous les paramètres d'enregistrement
fait selon différents montages ; (montages, amplification, constante de temps, base
• épreuves d'activation : hyperpnée, SLI (stimu- de temps) lors de la relecture permet, dans certains
lation lumineuse intermittente), voire autres cas, d'être plus précis et plus fiable dans l'inter-
manœuvres de type réflexe oculocardiaque ; prétation. De plus, un avantage considérable de la
l'hyperpnée peut être répétée une seconde fois numérisation est la capacité d'archivage sur support
après la SLI dans le cas de la recherche de pro- numérique. L'utilisation d'ordinateurs portables et
cessus paroxystiques ; la miniaturisation des composants électroniques
• fin d'enregistrement dans les conditions de font que les appareillages sont de faibles dimensions
veille calme ; et facilement transportables tout en conservant des
• démontage puis nettoyage des électrodes. performances maximales. Cette miniaturisation a
La durée de la préparation du patient est de l'ordre également permis une augmentation considérable
de 15 minutes. L'enregistrement ne doit pas être, du nombre de canaux qui, de manière classique, est
chez un patient coopérant, inférieur à 20 minutes. supérieur ou égal à trente-deux.

Figure 3.1. Technique de représentation d'un tracé EEG, avec les différents paramètres et notes
au cours du tracé.

34
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

Enregistrement des potentiels ronnant et de l'appareillage. En effet, à part les poten-


évoqués tiels visuels obtenus à la SLI et parfois les potentiels
cognitifs P300 ou la VCN, il est impossible de voir
Principes généraux et d'analyser en clinique les potentiels évoqués sur
Les potentiels évoqués (PE) sont un enregistre- l'EEG continu à la suite d'un seul stimulus.
ment électroencéphalographique dans lequel on La procédure permettant de réaliser cette
a rajouté des stimulus spécifiques afin d'étudier extraction est la sommation (ou l'obtention de la
certaines fonctions cérébrales. En d'autres termes, moyenne, ce qui revient au même) des signaux
le principe des PE peut être dans un premier obtenus après plusieurs stimulations consécu-
temps résumé sous la forme : « EEG + stimulus tives. Cette opération est dénommée « moyen-
externes ou internes » : nage ». Cette méthode générale de traitement du
• dans le cas des stimulus externes, on étudie la signal permet d'augmenter le rapport du signal au
sensorimotricité ; bruit à proportion de la racine carrée du nombre
• dans le cas des stimulus internes (tâche, activité de signaux moyennés (figure 3.2).
mentale), on étudie des phénomènes cognitifs. Ainsi, les PE se conçoivent sous la forme : « EEG
À ces principes de base, il faut rajouter un autre + stimulus externes ou internes + moyennage ».
élément essentiel. En raison de la très faible ampli- Comme nous l'avons vu plus haut, les potentiels
tude de la réponse obtenue par la stimulation évoqués sont l'image de la diffusion « en nappe »
évoquée, il s'agit d'extraire la réponse spécifique de l'excitation corticale :
(auditive, visuelle ou en relation avec un processus • soit lors d'une stimulation sensorielle, auquel
cognitif) de l'activité électrique globale du cerveau cas la diffusion est restreinte à ce qu'on a­ ppelait
à laquelle se rajoute le bruit électromagnétique envi- anciennement les aires primaires et secondaires ;

Figure 3.2. Rapport signal sur bruit.


Mise en évidence de la répétition du stimulus suivie du moyennage des traces obtenues dans l'augmentation du rapport
signal/bruit. On notera la manière dont on mesure le bruit et le signal. Ce dernier commence à « mi-bruit ».

35
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

• soit lors d'une tâche cognitive, auquel cas à la fois Son inconvénient est que les différences indivi-
la diffusion est large, prend un temps assez long duelles sont gommées.
et possède des caractéristiques topographiques En psychiatrie, la très grande majorité des
spécifiques mises en évidence par la cartogra- études actuelles utilisent les grands moyennages
phie de PE pour chaque tâche cognitive. Dans sur la base diagnostique du DSM-IV TR. Les
ce dernier cas, les aires associatives sont impli- ­résultats de ces études globales sont difficilement
quées dans un certain ordre et on peut mettre transposables à la clinique, en particulier pour un
en évidence cette activation temporelle si on ­diagnostic individuel. À ce jour, une seule étude
utilise toutes les électrodes de l'enregistrement avec des enregistrements individuels est disponible[6]
d'EEG continu au lieu de quelques électrodes (voir chapitre 5).
placées en regard du cortex ou d'autres struc-
tures (moelle, tronc) spécifiques le plus souvent Modalités techniques
utilisées pour les potentiels évoqués sensoriels
et moteurs. Les conditions techniques de l'obtention de poten-
Il faut également remarquer que la méthode tiels évoqués sont :
de réalisation des PE cognitifs est complexe et de • la délivrance d'un stimulus adéquat ;
mise en œuvre difficile. Ceci explique qu'un très • la synchronisation entre un stimulus donné et
petit nombre de sites pratiquent en clinique ce la fenêtre temporelle d'acquisition ou de visua-
type de neurophysiologie, en général bien déve- lisation ;
loppée dans les laboratoires de recherche en neu- • le calcul de la moyenne des signaux enregistrés
rosciences cognitives. Les contraintes sont en effet consécutivement.
multiples : procédures complexes, programmation Stimulus
nécessaire des stimulus, traitement des données
long et minutieux nécessitant un investissement Il est pratiquement impossible d'obtenir un poten-
significatif dans les routines informatiques, inter- tiel évoqué cognitif simplement en pensant à
prétation délicate, niveau de preuve non encore quelque chose sans autre consigne. Le plus souvent,
évalué pour le diagnostic, etc. Seules des équipes en raison notamment de la nécessité impérative de
entraînées et structurées peuvent tenter de mettre la synchronisation entre le stimulus et le déclen-
en place des PE cognitifs dans le domaine de la chement de l'enregistrement, on délivre un ou des
routine neurophysiologique en psychiatrie. stimulus simples (son, lumière, etc.) et on demande
Dans ce chapitre, nous décrivons plus spécifi- au sujet de faire une tâche de type cognitif à pro-
quement les méthodes d'acquisition des PE cogni- pos de ces stimulus. Par exemple, on lui demande
tifs (PEC, ou ERP pour Event-Related Potentials) de différencier deux sons ou bien d'appuyer sur un
dans le domaine de la psychiatrie. Les PE senso- bouton quand un stimulus de tel type apparaît ou
riels ou moteurs ne sont pas abordés. Le lecteur bien encore on lui délivre un mot ou une phrase
pourra se reporter aux références [3–5]. Nous ren- dans laquelle il doit donner un avis matérialisé
voyons également au très complet livre de réfé- par un appui sur un ou plusieurs contrôleurs. La
rence de Niedermeyer [1]. variété des tâches est évidemment très grande
mais, d'une manière générale, il existe pour chaque
type de processus cognitif interrogé, une famille de
Que moyenne-t-on ? protocoles suffisamment large mais aussi validée.
Chez un sujet donné, un PE diagnostique est la On voit ainsi que la tâche cognitive est analysée
moyenne de X traces. C'est un PE individuel. C'est à partir d'un prisme que constituent les stimulus
le cas des PE visuels (PEV), auditifs (PEA), somes- matériels, ce qui réduit évidemment la variété des
thésiques (PES). processus cognitifs analysés. On est vraiment dans
Dans les études de neurosciences cognitives, on un travail de laboratoire qui simplifie dramati-
moyenne les PE cognitifs de Y sujets. Le poten- quement les processus ayant lieu dans le cerveau
tiel moyen obtenu (moyenne des Y sujets et des et dans des conditions très peu écologiques, qui ne
X traces) est dit « grand moyennage » (moyenne correspondent que bien peu à ce qui se passe dans
de moyennes). Ses avantages sont un bon rapport la « vraie vie ». Mais cette remarque s'applique tout
signal/bruit et des traitements statistiques aisés. aussi bien aux tests ­neuropsychologiques.

36
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

Bien souvent, on demande une réponse motrice manière parallèle à la stimulation (visuelle,
au sujet par appui sur le bouton d'une manette. On auditive, etc.) rentrait dans l'oscilloscope ;
obtient ainsi un temps de réponse — on appelle • il existait une fonction de moyennage continu
cela la partie comportementale de l'étude — pour permettant d'extraire le signal du bruit.
chacune des réponses possibles (s'il en existe plu- Actuellement, le principe général est le même
sieurs). Ce temps de réponse est calculé par le pour les PEC, la synchronisation pouvant être
programme : il correspond au délai entre la déli- interne entre des modules électroniques.
vrance du stimulus et l'appui sur le bouton. Selon
la tâche, le temps de réaction (ou TR) est similaire Moyennage direct
à la latence du potentiel si la tâche est relativement Le moyennage direct correspond à ce qu'on obte-
simple — c'est le cas de la P300 chez les sujets nor- nait en neurophysiologie avec les oscilloscopes.
maux — ou plus long si la tâche est complexe et Un stimulus (auditif, visuel, somesthésique)
nécessite une réflexion — par exemple : tâche de déclenche l'enregistrement de la réponse évoquée,
détection d'anomalies sémantiques ou présen­ pendant une durée préalablement définie. Pen-
tation d'image(s) avec tâche d'analyse de celle(s)-ci. dant le délai entre les stimulations (ITI, InterTrial
La génération de stimulus pour les potentiels Interval) ne se produit aucun enregistrement. La
évoqués cognitifs requiert souvent des ordinateurs fenêtre temporelle d'enregistrement est variable
extérieurs au système d'enregistrement capables avec le type de potentiel analysé : de 10 ms pour
de générer les stimulus complexes (des images, les potentiels auditifs du tronc cérébral et de
des phrases préenregistrées…) qui sont présentés l'ordre de 1 000 ms pour les PEC. Cette fenêtre
au sujet. Peu de systèmes sont formés d'un seul temporelle correspond d'une certaine manière au
ordinateur, en raison notamment de la difficulté temps d'ouverture du diaphragme d'un appareil
de la gestion de l'horloge interne des ordinateurs. photo (cf. figure 3.2). Le moyennage continu dans
Rares également sont les systèmes qui permettent le système d'acquisition permet en temps réel de
à la fois l'enregistrement des PE et de l'EEG sur le voir le signal émerger de l'activité de fond. À la fin
même appareillage, pour des raisons de largeur de de l'acquisition, le potentiel obtenu est enregistré.
bande passante des amplificateurs qui ne sont pas En dehors du filtrage, de la réalisation de la ligne
les mêmes dans chaque modalité. de base et du positionnement des marqueurs, le
signal obtenu ne pourra pas être modifié si, par
Synchronisation exemple, en cours d'acquisition un artefact est
La synchronisation requiert que le système d'enre- apparu. C'est pourquoi il est conseillé de surveil-
gistrement de l'EEG soit relié à un (des) système(s) ler attentivement l'évolution du signal et, le cas
de stimulation. Le plus simple des stimulateurs échéant, de faire des sauvegardes intermédiaires
employés est le module de stimulation lumineuse de la trace en suspendant un court moment la
intermittente (SLI) qui génère des éclairs. Sur le stimulation. Le moyennage direct est en général
tracé EEG on peut visualiser, sur un canal spéci- utilisé pour les potentiels sensorimoteurs et pour
fique, les marqueurs dont chacun correspond à un certains potentiels perceptifs cognitifs (négativité
éclair. Le stimulateur peut être intégré dans l'ap- de discordance, certains P300, variation contin-
pareil d'enregistrement ou constituer un module gente négative). Actuellement, le plus souvent
extérieur activé par un programme interne à l'ap- en clinique, on utilise pour ce genre de moyen-
pareillage. nage trois ou quatre dérivations, correspondant à
Historiquement, les premiers potentiels évo- trois ou quatre positionnements d'électrodes (par
qués (et bien d'autres enregistrements de neuro­ exemple Cz-référence, Pz-référence, Fz-référence).
physiologie) l'ont été sur des oscilloscopes qui
possédaient trois propriétés permettant ce type Moyennage rétrograde
d'acquisition : Il est obtenu en réalisant l'enregistrement d'un
• on pouvait les relier à un boîtier de stimulation EEG classique pendant lequel on délivre les stimu-
externe ; lus, sans interrompre l'enregistrement entre deux
• la trace obtenue sur l'écran cathodique com- stimulus. À chaque stimulus délivré est associé
mençait au moment où un signal généré de un marqueur, visualisé sur le tracé. À­ ­l'arrêt de

37
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

la stimulation et de l'enregistrement EEG, le sys- sur toutes les dérivations de l'EEG du système
tème détecte de manière rétrospective tous les 10/20 (figure 3.4).
marqueurs et analyse la réponse évoquée dans une Enfin, il est possible d'avoir un enregistre-
fenêtre temporelle définie autour des marqueurs. ment EEG à but clinique puisque, le plus souvent,
Le moyennage est réalisé ainsi de manière rétro­ les  potentiels évoqués sont indétectables sans
active et rétrograde (rétromoyennage) (figure 3.3). moyennage.
D'une part, cette technique permet lors de la
visualisation essai par essai d'éliminer des arte- Rapport signal/bruit
facts (mouvements oculaires, dérive de la ligne de Si ce rapport est dépendant en premier lieu du
base) et de ne conserver que les réponses de bonne nombre d'essais moyennés, il dépend également
qualité — à noter que l'élimination d'artefacts lors de l'acquisition de la qualité de l'isolation
peut se faire de manière automatique, avec les pro- électromagnétique de la pièce d'enregistrement et
grammes spécifiques, mais rien ne vaut dans ce de la qualité de l'appareillage. Dans tous les cas, il
domaine un œil expert, qui prend le temps d'ana- est difficile et coûteux pour des services d'EEG —
lyser chacune des réponses. D'autre part, cette et ce contrairement à ce qui est la règle en IRM —
technique permet également de disposer facile- de demander et d'obtenir l'installation d'une cage
ment d'une cartographie puisqu'en général, on de Faraday qui réglerait ce problème du bruit
réalise l'enregistrement de ces réponses évoquées ­électromagnétique de l'environnement.

Figure 3.3. Principe du rétromoyennage obtenu lors de stimulations répétées au cours d'un


enregistrement d'EEG continu.
Le rectangle correspond à la fenêtre d'obtention du PE autour du stimulus.

38
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

Figure 3.4. Cartographie des PEC de type P300.


A. Cartes de potentiels obtenues sur le scalp à partir du tracé enregistré sous chaque dérivation. La carte des potentiels
évolue avec le temps : B. 50 ms après le stimulus. C. 100 ms après le stimulus. D. 240 ms après le stimulus, à la
culmination de l'onde en Cz et Pz. Ces tracés sont obtenus en rétromoyennage.

Conditions pratiques type de PEC dont il devient expert. Les condi-


d'enregistrement tions cliniques d'utilisation des PEC comme une
« neuro­psychologie électrique » permettent d'éva-
Cela va sans dire, que, de manière bien plus mar- luer plusieurs marqueurs d'état du patient (cf. cha-
quée que les potentiels sensorimoteurs, les PEC pitre 5). Dès lors, si on ne veut pas être trop limité
sont extrêmement dépendants de l'état affectif dans l'intérêt de cette méthode, il est impératif de
et cognitif du patient. Dès lors, une particulière pouvoir disposer d'un maximum de protocoles de
attention doit être portée à l'accueil et aux expli- PEC (P300 dans diverses conditions, P50, N400,
cations fournies afin de minimiser l'anxiété du VCN, MMN, etc.) de manière à établir soit un
sujet. Plus encore, l'ambiance dans laquelle se profil neurocognitif, soit étudier selon le cas une
déroule l'enregistrement doit être calme et dénuée fonction particulière. En d'autres termes, réaliser
de toute distraction. Nous conseillons de signa- des potentiels cognitifs en clinique demande une
ler sur la porte de la pièce d'enregistrement qu'un sorte de polyvalence dans ce domaine. En réalité,
examen est en cours et qu'il ne faut pas y entrer. l'usage d'un seul potentiel dans un cadre diagnos-
De même tout bavardage intempestif doit être tique est très frustrant et amène à déconsidérer les
évité pendant l'acquisition. PEC dans leur ensemble. Dans ce domaine comme
La majorité des études en psychiatrie utilisant dans d'autres, il ne peut y avoir d'amateurisme ou
les PEC sont des études de recherche clinique. En de réalisation des PEC sans programme de travail
général, on a la configuration « un laboratoire, un sérieux et pérenne.
PEC » chaque laboratoire se spécialisant dans un

39
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

Enregistrement Phénoménologie des activités


polysomnographique physiologiques d'origine cérébrale
Nous proposons au lecteur de se référer au enregistrables à partir du scalp
chapitre 6. Une fois le système d'enregistrement de l'EEG mis
en place, apparaît à l'écran un signal complexe
et variable duquel émerge un certain nombre
Différentes modalités d'analyse de régularités en relation avec le comportement
général du sujet. Si on enregistre cette activité
du signal EEG cérébrale pendant plusieurs jours, on constate que
l'on peut décrire deux sortes de régularités :
Les possibilités d'analyse du signal EEG dispo- • des rythmes dits de fond ou de base, caractéri-
nibles actuellement sur le marché sont d'apparition sant l'état cérébral sur des périodes temporelles
relativement récente. Les possibilités de quantifica- variables allant de quelques secondes à quelques
tion du signal EEG n'ont été permises, nous l'avons minutes voire une heure ;
vu, que grâce à l'apparition des calculateurs. Dans • une cyclicité approximativement circadienne
les années 1960-1975, les analyses de Fourier pou- (sur 24 heures) d'événements comportementaux
vaient être réalisées dans certains laboratoires : c'est et électriques qui ont été regroupés sous le nom
sur des calculateurs dont la taille était considérable générique d'états de vigilance (cf. chapitre 6).
au regard de nos ordinateurs portables actuels.
L'apparition de la micro-informatique et sa généra-
lisation dans les années 1980, comme d'ailleurs la Rythmes et activités de fond
mise en place de logiciels de plus en plus efficaces et L'activité de fond constitue l'activité EEG telle
conviviaux, ont permis le développement des diffé- qu'elle peut être obtenue, spontanément, chez le
rentes méthodes d'analyse du signal EEG : analyse sujet conscient, dans une situation d'éveil calme,
spectrale, potentiels évoqués et hypnogrammes. sans mouvements volontaires. Si le sujet n'est pas
Non seulement la micro-informatique permet de conscient ou présente une confusion mentale,
réaliser ces analyses, mais sa versatilité et la variété c'est l'activité qui est enregistrée dans ces condi-
des logiciels actuellement disponibles permettent tions qui est dénommée activité de fond.
d'ouvrir de nouveaux champs de recherche. L'activité de fond se différencie d'une part de ses
modifications brutales et transitoires et, d'autre
Analyse visuelle de l'EEG, part, des activités dites paroxystiques. C'est ainsi
que dans l'interprétation on parlera d'une activité
sémiologie
de fond entrecoupée de phénomènes de survenue
Le premier mode d'analyse de l'EEG est histo- brutale, transitoire, de nature paroxystique ou
riquement le mode visuel. Des années 1940 aux non. Dans de nombreux cas pathologiques, l'acti-
années 1990, les appareillages étaient, dans les vité de fond peut être en outre complexifiée ou
services de neurophysiologie clinique, essentiel- modulée. Elle pourra comprendre, par exemple,
lement analogiques, et les analyses ne se faisaient plusieurs activités différentes (dans des propor-
dans la clinique courante que sur le mode visuel. tions éventuellement variables avec le temps ou la
Dès lors toute la sémiologie est construite sur topographie) ou encore des rythmes anormaux en
cette base. Cependant, cette sémiologie n'est pas référence au comportement du sujet.
remise en cause par les analyses automatiques L'analyse visuelle conduit à l'observation et à la
informatisées, mais simplement complétée. Il classification de l'activité de fond sous la forme
eut été d'ailleurs très compliqué de la remettre de rythmes (alpha, bêta, thêta, delta) normaux ou
en cause et probablement inutile pour la majorité pathologiques (tableau 3.1).
des applications car, en réalité, la quantification Un rythme est défini par :
n'apporte des éléments indispensables que dans • la bande de fréquence à laquelle il appartient ;
des situations plutôt marginales au regard de la • sa répartition ;
clinique quotidienne — si l'on excepte les tracés • sa morphologie et son amplitude ;
de sommeil. • sa réactivité.

40
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

Tableau 3.1. Les différents rythmes physiologiques de base en EEG.


Rythme Bande de fréquences Localisation Amplitude Corrélats
comportementaux
Alpha 8–13 Hz Amplitude maximale 25 à 75 mV Veille calme
(8 = subalpha) postérieure (autour de 50 mV) Sommeil paradoxal
Réactif à l'ouverture
des yeux
Bêta > 13 Hz (14–30 Hz) Antérieur et moyen < 20 mV Veille active
Sommeil paradoxal
Gamma > 30 Hz Antérieur et moyen < 20 mV Veille active
Sommeil paradoxal
Thêta 4–7 (7,5) Hz Centrotemporal 20 mV Veille
Sommeil paradoxal
Delta < 4 Hz (0,1 à 3,5) Diffus > 30 mV Sommeil lent

En effet, les rythmes EEG doivent être compris • l'hyperpnée, par l'alcalose (hypocapnie) qu'elle
dans le contexte de réseaux cérébraux intercon- induit, entraîne d'une part une vasoconstric-
nectés — ce qui suggère déjà la superposition tion ralentissant le tracé EEG (avec des activités
complexe des activités de plusieurs réseaux en thêta ou delta) et facilite ainsi dans les zones
relation. Ces réseaux permettent la synchronisa- hypovascularisées ou pathologiques l'appari-
tion des activités des ensembles neuronaux. tion d'activités lentes plus ou moins angulaires ;
La synchronisation des activités neuronales (à • la SLI permet de déclencher des réponses
ne pas confondre avec la condition technique de paroxystiques, mais peut provoquer chez les
synchronisation dans les potentiels évoqués) est la sujets sains un entraînement, variable, qui cor-
condition nécessaire à leur détection au niveau du respond à une activité rythmique évoquée à la
scalp, c'est-à-dire dans des conditions d'atténua- fréquence du stimulus ou à un harmonique de
tion considérable du signal par les tissus interpo- celle-ci.
sés. Plus les neurones actifs simultanément sont
nombreux, plus le signal recueilli sur l'électrode Qu'est-ce qu'un tracé EEG non
est ample et inversement. De ce fait, quand on
anormal ?
parle d'activité synchronisée ou désynchronisée,
cette synchronisation ou cette désynchronisation Avant d'affirmer une anomalie de l'électrogenèse,
sont relatives, notamment à l'échelle de l'EEG de il convient d'éliminer les artefacts et les activités
surface. inhabituelles.
Chaque rythme ne peut être interprété que
dans un contexte comportemental. L'EEG est fon- Artefacts
damentalement un examen électroclinique. L'interprétation de l'EEG est rendue parfois très
difficile par la présence d'artefacts dont cer-
Activations et changement d'états tains persistent malgré l'utilisation de différents
L'EEG clinique utilise différents moyens de tes- filtres — qui, par ailleurs, modifient le tracé lui-
ter les réponses du cerveau ; ils conduisent à des même. Nous ne décrirons pas ici en détail les dif-
changements d'états des systèmes oscillants : férents artefacts, mais on doit être attentif à cette
• l'évaluation de la réactivité de l'ensemble des particularité de la méthode : il faut savoir que
systèmes réticulo-thalamo-corticaux est réa- l'EEG est un examen d'interprétation délicate et,
lisée par un moyen extrêmement simple : le parfois, on ne peut aisément trancher entre arte-
blocage de l'alpha par l'ouverture des yeux fact et grapho-élément pathologique.
(cf. figure 3.1) ou le blocage du rythme mu par Les artefacts musculaires, les grandes dévia-
le serrage des poings ; tions de la ligne de base dues aux mouvements des

41
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

patients, les artefacts dus à la présence d'une fré- les rythmes inhabituels mais non anormaux.
quence de 50 Hz (courant électrique alternatif d'ali- Ceux-ci sont particulièrement fréquents dans
mentation ou « secteur ») sont d'élimination facile — l'EEG en psychiatrie.
souvent, il suffit de regarder l'ECG, qui est é­ galement
contaminé par les variations artéfactuelles. Variations physiologiques de la vigilance
Plus difficiles à détecter sont certains artefacts Les états de vigilance sont susceptibles de fluctuer
de mouvements oculaires, particulièrement des pendant l'enregistrement du tracé. Cependant,
petites saccades rapides, ou des battements d'artère ces fluctuations sont très informatives sur l'état
(ici l'ECG est utile) ou bien des mâchonnements physiologique du patient. Au cours de la veille
qui ressemblent à des ondes lentes angulaires calme, yeux fermés, l'activité alpha se fragmente,
rythmiques et sont susceptibles d'être pris pour disparaît et se trouve remplacée par une activité
des activités paroxystiques pathologiques. Il existe thêta. Le patient somnole, il est en stade NREM1
enfin des artefacts qui ressemblent beaucoup à des de sommeil. Une stimulation externe fait réappa-
activités paroxystiques (pointes, pointes-ondes) et raître immédiatement l'activité alpha et ceci est
dont parfois la différence avec une vraie activité reproductible. Si l'on voit apparaître des complexes
est ténue. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à chan- K ou des fuseaux de sommeil, le patient entre en
ger de montage sur la page où se trouve l'artefact. stade NREM2 du sommeil. Ce n'est en aucun cas
En général, si le grapho-élément n'est présent que un ralentissement pathologique de l'électrogenèse.
sur un montage, c'est sans doute un artefact.
Grapho-éléments inhabituels non Qu'est-ce qu'un EEG anormal ?
pathologiques [7] Une fois les artefacts et les grapho-éléments inha-
On peut dire qu'il n'y pas d'EEG normal type. Il bituels, mais non anormaux, reconnus et à la
existe seulement des aspects normaux de l'EEG. condition de la réalisation d'un examen complet
Les rythmes physiologiques ne sont pas toujours avec toutes les activations, on peut considérer que
présents dans les tracés et de grandes variations l'EEG pathologique est caractérisé par plusieurs
morphologiques peuvent être observées. Ces phénomènes pouvant survenir en même temps
variations morphologiques des tracés constituent pour un état de vigilance donné (tableau 3.2) :

Tableau 3.2. Correspondance entre le vocabulaire habituellement utilisé dans l'interprétation EEG


et sa signification clinique.
Ce qui est écrit dans le Ce qu'il faut comprendre
compte rendu
Le tracé est caractérisé par :
Une activité de fond L'état basal du cerveau est analysé, spontanément, en absence de stimulation et en état
de veille calme
De type alpha, bilatérale Ceci sous-entend qu'elle est organisée, c'est-à-dire que le rythme alpha est postérieur,
synchrone qu'il existe un rythme thêta centrotemporal et un rythme bêta antérieur
Ceci sous-entend que les oscillateurs thalamiques réticulaires fonctionnent normalement,
de manière symétrique
Symétrique La symétrie en rythme et en amplitude est affirmée
Il n'y a donc pas de souffrance hémisphérique ni de dépression d'amplitude pouvant
correspondre à une perte de neurones
Réagissant à l'ouverture L'activité de base est bloquée à l'ouverture des yeux ce qui signifie que la réaction d'arrêt
des yeux (à l'appel du (d'origine réticulaire) fonctionne bien
nom) Ceci suppose aussi que les voies thalamocorticales visuelles (auditives) sont perméables
La conscience est généralement conservée
Mal organisée La topographie des rythmes (item ci-dessus) est désorganisée : par exemple, activité
alpha dans les régions antérieures

42
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

Remaniée Souvent (par exemple, chez des anciens épileptiques, chez des alcooliques…), le tracé
comprend un rythme de fond objectivable et réactif mais il est surchargé d'activités mal
organisées, rapides, parfois angulaires, parfois plus lentes
On dit que le tracé est « moche », l'électrogenèse mal organisée, sans pour autant
trouver d'éléments pathologiques individualisables ou dont la récurrence souligne
un dysfonctionnement organisé
Ne réagissant pas à L'intégrité réticulaire, des voies thalamo-réticulo-corticales, ou la réactivité des neurones
l'ouverture des yeux aux potentiels postsynaptiques excitateurs (PPSE) (barbituriques, anesthésiques) est sans
doute altérée
La non-réactivité est un signe très important surtout dans les comas
Le tracé est microvolté et Il s'agit d'activités rapides de faible amplitude ne permettant pas d'observer la présence
désynchronisé ou l'absence de réactivité, sans fréquence prépondérante caractérisant un rythme EEG
Ces aspects sont retrouvés dans les surcharges en benzodiazépines, les patients très
anxieux (l'HPN souvent organise le tracé) et les alcooliques chroniques (dans ce cas,
l'HPN n'organise pas le tracé)
On observe la présence :
D'un rythme en arceaux Rythme physiologique
D'ondes lentes Rythme physiologique
postérieures
De rythmes rapides Il s'agit de rythmes probablement iatrogènes (benzodiazépines), différents de
prédominant dans les l'électromyogramme
régions antérieures
De nombreux artefacts Le tracé contient du signal électrique musculaire
électromyographiques Ce signal est parfois irréductible
L'interprétation du tracé en est souvent gênée et elle perd de sa fiabilité
Ce n'est pas forcément un tracé mal réalisé
D'électrodermogramme Ce sont des variations lentes du potentiel cortical généralement sinusoïdales, de périodes
de plusieurs secondes et de grande amplitude
Généralement observées quand le sujet transpire
D'épisodes de somnolence Le rythme alpha se fragmente puis est remplacé par du thêta
Lors d'un bruit ou d'un appel, le rythme alpha réapparaît
Le patient somnole
En général, les fuseaux ne sont pas présents
De bouffées delta diffuses Le sujet s'endort mais présente les rythmes de type sommeil lent sans que les fuseaux
de quelques secondes aient été présents
Ceci traduit un trouble de la régulation de la vigilance
D'activités plus lentes On observe un ralentissement de l'activité de fond qui voit le remplacement du rythme
de type thêta (de type alpha par des rythmes plus lents
delta) modulant l'activité Ceci traduit une souffrance cérébrale localisée ou non localisée, plus ou moins marquée
de fond
Diffusant (dans les Ce ralentissement, par sa diffusion, signe sa gravité
régions antérieures,
dans l'hémisphère
controlatéral)
Réactives à l'ouverture Il s'agit d'ondes lentes fonctionnelles plutôt que lésionnelles
des yeux
D'ondes lentes angulaires On observe un certain degré d'hyperexcitabilité neuronale, traduisant soit une instabilité
(ou prenant un caractère membranaire par défaut de substrats (ischémie) soit un défaut d'inhibition
angulaire)

(Suite)
43
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

Tableau 3.2. Suite.
D'ondes lentes de Ceci est plutôt en faveur d'un processus dysmétabolique (insuffisance hépatique ou
morphologie triphasique rénale, intoxication au valproate)
De grapho-éléments Il s'agit de la rupture brusque de l'état basal
paroxystiques à type de… C'est le grapho-élément du processus épileptogène, ce qui ne veut pas dire que c'est une
isolées, en bouffées maladie épileptique ni qu'il s'agit d'une crise
Ce grapho-élément témoigne de l'hypersynchronie neuronale sans préjuger du devenir
épileptique
D'activités à caractère Des grapho-éléments très angulaires surviennent à une fréquence régulière
rythmique Ceci suggère un certain degré d'organisation de la décharge et correspond à un
processus paroxystique
D'une décharge de Le foyer décharge de manière importante
grapho-éléments
paroxystiques
D'une activité On ne voit pas de modifications cliniques « macroscopiques »
paroxystique infraclinique En fait, il s'agit d'une crise sans clonies, ou phase tonique, ou déviation du regard
Des signes d'altérations cognitives seraient détectés avec un examen clinique fin
D'une activité C'est un état de mal, c'est-à-dire une décharge d'activités paroxystiques sans retour
paroxystique se à l'état basal, pendant toute la durée de l'enregistrement
produisant de façon
continue
De grapho-éléments Ces éléments surviennent à une fréquence moins régulière traduisant un échappement
prenant caractère pseudo- à l'organisation de la rythmicité
rythmique
De PLED, de bi-PLED (quand Il s'agit de décharges périodiques latéralisées ou généralisées signant la gravité de
elles sont bilatérales), ou l'atteinte
de grapho-éléments à
caractère périodique
De bouffées suppressives Il s'agit d'une souffrance cérébrale majeure ou bien d'une lyse médicamenteuse
(avec de suppressions de x Dans ce dernier cas, la durée des suppressions permet d'ajuster les doses
secondes)
Il existe des éléments lents Présence d'éléments lents angulaires plutôt en faveur d'un effet iatrogène des
angulaires plus ou moins neuroleptiques
diffus et asynchrones
L'hyperpnée :
C'est une des deux épreuves d'activation (HPN)
Elle est sans effet Il n'existe pas de sensibilité particulière à l'HPN
C'est une réaction normale
Ceci sous-entend qu'elle est bien tolérée
Deux HPN ont été Généralement intéressant dans les suspicions d'épilepsie
pratiquées
Elle provoque un Il existe une sensibilité à cette épreuve
ralentissement significatif Cette sensibilité n'est pas péjorative en soi (notamment chez le sujet jeune :
de l'électrogenèse hypersynchronie physiologique)
On peut voir des ralentissements très importants sans contexte particulier
Cependant, l'arbre vasculaire est très contractile
On peut voir ces ralentissements chez les patients atteints d'insuffisance circulatoire
cérébrale (dans ce cas, les ondes lentes prennent un caractère angulaire), de diabète,
de désordres métaboliques (dans ces cas, l'aspect est plus monomorphe, arrondi) ou
dans l'hypoglycémie (souvent fréquente en fin de matinée)

44
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

Elle provoque l'apparition Dans ce cas, une hyperexcitabilité cérébrale apparaît, pouvant expliquer un processus
d'activités lentes critique antérieur
angulaires (ou de pointes
lentes)
Sans rétrocession après Les anomalies (ondes lentes plus ou moins angulaires) disparaissent normalement à
l'arrêt de l'épreuve l'arrêt de l'HPN
Dans le cas contraire, l'hyperexcitabilité cérébrale est franchement pathologique
La SLI :
Il s'agit de la seconde épreuve d'activation : cette activation a pour but de favoriser le déclenchement de grapho-
éléments paroxystiques ; on rappelle que la fréquence lumineuse la plus favorable au déclenchement de paroxysmes
est de 15-17 Hz
Elle est sans effet On n'en tire aucune conclusion
Elle provoque un Des potentiels évoqués visuels de grande amplitude sont déclenchés par la stimulation
entraînement bi-occipital lumineuse
Sous-entend par définition que cet entraînement est symétrique (et donc qu'il n'y a pas
de cortex occipital lésé)
Prédominant pour les Parfois vu dans les terrains vasculaires ou certaines démences
fréquences lentes Dans ce dernier cas, des potentiels évoqués visuels de très grande amplitude ou géants
peuvent apparaître lors des éclairs isolés
Elle provoque un Dans ce cas, les réponses asymétriques témoignent d'une souffrance hémisphérique
entraînement asymétrique postérieure
On le voit surtout dans les AVC
Elle provoque une réponse C'est une contraction clonique des muscles de l'orbite d'origine mésencéphalique et qui
oculo-clonique témoigne plus d'une hyperexcitabilité périphérique (réflexe) que d'une susceptibilité aux
convulsions
Elle provoque une réponse Le but de la SLI est atteint
photo-paroxystique Il y a soit déclenchement d'une réponse paroxystique électroclinique qui cède
spontanément à l'arrêt ou peu de temps après l'arrêt de la SLI, soit déclenchement d'une
véritable crise épileptique qui dure après l'arrêt de la SLI
Il existe une activité Ce terme n'est pas conventionnellement admis, mais il est opératoire
subcritique Ceci signifie qu'il existe une hyperexcitabilité cérébrale (pointes dégradées, PLED…) mais
que cette activité paroxystique est trop peu organisée ou fréquente pour engager la mise
en place d'un traitement antiépileptique

• la disparition d'un rythme physiologique ; • des réponses anormales ou excessives aux


• la modification en fréquence (ralentissement ou épreuves d'activation.
accélération) des activités rythmiques de base ; Ainsi, une électrogenèse anormale peut être
• la modification ou l'asymétrie de l'intensité désorganisée ; elle peut être non réactive ; elle
des activités rythmiques (en absence d'artefact peut être asymétrique ; elle peut être ralentie ; elle
d'origine technique) ; peut être déprimée ; elle peut enfin inclure des
• la modification des caractéristiques topogra- grapho-éléments paroxystiques. Ces différentes
phiques physiologiques des activités ryth- situations peuvent être observées de manière non
miques (désorganisation des activités) ; exclusive et n'épuisent pas toutes les configura-
• l'apparition de nouveaux grapho-éléments non tions (figure 3.5). Ceci constitue une sémiologie
cohérente avec le contexte comportemental ; complexe, d'autant plus déroutante qu'on a l'ha-
• la modification de la réactivité, signant une alté- bitude d'interpréter des variations d'amplitude
ration des systèmes assurant la régulation de la d'un signal plutôt que ses variations fréquen-
vigilance ; tielles (temporelles).

45
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

ACTIVITÉ ÉLECTRIQUE

RÉACTIVÉ

NON RÉACTIVE
NON RALENTIE
(rythme alpha)

ORGANISÉE AVEC PROCESSUS


RALENTIE
SLI PAROXYSTIQUES
+/– DÉSORGANISATION
HPN q d
Aggravé par HPN et Aggravés par HPN
DÉSYNCHRONISÉE SLI et SLI (++)
(attention +++, stress) DÉPRIMÉE
DÉSORGANISÉE (faible amplitude)

DÉSORGANISÉE Diminution des Synchronisation « Hypersynchronie »


neurones actifs anormale de l’activité pathologique
neuronale, dé-
afférentation corticale

ÉLECTROGENÉSE
REMANIÉE :
Changement de l’organisation SOUFFRANCE
fonctionnelle : alcoolisme, CÉRÉBRALE
épilepsie ancienne,
thérapeutique psychotrope
au long cours

Figure 3.5. Base sémiologique de l'EEG. Principales classes de variations de l'activité électrique


cérébrale.
En italique, dans les cercles gris, activité normale.

Quelques points supplémentaires doivent être départ complètement désorganisée (ou désyn-
signalés : chronisée) comme c'est souvent le cas chez les
• il est utile, en analysant l'électrogenèse, d'avoir personnes anxieuses.
dans l'esprit le schéma anatomofonctionnel Le parenchyme cérébral est fragile. Sa réponse
simplifié (cf. chapitre 2, figure 2.1) ; à l'agression est polymorphe, souvent complexe
• on comprend alors immédiatement l'impor- et l'EEG traduit indirectement les conséquences
tance de l'évaluation de la réactivité, indépen- neurochimiques et neurophysiologiques de cette
damment de la structure et la topographie des agression sur le fonctionnement des neurones et
rythmes cérébraux ; la réactivité donne une idée des cellules gliales ou, plus exactement, sur l'har-
de la fonctionnalité de l'axe réticulothalamique monie fonctionnelle de ces innombrables couples
et des systèmes thalamocorticaux spécifiques ; neurono-gliaux qui constituent la base cellulaire
• c'est seulement le déroulement complet de l'exa- des fonctions mentales les plus évoluées. Bien
men qui permet de conclure : par exemple, les qu'imparfait et insuffisant, l'EEG permet d'éva-
épreuves d'activation comme l'hyperpnée ou la luer une souffrance cérébrale, par opposition à
SLI peuvent permettre d'observer la réorgani- la description de la lésion (éventuellement sous-
sation tardive d'une activité qui apparaissait au jacente) réalisée par l'imagerie.

46
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

De nombreuses classifications d'ondes EEG Ralentissement de l'électrogenèse


ont été proposées, soulignant la complexité de sa Le signe le plus fréquent de la souffrance cérébrale
sémiologie. Mais, en pratique, dans le contexte est le « ralentissement » (baisse de la fréquence majo-
d'une introduction à l'EEG, on peut résumer la ritaire de l'activité de fond) de l'électrogenèse. On
sémiologie de l'EEG selon deux grandes modes de peut distinguer les ondes lentes pathologiques de la
catégorisation : bande thêta et activités delta polymorphes et conti-
• soit en fonction de la structure et de la topologie nues. Elles surviennent en longs trains d'ondes, avec
des rythmes normaux ou anormaux et de leur une fréquence prédominante. Elles peuvent être
réactivité, les deux n'étant pas dissociables ; localisées, unilatérales ou généralisées. Les ondes
• soit en utilisant les trois concepts centraux lentes sont le plus souvent les témoins d'une souf-
d'ondes lentes (ralentissement de l'électro- france cérébrale locale ou généralisée (figure 3.6).
genèse), de processus paroxystiques (plus
ou moins massifs ou diffus) et de dépression
(jusqu'au tracé plat), qui constituent en quelque Grapho-éléments paroxystiques
sorte trois « bornes » de la sémiologie de l'EEG épileptiques et périodiques
(figure 3.5). Un grapho-élément est dit paroxystique quand
Pour plus de détails sémiologiques : voir [3]. son début et sa fin sont brutaux (ce qui le dis-
Nous verrons qu'en réalité la sémiologie de l'EEG tingue de l'onde lente) et qu'il atteint très rapide-
est toute en nuances et que l'EEG décrit le plus ment son maximum d'amplitude, se détachant
souvent plutôt l'« ambiance » neurophysiologique très nettement de l'activité de fond (en pratique,
générale dans laquelle ces syndromes appa- quand son amplitude est le double au minimum
raissent. Ceci peut se comprendre si l'on se réfère de celle de l'activité de fond). On distingue les
au caractère remarquablement distribué des acti- paroxysmes simples (pointes, ondes à front raide)
vités cérébrales. La souffrance cérébrale en EEG et des paroxysmes complexes (pointes-ondes,
se caractérise de quatre grandes manières. polypointes, polypointes-ondes) (figure 3.7).

Figure 3.6. Ralentissement (ondes lentes delta) dans un gliome frontal droit.


Les ondes lentes sont prédominantes à droite mais diffusent à gauche.

47
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

Figure 3.7. Décharge épileptique de polypointes-ondes généralisées.


Les polypointes-ondes sont amples, irrégulières. Les décharges de polypointes-ondes sont considérées comme plus
graves que les décharges de pointes-ondes.

Une activité (et non plus seulement le grapho-­ Une activité périodique est une activité EEG
élément) est dite paroxystique quand elle est compo- paroxystique pathologique se répétant de manière
sée d'ondes de début et de fin brutaux. Toute activité périodique pendant une longue durée et dont
paroxystique n'est pas une activité épileptique. Mais l'élément spécifique est stéréotypé. Ce qui carac-
une activité épileptique est une activité paroxystique. térise une activité périodique est :
Les activités paroxystiques se distinguent selon • la période de survenue des éléments spécifiques
qu'elles surviennent au cours d'une crise ou en (temps séparant ces deux éléments) ;
dehors d'une crise, bien que dans certains cas, la • la durée de l'activité périodique elle-même ;
différence entre critique et intercritique puisse • la morphologie de l'événement spécifique.
être discutée et n'est pas toujours aussi franche. Les activités pseudo-périodiques sont des acti-
Une crise épileptique est une décharge plus ou vités répétitives complexes moins stéréotypées et
moins longue de grapho-éléments paroxystiques moins stables que les activités périodiques.
avec une traduction clinique. La crise épileptique Le caractère rythmique des activités pério-
est donc électroclinique. En réalité, en pratique, diques contraste avec le caractère aléatoire de sur-
on parle fréquemment et par abus de langage, de venue des activités paroxystiques intercritiques.
crises électriques quand on observe des décharges
de grapho-éléments paroxystiques sur une cer- Hyperexcitabilité cérébrale
taine durée, sans traduction clinique franche, bien Fréquemment dans un contexte clinique, on
que souvent des troubles subtils de la conscience observe souvent des activités de type thêta, par-
soient présents et mal évalués. fois delta, angulaires, qui semblent traduire une
Quand les activités paroxystiques surviennent de forme de grapho-élément entre l'onde lente et la
manière critique, elles peuvent être la prolongation pointe dégradée. Différents auteurs parlent de
d'un état intercritique. Les activités critiques sont sharp slow waves, qu'on peut traduire par « ondes
caractérisées par l'organisation rythmique des ano- lentes angulaires » (figure 3.8).
malies paroxystiques élémentaires et d'ondes lentes. Le statut physiopathologique de ces ondes lentes
Outre les grapho-éléments paroxystiques, les modi- angulaires n'est pas clair. Elles pourraient traduire
fications comportementales dues à la crise ajoutent la présence d'une hyperexcitabilité neuronale
des artefacts, notamment d'origine musculaire. dont la définition scientifique n'est pas construite

48
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

Figure 3.8. Ralentissement avec ondes lentes angulaires dans une démence à corps de Lewy.

mais qui correspond à une réalité clinique comme faible amplitude, très désynchronisés ; il en est de
on peut le voir dans certaines céphalées, dans le même des sujets avec un syndrome anxieux.
contexte de terrain d'insuffisance vasculaire ou Des dépressions transitoires peuvent apparaître
de processus iatrogènes (différents des rythmes dans la suite immédiate des crises tonicocloniques.
rapides dus aux benzodiazépines). On les ren-
contre en nombre plus marqué dans les processus Analyse visuelle et stadification
neurodégénératifs. de l'EEG : hypnogramme
Dans le contexte psychiatrique, ces activités
et vigigramme
lentes angulaires sont fréquemment rencon-
trées dans les traitements par neuroleptiques et Dans le vigigramme et l'hypnogramme, on voit
antipsychotiques, en particulier par clozapine apparaître un premier type de quantification.
(cf. chapitre 4). Dans ce cas, elles sont diffuses et
présentent une structure particulière : elles sont Hypnogramme
asynchrones d'un hémisphère à l'autre et d'une
Cf. chapitre 6.
dérivation à l'autre. Elles donnent l'impression
d'un cortex « clignotant ».
Vigigramme
Dépression de l'électrogenèse Sur le plan comportemental, l'état de veille se
La disparition des neurones ou le blocage de leur caractérise par l'ouverture des yeux, la présence
activité électrique conduit à une dépression de d'un tonus musculaire et, sur le plan électroencé-
l'électrogenèse cérébrale. Pour autant, toute dimi- phalographique, par la présence de fréquences
nution d'amplitude du tracé n'est pas synonyme de rapides (activités bêta).
dépression de l'électrogenèse. Parmi les nombreuses Les caractéristiques cliniques et électroencé-
causes d'erreur faisant prendre une diminution phalographiques des variations de la vigilance,
d'amplitude pour une dépression, on retrouve de particulièrement lors de sa décroissance progres-
mauvaises impédances ou un œdème sous-cutané. sive jusqu'à l'endormissement, ont été décrites
On ne pourra affirmer une dépression de l'électro- pour la première fois par Loomis [8, 9]. Il avait alors
genèse que si la technique d'acquisition est parfaite. proposé de caractériser, après évaluation visuelle
Toute dépression de l'électrogenèse n'est pas de l'EEG conventionnel, la décroissance des états
pathologique : un certain nombre de sujets nor- de vigilance jusqu'au sommeil le plus profond.
maux (10 % environ) présentent des tracés de très Celle-ci était classée selon cinq stades de A (éveil)

49
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

à E (sommeil profond), le stade C marquant depuis la somnolence jusqu'au début du sommeil


le  véritable endormissement. À cette époque, caractérisé :
le sommeil paradoxal, qui deviendra plus tard le • l'alpha postérieur à prédominance occipitale
sommeil REM, n'avait pas encore été identifié. marque un stade de veille calme et correspond
Ces données ont été réintroduites récemment au stade A1 ;
pour développer un modèle de régulation de la • après plusieurs minutes de veille calme, on
vigilance applicable dans des conditions nor- observe une antériorisation croissante de la
males et pathologiques [10]. Si le sommeil et son puissance de l'alpha. La fréquence de l'alpha
homéostasie ont été largement étudiés, la régu- montre une lente décroissance ; ceci correspond
lation de la vigilance ainsi que la flexibilité de aux stades A2 et A3 ;
son adaptation aux besoins internes et environ- • durant la décroissance de la vigilance, le rythme
nementaux, beaucoup moins connue, est d'une alpha disparaît et la puissance bêta augmente
importance tout aussi fondamentale. En effet, le progressivement. Ce pattern EEG correspond
niveau de vigilance du sujet doit être perpétuelle- au stade B1. Il ressemble à un EEG durant une
ment adapté à la situation environnementale : ceci activité mentale intense avec yeux ouverts ;
permet d'assurer un degré de vigilance élevé dans • l'augmentation des activités thêta et delta est
les situations de danger potentiel et une réduction observée parallèlement à l'accroissement du
du niveau de vigilance durant les temps de repos sentiment de somnolence et correspond aux
et de distraction. De plus, l'environnement créé de stades B2 et B3 ; les stades B de vigilance sont
manière active par un sujet dépend également de les équivalents du stade NREM1 de sommeil ;
sa régulation de la vigilance. • la survenue de complexes K et de fuseaux de
Le modèle EEG de régulation de la vigilance sommeil marque le début du sommeil et cor-
peut donc être vu comme une extension du modèle respond au stade C ; c'est donc l'équivalent du
des stades de sommeil décrits par Rechtschaffen stade NREM2 de sommeil.
et Kales et repris par l'A ASM (cf. chapitre 6), mais Ces stades électroencéphalographiques sont
se focalisant sur la transition de la veille calme au corrélés au fonctionnement du système végétatif,
début du sommeil, à travers les différentes phases puisque la fréquence cardiaque moyenne dimi-
de somnolence. Elle constitue en quelque sorte un nue significativement des stades A1 aux stades
reflet du processus d'endormissement. B2/3  [10]. Ceci met en avant l'implication des pro-
Les stades décrits par Loomis, fondés sur les cessus végétatifs de régulation homéostatique par
phénomènes EEG survenant yeux fermés, ont été les systèmes sympathique et parasympathique.
repris dans les années 1960 pour développer un Ces stades de vigilance peuvent être mis en regard
modèle d'EEG de vigilance [11], puis déterminés avec des expériences de la vie quotidienne. Ainsi,
grâce à un algorithme calculé par ordinateur  [12]. chez le sujet sain, après une journée fatigante, la
Cet algorithme validé repose sur une transfor- régulation de la vigilance retrouvée à l'EEG va deve-
mée de Fourier rapide sur la puissance des quatre nir instable et montrer davantage de bas niveaux de
bandes fréquentielles principales (alpha, bêta, vigilance. Cette signature EEG est souvent associée
thêta, delta) à partir de segments EEG conti- à l'expérience de fatigue et de somnolence.
nus d'une durée de 2 secondes, issus de régions Cet algorithme a donc une applicabilité pra-
d'intérêt (localisation de sources corticales par tique. Il a par exemple servi à établir que, chez
LORETA, Low Resolution Tomography). Il s'agit de le sujet sain, un bas niveau de vigilance à l'EEG
l'algorithme VIGALL (pour Vigilance Algorithm (stade B), impacte significativement le temps de
Leipzig). Ainsi, pendant la transition de la veille réaction pendant une tâche cognitive classique [13].
active au sommeil profond, le cerveau traverse Ceci semble expliquer les variabilités intra-indi-
différents états, reflétés par la composition spec- viduelles étonnantes qu'on peut trouver lors de
trale et la topographie de l'EEG, appelés stades de la réalisation d'une telle tâche. S'il est reconnu
vigilance. Au niveau comportemental, ces stades qu'une altération même légère de la vigilance
correspondent à différents niveaux d'alerte. Plu- impacte les performances, l'algorithme VIGALL
sieurs stades peuvent ainsi être séparés durant la offre la possibilité de la prédire, grâce à des carac-
transition d'une veille active à une veille calme, et téristiques EEG relativement aisées à obtenir.

50
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

Cet algorithme VIGALL vient également com- général la fenêtre d'enregistrement et de présen-
pléter la classification consensuelle du sommeil. Il tation est au maximum de l'ordre de la seconde,
est possible d'établir une certaine corrélation entre il ne ressemble en rien au signal de l'EEG cou-
les stades de vigilance VIGALL et les stades de rant, présenté en quelque 20 ou 30 secondes. Il
sommeil selon Rechtschaffen et Kales et l'AASM : s'agit d'une succession d'ondes plus ou moins
si le stade A recouvre les différentes formes d'éveil, sinusoïdales formées de composantes positives
le stade B correspond au stade NREM1, et le stade (orientées par convention vers le bas) ou néga-
C au stade NREM2. Cependant, les stades de som- tives (orientées par convention vers le haut) et
meil sont scorés à partir de l'analyse visuelle d'une dont le maximum est à une latence déterminée à
époque EEG d'une durée de 30 secondes et le stade partir du stimulus.
de chaque époque est déterminé par la fréquence On distingue par comparaison avec les poten-
qui y est la plus représentée. La discrétisation des tiels évoqués sensorimoteurs les potentiels évo-
données y est donc importante. Au contraire, l'al- qués perceptifs (environ de 80 à 150 ms) et les
gorithme VIGALL, par l'étude de très courts seg- potentiels à proprement parler cognitifs. Le plus
ments EEG, est à même de fournir une résolution souvent en 1 seconde on met en évidence deux
temporelle beaucoup plus élevée et donc de sou- ou trois ondes négatives et positives, ce qui fait
ligner les variations rapides dans la dynamique une fréquence de l'ordre de 0,3 Hz. Ceci a pour
même de l'activité cérébrale (figures 3.9 et 3.10). conséquence qu'on pourra garder la fréquence
d'échantillonnage de l'EEG — contrairement aux
Analyse des potentiels évoqués potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral qui
sont d'une fréquence de l'ordre de 10 000 Hz — ;
Signal de potentiel évoqué d'autre part, il sera possible de filtrer des fré-
Le signal de potentiel évoqué (PE) est assez dif- quences supérieures à 20 Hz sans dommage pour
férent du signal de l'EEG courant. Comme en le signal.

Veille F3
Rythme alpha
A1 Prédominance occipitale
O1

Stade EEG Rythme alpha


F3
A2
A Antériorisation
O1

F3
EEG Vigilance

Rythme alpha
A3 Prédominance antérieure
O1

F3
EEG désynchronisé
B1 Faible amplitude (rythme bêta)
Stade EEG O1

B F3
Activités lentes
B2/3 Thêta, delta
O1

Stade EEG Complexes K


F3
Sommeil C et/ou fuseaux du sommeil
O1

Figure 3.9. Stades EEG de vigilance, selon l'algorithme VIGALL.


(D'après Arns et al. In : Coben et Evans (éd.). Neuromodulation and neurofeedback : Techniques and applications.
London : Elsevier ; 2011, p. 79–123.)

51
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

A1
A2
A3

B1
A B2/3

A1
A2
A3

B1
B B2/3
Figure 3.10. Regroupement des données issues de l'algorithme VIGALL permettant de réaliser des
vigigrammes.

Analyse des PEC, principes essais (figure  3.11A). D'autres effets de distor-
généraux et difficultés sion peuvent être associés, notamment par l'in-
fluence de l'environnement technique (effet jitter
Comme dans le vigigramme et l'hypnogramme, ­entraînant un décalage temporel par écrêtement
une quantification est possible (et même néces- des tracés, d'origine aléatoire ou systématique). Le
saire) dans l'analyse et l'interprétation des PE. rétromoyennage des ERP à latence tardive demeure
Mais cette quantification se fait de manière très particulièrement exposé à ce risque de distorsion.
informée sur les distorsions et modifications que Il en est de même avec la procédure de grand
subit le signal de PEC d'un sujet à l'autre et même moyennage. La figure 3.11B illustre comment un
parfois chez un même sujet. Quelques principes grand moyennage, réalisé à partir d'ERP de par-
généraux sont à connaître avant d'aborder le para- ticipants d'un même groupe repose en réalité sur
graphe consacré à la quantification. une grande variété de tracés peu homogènes. Ce
Un potentiel évoqué est, par conséquence obli- manque d'homogénéité est d'autant plus mar-
gatoire de son mode d'acquisition, une moyenne qué que l'ERP est tardif, et ce pour des raisons
de réponses déclenchées par un stimulus répété. anatomiques, physiologiques ou cognitives [14].
Cette moyenne masque toutes les variations Il en est de même de l'influence des traitements
propres à la réponse cérébrale au stimulus lors psychotropes ou ayant un effet sur le système
de chaque essai. Il n'y a aucune raison en effet nerveux.
que cette réponse soit strictement la même pour Il existe un premier type de distorsion, résul-
chaque stimulus, puisque rien n'indique que tant de l'amalgame entre le pic apparent d'un tracé
celui-ci va être reçu par des réseaux de neurones ERP (waveform peak) et la composante ERP sous-
dans un état constant. Ainsi, la règle « toutes jacente (latent ERP component) [15] (figure  3.12).
choses égales par ailleurs » qu'on aurait envie Le pic apparent d'un tracé est représenté par des
d'appliquer lors de stimulations successives déflexions de voltage, mais un même pic apparent
comme si le cerveau réagissait comme un auto- peut dépendre de plusieurs composantes sous-
mate programmable, n'est qu'un leurre dans le cas jacentes différentes. Il est très difficile de décrire
des potentiels évoqués cognitifs. De plus, d'autres directement ces composantes et les analyses sta-
facteurs peuvent moduler l'activité neurale enre- tistiques ne sont réalisées qu'à partir des seuls
gistrée lors de l'EEG, hors de toute considération pics apparents. Le tracé obtenu (pic apparent)
d'ERP : les niveaux de vigilance et de motiva- n'est qu'une construction indirecte et n'équivaut
tion mais aussi le rythme circadien ou encore le pas au déroulé temporel des processus cogni-
délai après le dernier repas et l'enregistrement tifs supposés (composantes latentes) : « Les pics
EEG [3]. Ainsi, la latence d'un ERP peut être modi- et les composantes ne représentent pas la même
fiée par moyennage des latences de chacun des chose. Il n'y a rien de spécial au pic maximal de

52
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

Essai 2
Essai 1 Essai 3
Potentiel moyen obtenu

Σ
A
P2 P2

Grand
Moyennage HC5
obtenu

Sujet 1 HC6

Sujet 2 HC7

Sujet 3 HC8

+5µV

Sujet 4 HC9
200 400 600 800
–5µV
B
Figure 3.11. Difficultés d'interprétation des PEC : variation de la réponse cérébrale au stimulus.
A. Variabilité en fréquence lors de l'enregistrement de plusieurs potentiels successifs (effet jitter). B. Variabilité
intersujets lors de la procédure de grand moyennage.

Figure 3.12. Difficultés d'interprétation des PEC : PEC apparent.


Le tracé A représente un tracé PEC obtenu lors d'un enregistrement PEC, mais ne permet pas la description directe
et immédiate des composantes sous-jacentes qui le constituent (B ou C), entraînant théoriquement un même tracé
apparent A. (D'après Luck, 2005.)

53
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

la déflexion électrique. [15] » Ce point est essentiel la forme que l'EEG continu. Un PEC donné pos-
à comprendre si on ne veut pas faire une surinter- sède une morphologie archétypale, classique qui
prétation des résultats. Cependant, les méthodes est relativement souvent retrouvée. Cependant,
de localisation de sources permettent une explo- pour les multiples raisons évoquées plus haut,
ration indirecte de ces composantes latentes. Mais auxquelles il faut rajouter les différences ana-
ces méthodes imposent la réalisation d'un EEG à tomo-fonctionnelles individuelles, de très nom-
partir de nombreuses électrodes, peu compatible breux tracés constituent une variation plus ou
avec une pratique clinique. moins éloignée de cette morphologie archétypale.
De plus, trois types d'effets peuvent être théori- Avant de placer les marqueurs, on doit d'abord se
quement retrouvés lorsqu'un type de stimulus est demander si l'examen est contributif (avec trop
répété autant de fois qui sont ainsi, comme on vient d'artefacts, rapport signal/bruit mauvais) puis si
de le voir, susceptibles de modifier le tracé ERP : la trace reproduit (en gros) la forme archétypale
• un effet d'apprentissage avec une amélioration avec les maximums attendus, dans des latences
des performances au fur et à mesure que la correctes. Si ce n'est pas le cas et si la morpho-
tâche demandée se répète lors de l'enregistre- logie du potentiel est une variation éloignée de
ment ; cette morphologie archétypale (par exemple avec
• un effet d'atténuation correspondant à un des pics bifides, ou avec des é­ paulements), le plus
processus actif des réseaux neuronaux en pré- efficace est de « lisser » ­m entalement la trace
sence d'un stimulus identique : le gating de la pour faire ressortir cette morphologie arché-
P50 et du complexe N1-P2 est typiquement un typale et placer les marqueurs sur les points
exemple, mais on retrouve également cet effet significatifs ainsi extrapolés. C'est dire s'il faut
dans l'acquisition des P300 ; une longue habitude des potentiels évoqués
• un effet de fatigue qui consiste en une dimi- pour, dans les cas difficiles, être en mesure de
nution des performances des sujets au fur et à trancher.
mesure de l'évaluation. Dans le cas d'un usage diagnostique des PEC,
Un point crucial concerne les trois effets : on il est absolument indispensable de disposer
ne peut écarter en toute rigueur l'hypothèse d'ef- avant toute chose d'une population contrôle. Il
fets différents selon les groupes de participants. ne faut pas utiliser les valeurs de la littérature,
On pourrait imaginer ainsi que pour une même sinon à titre de comparaison, car les procédures
épreuve, des participants contrôles bénéficient d'un d'acquisition et de traitement, les choix des diffé-
effet d'apprentissage, alors que des participants rents algorithmes dépendent du constructeur de
patients présentent au contraire un effet de fatigue. l'appareillage. Nous défendons la règle « un type
Si l'acquisition des PEC en essai unique semble être d'appareillage, une population témoin, une même
une possibilité réglant ces trois difficultés, elle n'est procédure de traitement ». Dans le cas d'études
que marginale et nécessite des moyens techniques multicentriques, il faut s'assurer que les membres
de laboratoire et non de service clinique, en l'état de l'étude ont les mêmes systèmes d'acquisition,
actuel des moyens mis en œuvre. Afin de limiter les mêmes programmes et les mêmes procédures
ces effets, on peut limiter le nombre d'essais pris en de stimulation et de traitement si on veut avoir la
compte lors du m ­ oyennage ou du rétromoyennage. possibilité de comparer les résultats avec un mini-
Le nombre d'essais est alors déterminé avant dégra- mum de rigueur.
dation visuelle des tracés ; mais, dans ce cas, on reste
toujours un peu « juste » en rapport signal/bruit.
Une fois ces différentes limites connues et inté-
Présentation des données et ligne
grées dans la compréhension et l'interprétation de base
des traces, et avant de positionner les marqueurs La présentation des données (nombre de traces,
permettant la quantification, se pose le problème amplitude des potentiels) reste une affaire d'habi-
de la définition de ce qui est un signal pertinent ou tude personnelle. Il est indifférent de présenter le
significatif ou de ce qui ne l'est pas. Contrairement potentiel avec une amplitude (dimension verti-
à ce qu'on pourrait penser à cause de la nécessité cale) grande ou faible. Cela dépend de l'opérateur :
de quantifier les paramètres des PEC, leur inter- si une faible amplitude tend à donner l'impression
prétation nécessite une aussi grande attention à d'un lissage de la trace, avec moins de bruit, à

54
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

filtre identique, une plus grande amplitude met tion de cette ligne de base, on peut commencer les
plus en évidence le bruit et les épaulements. autres phases du traitement.
Les logiciels de traitement de potentiels évoqués
permettent de disposer de marqueurs variables
selon la dimension x ou y de la trace. On peut Filtrage des traces ERP
­également faire des opérations de soustraction ou D'une manière générale deux principes pratiques
d'addition avec ces marqueurs. Il existe en général la sont suggérés :
possibilité de les définir pour chaque type d'analyse. • l'acquisition ou la visualisation de la trace
Un moment important dans l'analyse des PEC moyennée des PEC se fait en l'absence de filtrage,
est la qualification de la ligne de base. Il s'agit de afin de détecter quelle est la nature du bruit qui
déterminer le zéro électrique à partir duquel on va vient contaminer le signal (différencier de l'al-
mesurer le voltage positif ou négatif des diverses pha, des rythmes rapides, ou bien du 50 Hz) ;
composantes. Les appareillages proposent en géné- • pour des séries de patients ou des comparai-
ral cette fonction sous la forme d'une ligne horizon- sons entre un patient et des valeurs contrôles,
tale sur laquelle on vient faire coïncider le tracé du il faut s'assurer que le filtrage est de la même
potentiel. D'une manière générale, on positionne la valeur ; il faut donc, dans le cas d'une activité
ligne de base à mi-bruit, sauf si le tracé comprend diagnostique, protocoliser le filtrage et choisir
une déviation de la ligne de base (figure  3.13A). des filtres qui seront adaptés à tous les poten-
Pour les ERP obtenus par rétromoyennage, la ligne tiels enregistrés.
de base est définie sur la fenêtre temporelle (en Un filtre passe-bas (qui limite la prise en compte
général 100 à 200 ms) qui précède le marqueur de des hautes fréquences du signal) est nécessaire au
stimulation (figure 3.13B). Seulement après défini- « lissage » du tracé, améliore le rapport signal sur

Stimulus Stimulus

Frequent

Cz-A1A2(C2–1) F2-AF
Rare

Ligne de base Valeurs nulles du potentiel


Valeurs nulles du potentiel
Fenêtre de calcul de la ligne de base
A B

Amplitudes de
culmination
Culmination Latences de
Stimulus culmination

N100
N200
Frequent # 1 Cz-A1A2 N100 119.14m –8.84u
N100
Cz-A1A2(C2–1) N200 Cz-A1A2 N200 230.47m –1.75u
Rare # 2 Cz-A1A2 N100 119.14m –12.1u
Cz-A1A2 N200 226.56m –5.15u
P3A P3B Cz-A1A2 P3A 308.59m 12.0u
Cz-A1A2 P3B 371.09m 10.0u

Aire sous courbe


C Latence

Figure 3.13. Ligne de base. Traitement et présentation d'un potentiel évoqué.


A. Réalisation de la ligne de base sur un potentiel obtenu par moyennage direct. B. Réalisation de la ligne de base sur un
potentiel obtenu par rétromoyennage. C. Marqueurs placés sur la culmination des potentiels, permettant de calculer la
latence, l'intensité et l'aire du potentiel obtenu.

55
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

bruit (en diminuant notamment l'influence du L'usage d'un filtre passe-haut permet à l'inverse de
rythme alpha) et facilite la mesure des variables limiter l'influence des fréquences les plus basses du
d'amplitude et de latence. Cette facilitation signal EEG. Ce type de filtre réduit les phénomènes
concerne tout autant les ERP obtenus pour un de dérives lentes dues au matériel d'enregistrement
même participant (rétromoyennage) que les ERP et à l'environnement électromagnétique de la salle
obtenus pour un même groupe de participants d'exploration. Il limite aussi l'influence des poten-
(grand moyennage). Le filtre passe-bas doit être tiels corticaux lents (SCP, Slow Cortical Potentials)
adapté à la fréquence que représente un potentiel. qui pourraient impliquer une influence gliale. Un
Un P300 dure 300 ms, sa fréquence est d'environ filtre passe-haut trop marqué modifie la morpho-
3 Hz. Un filtre passe-bas à 20 Hz aura peu d'effet. logie générale du tracé ERP, notamment dans ses
En revanche, dans un potentiel évoqué auditif du composantes les plus tardives. Si une telle modifica-
tronc cérébral chaque potentiel apparaît toutes les tion n'a que très peu d'influence sur la latence d'un
millisecondes. Leur fréquence est donc de 10 000 pic précoce, elle peut en revanche décaler la latence
Hz. Si l'on met un filtre passe-bas à 30 Hz, le d'un pic tardif (comme les composantes N400 ou
potentiel aura disparu. Il en est de même pour le P600/LPC) de façon significative (figure 3.14).
filtre passe-haut. Si les études neuroscientifiques
en population contrôle utilisent un filtre passe-
bas moins radical, la plupart des travaux réalisés
Choix des variables d'analyse
auprès de patients utilisent pour les potentiels des potentiels évoqués
cognitifs un filtre passe-bas assez marqué allant Les variables analysées dans les ERP (que ce soient
de 8,5 Hz à 12 Hz. Cependant, un filtre passe-bas les négativités ou les positivités) les décrivent
trop marqué peut entraîner une distorsion non classiquement en termes d'aire, d'amplitude et
négligeable des amplitudes et des latences des dif- de latence (figure  3.13C). Plusieurs approches
férents potentiels (figure 3.14). méthodologiques permettent cette analyse.

Figure 3.14. Effet des différentes valeurs de filtres passe-bas (à gauche) et passe-haut (à droite)
sur le signal d'un potentiel évoqué de type P300.

56
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

Calcul de la latence le plus représentatif de l'énergie électrique sous-


En clinique, la première variable mesurée est la jacente mise en jeu dans les neurones concernés
latence du pic. La latence du potentiel est en fait la et dans un temps donné après le stimulus. De
latence de culmination de l'onde positive ou néga- plus, elle permet de réduire l'influence conjuguée
tive par rapport à la ligne de base. Cette variable de superpositions de composantes (par exemple,
est moins influencée par la ligne de base du signal P300 puis N400), de distorsions de moyennage
EEG et par la méthode de mesure employée que et d'optimiser le rapport « signal/bruit » [15]. Cette
l'aire et l'amplitude. Elle reste néanmoins sensible méthode d'analyse est assez lourde à mettre en
au filtre appliqué aux données brutes. De plus, œuvre, met moins l'accent sur l'étude de la latence
il n'est pas rare que le potentiel présente deux et reste peu utilisée dès lors qu'on réalise les poten-
culminations de même hauteur : le choix est alors tiels évoqués en routine diagnostique, comme
d'en préférer une ou d'interpoler visuellement la c'est le cas avec les PE visuels, somesthésiques ou
position de culmination. autres. Elle est plutôt réservée à des travaux neuro­
La latence d'une composante ERP est une don- scientifiques plus fondamentaux.
née construite à partir des différentes étapes du Une seconde approche, réalisant un compromis
moyennage des données (intra- et inter-sujets). intéressant entre facilité d'analyse et validité de la
Comme nous l'avons noté plus haut, la latence mesure, consiste à prendre en compte l'aire d'une
d'un tracé ERP apparent ne correspond pas néces- composante ERP sans réaliser d'analyse prélimi-
sairement à la latence des composantes sous- naire (sans courtes fenêtres temporelles prélimi-
jacentes. naires). Le choix des bornes temporelles repose
dans ce cas sur une simple inspection visuelle des
Calcul de l'amplitude tracés ou sur les données de la littérature. Dans ce
cas, les éléments déterminants de la mesure sont
Une fois la ligne de base réalisée (et seulement
la qualité de la ligne de base et la pertinence des
après cela), il est possible à partir du zéro élec-
points d'intersection du potentiel avec celle-ci. Il
trique de déterminer l'amplitude (en microvolts).
s'agit là de la classique « aire sous courbe » utilisée
Quand le sommet du potentiel est bien visible et
dans un très grand nombre de dosages biologiques.
unique, l'amplitude est facile à calculer. Quand
On peut moyenner ensuite ces aires sous courbe
il existe deux composantes ou alors une compo-
dans les études de groupe. Cette méthode permet
sante et du bruit surajouté, il est le plus souvent
de rendre compte de la variabilité individuelle du
préférable de prendre l'amplitude maximale. Mais
début et de la fin des potentiels évoqués sans avoir
c'est aussi dans ce cas une affaire d'interprétation.
le caractère ad hoc des fenêtres temporelles choi-
L'amplitude peut être calculée en fait soit par rap-
sies indépendamment de la morphologie indivi-
port à la ligne de base, soit par comparaison avec
duelle de chaque potentiel. Cette approche, très
un autre pic de référence (comme dans le cas du
gestaltiste, n'est pas forcément moins rigoureuse.
gating de la P50), en général de polarité inverse
Moins objective, elle nous semble cependant plus
(figure 3.13C).
exacte dans la mesure où c'est l'œil expert et non la
machine qui borne les limites du potentiel.
Calcul de l'aire
Soulignons enfin l'importance des trois gui-
Un premier type d'approche consiste à calculer delines récents sur l'exploration des ERP et de la
l'aire d'une composante, sur la base d'une fenêtre N400 dans le champ de la psychiatrie, qui per-
temporelle (par exemple, entre 200 et 300 ms pour mettent ainsi d'esquisser une méthodologie plus
la P300). Le choix de la fenêtre temporelle est éta- homogène, plus fiable et reproductible [14, 16].
bli à partir de l'analyse préliminaire de courtes
fenêtres temporelles (de 50 ou de 100 ms). Ce
sont les aires de ces fenêtres temporelles de base
Analyse spectrale de l'EEG
(comme des bandes verticales découpant le signal) L'analyse spectrale (ou fréquentielle) de l'EEG (ou
qui, dans des études de groupe, sont regroupées et EEG quantifié : qEEG) est à la fois une méthode
fusionnées entre elles à chaque fois que les effets très intéressante de traitement du signal et un
observés sont similaires (significatifs ou non piège : intéressante parce qu'elle permet à la fois la
significatifs). L'aire ainsi calculée est le paramètre quantification et, à partir de celle-ci, ­l'obtention

57
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

de cartographies et de profils par exemple de Le signal EEG : une fonction


vigilance ; un piège parce qu'on peut vouloir s'en périodique
servir partout en clinique et, donc, d'une certaine
manière dépasser les quelques applications vérita- D'une manière générale, le signal EEG peut être
blement utiles. modélisé sous la forme d'une fonction périodique
La validité du qEEG dans le diagnostic et le
[3, 21]
à partir de certaines assertions. En réalité, le
pronostic des pathologies psychiatriques reste signal EEG n'est pas vraiment périodique. Il obéit
non démontrée [17], malgré le très grand nombre plutôt à des équations de type chaotique [22], c'est-
d'études conduites à ce jour, et même si d'aucuns à-dire relevant des mathématiques du chaos [23].
gardent l'espoir d'une utilité diagnostique du Cependant, les principales méthodes d'analyse
qEEG. On a d'ailleurs du mal à saisir comment de l'électroencéphalogramme se fondent sur trois
un ou deux rapports de rythmes (thêta/alpha, hypothèses acceptables quant à ce signal et qui ne
bêta/alpha) pourraient, compte tenu, d'une part tiennent pas compte de la structure chaotique de
de la versatilité de l'EEG dans le temps même de ce signal. Il s'agit de :
l'enregistrement et, d'autre part, de la variété des • son caractère sinusoïdal ;
situations cliniques, être spécifiques voire même • son caractère stationnaire pendant le temps de
sensibles. À notre sens, l'analyse fréquentielle de l'analyse ;
l'EEG possède actuellement en clinique psychia- • sa linéarité (c'est-à-dire sa description possible
trique trois applications : sous la forme d'équations différentielles).
• l'analyse spectrale de l'EEG au début du neuro­ Il est donc nécessaire, pour aborder les princi-
feedback (cf. chapitre 9), afin de définir un pales méthodes de quantification du signal EEG,
profil personnalisé (taux d'alpha sur thêta, par de posséder quelques notions de base sur les fonc-
exemple) pour adapter la meilleure méthode tions périodiques.
de neurofeedback ou pour suivre l'évolution Les fonctions périodiques décrivent des oscilla-
du patient sous cette thérapeutique. Notons tions. Une oscillation est un mouvement de va-et-
également qu'une grande partie des protocoles vient autour de sa position d'équilibre comme, par
de neurofeedback reposent sur une analyse exemple, une vibration. Un mouvement vibratoire
fréquentielle continue de l'EEG décrivant les sans amortissement, un son continu par exemple,
rapports des différents rythmes EEG entre eux. est décrit par son amplitude (élongation) et sa pul-
Cet aspect de l'analyse fréquentielle de l'EEG ne sation (équation 1).
concerne pas le diagnostic, mais la génération Les fonctions sinus et cosinus sont des fonctions
du stimulus cible que le patient doit modifier ou périodiques. La présence d'un cosinus ou d'un sinus
le suivi et l'adaptation thérapeutique du neuro- indique que la fonction sinusoïde est une fonction
feedback (cf. chapitre 9) ; trigonométrique. Dès lors, elle peut se décrire sous
• la stadification des états de vigilance décrite la forme d'un vecteur tournant dans le cercle trigo-
plus haut : cette application n'a pas reçu le déve- nométrique et dont les projections se font sur l'axe
loppement clinique qu'elle devrait avoir, proba- des x (cosinus) et des y (sinus) (figure 3.15). La fonc-
blement en partie à cause du fait que l'on a trop tion périodique est la représentation dans le temps
l'habitude de dissocier l'EEG courant et l'EEG de la projection de ce vecteur sur l'axe des x ou l'axe
de sommeil et de les localiser dans des services des y. On notera que, quand le vecteur est confondu
différents ; avec l'axe des x, son amplitude sur l'axe des y est
• la mise en évidence de zones cérébrales atteintes, nulle ; inversement, s'il est confondu avec l'axe des
soit dans les traumatismes crâniens [18] soit dans y, son amplitude sur l'axe des x est nulle. Il y a donc
les démences [19], en particulier pendant la SLI ; entre ce qui est observé sur chacun des deux axes
dans ce cas, il s'agit d'une aide assez marginale un décalage : ce décalage est appelé déphasage (ou
cependant. différence de phase, φ) et il est exprimé sous la
En revanche, en recherche, l'analyse spectrale forme d'un angle. Dans le cas particulier du dépha-
de l'EEG est très utile et d'utilisation courante, sage entre sinus et cosinus, sa valeur est de 90°.
dans les études de groupes notamment. Signa- Quand on a deux fonctions sinusoïdes, obser-
lons également un intérêt particulier en psycho­ vées par exemple sur l'axe des x (cosinus), la
pharmacologie [20]. seconde peut être décalée dans le temps par

58
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

Figure 3.15. Obtention des fonctions sinusoïdes sinus et cosinus à partir de la rotation d'un
vecteur dans le cercle trigonométrique.
Les fonctions sinus et cosinus correspondent à un déphasage de 90°, ou quadrature.

r­ apport à la première (équation 2). La phase cor- Analyse de Fourier des fonctions
respond à l'angle de décalage entre les deux, sur le périodiques
cercle trigonométrique.
L'interférence de diverses fonctions sinusoï- Joseph Fourier a démontré qu'une fonction pério-
dales constitue un interférogramme (figure 3.16). dique quelconque peut être considérée comme la
somme d'une infinité de fonctions sinusoïdes. Si plu-
sieurs oscillations se superposent, l'oscillation résul-
Équation 1 tante est une addition des oscillations (figure 3.16).
La décomposition d'une série de fonctions
Équation d'un mouvement vibratoire : à chaque
périodiques en une somme d'une infinité de fonc-
instant la position X de l'objet en vibration est, en
fonction du temps :
tions harmoniques constitue l'analyse de Fourier
• sur l'axe des cosinus, X = X0 · cos ωt (ou analyse harmonique, ou transformée de Fou-
• sur l'axe des sinus, X = X0 · sin ωt + φ rier). La décomposition de Fourier permet d'obte-
Avec : X, élongation ; X0, élongation maximale ; ω, nir un graphe donnant les valeurs des amplitudes
pulsation ; t, temps ; φ, la phase (déphasage). en fonction des fréquences correspondantes
Équation 2
(figure 3.16B). Ce graphe est appelé spectre.
L'analyse spectrale est donc l'analyse qui permet
Équation du mouvement vibratoire d'un second la décomposition d'une fonction périodique quel-
objet en vibration identique mais présentant un
conque en ses fonctions sinusoïdes constituantes
retard à l'origine (déphasage) (cf. figure  3.2) de
ou la transformation d'un interférogramme en un
valeur φ est :
spectre de fréquences.
• X = X0 · cos (ωt + φ), où φ est la phase de la
sinusoïde. La théorie de l'analyse d'un signal complexe,
somme de sinusoïdes simples de fréquence et

59
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

Figure 3.16. Interférogramme et spectre.


A. Interférogramme (interaction des fréquences) obtenu avec deux sons. B. Transformée de Fourier de deux fréquences
sonores et de l'interférogramme. La transformée de Fourier fait passer d'un espace intensité/temps à un espace intensité/
fréquences.

­ 'amplitude différentes et présentant un déphasage


d Analyse des fréquences :
les unes par rapport aux autres, a donc été éta- analyse spectrale de l'EEG
blie par Joseph Fourier qui a décrit les équations
qui permettent sa décomposition en fréquences
et cartographies EEG
simples. Cette décomposition est la transformée L'analyse par décomposition spectrale d'un tracé
de Fourier. La transformée de Fourier fait passer EEG (quelques dizaines de secondes) s'effectue par
de manière réversible du domaine des temps (dans le calcul successif de spectres sur 2 à 5 secondes
lequel on dispose de l'amplitude du signal en fonc- (les époques) puis par moyennage de ces spectres
tion du temps) à celui des fréquences (dans lequel (figure  3.17). Il est préférable alors d'utiliser un
l'amplitude du signal est donnée en fonction des fré- montage référentiel avec une référence commune
quences) (figure 3.16B). La transformée de Fourier inactive et non un montage bipolaire. Le résultat
rapide (FFT) est l'algorithme qui permet de réduire est donné en puissance spectrale (pour chaque
le temps de calcul de la transformée de Fourier. fréquence) en μV2/Hz.

60
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

Époques
(2 s sans artefact)

TRANSFORMÉE DE FOURIER Neurofeedback

Carte des spectres

δ θ β

O2-AVG
Carte des fréquences

Pic de la puissance spectrale (en V2)


de l’alpha sous l’électrode
Figure 3.17. Analyse spectrale de l'EEG.
À partir de l'EEG, sous chaque dérivation (ou sous chaque électrode par rapport à une référence), on définit des époques
(des moments) de tracés sans artefact et on réalise la transformée de Fourier sur la somme de ces époques.

Il existe deux manières de présenter l'EEG ainsi De plus, seule l'analyse soigneuse des tracés les
analysé par décomposition de Fourier : ayant générées permet d'éliminer des artefacts ou
• soit par la présentation des spectres de l'activité des erreurs qui n'apparaissent pas sur les cartogra-
présente sous chaque électrode (figure 3.18A) ; phies de puissance spectrale et qui peuvent conduire
• soit par une cartographie de la puissance spec- à des erreurs diagnostiques. On voit que l'analyse
trale pour une fréquence ou une bande de fré- spectrale, désormais de réalisation facile grâce aux
quences données (alpha, delta…) sous chaque ordinateurs actuels, demande de nombreuses pré-
électrode (figure 3.18B). cautions d'interprétation et ne peut que venir en
Si les deux modes de présentation sont liés, ils complément d'une analyse visuelle du tracé source.
ne signifient pas la même chose. Les cartogra- Si l'analyse spectrale de l'EEG constitue un puissant
phies, comme nous l'avons mentionné dans l'in- outil, en particulier en pharmacologie, elle ne peut
troduction, ne peuvent être interprétées qu'après cependant pas remplacer l'analyse visuelle, notam-
analyse de la carte des spectres, puisque c'est cette ment parce qu'elle ne donne pas de vision dynamique
carte qui contient l'information fréquentielle et de l'activité cérébrale, en raison de son hypothèse de
spectrale proprement dite. stationnarité et des modalités de sa réalisation.

61
Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

Figure 3.18. Cartographie de l'EEG par analyse spectrale.


A et B. Après analyse spectrale, on peut réaliser une carte des spectres sous chaque électrode (A) ou une carte
de chaque bande de fréquences contenue dans le spectre (B). C. Analyse spectrale d'un EEG d'un patient avec
dégénérescence corticobasale (unilatérale au début par définition). On voit à droite la présence des fréquences delta,
absentes à droite. D. L'hyperpnée augmente la quantité d'activité delta dans la même zone.

Références [7] Boutros N, Galderisi S, Pogarell O, et  al. Standard


electroencephalography in clinical psychiatry : a prac-
[1] Niedermeyer E, Lopes da Silva FH. Electroence- tical handbook. Chichester, West Sussex ; Hoboken,
phalography, basic principles, clinical applications, and NJ : Wiley-Blackwell ; 2011.
related fields. Baltimore : Urban & Schwarzenberg ; 1982. [8] Loomis A, Harvey E, Hobart G. Electrical potentials
[2] Deuschl G, Eisen A. Guide pratique de neurophysio- of the human brain. Journal of Experimental
logie clinique : Recommandations de la Fédération Psychology 1936 ; 19 : 249–79.
internationale de neurophysiologie clinique. Paris :
Elsevier ; 2002. [9] Davis H, Davis PA, Loomis AL, et  al. Changes in
[3] Vion-Dury J, Blanquet F. Pratique de l'EEG. Paris : human brain potentials during the onset of sleep.
Masson ; 2008. Science 1937 ; 86 : 448–50.
[4] Mauguière F, Fischer C, André-Obadia N. Potentiels [10] Arns M, Gunkelman J, Olbrich S, et al. EEG vigilance
évoqués en neurologie : réponses pathologiques et and phenotypes in neuropsychiatry : Implications
indications. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris). for intervention. In : Coben R, Evans JR, editors.
Neurologie 2007 ; 4 : 1–29. Neurofeedback and neuromodulation techniques
[5] Mauguière F, Fischer C. Potentiels évoqués en neuro- and applications. London : Elsevier ; 2011. p. 79–123.
logie : réponses normales. Encycl Méd Chir (Elsevier, [11] Roth B. The clinical and theoretical importance of EEG
Paris). Neurologie 2007 ; 4 : 1–38. rhythms corresponding to states of lowered vigilance.
[6] Iyer D, Boutros NN, Zouridakis G. Single-trial ana- Electroencephalogr Clin Neurophysiol 1961 ; 13 : 395–9.
lysis of auditory evoked potentials improves separa- [12] Hegerl U, Stein M, Mulert C, et  al. EEG-­v igilance
tion of normal and schizophrenia subjects. Clin differences between patients with borderline
Neurophysiol 2012 ; 123 : 1810–20. personality disorder, patients with obsessive-­
­

62
Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

compulsive ­disorder and healthy controls. Eur Arch [18] Curallucci H, Tcherniack V, Vion-Dury J. Le trau-
Psychiatry Clin Neurosci 2008 ; 258 : 137–43. matisme crânien léger ou modéré : un handicap
[13] Minkwitz J, Trenner MU, Sander C, et al. P­ restimulus négligé. Marseille : Solal ; 2011.
vigilance predicts response speed in an easy visual [19] Vion-Dury J, Rochefort N, Michotey P, et al. Proton
discrimination task. Behav Brain Funct 2011 ; 7 : 31. magnetic resonance neurospectroscopy and EEG
[14] Duncan CC, Barry RJ, Connolly JF, et  al. Event-­ cartography in corticobasal degeneration : correla-
related potentials in clinical research : guidelines tions with neuropsychological signs. J Neurol Neu-
for eliciting, recording, and quantifying mismatch rosurg Psychiatry 2004 ; 75 : 1352–5.
negativity, P300, and N400. Clin Neurophysiol 2009 ; [20] Mucci A, Volpe U, Merlotti E, et al. Pharmaco-EEG
120 : 1883–908. in psychiatry. Clin EEG Neurosci 2006 ; 37 : 81–98.
[15] Luck SJ. An introduction to the event-related poten- [21] Vion-Dury J. Cours de résonance magnétique. Spec-
tial technique. Cambridge : MIT Press ; 2005. troscopie et imagerie  : de la structure magnétique de
[16] Luck SJ, Mathalon DH, O'Donnell BF, et al. A road- la matière à la physiologie. Paris : Ellipses ; 2002.
map for the development and validation of event- [22] Rey O. Itinéraire de l'égarement  : Du rôle de la
related potential biomarkers in schizophrenia science dans l'absurdité contemporaine. Paris : Seuil ;
research. Biol Psychiatry 2011 ; 70 : 28–34. 2003.
[17] Arns M, Gordon E. Quantitative EEG (QEEG) in [23] Lurçat F. Le chaos. Paris : Presses Universitaires de
psychiatry : Diagnostic or prognostic use ? Clin Neu- France ; 2002.
rophysiol 2014 ; .

63
Partie II

Neurophysiologie
diagnostique

Chapitre 4 Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie – Psychopharmacologie et EEG 67


Chapitre 5 Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques 85
Chapitre 6 Polysomnographie en psychiatrie 105
Introduction
Cette deuxième partie concernera la neurophy- En cela, ils rejoignent une conception qui com-
siologie diagnostique comme elle peut être utili- mence à apparaître sur la base de l'électrophysio-
sée en psychiatrie. logie et qui devrait permettre au moins de mieux
Tout d'abord, nous reviendrons dans le cha- caractériser les réponses cérébrales aux patholo-
pitre 4 sur l'utilité pratique de l'EEG en clinique gies et aux traitements. Là aussi, nous fonderons
psychiatrique. Notre propos sera très largement largement notre propos sur notre expérience
étayé par l'expérience acquise depuis sept années propre.
(ce qui correspond à quelque quatre mille exa- Enfin, le chapitre 6 traitera d'une application
mens) au sein de l'unité de neurophysiologie, psy- fondamentale de la neurophysiologie clinique :
chophysiologie et neurophénoménologie du pôle l'exploration du sommeil. La polysomnographie
universitaire de psychiatrie de Marseille. Nous et les différentes techniques d'exploration du
nous attacherons non pas à décrire des généralités sommeil ont une double importance en psychia-
dans ce domaine, mais au contraire à donner au trie : d'une part, elles permettent d'explorer des
clinicien des clés qui lui permettront d'utiliser au pathologies spécifiques du sommeil, fréquem-
mieux cet examen dans le contexte spécifique de ment comorbides, et les altérations du sommeil
la psychiatrie. intrinsèques à de nombreux troubles psychia-
Puis nous aborderons dans le chapitre 5 l'uti- triques et, d'autre part, elles mettent l'emphase sur
lisation des potentiels évoqués cognitifs. Cette l'importance de la régulation de la vigilance dans
méthode dérivée se situe (contrairement aux le fonctionnement global du cerveau. Autrement
potentiels sensorimoteurs qui sont du domaine dit, l'EEG courant de 20 minutes réalisé chez un
avéré de la pratique courante) aux confins de la sujet n'est que la partie émergée de processus très
recherche et déjà dans un début d'applications complexes dans lesquels il s'inscrit et qui relèvent
cliniques. Les potentiels évoqués cognitifs posent de la régulation de la vigilance et, par voie de
en effet des problèmes méthodologiques (stan- conséquence, de la qualité et/ou du contenu de
dardisation des procédures, complexité de mise la conscience1. C'est ainsi que le vigigramme
en œuvre) mais ils conduisent également à une (cf.  chapitre 3) comme la polysomnographie
nouvelle conception des potentiels évoqués sous nous semblent mériter une place de choix dans
la forme de profil neurocognitif, plutôt marqueur l'ensemble des méthodes de la neurophysiologie
d'état que de trait des pathologies psychiatriques. clinique diagnostique.

1
Balzani C. Conscience et vigilance : proposition
neurophysiologique pour une régulation conjointe et
ses dégradations pathologiques. Thèse de médecine.
Aix-Marseille Université, 2014.

66
Spécificités de l'EEG C hapitre
4
conventionnel en psychiatrie
Psychopharmacologie et EEG
C. Balzani1

Si l'EEG conventionnel a été historiquement utilisé pharmacologiques ; il n'est pas d'usage courant en
en psychiatrie au début de son développement (cf. pratique clinique quotidienne. Notre propos se
chapitre 1), il a connu ces dernières décennies un limitera donc aux modalités et aux spécificités de
certain désintérêt, attribuable en partie à l'appari- l'EEG standard.
tion et au développement de techniques d'imagerie
cérébrale anatomique et fonctionnelle génératrices
de résultats visuellement séduisants. Aujourd'hui, Spécificités de la réalisation
le recours à l'EEG semble encore assez limité en Nous avons vu précédemment le matériel néces-
pratique psychiatrique courante. Selon les études, saire pour la réalisation d'un EEG, puis le dérou-
seuls 3 à 25 % des patients admis en service psy- lement de l'examen proprement dit (cf. chapitres
chiatrique en bénéficieraient [1], alors que l'usage 2 et 3).
d'examens d'imagerie cérébrale, notamment La réalisation d'un EEG conventionnel ne diffère
tomodensitométrie et imagerie par résonance pas en milieu psychiatrique. Il peut y être effectué
magnétique, tend à se généraliser [2]. Pourtant, en ambulatoire. Néanmoins, il est important de tra-
l'EEG garde de nombreux avantages dans l'éva- vailler avec un personnel formé, c'est-à-dire avec
luation des patients souffrant de troubles psychia- des techniciens familiers de patients souffrant de
triques et s'avère même être le seul examen para- pathologies psychiatriques, afin de limiter au maxi-
clinique pertinent dans certaines situations. mum les artefacts que pourraient produire certains
troubles du comportement, potentiellement pré-
sents dans cette population de patients. Il est égale-
ment primordial que les patients soient informés, de
Modalités de l'EEG en pratique manière adaptée à leur niveau de compréhension,
clinique psychiatrique de l'indication et des modalités de réalisation de
l'examen. L'instauration d'un climat de confiance et
L'EEG conventionnel, lorsqu'il est utilisé en psy- de réassurance permet ainsi de réaliser l'EEG dans
© 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

chiatrie, présente certaines spécificités et cer- les meilleures conditions, même chez les patients
taines contraintes propres, notamment du fait des à la symptomatologie anxieuse prononcée. Il nous
Neurophysiologie clinique en psychiatrie

thérapeutiques psychotropes qui y sont d'usage semble important d'insister, entre autres, sur son
courant. Les conditions de sa réalisation et de caractère non invasif et non douloureux. Dans ce
son interprétation y comportent donc certaines cas, malgré l'apparence mystérieuse que peut revê-
particularités. Nous ne traiterons pas dans ce tir l'appareillage EEG, un examen bien conduit ne
chapitre des apports et des spécificités de l'EEG semble pas être pourvoyeur d'une aggravation de
quantifié en psychiatrie. Comme nous l'avons vu la symptomatologie psychiatrique, même si celle-ci
au chapitre 3, celui-ci est le plus souvent réservé est fortement délirante. De même, dans ces condi-
aux études scientifiques, notamment aux études tions, il n'existe que très peu de tracés trop artéfac-
tés pour être rendus ininterprétables (moins de 2 %
1
Relecture : J.-A. Micoulaud-Franchi, J. Vion-Dury. dans notre expérience).

67
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Spécificités de l'interprétation Rentabilité de l'EEG


L'EEG est un examen électroclinique. Cela en psychiatrie
implique que la qualité de son interprétation est L'intérêt de la réalisation de l'EEG en psychiatrie
fortement dépendante des éléments cliniques reste encore, la plupart du temps, soumis à contro-
dont dispose le neurophysiologiste. Il est donc verse. Cette dernière semble intrinsèquement liée
primordial que le médecin psychiatre lui trans- à l'histoire de l'EEG, et ce depuis sa découverte
mette tout un ensemble de données cliniques, au par Hans Berger. Si l'enthousiasme initialement
mieux sur un bon de prescription spécifique. Sur suscité par l'EEG, d'abord envisagé comme le
ce document doivent au minimum figurer les élé- reflet direct d'une activité psychophysiologique,
ments les plus pertinents tels que : s'est peu à peu estompé, il est ensuite apparu un
• l'identité du patient ; certain scepticisme vis-à-vis de l'apport de cette
• le diagnostic psychiatrique établi ou suspecté ; méthode. Ce scepticisme semble émaner à la fois
• le niveau d'urgence de la demande d'EEG ; de psychiatres attachés à l'art de la clinique, et
• l'indication exacte (bilan initial, suivi thérapeu- de neurophysiologistes doutant de la possibilité
tique, modification détaillée de la symptomato- de relever des modifications bioélectriques céré-
logie clinique, etc.) ; brales spécifiques chez des sujets souffrant de
• l'exhaustivité des traitements médicamenteux maladies « mentales » [3].
et non médicamenteux (électroconvulsivothé- Pourtant, à l'heure actuelle, il convient de
rapie, TMS…) en cours, accompagnés de leurs s'interroger concrètement sur la contribution de
posologies ainsi que de leurs modifications l'EEG dans la prise en charge d'un patient souf-
récentes, sans oublier les traitements injec- frant de troubles psychiatriques. Cette question
tables sous forme retard ; est d'autant plus d'actualité que les considérations
• les antécédents neurologiques du patient, médico-économiques prennent une importance
notamment les antécédents de traumatisme de plus en plus marquée, et que l'EEG reste un
crânien et/ou d'épilepsie, ainsi que les résultats examen peu onéreux (Code : AAQP007, prix de
de l'examen clinique neurologique. l'acte : 57,60 €), non invasif, non irradiant, enre-
Ci-joint figure un bon de demande d'examen gistrable au lit du patient, et relativement simple
tel qu'il est utilisé en pratique quotidienne dans et rapide à réaliser [4].
notre unité de neurophysiologie, et qui rassemble La question de la rentabilité de l'EEG dans le
les éléments cliniques indispensables à une inter- domaine de la psychiatrie gagnerait à être discu-
prétation de qualité (figure 4.1). tée à partir de données fiables et récentes, mais
Les particularités de l'EEG en psychiatrie, outre les celles que l'on retrouve dans la littérature sont
spécificités inhérentes à sa réalisation telles que nous peu nombreuses et relativement anciennes [5].
les avons citées, sont principalement représentées par Ainsi, alors que moins d'un quart des patients
le fait que les patients reçoivent le plus souvent des admis en service psychiatrique bénéficieraient
thérapeutiques psychotropes qui modifient parfois d'un EEG, des anomalies seraient retrouvées dans
notablement l'électrogenèse. Nous détaillerons ces 20 à 25 % des cas. Ces anomalies seraient le plus
modifications un peu plus loin. Néanmoins, il faut souvent iatrogènes et seuls 10 % des tracés pré-
dès à présent savoir que celles-ci sont rarement une senteraient des anomalies non imputables aux
entrave à l'interprétation de l'examen, et ne doivent, psychotropes [1]. Si, pour certains auteurs, le résul-
dans la plupart des cas, pas être modifiées en vue de tat de l'EEG influencerait peu la prise en charge
sa réalisation. Au contraire, les modifications qu'elles psychiatrique [6], d'autres avancent qu'un exa-
induisent peuvent fournir au clinicien des informa- men bien indiqué pourrait avoir une utilité dans
tions importantes. Comme nous le verrons plus loin, l'orientation clinique dans plus de 90 % des cas,
ces modifications ne doivent donc pas faire conclure qu'il vienne conforter ou écarter une suspicion
à une mauvaise tolérance du traitement ni conduire diagnostique [7].
systématiquement à son interruption. Enfin, le résultat de l'EEG ne conduirait à une
Un tracé EEG normal est présenté à la figure 4.2, remise en question de l'hypothèse diagnostique
vis-à-vis duquel les autres tracés pourront être psychiatrique que dans 1 à 2 % des cas [8], c'est-
comparés. à-dire dans la même proportion que lors de la

68
Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG
B
Figure 4.1. Bon de demande d'examens tel que nous l'utilisons au sein de notre unité.
A
69
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Figure 4.2. Tracé EEG sans anomalie pathologique.

­réalisation systématique d'une imagerie cérébrale cliniques diverses. Ils peuvent être retrouvés à
[9]
. Il faut cependant noter que chacune de ces tech- tout moment de la prise en charge, représentant
niques (EEG et imagerie) peut mettre en évidence ainsi soit un diagnostic différentiel d'un trouble
des anomalies que l'autre ne révélerait pas, et que, psychiatrique, soit une complication induite par
dans une démarche diagnostique de qualité, elles les thérapeutiques psychotropes chez un patient
doivent être considérées comme complémentaires souffrant de trouble psychiatrique caractérisé.
et non interchangeables. Dans tous les cas, ils doivent être évoqués devant
l'apparition d'un syndrome confusionnel.

Prérequis : deux grandes


Indications et résultats attendus urgences neurophysiologiques
L'EEG est particulièrement impliqué en pratique rencontrées en psychiatrie
psychiatrique, puisqu'il peut y jouer un rôle de
choix à la fois dans la conduite diagnostique et États de mal non convulsivants
dans la surveillance thérapeutique [10]. Son inter- Une attention toute particulière doit être por-
prétation sera toujours le résultat d'une confron- tée à la suspicion d'un état de mal non convul-
tation électroclinique, d'où l'importance qui doit sivant, tant ce dernier peut représenter un piège
être donnée à la concertation entre psychiatre cli- diagnostique. Cliniquement, un état de mal non
nicien et neurophysiologiste [1]. Avant de détailler convulsivant peut se manifester par un syndrome
les apports de l'EEG à chaque moment de la prise confusionnel qui peut être isolé, mais également
en charge du patient, qu'il s'agisse du diagnostic être associé à des fluctuations de la vigilance qui,
psychiatrique ou du suivi thérapeutique, il nous si elles sont présentes, orientent plus facilement
semble important d'évoquer deux tableaux neu- le diagnostic. Les signes confusionnels peuvent
rologiques qui représentent des urgences médi- être de degrés divers, allant d'un simple ralentis-
cales pouvant mettre en jeu le pronostic vital du sement idéique à la stupeur catatonique, en pas-
patient : les états de mal non convulsivants et les sant par une obnubilation modérée et fluctuante,
encéphalopathies. Ces deux tableaux, dont seul pouvant ainsi générer une errance diagnostique
l'EEG est à même d'établir le diagnostic posi- de plusieurs jours.
tif mais aussi différentiel, peuvent être présents Ce type d'état de mal peut survenir chez
en psychiatrie sous la forme de manifestations des patients épileptiques mais aussi de novo,

70
Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

et ce d'autant plus que les sujets sont âgés et Encéphalopathies


qu'il existe des facteurs toxiques ou métabo- Comme les états de mal non convulsivants, les
liques. D'autre part, il existe des états de mal encéphalopathies sont de diagnostic électrocli-
non convulsivants à la composante confu- nique et peuvent se manifester cliniquement par
sionnelle moins marquée qui, bien que rares, un syndrome confusionnel plus ou moins m ­ arqué,
sont caractérisés par des symptômes variés plus ou moins associé à d'autres symptômes
(visuels, auditifs, végétatifs, psychiques, thy- d'allure psychiatrique. Les encéphalopathies
miques…). Ils peuvent s'apparenter à un épi- ­correspondent à la traduction d'une souffrance
sode psychiatrique, d'autant plus qu'ils ne sont cérébrale globale, impliquant à la fois les réseaux
pas forcément accompagnés de f luctuations neuronaux et le système glial. Leurs étiologies sont
de la vigilance. Les manifestations cliniques multiples : elles sont le plus souvent métaboliques,
y sont fonction des réseaux neuronaux impli- toxiques (y compris médicamenteuses), inflam-
qués, dont la souffrance peut être liée à une matoires ou infectieuses [12]. Dans ce dernier cas,
lésion focale. Dans tous les cas, la réalisation on parle d'encéphalite ; outre une éventuelle ori-
de l'EEG est urgente et peut mettre en évi- gine herpétique, il ne faudra pas sous-estimer la
dence différents patterns de décharges d'acti- possibilité d'une encéphalite à anticorps anti-
vités paroxystiques, le plus souvent bilatérales récepteur NMDA, dont le tableau clinique com-
et rythmiques (figure 4.3). Sur le plan des pat- porte fréquemment des signes psychiatriques au
terns EEG, ces états de mal non convulsivants premier plan [13]. Les encéphalopathies sont carac-
peuvent correspondre à des états d'absence, térisées sur le plan EEG par un ralentissement du
plus ou moins typiques, ou à des états de mal rythme de fond marqué, le plus souvent diffus et
partiels complexes, de topographie temporale symétrique, potentiellement associé à des activités
ou extratemporale (le plus souvent frontale). paroxystiques épileptiformes (figures 4.4 à 4.6). Le
Un test thérapeutique par injection de benzo­ test thérapeutique aux benzodiazépines, qui n'a
diazépines est dit positif s'il fait céder les ano- pas lieu d'être effectué, ne provoque aucune modi-
malies EEG et le syndrome confusionnel, mais fication du tracé ni de la symptomatologie. L'EEG
il faut noter que cette réponse n'est pas systé- réalisé en urgence aura une valeur diagnostique
matique [11]. ­d 'autant plus p­récieuse que ces anomalies pré-

Figure 4.3. État de mal non convulsivant.

71
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Figure 4.4. Tracé typique d'encéphalopathie hépatique après surdosage en valproate de sodium


(Depakote®).
On note la présence d'ondes lentes à caractère triphasique, diffuses, mais classiquement à prédominance antérieure. Ces
activités lentes sont en général réactives à l'ouverture des yeux, ce qui indique leur caractère fonctionnel.

Figure 4.5. Tracé d'encéphalopathie au lithium.


Apparition spontanée de bouffées d'activités paroxystiques.

72
Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

Figure 4.6. Tracé d'encéphalite herpétique.


On remarque les activités paroxystiques périodiques dans les régions centrotemporales.

cèdent bien souvent celles de l'imagerie, traduc- festations épileptiques peuvent représenter un
trices de lésions structurelles, voire évoluent avec diagnostic différentiel psychiatrique, bien qu'elles
un temps d'avance sur la clinique, notamment ne revêtent pas le même caractère d'urgence dia-
dans le cadre des encéphalites [14]. gnostique ou thérapeutique.
La question du lien entre épilepsie et trouble
Place de l'EEG dans le bilan psychiatrique interroge souvent le clinicien, qu'il
s'agisse de l'apparition de symptômes psychia-
diagnostique triques chez des patients épileptiques ou de l'usage
Bilan psychiatrique initial : historique de la provocation de crises convulsives à
visée thérapeutique, depuis le choc au cardiazol ou
l'élimination de diagnostics à l'insuline jusqu'à l'électroconvulsivothérapie [15].
différentiels Dans le cas de la maladie épileptique, divers
L'EEG est indiqué dans le bilan initial de tout symptômes d'allure psychiatrique peuvent être
trouble psychiatrique, puisqu'il contribue, comme rencontrés à différents temps de l'évolution ;
d'autres examens paracliniques, à éliminer un on parle ainsi de psychoses ictales, post-ictales
trouble organique qui pourrait être à l'origine des et inter-ictales. D'après une méta-analyse récente,
symptômes psychiatriques présentés par le patient. des épisodes psychotiques se produiraient chez 6
De cette manière, l'EEG prend part à l'élimi- % des patients souffrant d'épilepsie [16]. La phy-
nation d'un diagnostic différentiel de pathologie siopathologie des psychoses inter-ictales et
organique au retentissement cérébral, au premier post-ictales reste mal connue. Une difficulté
rang desquelles on retrouve de grands tableaux ­diagnostique supplémentaire réside dans le fait
neurologiques comme les épilepsies, les encé- que l'EEG ne retrouve que rarement des activi-
phalopathies, les troubles neurodégénératifs et les tés paroxystiques durant la phase délirante [17]
souffrances focales. (figure  4.7). Nous verrons plus loin les implica-
tions de ce lien entre épilepsie et trouble psychia-
Épilepsies trique lors de la prise en charge thérapeutique.
En plus de l'état de mal non convulsivant que Par ailleurs, il faut citer une entité à part, repré-
nous avons abordé précédemment, d'autres mani- sentée par les crises non épileptiques psychogènes

73
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Figure 4.7. Tracé d'une dépression atypique sans crises épileptiques avérées. Patient sans aucun
traitement.
L'hyperpnée déclenche l'apparition de pointes dans les régions postérieures droites.

(CNEP). Bien que leurs manifestations cliniques En cas de démence vasculaire, il peut retrouver
prennent l'apparence de véritables crises convul- des activités lentes, dans la bande thêta, dans les
sives, elles ne sont pas associées à des anomalies régions centropariétales (sylviennes), ainsi qu'une
électroencéphalographiques. C'est la vidéo-EEG antériorisation de l'activité de fond alpha.
qui en permet le diagnostic lorsqu'elle retrouve Dans tous les cas, en cas d'anomalies EEG chez
des manifestations cliniques sans anomalies EEG un sujet âgé présentant un épisode psychiatrique,
associées. Il s'agit en réalité d'un trouble somato- il conviendra de pratiquer une évaluation clinique
forme, de type « trouble conversif avec crises épi- et paraclinique fine (neuro-imagerie, neuro­
leptiques ou convulsions » [18], bien que l'absence psychologie) pour rechercher d'autres arguments
de grapho-éléments paroxystiques rende cette en faveur d'un trouble neurodégénératif [10].
dénomination inappropriée [10] (figure 4.8).
Souffrances focales lésionnelles
Encéphalopathies
Des souffrances focales d'origine lésionnelle
Cf. supra. peuvent être retrouvées à l'EEG, le plus souvent
sous la forme d'un ralentissement focal, dans la
Troubles démentiels bande thêta voire delta, plus ou moins accom-
L'EEG peut fournir des arguments en faveur d'une pagné d'activités paroxystiques. Leurs étiologies
maladie neurodégénérative et a donc toute sa place peuvent être diverses (processus expansif intra-
dans un bilan de trouble démentiel. Chez le sujet crânien, accident vasculaire, traumatisme crâ-
âgé, le diagnostic différentiel entre trouble psychia- nien, etc.). La place de l'EEG pour leur diagnostic
trique, notamment dépressif, et trouble démentiel est discutable, car c'est le plus souvent l'imagerie
débutant est une question que se pose  fréquem- cérébrale qui permet d'en faire le diagnostic.
ment le clinicien. L'EEG est cependant la plupart Il faut cependant souligner la relative fré-
du temps normal dans les phases précoces des quence des séquelles de traumatisme crânien,
démences neurodégénératives. Dans la maladie particulièrement sous la forme de syndrome post-­
d'Alzheimer, il se détériore le plus souvent avec commotionnel [19, 20]. Ce dernier peut succéder à
l'avancée de la maladie (figure 4.9). Il reste long- un traumatisme crânien indépendamment de sa
temps normal en cas de démence frontotemporale. sévérité, après un intervalle libre, et se manifes-

74
Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

Figure 4.8. Tracé d'une crise non épileptique psychogène (CNEP).


Il est à noter que, chez un même patient, on peut diagnostiquer de véritables crises épileptiques mais aussi des CNEP, ce
qui était le cas de cette patiente.
A. Tracé enregistré. B. Même segment dont l'amplitude a été divisée par 100.

ter par une anhédonie et des troubles cognitifs d'une imagerie par résonance magnétique avec
au premier plan, prenant une apparence de syn- séquences spécifiques (T2*) pour la recherche de
drome dépressif. Dans ce cas, il existe fréquem- dépôts d'hémosidérine. Des potentiels évoqués
ment une résistance ou une mauvaise tolérance sensorimoteurs (visuels, somesthésiques, auditifs
thérapeutique aux antidépresseurs. L'EEG peut du tronc cérébral ou à latence moyenne) permet-
montrer des signes en faveur de séquelles de trau- tront également de documenter des anomalies
matisme crânien au niveau de la zone de choc ou fonctionnelles de la substance blanche, traduisant
de celle de contrecoup, et justifie la prescription un dommage axonal diffus.

75
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Figure 4.9. Tracé typique de trouble démentiel.

Le diagnostic psychiatrique patients souffrant de maladies psychiatriques, les


positif : EEG standard tracés inhabituels, atypiques, seraient en effet bien
plus fréquents qu'en population générale [24]. Ces
et recherche de phénotypes tracés, à l'apparence épileptiforme, ont été par le
En psychiatrie, la recherche de marqueurs phéno­ passé qualifiés de « dysrythmiques » [25], bien que
typiques et de marqueurs endophénotypiques l'usage de ce terme ne soit plus recommandé  [26].
(marqueurs de maladie, de vulnérabilité, mais Sur le plan nosographique, ces a­ nomalies seraient
aussi d'état ou de trait), aux conclusions souvent davantage observées dans la schizophrénie que
décevantes, semble être une problématique tou- dans les troubles de l'humeur [27]. Elles seraient
jours renouvelée. L'EEG standard puis les poten- plus fréquentes dans les troubles schizoaffec-
tiels évoqués cognitifs ont pu y être confrontés tifs, les troubles schizophréniformes ou les épi-
(cf. chapitre 5). sodes thymiques avec éléments délirants non
En EEG, il existe des nombreuses activi- congruents à l'humeur [28]. Certaines de ces ano-
tés considérées comme inhabituelles mais non malies pourraient même indiquer une vulnérabi-
pathologiques. Elles sont décrites dans tous les lité familiale vis-à-vis du trouble bipolaire [29].
ouvrages de neurophysiologie et représentent Cependant, les tentatives de corrélation de ces
des pièges diagnostiques classiques [21, 22]. Il peut différentes anomalies avec un trouble psychia-
s'agir de rythmes inhabituels, comme le rythme trique donné restent globalement vaines. La plu-
mu, ou d'activités paroxystiques diverses, comme part des études à ce sujet sont anciennes, réalisées
les petites pointes sporadiques (small sharp sur de petites populations, et manquent de sen-
spikes) [23]. Ces activités inhabituelles sont d'autant sibilité et de spécificité. Il n'est donc pas envisa-
plus rassurantes qu'elles sont réactives à l'ouver- geable, à l'heure actuelle, d'en faire un argument
ture des yeux, qu'elles ne sont pas renforcées par pertinent dans la démarche de diagnostic posi-
les manœuvres d'activation, qu'elles sont repro- tif psychiatrique. Elles peuvent tout au plus être
ductibles, qu'elles sont favorisées par l'endor- considérées comme un indice de vulnérabilité
missement et le sommeil, et qu'elles ne sont pas neurophysiologique [10].
accompagnées de manifestations cliniques [10]. Une autre approche, encore marginale, se
Dès le développement de l'EEG en psychiatrie, développe actuellement. Elle est fondée sur
une place particulière a été donnée à ces anoma- le modèle de la régulation de la vigilance (cf.
lies, avec l'idée qu'elles pouvaient représenter des chapitre 3) et envisage la lecture de l'EEG
indices électrophysiologiques du trouble. Chez les sous un angle dynamique [30]. Elle n'a pas pour

76
Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

vocation de fournir des éléments en faveur • une modification brutale de l'état de vigilance
d'un diagnostic fondé sur la nosographie ; (stupeur, obnubilation).
elle vise à établir des corrélations psycho- Il est à envisager à court terme lors d'une modi-
physiologiques entre les variations de dyna- fication de la symptomatologie, qu'il s'agisse :
miques cérébrales à l'EEG et les manifesta- • d'une modification atypique du tableau psy-
tions cognitives et comportementales liées chiatrique ;
au niveau de vigilance (telles que l'attention, • de l'apparition de signes neurologiques ;
la concentration, le niveau d'alerte et la réac- • de la survenue de troubles cognitifs.
tivité). Cette approche semble d'un intérêt L'EEG permettra ainsi d'orienter soit vers une
particulier dans les troubles de l'humeur et le pathologie organique intercurrente, soit vers un
trouble de déficit attentionnel avec hyperacti- effet iatrogène des thérapeutiques médicamen-
vité (TDAH) [31]. Les manifestations cliniques teuses et non médicamenteuses (psychotropes,
de ces troubles seraient en réalité à envisager électroconvulsivothérapie…), comme nous allons
comme des mécanismes compensatoires de la le détailler au paragraphe suivant.
dysrégulation de la vigilance. Ainsi, une dyna-
mique EEG « rigide », traduisant une régu-
lation hyperstable de la vigilance, générant Place de l'EEG dans le suivi
une insomnie et une tendance à l'éviction des thérapeutique
stimulations, serait associée aux syndromes
dépressifs [32]. Au contraire, une dynamique De manière générale, la plupart des psychotropes
EEG « labile », traduisant une instabilité de la modifient plus ou moins notablement l'électroge-
régulation de la vigilance, serait observée dans nèse cérébrale. Il existe donc un intérêt particulier
le syndrome maniaque et le TDAH, où elle à disposer d'un tracé EEG de référence, effectué de
serait liée à l'instabilité psychomotrice et aux manière préthérapeutique. En effet, lorsqu'il peut
comportements hyperactifs. Cette méthode être réalisé chez un patient encore naïf de toute
de lecture de l'EEG pourrait donc fournir des thérapeutique psychotrope, l'EEG de référence
marqueurs d'états neurophysiologiques. Bien permettra d'interpréter une éventuelle modifi-
qu'elle ne soit pas encore applicable en routine, cation du tracé suivant, qui serait imputable à
elle pourrait représenter à l'avenir une voie l'impact des molécules administrées. Cependant,
nouvelle dans l'approche neurophysiologique en pratique psychiatrique courante, ceci n'est que
des troubles psychiatriques. rarement réalisable, les patients étant le plus sou-
Ainsi, à l'heure actuelle, l'EEG standard ne joue vent déjà traités de manière médicamenteuse, ne
pas de rôle direct dans le diagnostic positif d'une serait-ce qu'à visée symptomatique, lorsque l'EEG
maladie psychiatrique, mais il reste un examen est demandé. Néanmoins, la réalisation d'un EEG
incontournable dans la conduite du diagnostic préthérapeutique est fortement conseillée avant
psychiatrique, en contribuant à l'élimination de toute introduction d'un traitement par lithium,
certains diagnostics différentiels, ce qui repré- par clozapine, par antidépresseur tricyclique ou
sente un critère à part entière du trouble psychia- encore par électroconvulsivothérapie [1].
trique [18]. Nous développerons ici deux grands types
de modifications de l'électrogenèse cérébrale
induites par les molécules psychotropes : d'une
part les modulations de l'électrogenèse classique-
Bilan de suivi : recherche de ment décrites dans la littérature, qui n'ont pas de
complications ou de comorbidités signification pathologique particulière, mais qui
L'EEG représente également un examen à visée marquent en quelque sorte une imprégnation
diagnostique lors du suivi d'un patient souffrant thérapeutique, et, d'autre part, les modifications
de troubles psychiatriques caractérisés [10]. franches de l'électrogenèse, au caractère suspect,
En effet, il est à réaliser en urgence en cas d'ap- faisant craindre un surdosage ou une mauvaise
parition d'un tableau clinique aigu, tel que : tolérance cérébrale de la molécule administrée.
• un syndrome confusionnel ; Afin de comprendre leur distinction, il faut se
• une perte de connaissance ; souvenir au préalable que l'EEG peut révéler des

77
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

activités dites inhabituelles et que ces dernières des rythmes rapides, dans la bande bêta, pré-
sont plus fréquentes dans la population souffrant dominant dans les régions antérieures, et dont
de troubles psychiatriques. Si l'interprétation de il semble exister un caractère dose-dépendant.
l'EEG doit toujours se faire de manière électrocli- Ces activités rapides, si elles sont importantes,
nique, c'est donc en grande partie pour juger de la peuvent diffuser à l'ensemble du scalp, voire par-
signification pathologique de telle ou telle activité fois aller jusqu'à masquer l'activité alpha posté-
EEG d'apparence suspecte. Il en est de même dans rieure [33] (figure 4.10). Il faut noter que ce type de
le domaine de la psychopharmacologie. tracé, alors dit « désynchronisé », peut également
se retrouver en cas d'anxiété majeure.
Les antidépresseurs de la classe des inhibiteurs
Psychotropes et modulations de la recapture de la sérotonine (ISRS) et inhibi-
classiques de l'EEG teurs de la recapture de la sérotonine et de la nora-
Lors de la réalisation d'un EEG de suivi, il est pos- drénaline (IRSNa) n'ont quasiment pas d ­'effet
sible de rencontrer des modulations du tracé non modulateur sur le tracé EEG à doses thérapeu-
accompagnées de signes cliniques, évoquant une tiques. Les antidépresseurs tricycliques, notam-
iatrogénicité, qui ne doivent pas conduire à modi- ment lorsqu'ils sont utilisés à fortes doses, peuvent
fier le traitement, a fortiori si celui-ci est efficace. occasionner une augmentation de l'amplitude de
Chaque classe de psychotropes peut modifier à sa l'activité alpha ainsi que la survenue de quelques
manière le tracé EEG. Nous n'évoquerons pas ici activités lentes, dans la bande thêta, voire quelques
les tracés typiquement retrouvés en cas d'intoxi- activités paroxystiques épileptiformes, comme
cation médicamenteuse, mais des modifications des pointes plus ou moins typiques, plus ou moins
de l'EEG qui peuvent avoir lieu sous doses usuelles diffuses [33].
et sans signes cliniques de surdosage. Le lithium peut également induire un ralen-
Les benzodiazépines et leurs apparentés hyp- tissement modéré du rythme de fond, ainsi que
notiques (Z-drugs) induisent très fréquemment la survenue de quelques activités paroxystiques

Figure 4.10. Effet des benzodiazépines.


Il s'agit de rythmes rapides diffus, ne permettant pas toujours de mettre en évidence une réactivité à l'ouverture des yeux.

78
Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

diffuses, isolées ou en bouffées [34]. Ces effets sont Ces activités iatrogènes, en dehors des surdo-
généralement considérés comme en lien avec un sages et des encéphalopathies induites, ont été
abaissement du seuil convulsivant. envisagées comme des possibles causes ajoutées
Les anticonvulsivants non benzodiazépiniques uti- de l'effet de ces molécules, les pointes ou activi-
lisés en psychiatrie, tels que l'acide valproïque, modi- tés lentes angulaires pouvant être considérées
fient peu le tracé EEG en l'absence de surdosage. comme des « micro-électrochocs » continus [36].
Les neuroleptiques classiques et les antipsy- Nous proposons une classification des effets
chotiques atypiques sont également connus pour iatrogènes des antipsychotiques sur l'électro-
abaisser le seuil convulsivant. Ils peuvent entraî- genèse (tableau  4.1). Cette classification prend
ner un ralentissement modéré du rythme de fond, en compte d'une part leur contexte de survenue
ainsi que des activités lentes, dans la bande thêta (spontané ou induit par les manœuvres d'activa-
voire delta, s'organisant parfois en bouffées, sou- tion) et, d'autre part, les deux grands types d'effet
vent diffuses. Ces activités lentes, au caractère qu'on peut retrouver sur le tracé : le ralentissement
volontiers angulaire, peuvent parfois prendre du rythme de fond, qui peut être plus ou moins
un aspect plus paroxystique, jusqu'à générer des marqué, et la survenue d'activités paroxystiques.
grapho-éléments de type onde lente angulaire ou Cette classification, insérée dans la conclusion
pointe lente, plus ou moins dégradés. Ces activités de l'interprétation du tracé, peut ainsi fournir au
paroxystiques sont le plus souvent polymorphes, clinicien peu familier du vocabulaire neurophy-
asynchrones, diffuses, n'émanent pas d'une zone siologique un repère rapidement significatif en
cérébrale donnée, et peuvent s'organiser en bouf- cours de suivi du traitement psychotrope chez un
fées pseudo-rythmiques. Elles peuvent survenir patient donné.
spontanément ou lors des manœuvres d'activa-
tion. Elles peuvent en théorie être induites par Psychotropes et modifications
toutes les molécules neuroleptiques et antipsy-
chotiques, mais semblent être présentes en plus pathologiques de l'EEG
grande quantité lors d'un traitement par olanza- Les modifications iatrogènes de l'EEG au caractère
pine ou par clozapine [35] (figures 4.11 et 4.12). franchement pathologique sont représentées par les

Figure 4.11. Effets iatrogènes de la clozapine (Leponex®) à la posologie de 150 mg par jour.


Ces activités iatrogènes consistent en des activités angulaires lentes, en bouffées, parfois des pointes lentes, dont la
caractéristique est d'être de localisation variable et, surtout, contrairement aux pointes épileptiques, d'être asynchrones
d'une dérivation à l'autre. Elles donnent l'impression d'un « cortex clignotant ». Pratiquement près de 50 % des patients
sous clozapine présentent ce type de tracé.

79
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Figure 4.12. Effet iatrogène de l'aripiprazole (Abilify®) lors de la SLI.

Tableau 4.1. Gradation des effets iatrogènes deux grands tableaux neurologiques présentés pré-
des neuroleptiques et antipsychotiques sur cédemment : l'épilepsie et l'encéphalopathie [10]. En
l'électrogenèse. cas d'apparition d'un syndrome confusionnel chez
un patient recevant des thérapeutiques psycho-
Ralentissement de Signes d'irritabilité
l'électrogenèse neuronale tropes, a fortiori en cas de polymédication, l'EEG
est le seul examen à même d'établir le diagnostic
1 Absent A Aucun
(rythme alpha
positif et différentiel entre une encéphalopathie et
prédominant) un état de mal non convulsant iatrogènes.
Cependant, en pratique courante, les théra-
2 Rythme thêta B Activités
prédominant paroxystiques
peutiques psychotropes peuvent occasionner
survenant l 'apparition d'un tracé proche de celui d'une
­
uniquement encéphalopathie, c'est-à-dire montrant un ralen-
pendant les tissement net du rythme de fond, plus ou moins
manœuvres associé à des activités paroxystiques. Il faut noter
d'activation qu'un ralentissement diffus et persistant de l'élec-
3 Rythme thêta C Activités trogenèse, généralement considéré comme un
prédominant paroxystiques marqueur d'encéphalopathie, n'est pas spécifique
avec bouffées spontanées
et semble plus fréquemment rapporté chez les
delta
patients souffrant de troubles psychiatriques [37].
4 Rythme delta D Décharges La conduite à tenir vis-à-vis de la poursuite du
prédominant paroxystiques
traitement dépendra principalement de la pré-
Un EEG classé 1A n'est pas modifié par les thérapeutiques, sence de signes cliniques de mauvaise tolérance
tandis qu'un EEG de type 4 et/ou D doit faire rechercher neurologique. Devant un tel tracé, la question à
cliniquement un tableau d'encéphalopathie ou d'état de mal non
convulsivant. Les tableaux intermédiaires, avec des activités poser peut donc se formuler de la manière sui-
paroxystiques spontanées ou provoquées, sont retrouvés vante : existe-t-il une corrélation ou une dissocia-
couramment en pratique quotidienne, sans qu'ils constituent des tion électroclinique [10] ?
processus inquiétants.

80
Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

En cas de corrélation électroclinique, c'est- peut retrouver un tracé suppressif, dit suppression-­
à-dire quand il existe une altération de l'état burst, alternant des périodes de tracé de très faible
­clinique du patient — avec le plus souvent en amplitude et des bouffées d'ondes thêta/delta par-
premier lieu un syndrome confusionnel — et un fois mêlées à des ondes plus rapides [26].
tracé évocateur, il convient d'arrêter en urgence Les encéphalopathies iatrogènes peuvent égale-
la thérapeutique en cours. Ces encéphalopa- ment être dues aux grandes autres classes de psy-
thies sont dues le plus souvent au lithium ou au chotropes comme les neuroleptiques et antipsy-
valproate de sodium (cf. figures 4.4 et 4.5), pour chotiques (figure 4.13), les antidépresseurs (en cas
lesquelles elles peuvent survenir avec des taux de syndrome sérotoninergique), ainsi qu'à l'élec-
plasmatiques situés dans la fourchette thérapeu- troconvulsivothérapie (figure 4.14) (cf. chapitre 7).
tique. L'encéphalopathie au lithium provoque un Dans tous les cas, l'arrêt de la molécule (ou de la
ralentissement du tracé le plus souvent diffus, thérapeutique) impliquée est urgent et une surveil-
surchargé d'activités paroxystiques, qui peuvent lance clinique rapprochée doit être mise en place.
prendre un aspect pseudo-périodique ou pseudo- Des examens itératifs permettront de constater
rythmique. L'encéphalopathie au valproate de les effets de l'arrêt de la molécule incriminée,
sodium est en réalité une encéphalopathie hépa- confirmant ainsi le diagnostic d'encéphalopathie
tique, dans laquelle se retrouvent classiquement d'origine iatrogène. Dans notre pratique courante,
des ondes lentes triphasiques, appelées complexes sur trois mille quatre cents EEG, nous avons ainsi
de Bickford [38]. Il convient dans ce cas de com- diagnostiqué trente-huit encéphalopathies iatrogènes
pléter l'évaluation avec un dosage plasmatique de (soit 1,1 % des examens) et récusé cinquante-deux sus-
l'ammoniémie ; celle-ci peut cependant être dans picions d'encéphalopathies (soit 1,5 % des examens).
les valeurs normales, suggérant que l'hyperam- La conduite à tenir est moins consensuelle
moniémie n'est pas le seul facteur incriminé dans en cas de dissociation électroclinique, c'est-à-
ce type d'encéphalopathie. L'encéphalopathie aux dire quand l'EEG montre un tracé semblable à
benzodiazépines est rare à doses thérapeutiques, ceux cités précédemment, mais que l'évaluation
surtout retrouvée en cas d'intoxication. L'EEG ­clinique ne retrouve aucun signe de mauvaise

Figure 4.13. Tracé d'encéphalopathie à la clozapine.


Dans notre classification, cette encéphalopathie est gradée 4D. Notez la conservation de la réactivité à l'ouverture des yeux.

81
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Figure 4.14. Tracé d'encéphalopathie après électroconvulsivothérapie (ECT).


État de mal aggravé par la SLI. On note la présence de pointes épileptiques très différentes dans leur morphologie des
activités lentes angulaires des figures 4.11 et 4.12.

tolérance. Dans ce cas, il ne nous semble donc pas malies épileptiformes induites par le traitement
possible d'utiliser le terme d'encéphalopathie, qui antipsychotique ou l'électroconvulsivothérapie.
renvoie à un tableau clinique lié à une souffrance Cette hypothèse interroge sur la possibilité d'un
cérébrale [10]. Ces tracés EEG sont le plus souvent phénomène de compensation ou de plasticité psy-
retrouvés lors de traitement par électroconvul- chobiologique [10].
sivothérapie ou par neuroleptiques et antipsy- Cependant, en pratique, la situation n'est
chotiques. D'une manière pouvant initialement pas toujours aussi claire, et des anomalies EEG
sembler paradoxale, ce type de tracé peut non sévères doivent toujours faire réaliser un examen
seulement être associé à une bonne tolérance cli- clinique rigoureux. En cas de doute sur des signes
nique, mais également à une amélioration franche cliniques de mauvaise tolérance neurologique ou
de la symptomatologie psychiatrique du patient. en cas d'absence d'efficacité, il faudra réévaluer la
Cette amélioration clinique, associée à une appa- nécessité de la poursuite du traitement.
rente dégradation de l'électrogenèse, pourrait
faire évoquer un « effet Landolt inversé ».
L'effet Landolt, ou phénomène de « normalisa-
tion forcée », a en effet été décrit dans les années
Conclusion
1950, pour caractériser la survenue de troubles Malgré le fait que le recours à l'EEG reste incons-
psychiatriques lors de la normalisation du tracé tant en psychiatrie, nous avons pu voir à quel
EEG chez des patients épileptiques connus [39] point il est à même d'apporter au clinicien des
(cf. chapitre 10). Ce phénomène de normalisa- arguments neurophysiologiques forts pour amé-
tion forcée de l'EEG, qui peut être observé sous liorer la prise en charge des patients, tant sur
traitement antiépileptique, génère une sorte de un versant diagnostique que thérapeutique. Par
psychose post-ictale plus ou moins prolongée. La conséquent, notre propos ne saurait que conseil-
réapparition d'anomalies épileptiformes s'accom- ler vivement une collaboration rapprochée entre
pagne d'une résolution des symptômes psycho- psychiatres et neurophysiologistes, ainsi que le
tiques [40]. En psychiatrie, l'hypothèse d'« effet développement de compétences en neurophysio-
Landolt inversé », sorte de « dysrythmie forcée », logie appliquée à la psychiatrie chez les cliniciens,
pourrait fournir une piste pour comprendre la car l'EEG est d'un apport d'autant plus important
rémission des troubles lors de l'apparition d'ano- qu'il est interprété par celui qui l'a prescrit.

82
Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

Références [18] American Psychiatric Association. DSM-IV-TR.


Manuel diagnostique et statistique des troubles men-
[1] Micoulaud-Franchi J-A, Balzani C, Faugere M, taux, Texte révisé. 2e ed. Paris : Masson ; 2003.
­Cermolacce M, Naudin J, Vion-Dury J. Neurophy- [19] Mittenberg W, Strauman S. Diagnosis of mild head
siologie clinique en psychiatrie : 1. Techniques, voca- injury and the postconcussion syndrome. J Head
bulaires et indications de l'électroencéphalographie Trauma Rehabil 2000 ; 15 : 783–91.
conventionnelle. Ann Méd-Psychol Rev Psychiatr [20] Curallucci H, Tcherniack V, Vion-Dury J. Collectif.
2013 ; 171 : 334–41. Le traumatisme crânien léger ou modéré : un handi-
[2] Malhi GS, Lagopoulos J. Making sense of neuroimaging cap négligé. Solal Editeurs ; 2011.
in psychiatry. Acta Psychiatr Scand 2008 ; 117 : 100–17. [21] Vespignani H. L'EEG : de la technique à la clinique.
[3] Pidoux V. Expérimentation et clinique électroencé- Paris : John Libbey Eurotext ; 2003.
phalographiques entre physiologie, neurologie et [22] Vion-Dury J, Blanquet F. Pratique de l'EEG : Bases
psychiatrie (Suisse, 1935-1965). Rev Hist Sci 2011 ; neurophysiologiques. Principes d'interprétation et
Tome 63 : 439–72. de prescription. Paris : Masson ; 2008.
[4] Boutros NN. A review of indications for routine EEG [23] Mushtaq R, Van Cott AC. Benign EEG variants. Am
in clinical psychiatry. Hosp Community Psychiatry J Electroneurodiagnostic Technol 2005 ; 45 : 88–101.
1992 ; 43 : 716–9. [24] Boutros NN. Standard electroencephalography in
[5] Gueguen B, Raynaud P, Guedj M-J. Indication de clinical psychiatry a practical handbook. Chichester,
l'EEG dans les confusions mentales et les troubles West Sussex ; Hoboken, NJ : Wiley-Blackwell ; 2011.
du comportement. Neurophysiol Clin 1998 ; 28 : [25] Shelley BP, Trimble MR, Boutros NN. Electroence-
134–43. phalographic cerebral dysrhythmic abnormalities
[6] Lam RW, Hurwitz TA, Wada JA. The clinical use of in the trinity of nonepileptic general population,
EEG in a general psychiatric setting. Hosp Commu- neuropsychiatric, and neurobehavioral disorders.
nity Psychiatry 1988 ; 39 : 533–6. J ­Neuropsychiatry Clin Neurosci 2008 ; 20 : 7–22.
[7] Fenton GW, Standage K. Clinical electroence- [26] Deuschl G, Eisen A. Guide pratique de neuro­
phalography in a psychiatric service. Can J Psy- physiologie clinique : Recommandations de la Fédé-
chiatry 1993 ; 38 : 333–8. ration internationale de neurophysiologie clinique.
[8] Warner MD, Boutros NN, Peabody CA. Usefulness Paris : Elsevier ; 2002.
of screening EEGs in a psychiatric inpatient popula- [27] Abrams R, Taylor MA. Differential EEG patterns in
tion. J Clin Psychiatry 1990 ; 51 : 363–4. affective disorder and schizophrenia. Arch Gen Psy-
[9] Orliac F, Delamillieure P. Imagerie cérébrale en psy- chiatry 1979 ; 36 : 1355–8.
chiatrie : indications et résultats. Encycl Méd Chir [28] Inui K, Motomura E, Okushima R, Kaige H, Inoue K,
(Elsevier, Paris). Psychiatrie 2012 ; 9 : 1–11. Nomura J. Electroencephalographic findings in patients
[10] Micoulaud-Franchi J-A, Balzani C, Vion-Dury J. Élec- with DSM-IV mood disorder, schizophrenia, and other
troencéphalographie conventionnelle et ­psychiatrie psychotic disorders. Biol Psychiatry 1998 ; 43 : 69–75.
de l'adulte : aspects diagnostiques et thérapeu- [29] Small JG, Small IF, Milstein V, Moore DF. Familial
tiques. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris). Psychiatrie associations with EEG variants in manic-depressive
2014 ; 11. disease. Arch Gen Psychiatry 1975 ; 32 : 43–8.
[11] Thomas P, Gelisse P. États de mal épileptiques non [30] Ulrich G. Theoretical interpretation of electroence-
convulsifs. Rev Neurol (Paris) 2009 ; 165 : 380–9. phalography. The important role of spontaneous res-
[12] Vion-Dury J, Salvan A, Cozzone P. Encéphalopathie, ting EEG and vigilance. Bmed Press LLC ; 2013.
troubles cognitifs et spectroscopie de résonnance [31] Arns M, Gunkelman J, Olbrich S, Sander C, Hegerl U.
magnétique cérébrale du proton. Médecine/sciences EEG Vigilance and phenotypes in neuropsychiatry :
1999 ; 15 : 519. Implications for intervention. In : Coben R, Evans JR, edi-
[13] Barry H, Hardiman O, Healy DG, Keogan M, tors. Neurofeedback and neuromodulation techniques
Moroney J, Molnar PP, et  al. Anti-NMDA receptor and applications. London : Elsevier ; 2011. p. 79–123.
encephalitis : an important differential diagnosis in [32] Ulrich G, Fürstenberg U. Quantitative assessment of
­psychosis. Br J Psychiatry 2011 ; 199 : 508–9. dynamic electroencephalogram (EEG) organization
[14] De Broucker T. Sémiologie et orientation diagnos- as a tool for subtyping depressive syndromes. Eur
tique des encéphalopathies de l'adulte. Encycl Méd Psychiatry 1999 ; 14 : 217–29.
Chir (Elsevier, Paris). Neurologie 2009 ; 6 : 1–16. [33] Gueguen B, Olié J-P, Raffaitin F. Électroencé-
[15] Postel J, Quétel C. Nouvelle histoire de la psychiatrie. phalographie et psychiatrie. In : Psychiatrie. Encycl
Paris : Dunod ; 2012. Méd Chir (Elsevier, Paris) ; 1990, 37-170-A10.
[16] Clancy MJ, Clarke MC, Connor DJ, Cannon M, [34] Hausser-Hauw C. Manuel d'EEG de l'adulte – Veille
Cotter DR. The prevalence of psychosis in epilepsy. et sommeil. Issy-les-Moulineaux : Elsevier-Masson ;
A systematic review and meta-analysis. BMC Psy- 2007.
chiatry 2014 ; 14 : 75. [35] Centorrino F, Price BH, Tuttle M, Bahk W-M,
[17] Lambrey S, Adam C, Baulac M, Dupont S. Le syn- Hennen J, Albert MJ, et  al. EEG abnormalities
­
drome de psychose post-ictale : une entité clinique à during treatment with typical and atypical antipsy-
connaître. Rev Neurol (Paris) 2009 ; 165 : 155–63. chotics. Am J Psychiatry 2002 ; 159 : 109–15.

83
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

[36] Fink M. EEG changes with antipsychotic drugs. Am [39] Landolt H-P. Some clinical EEG correlations in epi-
J Psychiatry 2002 ; 159 : 1439, discussion : 1439. leptic psychoses (twilight states). EEG Clin Neuro-
[37] Sidhu KS, Balon R, Ajluni V, Boutros NN. Standard physiol 1953 ; 5.
EEG and the difficult-to-assess mental status. Ann [40] Akanuma N, Kanemoto K, Adachi N, Kawasaki J, Ito M,
Clin Psychiatry 2009 ; 21 : 103–8. Onuma T. Prolonged postictal psychosis with forced
[38] Bickford RG, Butt HR. Hepatic coma : the electroence- normalization (Landolt) in temporal lobe epilepsy. Epi-
phalographic pattern. J Clin Invest 1955 ; 34 : 790–9. lepsy Behav EB 2005 ; 6 : 456–9.

84
Potentiels évoqués Chapitre 5
cognitifs et troubles
psychiatriques
M. Cermolacce, M. Faugère, M.-L. Steffen1

Dans une démarche électrophysiologique dérivée sur la prise en compte de marqueurs d'événements,
de l'électroencéphalographie, les potentiels évo- c'est-à-dire la pose de signatures temporelles pré-
qués (PE) ont été initialement décrits en neuro- cises lors de chaque stimulation, durant l'acquisi-
logie pour l'exploration fonctionnelle des voies tion d'un tracé EEG continu. Cette prise en compte
motrices ou sensorielles ; on parle alors de PE exo- intervient pour chaque électrode du montage EEG
gènes. Mais le même terme de PE peut aussi dési- proposé, permettant ainsi la réalisation de carto-
gner une approche fonctionnelle endogène, dédiée graphies. Bien que leur résolution spatiale reste
à l'exploration des processus cognitifs et à leurs limitée comparativement à la neuro-imagerie, les
possibles altérations. On parle alors de potentiels PEC permettent néanmoins d'obtenir des tracés
évoqués cognitifs ou endogènes (PEC) ou ERP caractéristiques, dans une résolution temporelle
(pour Event-Related Potentials) [1] ; ils peuvent être fine de l'ordre de la dizaine de millisecondes (ms).
utilisés dans l'exploration des troubles psychia- Il est important de distinguer ici deux méthodes
triques majeurs [2]. successives de sommation ou moyennage :
En proposant aux participants de réaliser des • moyennage par sujet (moyenne de tous les tra-
épreuves cognitives sous enregistrement EEG, cés EEG pour un même participant). Il peut
l'enregistrement des PEC implique deux para- être réalisé soit directement (moyennage direct,
digmes distincts : plus particulièrement utilisé pour les PE exo-
• le paradigme électrophysiologique ; gènes, sensoriels ou moteurs), soit à l'issue de
• le paradigme de la neuropsychologie cognitive. l'enregistrement global. C'est cette dernière
Nous renvoyons au chapitre 3 qui en détaille les approche, dite de rétromoyennage, qui est préfé-
principes généraux et les méthodes. Schématique- rentiellement utilisée dans l'obtention de PEC ;
ment, la méthode des PEC repose sur l'enregistre- • grand moyennage (moyenne des PEC pour une
ment, à partir de la surface du crâne, de variations population de participants, à partir des moyen-
le plus souvent minimes de l'électrogenèse céré- nages de chacun des sujets). C'est ce dernier
brale. Mais pour acquérir un signal suffisamment niveau de moyennage qu'on retrouve décrit
© 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

ample et spécifique d'une activité cognitive, il faut dans les études scientifiques sur les PEC.
distinguer ce signal à partir du reste de l'électro- Ces tracés, par convention, sont décrits par :
Neurophysiologie clinique en psychiatrie

genèse, largement plus diffuse et non spécifique • leur polarité (P pour positivité, orientée vers le
de la fonction cognitive étudiée. La question de ce bas en général, ou N pour négativité, orientée
rapport « signal/bruit » implique d'extraire et d'am- vers le haut) ;
plifier le signal spécifique. Les PEC proposent de • leur amplitude ;
moyenner numériquement les tracés EEG obtenus • leur latence.
lors de tâches cognitives ou perceptives, standardi- Ainsi, la composante N400 désigne par conven-
sées et répétées. La base de ces moyennages repose tion une négativité culminant à une latence de
400 ms. On notera, avec cette désignation, qu'au-
1
Relecture : C. Balzani, J.-A. Micoulaud-Franchi, cune information ne prend en compte la durée des
J. Vion-Dury. composantes décrites.

85
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

La réalisation des PEC est d'usage relativement


facile pour une équipe formée et expérimentée, et
présente plusieurs avantages : examen acceptable
et non invasif, peu coûteux, réalisable dans des
conditions paracliniques simples [2–4].
Différents potentiels (ou composantes) peuvent
être étudiés selon le type d'épreuve expérimentale
utilisée (et donc selon le type de fonction cognitive
impliquée). Les principales composantes explo-
rées dans le domaine neuroscientifique, en par-
ticulier dans l'étude des troubles psychiatriques,
surviennent à des fenêtres temporelles distinctes.
Plus une composante est tardive, plus elle engage
des recrutements neuronaux diffus et plus son
interprétation implique des processus intégratifs
non spécifiques et complexes (figure 5.1).
Notons enfin que les stimulus employés dans les
différentes études sur les PEC peuvent être présen-
tés sous modalités auditive ou visuelle, mais aussi
plus rarement de façon olfactive, tactile ou pro-
prioceptive. On distingue ainsi plusieurs niveaux Figure 5.1. Mise en évidence de la relation
de description de processus cognitifs, correspon- entre le nombre de neurones impliqués et
dant à la fois à des composantes PEC caractéris- la surface des potentiels évoqués obtenus,
tiques et à des conditions expérimentales spéci- à partir de la séquence des événements
survenant après un son simple.
fiques. À noter qu'il convient de s'intéresser davantage aux aires
Les processus dits pré-attentionnels renvoient qu'aux intensités, les aires donnant une idée plus juste de
à des mécanismes précoces, non attentifs ou non l'énergie électrique totale dépensée.
conscients. On peut schématiquement décrire Dans le tronc cérébral l'activation des petits noyaux
deux situations électrophysiologiques : auditifs génère un signal précoce (vers 7 ms) d'amplitude
• le premier paradigme est le paradigme percep- très réduite.
Dans le cortex auditif (onde Pa, vers 32 ms), le signal est
tif de filtrage sensoriel (sensory gating), incluant plus important, puis il croît avec l'onde P50.
les potentiels P50, N100 et P200 ; il repose sur la L'arrivée des influx dans les aires associatives, auditives
détection d'un son, sur son intégration dans des ou non, génère des potentiels tardifs et de grande
processus perceptifs et cognitifs de plus haut amplitude (N100, P200). À noter qu'en raison de
niveau, et sur les phénomènes d'habituation conventions internationales, les ondes positives sont
vers le bas — cependant, en France, pour les potentiels
sensorielle (cf. infra, figure 5.2) ;
auditifs en contexte clinique, les ondes positives sont
• un second paradigme pré-attentionnel concerne souvent orientées vers le haut.
la détection non attentionnelle d'irrégularités
perceptives, associées à la composante MMN
(pour Mismatch Negativity ou négativité de dis- sens, fonctions sémantiques), deux composantes
cordance) (cf. infra, figure 5.3). ont pu être largement décrites :
Les processus de mémoire et d'attention sur- • la composante N400, liée à la prise en compte
viennent de manière plus tardive. Ils sont clas- du contexte sémantique et aux processus d'ac-
siquement étudiés au moyen d'une composante cès au sens (cf. infra, figure 5.5) ;
de grande amplitude : la composante P300, sur- • la composante P600 (ou LPC, pour Late Positive
venant après la N200, reflète l'allocation de res- Component), d'interprétation plus hétérogène
sources attentionnelles lors de la mise à jour des (cf. infra, figure 5.5).
informations pertinentes en mémoire de travail Enfin, citons les situations d'éveil, d'antici-
(cf. infra, figure 5.4). pation et de préparation à l'action : la variation
Toujours à un niveau attentionnel, mais cette contingente négative (ou VCN) est une négativité
fois pour des situations linguistiques (accès au de grande amplitude qui revêt une pertinence

86
Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

Figure 5.2. Potentiels évoqués auditifs obtenus en présence de deux sons séparés de 500 ms.
Après le premier son, on remarque la composante P32 qui correspond à l'arrivée des influx dans les aires dites auditives
primaires, puis une négativité (neg a), puis la composante P50, laquelle précède la composante N100 et la composante
P200. À partir de la composante P50, les processus se déroulent dans les cortex associatifs. Lors de la présentation du
deuxième son, on observe une modification physiologique de l'amplitude et de la morphologie des potentiels qui sont
moins amples.
Le calcul de l'atténuation physiologique (gating) se fait de manière assez simple en comparant l'amplitude (neg a – P50
a) à l'amplitude (neg b – P50 b).

particulière pour les questions de préparation à types potentiels) jusqu'à une perspective plus
l'action, de ralentissement ou d'impulsivité (cf. dynamique de marqueur d'état, et qui pourrait
infra, figure 5.6). s'intégrer dans une démarche de profil électro-
Dans la suite de ce chapitre, nous détaillerons physiologique composite.
brièvement les caractéristiques de chacune de ces
composantes, ainsi que leurs perturbations lors
des troubles psychiatriques majeurs. Nous ver-
rons qu'en psychiatrie, la plupart des travaux sur
les PEC concernent la schizophrénie, mais des tra-
Sensory gating : composante
vaux, moins nombreux, concernent aussi d'autres P50 et complexe N1/P2 dans
situations pathologiques : troubles dépressifs les troubles psychiatriques
majeurs, troubles affectifs bipolaires, troubles de
la personnalité, troubles addictifs ou encore mala- Présentation et interprétation
die d'Alzheimer [2, 4]. fonctionnelle des phénomènes
Enfin, en conclusion de ce chapitre, nous
aborderons la question de la place actuelle des
de sensory gating
PEC dans l'exploration des patients souffrant de Lors de la perception puis de la répétition de sti-
troubles psychiatriques majeurs, depuis la notion mulus élémentaires, plusieurs composantes PEC
de marqueur stable (PEC comme endophéno- sont mises en jeu. Nous nous intéresserons ici à la

87
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Figure 5.3. Négativité de discordance (MMN) obtenue à partir d'un paradigme oddball.


Sons rares (de 70 ms) présentés dans une série de sons fréquents (de 35 ms), de manière aléatoire et à proportion de 1/5
au maximum pour les sons rares. On demande au sujet de ne pas faire attention ou on lui donne un journal à lire ou un
film à regarder. Il s'agit d'un potentiel obtenu dans des conditions pré-attentives.

Figure 5.4. Potentiel évoqué P300 obtenu à partir d'un paradigme oddball.


Sons rares (de 2 000 Hz) présentés dans une série de sons fréquents (de 1 000 Hz), de manière aléatoire et à proportion
de 1/5. Ici la consigne donnée au sujet est de détecter et de compter les sons déviants.

modalité auditive qui reste de loin la plus étudiée, on retrouve les phénomènes décrits dans d'autres
tant en population contrôle qu'auprès des patients modalités sensorielles, notamment visuelles, mais
souffrant de troubles psychiatriques. Cependant, aussi cénesthésiques.

88
Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

Figure 5.5. N400 obtenue à partir d'un ensemble de 60 phrases dont le mot final est congruent
par rapport au contexte et de 60 phrases dont le dernier mot est incongru dans le contexte.
Le marqueur de rétromoyennage est placé au début de ce dernier mot. On obtient un tracé pour les phrases congruentes
et un tracé pour les phrases incongrues. Chaque tracé contient une négativité vers 400 ms et une positivité vers 600 ms.
La différence des deux traces conduit à l'effet N400, lequel exprime l'effet de l'incongruité sur les processus cognitifs.

Correspondant à des processus neurobiolo- • la composante P50 (positivité à 50 ms), impli-


giques précoces (moins de 200 ms), ces manifes- quant les aires auditives primaires et secondaires2 ;
tations électrophysiologiques sont dites pré-atten- • le complexe N1/P2, qui associe la composante
tionnelles. Les phénomènes qui nous intéressent N100 (négativité à environ 100 ms) et la com-
ici sont retrouvés lors d'épreuves perceptives posante P200 (positivité à environ 200 ms), qui
caractéristiques, où la présentation de paires de intéressent les cortex associatifs auditifs et le
clics audio permet d'évaluer le phénomène de cortex frontal.
filtrage sensoriel (SG, pour sensory gating). En Lors de la répétition de ce stimulus élémentaire,
schématisant, nous pouvons distinguer ici deux on observe chez les participants témoins une atté-
temps expérimentaux, avec la présentation de nuation de la composante P50 et du complexe N1/
deux stimulus identiques et rapprochés, espacés P2. Ce processus physiologique d'atténuation (« fil-
de 500 ms (figure 5.2). trage sensoriel » ou habituation) est lié aux phéno-
Un premier temps correspond à l'écoute d'un mènes de « gating » sensoriel, ou suppression du trai-
stimulus auditif simple (premier clic sonore) ; on tement sensoriel automatique [7–9]. Ce phénomène
observe alors sur le tracé EEG une succession de est classiquement interprété comme témoignant de
réponses évoquées, dites potentiels évoqués de
latence moyenne. À un niveau électrophysiolo- 2
La P50 peut être ainsi abordée de deux points de vue :
gique, on distinguera ainsi successivement [5, 6] : comme PE cognitif particulièrement précoce, d'un
• une première composante P30 (positivité à point de vue cognitif, mais aussi comme PE exogène
environ 30 ms), témoignant de l'arrivée des de latence tardive, d'un point de vue plus neurophy-
influx sur le cortex auditif primaire ; siologique.

89
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Figure 5.6. Variation contingente négative (VCN).


Le stimulus conditionnant comme le stimulus impératif peuvent être des stimulus variés (ici un son puis une lumière).
La VCN comprend une phase précoce (VCNp) et une phase tardive (VCNt). La VCN peut être suivie d'une négativité
post-impérative (PINV, en traits pleins) ou d'une positivité post-impérative (PIPV, en pointillé). Le temps de réaction est
mesuré par appui sur un contrôleur à partir du stimulus impératif.

la limitation des entrées sensorielles [10, 11]. Il peut Il est important de souligner l'impact du tabac
aussi s'interpréter comme le moyen, pour le système comme potentiel facteur confondant, puisque le
nerveux central, de ne pas être submergé par les sti- tabagisme chronique améliore la capacité de fil-
mulations répétitives et non pertinentes de l'environ- trage de la composante P50 chez les sujets sains [13].
nement, afin de privilégier la prise en compte des sti- Une littérature de plus en plus importante
mulations les plus saillantes. concerne les deux composantes N100 et P200
La réponse neurophysiologique la plus étudiée qui succèdent à cette première composante P50.
est la composante P50 dont l'amplitude, considé- Une habituation de type sensory gating est aussi
rée normale pour le premier stimulus (stimulus décrite pour les composantes N100 et P200, ainsi
conditionnant, ou S1), est atténuée d'au moins que pour l'amplitude mesurée entre les deux pics
50 % pour le second (stimulus cible, ou S2). Les N1 et P2 (complexe N1/P2). La capacité de filtrage
processus impliqués dans les mécanismes percep- sensoriel du sujet s'évalue en calculant le rapport
tifs précoces, après reconnaissance de S2 comme des amplitudes S2/S1 pour les amplitudes de la
étant identique et très rapproché de S1, permet- P50 et du complexe N1/P2. On considère un sen-
traient ainsi de sélectionner, traiter et stocker les sory gating normal pour un rapport S2/S1 infé-
informations pertinentes sans être envahi par les rieur ou égal à 0,50 [14], pour la composante P50
multiples influx sensoriels environnementaux [12]. comme pour le complexe N1/P2.

90
Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

Sensory gating et troubles pourrait constituer un marqueur trait de cette


psychiatriques pathologie, devant le constat suivant [15, 20] :
• l'altération de la composante P50 est présente
Une vaste littérature rapporte une altération des chez une très grande majorité de patients (cri-
phénomènes de sensory gating, principalement tère de sensibilité) ;
pour la composante P50 [14, 15]. Cette altération • cette altération se retrouve quels que soient le
consiste en une diminution (voire une disparition) stade de la pathologie et l'état clinique présenté
des phénomènes d'habituation : l'amplitude de la (critère de stabilité) ;
composante P50 pour S2 n'est pas réduite, comme • mais une P50 non atténuée est aussi constatée
si la perception de ce deuxième stimulus ne bénéfi- chez des parents proches de patients souffrant
ciait pas d'un filtrage sensoriel. En effet, le rapport de schizophrénie (critère d'héritabilité).
S2/S1 de la P50 est significativement supérieur De tels résultats pourraient faire du phénomène
(ou égal) à 0,5 chez les patients souffrant de schi- de filtrage sensoriel observé dans la P50 un mar-
zophrénie [12]. La plupart des auteurs s'accordent queur endophénotypique possible pour la schi-
pour interpréter cette altération du filtrage sen- zophrénie [14]. Cependant, et comme nous l'avons
soriel comme associée aux phénomènes d'enva- précédemment souligné, la question d'une spé-
hissement sensoriel décrits chez ces patients [16]. cificité schizophrénique reste problématique. En
Deux types d'altérations du sensory gating peuvent effet, des anomalies d'atténuation de la P50 sont
aboutir à un rapport S2/S1 anormalement haut : présentes chez des patients souffrant de trouble
• soit par diminution d'amplitude lors de l'écoute affectif, y compris bipolaire [7, 21, 22], avec un carac-
du premier stimulus S1 (situation dite de gating tère héritable puisque retrouvées chez des appa-
in) ; rentés de premier degré [23].
• soit par absence de diminution d'amplitude lors Notons enfin que l'altération des phénomènes
de l'écoute du second stimulus S2 (situation dite de sensory gating et d'habituation chez les patients
de gating out). souffrant de schizophrénie a aussi pu être décrite
Ces deux altérations, non exclusives l'une de pour les composantes N1, P2 et pour le complexe
l'autre, entraînent une perturbation des phéno- N1/P2. Bien qu'ayant fait l'objet de moins d'études
mènes d'habituation [17]. que pour la composante P50, cette littérature, plus
Les résultats des différentes études portant sur récente, connaît actuellement un développement
les liens entre composante P50 et symptomatolo- notable [24]. Comme pour la P50, l'altération du sen-
gie schizophrénique restent controversés, peinant sory gating pour la composante N100 est retrouvée
à montrer des associations robustes [14, 18]. On sait chez des patients souffrant de schizophrénie, avec
par ailleurs que les patients souffrant de schizo- ou sans traitement antipsychotique [25].
phrénie présentent un tabagisme plus impor-
tant que la population générale. Comme chez les Considérations méthodologiques
témoins, le tabac pourrait jouer chez ces patients
un rôle facilitateur ou correcteur des phénomènes
et expérimentales
de sensory gating. Ce lien entre tabac et compo- L'évaluation du filtrage sensoriel est classiquement
sante P50 s'appuie de plus sur l'association retrou- réalisée au cours d'un protocole dit des « paires de
vée entre sensory gating et génétique de certains clics auditifs ». Il consiste en la présentation de deux
récepteurs nicotiniques [10]. stimulus identiques et rapprochés (habituellement
Enfin, concernant l'influence des traitements une paire de clics sonores identiques, très brefs),
psychotropes, les antipsychotiques atypiques sans qu'aucune tâche attentionnelle ne soit deman-
pourraient améliorer le rapport S2/S1 en compa- dée au sujet. Les paires de stimulus sont présentées à
raison des neuroleptiques classiques et parmi eux, une fréquence continue pendant toute la passation
la clozapine pourrait même normaliser ce rapport du test, et comportent idéalement deux sessions de
[16, 19]
, même s'il convient de rester prudent quant à 80 à 100 essais. Elles doivent être espacées de plus
la portée fonctionnelle de ces résultats électrophy- de 8 secondes (temps nécessaire à la récupération
siologiques [14]. de l'excitabilité corticale). La diminution d'ampli-
L'intérêt de l'étude de la composante P50 dans tude des composantes PEC lors des phénomènes
la schizophrénie s'est développé avec l'idée qu'elle de sensory gating est maximale lorsque l'intervalle

91
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

inter-stimulus (ISI) est de 500 ms. Les composantes impliquer des stimulus de nature complètement
P50, N100 et P200 sont obtenues après moyennage différente des stimulus réguliers [4]. Ces stimulus
des essais synchronisés après chaque clic de la paire réguliers doivent dans tous les cas représenter au
de stimulus. minimum 80 % de l'ensemble des stimulus, pour
Notons que, d'après notre expérience, l'ampli- que les stimulus déviants restent suffisamment
tude du complexe N1/P2 nous apparaît plus peu fréquents et donc suffisamment saillants.
robuste et aisée à mesurer que celle de la com- L'intervalle entre deux stimulus doit être com-
posante P50, plus réduite et souvent moins bien pris entre 500 ms et 1 s. Plus les différences entre
différenciée [2]. sons standards et déviants sont marquées, plus
la composante MMN apparaît précocement et
plus son amplitude est importante. Pour s'assurer
d'une participation attentionnelle minimale de
Mismatch negativity (MMN) dans la part des participants, il leur est classiquement
les troubles psychiatriques demandé de porter leur attention sur un stimulus
distracteur (condition passive de visionnage d'un
Présentation et interprétation film, par exemple).
fonctionnelle de la MMN
MMN et troubles psychiatriques
Une seconde réponse évoquée pré-attentionnelle,
la négativité de discordance (Mismatch Negativity, Une diminution de la MMN a été retrouvée dans
MMN), survient dans les zones frontocentrales à de nombreux troubles neurologiques et psychia-
la perception d'un stimulus différent de la trace triques. Tout d'abord, une altération de la MMN
mémorisée du stimulus précédent. Cette compo- en termes de réduction (voire d'absence) de son
sante est interprétée comme le reflet de processus amplitude et de retard de sa latence est constatée
automatiques permettant la distinction d'un sti- chez les patients présentant des troubles graves de
mulus nouveau (stimulus déviant) en comparai- la vigilance. Dans les situations de coma, la pré-
son avec les traces mnésiques des stimulus précé- sence d'une MMN est associée à un pronostic évo-
dents (stimulus standards) [26] (figure 5.3). lutif plus favorable des patients [29]. La MMN est
La MMN se retrouve y compris en dehors de aussi retrouvée significativement perturbée chez
toute participation attentionnelle des sujets, ce les patients souffrant de maladie d'Alzheimer [4].
qui présente un intérêt particulier pour des situa- En psychiatrie, la plupart des travaux établissent
tions expérimentales difficiles, qu'elles soient la MMN comme marqueur robuste de schizo-
physiologiques (enfants en bas âge) ou cliniques phrénie. Les patients souffrant de schizophrénie
(coma, faible capacité attentionnelle chez certains présentent une amplitude réduite et une latence
patients avec des troubles neurologiques ou psy- retardée de la MMN [30]. Concernant les stimulus
chiatriques). Cette composante est typiquement déviants, la durée des sons permettrait d'obtenir
décrite dans les aires frontotemporales. Elle est une discrimination plus fine et plus stable entre
obtenue par la différence entre les courbes cor- patients et témoins que la hauteur tonale des sti-
respondant aux conditions d'écoute de sons stan- mulus [31]. La MMN a pu être considérée comme
dards et déviants, avec une négativité culminant à marqueur biologique potentiel de vulnérabilité
une amplitude de 0,5-5 μV, à une latence comprise schizophrénique [20]. Néanmoins, une spécificité
entre 100 et 250 ms. Elle peut donc théoriquement limitée et une sensibilité inconstante tendent à
être influencée par l'enregistrement de compo- relativiser cette hypothèse. Ainsi, dans une étude
santes N100 plus précoces [27, 28]. comparant patients souffrant de schizophrénie,
Concrètement, les participants écoutent de troubles bipolaires et participants témoins,
une série de stimulus réguliers, au milieu des- Light et Braff n'ont retrouvé une perturbation de
quels sont aléatoirement présentés des stimulus la MMN que chez les patients souffrant de schi-
déviants. Ce non-appariement (mismatch) des zophrénie après quelques années de maladie. En
stimulus déviants peut consister en un aspect tout début de maladie ou avec un pronostic fonc-
isolé des caractéristiques des stimulus (hau- tionnel favorable, ces patients ne présenteraient
teur tonale, durée, intensité, localisation), voire ainsi pas d'altération franche de la MMN [32].

92
Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

Considérations méthodologiques La composante P300 est fonctionnellement


et expérimentales interprétée comme survenant lors de la détection
intentionnelle de stimulus saillants ou lors des
Le protocole expérimental est proche de celui uti- phénomènes d'orientation attentionnelle. L'am-
lisé dans les épreuves de type « oddball » permet- plitude de la composante P300 refléterait la prise
tant d'obtenir une composante P300. Le partici- en compte et l'actualisation du contexte face à la
pant écoute une série continue de sons réguliers perception d'une nouveauté. En d'autres termes,
(par exemple, des bips dits « standard » de 1 000 Hz elle interviendrait dans le maintien et la mise à
dont la durée est de 50 ms), parmi lesquels environ jour d'informations pertinentes impliquant la
20 % présentent une caractéristique différente (des mémoire de travail. La latence de la composante
bips dits « déviants », avec une hauteur modifiée P300 a été décrite comme témoignant de la vitesse
à 2 000 Hz ou une durée de 100 ms). La consigne ou de l'efficacité de l'évaluation des stimulus, de
attentionnelle est ici la plus passive possible, à la leur classification et de l'allocation des ressources
différence des épreuves de type P300. Il convient attentionnelles [33]. Nous reviendrons plus précisé-
d'enregistrer une session comprenant au moins ment sur la notion de ralentissement psychomo-
120 à 150 sons déviants, pour pouvoir soustraire teur dans la suite de ce chapitre.
cette condition à celle des sons réguliers. L'ISI La P300 est précédée de composantes précoces,
(intervalle inter-stimulus) est habituellement fixé moins dépendantes de l'attention et plus sensibles
à 500-1 000 ms. La courbe de différence obtenue aux modalités de présentation : la composante P1,
permet l'étude de la MMN [4] (figure 5.3). parfois, et principalement les composantes N1 et
N2. La composante N1 est aussi rencontrée dans
les protocoles de sensory gating, dans des moda-
lités différentes. La composante N2 est considé-
Attention et mémoire : rée comme le corrélat de la détection du stimulus
déviant.
la composante P300 dans Plus précisément, deux sous-composantes dis-
les troubles psychiatriques tinctes ont été décrites concernant la composante
P300, la P3a et la P3b :
Présentation et interprétation • la sous-composante P3a est observée pour des
fonctionnelle de la composante processus attentionnels automatiques précoces,
mis en jeu lors de réponses implicites orientées
P300
vers des stimulus nouveaux ou distracteurs
Les processus attentionnels et mémoriels peuvent (protocole oddball modifié, avec trois types de
être analysés à partir d'un potentiel évoqué de stimulus : cibles, standards et distracteurs) [34] ;
grande amplitude : la composante P300. Elle • la sous-composante P3b se rapprocherait de la
consiste en une déflexion positive débutant entre composante P300 classiquement décrite (pro-
250 et 500 ms après présentation d'un stimu- tocole oddball classique, sans distracteur) et
lus cible, et dont l'amplitude maximale se situe témoignerait de la détection intentionnelle
approximativement vers 300 ms (figure 5.4). de stimulus saillants [35] ; d'ailleurs, lorsque les
Typiquement, la composante P300 apparaît sous-composantes ne sont pas explicitement
lors de la présentation de stimulus cibles, irrégu- distinguées dans les études électrophysiolo-
liers et peu fréquents, parmi d'autres stimulus, giques, le terme de P300 se réfère principale-
réguliers et « standards ». Ce paradigme appelé ment à cette composante P3b.
« oddball » peut classiquement se décliner en Se fondant sur des études avec électrodes pro-
modalité auditive ou visuelle. Les participants fondes, des travaux d'imagerie fonctionnelle et de
ont pour consigne de porter attention aux stimu- localisation de sources, trois types de générateurs
lus cibles (par exemple, repérer des sons aigus) corticaux potentiels ont pu être envisagés : fron-
parmi d'autres sons, plus fréquents (des sons tal, temporal et à la jonction temporopariétale.
plus graves). Ils doivent compter mentalement le Selon le modèle de Polich, la région frontale serait
nombre de stimulus cibles ou presser manuelle- impliquée dans l'orientation et l'évaluation de sti-
ment un bouton à chaque présentation [4]. mulus irréguliers nouveaux (notamment avec la

93
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

sous-composante P3a), alors que les régions plus postérieures temporales [40], surtout pour une
postérieures interviendraient dans le maintien consigne de comptage, sans réponse motrice [41].
d'informations saillantes en mémoire de travail La question de l'influence de l'âge des patients
(sous-composante P3b) [33]. est elle aussi problématique, avec une augmenta-
Notons enfin qu'en population normale, on tion de la latence chez les patients après 55 ans [42].
retrouve un effet de l'âge des participants plus Plusieurs résultats plaident pour une absence de
marqué que pour d'autres PEC. Cet effet de l'âge lien entre les altérations de l'onde P300 et les trai-
implique une diminution de l'amplitude et une tements médicamenteux. Cependant, l'absence
augmentation de la latence de la P300 [36]. d'approche systématisée et contrôlée des anti-
psychotiques impose la prudence quant à l'inter-
Composante P300 et troubles prétation de l'influence médicamenteuse sur la
composante P300. La grande majorité de ces alté-
psychiatriques rations concerne la sous-composante P3b, même
La composante P300 est le potentiel cognitif le si l'amplitude de la sous-composante P3a a aussi
plus fréquemment exploré en électrophysiolo- été retrouvée diminuée [43].
gie chez des patients souffrant de troubles psy- Enfin, une perturbation de la composante P300
chiatriques. Une littérature abondante concerne a été constatée dans le champ plus large de la vul-
notamment le domaine de la schizophrénie. nérabilité schizophrénique, auprès de populations
Cependant, la composante P300 peut être modi- à haut risque. Ce risque schizophrénique peut être
fiée dans de très nombreuses autres pathologies de nature génétique (apparentés au premier degré),
neuropsychiatriques, impliquant une spécificité intermédiaire (troubles schizotypiques) ou clinique
particulièrement limitée. pur (symptômes prodromaux) (pour revue : [37]).
La plupart des travaux portant sur la P300 Mais les altérations de la composante P300 ne
retrouvent pour des patients souffrant de schi- se limitent pas à la schizophrénie et peuvent être
zophrénie une diminution de son amplitude et retrouvées dans de nombreux autres troubles
une augmentation de sa latence [37, 38]. Sur les liens neuropsychiatriques. Les états dépressifs peuvent
entre diminution de l'amplitude et symptomato- entraîner une diminution de l'amplitude de la
logie schizophrénique, les résultats apparaissent P300 [44]. Sa latence a pu être décrite comme pré-
hétérogènes, indiquant un lien possible avec une servée [45] ou, au contraire, associée à des états
symptomatologie négative, des signes productifs dépressifs particulièrement sévères ou mélan-
ou de désorganisation. Le type de consigne (et coliques [46, 47]. Ainsi, les latences des deux sous-
donc le degré de participation attentionnelle) est composantes P3a et P3b ont pu être considérées
l'un des facteurs cruciaux de variabilité chez des comme un reflet indirect du ralentissement psy-
participants témoins ou malades [33, 38]. chomoteur, surtout si le temps de réponse motrice
Une autre question controversée concerne la est supérieur à la latence de la P3a [48]. De plus,
notion de stabilité des altérations de la P300 : elle les troubles affectifs bipolaires peuvent entraîner
associe très probablement un caractère de trait une diminution de l'amplitude de la P300 [49], et
stable, présent dès le premier épisode de la mala- ce dès le premier épisode maniaque [50]. Enfin, les
die, mais accentué comme marqueur d'état dans patients souffrant de dépendance alcoolique pré-
des phases d'aggravation [39]. sentent eux aussi une réduction de l'amplitude
Les perturbations de la P300 auprès des patients de la P300, y compris dans les périodes d'absti-
avec schizophrénie ont été initialement décrites en nence [46]. Un autre champ important de recherche
région médiale, centropariétale. Mais ces altéra- concerne les perturbations de la P300 chez les
tions médiales présenteraient le désavantage d'être patients souffrant de trouble démentiel, notam-
limitées en termes de spécificité, puisque présentes ment de maladie d'Alzheimer [45].
également dans d'autres troubles neuropsychia-
triques. Ainsi, les perturbations latérales de la Considérations méthodologiques
P300 pourraient être plus pertinentes, parce que
et expérimentales
plus spécifiques des troubles schizophréniques.
Cette asymétrie (réduction de la P300 plus mar- La composante P300 est obtenue lors d'une
quée à gauche) impliquerait notamment les zones épreuve de type « oddball », associant typiquement

94
Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

l'écoute de sons réguliers (bips sonores de 500 ou comportemental (réduction du temps de réaction)
1 000 Hz, durant 50–150 ms, environ 80 % des sti- et électrophysiologique : l'amplitude de la N400
mulus écoutés) et sons déviants (bips sonores plus est inversement proportionnelle au degré de rela-
aigus de 1 000 ou 2 000 Hz, de même durée, envi- tion sémantique entre les deux mots. Lorsque le
ron 20 % des stimulus). Dans le but de favoriser le contexte sémantique consiste en des phrases com-
développement de la composante P3a et de la dis- plètes, la distribution spatiale, l'évolution tempo-
tinguer de la P3b, un troisième type de stimulus relle et les modulations de la composante N400
distracteurs (de nature différente) a été proposé. sont proches de celles observées pour les paires
Dans ce dernier cas, les stimulus déviants et dis- de mots. Notons enfin que la composante N400
tracteurs représentent respectivement 15 % et 5 % se développe de façon plus précoce en modalité
des stimulus présentés. À la différence des proto- auditive, notamment pour des phrases entières
coles de MMN, il est demandé au participant de (langage « naturel » ou écologique).
porter attention aux stimulus déviants, soit en les Lorsqu'on parle de la N400 sans autre précision,
comptant mentalement soit en pressant un bou- on fait référence aux courbes brutes rencontrées
ton réponse (permettant la prise en compte du lors de la présentation d'un mot cible congruent
temps de réaction, TR). (composante de faible amplitude) ou incongru
(de forte amplitude). Lorsqu'on parle d'effet N400,
on fait alors référence à la courbe unique issue de
Linguistique : la composante la différence des deux courbes brutes (condition
incongrue moins condition congruente). L'occur-
N400 dans les troubles rence d'une composante N400 n'est pas limitée aux
psychiatriques situations d'incongruité ou de violation séman-
tique. Un mot isolé suscite aussi une composante
Présentation et interprétation N400. Plusieurs facteurs modulent son ampli-
fonctionnelle de la composante tude : la N400 est plus négative pour un mot peu
fréquent, peu typique d'une catégorie sémantique
N400
ou lors de sa première présentation. Les conditions
En neurolinguistique, l'étude de la N400 s'est expérimentales modulent aussi la composante
développée depuis le début des années 1980. Ini- N400. Ainsi, le type d'épreuve cognitive proposée
tialement décrite par Kutas et Hillyard, la N400 et le degré d'implication des participants (atten-
est une négativité débutant chez les sujets témoins tion, motivation, réponse motrice) influencent
vers 200 ms, et dont l'amplitude est maximale vers son amplitude, typiquement plus grande pour les
400 ms sur la région centropostérieure droite [51]. tâches les plus actives (prononciation, décision
Cette négativité est suscitée par un mot cible lors lexicale, catégorisation, jugement de plausibilité)
de manipulations du contexte sémantique, que ce comparées aux tâches plus passives (tâche distrac-
contexte soit un mot amorce (paires de mots), une tive, écoute passive, lecture silencieuse).
phrase entière ou un corpus de quelques phrases. Schématiquement, deux situations peuvent être
La N400 est typiquement sensible aux varia- distinguées :
tions sémantiques, reflétant la difficulté d'inté- • lors de la présentation d'une paire de mots, un
gration d'un mot dans le contexte qui le précède. délai court entre amorce et cible (ou SOA, Sti-
L'amplitude de la N400 est donc plus grande mulus Onset Asynchrony) favoriserait l'impli-
lorsqu'un mot est incongru (figure 5.5), inattendu cation de mécanismes cognitifs automatiques
ou non adéquat dans le contexte. Concernant les et peu conscients ; ce premier niveau, tacite et
études par paires de mots, l'amorçage sémantique précoce, engage une activation automatique du
fait référence aux mécanismes impliqués lorsque réseau sémantique ;
la présentation d'un premier mot (« fleur ») active • à l'inverse, la présentation d'une paire de mots
les représentations des mots qui sont sémantique- avec SOA long ou d'une phrase entière impli-
ment reliés (« tulipe »). L'effet d'amorçage séman- querait des mécanismes plus contrôlés et inten-
tique décrit donc l'influence facilitatrice d'un tionnels ; pour ce second niveau, plus tardif,
premier stimulus (amorce) sur le traitement du deux approches ont été proposées : l'une est fon-
suivant (cible). Cet effet a été étudié aux niveaux dée sur la mise en jeu de processus intégratifs

95
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

(stratégie d'intégration séquentielle du sens de Il s'agit alors de se montrer particulièrement


chaque mot) et l'autre sur des processus d'anti- prudent si l'on veut proposer un modèle séman-
cipation (génération d'attentes ou stratégie pré- tique et en interpréter les perturbations schizo-
dictive de candidats sémantiques) [51]. phréniques. De façon réductrice, et pour reprendre
Mais cette opposition reste très théorique, alors les deux niveaux de traitement sémantique phy-
qu'un modèle plus récent impliquerait tous les siologiquement décrits, on peut distinguer deux
aspects linguistiques accessibles, aussi rapide- types de baisse d'amplitude de l'effet N400 [51, 58–60].
ment que possible, et quelle que soit leur nature : À un niveau automatique — lors d'un amorçage
sémantique, syntaxique, phonologique ou prag- sémantique rapide, c'est-à-dire pour des paires de
matique [52]. mots avec SOA court —, on retrouve une baisse
Plusieurs sources cérébrales seraient impli- de l'amplitude de la composante N400 pour des
quées dans la genèse de la composante N400. Une mots cibles incongrus, aboutissant à une baisse de
méta-analyse récente propose l'organisation fonc- la courbe de différence (baisse de l'effet N400). Ce
tionnelle suivante : les représentations lexicales résultat témoignerait d'une hyperactivation dif-
seraient stockées dans le gyrus temporal médian, fuse et aberrante des réseaux sémantiques. À un
le sillon temporal supérieur et le cortex temporal niveau plus contrôlé — lors de l'écoute de phrases
inférieur. Ont accès à ces représentations lexicales entières ou lors d'un amorçage sémantique plus
plusieurs autres régions du réseau sémantique [53] : lent par paires de mots avec SOA long —, la baisse
• le cortex temporal antérieur et le gyrus angu- de l'effet N400 résulterait au contraire de l'aug-
laire permettraient l'intégration d'informations mentation de l'amplitude de la composante N400
récentes ; pour des mots cibles congruents. Cette pertur-
• le gyrus frontal antéro-inférieur participerait bation proviendrait plutôt d'un usage altéré du
au rappel contrôlé ; contexte sémantique [60].
• le gyrus frontal postéro-inférieur interviendrait À l'exception de la maladie d'Alzheimer pour
dans la sélection des représentations candidates laquelle une diminution et un retard de l'effet
potentielles. N400 sont aussi constatés, il existe très peu de
travaux concernant les autres troubles psychia-
Composante N400 et troubles triques. Les rares études qui ont exploré la com-
posante N400 dans le trouble dépressif ou dysthy-
psychiatriques mique concluent à une préservation de l'amplitude
La majorité des études sur la composante N400 de l'effet N400 [61, 62]. Dans les troubles affectifs
dans les troubles psychiatriques concerne la schi- bipolaires (qui peuvent impliquer des troubles du
zophrénie. De très nombreux travaux retrouvent cours de la pensée parfois proches de ceux ren-
une altération du traitement sémantique dans contrés dans la schizophrénie), les résultats sont
la schizophrénie, avec notamment une diminu- plus contrastés et tout aussi peu nombreux. Lors
tion de l'amplitude et/ou une augmentation de la d'un protocole d'amorçage sémantique — paires
latence de l'effet N400. Mais les résultats restent de mots visuellement présentés avec SOA court, à
malgré tout hétérogènes : selon les auteurs, ces un niveau automatique —, on observe une dimi-
perturbations de l'effet N400 sont constatées chez nution de l'effet N400 chez des patients souffrant
les patients avec le plus d'hallucinations [54] ou, au de troubles bipolaires en phase maniaque [63]. En
contraire, chez les patients avec un syndrome de revanche, pour un matériel linguistique plus éco-
désorganisation le plus marqué [55–57]. logique — phrases entières présentées en moda-
De plus, les protocoles expérimentaux restent lité auditive —, des patients symptomatique-
eux aussi très variés, puisqu'impliquant des sti- ment équivalents présentent un effet N400 et des
mulus d'amorçage sémantique (paires de mots) courbes brutes préservés [64]. Une spécificité et une
ou du matériel plus écologique (phrases entières), sensibilité limitées empêchent ainsi de considérer
présentés en modalité auditive ou surtout visuelle, la composante N400 comme un endophénotype
décrivant les courbes brutes ou la courbe de dif- schizophrénique robuste [20]. Notons enfin que les
férence (effet N400), à partir d'hypothèses activa- critères de stabilité temporelle de la composante
trices ou inhibitrices. N400 et de ses modulations restent particuliè-

96
Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

rement peu connus, tant en population témoin Considérations méthodologiques


[65]
que lors des différentes étapes évolutives des et expérimentales
troubles psychiatriques majeurs.
Les protocoles neurolinguistiques explorant les
composantes N400 et P600 reposent sur des stimu-
La composante P600/LPC lus visuels (mots lus ou images) ou auditifs (langage
La composante P600 (ou LPC pour Late Posi- parlé, naturel ou de synthèse). La courbe d'effet est
tive Component) reflète classiquement les pro- obtenue après différence des courbes brutes enre-
cessus de vérification linguistique, notamment gistrées en conditions congruentes et incongrues.
d'ordre structural ou syntaxique. La LPC/P600 Les stimulus pris en compte sont principalement
est retrouvée plus tardivement, en utilisant les des mots cibles (lus ou écoutés), après présentation
mêmes paradigmes linguistiques que la N400. En d'un stimulus amorce (amorçage sémantique par
effet, lors de la présentation de phrases isolées ou paires de mots ou paires image-mot) ou présenta-
faisant partie d'un discours, la composante N400 tion d'un début de phrase (phrase entière).
est typiquement suivie d'une positivité dont l'am- Le degré de participation attentionnelle peut
plitude se développe entre 450 et 900 ms. Elle est être modulé par la consigne donnée au partici-
associée au traitement syntaxique des stimulus pant (écoute passive, tâche de décision ou de juge-
linguistiques : son amplitude est augmentée lors ment lexical, etc.).
de violations syntaxiques [58]. Enfin, notons que lors des protocoles d'amor-
Cependant, la spécificité syntaxique de la com- çage sémantique par paires de stimulus, l'inter-
posante LPC/P600 fait l'objet de nombreuses valle entre l'amorce et la cible peut être :
controverses [52, 61, 66] : certains auteurs considèrent • de courte durée (SOA < 400–500 ms) et privilé-
qu'elle refléterait le traitement syntaxique indé- gier des mécanismes d'activation sémantiques
pendamment du traitement sémantique ; d'autres automatiques ;
auteurs pensent que cette composante serait liée • ou prolongé (SOA > 400–500 ms) et privilégier
à l'intégration des traitements sémantique, syn- alors des stratégies plus contrôlées, intégratives,
taxique et orthographique, à l'intégration d'infor- prédictives ou inhibitrices.
mations prosodiques et syntaxiques, à la mise à
jour générale du contexte, ou à l'analyse attentive
du sens global de la phrase. La composante P600
est par ailleurs sensible aux variations séman-
Variation contingente négative
tiques et refléterait des mécanismes d'analyse et (VCN) dans les troubles
de vérification. psychiatriques
L'ensemble de ces processus de vérification/
intégration dans une approche globale du maté- Présentation et interprétation
riel linguistique présenté est parfois présenté
sous le terme de processus de wrap-up lorsque
fonctionnelle de la VCN
le stimulus cible complète une phrase en posi- Cette composante, initialement décrite par Wal-
tion terminale [52, 66]. La question de l'articulation ter (1964), reflète les processus d'éveil, d'antici-
entre N400 et LPC/P600 soulève également de pation et de préparation motrice [67]. Elle consiste
nombreux débats : « chevauchement » temporel en une déflexion négative de grande amplitude
et spatial de deux composantes indépendantes ou (15 à 20 μV) se développant après la survenue de
différentes phases des mêmes mécanismes inté- deux stimulus, un avertisseur et un signal impé-
gratifs. ratif. Après ce deuxième signal, impératif, le par-
Dans les troubles psychiatriques, la composante ticipant doit répondre de façon motrice, le plus
P600 peut présenter une diminution de l'ampli- rapidement possible. La composante VCN est
tude de l'effet P600 et/ou un retard de sa latence, dite contingente parce que dépendante des para-
sans spécificité diagnostique puisque retrouvée mètres de stimulation.
dans la schizophrénie comme dans les troubles Après le stimulus préparatoire, la VCN débute
dépressifs ou bipolaires [51, 58, 61, 62, 64]. dans les zones frontocentrales entre 200 et 500 ms,

97
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

après un complexe N1/P2. Elle peut durer plusieurs en faveur d'une bonne réponse au traitement. La
dizaines de secondes et son amplitude peut atteindre PINV disparaît lors de la rémission. Une VCN
20 microvolts. Elle est constituée de trois compo- de faible amplitude persistante est plutôt de
santes : mauvais pronostic.
• une VCN précoce ; La VCN peut être altérée chez d'autres patients
• une VCN tardive ; (troubles dépressifs, troubles anxieux), avec l'hypo-
• et un potentiel post-impératif. thèse insuffisamment explorée d'un lien potentiel
La première, plus précoce et de distribution entre altération de la VCN et risque de passage à
frontale, reflète une réaction d'orientation. l'acte autoagressif [69]. De rares publications font
La seconde, plus tardive et centrale, témoigne état du caractère prédictif d'une VCN de très faible
de mécanismes de préparation motrice. amplitude, voire indétectable, pour le risque suici-
La courbe suivant cette deuxième composante daire [46]. Celui-ci est élevé lorsque la VCN est indé-
présente chez les participants témoins un aspect tectable. Ceci correspond à notre expérience cli-
de décroissance appelée voltage post-impératif nique. Dans les troubles affectifs (trouble dépressif,
classiquement positif (appelé PIPV). trouble bipolaire), la VCN est de faible amplitude
Notons de plus que l'amplitude de la VCN est avec une PINV, mais le temps de réaction est aug-
inversement proportionnelle au temps de réaction menté. Il existe une corrélation entre la faible ampli-
de la réponse motrice au stimulus impératif [48]. tude de la VCN et la sévérité du trouble dépressif.
C'est un potentiel très lent de l'ordre de 1 seconde La VCN se normalise avec l'amélioration de l'état
ou plus (soit de fréquence égale ou inférieure à clinique. Enfin, la VCN reste un potentiel éminem-
1 Hz), qui pourrait avoir comme tous les poten- ment variable de manière intra-individuelle, chez le
tiels lents corticaux une origine en partie gliale. sujet témoin [69] comme chez les patients souffrant
de troubles psychiatriques [68].
VCN et troubles psychiatriques
Considérations méthodologiques
L'exploration de la VCN auprès de patients
souffrant de troubles psychiatriques remonte et expérimentales
au milieu des années 1960 et en fait le poten- La VCN est enregistrée lors d'un protocole de pré-
tiel évoqué cognitif le plus anciennement étudié. paration motrice, au cours duquel les participants
Chez les patients souffrant de schizophrénie, on doivent réagir par une réponse motrice après la
constate sur les électrodes centrales (Cz notam- perception de deux stimulus successifs. Le pre-
ment) une diminution de l'amplitude de com- mier stimulus S1 (dit stimulus « avertisseur »,
posante tardive de la VCN (inférieure à 10 μV), parfois auditif, ou le plus souvent visuel) signale
voire l'apparition d'un potentiel post-impératif au participant la survenue d'un stimulus S2 (dit
négatif (ou PINV). Classiquement, la diminu- stimulus « impératif ») auquel il devra répondre en
tion de l'amplitude de la VCN est interprétée pressant un bouton réponse ; le participant éteint
comme reflétant la diminution des capacités alors le premier stimulus S1.
d'apprentissage et d'association des événements.
Chez les patients souffrant de schizophrénie,
l'apparition d'une PINV reste péjorative, et
est considérée comme pathologique si l'ampli- Perspectives : endophénotypes
tude de la négativité est supérieure à 1,5 fois la psychiatriques ou profils
VCN. Cette PINV est habituellement comprise
comme une difficulté à construire des repré- électrophysiologiques
sentations perceptives fiables et stables [68]. La dynamiques ?
figure 5.6 reprend un profil théorique de VCN,
suivi d'un voltage post-impératif positif (PIPV, L'exploration des PEC dans les troubles psychia-
en pointillé) ou négatif (PINV, en plein). Dans la triques majeurs s'est récemment développée dans
schizophrénie, la VCN est de faible amplitude, l'espoir de proposer des endophénotypes, c'est-
avec une PINV présente, mais un temps de réac- à-dire des marqueurs biologiques robustes, pré-
tion conservé [48]. Une PINV bien développée est coces, stables, héritables et spécifiques de tel ou tel

98
Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

trouble psychiatrique. Cette perspective a notam- strict, plusieurs perspectives méritent d'être
ment concerné les composantes P50, MMN, P300 explorées à l'avenir :
ou N400 [14, 20, 21, 24]. La littérature montre malgré • tout d'abord, il est nécessaire d'explorer plus
tout une hétérogénéité importante de résultats, en détail l'influence des différents traitements
qui pourrait s'expliquer par une grande variété psychotropes (antipsychotiques, thymorégula-
de protocoles expérimentaux (stimulus, modali- teurs, antidépresseurs, anxiolytiques, correc-
tés d'enregistrement, consignes et participation teurs anticholinergiques) sur les résultats obte-
attentionnelle des participants) et de populations nus par enregistrement électrophysiologique.
cliniques (phase évolutive des troubles, évaluation La majorité des travaux actuels se limite ainsi
de la symptomatologie, traitement reçu). à comparer antipsychotiques et neuroleptiques
Mais au-delà de ces limites expérimentales et de première génération, voire à contrôler l'in-
cliniques, trois autres types de limites doivent être fluence des traitements par leur simple dose
considérés [37, 58] : équivalente (par exemple, chlorpromazine pour
• premièrement, la question de la spécificité est les antipsychotiques) ;
insuffisamment étudiée et, si les travaux sur • ensuite, on pourrait concevoir la combinai-
la schizophrénie sont particulièrement nom- son d'un score composite, issu de différentes
breux, le champ des troubles psychiatriques variables PEC. Une analyse systématique, sans
non schizophréniques (troubles de l'humeur, a priori, des différentes variables issues de dif-
troubles anxieux, TOC, etc.) reste bien plus férents PEC auprès de différents groupes de
rarement exploré. Ce point découle en grande patients, pourrait potentiellement permettre de
partie d'une surspécialisation des équipes de dégager des scores ou variables intermédiaires,
recherche (nous pourrions décrire schémati- peut-être plus spécifiques de telle ou telle patho-
quement cette situation par le problème du « un logie [20, 21, 37] ;
laboratoire, un PEC, une pathologie ») ; • toujours à partir de différentes variables PEC, il
• deuxièmement, il convient de considérer pru- est primordial de considérer une approche élec-
demment la sensibilité des altérations de ces trophysiologique pour un participant unique,
PEC. Une différence statistiquement significa- dans une perspective de transfert clinique. Plu-
tive entre deux populations ne permet pas tou- sieurs guidelines aident désormais à promou-
jours de retrouver cette altération parmi tous voir une reproductibilité des protocoles [3, 4] et
les participants du groupe clinique. Les travaux à permettre de systématiser des explorations
de recherche reposant sur le grand moyen- PEC, y compris à un niveau individuel, avant
nage de participants témoins ou souffrant de grand moyennage. On pourrait ainsi s'inté-
troubles psychiatriques tendent probablement resser à une notion clinique donnée (ralentis-
à atténuer la portée de cette limite. Mais le sement psychomoteur, troubles formels de la
manque de transfert clinique individuel, en pensée, impulsivité, etc.) et en observer les dif-
pratique courante, souligne, selon nous, cette férents aspects électrophysiologiques au moyen
problématique ; de plusieurs PEC. Par exemple, le ralentisse-
• enfin, le troisième point concerne la différence ment psychomoteur clinique, classiquement
importante qu'on peut retrouver entre profil décrit comme un mécanisme unitaire, gagne-
temporel d'un trouble psychiatrique au long rait à être caractérisé de façon électrophysiolo-
cours et évolution dynamique d'un enregistre- gique, à partir de variables telles que le temps
ment électrophysiologique. En d'autres termes, de réaction obtenu lors d'épreuves de type
il reste difficile de décrire un marqueur PEC P300, N400, VCN, et les latences de ces dif-
comme marqueur d'état ou trait stable alors férentes composantes. La compréhension des
que la stabilité temporelle propre à un PEC est manifestations cliniques bénéficierait alors de
encore très mal connue [65]. l'apport des études avec PEC. Dans la pratique,
L'aspect dynamique des composantes P50, P300 on observe que ce ralentissement psychomo-
et N400 au cours du temps [70] va ainsi contre la teur est fondamentalement hétérogène, avec
notion de type marqueur stable, spécifique, d'une souvent des dissociations entre une latence
pathologie donnée. En revanche, si les PEC ne d'un potentiel et la valeur du temps de réac-
peuvent constituer des endophénotypes au sens tion associé, ou bien la non-concordance entre

99
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

plusieurs modifications du temps de réaction qualifier le ralentissement psychomoteur mais


selon le type de PEC enregistré dans un exa- qui, en plus, nous permet de disposer d'un profil
men comprenant plusieurs protocoles ; neurocognitif avec de très nombreuses variables
• rechercher des endophénotypes à partir d'une (figure 5.7). Actuellement la pertinence de ces
ou deux variables provenant d'un seul type de variables est à l'étude pour en réduire le nombre
potentiel évoqué n'a peut-être pas grand sens. et pour définir soit des profils évolutifs, soit des
On pourrait proposer de réaliser non pas l'éva- profils plus caractéristiques, non pas tant des
luation d'une fonction cognitive spécifique, pathologies psychiatriques en elles-mêmes que
mais un examen qui soit en quelque sorte un des variantes de ces pathologies (comme le font
profil neurocognitif, sur une base non plus de les évaluations neuropsychologiques) ;
tests ou de questionnaires, mais sous la forme • enfin, pour en revenir aux endophénotypes, la
d'un ensemble d'acquisitions de PEC, permet- faible spécificité des différents paramètres (le
tant de définir un profil neurocognitif. C'est gating de la P50, par exemple) censés consti-
ainsi que nous proposons aux patients un tuer des endophénotypes d'une pathologie
examen de deux heures, très bien toléré, qui nous oblige à reconsidérer entièrement la pro-
comprend après un EEG conventionnel les blématique des endophénotypes neurophysio-
enregistrements des différents PEC présentés logiques. L'expérience quotidienne que nous
précédemment ; nous disposons ainsi d'une avons des profils neurocognitifs obtenus par
matrice de quelque cinquante paramètres, qui des examens intégrés de potentiels évoqués
nous autorise non seulement à quantifier et nous amène plutôt à penser que ceux-ci sont soit

Figure 5.7. Modèle de profil neurophysiologique fondé sur les PEC.


Ce profil (d'autres sont possibles) est fondé sur des paramètres de potentiels auditifs à latence moyenne (+gating), de
P300 et de N400.

100
Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

des marqueurs d'état (au même titre que l'EEG) review and data analysis. Psychiatry Res 2008 ; 158 :
soit des marqueurs de présentation neurocogni- 226–47.
tive d'une pathologie spécifiée (comme en neu- [13] Crawford HJ, McClain-Furmanski D, Castagnoli Jr N,
ropsychologie). D'une manière plus générale, la et al. Enhancement of auditory sensory gating and sti-
mulus-bound gamma band (40 Hz) oscillations in heavy
course éperdue à la recherche des endophéno- tobacco smokers. Neurosci Lett 2002 ; 317 : 151–5.
types pourrait relever d'une tentative de réduc-
[14] Houy E, Thibaut F. Onde P50 dans la schizophrénie.
tion problématique de la pathologie mentale à Psychiatrie. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris). 2007,
quelques variables comme nous le détaillerons 37-258-A-14.
dans le chapitre 11. [15] Brenner CA, Kieffaber PD, Clementz BA, et  al.
Event-related potential abnormalities in schizophre-
Références nia : a failure to “gate in” salient information ?
Schizophr Res 2009 ; 113 : 332–8.
[1] Guérit J-M. Les potentiels évoqués. Paris : Masson ; [16] Light GA, Geyer MA, Clementz BA, et  al. Normal
1998. P50 suppression in schizophrenia patients treated
[2] Faugère M, Cermolacce M, Balzani C, et  al. with atypical antipsychotic medications. Am J
Neurophysiologie clinique en psychiatrie : 2. Psychiatry 2000 ; 157 : 767–71.
Potentiels évoqués cognitifs en psychiatrie. Ann Med [17] Chang WP, Arfken CL, Sangal MP, et al. Probing the
Psychol 2013 ; 171 : 342–9. relative contribution of the first and second res-
[3] Picton TW, Bentin S, Berg P, et  al. Guidelines for ponses to sensory gating indices : a meta-analysis.
using human event-related potentials to study cogni- Psychophysiology 2011 ; 48 : 980–92.
tion : recording standards and publication criteria. [18] Potter D, Summerfelt A, Gold J, et al. Review of clinical
Psychophysiology 2000 ; 37 : 127–52. correlates of P50 sensory gating abnormalities in
[4] Duncan CC, Barry RJ, Connolly JF, et  al. Event- patients with schizophrenia. Schizophr Bull 2006 ; 32 :
related potentials in clinical research : guidelines for 692–700.
eliciting, recording, and quantifying mismatch [19] Adler LE, Olincy A, Cawthra EM, et  al. Varied
negativity, P300, and N400. Clin Neurophysiol 2009 ; effects of atypical neuroleptics on P50 auditory
120 : 1883–908. gating in schizophrenia patients. Am J Psychiatry
[5] Vaughan Jr HG, Ritter W. The sources of auditory 2004 ; 161 : 1822–8.
evoked responses recorded from the human scalp. [20] Allen AJ, Griss ME, Folley BS, et al. Endophenotypes
Electroencephalogr Clin Neurophysiol 1970 ; 28 : in schizophrenia : a selective review. Schizophr Res
360–7. 2009 ; 109 : 24–37.
[6] Hyde M. The N1 response and its applications. [21] Thaker GK. Neurophysiological endophenotypes
Audiol Neurootol 1997 ; 2 : 281–307. across bipolar and schizophrenia psychosis.
[7] Franks RD, Adler LE, Waldo MC, et  al. Schizophr Bull 2008 ; 34 : 760–73.
Neurophysiological studies of sensory gating in [22] Baker N, Adler LE, Franks RD, et  al.
mania : comparison with schizophrenia. Biol Neurophysiological assessment of sensory gating in
Psychiatry 1983 ; 18 : 989–1005. psychiatric inpatients : comparison between schi-
[8] Freedman R, Adler LE, Waldo MC, et  al. zophrenia and other diagnoses. Biol Psychiatry
Neurophysiological evidence for a defect in inhibi- 1987 ; 22 : 603–17.
tory pathways in schizophrenia : comparison of [23] Hall MH, Schulze K, Rijsdijk F, et al. Heritability and
medicated and drug-free patients. Biol Psychiatry reliability of P300, P50 and duration mismatch nega-
1983 ; 18 : 537–51. tivity. Behav Genet 2006 ; 36 : 845–57.
[9] Adler LE, Pachtman E, Franks RD, et  al.
[24] Boutros NN. P300 amplitude reduction in schi-
Neurophysiological evidence for a defect in neuronal zophrenia : an endophenotype or an illness indica-
mechanisms involved in sensory gating in schi- tor ? Clin Neurophysiol 2008 ; 119 : 2669–70.
zophrenia. Biol Psychiatry 1982 ; 17 : 639–54.
[25] Brockhaus-Dumke A, Mueller R, Faigle U, et  al.
[10] Javitt DC. Sensory processing in schizophrenia : nei- Sensory gating revisited : relation between brain
ther simple nor intact. Schizophr Bull 2009 ; 35 : oscillations and auditory evoked potentials in schi-
1059–64. zophrenia. Schizophr Res 2008 ; 99 : 238–49.
[11] Boutros NN, Struve F. Electrophysiological assess- [26] Naatanen R, Gaillard AW, Mantysalo S. Early selec-
ment of neuropsychiatric disorders. Semin Clin tive-attention effect on evoked potential reinterpre-
Neuropsychiatry 2002 ; 7 : 30–41. ted. Acta Psychol (Amst) 1978 ; 42 : 313–29.
[12] Patterson JV, Hetrick WP, Boutros NN, et al. P50 sen- [27] Naatanen R, Kujala T, Escera C, et al. The mismatch
sory gating ratios in schizophrenics and controls : a negativity (MMN) – A unique window to disturbed

101
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

central auditory processing in ageing and different dow is auditory specific and training sensitive.
clinical conditions. Clin Neurophysiol 2012 ; 123 : Schizophr Res 2005 ; 78 : 117–25.
424–58. [42] Mathalon DH, Ford JM, Pfefferbaum A. Trait and
[28] Naatanen R, Paavilainen P, Rinne T, et al. The mis- state aspects of P300 amplitude reduction in schi-
match negativity (MMN) in basic research of central zophrenia : a retrospective longitudinal study. Biol
auditory processing : a review. Clin Neurophysiol Psychiatry 2000 ; 47 : 434–49.
2007 ; 118 : 2544–90. [43] Mathalon DH, Hoffman RE, Watson TD, et  al.
[29] Fischer C, Morlet D, Bouchet P, et al. Mismatch nega- Neurophysiological distinction between schizophre-
tivity and late auditory evoked potentials in coma- nia and schizoaffective disorder. Front Hum
tose patients. Clin Neurophysiol 1999  ; 110 : Neurosci 2010 ; 3 : 70.
1601–10. [44] Blackwood DH, Whalley IJ, Christine JE, et  al.

[30] Umbricht D, Krljes S. Mismatch negativity in schi- Changes in auditory P3 event-related potentials in
zophrenia : a meta-analysis. Schizophr Res 2005 ; 76 : schizophrenia and depression. Br J Psychiatry 1987 ;
1–23. 150 : 154–60.
[31] Todd J, Michie PT, Schall U, et al. Deviant matters : [45] Pfefferbaum A, Ford JM, Wenegrat BG, et al. Clinical
duration, frequency, and intensity deviants reveal application of the P3 component of event-related
different patterns of mismatch negativity reduction potentials. I. Normal aging. Electroencephalogr Clin
in early and late schizophrenia. Biol Psychiatry Neurophysiol 1984 ; 59 : 85–103.
2008 ; 63 : 58–64. [46] Hansenne M. Le potentiel évoqué cognitif P300 (II) :
[32] Light GA, Braff DL. Mismatch negativity deficits are variabilité interindividuelle et application clinique
associated with poor functioning in schizophrenia en psychopathologie. Neurophysiol Clin 2000 ; 30 :
patients. Arch Gen Psychiatry 2005 ; 62 : 127–36. 211–31.
[33] Polich J. Updating P300 : an integrative theory of P3a [47] Hansenne M. Le potentiel évoqué cognitif P300 (I) :
and P3b. Clin Neurophysiol 2007 ; 118 : 2128–48. aspects théorique et psychobiologique. Neurophysiol
[34] Javitt DC, Grochowski S, Shelley AM, et al. Impaired Clin 2000 ; 30 : 191–210.
mismatch negativity (MMN) generation in schi- [48] Timsit-Berthier M, Gerono A. Manuel d'interpréta-
zophrenia as a function of stimulus deviance, proba- tion des potentiels évoqués endogènes (P300 et
bility, and interstimulus/interdeviant interval. VCN). Liège : Mardaga ; 1998.
Electroencephalogr Clin Neurophysiol 1998 ; 108 : [49] Salisbury DF, Shenton ME, McCarley RW. P300

143–53. topography differs in schizophrenia and manic psy-
[35] Ford JM. Schizophrenia : the broken P300 and chosis. Biol Psychiatry 1999 ; 45 : 98–106.
beyond. Psychophysiology 1999 ; 36 : 667–82. [50] Nieman DH, Koelman JH, Linszen DH, et al. Clinical
[36] Polich J. P300 in clinical applications. In : and neuropsychological correlates of the P300 in
Niedermeyer E, Lopes da Silva F, editors. schizophrenia. Schizophr Res 2002 ; 55 : 105–13.
Electroencephalography. Basic principles, Clinical [51] Kutas M, Van Petten C, Kluender R. Psycholinguistics
applications, and related fields. Philadelphia, USA : electrified II : 1994-2005. In : Traxler M, Gernsbacher
Lippincott Williams and Wilkins ; 1999. p. 1075–87. MA, editors. Handbook of Psycholinguistics. New
[37] Cermolacce M, Micoulaud-Franchi J-A, Naudin J, York : Elsevier ; 2006. p. 659–724.
et al. Électrophysiologie et vulnérabilité schizophré- [52] Hagoort P. The fractionation of spoken language
nique : La composante P300 comme endophénotype understanding by measuring electrical and magnetic
candidat ? Encéphale 2011 ; 37 : 353–60. brain signals. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci
[38] Posada A. Onde P300 dans la schizophrénie. In : 2008 ; 363 : 1055–69.
Psychiatrie. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris) ; 2006, [53] Lau EF, Phillips C, Poeppel D. A cortical network for
37-285-A-15. semantics : (de)constructing the N400. Nat Rev
[39] Blackwood D. P300, a state and a trait marker in Neurosci 2008 ; 9 : 920–33.
schizophrenia. Lancet 2000 ; 355 : 771–2. [54] Debruille JB, Kumar N, Saheb D, et al. Delusions and
[40] McCarley RW, Salisbury DF, Hirayasu Y, et  al.
processing of discrepant information : an event-rela-
Association between smaller left posterior superior ted brain potential study. Schizophr Res 2007 ; 89 :
temporal gyrus volume on magnetic resonance ima- 261–77.
ging and smaller left temporal P300 amplitude in [55] Kostova M, Passerieux C, Laurent J-P, et  al. N400
first-episode schizophrenia. Arch Gen Psychiatry anomalies in schizophrenia are correlated with the
2002 ; 59 : 321–31. severity of formal thought disorder. Schizophr Res
[41] Debruille JB, Schneider-Schmid A, Dann P, et al. The 2005 ; 78 : 285–91.
correlation between positive symptoms and left tem- [56] Laurent J-P, Kostova M, Passerieux C. N400 and
poral event-related potentials in the P300 time win- P300 modulation as functions of processing level in

102
Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

schizophrenia patients exhibiting formal thought [64] Cermolacce M, Faugère M, Micoulaud-Franchi J-A,
disorder. Int J Psychophysiol 2010 ; 75 : 177–82. et  al. Natural speech comprehension in bipolar
[57] Kreher DA, Holcomb PJ, Goff D, et  al. Neural evi- disorders : an event-related brain potential study
dence for faster and further automatic spreading among manic patients. J Affect Disord 2014 ; 158 :
activation in schizophrenic thought disorder. 161–71.
Schizophr Bull 2008 ; 34 : 473–82. [65] Kiang M, Kutas M, Light GA, et al. An event-related
[58] Cermolacce M, Micoulaud-Franchi J-A, Faugère M, brain potential study of direct and indirect semantic
et al. Électrophysiologie et vulnérabilité schizophré- priming in schizophrenia. Am J Psychiatry 2008 ;
nique : la composante N400 comme endophéno- 165 : 74–81.
type ? Neurophysiol Clin 2013 ; 43 : 81–94. [66] Van Petten C, Luka BJ. Prediction during language
[59] Wang K, Cheung EF, Gong QY, et al. Semantic pro- comprehension : benefits, costs, and ERP compo-
cessing disturbance in patients with schizophrenia : nents. Int J Psychophysiol 2012 ; 83 : 176–90.
a meta-analysis of the N400 component. PLoS One [67] Walter WG, Cooper R, Aldridge VJ, et al. Contingent
2011 ; 6 : e25435. negative variation : an electric sign of sensorimotor
[60] Kuperberg GR. Language in schizophrenia Part  2 : association and expectancy in the human brain.
What can psycholinguistics bring to the study of Nature 1964 ; 203 : 380–4.
schizophrenia… and vice versa  ? Lang Linguist [68] Simlai J, Nizamie SH, Khess CR. A study of contin-
Compass 2010 ; 4 : 590–604. gent negative variation and post-imperative negative
[61] Iakimova G, Passerieux C, Foynard M, et  al. variation : search for state and trait electrophysiolo-
Behavioral measures and event-related potentials gical markers in schizophrenia. East Asian Arch
reveal different aspects of sentence processing and Psychiatry 2010 ; 20 : 62–8.
comprehension in patients with major depression. [69] Timsit-Berthier M. Intérêt de l'exploration neuro-
J Affect Disord 2009 ; 113 : 188–94. physiologique en psychiatrie clinique. Neurophysiol
[62] Deldin P, Keller J, Casas BR, et al. Normal N400 in Clin 2003 ; 33 : 67–77.
mood disorders. Biol Psychol 2006 ; 71 : 74–9. [70] Olichney J. Test-retest reliability and stability of
[63] Ryu V, An SK, Ha RY, et al. Differential alteration of N400 effects : implications for the study of neuropsy-
automatic semantic processing in treated patients chiatric and cognitive disorders. Clin Neurophysiol
affected by bipolar mania and schizophrenia : an 2013 ; 124 : 634–5.
N400 study. Prog Neuropsychopharmacol Biol
Psychiatry 2012 ; 38 : 194–200.

103
Polysomnographie Chapitre 6
en psychiatrie
A. Brion, O. Pallanca1

Les troubles du sommeil sont présents avec une souligne l'importance de prendre en compte les
particulière fréquence en psychiatrie. Différents troubles du sommeil de façon indépendante des
types de troubles sont concernés, parfois de façon autres troubles psychiatriques et se complète de
combinée : principalement l'insomnie, qui est plusieurs catégories diagnostiques de la classi-
retrouvée chez 30 à 60 % des patients souffrant fication internationale des troubles du sommeil
de troubles psychiatriques. En regard, 40 % des (ICSD) [1].
sujets dont la plainte d'insomnie est au premier Aux altérations du sommeil liées à la physiopa-
plan présentent un trouble psychiatrique asso- thologie de la maladie, s'ajoute, pour les patients,
cié, essentiellement un trouble dépressif majeur l'existence possible d'un trouble intrinsèque du
et/ou des troubles anxieux, contre 16 % chez les sommeil, le plus fréquemment un trouble res-
dormeurs normaux. Dans les études longitudi- piratoire ou un trouble moteur lié au sommeil ;
nales, l'insomnie est associée à une incidence du ces troubles dont la prévalence est élevée dans la
trouble dépressif majeur, des troubles anxieux et population générale sont favorisés par les traite-
de l'abus de substances, avec une fréquence signi- ments psychotropes, surexposant ainsi la popula-
ficativement élevée, faisant considérer ce trouble tion souffrant de troubles psychiatriques.
du sommeil comme un facteur de risque pour de La polysomnographie, qui explore la structure
nombreux troubles psychiatriques. du sommeil et les grandes fonctions physiolo-
Bien qu'étant la plus fréquente, la plainte d'in- giques pendant le sommeil, représente un accès
somnie n'est pas toujours au premier plan. La privilégié à l'ensemble de ces processus [2]. Cepen-
plainte d'hypersomnolence ou de somnolence dant il s'agit d'un examen relativement lourd,
diurne excessive est également fréquente en psy- parfois mal supporté en psychiatrie, en particu-
chiatrie, indépendamment des effets sédatifs des lier chez les populations atteintes des troubles les
traitements psychotropes. Elle concerne principa- plus sévères (troubles psychotiques sévères et cer-
lement des troubles de l'humeur, le trouble dépres- tains troubles du spectre autistique). Savoir bien
sif unipolaire ou les troubles bipolaires. évaluer la pertinence de cette prescription est
Cette relation étroite et bidirectionnelle entre fondamental. Cette évaluation va reposer sur un
les troubles du sommeil et les affections psy- interrogatoire complété par un agenda de som-
© 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

chiatriques conduit à les regarder désormais non meil (figure 6.1) et éventuellement une actimétrie.
pas dans un lien de causalité où les troubles du Ce chapitre présente les modalités de réa-
sommeil seraient seulement la conséquence de la lisation d'enregistrements du sommeil et la
Neurophysiologie clinique en psychiatrie

maladie psychiatrique, mais comme des entités signification des paramètres mesurés. Il en
comorbides, possédant des mécanismes neuro- expose les indications pour les pathologies du
biologiques communs. Le DSM-5 a modifié son sommeil rencontrées en psychiatrie et présente
chapitre sur les troubles du sommeil : le manuel comment les altérations du sommeil observées
dans des troubles psychiatriques sont des indi-
1
Relecture : C. Balzani, J.-A. Micoulaud-Franchi, J. Vion- cateurs des mécanismes neurophysiologiques
Dury. sous-jacents.

105
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Figure 6.1. Exemple d'agenda du sommeil (correspondant à la même période que l'actigramme de


la figure 6.3).

Techniques et protocoles
d'enregistrement du sommeil
Actimétrie
Figure 6.2. L'actimètre.
L'actimétrie mesure l'activité motrice et per-
met d'apprécier l'alternance repos-activité. Le
premier actimètre a été utilisé chez des patients de l'examen. La tenue simultanée d'un agenda de
souffrant de trouble bipolaire de type 1, en 1974, sommeil (figure  6.1) est recommandée, permet-
à Pittsburg [3]. L'enregistreur est contenu dans une tant de comparer les données subjectives concer-
petite montre portée au poignet (figure 6.2) et le nant le sommeil aux données objectivées par
capteur d'activité est une cellule piézoélectrique l'actimètre.
sensible à l'accélération du mouvement en bi- ou Les résultats obtenus en actimétrie sont bien
tridirectionnel ; les impulsions sont stockées et corrélés à ceux de la polysomnographie chez
transmises à un logiciel d'analyse qui traduit les le sujet normal en bonne santé : les périodes de
données en paramètres du sommeil (figure 6.3) : sommeil et d'éveil sont bien différenciées, même
• latence d'endormissement ; si la durée du sommeil est un peu surestimée en
• durée du sommeil ; cas d'éveil très immobile [4]. Dans l'exploration
• horaires des événements. des pathologies du sommeil, il existe davantage
En fonction des appareillages, on peut enregis- d'erreurs mais l'examen reste suffisamment fiable
trer en parallèle la lumière de l'environnement, pour être recommandé dans l'étude des troubles
la température interne ou des mouvements de du rythme veille-sommeil ou bien quand la pra-
jambes. tique d'une polysomnographie n'est pas dispo-
La montre est portée jour et nuit, pendant plu- nible pour un diagnostic de syndrome d'apnées
sieurs jours ou semaines, en fonction des objectifs du sommeil, pour connaître la durée du sommeil

106
Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

Figure 6.3. Exemple d'actigramme, réalisé sur une période de 10 jours.

lors de la réalisation d'une polygraphie ventila- • l'électromyogramme (EMG) ;


toire [1]. Dans les troubles du rythme veille-som- • l'électro-oculogramme (EOG).
meil et dans l'insomnie, elle est utile pour l'éva- La polysomnographie permet, outre la connais-
luation des thérapeutiques. sance de ces paramètres du sommeil, l'enregistre-
Au total, il s'agit d'un examen fiable, simple, ment de plusieurs autres fonctions physiologiques
non invasif et adapté à toutes les populations permettant de déterminer la présence de troubles
(enfants, personnes âgées, sujets agités). pendant le sommeil, en particulier sur la respi-
ration, la saturation en oxygène, le rythme car-
Polysomnographie diaque, l'existence de mouvements des membres
inférieurs. L'adjonction d'une caméra vidéo ou de
Technique d'enregistrement tout autre capteur est possible en fonction des élé-
du sommeil ments recherchés. Un polysomnographe peut être
fixe (au lit du sujet) ou portatif, permettant les
Les trois états de vigilance (veille, sommeil lent
enregistrements ambulatoires. La pose d'un poly-
et sommeil paradoxal) sont identifiés par l'enre-
somnographe (figure  6.4) nécessite une bonne
gistrement simultané de trois paramètres, néces-
connaissance des enregistrements physiologiques
saires et suffisants pour les caractériser [5] :
pour avoir une qualité de signal exploitable.
• l'électroencéphalogramme (EEG) ;

107
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Figure 6.5. Un montage utilisé en EEG de


Figure 6.4. Un polysomnographe. Il s'agit ici sommeil : le montage utilise le système 10-20.
de la version portable.
meil lent et un épisode de sommeil paradoxal. Le
Il est recommandé, pour la pose des capteurs sommeil lent profond est surtout présent dans les
EEG, d'utiliser au moins trois dérivations (fron- cycles de début de nuit, tandis que la quantité de
tale, centrale et occipitale) selon le système inter- sommeil paradoxal augmente pour chaque cycle
national 10–20 (figure  6.5, cf. aussi chapitre 2), au cours de la nuit. Il existe des normes qui per-
auxquelles seront ajoutées deux voies EOG (une mettent d'interpréter un résultat de polysomno-
pour chaque globe oculaire) et une voie EMG au graphie et l'analyse doit prendre en compte les
niveau du muscle mentonnier. En pratique, un variations interindividuelles et l'évolution du
technicien entraîné a besoin de 30 à 40 minutes sommeil avec l'âge.
pour la mise en place des différents capteurs, et Les conditions d'enregistrement en labora-
réalise, à la fin de la pose, 5 minutes de calibrage toire et l'équipement encombrant nécessaire au
et de tests des différents signaux de façon à éviter recueil des données peuvent modifier la structure
les artefacts. du sommeil. Cet effet, dit « effet première nuit »,
se manifeste par la diminution de la quantité
de sommeil lent profond et un allongement du
Codage des états de vigilance délai d'apparition du sommeil paradoxal ; il est
et de sommeil inconstant et s'estompe si le sommeil est enre-
L'analyse des tracés répond à des règles de codage gistré plusieurs nuits de suite. L'architecture du
visuel reconnues internationalement, éditées sommeil se représente en un diagramme appelé
par le manuel de l'American Academy of Sleep hypnogramme, qui reflète la présence des stades
Medicine (AASM) qui a été modifié récemment de sommeil et leur organisation temporelle tout
(2014) [6], reprenant celles dites de Rechtschaffen au long de la nuit (figure 6.6).
et Kales [7]. Certains rythmes ou anomalies de la micros-
Le tableau  6.1 indique les principales caracté- tructure du sommeil se rencontrent de façon cou-
ristiques de chaque état de vigilance. Une nuit est rante et sont signalés dans le compte rendu d'exa-
constituée de cycles comportant chacun du som- men. C'est le cas :

108
Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

• des rythmes rapides d'origine médicamenteuse sommeil lent ; ils sont définis par des caracté-
fréquemment rencontrés lors de l'usage de trai- ristiques de fréquence et de durée des rythmes
tements psychotropes ; et sont de plusieurs sous-types (A1, A2, A3).
• de l'« alpha-delta sleep » qui représente une sur- Dans certaines pathologies, comme l'insomnie,
charge des ondes lentes delta du sommeil profond l'exposition ou la sensibilité au bruit, ou encore les
par du rythme alpha caractéristique de la veille ; phénomènes douloureux, leur proportion est le
• ou encore les CAP (Cyclic Alternating Patterns) reflet d'une certaine instabilité ou d'une pertur-
qui correspondent à une activité EEG pério- bation au sein de la microstructure du sommeil.
dique, composante physiologique normale du Leur signification plus précise reste à l'étude.

Tableau 6.1. Description des stades de sommeil.


Stade Caractéristiques électrophysiologiques
Veille Active : rythmes bêta
Calme : rythme alpha postérieur
1A L'alpha diffuse dans les régions temporales et centrofrontales
1 = NREM1 Activité EEG qui se ralentit (fréquence mixte de 3 à 7 Hz)
Tonus musculaire plus faible par rapport à la veille
Mouvements oculaires lents
2 = NREM2 Activité EEG (fréquence mixte de 3 à 7 Hz)
Complexes K et fuseaux de sommeil (spindles)
Tonus musculaire toujours présent
Absence de mouvement oculaire
3 et 4 = Activité EEG constituée d'une association de fréquences mixtes et d'ondes delta (20 à 50 %
NREM3 pour l'ancien stade 3 ; > 50 % pour l'ancien stade 4)
Diminution du tonus musculaire
Présence possible de fuseaux et de complexes K
Sommeil Activité de fond de fréquence mixte (de 3 à 7 Hz) associée à une activité rapide et parfois delta
paradoxal peu ample. Présence possible de rythme alpha
(REM) Phases de mouvements oculaires rapides (MOC)
Atonie musculaire

Figure 6.6. Un hypnogramme normal.

109
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Terminologie et normes sentés dans le tableau  6.2. Ils permettent de se


d'un compte rendu repérer dans la lecture d'un compte rendu stan-
dard. Seuls les paramètres physiologiques nor-
de polysomnographie maux sont décrits ici ; les aspects pathologiques
Les principaux termes utilisés dans le compte seront décrits dans la partie suivante.
rendu d'un enregistrement du sommeil sont pré-

Tableau 6.2. Les paramètres mesurés en polysomnographie et normes chez l'adulte.


Termes Définition Norme
Temps au lit (TAL) Période passée dans le lit entre Pas de norme, à prendre en compte dans
(en minutes) l'extinction des lumières pour dormir l'insomnie et chez les patients clinophiles
et le lever
Comprend de la veille et du sommeil
Latence Délai d'apparition d'au moins trois Reste dans la norme si inférieure ou égale
d'endormissement époques de stade de sommeil NREM1 à 30 minutes
(en minutes) ou une seule époque de n'importe quel
autre stade de sommeil après l'heure
d'extinction des lumières
Temps de période Correspond à l'intervalle de temps entre Pas de norme mais à comparer au temps total
de sommeil (TPS) l'endormissement et le réveil final de sommeil pour avoir une estimation du temps
(en minutes) d'éveil après le début du sommeil
Temps de sommeil Correspond à la durée cumulée 7 heures et demi en moyenne chez le sujet jeune
total (TST) du sommeil pendant le TPS en sachant qu'il existe des courts dormeurs
(en minutes) (< 6 heures) et des longs dormeurs (> 9 heures)
Pas de norme absolue
La durée du sommeil diminue progressivement
avec l'âge
Efficacité du sommeil Correspond au rapport TST/TAL La norme est de 80–90 %
(en %)
Latence d'apparition Délai d'apparition de la première La norme est supérieure à 50 minutes
du sommeil paradoxal époque de sommeil paradoxal après
(en minutes) l'endormissement
Pourcentage de Pourcentage du temps passé éveillé La norme chez l'adulte sain est inférieure à 10 %
veille sur le temps de pendant le temps de période de sommeil
période de sommeil (TPS)
Pourcentage du stade Pourcentage du temps passé en stade La norme chez l'adulte sain est de 2 à 5 %
NREM1 sur le temps de sommeil NREM1 pendant le temps
de période de sommeil de période de sommeil (TPS)
Pourcentage du stade Pourcentage du temps passé en Stade La norme chez l'adulte sain est de 45 à 55 %
NRM2 sur le temps de de sommeil NREM2 pendant le temps
période de sommeil de période de sommeil (TPS)
Pourcentage du stade Pourcentage du temps passé en stade La norme chez l'adulte sain est de 15 à 25 %
NREM3 sur le temps de sommeil NREM3 pendant le temps En réalité, c'est le temps en valeur absolue qui
de période de sommeil de période de sommeil (TPS) importe ; donc le pourcentage doit être plus
élevé chez le court dormeur
Pourcentage du stade Pourcentage du temps passé en stade La norme chez l'adulte sain est de 20 à 25 %
de sommeil paradoxal de sommeil paradoxal pendant le temps
(SP) sur le temps de de période de sommeil (TPS)
période de sommeil

110
Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

Temps d'éveil en TPS Cela correspond à la durée cumulée des La norme chez l'adulte sain moyen est de 20 à
(en minutes) éveils entre l'endormissement et le réveil 45 minutes maximum
final ou éveil après début du sommeil
(WASO en anglais)
Index de micro-éveils Nombres d'éveils corticaux d'une durée La norme chez l'adulte sain varie selon l'âge
(par heure) comprise entre 3 et 15 secondes par (10 par heure jusqu'à 30 ans, 15 par heure de
heure de sommeil. 30 à 60 ans et 20 par heure après 60 ans)

Protocoles d'enregistrement tés d'arrêt (apnées) ou de réduction conséquente


En fonction des données recherchées, plusieurs (hypopnées) de la respiration par obstruction
protocoles d'enregistrement sont possibles. des voies aériennes supérieures. Son diagnostic
L'enregistrement peut s'effectuer durant une ou repose sur classiquement sur l'association de cri-
plusieurs nuits ; parfois de façon continue sur tères cliniques et polygraphiques, bien qu'il puisse
24 heures, en particulier pour le diagnostic de dans certains cas être effectué sur des critères
l'hypersomnie idiopathique qui fait partie de polygraphiques seuls.
la catégorie des hypersomnolences d'origine La prévalence de la dépression chez les sujets
centrale [1], qui nécessite des durées prolongées souffrant de SAOS est élevée (environ 20 %) et
d'examen. Pour certains diagnostics, une durée inversement ; de façon plus ciblée, les premières
minimale d'enregistrement est requise : à titre études chez des patients ayant un diagnostic de
d'exemple, pour la recherche de syndrome d'ap- trouble bipolaire (type 1) avancent une prévalence
nées du sommeil, il faut un minimum de 4 heures de SAOS située autour de 40 %. Le SAOS peut être
de tracé pour valider le résultat. L'évaluation de associé à d'autres troubles du sommeil, notam-
la vigilance en journée s'effectue selon des proto- ment à des parasomnies (éveil confusionnel,
coles précis et deux tests sont couramment pra- troubles du comportement nocturne, somnam-
tiqués (tableau 6.3) : d'une part le test itératif de bulisme ou terreurs nocturnes). Un des diagnos-
latence d'endormissement (TILE), qui mesure tics différentiels du SAOS à évoquer est l'attaque
la propension à l'endormissement et objective la de panique, qui peut mimer le réveil brutal avec
somnolence pathologique ; d'autre part le test de sensation d'étouffement.
maintien d'éveil (TME), qui mesure la résistance À côté du SAOS, d'autres troubles respiratoires
à la pression de sommeil, surtout utilisé pour éva- du sommeil, tels que le syndrome d'hypoventila-
luer l'efficacité d'un traitement et l'aptitude à la tion alvéolaire ou le syndrome d'apnées centrales,
conduite automobile. requièrent des enregistrements polygraphiques.
De mécanisme différent du SAOS, ils s'associent
à des pathologies pneumologiques ou cardiaques.
En psychiatrie, il faut retenir que les apnées
Troubles du sommeil centrales peuvent relever d'une iatrogénie (opia-
diagnostiqués par cés, méthadone). Le SAOS par ailleurs est aggravé
par les benzodiazépines.
polysomnographie L'utilisation des antipsychotiques atypiques
représente un facteur de risque supplémentaire
Troubles respiratoires de SAOS dans la population souffrant de troubles
du sommeil psychiatriques du fait de la prise de poids poten-
tiellement favorisée.
Définitions
Le syndrome d'apnées/hypopnées obstructives
du sommeil (SAOS) est le trouble respiratoire
Comment dépister cliniquement
du sommeil le plus fréquent, dont la prévalence le SAOS ?
estimée en population générale est de 2 à 4 %. Le Les manifestations cliniques du SAOS sont
SAOS consiste en des épisodes nocturnes répé- diurnes et nocturnes :

111
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Tableau 6.3. Protocoles de TILE et de TME.


Tests de jour Protocole Exemples de valeurs observées
TILE Consigne donnée 4 ou 5 tests d'une durée de < 8 minutes : somnolence diurne excessive :
de se laisser aller dans 20 minutes répartis sur la narcolepsie (seuil clinique retenu) ou privation
le sommeil journée toutes les 2 heures de sommeil
Calcul de la latence moyenne 11–12 minutes : somnolence diurne physiologique
d'endormissement 15 minutes : hypervigilance ou pleine vigilance
après récupération complète.
TME Consigne donnée 4 tests d'une durée de Test parfaitement normal si pas d'endormissement
de résister à 40 minutes répartis sur la Une moyenne au-dessus de 34 minutes
l'endormissement journée toutes les 2 heures est considérée comme normale
Calcul de la latence moyenne
d'endormissement

(a) Plainte d'épisodes de sommeil non inten- En fonction de l'IAH, le SAOS est réputé léger
tionnels durant la veille, une somnolence diurne (5–15), modéré (15–30) ou sévère (> 30), ce qui
excessive, un sommeil perçu comme non restau- détermine la conduite thérapeutique. En pratique,
rateur, de la fatigue ou une insomnie. la prise en charge du traitement par l'assurance
(b) Le patient se réveille en pleine nuit avec le maladie est en partie conditionnée par cet index ;
souffle coupé, suivi d'une reprise de la respiration elle n'est jamais refusée pour un index supérieur à
bruyante ou très angoissée. 30 apnées et/ou hypopnées par heure de sommeil.
(c) Le compagnon de lit témoigne de ronflements
sonores et/ou d'interruptions de la respiration Troubles moteurs liés au sommeil
durant le sommeil du patient.
(d) La plainte de somnolence diurne excessive peut Définitions
être mise en évidence par des échelles auto-admi- Deux syndromes moteurs d'origine neurologique
nistrées qui évaluent la propension à s'endormir sont liés au sommeil : le syndrome des jambes
dans des situations de la vie courante. La plus uti- sans repos (SJSR) et le syndrome des mouvements
lisée est l'échelle de somnolence d'Epworth (score périodiques des jambes (MPJ).
pathologique > 10) [8].
Syndrome des jambes sans repos
Le syndrome des jambes sans repos (SJSR),
La polysomnographie est-elle
également dénommé syndrome d'impatiences
indiquée ? des membres inférieurs (SIMI) ou syndrome
Oui, la polysomnographie (PSG) est l'examen de de W ­ illis-Ekböm, est un trouble sensitivomo-
référence pour le diagnostic mais la polygraphie teur caractérisé par des sensations désagréables
ventilatoire (PV), examen simplifié, peut suffire dans les membres inférieurs (plus rarement les
en présence d'une forte présomption clinique. membres supérieurs ou d'autres parties du corps),
L'enregistrement polysomnographique doit survenant au repos, typiquement en soirée et en
montrer l'existence d'au minimum 5 événements début de nuit, et soulagés temporairement par la
respiratoires par heure de sommeil, regroupés marche ou le mouvement. Il s'agit d'un trouble
en « index d'apnées-hypopnées » (IAH). Il doit fréquent dont la prévalence en population géné-
exister des efforts abdominaux et/ou thoraciques rale est estimée à 2,7 et 8,3 % en fonction de l'âge ;
durant la majeure partie de l'événement respira- il tend à être plus fréquent avec l'avancée en âge et
toire pour en définir le caractère obstructif. En prédomine chez la femme.
cas d'absence de signes cliniques évocateurs de
SAOS, l'enregistrement polysomnographique doit Syndrome des mouvements périodiques
retrouver au moins 15 événements respiratoires des jambes
par heure de sommeil (IAH > 15) et des efforts Les mouvements périodiques des jambes (ou des
respiratoires durant l'événement apnéique. membres) durant le sommeil sont des mouve-

112
Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

ments touchant soit l'extrémité des membres infé- On parle de syndrome de MPJ quand les mou-
rieurs, soit plus amplement la jambe et parfois les vements ainsi quantifiés ont un index égal ou
membres supérieurs. Ils se manifestent en fonction supérieur à 15 par heure de sommeil chez l'adulte
de leur ampleur par une extension des orteils, une (5 chez l'enfant) et sont associés à une pertur-
dorsiflexion des pieds, une flexion du genou et/ou bation clinique du sommeil (insomnie) ou une
de la hanche. Les mouvements peuvent perturber plainte de fatigue en journée.
la continuité du sommeil, entraînant une insomnie
et un retentissement sur le fonctionnement diurne. Hypersomnolences d'origine
Ces deux syndromes moteurs liés au sommeil
sont fréquemment exacerbés de manière iatro- centrale
gène par les antidépresseurs et les antagonistes Définitions
dopaminergiques.
Les hypersomnolences d'origine centrale cor-
respondent à une altération de la vigilance en
Comment les dépister journée, entraînant une plainte de somnolence
cliniquement ? excessive et des épisodes de sommeil intempes-
Le diagnostic du SJSR est clinique et ne requiert tifs. La plainte d'hypersomnolence peut représen-
pas d'examen complémentaire. On s'attachera à ter un symptôme ou l'expression d'une m ­ aladie.
retrouver le caractère sensitif et le soulagement Les études épidémiologiques montrent des pré-
par la motricité, ainsi que les caractéristiques valences en population générale très variées (4 à
circadiennes du SJSR, qui survient typiquement 20 % en Europe), rendant compte des difficultés
en fin de journée et début de nuit et impacte le à caractériser la plainte et ses différentes expres-
sommeil. Une recherche étiologique doit être sions (hypersomnie, hypersomnolence, som-
conduite, car à côté de la forme idiopathique, il nolence diurne excessive). Les causes en sont
existe des formes symptomatiques (insuffisance nombreuses et on peut les rassembler en trois
rénale, hypothyroïdie, déficit en fer, iatrogénie) sous-groupes correspondant à des démarches dia-
et des formes atypiques qu'il faut différencier de gnostiques différentes :
certaines neuropathies douloureuses ou d'une • les hypersomnolences induites, telles que le
akathisie. syndrome d'insuffisance de sommeil, induit
Dans deux tiers des cas, le SJSR est associé à des par une mauvaise hygiène de sommeil, et les
mouvements périodiques des jambes pendant le hypersomnies dues à la consommation de subs-
sommeil, laissant penser que la pathogénie des tances (y compris médicamenteuses) ; l'anam-
deux troubles est en partie commune. nèse et l'évaluation clinique en permettent le
diagnostic ;
• les hypersomnolences dites « neurologiques »
La polysomnographie est-elle ou « organiques », qui comprennent les narco-
indiquée ? lepsies de type 1 et de type 2, l'hypersomnie
Non pour le SJSR dont le diagnostic est clinique. idiopathique, le syndrome de Kleine-Levin
Oui pour les MPJ dont les critères diagnostiques et certaines hypersomnies dues à un trouble
sont polysomnographiques. Les mouvements sont médical neurologique (encéphalopathie méta-
enregistrés en polysomnographie grâce aux cap- bolique, traumatisme crânien, AVC, tumeur
teurs placés sur les muscles tibiaux antérieurs et cérébrale, encéphalite) ou à un trouble médi-
répondent aux critères suivants [1] : cal général (inflammation systémique dans les
• mouvements d'une durée de 0,5 à 5 secondes ; maladies de système ou les processus tumo-
• d'une amplitude d'au moins 25 % de celle enre- raux, etc.) ; leur diagnostic est à la fois clinique
gistrée lors de la calibration du signal effectuée et polysomnographique ;
à la dorsiflexion du pied ; • les hypersomnies dues à un trouble psychia-
• survenant par séquences d'au moins quatre trique : dans ce cas, la plainte d'hypersomno-
mouvements à la suite ; lence peut représenter la plainte principale du
• séparés par un intervalle compris entre 4 et sujet, notamment en dehors des épisodes aigus
90 secondes. de la maladie. Son association aux troubles de

113
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

l'humeur est fréquente et la relation entre cette Les hypersomnolences récurrentes relèvent
plainte et les symptômes dépressifs est complexe également d'une prise en charge par des centres
et vraisemblablement bidirectionnelle. Enfin, il spécialisés. Dans le syndrome de Kleine-Levin, les
n'est pas rare de voir des hypersomnies d'ori- épisodes d'hypersomnolence sont associés à des
gine conversive avec des pseudo-cataplexies. troubles comportementaux et cognitifs, réalisant
un syndrome neuropsychiatrique parfois difficile
à différencier d'épisodes psychotiques.
Comment les dépister Enfin, les hypersomnolences d'origine psychia-
cliniquement ? trique peuvent poser des problèmes de diagnostic
différentiel avec l'hypersomnie idiopathique.
La plainte d'hypersomnolence se documente en
premier lieu par l'interrogatoire et l'anamnèse,
complétés par un agenda de sommeil et une actimé- La polysomnographie est-elle
trie. L'ensemble de ces éléments oriente sur l'origine indiquée ?
du trouble et la pratique d'une polysomnographie,
Dans la narcolepsie avec cataplexie, le diagnostic
non systématique, dépend du contexte clinique.
se fait avant tout sur les données cliniques. Les
Les diagnostics de narcolepsie, d'hypersomnie
examens complémentaires sont nécessaires en
idiopathique et d'hypersomnolences récurrentes
absence de cataplexie et dans les formes atypiques,
sont à la fois cliniques et polysomnographiques.
car ils mettent en évidence des patterns spéci-
Certains signes sont caractéristiques et vont guider
fiques : la polysomnographie retrouve un endor-
le diagnostic que la polysomnographie confirmera.
missement nocturne en sommeil paradoxal ; les
Les critères cliniques de la narcolepsie com-
TILE retrouvent une latence d'endormissement
prennent une hypersomnolence en journée, avec
moyenne basse, avec des endormissements en
des accès de sommeil irrésistibles, rafraîchissants,
sommeil paradoxal. En pratique, la polysomno-
associés à des cataplexies, pathognomoniques de
graphie est désormais recommandée dans tous les
la maladie, qui sont des brusques relâchements
cas, pour réunir au mieux les arguments diagnos-
musculaires plus ou moins étendus, d'une durée
tiques d'une maladie qui impacte de façon notable
de quelques secondes à quelques minutes, déclen-
la qualité de vie et qui va engager le patient dans
chés par les émotions et se produisant en pleine
un traitement psychostimulant au long cours.
conscience. Plus accessoirement, il peut exister
Dans l'hypersomnie idiopathique, une poly-
des paralysies du sommeil et des hallucinations
somnographie est nécessaire pour mettre en
hypnagogiques (existant de façon sporadique en
évidence les critères objectifs de la maladie. Un
population générale) ; ces dernières sont parfois
enregistrement de durée longue (48 heures) com-
extrêmement effrayantes et perturbantes, ris-
portant des TILE est recommandé. L'examen
quant de leur faire attribuer à tort une origine
retrouve soit un temps total de sommeil très
psychiatrique.
allongé, avec des longues durées de sommeil noc-
L'hypersomnie idiopathique est évoquée
turnes (plus de 10 heures) et des siestes diurnes,
devant une durée de sommeil de nuit excessive-
soit un temps de sommeil nocturne normal asso-
ment longue, avec des siestes en journée incon-
cié à un raccourcissement de la latence d'endor-
tournables mais non restauratrices ; le réveil est
missement moyenne au TILE (≤ 8 minutes) en
habituellement difficile, comme entravé par une
journée.
inertie, pouvant être vécu comme une « ivresse de
sommeil » durant laquelle des activités automa-
tiques sont possibles. Quand le temps de sommeil
n'est pas particulièrement long, la plainte porte
Parasomnies
sur des endormissements intempestifs en jour- Les parasomnies sont des phénomènes com-
née et la perception d'une vigilance jamais satis- portementaux ou psychiques indésirables qui
faisante. Le trouble doit être installé depuis plus ­surviennent au cours du sommeil. Certaines sur-
de trois mois, de façon isolée et sans cause pré- viennent exclusivement en sommeil lent, d'autres
cise retrouvée. Il s'agit d'une maladie rare, dont la en sommeil paradoxal ; d'autres enfin ne sont pas
prise en charge relève de centres de référence. spécifiques d'un stade de sommeil donné.

114
Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

Parasomnies en sommeil lent également lui arriver de parler. Il peut mener des
Définitions activités complexes, comme l'utilisation d'objets,
l'ouverture de fenêtres ou de portes ; dans ce cas,
Les plus fréquentes surviennent en sommeil lent il peut exister une mise en danger et un risque de
profond. Le sujet présente à la fois un aspect blessures. Le dormeur ne garde généralement peu
éveillé, en particulier sur le plan comportemen- ou pas de souvenir de l'épisode ou de rêve associé.
tal (ouverture des yeux, phénomènes moteurs), et La terreur nocturne comporte un réveil
endormi sur le plan de l'EEG et de la conscience brusque, avec hurlement, associé aux manifes-
réflexive. Ce sont donc des états intermédiaires tations comportementales et végétatives d'une
qui procèdent vraisemblablement d'une certaine peur intense. Il existe des signes d'activation
instabilité des systèmes exécutifs du sommeil et sympathique importante (tachycardie, sueurs,
des circuits de l'éveil dans des moments de pas- mydriase, bouffées de chaleur…). Souvent, le sujet
sage d'un état à l'autre. se redresse et s'assoit sur le lit. Il ne répond pas aux
L'éveil confusionnel, le somnambulisme et la stimulations externes et apparaît confus et déso-
terreur nocturne sont des parasomnies du som- rienté si on tente de le réveiller. Certains souvenirs
meil lent profond fréquemment associées entre de fragments brefs de rêves, ou d'images simples
elles. Leur survenue dans l'enfance, si elle est mais effrayantes peuvent être rapportés (person-
occasionnelle, est considérée comme paraphysio- nages menaçants, sables mouvants, feu, enfer-
logique et le trouble tend à disparaître à l'adoles- mement, etc.). Chez certains sujets, il existe une
cence. Le facteur familial est prédominant. Chez association de terreur nocturne et de somnambu-
l'adulte, elles touchent plutôt l'adulte jeune et leur lisme : ils peuvent se blesser en tentant de s'enfuir
prévalence est estimée entre 1,9 et 3,2 % de la du lit, heurtant les meubles et brisant les fenêtres.
population générale. La prise d'alcool, le manque
de sommeil, le stress, un changement de lieu de
La polysomnographie est-elle indiquée ?
coucher peuvent favoriser les épisodes, les rendre
plus graves ou plus gênants. On ne retrouve pas de Non, car le diagnostic est clinique. Elle est recom-
façon significative l'existence d'une psychopatho- mandée si on soupçonne l'existence d'un autre
logie comme facteur associé du trouble, en com- trouble du sommeil responsable d'une fragmenta-
paraison aux sujets indemnes de somnambulisme tion du sommeil, tel qu'un SAOS ou des MPJ. Elle
ou de terreurs nocturnes. Certains médicaments l'est également dans des cas cliniquement moins
semblent favoriser les épisodes de somnambu- typiques, dans le but d'un diagnostic différentiel
lisme (antipsychotiques atypiques, hypnotiques avec une épilepsie nocturne ou avec une autre
de demi-vie courte). Certains troubles du som- parasomnie. Dans le somnambulisme et les ter-
meil qui provoquent des éveils fréquents au cours reurs nocturnes, la polysomnographie met en évi-
de la nuit (comme les apnées du sommeil ou les dence des éveils brutaux en sommeil lent profond,
mouvements périodiques nocturnes) favorisent généralement pendant le premier tiers du sommeil
également la survenue d'épisodes chez les sujets (les deux premiers cycles). Cependant, la structure
prédisposés. du sommeil et son organisation temporelle ne pré-
sentent pas d'anomalies. Il peut exister au moment
Comment les dépister cliniquement ? des accès de somnambulisme des ondes lentes par-
C'est généralement dans le premier tiers de la nuit ticulièrement amples et synchrones. L'enregistre-
(prédominance du sommeil lent profond) que les ment vidéo associé à la polysomnographie permet
épisodes de somnambulisme et de terreur noc- une observation directe des épisodes.
turne ont lieu.
Le somnambulisme se manifeste par les clas-
siques déambulations, mais aussi par quantités
Parasomnies en sommeil paradoxal
d'autres comportements ou activités motrices Définitions
survenant pendant le sommeil lent profond ou en Les parasomnies du sommeil paradoxal com-
émergeant de ce stade de sommeil. Le dormeur prennent les cauchemars, la paralysie du sommeil
peut être calme, simplement se redresser dans son et le trouble du comportement en sommeil para-
lit, regarder autour de lui, voire se lever ; il peut doxal (TCSP). La fréquence des cauchemars est

115
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

connue (5 % de la population française) ; dans sa Trouble alimentaire lié


forme commune, elle ne nécessite pas d'explora- au sommeil
tion particulière.
Définitions
La paralysie du sommeil correspond à l'intru-
sion ou la persistance de l'atonie musculaire du La plupart des autres parasomnies se diagnos-
sommeil paradoxal lors d'une transition veille- tiquent cliniquement et la pratique d'une poly-
sommeil ou inversement. C'est un symptôme de somnographie n'est pas indiquée sauf si un autre
la narcolepsie mais la paralysie du sommeil peut trouble du sommeil comorbide est suspecté
survenir isolément et ne nécessite alors pas d'ex- (trouble respiratoire ou trouble moteur du som-
ploration particulière. meil). C'est le cas du trouble alimentaire lié au
Le TCSP correspond à l'extériorisation de rêves, sommeil (SRED, Sleep-Related Eating Disorder),
souvent violents, pendant le sommeil paradoxal. pour lequel une association avec des troubles res-
Son diagnostic se fait en vidéo-polysomnogra- piratoires du sommeil ou avec des mouvements
phie, indiquée à partir des données cliniques. Ce périodiques des jambes a été retrouvée.
trouble touche des adultes d'âge moyen ou âgés.
Il est soit idiopathique soit associé à une maladie Comment le dépister cliniquement ?
neurologique : narcolepsie, synucléopathie (mala- Ce sont des épisodes récurrents de prises invo-
die de Parkinson, démence à corps de Lewy). lontaires d'aliments ou de boissons pendant la
Le TCSP peut précéder de plusieurs années la période de sommeil, survenant typiquement à
survenue d'une maladie neurodégénérative. Sa l'occasion de réveils intra-sommeil. Il existe sou-
fréquence n'est pas précisément connue, évaluée vent une amnésie des épisodes ou un souvenir
actuellement à 0,5 % de la population. La prise partiel. Les aliments hypercaloriques sont privi-
d'antidépresseurs peut révéler cette parasomnie. légiés pendant les épisodes et les sujets peuvent
parfois cuisiner ou consommer des associations
Comment les dépister cliniquement ? d'aliments inhabituelles ou bizarres, des produits
L'entourage du patient fait état de comportements impropres à la consommation voire toxiques.
agités pendant le sommeil, plutôt en deuxième Une anorexie matinale est souvent présente ainsi
­partie de nuit, avec des cris, des comportements qu'une distension abdominale au réveil ; le trouble
d'altercations, des gestes de bagarres, pouvant occa- peut être provoqué par des médicaments psycho-
sionner des blessures pour le sujet ou son entourage. tropes (benzodiazépines, « Z-drugs » et antipsy-
Il peut y avoir des chutes, mais pas de sorties de lit ni chotiques atypiques). Il n'existe pas de stratégies
de déambulations comme dans le somnambulisme. de contrôle du poids, ni de comportement com-
Quand il existe des souvenirs de rêves, ces derniers pensateur inapproprié, ni de conduites purga-
ont un contenu congruent aux comportements. tives, mais des tentatives pour limiter la fréquence
ou l'importance des épisodes, et ce d'autant que
La polysomnographie est-elle la perte de conscience partielle pendant l'épisode
indispensable ? peut engendrer des blessures ou avoir des consé-
Oui, les critères diagnostiques du TCSP incluent quences néfastes sur la santé.
la réalisation d'un enregistrement du sommeil. On distingue le SRED du syndrome alimentaire
Celui-ci retrouve l'absence d'atonie musculaire nocturne (NES, Night Eating Syndrome) où la prise
durant le sommeil paradoxal — plus de 37 % du d'aliments commence avant l'endormissement et
sommeil paradoxal sans atonie sur le muscle men- survient pendant la nuit en pleine conscience, sou-
tonnier ou une augmentation nette de l'activité vent associé à une insomnie. Il existe des recou-
phasique du muscle mentonnier. La vidéo-poly- vrements entre ces troubles, par ailleurs distincts
somnographie permet une observation directe de des troubles des conduites alimentaires diurnes.
comportements moteurs durant le sommeil para-
doxal. L'enregistrement élimine d'une part une La polysomnographie est-elle indiquée ?
comitialité grâce à l'absence d'activité paroxys- Non, d'autant que les contours du SRED restent
tique à l'EEG pendant le sommeil paradoxal et, flous et ses critères diagnostiques controversés.
d'autre part, montre l'absence d'une autre para- Les études polysomnographiques sont peu nom-
somnie ou d'un trouble moteur du sommeil. breuses et montrent que les épisodes peuvent

116
Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

apparaître à n'importe quel moment du cycle de stable avec un horaire régulier de la période habi-
sommeil et souvent plusieurs fois par nuit. Il peut tuelle de sommeil. Les horaires de coucher et de
y avoir les mêmes aspects que dans le somnambu- lever sont décalés significativement par rapport
lisme, avec des éveils brutaux en sommeil lent. La à des horaires conventionnels et ont des réper-
réalisation d'une polysomnographie doit cepen- cussions sur la vie sociale. L'endormissement est
dant avoir lieu en cas de signe d'appel d'un trouble difficile, mais une fois le sommeil enclenché, il se
respiratoire ou moteur du sommeil associé. déroule normalement. Secondairement, le trouble
peut conditionner des insomnies, en raison des
Troubles du rythme circadien tentatives d'endormissement infructueuses aux
heures conventionnelles ; les sujets peuvent être
Définitions conduits à utiliser de l'alcool, des substances
Les troubles du rythme circadien du sommeil cor- toxiques ou des médicaments pour accélérer l'en-
respondent à un découplage entre l'alternance veille/ dormissement et/ou stimuler le réveil le matin.
sommeil et les horaires conventionnels jour/nuit.
Plusieurs facteurs peuvent être impliqués, qu'ils La polysomnographie est-elle
soient endogènes, au niveau de l­'horloge biologique indiquée ?
ou de ses liens avec les synchroniseurs externes, ou Non, la polysomnographie n'est pas indiquée pour
comportementaux, dus aux horaires décalés de l'ac- le diagnostic des troubles du rythme circadiens du
tivité professionnelle ou aux voyages transméridiens. sommeil. Elle peut cependant être réalisée lorsque
Les troubles du rythme circadien du sommeil la clinique, l'agenda du sommeil et l'actimétrie ne
peuvent être primaires. C'est le cas du syndrome permettent pas d'établir le diagnostic.
de retard de phase du sommeil (endormissement
retardé/réveil tardif) et de l'avance de phase
(endormissement avancé/réveil précoce) qui sont Cas de l'insomnie
génétiquement déterminés. Des rythmes de libre Définition
cours, appelés aussi hypernycthéméraux, avec une
période supérieure à 24 heures, se rencontrent L'insomnie est le trouble du sommeil le plus fré-
chez des sujets dont la périodicité endogène est quent [9], touchant près de 20 % de la population
particulièrement longue et difficile à synchroni- générale. Sa définition inclut des critères nocturnes
ser sur 24 heures, ou chez les sujets non-voyants, de mauvais sommeil et des difficultés diurnes en
dont la synchronisation par la lumière fait défaut. relation avec les problèmes nocturnes. L'insom-
Le syndrome de retard de phase du sommeil nie peut être aiguë, de courte durée ; mais elle est
(SRPS) est particulièrement fréquent en psychia- le plus souvent chronique (au-delà d'un mois).
trie. Il est à l'origine de problèmes majeurs, tant De nombreuses pathologies sont associées à une
sociaux que professionnels : 7 à 10 % des plaintes plainte d'insomnie : troubles respiratoires du som-
d'insomnie correspondent en fait à un syndrome meil (5 à 9 % des plaintes d'insomnie), syndrome
de retard de phase. Le trouble est particulière- d'impatience des membres inférieurs et mou-
ment fréquent chez l'adolescent et l'adulte jeune vements périodiques des jambes (15 % des cas),
(7 à 16 % de cette population) et souvent associé maladie organique ou neurologique (4 à 11 %), pro-
à des pathologies psychiatriques, principalement blèmes environnementaux et mauvaise hygiène de
des troubles de la personnalité (personnalité bor- sommeil (10 %), usage de substances psychoactives
derline, évitante et schizoïde notamment) et des (3 à 7 % des cas). Parmi les insomnies chroniques,
symptômes dépressifs comme la dysthymie. celles qui sont associées à des troubles psychia-
triques sont particulièrement fréquentes [9–11] : la
plainte concerne 30 à 60 % des sujets souffrant de
Comment les dépister troubles psychiatriques et jusqu'à 80 % de ceux qui
cliniquement ? souffrent de trouble dépressif.
Le diagnostic est clinique et s'appuie sur l'agenda Le diagnostic s'appuie sur l'interrogatoire et
de sommeil, complété éventuellement d'une acti- l'enquête anamnestique, complétés par un agenda
métrie, réalisés durant une période minimale de de sommeil et éventuellement une actimétrie
sept jours. Dans le SRPS, il apparaît un déphasage quand des données objectives sont nécessaires.

117
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Comment la dépister dant être indiquée dans certains cas d'insomnie


cliniquement ? chronique :
• si l'insomnie est particulièrement sévère avec
Le diagnostic s'effectue sur les critères propo- un retentissement diurne important ;
sés par les classifications qui incluent ce trouble • en cas d'échec thérapeutique ;
(DSM-5 ou ICSD-III). Ces deux classifications • lorsque l'insomnie pourrait être associée à
ont adopté une terminologie commune, à savoir le d'autres troubles du sommeil (SAOS, mouve-
« trouble insomniaque » (pour insomnia disorder) ments périodiques des membres…).
qui recouvre désormais les insomnies auparavant
dites primaires ou secondaires.
La classification internationale des troubles du
sommeil dans sa troisième édition définit l'in-
Apports de la polysomnographie
somnie selon les critères suivants [1] : en psychiatrie
• A. Le patient rapporte un ou plusieurs des
symptômes suivants : difficultés à initier le La polysomnographie met en évidence des alté-
sommeil, difficultés à maintenir le sommeil, rations de la structure du sommeil associées à
réveil précoce, résistance à se mettre au lit à une certains syndromes cliniques. Nous avons choisi
heure appropriée aux besoins ; pour les enfants, de ne décrire que les troubles pour lesquels il
ce sera une difficulté à se coucher sans l'inter- existe le plus d'études significatives portant sur
vention des parents. les altérations polysomnographiques du som-
• B. On observe au moins un de ces dysfonction- meil. À ce titre, les troubles de l'humeur sont les
nements diurnes en relation avec les difficultés plus étudiés et plusieurs patterns y sont décrits.
de sommeil : Aucune des anomalies touchant un des para-
– fatigue ou malaise ; mètres du sommeil n'est pathognomonique d'un
– troubles de l'attention, de la concentration ou trouble ou d'une maladie, mais elles représentent
de la mémoire ; un apport significatif pour la compréhension des
– dysfonctionnement social, professionnel ou mécanismes neurophysiologiques sous-jacents.
diminution des performances scolaires ; Concernant les troubles anxieux, seul le trouble
– irritabilité ou perturbations de l'humeur ; panique nocturne est décrit, car il pose le pro-
– somnolence diurne ; blème d'un possible diagnostic différentiel avec
– problèmes comportementaux : hyperactivité, un autre trouble du sommeil. Les autres patholo-
impulsivité, agressivité ; gies psychiatriques ayant donné lieu à des études
– perte d'énergie, de motivation ou d'initia- polysomnographiques ne permettent pas de déga-
tives ; ger des résultats concordants à ce jour et donc ne
– augmentation des erreurs ou des accidents au seront pas traitées dans ce chapitre, hormis ceux
travail ou en voiture ; concernant la schizophrénie.
– inquiétudes ou préoccupations à propos du
sommeil. Altérations du sommeil liées
• C. Ces difficultés apparaissent en dépit de condi- aux troubles psychiatriques
tions adéquates et opportunes pour le sommeil.
• D. Les troubles apparaissent au moins trois fois Troubles de l'humeur
par semaine. (tableau 6.4)
• E. Les troubles sont présents depuis au moins
Trouble dépressif majeur
trois mois.
Aspects cliniques
La plainte d'insomnie est habituellement sévère,
La polysomnographie est-elle associant des difficultés d'initiation, de maintien
indiquée ? du sommeil et typiquement un réveil matinal pré-
La polysomnographie n'est pas indiquée à titre coce. Le sommeil est perçu comme non récupéra-
systématique dans la recherche étiologique d'une teur et le réveil matinal est associé à une profonde
insomnie aiguë ou chronique. Elle peut cepen- altération de l'humeur et une anxiété majeure.

118
Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

Tableau 6.4. Caractéristiques polysomnographiques des troubles de l'humeur, des troubles


anxieux et de la schizophrénie.
Temps total de Latence Sommeil lent Latence du SP SP
sommeil d'endormissement profond (%) (%)
Troubles de l'humeur ↓ ↑ ↓ ↓ ↑
Troubles anxieux ↓ ↑ ↔ ↔ ↔
Schizophrénie ↓ ↑ ↓ ↓ ↔
↓, diminution ; ↑ augmentation ↔ ; pas de changement.
Données : Benca RM, Obermeyer WH, Thisted RA, Gillin JC. Arch Gen Psychiatr 1992 ; 49 : 1-68.

Figure 6.7. Hypnogramme d'un patient souffrant de trouble dépressif.


On observe : 1. Latence raccourcie du sommeil paradoxal (< 50 minutes). 2. Premier épisode de sommeil paradoxal
anormalement long. 3. Diminution du sommeil lent profond en début de nuit. 4. Réveil matinal précoce.

À côté de la plainte d'insomnie, 20 % des patients • la continuité du sommeil : allongement de la


souffrant de dépression rapportent des niveaux latence d'endormissement ; fragmentation avec
élevés de sommeil excessif ou de somnolence des éveils en cours de nuit ; réveil matinal pré-
diurne, ainsi que des problèmes liés à la synchro- coce (4).
nisation circadienne du sommeil, tels qu'un SRPS. Ces altérations de structure ne sont pas
La persistance des troubles du sommeil après la constantes et aucun de ces paramètres du som-
rémission clinique d'un syndrome dépressif est meil [13, 14] n'est à lui seul suffisant pour caracté-
un facteur prédictif d'une évolution plus sévère et riser un état dépressif. En revanche, leur analyse
d'une plus forte récurrence des épisodes. combinée devient plus spécifique, permettant de
différencier :
Aspects polysomnographiques • les paramètres état-dépendant, présents pen-
La polysomnographie montre des altérations de dant l'épisode dépressif, qui sont évolutifs et
la structure du sommeil. Ces altérations touchent se normalisent lors de la rémission : il s'agit du
trois paramètres (les chiffres entre parenthèses trouble de la continuité du sommeil, de la den-
renvoient à la figure 6.7) : sité de mouvements oculaires rapides du SP, de
• le sommeil paradoxal (SP) : raccourcissement la diminution de l'activité delta globale ;
de la latence d'apparition du premier épisode de • les paramètres trait-dépendants, marqueurs
SP (1) ; prédominance du SP en début de nuit d'une vulnérabilité même en l'absence d'épi-
(les premiers épisodes étant prolongés) (2) ; aug- sode dépressif caractérisé et pouvant se retrou-
mentation de la densité de mouvements ocu- ver chez des apparentés au premier degré de
laires rapides [12] ; sujets malades : il s'agit du raccourcissement de
• le sommeil lent profond (SLP) : diminution du la latence du SP et de la moindre quantité des
SLP (3) ; ondes delta dans les fréquences les plus lentes.

119
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Quand ces anomalies de structure sont retrou- est cliniquement réduit mais il n'existe pas d'étude
vées dans d'autres pathologies psychiatriques, ce de la structure du sommeil.
qui est le cas dans les troubles obsessionnels com- À ce jour, ce sont surtout des études par actimé-
pulsifs et l'état de stress post-traumatique, leur trie et agenda du sommeil qui sont réalisées, du
rattachement à une comorbidité dépressive est fait de leur simplicité technique chez cette popu-
probable. lation de patients.
Chacun des systèmes engagés dans la promo-
tion et le contrôle de la veille et du sommeil peut La polysomnographie est-elle indiquée
être impliqué dans ces processus ; les hypothèses dans les troubles de l'humeur ?
physiopathologiques font état d'une contribution La mise en évidence des altérations de la structure
combinée des mécanismes neurobiologiques de du sommeil n'est pas à ce jour un outil diagnos-
l'éveil et promoteurs du sommeil ainsi que des tique de la dépression. Chez un sujet souffrant de
régulations homéostatique et circadienne du trouble dépressif, sa réalisation a pour objectif :
sommeil. • soit le diagnostic d'un trouble intrinsèque du
Relations entre la structure du sommeil et sommeil en cas de signes cliniques en faveur
l'action des traitements antidépresseurs : l'action d'un trouble respiratoire ou d'un trouble
suppressive du sommeil paradoxal par la grande moteur du sommeil ;
majorité des médicaments antidépresseurs a pu • soit l'établissement d'un diagnostic différentiel
faire évoquer un rôle important de cet effet dans avec une hypersomnolence d'origine neurolo-
le traitement de la dépression (théorie de Vogel, gique : hypersomnie idiopathique ou narco­
1975). En réalité, la suppression du sommeil para- lepsie.
doxal semble liée à une voie commune associant Cependant, des études pharmacologiques com-
l'augmentation de l'activité noradrénergique et mencent à utiliser les critères polysomnogra-
sérotoninergique et la diminution de l'activité phiques comme critères d'efficacité de certains
cholinergique, par laquelle la normalisation du traitements psychotropes.
sommeil reflète l'amélioration des symptômes
dépressifs. Trouble panique
Aspects cliniques
Trouble bipolaire
Le trouble panique nocturne est fréquent, puisque
Aspects cliniques 50 % des sujets souffrant de trouble panique l'ex-
Dans le syndrome maniaque, la réduction du périmentent au moins une fois, et 33 % de manière
besoin de sommeil, parfois plusieurs nuits de récurrente. Ces épisodes se manifestent par un
suite en début d'épisode, fait partie du tableau cli- réveil brusque, habituellement accompagné de
nique. On a pu observer que la diminution d'au symptômes neurovégétatifs tels que le souffle
moins trois heures de la durée de sommeil suggé- coupé, une impression d'étouffement, des palpita-
rait l'imminence d'un épisode. tions, qui caractérisent également les attaques de
panique durant la veille. La charge anxieuse rend
Aspects polysomnographiques le ré-endormissement difficile et peut provoquer
Les études en polysomnographie sont peu nom- une insomnie de milieu de nuit.
breuses, l'expression clinique du syndrome
maniaque rendant difficile les explorations du Aspects polysomnographiques
sommeil en laboratoire. Ces études retrouvent Les attaques de panique nocturnes apparaissent
un sommeil réduit dans 69 à 99 % des cas, ainsi durant le sommeil lent lors de la transition entre
que des altérations du sommeil paradoxal, dont la le stade NREM2 et le stade NREM3, donc lors de
latence est raccourcie et la densité en mouvements l'approfondissement du sommeil [16]. Ils n'appa-
oculaires rapides augmentée, de façon semblable à raissent pas en lien avec le sommeil paradoxal,
la dépression unipolaire. ni avec une activité onirique particulière. Leur
Dans la dépression bipolaire, la plainte d'hyper- déclenchement a été relié à une sensibilité accrue
somnolence est fréquente (23 à 78 % en fonction à l'augmentation des niveaux de dioxyde de car-
des études) [15]. Dans les états mixtes, le sommeil bone dans le sang, à une respiration irrégulière

120
Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

pendant le sommeil lent profond et à des anoma- nombreuses et objectivent des résultats contra-
lies de l'activité autonomique. La polysomnogra- dictoires. Une augmentation des éveils intra-som-
phie retrouve les éléments des plaintes subjectives meil et de la durée totale de la veille intra-som-
éventuellement présentes, comme les difficultés meil, ainsi qu'une moindre efficacité du sommeil
d'endormissement et de maintien du sommeil. sont les paramètres les plus fréquents. En étude
La privation de sommeil qu'elles entraînent a quantifiée, une diminution du sommeil à ondes
tendance à aggraver les symptômes anxieux. Les lentes a été objectivée de façon inconstante, mon-
paralysies du sommeil — phénomènes dus à un trant une répartition inhabituelle du sommeil lent
réveil en sommeil paradoxal comportant un réveil profond chez les sujets souffrant d'anorexie par
cortical et la persistance de l'atonie musculaire — rapport aux sujets sains, avec une concentration
n'ont pas une prévalence plus élevée qu'en popu- des ondes lentes lors du premier cycle de sommeil
lation générale, mais certains patients éprouvent suivie d'une décroissance très importante dès le
à cette occasion une sensation d'anxiété intense deuxième cycle [20]. Le sommeil paradoxal, quant
pouvant provoquer le trouble. Le trouble panique à lui, n'est pas significativement différent de celui
et le trouble dépressif sont souvent co-morbides ; des sujets contrôles, ni en quantité, ni en organi-
le processus dépressif est alors partiellement res- sation temporelle.
ponsable des troubles de sommeil [17, 18].
Boulimie
La polysomnographie est-elle indiquée ? La qualité du sommeil peut être perturbée et l'ali-
Le trouble panique nocturne ne nécessite pas en mentation nocturne est fréquente. La moitié des
lui-même la pratique d'une polysomnographie, patients mentionnent des épisodes d'hyperpha-
sauf si son expression et le contexte clinique font gie dans la soirée ou une ingestion de nourriture
discuter un diagnostic différentiel avec un trouble pendant la nuit ; ces comportements alimentaires
respiratoire du sommeil (SAOS). parfois suivis de vomissements ont pour effet de
retarder le coucher et ont tendance à installer
Troubles du comportement un retard de phase du sommeil. Les études en
alimentaire polysomnographie sont peu nombreuses, mais
l'architecture du sommeil des sujets souffrant de
Des modifications du sommeil sont associées aux boulimie ne présente pas d'anomalie majeure. Des
troubles du comportement alimentaire (TCA) [19], différences portant sur la densité en mouvements
en particulier à l'anorexie mentale, et leur valeur oculaires rapides pendant le sommeil paradoxal
évolutive au regard du trouble est connue des clini- sont retrouvées de façon inconstante. Cette dif-
ciens. Par ailleurs, des troubles du comportement férence pourrait être expliquée par la présence
alimentaire peuvent exister pendant la période de d'une symptomatologie dépressive comorbide [21].
sommeil (cf. supra) sans association systématique
à un TCA de type anorexie ou boulimie.
Schizophrénie
Anorexie mentale Aspects cliniques (tableau 6.4)
L'anorexie mentale, outre les symptômes princi- Les patients souffrant de schizophrénie souffrent
paux comprenant une anorexie suivie d'un amai- de dyssomnies importantes en période d'exacer-
grissement, s'associe également à des troubles du bation symptomatique, où l'altération du som-
sommeil. Cliniquement, ces troubles se caracté- meil a souvent valeur prodromique, annonçant
risent le plus souvent par une fragmentation du la rechute. L'insomnie est sévère, parfois totale,
sommeil et une insomnie de milieu et fin de nuit et un trouble du rythme veille-sommeil peut se
et/ou d'endormissement. Le trouble n'est pas lié développer, sous la forme d'un retard de phase du
directement à l'humeur ou au type d'anorexie sommeil allant jusqu'à une inversion du rythme
mentale (restrictive pure ou avec vomissement/ nycthéméral. La présence de cauchemars intenses
prise de purgatifs) mais semble plutôt relié à la est courante. En période de stabilité clinique sous
sévérité de la dénutrition ; la reprise de poids s'ac- traitement médicamenteux, une perturbation du
compagne d'une augmentation du temps de som- sommeil reste fréquente, avec une insomnie de
meil. Les études polysomnographiques sont peu maintien et une mauvaise qualité de sommeil.

121
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Une large gamme d'autres troubles est consti- sommeil paradoxal n'est associée aux productions
tuée par le retentissement sur le sommeil d'une hallucinatoires ; celles-ci ne sont pas des phéno-
hygiène de vie insuffisante, de l'abus d'alcool et de mènes de sommeil dissocié entre la veille et le
substances toxiques. sommeil paradoxal, comme cela est le cas dans la
Les médicaments antipsychotiques ont éga- narcolepsie.
lement des effets sur le sommeil par plusieurs
mécanismes : Anomalies du sommeil lent profond
• soit directement, en altérant la qualité ou la Un déficit en sommeil lent profond est observé de
continuité du sommeil ; façon inconstante. Le processus homéostatique,
• soit en induisant des troubles moteurs du som- qui veut que l'activité en ondes lentes soit propor-
meil à type de syndrome d'impatiences ou de tionnelle à la dette de sommeil, semble être pré-
mouvements périodiques nocturnes ; sent mais de façon affaiblie [22, 23].
• soit indirectement, par des prises de poids qui Certains paramètres du sommeil sont corré-
favorisent les troubles respiratoires du sommeil. lés à des variables cliniques. Les anomalies du
sommeil et les symptômes de la schizophrénie
Aspects polysomnographiques
ont pu être mis en relation sur un nombre encore
Beaucoup d'anomalies polysomnographiques restreint d'études ; elles sont du plus grand inté-
ont été identifiées, mais aucune n'est spécifique rêt pour notre compréhension des mécanismes
de la schizophrénie et elles sont habituellement neurobiologiques de cette maladie. La sévérité des
congruentes aux plaintes subjectives : les anoma- symptômes, la présence de symptômes positifs
lies de durée et de maintien du sommeil sont les ou négatifs, le pronostic clinique et les anomalies
plus habituelles ; de façon moins constante, la dis- neurocognitives sont en effet corrélés aux anoma-
tribution du sommeil paradoxal et un déficit en lies de structure du sommeil [24].
sommeil à ondes lentes ont pu être observés.
La polysomnographie est-elle indiquée ?
Anomalies de durée et de continuité
du sommeil Il n'y a pas d'indication de principe pour la réalisa-
L'anomalie la plus souvent retrouvée en polysom- tion d'une polysomnographie en cas de diagnostic
nographie est l'allongement de la latence d'endor- de schizophrénie, mais il faudra y penser devant
missement, avec une difficulté à atteindre un état un trouble persistant du sommeil indépendant du
stable du sommeil. Le nombre et la durée des processus morbide.
éveils sont augmentés, ce qui entraîne une faible
efficacité du sommeil. Plusieurs études chez des Influence des composés
patients traités par antipsychotiques montrent un
certain degré d'insomnie résiduelle, qui peut être
psychoactifs sur le sommeil
liée à la maladie mais également à un effet des psy- Effets des psychotropes
chotropes sur le sommeil.
sur la structure du sommeil
Anomalies du sommeil paradoxal Les principales classes thérapeutiques, avec
Comparativement aux sujets contrôles, les études quelques exemples significatifs, sont présentées
chez les patients souffrant de schizophrénie ne ci-après, sans souci d'exhaustivité [25].
montrent pas de différences de quantité de som-
meil paradoxal ou de densité des mouvements Effets des benzodiazépines et apparentés
oculaires rapides. En revanche, la latence d'appa- Cf. tableau 6.5.
rition du sommeil paradoxal est significativement Les benzodiazépines et apparentés améliorent
raccourcie dans près de la moitié des études. Dans la continuité du sommeil en augmentant le
les études ne retrouvant aucune différence, il nombre de fuseaux de sommeil, ce qui explique
est en réalité observé une distribution bimodale l'augmentation du stade NREM2 de sommeil. Il
des valeurs de latence de sommeil paradoxal au existe un fort effet rebond de l'insomnie à l'arrêt
sein de cette population, suggérant l'existence de de ces molécules, qui doit être pris en compte lors
sous-groupes de patients. Aucune anomalie du de leur prescription.

122
Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

Effets des antidépresseurs Psychotropes augmentant le


Cf. tableau 6.6. risque de troubles respiratoires
Effets des neuroleptiques
pendant le sommeil
De nombreux psychotropes peuvent favoriser le
Cf. tableau 6.7 [26].
SAOS (tableau 6.9).
Effets des thymorégulateurs Concernant les substances opiacées, il existe peu
d'études à propos du SAOS, mais il est avéré que
Cf. tableau 6.8.

Tableau 6.5. Effet des benzodiazépines et apparentés sur le sommeil.


Molécules Latence d'endormissement Continuité du sommeil % N3 % N2 % SP
BZD ↓ Améliorée ↓ ↑ ↓
Z-Drugs ↓ Améliorée ↔ ↑ Égal

Tableau 6.6. Effets des antidépresseurs sur le sommeil.


Molécules Latence Continuité % N3 % SP
d'endormissement du sommeil
Amitryptiline ↓ ↑ ↓ ↓
Mirtazapine ↓ ↑ ↑ ↔
Paroxétine  ? ↓ ↑ ↓
Fluoxétine ↑ ↓ ↓ ↓
Citalopram ↔ ↔ ↔ ↓
Sertraline ↑ ↓ ↔ ↓
Venlafaxine ↑ ↔ ↔ ↓ ++

Tableau 6.7. Effets des neuroleptiques sur le sommeil.


Molécules Latence Continuité % N3 % SP
d'endormissement du sommeil
Olanzapine ↓ ↑ ↔ ↔
Rispéridone ↔ ↑ ↓ ↓
Halopéridol ↓ ↑ ↓ ↔

Tableau 6.8. Effets des thymorégulateurs sur le sommeil.


Molécules Latence Continuité % N3 % SP
d'endormissement du sommeil
Carbamazépine ↓  ? ↑ ↓
Acide valproïque ↓ ↑ ↔ ↔
Gabapentine ↔ ↑ ↑ ↑
Lamotrigine ↔ ↔ ↓ ↔
Lithium ↔ ↑ ↔ ↔

123
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Tableau 6.9. Psychotropes ayant un effet sur le SAOS.


Substances Mécanismes supposés
Benzodiazépines Action myorelaxante sur les muscles dilatateurs du pharynx, favorisant le collapsus des
voies aériennes supérieures (ronflements, apnées obstructives), et augmentation du stade
NREM2 favorisant les événements obstructifs
Neuroleptiques Action métabolique favorisant la prise de poids, à l'origine d'un rétrécissement des
Thymorégulateurs voies aériennes supérieures par infiltration graisseuse, favorisant le collapsus pharyngé
(ronflements, apnées obstructives)
Certains antidépresseurs
Alcool Action myorelaxante sur les muscles des voies aériennes supérieures, favorisant le collapsus
pharyngé (ronflements, apnées obstructives), et augmentation de la résistance inspiratoire
Tabagisme + nicotine Facteur favorisant le ronflement, les apnées obstructives du sommeil et l'hypoxie nocturne

les consommateurs chroniques peuvent avoir des Tableau 6.10. Psychotropes aggravant le SJSR
apnées centrales durant le sommeil [27]. La métha- ou les mouvements périodiques du sommeil.
done est la substance la plus incriminée, bien que
Antidépresseurs Venlafaxine, fluoxétine,
ce phénomène ait également été observé chez des escitalopram,
patients prenant de la morphine ou de l'hydro- tétracycliques,
codone. Les anomalies respiratoires associées miansérine, mirtazapine
aux opiacés sont donc en premier lieu les apnées Antipsychotiques Quétiapine, olanzapine
centrales du sommeil, c'est-à-dire un arrêt de la
Thymorégulateur Lithium
commande ventilatoire centrale. Cependant, on
retrouve également des hypoventilations d'ori-
gine obstructive et des respirations périodiques. réparateur et sa continuité améliorée. Au réveil,
Ce trouble peut être observé en général après au il existe une sensation de somnolence. La poly-
moins deux mois de consommation d'opiacés. Une somnographie met en évidence des effets du
hypothèse physiopathologique peut être avancée, Δ9-tétrahydrocannabinol (THC) sur la structure
celle de l'action des opiacés sur les récepteurs mu du sommeil, principalement au niveau du som-
localisés sur la partie ventrale du bulbe rachidien meil lent profond et du sommeil paradoxal. La
régulant la réponse ventilatoire à l'hypercapnie. quantité de sommeil lent profond est augmentée
et on observe une diminution des mouvements
oculaires du sommeil paradoxal. Ces effets s'ac-
Psychotropes favorisant le risque de centuent avec l'augmentation des doses, de façon
troubles moteurs liés au sommeil dose-dépendante, et une diminution du sommeil
La plupart des antidépresseurs et certains anti- paradoxal est ensuite notée. Lors de l'usage chro-
psychotiques ont été identifiés comme pouvant nique, une tolérance s'installe, tendant à atténuer
déclencher ou aggraver un SJSR ou des mouve- ces effets. Chez le sujet souffrant d'insomnie et
ments périodiques du sommeil [28, 29]. Les princi- habituellement non consommateur, la polysom-
pales molécules sont listées dans le tableau 6.10. nographie objective l'effet du THC, qui diminue
Il existe également des situations à risque favori- la latence d'endormissement et améliore la conti-
sant l'apparition de ce trouble comme le sevrage en nuité du sommeil en première partie de nuit de
opiacés, en benzodiazépines ou en antiépileptiques. façon dose-dépendante ; en revanche, sur la deu-
xième partie de nuit, la continuité du sommeil a
tendance à se détériorer [30, 31].
Influence des substances toxiques Les effets du THC sur le sommeil semblent diffé-
sur le sommeil rents, selon que celui-ci est pris de façon isolée ou
associée au cannabidiol, et en fonction des doses.
Cannabis Des doses faibles de THC isolé (15 mg) induisent
Le cannabis a un effet subjectif sur le sommeil une diminution du sommeil paradoxal et une
de type facilitateur : la latence d'endormisse- augmentation du sommeil lent profond, avec un
ment est raccourcie, le sommeil est perçu comme retour aux valeurs de base au bout d'une semaine.

124
Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

L'association de 15 mg de THC à 15 mg de canna- augmentation du sommeil lent profond et une


bidiol diminue l'index d'efficacité du sommeil, le diminution du sommeil paradoxal. Ces effets
sommeil lent profond et le sommeil paradoxal de pourraient faire considérer l'alcool comme un
manière importante ; on ne note pas d'effets signi- hypnotique ; néanmoins, quand la consomma-
ficatifs sur la latence d'endormissement. Des doses tion atteint quatre ou cinq verres d'alcool avant
plus importantes (50 à 210 mg de THC) chez des le coucher, un syndrome de sevrage au milieu
sujets naïfs ou des consommateurs chroniques ont de la nuit produit des effets délétères, avec un
le même effet suppresseur sur le sommeil para- sommeil léger et discontinu, une augmentation
doxal mais n'entraînent pas d'augmentation du du sommeil paradoxal et la présence de cau-
sommeil lent profond. chemars, pouvant s'associer à une activation
Après une brève période de consommation du système nerveux sympathique incluant une
continue de cannabis, le sevrage provoque une tachycardie et des sueurs nocturnes [33].
augmentation de la latence d'endormissement Chez un patient souffrant de dépendance alcoo-
et un fractionnement du sommeil ; le sommeil lique, les troubles du sommeil sont très fréquents,
à ondes lentes diminue, tandis qu'il existe un bien qu'estimés encore de manière imprécise
rebond du sommeil paradoxal dont la quantité (environ 50 % des sujets). Il peut s'agir d'insom-
augmente. nie, d'hypersomnie, de trouble du rythme circa-
dien et de parasomnies. Au fur et à mesure que
Morphiniques la dépendance à l'alcool se développe, les patients
rapportent souvent des difficultés à dormir, même
Cf. tableau 6.11 [32].
sans consommer d'alcool. Des mesures objectives
confirment cette plainte en faisant apparaître une
Alcool augmentation de la latence d'endormissement,
Chez un sujet non dépendant, l'alcool a le plus une faible efficacité du sommeil, une diminution
souvent un effet transitoire sédatif, plus par- du temps total de sommeil, une diminution du
ticulièrement chez les sujets anxieux ou qui sommeil lent profond et du sommeil paradoxal. Le
éprouvent des difficultés à trouver le sommeil ; rythme circadien de la veille et du sommeil peut
pour certains sujets, il peut être légèrement être perturbé et devenir polyphasique, alternant
stimulant. La polysomnographie montre une des courtes périodes de sommeil après l'ingestion
diminution de la latence d'endormissement, une d'alcool suivies de courtes périodes de veille [34].

Tableau 6.11. Effet des morphiniques sur le sommeil.


Morphine Héroïne
Effet d'une prise ↑ Latence d'endormissement ↑ Latence d'endormissement
aiguë sur le sommeil
↓ SLP et déplacement vers la fin ↓ SLP
de nuit
↑ Épisodes d'éveil et somnolence ↑ Épisodes d'éveil et somnolence pendant les
pendant les premières nuits premières nuits (dose-dépendant)
↓ SP et des MOR ↓ SP avec effet rebond les deux nuits suivantes
↑ Cyclicité des épisodes de SP
↑ Bouffées d'ondes delta
↓ TTS ↓ TTS
↑ Activité musculaire ↑ Activité musculaire
Effet d'une prise Tolérance partielle, mêmes effets atténués
chronique sur le Les bouffées d'ondes delta persistent (caractéristique du sommeil sous morphiniques)
sommeil
Effet du sevrage ↑↑ Rebond de SP pendant quelques semaines
sur le sommeil
↑ Veille intrasommeil (pic à 3 jours)

125
Partie II. Neurophysiologie diagnostique

Tableau 6.12. Principales caractéristiques du sommeil, à un et trois mois après le sevrage en


alcool.
Au bout d'un mois d'abstinence Après trois mois d'abstinence
Latence d'endormissement ↑ ↑
Temps de sommeil total ↓ Normale
Fragmentation ↑ ↑
Pourcentage de stade 2 ↓ ↓
Pourcentage de sommeil lent profond ↓ ↓
Pourcentage de sommeil paradoxal Parfois ↑ Normale
Latence du sommeil paradoxal ↓ Normale
Densité des mouvements oculaires ↑ ↓

Les principales caractéristiques du sommeil un tion  des troubles, les altérations du  ­ sommeil
mois après le sevrage et trois mois après sont résu- sont un indicateur de vulnérabilité, ou encore ont
mées dans le tableau 6.12. une valeur prédictive de risque accru de récidive,
comme cela a été montré pour le trouble dépressif.
Nicotine Par ailleurs, le traitement du trouble du sommeil
indépendamment de l'affection psychiatrique
La nicotine possède un effet éveillant et diminue
associée peut avoir des effets thérapeutiques sur le
le sommeil. Cet effet est lié à sa fixation sur des
processus morbide.
récepteurs cérébraux nicotiniques à acétylcho-
Dans d'autres domaines, nous disposons de
line impliqués dans les processus d'éveil, et à une
données encore éparses, comme c'est le cas pour
action inhibitrice sur les systèmes facilitateurs
la maladie schizophrénique, reflétant à la fois
du sommeil. Les études polysomnographiques
la diversité des troubles et celle des mécanismes
portant sur les effets de la nicotine sur le som-
physiopathologiques sous-jacents. Les modifi-
meil des fumeurs font apparaître, par rapport
cations neurobiologiques associées aux patho-
aux non-fumeurs, une augmentation de la latence
logies psychiatriques vont également s'exprimer
d'endormissement et une altération de la conti-
à travers des altérations de la structure du som-
nuité du sommeil avec une augmentation des
meil que la polysomnographie pourra mettre en
éveils nocturnes. Des réveils nocturnes liés à un
évidence. Suivant les pathologies, la réalisation
besoin impérieux de fumer sont observés dans le
de la polysomnographie est un outil utile à la fois
tabagisme sévère, induits par la diminution de la
au diagnostic, à la compréhension physiopatholo-
nicotinémie pendant le sommeil : ce syndrome de
gique du trouble, à la prédiction de la réponse au
« perturbation du sommeil nocturne lié au besoin
traitement ou du risque de rechute.
de nicotine » (nocturnal sleep disturbing nicotine
craving) a une prévalence d'environ 20 % [35].
Références
[1] American Academy of Sleep Medicine. International
Conclusion classification of sleep disorders. Darien : AASM ;
2014.
[2] Billiard M, Dauvilliers Y. Les troubles du sommeil.
L'exploration du sommeil revêt un intérêt tout Paris : Elsevier-Masson ; 2012.
particulier en psychiatrie. À l'échelle d'un trouble
[3] Kupfer DJ, Weiss BL, Foster G, et  al. Psychomotor
psychiatrique ou d'une maladie, elle apporte activity in affective states. Arch Gen Psychiatry
des  données physiopathologiques fondamentales 1974 ; 30 : 765–8.
pour leur compréhension ; à l'échelle de l'individu, [4] Herman J. Chronobiologic monitoring technics. In :
le sommeil représente un véritable baromètre d'un Kryger MH, Roth T, Dement WD, editors.
état pathologique et de son ­évolution. En  fonc- Philadelphia : Saunders ; 2011. p. 1657–67.

126
Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

[5] Hirshkowitz M, Keenan S. Monitoring and staging [21] Lundgren JD, Shapiro JR, Bulik CM. Night eating
human sleep. In : Kryger MH, Roth T, Dement WD, patterns of patients with bulimia nervosa : a prelimi-
editors. Principles and practice of sleep medicine. nary report. Eat Weight Disord 2008 ; 13 : 171–5.
Philadelphia : Saunders ; 2011. p. 1602–9. [22] Chouinard S, Poulin J, Stip E, et al. Sleep in untrea-
[6] American Academy of Sleep Medicine. Manuel for the ted patients with schizophrenia : a meta-analysis.
scoring of sleep and associated events. AASM ; 2014. Schizophr Bull 2004 ; 30 : 957–67.
[7] Rechtschaffen A, Kales A. A manual of standardized ter- [23] Haffmans PM, Hoencamp E, Knegtering HJ, et  al.
minology, techniques and scoring system for sleep Sleep disturbance in schizophrenia. Br J Psychiatry
stages of human subjects. University of California : Brain 1994 ; 165 : 697–8.
Information Service/Brain Research Institute ; 1968. [24] Poulin J, Daoust AM, Forest G, et al. Sleep architec-
[8] Johns MW. Daytime sleepiness, snoring, and obs- ture and its clinical correlates in first episode and
tructive sleep apnea. The Epworth Sleepiness Scale. neuroleptic-naive patients with schizophrenia.
Chest 1993 ; 103 : 30–6. Schizophr Res 2003 ; 62 : 147–53.
[9] Ohayon M. Prévalence et comorbidités des troubles [25] Schweitzer PK. Drugs that disturb sleep and wake-
du sommeil dans la population générale. Rev Prat fulness. In : Kryger MH, Roth T, Dement WD, edi-
(Paris) 2007 ; 57 : 1521–8. tors. Principles and practice of sleep medicine.
[10] Breslau N, Roth T, Rosenthal L, et  al. Sleep distur- Philadelphia : Saunders ; 2011. p. 542–60.
bance and psychiatric disorders : a longitudinal epide- [26] Gimenez S, Clos S, Romero S, et  al. Effects of
miological study of young adults. Biol Psychiatry olanzapine, risperidone and haloperidol on sleep
1996 ; 39 : 411–8. after a single oral morning dose in healthy
[11] Ford DE, Kamerow DB. Epidemiologic study of sleep volunteers. Psychopharmacology (Berl) 2007 ; 190 :
disturbances and psychiatric disorders. An opportu- 507–16.
nity for prevention ? JAMA 1989 ; 262 : 1479–84. [27] Shirani A, Paradiso S, Dyken ME. The impact of aty-
[12] Hudson JI, Lipinski JF, Keck Jr PE, et  al. pical antipsychotic use on obstructive sleep apnea : a
Polysomnographic characteristics of young manic pilot study and literature review. Sleep Med 2011 ; 12 :
patients. Comparison with unipolar depressed 591–7.
patients and normal control subjects. Arch Gen [28] Jagota P, Asawavichienjinda T, Bhidayasiri R.

Psychiatry 1992 ; 49 : 378–83. Prevalence of neuroleptic-induced restless legs syn-
[13] Kupfer DJ. Sleep research in depressive illness : clini- drome in patients taking neuroleptic drugs. J Neurol
cal implications – A tasting menu. Biol Psychiatry Sci 2012 ; 314 : 158–60.
1995 ; 38 : 391–403. [29] Rottach KG, Schaner BM, Kirch MH, et al. Restless
[14] Kupfer DJ, Reynolds 3rd CF, Ulrich RF, et  al. legs syndrome as side effect of second generation
Comparison of automated REM and slow-wave sleep antidepressants. J Psychiatr Res 2008 ; 43 : 70–5.
analysis in young and middle-aged depressed sub- [30] Barratt ES, Beaver W, White R. The effects of mari-
jects. Biol Psychiatry 1986 ; 21 : 189–200. juana on human sleep patterns. Biol Psychiatry 1974 ;
[15] Nofzinger EA, Thase ME, Reynolds 3rd CF, et  al. 8 : 47–54.
Hypersomnia in bipolar depression : a comparison [31] Feinberg I, Jones R, Walker J, et al. Effects of mari-
with narcolepsy using the multiple sleep latency test. juana extract and tetrahydrocannabinol on elec-
Am J Psychiatry 1991 ; 148 : 1177–81. troencephalographic sleep patterns. Clin Pharmacol
[16] Craske MG, Barlow DH. Nocturnal panic. J Nerv Ther 1976 ; 19 : 782–94.
Ment Dis 1989 ; 177 : 160–7. [32] Kay DC. Human sleep during chronic morphine
[17] Cervena K, Matousek M, Prasko J, et al. Sleep distur- intoxication. Psychopharmacologia 1975  ; 44 :
bances in patients treated for panic disorder. Sleep 117–24.
Med 2005 ; 6 : 149–53. [33] Roehrs T, Roth T. Medication and substance abuse.
[18] Mellman TA, Uhde TW. Sleep panic attacks : new In : Kryger MH, Roth T, Dement WD, editors.
clinical findings and theoretical implications. Am J Principles and practice of sleep medicine.
Psychiatry 1989 ; 146 : 1204–7. Philadelphia : Saunders ; 2011. p. 1512–23.
[19] Benca RM, Schenck C. Sleep and eating disorder. In :
[34] Brower KJ, Aldrich MS, Robinson EA, et  al.
Kryger MH, Roth T, Dement WD, editors. Principles Insomnia, self-medication, and relapse to alcoho-
and practice of sleep medicine. Philadelphia : lism. Am J Psychiatry 2001 ; 158 : 399–404.
Saunders ; 2011. p. 1337–45. [35] Rieder A, Kunze U, Groman E, et  al. Nocturnal
[20] Nobili L, Baglietto MG, Beelke M, et al. Impairment sleep-disturbing nicotine craving : a newly described
of the production of delta sleep in anorectic adoles- symptom of extreme nicotine dependence. Acta Med
cents. Sleep 2004 ; 27 : 1553–9. Austriaca 2001 ; 28 : 21–2.

127
Partie III

Neurophysiologie
thérapeutique

Chapitre 7 Électroconvulsivothérapie 133


Chapitre 8 Stimulation magnétique transcrânienne répétée 165
Chapitre 9 Neurofeedback 185
Introduction
Dans cette troisième partie nous aborderons la peutique immédiate. Cette conception de l'EEG
neurophysiologie que nous avons appelée « thé- dans l'évaluation thérapeutique de l'ECT rejoint
rapeutique », dont l'histoire a été décrite dans le celle que nous avons développée au chapitre 4.
chapitre 1. De ces différents modes de traitement Le chapitre 8 décrira la procédure de SMTr, sti-
utilisant l'électricité, tous ont finalement, peu ou mulation magnétique transcrânienne répétitive.
prou, une descendance. Nous n'aborderons pas ici De développement relativement récent, par com-
la tDCS (stimulation transcrânienne par courant paraison avec l'ECT, elle possède néanmoins des
continu) car les études concernant son niveau de effets thérapeutiques, peut-être plus inconstants,
preuve ne sont pas assez avancées. De même, nous mais surtout elle est de maniement plus aisé.
laisserons de côté les stimulations profondes dans Cette méthode thérapeutique arrive à maturité et
les pathologies psychiatriques, parce que de réa- il faut espérer que le soulagement qu'elle apporte
lisation très éloignée, à ce jour, de la psychiatrie aux malades conduira à son remboursement par
quotidienne et dont le caractère invasif est sans la sécurité sociale. Son extension actuelle, malgré
doute une limite incontournable. ses limitations financières, justifie notre choix de
Le chapitre 7 traitera de l'électroconvulsivothé- la présenter comme une technique de pratique
rapie (ECT). Cette méthode, largement décriée quotidienne.
avant les anesthésies adaptées, et ayant pâti dans Enfin, le neurofeedback, au chapitre 9, termi-
le grand public du film Vol au-dessus d'un nid de nera cette partie. Il s'agit là d'une vieille méthode,
coucou tout autant que de l'antipsychiatrie, revient développée après-guerre, à partir de concepts
sur le devant de la scène, une fois les a priori idéo- qui relevaient d'une approche très behavioriste
logiques expurgés. Car il faut bien reconnaître quant à la notion d'apprentissage par condi-
que l'ECT est une méthode qui s'avère efficace et tionnement opérant. La simplicité de l'approche
même indispensable dans les troubles psychia- (en première approximation) et le faible coût
triques les plus graves, et dans les cas pour lesquels du matériel ont fait proliférer depuis quelques
les traitements psychopharmacologiques trouvent années divers constructeurs voire officines qui le
leurs limites. Pratiquée désormais dans des condi- promeuvent, pour le meilleur mais aussi pour le
tions de confort et de sécurité maximales, elle fait pire. Dès lors, des débats assez vifs ont lieu quant
­partie actuellement, de plein droit, de l'arsenal au sérieux de telle ou telle approche ou de tel
thérapeutique quotidien. Par ailleurs, il n'est pas matériel. Il n'est pas dans les fonctions des méde-
certain que les effets secondaires de l'ECT soient cins hospitaliers ou universitaires de prendre
plus sévères ou plus marqués que ceux d'un trai- parti dans un tel débat et nous nous garderons
tement par neuroleptiques, antidépresseurs ou bien de le faire ; nous pensons que c'est le travail
autres à hautes doses ou en polymédication. Dans de la Haute Autorité en Santé. En réalité, le neu-
ce chapitre, nous avons voulu relier la procédure rofeedback est au milieu du gué. Son niveau de
d'ECT avec la lecture électroencéphalographique preuve d'efficacité thérapeutique semble avéré
des crises induites, dans le but de montrer com- dans le TDAH et dans les épilepsies pharmaco-
ment on peut avoir une neurophysiologie à la fois résistantes. Les autres applications cliniques sont
thérapeutique et de diagnostic ou, plus exacte- en cours d'évaluation. Il faut donc multiplier les
ment, une neurophysiologie d'évaluation théra- études, avec des protocoles de plus en plus stan-

130
dardisés et consensuels, pour que cette méthode tout ce qui touche au fonctionnement cérébral et
trouve exactement sa place en psychiatrie. Un à l'adaptation ; il souligne l'importance de l'ho-
autre pari pour lequel le neurofeedback est méodynamique cérébrale. Il s'agit ensuite très
engagé est ce qui le sous-tend. On comprend très probablement d'un processus très diffus et on
bien que la notion de conditionnement opérant voit mal les neurobiologistes chercher le « noyau
renvoie à la notion de boîte noire chère à l'école du neurofeedback ». Ceci d'autant plus qu'il met
behavioriste de Skinner. Mais, depuis, nous en jeu des processus d'apprentissage, et donc
avons quelques éléments concernant le fonction- de plasticité. Enfin, dans le neurofeedback du
nement de cette boîte noire et la question se pose second type tel que l'a décrit Rémond, intervient
de savoir ce qui se passe dans ce processus com- la relation avec le thérapeute qui relève d'une
plexe d'adaptation et de modulation d'une acti- neurobiologie des interactions sociales (cogni-
vité physiologique sous l'effet de la motivation tion sociale) dont il faut dire aussi qu'elle met en
et de la volonté. À notre sens, le neurofeedback jeu des processus diffus. Ainsi, et pour toutes ces
relève de plusieurs niveaux de neurophysiologie. raisons, cette pratique « simple » que semble être
Il met d'abord en jeu des processus de vigilance le neurofeedback ouvre une série de chemins qui
et de conscience ; en ce sens, il souligne le rôle ne peuvent que passionner le neurophysiologiste
central de la vigilance et de la conscience dans et le psychiatre.

131
Électroconvulsivothérapie Chapitre 7
C. Quiles, J.-A. Micoulaud-Franchi1

Bases neurophysiologiques vité neurophysiologique cérébrale. Savoir les repérer


est essentiel pour interpréter sans erreur un EEG au
cours d'une séance ECT (en particulier la fin de la
Induction répétée d'une crise) mais permet également de suivre l'évolution
crise épileptique contrôlée électroclinique de la crise.
et de bonne qualité Les artefacts les plus courants sont :
L'électroconvulsivothérapie (ECT) est une tech- • les artefacts musculaires (figure 7.2A) ;
nique d'électrostimulation thérapeutique qui • les artefacts d'électrodes (figure 7.3B) ;
consiste à induire de manière répétée, chez un • les artefacts de mouvements (figure 7.4) ;
patient souffrant d'un trouble psychiatrique, des • les artefacts d'électrocardiogramme (figure 7.4B).
crises épileptiques contrôlées et de bonne qualité Les artefacts musculaires proviennent des acti-
(figure 7.1), à raison d'une par séance, afin d'obtenir vités électromyographiques (EMG) qui sont d'une
pendant la cure des modifications neurophysiolo- amplitude plus importante (quelques millivolts)
giques permettant une réduction de la ­sévérité des par rapport à l'activité électroencéphalogra-
symptômes et signes psychiatriques dans l'objectif phique (quelques microvolts). Ils apparaissent
sous la forme d'activités rapides de plus de 30 Hz
d'une rémission clinique. L'ECT peut être utilisée et donnent l'impression d'un tracé noir et hérissé
ensuite pour le maintien de cette rémission. de pointes (figure 7.2A).
La pratique de l'ECT nécessite une surveillance Les artefacts de mouvements sont associés à des
électroencéphalographique (EEG) de la crise épi- déflexions lentes de grande amplitude tendant à
leptique induite [1–4]. Le psychiatre doit donc être dépasser les capacités du système d'impression
capable d'enregistrer, lire et interpréter l'EEG EEG (figure  7.4B). Ils s'observent surtout lors de
réalisé au cours d'une séance d'ECT [5]. Bien que la manipulation de la tête du patient (figure 7.4B),
la pratique de l'ECT nécessite des compétences lors de la ventilation au masque (figure 7.4B) ou
complémentaires, une connaissance minimale lors de la reprise de respiration spontanée par le
de la neurophysiologie clinique est indispensable. patient (figure 7.4A).
Cette connaissance guidera de manière essentielle Les artefacts d'électrodes, en cas de mauvaise
la conduite de la séance et de la cure d'ECT. Plu- adhérence, provoquent une trace EEG ample et
sieurs éléments sont à connaître pour interpréter fluctuante similaire aux artefacts de manipula-
un EEG pendant une séance d'ECT. tion de la tête du patient (figure 7.4B). En cas de
© 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

La lecture de l'EEG doit reconnaître déconnexion d'électrodes, on observe une dispa-


les artefacts biologiques et techniques rition du tracé EEG (figure 7.3B).
Neurophysiologie clinique en psychiatrie

Les artefacts d'ECG sont des complexes QRS


Les artefacts sur l'EEG sont des activités électriques
rythmiques classiques qui se surajoutent au tracé
d'origine physiologique (corporelle) ou technique
EEG (figure 7.4B).
(non corporelle), ne provenant pas du cerveau et
Ces artefacts peuvent à tort être interprétés
venant se surajouter à la trace EEG d'origine céré-
comme des activités paroxystiques épileptiformes
brale (cf. chapitre 3). L'attention portée à la clinique et
et donc comme la poursuite de la crise épileptique.
la connaissance des formes particulières des artefacts
Mais l'artefact d'électrodes est généralement asy-
sur la trace EEG permet de les différencier de l'acti-
métrique et l'artefact d'ECG provoque des activi-
tés paroxystiques de période plus longue que celle
1
Relecture : C. Balzani, J. Vion-Dury. des activités rythmiques épileptiques.

133
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Figure 7.1. Tracé EEG d'une crise adéquate et optimale, peu artéfacté.


La trace EEG débute juste après la fin de la stimulation ECT. La fin de la crise est indiquée par la flèche.
Amplification : 20 μV/mm et vitesse de déroulement : 2,5 cm/s.
Ce tracé EEG est caractéristique d'une crise adéquate (durée de plus de 20 secondes et de moins de 3 minutes) et d'une
crise optimale (activités paroxystiques de grande amplitude, très rythmiques, généralisées et synchrones sur les deux
hémisphères, s'arrêtant rapidement, avec suppression complète de toute activité EEG en phase post-ictal immédiat).
On retrouve sur ce tracé les phases ictales typiques d'une crise épileptique déclenchée par une stimulation ECT.

La lecture de l'EEG doit identifier Toutes ces activités peuvent prendre une orga-
les phases de déroulement nisation rythmique, c'est-à-dire se répéter dans le
de la crise épileptique temps avec un intervalle de temps court.
Une crise épileptique se traduit en général par des À côté de ces activités paroxystiques, une crise
modifications caractéristiques de l'EEG appelées épileptique induite par ECT peut se traduire par
activités critiques. Les activités critiques princi- la présence d'une modification en fréquence du
pales sont des activités paroxystiques épileptiques. rythme EEG de fond (cf. chapitre 3). Ainsi, une
Il faut noter que le terme électrophysiologique activité EEG rapide de faible amplitude, donnant
« paroxysme » ne sous-entend pas automatique- l'impression d'un aplatissement du tracé, ou de
ment « épileptique ». Un paroxysme EEG est en moyenne amplitude donnant l'impression de
effet un grapho-élément transitoire de début et pointes toniques (avec une rythmicité très rapide),
de fin brutaux, se détachant très nettement de peut être retrouvée au début de la crise.
l'activité de fond et atteignant rapidement son La description des activités EEG critiques
maximum d'amplitude. Parmi ces paroxysmes, observées au cours du temps permet de définir
certains sont de nature épileptique, mais d'autres des phases ictales après la stimulation par ECT  [6]
peuvent être artéfactuels ou signes d'un processus (cf. figure  7.1). Ces phases sont typiques mais
pathologique non épileptique comme les encé- peuvent ne pas être systématiquement toutes pré-
phalopathies ou les encéphalites (cf. chapitre 3). sentes. Leur absence n'est pas pour autant inévita-
Les paroxysmes épileptiques typiques obtenus blement un facteur de mauvais pronostic. L'EEG
lors d'une crise épileptique déclenchée par la sti- d'une crise induite par ECT présente certaines
mulation ECT sont ; spécificités par rapport à l'EEG d'une crise géné-
• les polypointes ; ralisée tonicoclonique spontanée. Ces spécificités
• les pointes et polypointes-ondes ; sont une phase tonique plus courte et une phase
• les ondes lentes angulaires. de suppression post-ictale.

134
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

Figure 7.2. Tracés EEG de crises adéquates, « quasi » optimales, peu artéfactés.


La trace EEG débute juste après la fin de la stimulation ECT. La fin de la crise est indiquée par la flèche.
(20 μV/mm et 2,5 cm/s).
Ces tracés EEG ne présentent pas tous les critères de la crise optimale. Il existe des activités paroxystiques de grande
amplitude, très rythmiques, généralisées et synchrones sur les deux hémisphères ; cependant, l'arrêt de la crise est
progressif et la suppression de toutes les activités EEG en phase post-ictale est incomplète.
A. Tracé EEG caractérisé par une phase de terminaison longue avec espacement très progressif des activités paroxystiques
épileptiformes. Il existe des artefacts d'activités musculaires qui surchargent la première partie du tracé. La fin de ces
artefacts correspond à la fin de la crise clinique (flèche noire) et au début de la longue phase de terminaison électrique.
B. Tracé EEG caractérisé par la persistance d'une activité EEG post-ictale. Du fait de la disparition de la rythmicité de
l'activité EEG, la fin de la crise avait été déterminée entre 48 et 49 secondes. Cependant, à la réévaluation du tracé, la fin
de la crise reste incertaine. Devant la persistance d'une activité EEG assez ample en phase post-ictale immédiate et
donc une fin de crise peu nette, il aurait été préférable, suivant le principe « when in doubt, play it out », de continuer
l'enregistrement du tracé pendant quelques secondes pour s'assurer de la non-reprise d'une activité rythmique critique
évidente.

135
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Figure 7.3. Tracés EEG de crises adéquates et non optimales, artéfactés.


La trace EEG débute juste après la fin de la stimulation ECT. La fin de la crise est indiquée par la flèche.
(20 μV/mm et 2,5 cm/s).
A. Ce tracé EEG est caractéristique d'une crise adéquate (durée de plus de 20 secondes) mais non optimale puisque
la phase clonique est peu marquée (activités paroxystiques de faible amplitude, polymorphes, peu rythmiques,
généralisées mais peu synchrones sur les deux hémisphères), qu'elle s'arrête de manière très progressive et qu'il existe
une persistance d'activité EEG en phase post-ictale immédiate. La distinction entre la phase clonique, la phase de
terminaison et la phase post-ictale reste incertaine.
B. Ce tracé EEG (très artéfacté) est caractéristique d'une crise non optimale. L'asynchronie des activités paroxystiques
épileptiformes entre les deux hémisphères est marquée. Il existe des artefacts d'activités musculaires nombreux
sur la première partie du tracé du bas et des artefacts de mouvement sur les deux traces. La fin du tracé est coupée
prématurément du fait d'un artefact de déconnexion d'électrode. Les signes cliniques de reprise de mouvements
volontaires et de mouvements respiratoires ont permis de confirmer la fin de la crise d'un point de vue clinique.

136
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

Figure 7.4. Tracés EEG de crises non adéquates (ou avortées), sans phases cloniques, artéfactés.
La trace EEG débute juste après la fin de la stimulation ECT. La fin de la crise est indiquée par la flèche.
(20 μV/mm et 2,5 cm/s).
A. Deux tracés EEG de crise avortée caractérisés par une accélération du rythme EEG avec un aspect de très petites
pointes toniques de faible amplitude. L'association d'artefacts d'activités musculaires est probable. Sur le premier tracé,
les artefacts de mouvement à partir de 18 secondes sont liés à la reprise d'une respiration spontanée par le patient.
B. Tracé EEG de crise avortée caractérisé par des activités paroxystiques toniques de type pointes sur 7 secondes
environ. Il existe des artefacts liés à la manipulation de la tête du patient au début de la trace du haut, puis des artefacts
ECG sur le tracé de bas. La fin de la crise est peu nette entre 12 et 16 secondes, mais il existe une disparition des
activités paroxystiques épileptiformes entre 16 et 19 secondes, puis des activités réapparaissent qui ne correspondent
pas à une reprise de la crise épileptique mais à des artefacts liés à la réalisation d'une ventilation au masque chez le
patient.

La phase pré-ictale est la phase initiale, de très tés paroxystiques rapides de type pointes et poly-
courte durée, rarement enregistrée, caractérisée pointes.
par une activité EEG très rapide et de faible ampli- Ces activités paroxystiques s'entrecoupent
tude donnant l'impression d'un aplatissement du ensuite d'ondes lentes angulaires, irrégulières,
tracé. Cette phase reflète la désynchronisation correspondant à la transition entre la phase
induite par la stimulation électrique [6]. tonique et le début de la phase clonique de la crise
Puis apparaît la phase épileptique recrutante, épileptique. Ces phases peuvent être masquées
ou de synchronisation, de courte durée (quelques par des artefacts musculaires continus en cas de
secondes) caractérisée par une activité EEG faible curarisation. La phase clonique est ensuite
rapide, tonique, aux alentours de 20 Hz, ressem- caractérisée par des activités paroxystiques de
blant à de petites pointes rapides d'amplitude type polypointes-ondes puis ondes lentes angu-
croissante. Il lui succède la phase tonique, d'une laires rythmiques, régulières, de grande ampli-
dizaine de secondes, caractérisée par des activi- tude, stéréotypées (de morphologie identique),

137
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

synchrones entre les deux hémisphères, associées, tions préalables des traces EEG pré-ictales, deux
suivant le niveau de curarisation, à des mouve- types de pattern EEG sans phases cloniques sont
ments cloniques convulsifs et à des artefacts mus- à connaître pour pouvoir identifier une crise épi-
culaires plus ou moins discontinus. La fréquence leptique induite par ECT [8] :
de ces activités rythmiques diminue (de 5 Hz à • le premier pattern, rare et difficile à repérer, est
1 Hz environ) au cours de cette phase, qui est la l'adjonction de petites pointes sur les activités
plus longue. En cas de stimulation ECT unilaté- lentes du tracé pré-ictal ;
rale, une généralisation aux deux hémisphères • le second pattern est celui plus typique d'une
doit normalement être observée sur l'EEG, l'hé- crise tonique : il implique une modification
misphère non stimulé pouvant cependant être en de la fréquence dominante avec une accéléra-
retard sur l'hémisphère stimulé. tion du rythme de fond et l'adjonction plus ou
Enfin, la phase de terminaison de la crise est moins marquée d'activités de plus ou moins
une phase de transition entre la phase clonique et grande amplitude prenant parfois l'allure de
la fin de la crise, caractérisée par des ondes lentes pointes rapides toniques, se ralentissant ensuite
dont l'amplitude, la rythmicité et la régularité pour retrouver la forme du tracé initial (cf.
diminuent jusqu'à l'arrêt de la crise. figure 7.4).
La phase post-critique immédiate est alors
caractérisée par un aplatissement important du L'interprétation de l'EEG doit qualifier
tracé, dénommé phase de suppression post-ictale. la crise épileptique induite par ECT
Cette phase dure quelques secondes avant le Une crise épileptique déclenchée par une stimu-
retour d'une activité EEG post-ictale ralentie. lation ECT est adéquate si sa durée est supérieure
Les artefacts musculaires coïncident avec les à 20 secondes mais inférieure à 3 minutes (cf.
activités motrices cliniques de la crise épileptique figures  7.1 à 7.3). En cas de crise de durée infé-
et peuvent être présents sur le tracé EEG mal- rieure à 15 secondes, il s'agit d'une crise avortée
gré la curarisation. On peut noter des activités (cf. figure 7.4) [3, 4, 9].
musculaires continues lors de la phase tonique Trois critères EEG pronostiques ont été identi-
et plus ou moins discontinues lors de la phase fiés et permettent de définir une crise épileptique
clonique (cf. figures  7.2A et 7.3B). Il est parfois optimale [10–13]. Il s'agit de critères portant sur l'ar-
difficile, au début de la crise, de distinguer une chitecture de la crise épileptique à l'EEG :
activité tonique d'origine cérébrale d'une activité • le premier critère est l'indice de suppression
artéfactuelle d'origine musculaire. Les activités post-ictale (ou index de suppression de l'acti-
­musculaires disparaissent lors de la phase de ter- vité biocorticale, SABC) qui correspond à une
minaison. Il est important de noter que la dispari- évaluation du degré de fin nette de la crise avec
tion de toute activité motrice se fait donc avant la suppression complète de l'activité EEG en phase
disparition de la crise enregistrée sur le tracé EEG post-critique [10], soit de manière visuelle [11] soit
(de 5 à 10 secondes environ) [7] (cf. figure 7.2A). de manière quantitative [12, 14] : plus l'indice de
Il est parfois difficile d'observer des activités suppression est élevé, meilleure est la réponse
paroxystiques typiques et de grande amplitude thérapeutique à la cure ECT [10] ;
au cours d'une crise épileptique induite par ECT. • le second est l'amplitude maximale de l'EEG
La modification du tracé pré-ictal par l'effet des durant la crise (en millivolts) [10] : plus cette
anesthésiques ou des séances d'ECT précédentes amplitude est grande, meilleure est la réponse
ne favorise pas non plus le repérage de ces activi- thérapeutique [11, 14] ;
tés paroxystiques. En effet, le tracé réalisé avant • enfin, le troisième est un indice de cohérence
la séance d'ECT peut présenter un ralentissement interhémisphérique, permettant par EEG
du rythme de fond, des activités EEG amples quantitatif d'obtenir une mesure du degré de
plus ou moins angulaires et des bouffées d'acti- synchronie des activités paroxystiques cri-
vités paroxystiques épileptiformes, qu'il ne faut tiques entre les deux hémisphères [14] : sa valeur
pas interpréter comme des activités paroxystiques pronostique a été moins étudiée que les deux
critiques puisque ne s'associant pas à des signes indices précédents [14] ; mais, en cas de stimu-
cliniques de crise. Dans ce contexte de modifica- lation unilatérale, il faut s'assurer que la crise

138
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

épileptique a été généralisée, c'est-à-dire impli- En effet, des reprises de crise épileptique ont
quant les deux hémisphères. été décrites jusqu'à 5 secondes après la fin de la
Ces indices peuvent être utilisés cliniquement crise précédente et les activités paroxystiques
de deux manières [10, 15] : peuvent donc réapparaître en cas de non-­
• la première est visuelle puisqu'ils indiquent en terminaison claire de celle-ci [8]. D'une manière
définitive qu'une crise épileptique optimale pré- générale, il est donc conseillé au moindre doute
sente à l'EEG des activités paroxystiques rapi- de continuer l'enregistrement EEG, selon la
dement de grande amplitude, morphologique- formule : « When in doubt, play it out » [8] (cf.
ment bien formées, rythmiques, généralisées et figure  7.2B). Enfin, il est conseillé de relire la
synchrones sur les deux hémisphères, s'arrêtant trace EEG en sens inverse, depuis la fin de la
brutalement en fin de crise, avec suppression trace en remontant, pour confirmer la fin de
complète de toute activité EEG en phase post- la crise déterminée à la lecture en descendant.
ictale immédiate [6, 7] (cf. figure 7.1) ; Obtenir une trace EEG de la phase pré-ictale
• la seconde manière est quantitative puisque peut aider à interpréter la trace EEG ictale et
les appareillages d'ECT (MECTA spECTrum® post-ictale immédiate en cas de crise difficile à
et Somatics Thymatron®) offrent la possibi- reconnaître.
lité d'obtenir certains de ces indices ou des
indices s'en rapprochant [15]. Cependant la vali- L'interprétation de l'EEG reste
dité prospective de l'utilisation des algorithmes électroclinique
­quantitatifs développés par ces sociétés reste à Une crise épileptique est avant tout une crise
confirmer [15]. clinique, c'est-à-dire une manifestation clinique
paroxystique, témoin d'une décharge anormale,
L'interprétation de l'EEG doit déterminer excessive et hypersynchrone d'une population
la fin de la crise plus ou moins étendue de neurones du cortex
Déterminer la fin de la crise est l'étape impor- cérébral et se traduisant par des modifications
tante de la surveillance EEG de la crise épileptique caractéristiques de l'EEG (activités critiques).
puisqu'elle permet d'évaluer la durée de celle-ci, Cette définition classique de la crise épileptique
paramètre essentiel mais non suffisant pour la est à confronter au contexte particulier de l'ECT
conduite de séances d'ECT de qualité. Mais repé- et de l'encadrement anesthésique, la manifesta-
rer la fin de la crise n'est pas aisé puisque : tion clinique ne pouvant être composée de symp-
• les activités paroxystiques épileptiques peuvent tômes ressentis par le malade, puisque celui-ci est
diminuer tellement progressivement qu'il peut inconscient du fait de l'anesthésie et que les signes
être difficile d'en déterminer nettement la fin cliniques, repérés par le médecin et reconnus
(cf. figure 7.2A) ; comme pouvant être de nature épileptique — en
• il peut persister une activité EEG non critique particulier les signes moteurs comme les mouve-
assez lente et ample du fait d'une suppression ments convulsifs au cours des crises d'épilepsie
post-ictale incomplète (cf. figures 7.2B et 7.3A) ; généralisées — sont limités par la curarisation.
• la fin de crise peut être artéfactée (cf. figures 7.3 L'ECT réalise en quelque sorte une situation de
et 7.4B). « dissociation électroclinique iatrogène ».
Des critères cliniques et EEG précis sont donc Malgré ces contraintes anesthésiques, il est
à prendre en compte afin de déterminer avec important de garder à l'esprit que la crise épi-
rigueur la fin de la crise [8] : leptique reste une manifestation clinique et que
• au niveau clinique, si le patient initie des mou- l'EEG ne doit pas dispenser le psychiatre prati-
vements volontaires ou des efforts de respi- quant l'ECT de rechercher des signes cliniques
ration, alors il faut considérer qu'il s'agit d'un concomitants de la crise. Une augmentation de la
indice pour affirmer que la crise est terminée pression artérielle, une pilo-érection, ainsi qu'une
(cf. figure 7.3B) ; activité critique motrice doivent être recherchées
• au niveau EEG, il est conseillé de continuer sys- pour compléter la surveillance EEG. Concer-
tématiquement l'enregistrement 10 secondes nant l'activité motrice, il n'est pas rare, malgré la
après la fin présumée de la crise sur le tracé. curarisation, qu'une activité convulsive fine des

139
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

extrémités soit observée. Elle est généralement de décrivait le phénomène de normalisation forcée
durée plus courte que la crise épileptique enregis- aussi appelé « effet Landolt » chez les patients souf-
trée à l'EEG. Bien que le suivi électroclinique soit frant d'épilepsie [18] (cf. chapitres 4 et 10). L'effet
essentiel, la surveillance de la crise sur les seules est caractérisé par le fait que lors de l'apparition
activités musculaires (artefacts EMG et technique de symptômes psychotiques, l'EEG des patients
du brassard, cf. infra) risquerait, pour cette rai- épileptiques tend à se normaliser ou se normalise
son, de sous-estimer la durée réelle de la crise. En complètement [19]. Les modifications EEG induites
revanche, la contraction faciale initiale pendant la par la cure ECT apparaîtraient alors comme la
stimulation ECT est déclenchée par la stimulation base d'un effet Landolt inversé [20]. La modifica-
électrique des muscles de la tête — en particulier tion du tracé EEG pourrait alors constituer soit
les muscles masséters entraînant un trismus néces- la conséquence neurophysiologique (effet secon-
sitant des gouttières dentaires de protection — daire) du traitement par ECT, soit la participation
et ne doit pas être confondue avec des activités neurophysiologique à l'amélioration clinique (effet
motrices d'origine épileptique. de compensation). Cependant, bien que les méca-
nismes de l'effet Landolt (inversé ou non) soient
encore très peu connus (cf. chapitre 10), ils per-
Marqueurs neurophysiologiques mettent de formuler des hypothèses de recherche
d'effet de la cure ECT intéressantes pour mieux comprendre les méca-
nismes d'action de la cure ECT sur les troubles
Les effets neurophysiologiques de la cure ECT psychiatriques. L'ECT peut être considérée comme
sont multiples, depuis des effets biochimiques une porte d'entrée collaborative à ne pas sous-­
jusqu'à des effets neuroplastiques [4]. La compré- estimer entre psychiatre et neurophysiologiste [21].
hension des mécanismes d'action de la cure ECT
reste incomplète, bien que l'efficacité et la bonne
tolérance en soient désormais établies.
Du point de vue de la neurophysiologie cli- Matériel
nique, l'EEG conventionnel est modifié entre les
séances d'ECT (ou tracé inter-ictal). Le psychiatre pratiquant l'ECT doit bien connaître
Il existe en effet un ralentissement du rythme le matériel électrophysiologique qu'il utilise (cf.
de fond dans la bande thêta voire delta, associé chapitre 1). L'utilisation des appareillages ECT
à des activités paroxystiques plus lentes, amples, nécessite un contrôle régulier par le service bio-
diffuses, à prédominance bifrontale, parfois pré- médical de l'hôpital afin d'assurer la sécurité
dominant du côté stimulé en cas de stimulation d'utilisation.
unilatérale, plus ou moins angulaires, plus ou Un appareillage ECT a deux objectifs :
moins rythmiques, le plus souvent intermittentes • stimuler électriquement le cerveau du patient,
et prenant parfois l'aspect de bouffées d'activités de manière contrôlée et inoffensive ;
paroxystiques épileptiformes [6] (figure 7.5). • enregistrer l'activité électrique du cerveau pen-
Ces anomalies sont fonction du nombre de dant la séance d'ECT.
séances d'ECT et sont plus importantes avec la Les premiers appareillages ECT avec maté-
stimulation bilatérale qu'unilatérale. Bien que riel d'enregistrement EEG apparaissent dans les
ces anomalies EEG ressemblent parfois à celles années 1970 [22]. Les deux principaux types d'ap-
retrouvées dans certaines encéphalopathies, elles pareillages actuels de stimulation ECT (MECTA
sont, en l'absence d'anomalies cliniques asso- spECTrum®2 et Somatics Thymatron®3) sont équi-
ciées, à tolérer et pourraient être associées à une pés d'un système d'enregistrement EEG à deux
meilleure réponse thérapeutique, en particulier canaux sous la forme d'une trace papier dérou-
lorsque leurs localisations prédominantes sont lante (papier thermique) (figure 7.6). L'enregistre-
frontales et préfrontales [6, 16, 17]. ment EEG est déclenché automatiquement dès la
De fait, le terme d'« anomalies EEG » pour fin de la stimulation électrique.
décrire les tracés pourrait ne pas être adapté dans
le contexte des ECT [17]. Ces « modifications EEG » 2
http://www.mectacorp.com/products.html
rappellent les descriptions de Landolt qui, en 1953, 3
http://www.thymatron.com/main_catalog.asp

140
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

Figure 7.5. Tracés EEG 21 électrodes (montage longitudinal) avant et entre les séances d'ECT.
(10 μV/mm et 1,5 cm/s).
A. Tracé EEG de base. Avant le début des séances ECT, l'EEG est sans anomalie pathologique avec une activité de fond
caractérisée par un rythme alpha, postérieur, symétrique, bilatéral, synchrone, bien réactif à l'ouverture des yeux. Les
manœuvres d'activation (hyperpnée, HP, et stimulations lumineuses intermittentes, SLI) étaient sans effet pathologique.
B. Tracé EEG intercritique. Après quatre séances d'ECT, l'EEG est modifié. Il existe un ralentissement du rythme de fond
dans la bande subalpha-thêta, restant réactif à l'ouverture des yeux. Sur ce rythme de fond ralenti se surajoutent des
activités paroxystiques de type ondes lentes angulaires, généralisées, à prédominance frontale, prenant parfois un
aspect de bouffées rythmiques de quelques secondes. En l'absence de signes cliniques de syndrome confusionnel ou de
crises indésirables, ce tracé ne doit pas conduire à l'arrêt des séances d'ECT.

Le matériel ECT Somatics Thymatron® per- trement numérique digitalisé sont des options pos-
met également en option de surveiller l'EEG sous sibles sur les deux types d'appareillages. Ces options
la forme d'un signal sonore, devant être utilisé en permettent d'obtenir des critères EEG quantitatifs
supplément et non en remplacement de l'analyse pronostiques potentiellement utiles pour guider
visuelle de la trace EEG pendant la séance d'ECT. la stratégie thérapeutique par ECT mais aussi de
L'enregistrement sur quatre canaux EEG et l'enregis- mener des recherches de neurophysiologie clinique.

141
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Gouttière dentaire
de protection

Électrodes de stimulation
et pâte conductrice

Électrodes d’enregistrement
voie gauche et voie droite

Électrode de terre

Papier d’enregistrement EEG

Écran de réglages
des paramètres de stimulation
et d’enregistrement EEG
Figure 7.6. Matériel de stimulation ECT avec système d'enregistrement EEG intégré.

Système de stimulation
Il existe deux positionnements possibles des élec-
trodes de stimulation (figure 7.7) [7] :
• la première modalité de placement est bilatérale ou
bi-fronto-temporale : les électrodes sont placées des
deux côtés de la tête, avec leur point central approxi-
mativement à 2,5 cm au-dessus du milieu d'une
ligne tracée entre le tragus et le canthus externe ;
• la seconde modalité de stimulation est uni-
latérale droite, ou LART (pour Left Anterior
Right Temporal), l'électrode droite étant placée
en même position qu'en stimulation bilatérale,
alors que l'électrode gauche est placée à l'inter-
section des milieux des lignes allant du tragus
gauche au tragus droit et de l'inion au nasion.
L'ECT délivre au travers des électrodes de sti-
mulation (et du gel conducteur placé entre les Figure 7.7. Placement des électrodes de
électrodes et le scalp) un courant bref pulsé avec stimulation unilatérale (une électrode
ondes carrées. Les courants alternatifs sinusoï- positionnée entre le canthus externe et
daux ont été abandonnés car ils nécessitaient le tragus du côté de l'hémisphère droit et
une intensité plus importante pour induire une l'autre électrode sur le vertex) ou bilatérale
crise épileptique et provoquaient pour cette (électrodes positionnées entre le canthus
raison plus d'effets secondaires cognitifs. La externe et le tragus de chaque côté du crâne).
charge électrique est mesurée en millicoulomb
(mC). Elle est délivrée par l'appareillage ECT au La quantité d'énergie délivrée s'exprime en joules
travers des électrodes de stimulation. Notons (J) et dépend de la résistance en ohms (Ω) des tis-
que la charge électrique est la quantité d'élec- sus traversés. Plus la résistance est grande, plus la
tricité et non la quantité d'énergie délivrée par quantité d'énergie délivrée à charge électrique égale
l'appareil. est grande. En pratique clinique, c'est la charge élec-

142
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

trique qui est utilisée pour la conduite des ECT parce tion de la crise aux deux hémisphères. La paire
qu'indépendante de la résistance. Des « niveaux » de d'électrodes d'une dérivation EEG doit donc
charge électrique sont préenregistrés et l'appareil- être placée du même côté. Il en résulte qu'il
lage détermine automatiquement les paramètres n'existe pas d'électrode de référence commune
en fonction de la charge en millicoulomb souhai- et que l'électrode de référence est différente
tée. Au moment de la stimulation, l'appareillage pour chaque dérivation EEG droite et gauche.
calcule également automatiquement l'impédance, L'électrode 1 exploratoire (ou active) est placée
n'autorisant à délivrer le courant que si celle-ci est en position frontopolaire à l'emplacement équi-
suffisamment basse pour permettre à ce dernier de valent de Fp1 et Fp2 suivant le système interna-
diffuser. Elle adapte également la charge électrique tional 10/20. L'emplacement classiquement uti-
à administrer en fonction de l'impédance mesurée. lisé en pratique clinique ECT est environ 1 cm
Les paramètres de stimulation sont alors inscrits au-dessus du sourcil sur une ligne verticale pas-
en début et en fin de la trace EEG (avec la quantité sant par la pupille. Cet emplacement ne corres-
d'énergie en Joules). pond pas exactement au système 10/20, mais cela
Plusieurs paramètres peuvent être réglés sur les a peu d'importance au regard de la nécessité d'une
appareillages afin d'obtenir la charge électrique symétrie de placement des électrodes frontales [2].
souhaitée : L'électrode 2 de référence (ou passive) est placée
• la durée du pulse ; au niveau de la mastoïde homolatérale (derrière
• la fréquence des pulses ; l'oreille sur la peau glabre), équivalent aux empla-
• la durée de la stimulation ; cements Tp9 et Tp10 suivant le système 10/20
• l'intensité. (figure 7.8).
La durée du pulse peut être brève (0,5 à 1 s) Le choix de ces emplacements est lié au fait :
ou ultrabrève (0,3 ms). Plus la durée du pulse • que l'amplitude des activités critiques EEG est
est brève, plus la crise est déclenchée facilement. souvent la plus ample sur les dérivations fron-
Cependant, pour obtenir une charge suffisante, tales ;
il faudrait alors augmenter les autres para- • que la mastoïde est une région relativement
mètres. Une stimulation bilatérale avec des pulses inactive électrophysiologiquement et que la
ultrabrefs n'est pas plus efficace qu'une stimula- probabilité de recueillir la même activité EEG
tion unilatérale [23]. Le traitement utilisant le posi- qu'en situation frontale est donc faible, ce qui
tionnement bilatéral perd donc sa supériorité en en fait une bonne référence par rapport à l'élec-
termes d'efficacité si on utilise un courant avec trode frontale active ;
des pulses ultrabrefs. La stimulation ultrabrève • que les emplacements frontal et mastoïdien
n'est donc utilisée qu'en association avec un place- sont glabres, ce qui permet d'avoir un contact
ment unilatéral des électrodes. de qualité entre l'électrode et le scalp.
La fréquence des pulses peut varier de 10 à Le collage des électrodes nécessite cependant,
120 Hz. Le terme de « basse fréquence » est uti- comme pour un EEG classique, de nettoyer la
lisé pour des fréquences inférieures à 70 Hz. Au peau par un solvant légèrement abrasif, afin d'éli-
delà, la stimulation est dite à « haute fréquence ». miner les excès de sébum ou de débris cellulaires
L'induction d'une crise serait plus facile à plus [2]
. Les électrodes d'enregistrement utilisées sont
basse fréquence ; la période réfractaire serait plus généralement des électrodes jetables autoadhé-
longue à haute fréquence. sives contenant déjà une pâte conductrice ; les
Enfin, la durée de la stimulation peut varier de 0,5 à électrodes d'électrocardiogramme peuvent égale-
8 s. Une stimulation de longue durée serait supérieure ment être utilisées.
en termes de déclenchement de la crise et d'efficacité.
Salle de stimulation
Système d'enregistrement
Le décret n° 94-1050 du 5 décembre 1994 relatif
électrique aux conditions techniques de fonctionnement
En ECT, le but du placement des électrodes est des établissements de santé en ce qui concerne la
d'enregistrer l'EEG produit par chacun des pratique de l'anesthésie définit les conditions de
hémisphères afin de s'assurer de la généralisa- réalisation d'une anesthésie au cours d'un traite-

143
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Électrode de terre Montage EEG


hémisphère gauche

FP2 FP1 Électrodes FP1


frontales

TP9

Électrodes
mastoïdiennes

Figure 7.8. Placement des électrodes d'enregistrement EEG des hémisphères droit et gauche.

2- Salle de soin 1- Salle de préparation


Lit 1 au soin
Salle attente
Scope Scope

Lit 2

Lit 3 Matériel
anesthé-
Machine
ECT
sique Entrée
Hall
Lit 4 d’accueil

Vestiaire
Lit 5

3- SSPI

Figure 7.9. Plan conseillé d'une unité de soin ECT.

ment par l'ECT. Une instruction du 16 août 1996 • une salle de stimulation où le patient devrait
précise ces modalités. pouvoir ensuite être transféré tout en restant
Le traitement par ECT se réalise en trois temps. dans son lit, où l'anesthésie et le soin ECT sont
L'unité ECT idéale devrait être construite selon réalisés ;
ces trois temps (figure 7.9), à savoir : • une salle de soins post-interventionnels (SSPI)
• une salle de préparation dans laquelle le patient est où le patient est transféré tout en restant dans
installé, perfusé, et dans laquelle les vérifications et son lit, et dans laquelle il restera surveillé pen-
le recueil d'informations peuvent être réalisés ; dant une heure.

144
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

Les locaux doivent être équipés conformément ceux permettant de réaliser l'évaluation pré-
aux exigences des actes d'anesthésie et de réa- ECT, c'est-à-dire permettant :
nimation. Le fonctionnement fait intervenir un • de déterminer l'indication ;
personnel soignant formé à l'ECT et implique la • d'évaluer le risque ;
collaboration du psychiatre, qui sera le médecin • de recueillir l'avis éclairé du patient ;
administrateur et responsable de la stimulation • et de prendre la décision finale de traitement
ECT, d'un anesthésiste (parfois associé à un infir- par ECT.
mier anesthésiste) et d'infirmiers de l'unité ECT
qui participent à l'installation du patient. Déterminer l'indication
Un examen clinique psychiatrique assuré par le
psychiatre effectuant le traitement par ECT per-
Déroulement d'une cure d'ECT met :
• d'une part, d'évaluer la symptomatologie, le
La raison de la surveillance EEG est essentielle et diagnostic et les possibilités d'efficacité du
double. traite­ment par ECT ;
Premièrement, l'EEG est la méthode la plus • d'autre part, de déterminer le degré d'urgence
efficace pour détecter une crise épileptique pro- du traitement en fonction de la gravité du
longée et ainsi permettre de minimiser les effets trouble psychiatrique présenté par le patient
secondaires cérébraux des séances ECT. En effet, (existe-t-il un risque vital à court terme, un
une crise épileptique prolongée augmente à court risque suicidaire important ? ).
terme le risque d'état de mal épileptique (EME) À cette occasion, des échelles d'évaluation par hété-
post-ECT, complication rare mais grave d'une roquestionnaire ou autoquestionnaire peuvent être
séance, et à moyen terme augmente le risque de utilisées pour évaluer la sévérité des symptômes. Elles
mauvaise tolérance cognitive de la cure ECT sans permettront par la suite de surveiller l'efficacité de la
en augmenter l'efficacité clinique [1]. cure ECT. Les hétéroquestionnaires conseillés concer-
Deuxièmement, elle est une méthode complé- nant les épisodes dépressifs majeurs sont : l'échelle
mentaire à la surveillance clinique, pour permettre de dépression de Hamilton (Hamilton Depression
de confirmer la présence d'une crise épileptique adé- rating scale, HAMD), constituée de dix-sept items,
quate voire optimale et d'adapter les modalités de la ou l'échelle de dépression de ­Montgomery et Ast-
stimulation électrique afin de maximiser l'efficacité ber (Montgomery-Asberg Depression Rating Scale,
de la cure ECT [7]. MADRS), constituée de dix items (cf. Annexe 1). L'au-
La surveillance EEG est donc un élément cen- toquestionnaire conseillé est l'inventaire de  dépres-
tral dans le raisonnement clinique permettant une sion de Beck (Beck Depression Inventory, BDI), consti-
pratique rigoureuse et efficace des séances ECT. tué de treize items.
Nous allons présenter la trame de la démarche cli- Les indications recommandées d'une cure ECT
nique de la réalisation d'une séance ECT entou- sont [27] :
rant le raisonnement neurophysiologique. Pour • A. Épisode dépressif majeur, entrant dans le
une description plus détaillée nous renvoyons aux cadre d'un trouble uni- ou bipolaire :
deux ouvrages de référence en langue française [3, 4], – en cas de risque suicidaire majeur ;
aux recommandations HAS [24] et aux ouvrages de – en cas de caractéristiques psychotiques ou
référence en langue anglaise [1, 2, 25, 26]. mélancoliques associées ;
– en cas de pharmacorésistance ;
Examen clinique et paraclinique – en cas de choix du patient.
• B. Épisode maniaque :
pré-ECT – en cas de risque vital ou d'épuisement psy-
Avant de débuter un traitement par ECT, il chique ;
est nécessaire de procéder à une évaluation – en cas de pharmacorésistance ;
préthérapeutique spécifique. Aucun examen – en cas de choix du patient.
complémentaire n'est obligatoire. Les examens • C. Symptômes positifs dans la schizophrénie,
complémentaires nécessaires sont uniquement d'autant plus qu'il existe des symptômes thy-

145
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

miques associés, des symptômes catatoniques crânienne. En effet, la crise convulsive entraîne
associés, un antécédent de réponse positive à une augmentation de la pression intracrânienne
une cure ECT. L'ECT dans la schizophrénie n'est faisant alors risquer dans ce cas un engagement
cependant pas recommandé en première inten- cérébral.
tion, et intervient en cas de résistance médica- Toutes les autres situations peuvent être dis-
menteuse ou d'intolérance à la clozapine. cutées et conduire à une évaluation du rapport
• D. En cas de troubles neuropsychiatriques : bénéfice/risque, et éventuellement une adaptation
– maladie de Parkinson : l'ECT améliore les des traitements et techniques anesthésiques en
fonctions motrices, indépendamment de fonction des pathologies présentées par le patient.
l'amélioration thymique ; cette efficacité est Certaines situations prêtent ainsi à discussion,
constatée sur la rigidité et l'akinésie, elle est telles que :
plus inconstante sur les tremblements ; • l'existence d'une lésion cérébrale expansive
– autres troubles du mouvement ; sans hypertension intracrânienne, un épisode
– troubles moteurs dans les syndromes hémorragique cérébral relativement récent, la
extrapyramidaux iatrogènes ; présence d'un anévrysme ou de malformations
– dyskinésies tardives (l'efficacité reste cepen- vasculaires à risque hémorragique ;
dant discutée selon les auteurs) ; • un antécédent d'infarctus du myocarde relati-
– le syndrome malin des neuroleptiques ; vement récent ou une pathologie emboligène ;
– les troubles affectifs ou psychotiques secon- • un antécédent de décollement de la rétine ;
daires à une affection organique ; • l'existence d'un phéochromocytome ;
– le syndrome confusionnel toxique ou méta- • la prise de certains traitements, tels que les anti-
bolique. coagulants.
Les autres indications doivent être discutées au
cas par cas et soigneusement justifiées. Risques liés à l'anesthésie
Les troubles de la personnalité et les déficiences
mentales ne sont pas des indications mais ne La consultation pré-anesthésie doit avoir lieu au
doivent pas non plus écarter a priori l'ECT. moins 48 heures avant la première séance ECT,
Une cure ECT peut être proposée en première sauf urgence vitale qu'il sera alors nécessaire de
intention, prioritairement : documenter. Elle recherche les antécédents d'al-
• en cas de nécessité d'un traitement rapide et lergie aux curares. Elle permet d'évaluer le risque
efficace ; anesthésique en fonction de l'état somatique du
• en cas de risque important lié à l'utilisation des patient. Elle détermine le stade de la classifica-
autres thérapeutiques disponibles ; tion de l'American Society of Anaesthesiologists
• en cas d'antécédents de mauvaise réponse aux (ASA Physical Status Classification System) [28]
psychotropes et/ou de bonne réponse à un (tableau 7.1).
traite­ment par ECT. Aucun examen complémentaire n'est obliga-
Une cure ECT peut être proposée en deuxième toire. L'HAS recommande cependant l'ECG  [24].
intention : Tableau 7.1. ASA Physical Status Classification
• en cas d'inefficacité du traitement pharmacolo- System.
gique utilisé en première intention ;
1 Patient normal
• en cas d'effets secondaires importants liés au
traitement pharmacologique ; 2 Patient avec anomalie systémique
• en cas d'aggravation clinique au cours du traite- modérée
ment pharmacologique. 3 Patient avec anomalie systémique sévère
4 Patient avec anomalie systémique sévère
Évaluer le risque représentant une menace vitale constante
Risques liés à l'ECT (charge électrique 5 Patient moribond dont la survie est
et modalités d'application) improbable sans intervention

Il n'existe qu'une seule contre-indication absolue 6 Patient déclaré en état de mort cérébrale
dont on prélève les organes pour greffe
à un traitement par ECT : l'hypertension intra-

146
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

De manière systématique sont tout de même et conduit parfois au refus du traitement. Il est
généralement réalisés : impératif de la prendre en charge, au besoin par
• numération-formule sanguine ; un traitement pharmacologique, comme l'hy-
• ionogramme sanguin ; droxyzine ou encore un neuroleptique sédatif
• urée et créatininémie ; comme la cyamémazine. Les benzodiazépines
• radiographie pulmonaire ; ayant une activité anticonvulsivante doivent être
• ECG ; évitées. En cas de forte anxiété provoquée par l'in-
• EEG ; duction anesthésique, il est possible de modifier
• tomodensitométrie cérébrale. l'hypnotique en privilégiant le propofol.
L'examen clinique va guider la réalisation
d'autres examens complémentaires ou consulta- Préparation du patient
tions spécialisées (cardiologique, notamment) en
À son arrivée au sein de l'unité ECT, le patient
cas de pathologie associée. La question posée au
peut s'installer dans la salle d'attente. Il est ensuite
spécialiste sera alors de savoir si la pathologie est
invité à se rendre dans le vestiaire afin de dépo-
stable.
ser ses effets personnels, puis à se rendre aux
toilettes afin de vider sa vessie — le relâchement
Recueillir l'accord du patient des sphincters consécutif à la crise convulsive
Au cours de la consultation pré-ECT, il est néces- généralisée peut entraîner une perte d'urine. Le
saire : patient est ensuite installé en salle de préparation
• d'informer le patient de manière claire, com- (figure 7.9).
plète et adaptée sur les indications, contre-­ L'infirmier présent vérifie que :
indications, effets secondaires, déroulement du • le patient est bien à jeun (depuis 6 heures
soin d'une part (cf. Annexe 2) ; pour les aliments solides et 3 heures pour les
• et de recueillir son consentement d'autre part, liquides), l'anesthésie et la crise convulsive
ce consentement doit être consigné sur un entraînant une perte de conscience étant sus-
document écrit (cf. Annexe 3) ; le patient doit ceptible de provoquer des régurgitations avec
donner son accord écrit et signé pour l'anesthé- un risque d'inhalation ;
sie et pour le traitement par ECT. • les dentiers et prothèses sont retirés (en effet, le
Il apparaît essentiel de prendre le temps néces- trismus provoqué lors de la phase tonique de la
saire pour informer le patient, justifier l'effet crise pourrait favoriser une morsure de langue,
thérapeutique et, éventuellement, s'appuyer sur voire un risque de décollement, d'inhalation, et
l'entourage pour aider la prise de décision [24]. Le gênerait une éventuelle intubation d'urgence).
consentement n'est jamais définitif et pourra être Enfin, une voie veineuse périphérique est posée.
régulièrement réévalué. Elle permettra ensuite d'administrer les produits
anesthésiants.
Prendre une décision finale
La décision finale doit être argumentée et consi-
En salle de stimulation
gnée dans le dossier médical du patient. Elle doit Le patient est à ce moment-là transféré en salle
être conforme aux recommandations avec une de stimulation (figure 7.9). Les paramètres vitaux
évaluation stricte du rapport bénéfice/risque. sont alors contrôlés de manière continue à l'aide
Cette décision est susceptible de changer au cours d'un monitoring (tension artérielle, fréquence car-
du temps, notamment d'évoluer avec l'état cli- diaque, et saturation en oxygène).
nique du patient.
Placement des électrodes
d'enregistrement EEG et vérification
Déroulement d'une séance d'ECT de la qualité de l'enregistrement EEG
Les électrodes d'enregistrement doivent être placées
Avant la séance comme décrit dans la figure 7.8. Le signal EEG est
La séance d'ECT est source d'anxiété importante un signal électrophysiologique de faible amplitude
dans les heures voire la journée précédant le soin (quelques microvolts), largement parasité par du

147
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

bruit électrique d'origine corporelle ou extracorpo- doivent être métabolisées rapidement et interférer
relle (en rapport avec l'environnement immédiat). le moins possible avec le seuil épileptogène.
Pour limiter les artefacts pendant la stimulation et
la crise épileptique induite, il est conseillé d'inspec- L'hypnotique
ter le tracé EEG sur l'écran de l'appareillage ECT Deux molécules répondant aux critères demandés
après avoir placé les électrodes d'enregistrement sont disponibles en France.
EEG et corriger dans la mesure du possible tous les La molécule le plus couramment utilisée est
artefacts préalables à la stimulation. l'étomidate, qui possède l'avantage de ne pas
Il est ensuite conseillé d'adapter le gain d'am- modifier le seuil épileptogène et d'être métaboli-
plification pour obtenir un signal EEG lisible. Le sée en quelques minutes. Il faut également noter
gain est le rapport du voltage du signal de sortie que l'étomidate peut provoquer des clonies des
de l'amplificateur sur le voltage du signal d'entrée extrémités (à ne pas confondre avec celle de la
d'un canal EEG. Le gain peut être ajusté sur tous crise convulsive).
les appareillages ECT. Si le gain est trop faible, la L'autre molécule est le propofol, qui présente
trace EEG sera difficilement lisible car d'ampli- de bonnes qualités à l'endormissement et au
tude trop faible et la crise risquerait de passer réveil, mais qui a l'inconvénient d'augmenter
inaperçue. Si le gain est trop fort, l'amplitude de le seuil épileptogène et de diminuer la durée de
l'EEG dépassera la capacité du système d'impres- la crise. Il est donc plutôt utilisé en deuxième
sion sur le papier ou l'écran et la trace EEG sera intention.
« coupée » — pour un exemple, cf. figure  7.4B,
tracé du haut, où, du fait des artefacts de mouve- Le curare
ment, l'amplitude du signal dépasse les capacités Le curare est une molécule dont l'action bloque la
de système d'impression sur papier. La sensibilité jonction neuromusculaire. L'objectif de son utili-
est généralement établie à 20 μV/mm, soit moins sation lors de la séance ECT est d'éviter les lésions
ample que la sensibilité habituelle des EEG clas- liées aux contractions musculaires violentes pro-
siques (vingt et une électrodes) de 10 μV/mm. voquées par la crise convulsive. Son action doit
Les filtres « passe-haut » (permettant d'éliminer être complète, rapide et de durée courte. En effet,
les fréquences basses) et les filtres « passe-bas » le patient n'est pas intubé ; une ventilation arti-
(permettant d'éliminer les fréquences hautes) ficielle au masque sera donc nécessaire pendant
(cf. chapitre 3) ne sont généralement pas modi- toute la durée d'action du curare.
fiables dans les versions classiques des appareil- Afin de savoir si la curarisation est effi-
lages ECT. La vitesse de déroulement du papier est cace d'une part, et si l'on obtient bien une crise
généralement de 2,5 cm/s, soit un peu plus rapide convulsive généralisée d'autre part, il est possible
que la vitesse de déroulement habituelle des EEG d'utiliser la technique dite « du brassard ». Cette
classiques de 1,5 cm/s. technique facilite l'observation des mouvements
Il faut noter que l'interprétation de l'EEG fait convulsifs en empêchant le curare d'atteindre
intervenir des processus cognitifs de reconnais- l'extrémité d'un membre supérieur. Elle consiste
sance de forme et que changer les paramètres à gonfler un brassard de prise de pression arté-
de traitement de signal peut modifier la capacité rielle, à une pression supérieure à la pression
d'interpréter rapidement la trace EEG. Il s'agit artérielle systolique, avant l'injection du curare.
donc de garder les mêmes paramètres au cours Le produit ne diffusera pas en aval du brassard.
des séances d'ECT pour un patient donné et si L'avant-bras ne sera donc pas curarisé, et il sera
possible entre tous les patients. possible d'observer les mouvements tonicoclo-
niques après passage du courant électrique. Il est
L'anesthésie conseillé en cas de stimulation par ECT unilaté-
Il est alors possible de procéder à l'anesthésie. rale de placer le brassard sur le membre homola-
L'anesthésie générale consiste en une perte de téral (du même côté que la stimulation), afin de
conscience d'une durée de 5 à 10 minutes. La surveiller la généralisation de la crise épileptique
courte durée de cette anesthésie impose aux molé- sur l'hémisphère controlatéral par la présence des
cules utilisées plusieurs conditions : les molécules mouvements convulsifs du même côté que la sti-
doivent agir immédiatement après l'injection, mulation [3].

148
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

Le curare satisfaisant les critères d'utilisation ensuite corrélée positivement à l'amélioration cli-
au cours d'une séance ECT est la succinylcholine ; nique [10]. L'augmentation de la charge électrique
il s'agit d'un ammonium quaternaire parfois res- n'intervient alors pas dans l'efficacité, mais sera
ponsable d'une réaction anaphylactique qui, au responsable de l'apparition d'effets secondaires.
cas où elle surviendrait, imposerait la mise en En effet, les effets secondaires sont d'autant plus
œuvre immédiate de mesures de réanimation et la importants que la charge électrique délivrée est
réalisation à distance d'un bilan allergologique. La élevée.
succinylcholine est le seul curare d'action courte. Plusieurs paramètres interviennent dans la
Une réaction anaphylactique contre-­ indiquant détermination de la quantité d'électricité délivrée,
la succinylcholine empêche donc la poursuite du à savoir :
soin par ECT. • le seuil épileptogène (déterminé par une
méthode de titration ou une méthode dite « âge/
Autres molécules utilisées dose ») ;
La séance d'ECT se déroule en trois temps : • le placement des électrodes de stimulation.
• le premier temps correspond au passage du
courant électrique, entraînant une stimulation Caractéristiques du seuil épileptogène
vagale responsable d'une bradycardie sinusale Il existe une quantité minimale d'électricité à
et d'une hypotension artérielle ; délivrer pour obtenir une crise convulsive géné-
• dans un deuxième temps survient la crise ralisée, qui est propre à chaque individu. Il s'agit
convulsive généralisée, avec une activation du du seuil épileptogène. Ce seuil possède plusieurs
système sympathique contrebalançant l'activa- caractéristiques :
tion vagale ; surviennent alors une tachycardie, • il augmente avec l'âge des sujets ;
une hypertension artérielle, une augmentation • il est plus bas chez les femmes ;
du flux sanguin cérébral et de la perméabilité • il augmente au cours des séances d'ECT.
cérébrovasculaire ; Des stimulations répétées en dessous du seuil
• dans un troisième temps apparaît une confu- entraînent en revanche un abaissement du seuil
sion post-critique. et ont donc un effet proépileptique. Les crises
En cas de crise subconvulsive, proche du convulsives généralisées sont paradoxalement
seuil épileptogène, la stimulation vagale ini- de plus courte durée lorsque l'on s'éloigne du
tiale peut être prolongée par manque de contre-­ seuil (stimulation à charge élevée) et plus longue
balancement sympathique, voire entraîner une lorsqu'on est proche du seuil.
asystolie. Cet effet peut être prévenu par l'admi- Les notions de dose absolue et dose relative
nistration préalable d'une ampoule d'atropine qui méritent également d'être soulignées. En effet,
s'avère particulièrement efficace lors des séances ce ne serait pas tant une quantité d'électricité
de titration. élevée en valeur absolue qui serait responsable
de l'efficacité et des effets secondaires cognitifs,
Choix de la quantité d'électricité délivrée mais plutôt la différence entre la quantité d'élec-
lors de la première séance tricité nécessaire au déclenchement d'une crise
L'objectif essentiel vise à maximiser l'efficacité du et la quantité d'électricité délivrée, ou dose rela-
traitement, tout en minimisant les effets secon- tive. Plus la différence est importante, c'est-à-dire
daires. La constatation d'une crise convulsive plus on stimule à une charge élevée par rapport
généralisée est nécessaire mais insuffisante pour au seuil, plus le traitement est efficace mais plus il
obtenir un effet thérapeutique. En revanche, engendre d'effets secondaires. Il est donc impéra-
l'absence de crise épileptique prédit de façon tif de déterminer le seuil épileptogène au cours de
certaine l'absence d'efficacité. Pour observer une la première séance d'ECT dite séance de titration.
efficacité thérapeutique, la crise épileptique doit
être adéquate voire optimale. Une fois ce type de Déroulement d'une séance de titration
crise obtenue, il n'est pas nécessaire d'augmenter La première séance de la cure d'ECT permet
davantage la charge électrique de stimulation déli- la détermination du seuil épileptogène, par la
vrée. En effet, si une crise de plus de 20 secondes méthode de titration. La préparation du patient est
est nécessaire [7], la prolongation de la crise n'est pas identique à celle des autres séances. Une première

149
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

stimulation est délivrée à la charge minimale Ces tables peuvent être utilisées pour choisir la
proposée par l'appareillage de stimulation. Les charge à délivrer lorsqu'on ne souhaite pas réa-
manifestations cliniques et électroencéphalogra- liser de titration. Il s'agit d'une méthode moins
phiques d'une crise épileptique adéquate sont complexe, plus rapide, mais moins précise et ne
recherchées. En l'absence de signes 30 secondes permettant pas la même maîtrise des effets secon-
après la stimulation, la décision de réaliser une daires.
deuxième stimulation à une charge plus élevée
(niveau supérieur proposé par l'appareillage) est Choix du placement des électrodes
prise. Celle-ci est réalisée 20 secondes plus tard. de stimulation
Le même schéma est reproduit et, en l'absence Il n'existe pas de recommandations concernant
de crise après la deuxième stimulation, une troi- le choix du placement des électrodes, qui dépend
sième stimulation est réalisée. La courte durée de l'objectif : être le plus efficace rapidement ou
de l'anesthésie permet de réaliser trois essais au être efficace avec le moins d'effets secondaires
cours d'une séance. En cas d'échec aux trois sti- possibles ? En effet, la présence d'une réponse thé-
mulations, la poursuite de la titration a lieu lors rapeutique à une cure ECT est variable selon le
de la séance suivante (figure 7.10 et tableau 7.2). placement des électrodes de stimulation, à durée
et quantité d'électricité délivrée identiques [29].
Méthode âge/dose Les deux positionnements possibles des élec-
Une autre méthode, désormais moins courante, trodes de stimulation (bilatérale et unilatérale)
peut être utilisée pour déterminer la quantité induisent des crises épileptiques de durées compa-
d'électricité à délivrer : la méthode âge/dose. Il rables, mais présentent des différences en termes
existe des abaques proposant des charges à déli- de réponse thérapeutique et d'effets secondaires.
vrer tenant compte des seuils épileptogènes théo- Avec le placement bilatéral, lorsque le seuil épi-
riques selon l'âge et le sexe (tableau 7.3). leptogène a été recherché, il est conseillé de sti-

Figure 7.10. Exemples de tracés EEG (20 μV/mm et 2,5 cm/s) obtenus lors d'une première séance
ECT de titration afin de déterminer la charge électrique de stimulation ECT.
La trace EEG débute juste après la fin de la stimulation ECT. La fin de la crise est indiquée par la flèche. Le tracé EEG
obtenu à la troisième stimulation est celui d'une crise non adéquate. Cependant, la charge électrique de la stimulation
ECT sera réalisée à la séance suivante à 2,5 fois le seuil épileptogène et les crises obtenues seront adéquates
et optimales.

150
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

Tableau 7.2. Exemple de table avec des pulses brefs sur MECTA spECTrum® pour comprendre le
principe de la titration et l'augmentation par palier des charges électriques délivrées.
Durée Fréquence de Durée de la Intensité Charge Quantité d'énergie
du pulse stimulation stimulation électrique (pour une résistance
(mC) de 300 Ω)
1 1 40 0,5 0,8 32 7,6
2 1 40 0,75 0,8 48 11,5
3 1 40 1,25 0,8 80 19,2
4 1 40 2 0,8 128 30,7
5 1 60 2 0,8 192 46
6 1 60 3 0,8 288 69,1
7 1 90 3 0,8 432 103
8 1,8 90 2,5 0,8 648 155
9 1,8 90 3,5 0,8 907,2 248
10 2 90 4 0,8 1 152 275
Il existe différents types de tables de titration qui peuvent dépendre du type de machine (MECTA spECTrum® et Somatics Thymatron®)
et du type de pulse (ultra-bref ou bref), mais le principe reste le même.

Tableau 7.3. Exemple de table âge/dose pour comprendre le principe de la détermination


de la charge électrique à délivrer en fonction de l'âge.
Âge Fréquence de Durée de la stimulation Charge électrique (mC)
stimulation
5 30 0,47 25,2
10 30 0,93 50,4
15 340 1,4 75,6
20 30 1,87 100,8
25 30 2,33 126
30 50 1,68 151,2
35 50 1,96 176,4
40 50 2,24 201,6
45 50 2,52 226,8
50 50 2,8 252
55 70 2,2 277,2
60 70 2,4 302,4
65 70 2,6 327,6
70 70 2,8 352,8
75 70 3 378
80 70 3,2 403,2
85 70 3,4 428,4
90 70 3,6 453,6
95 70 3,8 478,8
100 70 4 504

151
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

muler à une charge équivalente à 2,5 fois le seuil pileptique est limitée par l'augmentation du seuil
épileptogène. épileptogène par les séances d'ECT [30].
Avec le placement unilatéral droit, il est Chez les patients ne souffrant pas d'épilepsie,
conseillé de stimuler à une charge équivalente à l'utilisation des benzodiazépines à visée anxioly-
6 fois le seuil épileptogène. tique et des antiépileptiques à visée thymorégula-
Le choix du positionnement des électrodes tient trice sera à reconsidérer. Il faut noter que la lamo-
compte des données suivantes : trigine ne modifierait pas le seuil épileptogène des
• une cure d'ECT par stimulation bilatérale est crises épileptiques induites par la séance ECT [32].
plus efficace qu'un traitement par stimulation Le type d'agent anesthésique utilisé doit égale­
unilatérale ; ment être considéré. L'étomidate permettrait
• le placement unilatéral provoque moins d'ef- d'obtenir des crises de plus longue durée que le
fets secondaires mnésiques, que ce soit à court propofol [33, 34]. En cas de crise avortée sous propo-
terme (dans les jours ou semaines qui suivent) fol, il est donc conseillé d'en diminuer la posologie
ou à long terme (mois qui suivent) ; et si nécessaire de le remplacer par l'étomidate [7, 9],
• une cure d'ECT par stimulation bilatérale à voire par la kétamine [35] à la séance suivante. L'hy-
forte charge permet d'obtenir une réponse cli- perventilation sous oxygène 100 %, juste avant la
nique plus rapide ; séance d'ECT après la phase d'induction anes-
• que ce soit par stimulation uni- ou bilatérale, thésique, peut également permettre d'allonger la
moins de séances sont nécessaires pour obtenir durée d'une crise avortée.
une efficacité lorsqu'on stimule à forte charge. En cas de crise de durée supérieure à 3 minutes,
dite crise prolongée, il est impératif d'arrêter celle-
Choix de la quantité d'électricité délivrée ci pharmacologiquement afin de prévenir une
lors des séances suivantes ­évolution vers un état de mal épileptique [2, 7]. Il
Au cours des séances, il existe une augmentation conviendra, après la séance, de rechercher un facteur
progressive du seuil épileptogène. En l'absence favorisant induisant une baisse du seuil épilepto-
de crise adéquate, il est conseillé d'attendre 20 à gène et d'abaisser la charge à la séance suivante. Des
40 secondes pour prendre en compte la possibilité modifications hydroélectrolytiques dans le contexte
d'une crise retardée, puis de stimuler à une charge des épisodes dépressifs majeurs sévères avec déshy-
supérieure. En cas de crise de durée inférieure dratation et dénutrition et l'arrêt récent de traite-
à 15 secondes, dite crise avortée (cf. figure  7.4), ments pharmacologiques (benzodiazépines et antié-
il est conseillé d'attendre 60 à 90 secondes pour pileptiques) ou associés (clozapine et lithium) sont
prendre en compte la phase réfractaire post-ictale à rechercher en priorité. Les crises prolongées étant
puis de restimuler à une charge supérieure [2]. plus fréquentes chez les sujets jeunes, il faudra être
Si les charges de stimulation sont déjà impor- plus vigilant lors des séances de titration et lors des
tantes, il conviendra, après la séance, de recher- modifications pharmacologiques concomitantes.
cher un facteur favorisant d'une crise avortée.
En dehors des cas de charges électriques très Nombre de séances par semaine
importantes pouvant entraîner paradoxalement et durée de la cure
une réduction de la durée de la crise [10], ce sont Il est recommandé de réaliser deux séances d'ECT
les traitements pharmacologiques augmentant le par semaine, à au moins 48 heures d'intervalle. La
seuil épileptogène qui en sont les principaux fac- réalisation de trois séances par semaine n'a pas
teurs favorisants [7]. montré une efficacité ou une rapidité d'action
Chez les patients souffrant d'épilepsie, les crises supérieure. Le nombre de séances nécessaire pour
avortées sont rares [30] mais peuvent nécessiter obtenir une rémission est variable selon les sujets,
une réduction de dose des antiépileptiques ou un d'un minimum de 8 séances à un maximum de
changement thérapeutique qui devra être discuté 20 séances. Au-delà de 20 séances à charge maxi-
avec un épileptologue [31]. Il faut noter que ces male, le traitement par ECT est généralement
adaptations n'aggravent que rarement l'épilep- considéré comme inefficace.
sie puisque la diminution du seuil épileptogène Des évaluations cliniques régulières systéma-
consécutif à la diminution du traitement antié- tiques permettent de réajuster la stratégie en cas

152
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

d'absence d'efficacité. Les échelles d'évaluation par du rythme cardiaque. Il peut alors être transféré
hétéroquestionnaire ou autoquestionnaire peuvent en salle de réveil (ou salle de soins post-interven-
être utilisées pour évaluer la sévérité des symp- tionnels, SSPI) où il sera surveillé par l'infirmier
tômes à 4–7 séances, puis à 11–14, puis à 18–20 anesthésiste sous la responsabilité de l'anesthé-
séances. Une réponse clinique doit apparaître entre siste. Sont recueillies toutes les 15 minutes par
la 5e et la 7e séance. En l'absence totale de réponse à l'infirmier présent en SSPI et consignées sur une
5–7 séances, il faut revoir la stratégie. En l'absence fiche appartenant au dossier ECT, les données sui-
de réponse suffisante à 11–14 séances et si les crises vantes :
présentent une durée courte (15 et 20 secondes) ou • pression artérielle ;
s'il s'agit de crise adéquate en l'absence de critère de • fréquence cardiaque ;
crise optimale visuelle, il est conseillé également de • saturation en oxygène ;
réadapter les paramètres de stimulation à la séance • fréquence respiratoire ;
suivante, soit en augmentant la charge de stimula- • état de conscience (réponse aux ordres simples
tion, soit en utilisant une stimulation bilatérale si et orientation temporo-spatiale) ;
la stimulation préalable était unilatérale [7, 10]. En • nausées, vomissement, céphalées.
effet, tous ces indices EEG sont augmentés en cas Le patient restera une heure en SSPI. La reprise
de stimulation bilatérale et en cas de charge de d'une alimentation liquide ou solide n'est possible
stimulation élevée [6, 10], ce qui permet d'envisager qu'au moins deux heures après la fin de la séance.
une efficacité supérieure. La surveillance attentive En cas de séance ECT réalisée en soins externes,
des effets secondaires, à ne pas confondre avec des avant la sortie du patient, il faudra s'assurer :
symptômes ou signes dépressifs, sera alors de mise. • de l'absence d'événement indésirable survenu
Chaque séance doit donner lieu à un compte en salle de repos ;
rendu où sont précisés : • de l'absence de syndrome confusionnel ;
• l'ensemble des conditions de réalisation de la • que le patient ne conduise pas de véhicule pour
stimulation (charge électrique, placement des rentrer chez lui ;
électrodes, produits anesthésiques, prémédica- • que le patient sorte accompagné ;
tion) ; • que le patient ait été informé qu'il doit éviter
• les effets cliniques observés : d'être seul à son domicile dans les 24 heures
– avant la stimulation : anxiété ou réticence vis-­ suivant le soin.
à-vis de la séance ECT ;
– pendant la stimulation : signes cliniques a Surveillance après ECT
minima de crise épileptique généralisée toni-
À court terme : place de l'EEG
coclonique, signes de tolérance physique ; conventionnel ?
– après la stimulation : nausées, vomissement,
céphalées, syndrome confusionnel, agitation ; À court terme peuvent survenir dans les minutes
• les effets neurophysiologiques observés (type de et heures suivant le traitement par ECT des symp-
crise à l'EEG) ; tômes et signes cliniques indésirables fréquents
• les implications potentielles pour la séance sui- et peu inquiétants. Ainsi, des difficultés atten-
vante (adaptation des conditions de réalisation tionnelles et mnésiques transitoires, spontané-
de la stimulation). ment réversibles, peuvent perdurer au maximum
Par ailleurs, la trace EEG visuelle (papier ou 48 heures après le soin.
numérique) enregistrée pendant chaque séance Une sensation de faiblesse musculaire, de som-
devra être conservée dans le dossier médical. nolence et d'anorexie est également possible dans
les heures suivant le soin.
Les céphalées apparaissent dans environ 40 %
En salle de réveil des cas. Un traitement par paracétamol, voire
Le patient reste sous surveillance de l'anesthé- molécules de la famille des triptans est envisa-
siste jusqu'à reprise d'une respiration autonome et geable. La récurrence des céphalées peut amener
du réflexe pharyngé, en s'assurant de la stabilité à prescrire systématiquement une prémédication
des paramètres vitaux et de l'absence de trouble par paracétamol avant chaque séance d'ECT.

153
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Des nausées peuvent également survenir, pos- rapportés dans la littérature et leur incidence est
siblement traitées par ondansétron en intravei- estimée à environ 0,95 % [36]. Les facteurs favori-
neuse. sants retrouvés sont des antécédents de patho-
Certains patients rapportent des douleurs mus- logies neurologiques (épilepsie et maladie de
culaires, pouvant être la conséquence d'une cura- Parkinson), le maintien des traitements phar-
risation insuffisante, et conduisant à de possibles macologiques abaissant le seuil épileptogène
modifications posologiques de l'anesthésie. Il (neuroleptiques, antidépresseurs ou lithium),
faut cependant souligner que le curare lui-même l'arrêt ou la diminution des traitements augmen-
peut être à l'origine de douleurs musculaires. Les tant le seuil épileptogène (benzodiazépines), les
symptômes douloureux peuvent être évalués par premières séances d'ECT et les antécédents de
des échelles visuelles analogiques (EVA). crises prolongées. La présence d'anomalies sur
Des symptômes et signes cliniques indési- l'EEG réalisé avant le début des séances ECT et
rables plus rares et potentiellement plus graves les paramètres de stimulation et d'anesthésie ne
ne doivent pas être sous-estimés. Il s'agit en par- seraient pas des facteurs favorisants [36]. La pour-
ticulier du syndrome confusionnel. En effet, si la suite des séances d'ECT dans les jours qui suivent
confusion post-critique fait partie de la sympto- une crise indésirable est possible après réévalua-
matologie classique d'une crise épileptique induite tion du rapport bénéfice/risque. Cette évaluation
par ECT, celle-ci ne doit pas durer. La persistance nécessite de confronter l'état clinique psychia-
ou la réapparition d'un syndrome confusionnel trique du patient, les alternatives thérapeutiques
dans les heures ou les jours suivant la séance doit pharmacologiques à disposition en gardant à
conduire à la réalisation rapide d'un EEG qui, l'esprit qu'elles pourraient réduire fortement le
confronté à l'évaluation clinique post-ECT, per- seuil épileptogène (comme les antidépresseurs
mettra de diagnostiquer : tricycliques) et le fait qu'en l'absence de traitement
• une crise épileptique indésirable ; antiépileptique prophylactique, le risque de réci-
• un état de mal épileptique (EME) non convulsi- dive de crise épileptique indésirable à la reprise des
vant (cf. chapitre 4) ; séances d'ECT est élevé (60 %). L'arrêt des facteurs
• une encéphalopathie induite par ECT. favorisants pharmacologiques et la mise en place
L'EEG réalisé est un EEG conventionnel effec- d'un traitement anti­épileptique sont donc conseil-
tué dans un service de neurophysiologie clinique lés avant de reprendre les séances d'ECT. Il est
connaissant bien la pratique des ECT et collabo- également nécessaire de réaliser un bilan neurolo-
rant fréquemment avec l'équipe de psychiatrie gique, comme devant toute première crise épilep-
(cf. chapitre 3). tique, sans l'attribuer trop rapidement à une cause
Une nouvelle crise épileptique survenant après iatrogène post-ECT, afin de diagnostiquer une
l'arrêt de la crise épileptique induite par ECT épilepsie idiopathique ou symptomatique qui se
(donc entre deux séances d'ECT) est appelée crise serait révélée par une crise indésirable, qui devrait
indésirable [36]. L'EME est une forme grave de crise alors être considérée avec toute la rigueur d'une
épileptique indésirable. Un EME peut également première crise spontanée [31], mais qui ne serait
être la conséquence d'une crise prolongée qui ne pas en soi une contre-indication à la reprise de
cède pas au traitement pharmacologique initial. l'ECT [30]. Il faut ­également garder à l'esprit que la
L'EME nécessite une prise en charge en urgence possibilité de crises indésirables non épileptiques
en milieu spécialisé [37]. Il est important de diffé- psychogènes est possible au décours des séances
rencier les crises indésirables des crises prolongées. d'ECT [31].
La difficulté pour identifier la fin de la crise sur En l'absence de signes électrocliniques en
l'EEG peut rendre cette distinction difficile mais faveur d'une crise épileptique indésirable et en
elle permet d'insister sur la nécessité absolue de l'absence d'EME électroencéphalographique,
s'assurer de manière électroclinique de la fin de la les anomalies EEG intercritiques seront à analy-
crise après une séance d'ECT. ser d'un point de vue électroclinique afin de les
Les crises indésirables sont des phénomènes évaluer à leur juste valeur et éviter un arrêt trop
rares. Entre 1946 et 1995, seulement vingt-sept hâtif ou une poursuite abusive des séances d'ECT.
cas de crises épileptiques indésirables ont été Ainsi, en cas d'association avec des signes de mau-

154
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

vaise tolérance cognitive aux ECT, le diagnostic pour mesurer spécifiquement les effets mnésiques
d'encéphalopathie induite par ECT est possible et ressentis par les patients bénéficiant d'une cure
une adaptation des paramètres de stimulation est d'ECT [39]. Nous en proposons une version tra-
envisageable en diminuant la charge ou en passant duite en Annexe 4.
d'une stimulation bilatérale à unilatérale, voire en
proposant un arrêt de la thérapeutique si cela est Après traitement de l'épisode
insuffisant. Il faut souligner que c'est la clinique
Deux modalités de réalisation d'un traitement par
qui doit avant tout guider la conduite thérapeu-
ECT peuvent être décrites :
tique psychiatrique dans ces circonstances de
• dans le cadre d'une « cure » ayant pour objec-
mauvaise tolérance cognitive à la cure ECT. L'EEG
tif la résolution d'un épisode aigu, dépressif,
seul, même en cas de ralentissement important,
maniaque ou psychotique ;
n'est pas une contre-indication à l'ECT. Le pro-
• dans le but d'une prévention des rechutes.
blème se pose en cas d'anomalies paroxystiques
Un traitement curatif par ECT nécessite la réa-
épileptiformes nombreuses sans crise clinique
lisation de 8 à 20 séances. Au-delà de 20 séances
enregistrée pendant l'EEG et sans argument cli-
sans amélioration clinique, le traitement par ECT
nique à la surveillance post-ECT pour une crise
est considéré comme inefficace.
épileptique indésirable. En effet, dans ce cas, la
Le traitement de prévention des rechutes est
présence de crises épileptiques indésirables clini-
indispensable au décours d'une cure d'ECT. Il
quement non repérées est possible [36] et l'indica-
n'existe cependant actuellement pas de recom-
tion d'un traitement antiépileptique paraît envi-
mandations sur la poursuite de la prise en charge
sageable dans le cadre d'une gestion du risque de
à la suite d'une cure d'ECT.
crise après réévaluation du contexte clinique, avec
Un relais médicamenteux est habituellement
recherche de signes subtils de crises épileptiques
envisagé, sa mise en place débutant avant la fin de
et des facteurs de risque de crises indésirables.
la cure d'ECT.
À long terme : place du bilan Certains patients présentent des troubles phar-
neuropsychologique ? macorésistants ou bien rechutent régulièrement
à la suite d'une cure d'ECT. Dans ces situations,
Les données de la littérature permettent de
un traitement par ECT dit d'entretien pourra être
conclure que les seules altérations cognitives
envisagé. Un traitement d'entretien fait suite à la
« objectives » (c'est-à-dire évaluées à l'aide de tests
cure d'ECT. Lorsque la décision est prise de pour-
neuropsychologiques) persistantes à long terme
suivre le traitement en entretien, un espacement
après une cure d'ECT sont des altérations mné-
progressif des séances est réalisé, l'objectif étant
siques rétrogrades autobiographiques. Les per-
de trouver l'espacement maximal permettant la
formances mnésiques antérogrades apparaissent
stabilité clinique. Il n'existe pas de recommanda-
perturbées à court terme, mais ne le sont plus
tions sur le déroulement de l'espacement. Clas-
après plusieurs mois. Par ailleurs, les plaintes
siquement, les séances sont réalisées toutes les
mnésiques (ou altérations cognitives « subjec-
semaines pendant 1  mois, toutes les 2  semaines
tives ») ne concordent pas systématiquement avec
pendant 1  mois, toutes les 3  semaines pendant
les altérations mnésiques objectives et diffèrent
3 mois, toutes les 4 semaines pendant 3 mois, puis
selon les outils de mesure utilisés [38].
toutes les 5  semaines, 6  semaines, 7  semaines et
Si un bilan neuropsychologique systématique
8 semaines tous les 6 mois. Lors d'un traitement
ne semble pas indiqué, un suivi minimal des
d'entretien, la consultation préanesthésique est
répercussions cognitives de la cure d'ECT est à
généralement répétée tous les 6 mois.
réaliser en utilisant :
• le Mini Mental State Examination (MMS) ; Références
• une quantification subjective par le patient des
effets sur sa mémoire allant de « très dégradée », [1] Royal College of Psychiatrists. In : Special Commit-
tee on ECT (2nd), Freeman C. The ECT handbook :
« un peu dégradée », « inchangée », à « améliorée ». the second report of the Royal College of Psychia-
Un autoquestionnaire, le Squire Subjective trists' Special Committee on ECT ; London : Royal
Memory Questionnaire (SSMQ) a été développé College of Psychiatrists ; 1995.

155
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

[2] American Psychiatric Association. Practice of elec- [18] Landolt H. Some clinical EEG correlations un epi-
troconvulsive therapy : Recommendations of treat- leptic psychoses (twilight states). EEG Clin Neuro-
ment, training, and privileging. Washington, DC : physiol 1953 ; 5 : 121.
American Psychiatric Association ; 2001. [19] Krishnamoorthy ES, Trimble MR, Sander JW, et al.
[3] Tignol J, Auriacombe M. La pratique de l'électrocon- Forced normalization at the interface between epile-
vulsivothérapie : recommendations pour l'utilisation psy and psychiatry. Epilepsy Behav 2002 ; 3 : 303–8.
thérapeutique. Paris : Masson ; 1994. [20] Micoulaud-Franchi J-A, Balzani C, Vion-Dury
[4] Szekely D, Poulet E. L'électroconvulsivothérapie. De J. Électroencéphalographie conventionnelle et
l'histoire à la pratique clinique : principes et applica- ­psychiatrie de l'adulte : Aspects diagnostiques et
tions. Marseille : Solal ; 2012. thérapeutiques. In : Psychiatrie. Encycl Méd Chir
[5] Micoulaud-Franchi J-A, Richieri R, Quiles C, et  al. (­Elsevier, Paris), 2013 37-151-C-10.
Neurophysiologie clinique en psychiatrie : 3. Élec- [21] McNally KA, Blumenfeld H. Focal network invol-
troencéphalographie pendant les séances d'électro- vement in generalized seizures : new insights from
convulsivothérapie. Ann Med Psychol 2013 ; 171 : electroconvulsive therapy. Epilepsy Behav 2004 ; 5 :
411–22. 3–12.
[6] K rystal AD, West M, Prado R, et al. EEG effects of [22] Blachly PH. New developments in electroconvulsive
ECT : implications for rTMS. Depress Anxiety 2000 ; therapy. Dis Nerv Syst 1976 ; 37 : 356–8.
12 : 157–65. [23] Sackeim HA, Prudic J, Nobler MS, et  al. Effects of
[7] Szekely D. Monitoring de la cure ECT initale : l'ECT pulse width and electrode placement on the efficacy
en pratique quotidienne. In : Szekely D, Poulet E, edi- and cognitive effects of electroconvulsive therapy.
tors. Marseille : Solal ; 2012. p. 327–43. Brain Stimul 2008 ; 1 : 71–83.
[8] K rystal AD. Ictal electroencephalographic response. [24] ANAES. Indications et modalités de l'électroconvul-
In : Mankad MV, Beyer JL, Weiner RD, Krystal sivothérapie. HAS ; avril 1997.
AD, editors. Clinical manual of electroconvulsive [25] Abrams R. Electroconvulsive therapy. Oxford :
therapy. Washington, DC : American Psychiatric Oxford University Press ; 2002.
Publishing, Inc ; 2010. p. 105–28. [26] Swartz C. Electroconvulsive and neuromodulation the-
[9] Azuma H. Electroencephalogram monitoring and rapies. Cambridge : Cambridge University Press ; 2009.
implications. In : Swartz CM, editor. Electroconvul- [27] Review Group UKECT. Efficacy and safety of elec-
sive and neuromodulation therapies. Cambridge : troconvulsive therapy in depressive disorders : a sys-
Cambridge University Press ; 2009. p. 468–76. tematic review and meta-analysis. Lancet 2003 ; 361 :
[10] Abrams R. Stimulus, seizure induction, and seizure 799–808.
quality. In : Abrams R, editor. Electroconvulsive the- [28] American Society of Anesthesiologists. ASA Physi-
rapy. 4th ed. Oxford : Oxford University Press ; 2002. cal Status Classification System ; 1941. http://www.
p. 101–29. asahq.org/Home/For-Members/Clinical-Informa-
[11] Nobler MS, Sackeim HA, Solomou M, et  al. EEG tion/ASA-Physical-Status-Classification-System.
manifestations during ECT : effects of electrode pla- [29] Sackeim HA, Prudic J, Devanand DP, et al. A pros-
cement and stimulus intensity. Biol Psychiatry 1993 ; pective, randomized, double-blind comparison of
34 : 321–30. bilateral and right unilateral electroconvulsive the-
[12] Nobler MS, Luber B, Moeller JR, et al. Quantitative rapy at different stimulus intensities. Arch Gen Psy-
EEG during seizures induced by electroconvulsive chiatry 2000 ; 57 : 425–34.
therapy : relations to treatment modality and clinical [30] Lunde ME, Lee EK, Rasmussen KG. Electroconvul-
features. I. Global analyses. J ECT 2000 ; 16 : 211–28. sive therapy in patients with epilepsy. Epilepsy Behav
[13] Krystal AD, Weiner RD, McCall WV, et  al. The 2006 ; 9 : 355–9.
effects of ECT stimulus dose and electrode place- [31] Rasmussen KG, Lunde ME. Patients who develop
ment on the ictal electroencephalogram : an intrain- epilepsy during extended treatment with electrocon-
dividual crossover study. Biol Psychiatry 1993 ; 34 : vulsive therapy. Seizure 2007 ; 16 : 266–70.
759–67. [32] Sienaert P, Roelens Y, Demunter H, et al. Concurrent
[14] Krystal AD, Weiner RD, Coffey CE, et al. EEG evi- use of lamotrigine and electroconvulsive therapy.
dence of more “intense” seizure activity with bilate- J ECT 2011 ; 27 : 148–52.
ral ECT. Biol Psychiatry 1992 ; 31 : 617–21. [33] Trzepacz PT, Weniger FC, Greenhouse J. Etomidate
[15] Fink M. EEG monitoring in ECT : A guide to treat- anesthesia increases seizure duration during ECT. A
ment efficacy. Psychiatric times 1998 ; 15 : 70–2. retrospective study. Gen Hosp Psychiatry 1993 ; 15 :
[16] Sackeim HA, Luber B, Katzman GP, et al. The effects 115–20.
of electroconvulsive therapy on quantitative elec- [34] Khalid N, Atkins M, Kirov G. The effects of etomi-
troencephalograms. Relationship to clinical out- date on seizure duration and electrical stimulus dose
come. Arch Gen Psychiatry 1996 ; 53 : 814–24. in seizure-resistant patients during electroconvul-
[17] Fink M, Kahn RL. Relation of electroencephalogra- sive therapy. J ECT 2006 ; 22 : 184–8.
phic delta activity to behavioral response in elec- [35] Krystal AD, Weiner RD, Dean MD, et  al. Compa-
troshock ; quantitative serial studies. AMA Arch rison of seizure duration, ictal EEG, and cognitive
Neurol Psychiatry 1957 ; 78 : 516–25. effects of ketamine and methohexital anesthesia

156
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

with ECT. J Neuropsychiatry Clin Neurosci 2003 ; [38] Quiles C, Bosc E, Verdoux H. Altérations cognitives
15 : 27–34. et plaintes mnésiques lors d'un traitement par élec-
[36] Glenisson L, Auriacombe M, Fernandez T, et  al. troconvulsivothérapie : revue de la littérature. Ann
Crises comitiales indésirables après électroconvulsi- Med Psychol 2013 ; 171 : 285–94.
vothérapie : étude, cas témoins et revue des données [39] Squire LR, Wetzel CD, Slater PC. Memory complaint
de la littérature. Encéphale 1998 ; 24 : 1–8. after electroconvulsive therapy : assessment with a
[37] Lowenstein DH, Alldredge BK. Status epilepticus. new self-rating instrument. Biol Psychiatry 1979 ; 14 :
N Engl J Med 1998 ; 338 : 970–6. 791–801.

157
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Annexes
Annexe 1
Échelle MADRS (Montgomery and Asberg Depression Rating Scale)
1. Tristesse apparente 5. Réduction de l'appétit
Correspond au découragement, à la dépression et au Correspond au sentiment d'une perte de l'appétit com-
désespoir (plus qu'un simple cafard passager) reflétés paré à l'appétit habituel. Coter l'absence de désir de
par la parole, la mimique et la posture. Coter selon la nourriture ou le besoin de se forcer pour manger.
profondeur et l'incapacité à se dérider. 0 Appétit normal ou augmenté.
0 Pas de tristesse. 2 Appétit légèrement réduit.
2 Semble découragé mais peut se dérider sans diffi- 4 Pas d'appétit. Nourriture sans goût.
culté. 6 Ne mange que si on le persuade.
4 Paraît triste et malheureux la plupart du temps.
6 Semble malheureux tout le temps. Extrêmement 6. Difficultés de concentration
découragé. Correspond aux difficultés à rassembler ses pensées
allant jusqu'à l'incapacité à se concentrer. Coter l'inten-
2. Tristesse exprimée sité, la fréquence et le degré d'incapacité.
Correspond à l'expression d'une humeur dépressive, 0 Pas de difficulté de concentration.
que celle-ci soit apparente ou non. Inclut le cafard, le 2 Difficultés occasionnelles à rassembler ses pensées.
découragement ou le sentiment de détresse sans espoir. 4 Difficultés à se concentrer et à maintenir son atten-
Coter selon l'intensité, la durée et le degré auquel l'hu- tion, ce qui réduit la capacité à lire ou à soutenir une
meur est dite être influencée par les événements. conversation.
0 Tristesse occasionnelle en rapport avec les circons- 6 Incapacité de lire ou de converser sans grande diffi-
tances. culté.
2 Triste ou cafardeux, mais se déride sans difficulté.
4 Sentiment envahissant de tristesse ou de dépression. 7. Lassitude
6 Tristesse, désespoir ou découragement permanents Correspond à une difficulté à se mettre en train ou une
ou sans fluctuation. lenteur à commencer et à accomplir les activités quo-
tidiennes.
3. Tension intérieure 0 Guère de difficultés à se mettre en route ; pas de len-
Correspond aux sentiments de malaise mal défini, teur.
d'irritabilité, d'agitation intérieure, de tension ner- 2 Difficultés à commencer des activités.
veuse allant jusqu'à la panique, l'effroi ou l'angoisse. 4 Difficultés à commencer des activités routinières qui
Coter selon l'intensité, la fréquence, la durée, le degré sont poursuivies avec effort.
de réassurance nécessaire. 6 Grande lassitude. Incapable de faire quoi que ce soit
0 Calme. Tension intérieure seulement passagère. sans aide.
2 Sentiments occasionnels d'irritabilité et de malaise
mal défini. 8. Incapacité à ressentir
4 Sentiments continuels de tension intérieure ou Correspond à l'expérience subjective d'une réduction
panique intermittente que le malade ne peut maîtriser d'intérêt pour le monde environnant ou les activités
qu'avec difficulté. qui donnent normalement du plaisir. La capacité à réa-
6 Effroi ou angoisse sans relâche. Panique envahis- gir avec une émotion appropriée aux circonstances ou
sante. aux gens est réduite.
0 Intérêt normal pour le monde environnant et pour
4. Réduction du sommeil les gens.
Correspond à une réduction de la durée ou de la pro- 2 Capacité réduite à prendre plaisir à ses intérêts habi-
fondeur du sommeil par comparaison avec le sommeil tuels.
du patient lorsqu'il n'est pas malade. 4 Perte d'intérêt pour le monde environnant. Perte de
0 Dort comme d'habitude. sentiment pour les amis et les connaissances.
2 Légère difficulté à s'endormir ou sommeil légère- 6 Sentiment d'être paralysé émotionnellement, inca-
ment réduit. Léger ou agité. pacité à ressentir de la colère, du chagrin ou du plaisir,
4 Sommeil réduit ou interrompu au moins deux heures. et impossibilité complète ou même douloureuse de res-
6 Moins de deux ou trois heures de sommeil. sentir quelque chose pour les proches, parents et amis.

158
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

9. Pensées pessimistes idées de suicide et préparatifs au suicide. Les tentatives


Correspond aux idées de culpabilité, d'infériorité, de suicide ne doivent pas, en elles-mêmes, influencer
d'auto-accusation, de péché ou de ruine. la cotation.
0 Pas de pensées pessimistes. 0 Jouit de la vie ou la prend comme elle vient.
2 Idées intermittentes d'échec, d'auto-accusation et 2 Fatigué de la vie, idées de suicide seulement passagères.
d'autodépréciation. 4 Il vaudrait mieux être mort. Les idées de suicide sont
4 Auto-accusations persistantes ou idées de culpabi- courantes et le suicide est considéré comme une solu-
lité ou péché précises, mais encore rationnelles. Pessi- tion possible, mais sans projet ou intention précis.
misme croissant à propos du futur. 6 Projets explicites de suicide si l'occasion se présente.
6 Idées délirantes de ruine, de remords ou péché inex- Préparatifs de suicide.
piable. Auto-accusations absurdes et inébranlables.
10. Idées de suicide
Correspond au sentiment que la vie ne vaut pas la peine
d'être vécue, qu'une mort naturelle serait la bienvenue,

159
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Annexe 2
Exemple de document d'information pour les patients
bénéficiant d'ECT
Le traitement par ECT, ou ÉlectroConvulsivoThérapie, à chaque cas particulier et d'évaluer le risque anesthé-
parfois aussi appelé sismothérapie ou autrefois électro- sique.
choc, est un traitement utilisant un courant électrique Il faut connaître les inconvénients et risques liés à ce
de très faible intensité agissant au niveau du cerveau traitement, à savoir :
pour le traitement des épisodes dépressifs, maniaques, – chez certains patients, des troubles de la mémoire
ou bien lors d'hallucinations ou idées délirantes résis- peuvent survenir. Les troubles de la mémoire à court
tantes au traitement pharmacologique dans la schizo- terme disparaissent après quelques jours ou semaines,
phrénie. Il peut être proposé en première intention, parfois quelques mois. Il peut persister des difficultés
ou après échec d'autres traitements, de manière ponc- à se remémorer la période des deux mois entourant le
tuelle pour le traitement d'un épisode aigu, ou de façon traitement par ECT ;
répétée et espacée pour prévenir la rechute. Des études – les risques de toute anesthésie générale peuvent être
scientifiques ont montré qu'une amélioration rapide et rencontrés ;
importante des symptômes pouvait être obtenue grâce – les risques encourus restent exceptionnels.
à ce traitement. Plusieurs séances doivent être réalisées L'acte thérapeutique est pratiqué dans une salle réser-
(à raison de deux par semaines), le nombre total de vée à cet effet, par des médecins et des infirmiers
séances étant adapté à chaque cas particulier. du service, après que le patient a été préalablement
Une consultation avec l'anesthésiste et le psychiatre de endormi ; une surveillance stricte est ensuite poursui-
l'unité ECT, ainsi qu'un bilan préalable sont pratiqués, vie dans la salle, jusqu'au réveil du patient.
afin de confirmer l'indication, d'adapter le traitement

160
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

Annexe 3
Exemple de document de consentement aux ECT
Je, soussigné(e) ......................................... certifie accep- tement. Je pourrai demander à tout moment au Doc-
ter de me soumettre au traitement par ECT proposé teur.............................. toute information complémen-
par le Docteur............................ taire que je jugerais utile.
J'ai pris connaissance des modalités selon lesquelles le Il faut savoir que ce consentement peut, à tout moment,
traitement se déroulera ainsi que les bénéfices atten- être retiré. En cas de retrait ou de refus, on pratiquera
dus mais aussi les risques et les effets indésirables un autre traitement en choisissant la meilleure alterna-
associés. Le choix de ce traitement a été exposé par tive possible, sans préjudice pour ma santé.
le ­Docteur......................... et j'ai pu lui poser toutes les
questions qui me préoccupent (notamment les avan- Fait à : ..........................
tages et les inconvénients d'autres traitements pos- Le : ................................
sibles, comme les médicaments, les risques si on ne
pratiquait pas l'électroconvulsivothérapie). J'ai reçu Signature du médecin Signature du patient
toutes les réponses aux questions que j'ai pu poser et précédée de la mention
je sais que je suis libre d'accepter ou de refuser ce trai- « lu et approuvé ».

161
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Annexe 4
Questionnaire des plaintes cognitives subjectives,
Squire Subjective Memory Questionnaire
Par rapport à avant, j'ai commencé à me sentir mal et je suis allé(e) à l'hôpital…
Items Pire que Comme Mieux que
jamais avant jamais
1 Ma capacité à –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
chercher dans
mon esprit et
à me rappeler
des noms de
personnes ou de
souvenirs que je
connais est…
2 Je pense que –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
mes proches et
connaissances
jugent actuel-
lement que ma
mémoire est…
3 Ma capacité à –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
se souvenir des
choses même en
essayant vraiment
est…
4 Ma capacité à –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
­retenir en mémoire
des choses que j'ai
apprises est…
5 Si on me –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
demandait, dans
un mois, de me
souvenir de ce
questionnaire
que je suis en
train de remplir,
ma capacité à me
le remémorer
serait…
6 Ma tendance à –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
avoir un souvenir
passé «sur le bout
de la langue»,
sans complète­
ment m'en
­souvenir, est…
7 Ma capacité à me –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
rappeler de ce qui
s'est passé il y a
longtemps est…

162
Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

Items Pire que Comme Mieux que


jamais avant jamais
8 Ma capacité à –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
me rappeler des
noms et des
visages des gens
que je rencontre
est…
9 Ma capacité à –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
me souvenir de
ce que je faisais
après avoir perdu
le fil de mes
pensées pendant
quelque instant
est…
10 Ma capacité à –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
me souvenir des
choses qui se sont
passées il y a plus
d'un an est…
11 Ma capacité en –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
ce moment à me
rappeler de ce
que je lis et de ce
que je regarde à la
télévision est…
12 Ma capacité à –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
me rappeler de
ce qui s'est passé
­pendant mon
enfance est…
13 Ma capacité à –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
savoir que les
choses auxquelles
je fais attention
vont rester dans
ma mémoire
est…
14 Ma capacité à –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
donner un sens
à ce que les gens
m'expliquent est
15 Ma capacité à –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
retrouver en
mémoire et à me
rappeler ce qui
s'est passé il y a
quelques minutes
est… 

163
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

 Items Pire que Comme Mieux que


jamais avant jamais
16 Ma capacité à –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
prêter attention
à ce qui se passe
autour de moi
est…
17 Ma vigilance –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
­globale aux
choses qui sur-
viennent autour
de moi est…
18 Ma capacité à –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
suivre ce que les
gens disent est…

164
Stimulation Chapitre 8
magnétique
transcrânienne répétée
R. Richieri1

Bases neurophysiologiques La majorité des études sur les effets de la SMT a


été obtenue par stimulation du cortex moteur [6, 7].
Un stimulus supraliminaire délivré au niveau de
Principe l'aire motrice primaire se traduit par une réponse
La stimulation magnétique transcrânienne (SMT) motrice enregistrée sous forme de potentiel évo-
est une technique de neurostimulation et neuro- qué moteur (PEM), dont l'amplitude dépend du
modulation non invasive fondée sur le principe nombre de motoneurones activés. En fonction
de l'électromagnétisme [1]. Un courant électrique de l'orientation de la bobine et du type de champ
circulant dans une bobine produit un champ magnétique, la SMT active de manière indirecte
magnétique [2] ; celui-ci traverse la boîte crânienne les neurones pyramidaux par l'intermédiaire de
sans perte d'énergie et génère une dépolarisation la stimulation trans-synaptique des interneu-
neuronale au contact d'un conducteur tel que le rones corticaux. La SMT utilise notamment deux
tissu cérébral. Un train de stimuli de SMT appli- techniques d'évaluation de l'excitabilité corticale :
qué à la même intensité sur une zone cérébrale à SMT à choc unique et à double choc. Plusieurs
une fréquence donnée — allant de 1 stimulus par indices permettent d'évaluer celle-ci ; parmi eux,
seconde (1 Hz) jusqu'à 50, voire plus — est appelé la recherche du seuil moteur s'avère indispensable
stimulation magnétique transcrânienne répéti- avant tout traitement par SMTr.
tive (SMTr).

La SMTr : un outil thérapeutique


La SMT : un outil d'exploration
non invasif de modulation
fonctionnelle
de l'activité cérébrale
La SMT est un outil permettant d'étudier l'activité
Les mécanismes d'action de la SMTr sont peu connus.
de différents circuits neuronaux intracorticaux.
Parallèlement à ses effets immédiats, la SMTr serait
L'excitabilité corticale correspond à la production
© 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

à même de moduler l'excitabilité corticale, ceci per-


d'une activité neuronale par le cortex suite à son
durant après la stimulation par des phénomènes
exposition à une stimulation par SMT. Elle résulte
de potentialisation à long terme et de dépression
Neurophysiologie clinique en psychiatrie

de l'action de circuits neuronaux inhibiteurs ou


de la transmission synaptique au sein des réseaux
excitateurs, et varie sous l'influence de diffé-
corticaux [8]. Cet effet peut aller de l'inhibition à la
rents facteurs, en particulier pharmacologiques,
facilitation selon les paramètres de stimulation uti-
hormonaux, de différentes pathologies (trouble
lisés. Il a ainsi été montré que des fréquences éle-
dépressif majeur, schizophrénie…) ou du niveau
vées (5 à 20 Hz) ont un effet facilitateur sur l'activité
d'activité cérébrale [3–6].
corticale, alors que des basses fréquences (≤ 1  Hz)
ont pour effet de diminuer l'excitabilité corticale [8].
1
Relecture : C. Balzani, J.-A. Micoulaud-Franchi, Une étude récente pratiquée chez des sujets sains a
J. Vion-Dury. montré que l'effet de la SMTr appliquée à différentes

165
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

fréquences au niveau du cortex préfrontal dorsolaté- françaises de bonne pratique concernant ses règles
ral (CPFDL) gauche est maximal sous la bobine de de sécurité et ses indications thérapeutiques [4, 13]. La
stimulation mais également à distance, notamment SMTr doit se trouver dans un centre pourvu ou à
au niveau des régions homologues controlatérales [9]. proximité d'un dispositif d'urgence en cas de surve-
Néanmoins, si le paradigme « basses fréquences à nue d'une crise épileptique (chariot d'urgence, per-
effets inhibiteurs/hautes fréquences à effets excita- sonnel formé à la réanimation cardiopulmonaire).
teurs » concerne le cortex moteur primaire et semble La SMTr peut être pratiquée par un personnel préa-
communément admis chez les sujets sains, et bien lablement formé sous la supervision d'un psychiatre
qu'il guide empiriquement la plupart des protocoles ayant acquis une expérience dans cette technique et
classiques de SMTr en thérapeutique, cette dichoto- capable d'intervenir en situation d'urgence.
mie n'est pas forcément aussi marquée en situation
pathologique et selon la zone stimulée [9, 10]. Utilisée
en thérapeutique, l'intérêt de la SMTr réside princi- Matériel
palement sur ses effets rémanents (post-effet), obser- Matériel de stimulation
vés bien au-delà de la durée de la stimulation. Cet
effet rémanent augmente avec le nombre de stimu- Les stimulateurs magnétiques comportent trois
lations délivrées et peut durer plusieurs dizaines de éléments de base : une unité centrale, une bobine
minutes [11, 12]. de stimulation et un chariot (figure 8.1).
Unité centrale
L'équipement de SMT comprend des capaciteurs
Bonnes pratiques générant un courant alternatif à très haute intensité
(5 000 A) et un système de décharge extrêmement
L'utilisation de la SMTr a été approuvée par la Food rapide (5 MW en 100 μs). Un stimulateur magné-
and Drug Administration aux États-Unis en 2008 et tique permet ainsi d'induire un champ magnétique
a fait l'objet de recommandations internationales et intense comparable à celui d'une IRM (2,5 T).

Figure 8.1. Équipement nécessaire à la pratique de la SMTr : un stimulateur, un chariot et une


bobine ici équipée d'un bras articulé.

166
Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

Les principaux fournisseurs de ce type d'équipe- Bobine


ment dédié pour la SMT sont : Nexstim Ltd (Finlande), La bobine (coil) de stimulation magnétique est
Medtronic Inc. (États-Unis), Neuronetics Inc. (États- formée d'une boucle de fils de cuivre contenue
Unis) et The Magstim Company Ltd (Royaume-Uni). dans un boîtier ; elle est posée sur le scalp en
En SMTr, les stimulateurs génèrent un champ regard de la zone à stimuler. L'intensité du champ
biphasique, tandis que la SMT utilise le plus souvent magnétique dépend de l'intensité du courant
des stimulations monophasiques. Ce dernier type de appliqué (exprimé en pourcentage de la puissance
champ, plus puissant, est plus efficace pour modifier maximale du stimulateur), de la taille et de forme
l'excitabilité corticale mais plus propice à échauffer de la sonde, et enfin du nombre de tours du bobi-
le matériel. Les stimulateurs de SMTr sont actuel- nage. Le champ magnétique diminue rapidement
lement capables de produire des fréquences allant quand on s'éloigne de la bobine ; ainsi la SMT n'a
jusqu'à 100 Hz, soit 100 stimulations par seconde. aucune action au-delà de 3 cm de profondeur.
Les stimulateurs sont également équipés d'une Les bobines utilisées en exploration fonction-
interface utilisateur qui permet de sélectionner les nelle sont de forme circulaire et ont un large
différents paramètres de stimulation et de visua- champ d'action (figure 8.2).
liser différentes fonctions de l'appareil comme la La bobine double dite en figure de « 8 » ou en
température de la bobine, le PEM, le déroulement forme de papillon, utilisée majoritairement en
du traitement…

Intensité du
champ
magnétique

–1 0
0 –1

–5
–5
rt
ppo
0
a
r r mm
0

pa en
e
nc ntre
5
5

ista ce
10 D au
10

Figure 8.2. Bobine circulaire munie d'un bouton de déclenchement d'impulsions uniques et profil
du champ magnétique induit à la surface de la bobine.
D'après Handbook of transcranial magnetic stimulation. Pascual-Leone et al. (ed.). London : Edward Arnold ; 2002.

167
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

SMTr, est constituée de deux petites bobines afin de limiter l'échauffement de celle-ci (et sa
situées dans le même plan. Il en résulte une som- désactivation) lors de son utilisation en SMTr.
mation des deux champs magnétiques à leur croi- Enfin, il est fortement conseillé de maintenir la
sement, permettant une stimulation plus focale sur bobine en place à l'aide d'un bras articulé ou d'un
une surface corticale d'environ 3 cm2 (figure 8.3). bras robotisé durant la séance (cf. figure 8.1).
De nouveaux types de bobine à plus forte péné-
trance (H-coil) ont récemment été développés
permettant d'atteindre des structures cérébrales
Matériel d'enregistrement
plus profondes (6 à 8 cm sous le scalp). électrique
Un système de refroidissement de la bobine, Il est recommandé d'équiper le stimulateur d'un
hydraulique ou par ventilation, est indispensable moniteur de potentiels évoqués moteurs (PEM)

Intensité du
champ
magnétique

–1 0
0 –1

–5
–5
rt
ppo
a m
rr m
0
0
pa en
e
c tre
5
an n
st ce
5
i
D au
10
10

Figure 8.3. Bobine en forme de « 8 » et profil du champ magnétique focal maximal induit à la
surface de la bobine.
D'après Handbook of transcranial magnetic stimulation. Pascual-Leone et al. (ed.). London : Edward Arnold ; 2002.

168
Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

couplé à l'électromyogramme. L'enregistrement la zone cible sur le cerveau puis au cours du trai-
EMG des PEM est le moyen le plus précis pour tement de repositionner correctement la bobine.
déterminer le seuil moteur. Pour ce faire, des élec- Son principe repose sur le repérage des coordon-
trodes de surface seront positionnées au niveau nées d'une zone cible anatomique ou fonction-
du muscle cible, généralement le court abducteur nelle dans les trois dimensions de l'espace dans un
du pouce (figure 8.4). référentiel donné à la fois sur l'imagerie cérébrale
du patient et sur le patient lui-même. Cette tech-
Matériel de neuronavigation nique tenant compte de la variabilité anatomique
interindividuelle, sa reproductibilité et son effica-
Un système de neuronavigation est parfois utilisé.
cité thérapeutique s'en trouvent ainsi améliorées.
Il permet au médecin de définir avant une séance
Plusieurs fournisseurs disposent de ce type de sys-
tème, parmi eux : SyneikaOne (Syneika, France),
TMSNavigator (Localite, Allemagne), eXimia
NBS system (Nexstim Ltd, Finlande), BrainSight
2 (Rogue Research Inc., Canada) (figure 8.5).

Conduite pratique
Examen clinique et paraclinique
Indications
La SMTr constitue un traitement prometteur
pour de nombreux troubles neuropsychiatriques.
L'utilité thérapeutique de la SMTr a ainsi été rap-
Figure 8.4. Positionnement des électrodes portée dans la schizophrénie, le trouble panique,
de surface pour la détermination du SMR du le trouble obsessionnel compulsif (TOC) et
court abducteur du pouce. l'état de stress post-traumatique, les patholo-

Figure 8.5. SMTr équipée d'un système de neuronavigation (BrainSight 2, Rogue Research Inc.,
Canada).

169
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

gies addictives (craving), mais avant tout dans pouvant limiter l'efficacité de la SMTr [16], ou par-
les épisodes dépressifs majeurs où l'on dispose fois d'utiliser un guidage par neuronavigation.
déjà d'un nombre important de travaux depuis En revanche, un EEG pré-SMT est inutile, cet
la première étude menée par Höflich [14,  15]. On examen n'étant ni sensible ni spécifique pour pré-
retrouve également des indications pour des dire le risque de déclenchement d'une crise par la
maladies neurologiques telles que la maladie de SMTr [16].
Parkinson, la dystonie, les tics, le bégaiement, les
acouphènes, la spasticité, l'épilepsie, la rééduca- Préparation du patient
tion de l'aphasie ou des fonctions motrices post-
Information
accident vasculaire cérébral, mais également les
syndromes douloureux chroniques comme la Une consultation médicale est nécessaire avant
douleur neuropathique ou la migraine et, enfin, tout traitement par SMTr afin de :
les troubles somatoformes comme le trouble • valider son indication ;
douloureux chronique (en particulier la fibro- • éliminer ses contre-indications ;
myalgie) ou le trouble de conversion avec déficit • vérifier le traitement médicamenteux conco-
moteur [13]. mitant pouvant abaisser le seuil épileptogène
À l'heure actuelle, le niveau de preuve le plus et augmenter le risque de survenue d'une crise
élevé de la SMTr en psychiatrie concerne le trai- épileptique ou, au contraire, augmenter ce seuil
tement des épisodes dépressifs majeurs et des hal- et diminuer l'efficacité de la SMTr (benzodiazé-
lucinations auditives dans la schizophrénie et, à pines, antiépileptiques) ;
un degré moindre, le traitement des symptômes • expliquer au patient le déroulement du traite-
négatifs de la schizophrénie. ment, les résultats attendus et les effets secon-
daires avant de recueillir la signature d'un
Bilan pré-SMTr ­formulaire de consentement et d'information
La seule contre-indication absolue de la SMTr (cf. Annexes 2 et 3).
est la présence de matériel ferromagnétique ou
de dispositifs implantés de neurostimulation à En salle de stimulation
proximité de la bobine (moins de 2 cm), en raison Contrairement à l'ECT (cf. chapitre 7), la SMTr
du risque de déplacement ou de dysfonctionne- ne nécessite pas d'anesthésie générale. La SMTr
ment. peut se pratiquer en ambulatoire. Le patient sera
Les femmes enceintes, les enfants et les patients confortablement installé dans un fauteuil avec
souffrant de troubles auditifs représentent des appui latéral et repose-tête. Il doit rester immobile
situations spécifiques pour lesquelles l'indication et éveillé durant la séance, certains travaux ayant
de SMTr sera particulièrement à argumenter. montré une diminution de l'excitabilité corticale
Certaines conditions liées au patient et suscep- et par conséquent de l'efficacité des stimulations,
tibles d'induire une crise d'épilepsie sont à consi- chez les sujets en état de sommeil [17]. Un coussin à
dérer mais ne représentent pas en soi une contre- vide est fortement recommandé afin d'immobili-
indication — antécédent personnel d'épilepsie, ser le plus possible la tête et de limiter le déplace-
lésion cérébrale focale quelle qu'en soit l'origine, ment de la bobine de sa cible.
antécédent de traumatisme crânien avec perte Une salle équipée d'un système de climatisation
de connaissance, administration de substances est nécessaire, le système de refroidissement de la
abaissant le seuil épileptogène [13]. La passation bobine étant à température ambiante.
d'un autoquestionnaire reprenant les informa- Le repérage de la cible de stimulation et du seuil
tions de base nécessaires à la sélection d'un candi- moteur sera fait par le psychiatre ; par la suite, les
dat à la SMTr est conseillée (cf. Annexe 1). séances quotidiennes de SMTr seront réalisées
La réalisation d'un examen d'imagerie céré- par un personnel formé à la technique. Lors de la
brale préalablement à la SMTr semble intéressante première séance, un bonnet de bain en élasthanne
afin d'éliminer un certain nombre de contre-­ sur lequel seront marqués certains repères anato-
indications, de mesurer la distance bobine-­cortex miques (vertex/nasion/inion/tragus) sera attribué
et ainsi apprécier le degré d'atrophie corticale au patient (figure 8.6).

170
Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

tage de la capacité maximale du stimulateur)


permettant d'obtenir un PEM d'amplitude
supérieure à 50 μV ;
• le seuil moteur au repos (SMR) est l'intensité
nécessaire pour déclencher, lors d'une série de
10 à 20 stimulations du cortex moteur, 50 % de
PEM d'amplitude supérieure à 50 μV, en état de
relaxation musculaire. L'intensité de la stimu-
lation utilisée en SMTr est calculée en fonction
du SMR (pourcentage du SMR). La méthode la
plus simple consiste à obtenir un PEM par une
stimulation supraliminaire (qui déclenche une
réponse motrice) puis diminuer progressivement
l'intensité des stimulations par paliers de 2 à 5 %
jusqu'à obtenir 50 % de réponse (figure 8.7). Une
seconde méthode moins précise dite « visuelle », ne
faisant pas appel au monitorage électromyogra-
phique (EMG), consiste à obtenir 50 % de réponses
Figure 8.6. Un bonnet en élasthanne motrices (jugées sur le mouvement du pouce dans
comprenant les lignes intertragus et la ligne ce cas), mais elle reste cependant à éviter car elle
interhémisphérique, le vertex se situe à leur surestime le seuil moteur, ce qui pourrait augmen-
intersection, le hot spot (point noir) ; en avant ter le risque de survenue d'une crise épileptique.
sur le plan sagittal, le point de stimulation par D'autres paramètres peuvent être évalués, bien
SMTr (point noir cerclé). que ceci ne soit pas systématique en pratique cou-
rante, mais restent intéressants pour évaluer plus
La stimulation finement l'excitabilité corticale et intracorticale :
Méthode neurophysiologique • le seuil moteur en activité est l'intensité néces-
d'évaluation de l'excitabilité corticale saire pour déclencher, lors d'une série de 10 à
et intracorticale 20 stimulations du cortex moteur, 50 % de PEM
Afin de repérer la représentation corticomotrice d'amplitude supérieure à 200 μV, en état de
du pouce au niveau du cortex (« mapping »), la contraction volontaire ;
bobine doit être positionnée de façon tangentielle • la période de silence cortical est une interrup-
sur le scalp du sujet et orientée à 45° par rap- tion du signal EMG d'un muscle préalablement
port au plan sagittal en regard du cortex moteur en contraction volontaire. Cette période de
controlatéral au muscle cible. silence est consécutive à une stimulation corti-
Le psychiatre enverra une impulsion unique à cale motrice et fait suite au PEM. Il existe deux
renouveler toutes les 5 à 10 secondes, jusqu'à l'ob- façons de la mesurer : soit en mesurant le temps
tention d'une contraction du court abducteur du écoulé entre la fin du PEM et le retour à un
pouce induisant un PEM (cf. figure 8.4). Le point EMG de base, soit en mesurant le temps écoulé
de stimulation optimal appelé « hot spot » se situe entre l'artefact de stimulation et le retour à un
dans une zone controlatérale au pouce, reliant EMG de base. Sa durée normale est comprise
vertex/nasion/tragus. Une fois la position déter- entre 50 et 200 ms, cette durée est indépen-
minée, il est nécessaire de marquer le point de dante de la force de contraction mais augmente
stimulation sur le bonnet de bain et de stabiliser avec l'intensité de la stimulation. Une période
la position de la tête afin d'obtenir un niveau de raccourcie équivaut à une augmentation de
reproductibilité satisfaisant. l'excitabilité corticale et inversement. Ce para-
Plusieurs indices évaluant l'excitabilité corticale mètre reflète le niveau d'inhibition corticale de
peuvent être mesurés par SMT simple choc [18] : la zone du cortex moteur recrutée par la SMT,
• le seuil moteur est défini comme la plus faible via l'activation d'interneurones inhibiteurs
intensité de stimulation (définie en pourcen- GABAergiques.

171
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Figure 8.7. Potentiel évoqué moteur (PEM) après stimulation magnétique transcrânienne.

La mesure des phénomènes d'inhibition et de GABAergiques A. La FIC est liée à la mise en jeu
facilitation intracorticales peut également être de circuits inhibiteurs intracorticaux glutamater-
évaluée par SMT à double choc c'est-à-dire avec giques (récepteurs NMDA).
des paires de stimulus séparées par un intervalle Enfin, la connectivité interhémisphérique par voie
variable [7] (figure 8.8) : trans-calleuse peut être étudiée à l'aide de la SMT :
• inhibition intracorticale (IIC) : le premier choc • la période de silence interhémisphérique par
est conditionnant, de basse intensité, et ne SMT en choc unique du cortex moteur homo-
déclenche pas de réaction motrice, il est donc latéral : la période de silence cortical ipsilatérale
infraliminaire. Il est délivré 1 à 20 ms avant est mesurée à l'aide d'une intensité de stimula-
le second choc qui, lui, sera supraliminaire. Si tion élevée (souvent 100 % de la capacité du sti-
l'intervalle entre les deux chocs est inférieur à mulateur) ;
5  ms, l'amplitude de la réponse obtenue sera • l'inhibition interhémisphérique par SMT double
inférieure à celle d'une stimulation test seule ; choc : la stimulation conditionnante ipsilatérale
• facilitation intracorticale (FIC) : si l'intervalle par rapport au muscle enregistré est déclenchée
entre les deux chocs se situe entre 7 et 15 ms, quelques millisecondes avant la stimulation test
l'amplitude de la réponse conditionnée sera supé- déclenchée au niveau du cortex moteur contro-
rieure à celle de la réponse non conditionnée. latéral correspondant au même muscle ; cette
Ces phénomènes de facilitation ou d'inhibition mesure nous renseigne sur les capacités d'inhi-
dépendent du recrutement de circuits interneuro- bition d'un hémisphère sur l'autre.
naux corticaux, excitateurs ou inhibiteurs selon
le délai de la stimulation test. Ces mesures d'am- Localisation du site de stimulation
plitude explorent l'excitabilité globale de la voie Nous aborderons les méthodes de repérage des
corticospinale. L'IIC est liée principalement à la deux principaux sites de stimulation utilisés en
mise en jeu de circuits inhibiteurs intracorticaux psychiatrie :

172
Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

Figure 8.8. Phénomènes d'inhibition et de facilitation intracorticales après SMT conditionnante.


Le premier choc est conditionnant, de basse intensité, et ne déclenche pas de réaction motrice. Lorsque l'intervalle
interstimulus (ISI) est inférieur à 5 ms, l'amplitude de la réponse obtenue sera inférieure à celle d'une stimulation test
seule (inhibition intracorticale) ; si l'ISI est de 25 ms, l'amplitude de la réponse conditionnée sera supérieure à celle
de la réponse non conditionnée (facilitation intracorticale). (D'après Nakamura et al. J Physiol 1997 ; 498 : 817–23.)

• le cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL) ciblé national 10–20 utilisé en EEG tenant compte de
dans le traitement des épisodes dépressifs la variabilité anatomique interindividuelle per-
majeurs et des symptômes négatifs de la schizo- met de repérer le CPFDL à l'aide des points F3
phrénie ; (gauche) et F4 (droit). Le CPFDL se situerait 1 cm
• le cortex temporopariétal gauche ciblé dans le antérolatéralement à F3 et F4.
traitement des hallucinations auditives dans la Durant la séance, la bobine sera posée de
schizophrénie. façon tangentielle sur le scalp, orientée postéro-­
Plusieurs méthodes permettent de localiser le antérieurement, avec un angle latéromédial d'en-
CPFDL. viron 45°.
La méthode standard encore appelée des Plusieurs auteurs ont souligné le manque de
« 5  cm » propose de partir de la localisation du reproductibilité de la procédure de placement
seuil moteur : la zone à traiter se situe 5 cm en de la sonde de stimulation selon ces méthodes,
avant dans un plan parasagittal, parallèlement à et il paraît indispensable d'utiliser des outils de
la ligne interhémisphérique. Cette méthode, pra- neuronavigation pour résoudre ces différentes
tique et facile, est la plus régulièrement utilisée sources d'imprécision [22] (cf. figure  8.5). Utilisés
dans les études et a largement montré son effi- en neurochirurgie depuis la fin des années 1980,
cacité. Néanmoins, plusieurs auteurs ont montré ils permettent aujourd'hui de réaliser un traite-
qu'elle situait la cible davantage en regard de la ment guidé par l'image en temps réel. Leur prin-
région prémotrice [19, 20]. Certains auteurs ont donc cipe repose sur le repérage des coordonnées d'une
proposé de localiser le site de stimulation plus en zone cible dans les trois dimensions de l'espace
avant, à 6–7 cm du hotspot [21]. Le système inter- dans un référentiel donné, à la fois sur l­'imagerie

173
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

cérébrale du patient et sur le patient lui-même. Ici encore, il faut s'interroger sur les variations
Cette technique s'avère stable et reproductible. anatomiques interindividuelles et sur la dimen-
Le repérage du cortex temporopariétal utilise le sion fonctionnelle des anomalies présentes chez
plus souvent le système international 10–20, le site le sujet halluciné, imposant ainsi une neuronavi-
de stimulation se situant à mi-distance entre les gation guidée selon une imagerie fonctionnelle [24].
repères T3 et P3 du scalp [23] (figure 8.9). Comme pour la détermination du seuil moteur, la
bobine sera posée de façon tangentielle sur le scalp.
Au cours d'un traitement par SMTr avec neu-
ronavigation, différentes étapes sont nécessaires :
International 10–20 P31
Nasion
P32 • calibration : avant la première séance et après
System
acquisition des images IRM anatomique ou
Fp1 Fp2 IRM fonctionnelle, une reconstruction tridi-
mensionnelle du cerveau et de la tête du patient
F7 F8 est réalisée par le système ;
F3 Fz F4
• planification : le psychiatre détermine la région
corticale cible sur la reconstruction tridimen-
A1
Cz C4 T4
A2 sionnelle du cerveau (figure 8.10) ;
C3
• navigation : lors des séances quotidiennes, un
T3

recalage initial de la tête du patient par rap-


P3 Pz P4
port à la reconstruction tridimensionnelle
T5 T0
et un recalage de la sonde seront effectués
(cf. figure 8.5).
O1 O2

Paramètres de stimulation
Inion Plusieurs paramètres de stimulation doivent être
Figure 8.9. Système international EEG 10-20 et considérés pour un traitement efficace et bien
cible temporopariétale de la SMTr. toléré : la fréquence de stimulation, l'intensité de

Figure 8.10. Détermination de la cible de stimulation à l'aide d'un système de neuronavigation.

174
Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

stimulation, la durée d'un train de stimulation, Les protocoles de stimulation à haute fré-
l'intervalle inter-trains, le nombre de trains et le quence au niveau du CPFDL gauche ont été le
nombre de stimulations par séances, le nombre plus largement étudiés dans les épisodes dépres-
total de séances et le nombre total de stimulations sifs majeurs avec plusieurs méta-analyses ayant
en fin de traitement. La plupart des protocoles montré leur efficacité [25–29]. La stimulation à
thérapeutiques consistent en une série de séances basse fréquence semble mieux tolérée et présente
quotidiennes (20 à 40 au total), chaque séance un risque épileptogène plus faible que la SMTr à
durant entre 10 et 20 minutes. haute fréquence [13]. Aucune différence signifi-
cative avec les protocoles à haute fréquence n'a
Fréquence de stimulation été mise en évidence concernant son efficacité
Plusieurs protocoles ont montré leur intérêt dans antidépressive [30, 31]. La stimulation bilatérale
le traitement des épisodes dépressifs majeurs : ne semble pas avoir d'efficacité antidépressive
• SMTr à haute fréquence appliquée au niveau du supérieure aux autres protocoles de stimula-
CPFDL gauche, la plus fréquemment retrouvée tion [21, 32]. Dans la schizophrénie, le traitement
dans les études ; des symptômes négatifs fait appel à des proto-
• SMTr à basse fréquence au niveau du CPFDL coles similaires à ceux utilisés dans les épisodes
droit ; dépressifs majeurs, tandis que des fréquences
• SMTr bilatérale utilisant ces deux protocoles de inhibitrices sont utilisées dans le traitement des
façon séquentielle lors de la même session. hallucinations auditives [13].

Figure 8.11. Différents patterns de SMTr.


À gauche, de haut en bas : un train de 10 s de SMTr à 1 Hz et à 5 Hz (soit 50 stimuli) et en bas, un protocole standard :
deux trains de 2 s de SMTr à 20 Hz (40 stimuli) séparés d'un intervalle intertrains de 28 s. À droite, de haut en bas,
stimulation de type thêta burst : continue, intermittente. (D'après Rossi et al. Clin Neurophysiol 2009 ; 120 : 2008-39.)

175
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

De nouveaux protocoles de stimulation autres des intensités de stimulation entre 80 % et 130 %


que les protocoles de SMTr standard ont vu le jour du SMR ; les intensités sont d'autant plus faibles
et modifieraient de façon plus rapide et prolongée que la fréquence est élevée. Plusieurs auteurs ont
l'excitabilité corticale [33]. Ils consistent à appliquer montré que des intensités supérieures à 100  %
à un seuil infraliminaire (80 % du seuil moteur) tendent à améliorer l'efficacité de la SMTr [34,  35].
en regard du cortex, pour une durée n'excédant Chez les sujets âgés, Nahas et  al. ont suggéré
pas 2 minutes, des salves (bursts) de stimulations d'augmenter l'intensité de stimulation (jusqu'à
à très haute fréquence (50 Hz), incorporées à un 140 % du SMR), proportionnellement au degré
rythme de fréquence moindre. Le schéma le plus d'atrophie corticale. L'intensité de la stimulation
utilisé est de type thêta burst (TBS) : des triplets de type thêta burst se situe généralement à 80 %
de stimulations délivrées à 50 Hz se succèdent à du SMR.
un rythme thêta (5 Hz) (figure 8.11) ; l'intervalle
de temps entre les trains définit différents modes Durée des trains et des intervalles
de stimulation : lorsque la stimulation est conti- inter-trains
nue (cTBS), l'amplitude du PEM après la stimula- Des paramètres de sécurité tenant compte de
tion est diminuée par rapport au niveau basal et l'intensité et de la fréquence de stimulation ont
associée à une augmentation de l'inhibition intra- fixé les limites de la durée des trains et de l'inter-
corticale ; lorsque la stimulation est intermittente valle inter-trains (tableaux 8.1 à 8.3). La sécurité
(iTBS), l'amplitude du PEM après la stimulation signifie l'absence de propagation de l'excitation,
est augmentée et associée à une diminution de l'absence de post-décharge sur l'activité EEG ou
l'inhibition intracorticale. de déclenchement de crise épileptique. Ces para-
mètres issus d'études menées sur le cortex moteur
Intensité de stimulation sont néanmoins généralisables à l'ensemble du
Ce paramètre est exprimé en pourcentage du seuil cortex, puisque le seuil d'induction post-décharge
moteur au repos. La plupart des études utilisent est le plus bas au niveau du cortex moteur.

Tableau 8.1. Durée maximale de sécurité (en secondes) des trains uniques de SMTr.
Fréquence Intensité de stimulation (% du SMR)
90 % 100 % 110 % 120 % 130 %

1 > 1 800 > 1 800 > 1 800 > 360 > 50


5 > 10 > 10 > 10 > 10 > 10
10 >5 >5 >5 4,2 2,9
20 2,05 2,05 1,6 1,0 0,55
25 1,28 1,28 0,84 0,4 0,24
(D'après Rossi et al., 2009 ; Lefaucheur et al., 2011.)

Tableau 8.2. Recommandations de sécurité concernant les intervalles inter-trains pour dix trains
délivrés à une fréquence inférieure à 20 Hz.
Intervalle Intensité de stimulation (% du SMR)
­­inter-trains (ms)
100 % 105 % 110 % 120 %
5 000 Sûr Sûr Sûr Données
insuffisantes
1 000 Dangereux Dangereux Dangereux Dangereux
250 Dangereux Dangereux Dangereux Dangereux
(D'après Chen et al., 1997 ; Lefaucheur et al., 2011 ; Rossi et al., 2009.)

176
Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

Tableau 8.3. Durée maximale des trains de SMTr à chaque intensité de stimulation.


Fréquence (Hz) Intensité de stimulation (% du SMR)
100 % 110 % 120 % 130 %
Durée du train (sec) / Nombre de stimulations
1 > 270 / > 270 >270 / > 270 > 180 / > 180 50 / 50
5 10 / 50 10 / 50 10 / 50 10 / 50
10 5 / 50 5 / 50 3,2 / 32 2,2 / 22
20 1,5 / 30 1,2 / 24 0,8 / 16 0,4 / 8
25 1,0 / 25 0,7 / 17 0,3 / 7 0,2 / 5
(D'après Chen et al., 1997 ; Lefaucheur et al., 2011 ; Rossi et al., 2009.)

Nombre de séances pas d'effet délétère sur les fonctions cognitives.


Dans le cadre d'un épisode dépressif majeur, les Néanmoins, elle reste un traitement lourd pour
premiers essais consistaient en une dizaine de le patient (allers-retours quotidiens sur l'unité de
séances ; à l'heure actuelle, la plupart des pro- réalisation de la SMTr) et coûteux en termes de
tocoles comprennent entre 20 et 30 séances de ressources médicales et paramédicales.
SMTr, la plupart à un rythme quotidien. Certains La répétition des séances de SMTr permet d'ob-
auteurs ont proposé plusieurs séances par jour en tenir un effet rémanent mais limité durant plu-
respectant les règles de sécurité [13]. sieurs jours à plusieurs semaines au maximum,
amenant certaines équipes à mettre en place
Effets indésirables des protocoles de consolidation afin de mainte-
nir l'effet obtenu en fin de cure et de prévenir la
La SMTr est généralement très bien tolérée. Les
rechute [38, 39].
effets indésirables observés au cours des traite-
ments par SMTr sont rares et sans gravité. Ils
se limitent à une tension musculaire transitoire SMTr au long cours
légèrement et spontanément réversible résultant Dans le cadre du traitement des épisodes dépres-
de la contraction des muscles faciaux et du scalp sifs majeurs, la quasi-totalité des essais étudie les
(chez 5 à 20 % des patients selon les études), une effets de la SMTr à court terme après 2 à 4 semaines
douleur au point d'impact et à des céphalées de traitement. Une étude ouverte a évalué sur 4
de tension sensibles aux antalgiques mineurs. ans la durée de la réponse survenue chez seize
Les effets auditifs (modification de brève durée sujets souffrant de dépressions résistantes (50 %
du seuil d'acuité auditive) peuvent être limités d'amélioration du score initial de dépression aux
par le port de bouchons auriculaires lors des échelles Hamilton Rating Scale for Depression et
séances. Le risque de crises convulsives géné- Beck Depression Inventory) ayant bénéficié d'une
ralisées est extrêmement faible, ce d'autant que cure de SMTr en monothérapie (CPFDL gauche,
l'on respecte les contre-indications et les règles 10 Hz, 1 600 stimuli par jour, dix jours, 90 % du
de sécurité [13]. seuil moteur). En moyenne, les patients ont rechuté
Bien que rares, des cas d'épisodes maniaques au bout de 5 mois. Cohen et al. ont dernièrement
et d'épisodes mixtes induits par la SMTr ont été étudié la durée du maintien de la réponse chez
décrits, particulièrement chez des sujets souffrant deux cent quatre patients souffrant d'un épisode
de troubles bipolaires en phase dépressive, mais dépressif majeur en rémission symptomatique
aussi chez des patients atteints de trouble dépres- après un traitement add-on par SMTr (1 Hz pour
sif majeur [36, 37]. le CPFDL droit et 20 Hz pour le CPFDL gauche,
Enfin, sur un plan pratique, la SMTr est dépour- 10 à 30 séances, intensité variable) : 3 mois après
vue de certains des inconvénients de l'ECT (cf. l'arrêt, 60 % des patients sont encore en rémission,
chapitre 7) car elle ne nécessite ni anesthésie géné- 22,6 % à 6 mois ; la durée moyenne de rémission
rale ni induction de crise épileptique, et n'aurait est de 119,3 ± 4,9 jours. Une analyse multivariée

177
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

établit que l'âge et le nombre de séances sont les [8] Pascual-Leone A, Valls-Sole J, Wassermann EM,
seules variables prédictives de l'évolution clinique et al. Responses to rapid-rate transcranial magnetic
stimulation of the human motor cortex. Brain 1994 ;
[40]
.
117 : 847–58.
La question de poursuivre la cure de SMTr par [9] Wozniak-Kwasniewska A, Szekely D, Aussedat P,
un protocole de consolidation voire des séances de et  al. Changes of oscillatory brain activity induced
maintien est ainsi posée mais très peu de travaux by repetitive transcranial magnetic stimulation of
existent à ce sujet, et il s'agit pour la majorité d'entre the left dorsolateral prefrontal cortex in healthy sub-
eux d'essais ouverts. Plusieurs modalités existent : jects. Neuroimage 2013 ; 88C : 91–9.
[10] Fitzgerald PB, Brown TL, Marston NA, et  al.
• pratiquer à une fréquence dégressive les séances Reduced plastic brain responses in schizophrenia : a
de SMTr sur plusieurs mois [39] ; transcranial magnetic stimulation study. Schizophr
• regrouper plusieurs séances sur 2 jours tous les Res 2004 ; 71 : 17–26.
mois [41] ; [11] Chen R, Classen J, Gerloff C, et  al. Depression of
• ou proposer des cures intermittentes en cas de motor cortex excitability by low-frequency trans-
rechute. cranial magnetic stimulation. Neurology 1997 ; 48 :
1398–403.
O'Reardon et al. ont testé l'efficacité d'un proto- [12] Maeda F, Keenan JP, Tormos JM, et al. Modulation of
cole d'entretien (1 à 2 séances hebdomadaire(s), au corticospinal excitability by repetitive transcranial
niveau du CPFDL gauche, 10 Hz, 100 % du seuil magnetic stimulation. Clin Neurophysiol 2000 ; 111 :
moteur) sur une période allant de 6 mois à 6 ans : 800–5.
sept patients sur dix présentaient une améliora- [13] Lefaucheur J-P, André-Obadia N, Poulet E, et  al.
Recommandations françaises sur l'utilisation de la
tion légère à modérée ; à noter l'absence de trai-
stimulation magnétique transcrânienne répétitive
tement médicamenteux associé chez trois d'entre (rTMS) : règles de sécurité et indications thérapeu-
eux [42]. Aucun virage de l'humeur ne s'est produit tiques. Neurophysiol Clin 2011 ; 41 : 221–95.
lors de ces études. L'obtention d'une rémission [14] Höflich G, Kasper S, Hufnagel A, et al. Application
symptomatique et la poursuite par un protocole of transcranial magnetic stimulation in treatment of
SMTr de consolidation semblent être les meilleurs drug-resistant major depression – A report of two
cases. Hum Psychopharmacol 1993 ; 8 : 361–5.
prédicteurs d'une réponse durable [39]. [15] Richieri R, Adida M, Dumas R, et al. Troubles affec-
tifs et stimulation magnétique transcrânienne répé-
Références tée : innovations thérapeutiques. Encéphale 2010 ;
36 : S197–201.
[1] Brunelin J, Galinowski A, Januel D, et  al. Stimula- [16] Kozel FA, Nahas Z, de Brux C, et al. How coil-cortex
tion magnétique transcrânienne. Principes et appli- distance relates to age, motor threshold, and antide-
cations en psychiatrie. Marseille : Solal ; 2009. pressant response to repetitive transcranial magne-
[2] Faraday M, Williams L. Effects on the production of tic stimulation. J Neuropsychiatry Clin Neurosci
electricity from magnetism (1831). New York : Basic 2000 ; 12 : 376–84.
Books ; 1965. [17] Massimini M, Ferrarelli F, Huber R, et al. Breakdown
[3] Micoulaud-Franchi J-A, Richieri R, Lancon C, et al. of cortical effective connectivity during sleep.
Protocoles de rTMS interactives en psychiatrie. Science 2005 ; 309 : 2228–32.
Encéphale 2013 ; 39 : 426–31. [18] Rossini PM, Barker AT, Berardelli A, et  al. Non-­
[4] Rossi S, Hallett M, Rossini PM, et  al. Safety, ethical invasive electrical and magnetic stimulation of the
considerations, and application guidelines for the use brain, spinal cord and roots : basic principles and
of transcranial magnetic stimulation in clinical practice procedures for routine clinical application. Report of
and research. Clin Neurophysiol 2009 ; 120 : 2008–39. an IFCN committee. Electroencephalogr Clin Neu-
[5] Lefaucheur J-P, Lucas B, Andraud F, et  al. Inter- rophysiol 1994 ; 91 : 79–92.
hemispheric asymmetry of motor corticospinal exci- [19] Herwig U, Padberg F, Unger J, et  al. Transcranial
tability in major depression studied by transcranial magnetic stimulation in therapy studies : examina-
magnetic stimulation. J Psychiatr Res 2008 ; 42 : tion of the reliability of “standard” coil positioning
389–98. by neuronavigation. Biol Psychiatry 2001 ; 50 : 58–61.
[6] Daskalakis ZJ, Christensen BK, Fitzgerald PB, et al. [20] Lefaucheur J-P, Brugières P, Menard-Lefaucheur I,
Transcranial magnetic stimulation : a new investiga- et  al. The value of navigation-guided rTMS for the
tional and treatment tool in psychiatry. J Neuropsy- treatment of depression : an illustrative case. Neuro-
chiatry Clin Neurosci 2002 ; 14 : 406–15. physiol Clin 2007 ; 37 : 265–71.
[7] Nakamura H, Kitagawa H, Kawaguchi Y, et al. Intra- [21] Fitzgerald PB, Daskalakis ZJ. A practical guide to the
cortical facilitation and inhibition after transcranial use of repetitive transcranial magnetic stimulation
magnetic stimulation in conscious humans. J Physiol in the treatment of depression. Brain Stimul 2012 ; 5 :
1997 ; 498 : 817–23. 287–96.

178
Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

[22] Schonfeldt-Lecuona C, Thielscher A, Freudenmann parison of unilateral and bilateral repetitive trans-
RW, et  al. Accuracy of stereotaxic positioning of cranial magnetic stimulation for treatment-resistant
transcranial magnetic stimulation. Brain Topogr major depression. World J Biol Psychiatry 2011 ; 13 :
2005 ; 17 : 253–9. 423–35.
[23] Herwig U, Satrapi P, Schonfeldt-Lecuona C. Using [33] Huang YZ, Edwards MJ, Rounis E, et al. Theta burst
the international 10-20 EEG system for positioning stimulation of the human motor cortex. Neuron
of transcranial magnetic stimulation. Brain Topogr 2005 ; 45 : 201–6.
2003 ; 16 : 95–9. [34] Brunelin J, Poulet E, Boeuve C, et  al. Efficacité de
[24] Sommer IE, de Weijer AD, Daalman K, et  al. Can la stimulation magnétique transcrânienne (rTMS)
fMRI-guidance improve the efficacy of rTMS treat- dans le traitement de la dépression : revue de la litté-
ment for auditory verbal hallucinations ? Schizophr rature. Encéphale 2007 ; 33 : 126–34.
Res 2007 ; 93 : 406–8. [35] Gershon AA, Dannon PN, Grunhaus L. Transcranial
[25] Lam RW, Chan P, Wilkins-Ho M, et  al. Repetitive magnetic stimulation in the treatment of depression.
transcranial magnetic stimulation for treatment- Am J Psychiatry 2003 ; 160 : 835–45.
resistant depression : a systematic review and meta­ [36] Dolberg OT, Schreiber S, Grunhaus L. Transcranial
analysis. Can J Psychiatry 2008 ; 53 : 621–31. magnetic stimulation-induced switch into mania :
[26] Kozel FA, George MS. Meta-analysis of left prefrontal a report of two cases. Biol Psychiatry 2001 ; 49 :
repetitive transcranial magnetic stimulation (rTMS) 468–70.
to treat depression. J Psychiatr Pract 2002 ; 8 : 270–5. [37] Rachid F, Golaz J, Bondolfi G, et al. Induction of a
[27] Holtzheimer 3rd PE, Russo J, Avery DH. A meta- mixed depressive episode during rTMS treatment in
analysis of repetitive transcranial magnetic stimula- a patient with refractory major depression. World J
tion in the treatment of depression. Psychopharma- Biol Psychiatry 2006 ; 7 : 261–4.
col Bull 2001 ; 35 : 149–69. [38] Fitzgerald PB, Grace N, Hoy KE, et al. An open label
[28] Aarre TF, Dahl AA, Johansen JB, et  al. Efficacy of trial of clustered maintenance rTMS for patients with
repetitive transcranial magnetic stimulation in refractory depression. Brain Stimul 2013 ; 6 : 292–7.
depression : a review of the evidence. Nord J Psy- [39] Richieri R, Guedj E, Michel P, et  al. Maintenance
chiatry 2003 ; 57 : 227–32. transcranial magnetic stimulation reduces depres-
[29] Gross M, Nakamura L, Pascual-Leone A, et al. Has repe- sion relapse : a propensity-adjusted analysis. J Affect
titive transcranial magnetic stimulation (rTMS) treat- Disord 2013 ; 151 : 129–35.
ment for depression improved ? A systematic review and [40] Cohen RB, Brunoni AR, Boggio PS, et  al. Clinical
meta-analysis comparing the recent vs. the earlier rTMS predictors associated with duration of repetitive
studies. Acta Psychiatr Scand 2007 ; 116 : 165–73. transcranial magnetic stimulation treatment for
[30] Eche J, Mondino M, Haesebaert F, et  al. Low- vs remission in bipolar depression : a naturalistic study.
high-frequency repetitive transcranial magnetic J Nerv Ment Dis 2010 ; 198 : 679–81.
stimulation as an add-on treatment for refractory [41] Fitzgerald PB, Hoy KE, Herring SE, et al. A double
depression. Front Psychiatry 2012 ; 3 : 13. blind randomized trial of unilateral left and bilateral
[31] Isenberg K, Downs D, Pierce K, et  al. Low frequency prefrontal cortex transcranial magnetic stimulation
rTMS stimulation of the right frontal cortex is as effec- in treatment resistant major depression. J Affect
tive as high frequency rTMS stimulation of the left fron- Disord 2012 ; 139 : 193–8.
tal cortex for antidepressant-free, treatment-resistant [42] O'Reardon JP, Blumner KH, Peshek AD, et al. Long-
depressed patients. Ann Clin Psychiatry 2005 ; 17 : 153–9. term maintenance therapy for major depressive
[32] Blumberger DM, Mulsant BH, Fitzgerald PB, et  al. disorder with rTMS. J Clin Psychiatry 2005 ; 66 :
A randomized double-blind sham-controlled com- 1524–8.

179
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Annexes
Annexe 1
Autoquestionnaire de sélection des candidats à la SMTr2
1. Avez-vous déjà reçu des stimulations magnétiques 12. Avez-vous déjà eu une perte de connaissance ou
dans le passé ? Si oui, avez-vous eu des effets secon- une syncope ? Si oui, pouvez-vous décrire dans
daires ou des complications ? quelle occasion.
2. Avez-vous déjà subi une IRM dans le passé ? Si oui, 13. Avez-vous déjà eu un traumatisme crânien sévère
pouvez-vous donner la date du dernier examen. (c'est-à-dire suivi par une perte de connaissance) ?
3. Avez-vous des particules métalliques (éclats, clips, 14. Avez-vous une maladie neurologique ou psychia-
etc.) dans le cerveau ou le cuir chevelu ? Si oui, trique ? Si oui, pouvez-vous indiquer la nature de
pouvez-vous indiquer de quel métal il s'agit. cette maladie.
4. Avez-vous des problèmes d'audition ou de siffle- 15. Avez-vous une maladie grave, notamment car-
ment dans les oreilles (acouphènes) ? diaque ou respiratoire ? Si oui, pouvez-vous indi-
5. Avez-vous un implant cochléaire ? quer la nature de cette maladie.
6. Avez-vous un stimulateur cardiaque (pacemaker) ? 16. Êtes-vous enceinte ou est-il possible que vous le
7. Avez-vous déjà eu une intervention chirurgicale soyez ?
au cerveau ou à la moelle épinière ? Si oui, pouvez- 17. Êtes-vous en privation de sommeil ou en décalage
vous indiquer la nature de cette intervention. horaire ?
8. Avez-vous un neurostimulateur (cortical, cérébral 18. Avez-vous une consommation excessive de café,
profond, du nerf vague, médullaire, etc.) implanté d'alcool, ou de médicament ? Si oui, pouvez-vous
dans votre corps ? Si oui, pouvez-vous indiquer de indiquer la nature de la (ou les) substance(s)
quel type de stimulateur il s'agit. consommées.
9. Avez-vous un dispositif implanté de diffusion de 19. Prenez-vous des médicaments ? Si oui, pouvez-
médicaments (pompe) ? Si oui, pouvez-vous indi- vous en indiquer la liste complète.
quer de quel type de pompe il s'agit. 20. Avez-vous récemment (moins d'un mois) arrêté de
10. Avez-vous une valve de dérivation du liquide consommer un médicament ? Si oui, pouvez-vous
céphalorachidien pour traiter une hydrocéphalie ? indiquer lequel (lesquels).
11. Avez-vous déjà eu des convulsions ou une crise
d'épilepsie ? Seule une réponse affirmative à la question 5 consti-
tue une contre-indication absolue à la SMT. En cas de
2
Lefaucheur J-P, André-Obadia N, Poulet E, et  al. réponse affirmative aux questions 3, 4, 6 à 20, le rapport
Recommandations françaises sur l'utilisation de la bénéfice/risque devra être soigneusement évalué par
stimulation magnétique transcrânienne répétitive l'investigateur du projet de recherche et/ou par le méde-
(rTMS) : règles de sécurité et indications thérapeu- cin responsable.
tiques. Neurophysiol Clin 2011 ; 41 : 221-95.

180
Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

Annexe 2
Formulaire d'information délivré dans le cadre du traitement
de la dépression par SMTr
La stimulation magnétique transcrânienne répétitive taines régions de votre cerveau. Cette procédure a pour
(en anglais repetitive Transcranial Magnetic Stimula- objectif de localiser le site de stimulation optimal ainsi
tion, ou rTMS) est utilisée depuis 1985 dans le domaine que la quantité d'énergie adaptée pour chaque patient.
de la recherche clinique en neurosciences. Des résul- Certains médicaments peuvent modifier l'excitabilité
tats d'études scientifiques ont montré que la rTMS a des des neurones et c'est pourquoi des changements dans
effets thérapeutiques chez les patients déprimés ou pré- votre traitement ont pu être effectués par votre méde-
sentant d'autres troubles psychiatriques. Dans certains cin au cours des derniers jours. Cette stimulation se fait
pays, cet outil thérapeutique est reconnu comme trai- au moyen d'une sonde en forme de huit qui est main-
tement de la dépression. Des études scientifiques sont tenue sur la tête par un pied articulé en présence d'un
en cours en France et au travers du monde pour valider médecin formé à la technique. Vous entendrez seule-
l'efficacité thérapeutique de la rTMS dans la dépression ment un clic à chaque stimulation et vous sentirez votre
notamment. pouce se contracter doucement.
Le principe de cette nouvelle technique thérapeutique Le traitement proprement dit commencera ensuite.
est d'appliquer un champ magnétique spécifique sur Il aura lieu en général tous les jours pendant 2 à
certains neurones cérébraux afin de modifier leur 6 semaines à l'exclusion du samedi et du dimanche. La
métabolisme qui est perturbé dans les troubles que procédure de délivrance des stimulations pour le trai-
vous présentez. tement est la même que celle décrite ci-dessus hormis
Ce traitement vous est proposé par votre médecin que les stimulations ne sont pas uniques mais délivrées
parce que les différents traitements que vous avez par séries.
essayés n'ont pas montré d'efficacité satisfaisante pour Aucun effet indésirable n'a été signalé à distance des
améliorer vos troubles. Il permettra peut-être d'amélio- séances de stimulation. Dans tous les cas, vous pouvez
rer votre état de santé. contacter à tout moment le médecin qui vous suit habi-
La rTMS étant en cours de validation en France, nous tuellement pour obtenir des informations complémen-
devons recueillir votre consentement écrit pour que taires si vous le désirez.
vous puissiez en bénéficier.
À tout moment, vous pourrez retirer votre consente- Effets indésirables
ment et interrompre le traitement.
Peu d'effets indésirables ont été décrits, dépendant
Déroulement du traitement par rTMS pour la plupart du type de stimulation magnétique
utilisé.
La stimulation magnétique répétée est une technique Une somnolence passagère peut être parfois observée
indolore qui peut être proposée lors d'une hospitalisa- après les séances. Une douleur au point d'impact peut
tion ou comme traitement ambulatoire selon l'intensité également être ressentie. Certains patients (20 %) rap-
des troubles que vous présentez. Les séances sont réali- portent des maux de tête après la séance. L'utilisation
sées dans le service du Docteur ………………… Il n'est de paracétamol ou d'Aspirine® peut être proposée sur
pas nécessaire d'être à jeun lors des séances. Ce traite- ces douleurs peu sévères et transitoires.
ment se déroule sans anesthésie ni autre médicament. La stimulation magnétique peut parfois induire des
La durée des séances sera d'environ 45 minutes pour crises convulsives même en l'absence de facteurs de
la première puis 10 à 30 minutes pour les séances sui- risque. Mais cette complication est rarissime puisqu'il
vantes selon le protocole de stimulation qui vous est n'a été rapporté que 7 cas sur plusieurs milliers de sujets
proposé. Pendant la séance, vous serez confortable- ayant eu des stimulations magnétiques. Le risque a été
ment assis(e) dans un fauteuil. évalué à un cas sur 1000, et les paramètres de stimu-
Ce traitement nécessite d'abord l'évaluation de l'acti- lation utilisés sont définis afin de contrôler au mieux
vité des régions motrices de votre cerveau au moyen ce risque.
d'un stimulateur magnétique. Cette activité devra Des rares cas de virage de l'humeur ont été décrits dans
être réévaluée au cours de la cure. C'est une procédure la littérature scientifique avec cette technique. Il est
bien connue et largement utilisée en neurologie. Celle- à noter que ce type de réaction est observé avec tous
ci consiste à appliquer au niveau du crâne un champ les traitements antidépresseurs commercialisés et ne
magnétique localisé entraînant la stimulation de cer- semble pas plus fréquent avec la rTMS. La survenue

181
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

d'un tel phénomène conduirait l'équipe médicale à avant le traitement, recherche de contre-indication
interrompre transitoirement ou définitivement votre relative en cas d'antécédent personnel et/ou familiaux
traitement par rTMS. de convulsion, recherche d'autres contre-indications :
Le médecin qui a posé l'indication de rTMS a pris chirurgie cérébrale récente, implant métallique intra-
toutes les précautions actuellement recommandées cérébral, cochléaire ou ophtalmologique ; infarctus du
ayant fait l'objet d'un consensus international (para- myocarde récent, accident vasculaire récent, grossesse
mètres de stimulation, réalisation éventuelle d'un EEG en cours).

182
Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

Annexe 3
Formulaire de consentement au traitement par SMTr
Je soussigné(e) ……………………….. autorise l'équipe médicale du Docteur ………………. à utiliser la stimulation
magnétique transcrânienne répétée pour mon traitement.
J'ai reçu et compris les informations rassemblées dans le document d'information au patient qui m'a été remis et
expliqué. J'ai été informé(e) des modalités du traitement ainsi que des bénéfices espérés et des risques encourus par
l'utilisation de cette technique. J'ai reçu et compris toutes les réponses aux questions que j'ai pu poser. Je m'engage à
respecter les recommandations de sécurité dont on m'a informé(e).
Je sais que je suis libre d'accepter ou de refuser le traitement ainsi que de l'interrompre si je le décide.
Fait à : ..........................
Le : ................................

Signature du médecin Signature du patient

183
Neurofeedback Chapitre 9
J.-A. Micoulaud-Franchi, O. Pallanca1

Bases neurophysiologiques remédiation cognitive, qui consiste à corriger


certains symptômes ou signes cliniques mais en
modulant certaines caractéristiques neurophy-
Régulation psychophysiologique siologiques [1, 3]. Le neurofeedback a cependant
d'une activité neurocognitive été également utilisé chez les sujets sains afin
Le neurofeedback est une technique d'apprentis- d'augmenter leurs performances cognitives et
sage neurocognitif facilité par la mise à disposi- ­affectives [4], leur créativité et leurs performances
tion en temps réel, pour le sujet, d'une ­information artistiques, sportives ou professionnelles [5].
neurophysiologique provenant du cerveau du Parmi les techniques de remédiation cognitive,
sujet lui-même, représentée sous la forme de le neurofeedback présente la particularité de créer
signaux sonores ou visuels, mesurée et traitée par une boucle psychophysiologique rétroactive favo-
l'intermédiaire d'instruments de mesure électro- risant [6] :
physiologique [1]. • la prise de conscience de modifications psycho-
Le neurofeedback fait partie des techniques physiologiques ;
de biofeedback, parfois appelé rétrocontrôle ou • l'apprentissage, par la possibilité d'un renfor-
rétroaction biologique, termes cependant moins cement positif objectif en temps réel, de carac-
communément utilisés [2]. Selon Rémond, le téristiques neurophysiologiques corrélées à cet
­biofeedback est : « un groupe de procédés théra- apprentissage ;
peutiques qui utilise une instrumentation électro- • le sentiment d'efficacité personnelle, par la
nique ou électromécanique. Cette dernière permet possibilité donnée au patient d'objectiver ses
de mesurer avec précision, traiter et représenter, propres performances par l'évolution du para-
sous forme analogique ou numérique, une infor- mètre neurophysiologique au cours des séances
mation aux propriétés renforcées, sur l'activité successives.
neuromusculaire ou l'activité autonome (normale Le patient apprend idéalement à développer
ou anormale) des individus au moyen de signaux des stratégies neurocognitives et psychophysio­
sonores ou optiques. Ses objectifs — d'autant logiques en séance avec le thérapeute en
mieux atteints qu'ils sont effectués sous l'égide d'un ­contrôlant le signal sonore ou visuel fourni par le
professionnel compétent dans le domaine du bio- dispositif, pour ensuite être à même de les réaliser
feedback — sont d'aider les individus à développer en ­l 'absence de neurofeedback [2].
Le thérapeute utilisant le neurofeedback doit
© 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

une meilleure conscience et un contrôle volontaire


plus intense de leurs processus physiologiques, présenter deux compétences essentielles :
processus pratiquement inconscients (c'est-à-dire • connaître les bases de l'électrophysiologie (cf.
Neurophysiologie clinique en psychiatrie

peu indépendants a priori ou indépendants d'un chapitre 2 et 3), afin de pouvoir mesurer, traiter
contrôle volontaire), ceci en contrôlant d'abord et représenter d'une manière optimale et rigou-
le signal externe, puis finalement en utilisant des reuse le paramètre neurophysiologique d'intérêt ;
moyens psychophysiologiques internes » [2]. • connaître les principes de la remédiation
Appliqué en thérapeutique, le neurofeedback cognitive et de l'apprentissage, afin de favori-
est une thérapeutique proche des techniques de ser et renforcer les stratégies développées par
le patient, et de permettre un transfert des
compétences acquises pendant les séances de
1
Relecture : C. Balzani, C. Quiles, J. Vion-Dury. ­neurofeedback dans la vie quotidienne.

185
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Le neurofeedback est une thérapeutique pou- • le neurofeedback de premier type implique uni-
vant s'intégrer dans une prise en charge globale quement le patient dans le dispositif de biofeed-
du patient souffrant de troubles neuropsychia- back ; celui-ci doit essayer différentes stratégies
triques, à la croisée de la neurophysiologie cli- neurocognitives par « essais et erreurs » succes-
nique et de la remédiation cognitive, pouvant sifs afin d'obtenir l'effet psychophysiologique
répondre aux représentations et attentes du désiré et une amélioration progressive neuro-
patient concernant son trouble. Il peut s'associer physiologique et clinique ;
à la psychopharmacologie, l'électrothérapie (cf. • le neurofeedback de deuxième type implique
chapitre 7 et 8), la psychoéducation et les thérapies le patient dans le dispositif mais également le
cognitivo-­comportementales. thérapeute ; ce dernier l'aide dans son appren-
Une prise en charge thérapeutique par le neuro- tissage (en repérant ses difficultés et en gui-
feedback nécessite en général 25 à 50 séances, de dant ses stratégies neurocognitives), renforce sa
45 à 60 minutes chacune, 1 à 3 fois par semaine. motivation et lui permet de suivre son évolution
Elle implique une motivation du patient comme au cours de la séance et au cours des séances
du thérapeute. Le nombre élevé de séances per- successives. Le thérapeute peut être amené à
met l'apprentissage de stratégies neurocognitives ajuster les réglages de l'appareil de neurofeed-
efficaces, le transfert de ces stratégies dans la vie back et à choisir les programmes pour adapter
quotidienne et l'obtention d'un effet sur la neuro­ au mieux le retour de l'information au patient.
plasticité cérébrale permettant le maintien de La place du neurofeedback dans le champ thé-
l'efficacité dans le temps [7]. rapeutique actuel reste pour le moment encore
La place du thérapeute dans les techniques de incertaine. Le neurofeedback n'appartient en
neurofeedback est essentielle. D'une manière propre à aucune discipline, bien que son déve-
didactique, on peut identifier deux types de loppement soit organisé en société savante. Ainsi,
­neurofeedback [2] (figure 9.1) : des sociétés savantes se sont développées dans

Figure 9.1. Représentation schématique des deux types de neurofeedback.


(D'après Rémond A, Rémond A. Biofeedback : principes et applications. Paris : Masson ; 1997.)

186
Chapitre 9. Neurofeedback

les années 1970, permettant la promotion de la autogestion des comportements de santé ou de


recherche, la diffusion et la formation aux appli- maladie » a été curieusement permis par « l'émer-
cations thérapeutiques du neurofeedback. La BSA gence de la rétroaction biologique (…) en donnant
(Biofeedback Society of America) est la première un modèle expérimental au contrôle volontaire
organisation à but non lucratif, créée en 1969, afin des phénomènes physiologiques » [2, 8].
de développer les techniques de biofeedback au En effet, le modèle intégratif de la maladie issu
sens large. Elle sera renommée en 1977 l'A APB des concepts de la psychologie de la santé sou-
(Association for Applied Psychophysiology and ligne l'importance de l'interaction (ou processus
Biofeedback). Au sein de l'A APB, le biofeedback de transaction) entre l'individu et son environ-
concernant les activités cérébrales (neurofeed- nement sur l'évolution d'une maladie chronique.
back) a pris une telle importance dans le début Le sujet ne subit en effet pas passivement une
des années 1990 que la SSNR (Society for the Study situation de maladie mais adopte, pour faire face
of Neuronal Regulation) s'est détachée de l'A APB. à celle-ci, diverses stratégies neurocognitives qui
La SSNR est depuis les années 2000 l'ISNR (Inter- peuvent améliorer le pronostic d'une maladie  [9].
national Society for Neurofeedback and Research). Parmi ces processus de transaction [9], quatre
En Europe, la BFE (Biofeedback Foundation of variables importantes sont à prendre en compte :
Europe) a été créée en 1997. Ces sociétés savantes • le stress perçu ;
organisent au sein de l'ICE (Institute for Creden- • le contrôle perçu ;
tialing Excellence) des formations appelées BCIA • le soutien social perçu ;
(Biofeedback Certification International Alliance, • les stratégies d'ajustement.
anciennement Institute of America) reconnues par Le stress perçu correspond à l'évaluation par le
la Mayo Clinic et un certain nombre d'États amé- patient de la situation comme excédant ses res-
ricains. La certification BCIA associe des heures sources et pouvant menacer son bien-être.
de cours (sur la neurophysiologie fondamentale Le contrôle perçu correspond à l'évaluation par
et clinique, le neurofeedback et la conduite d'une le patient de ses ressources personnelles et de sa
thérapeutique), à un contrôle des pratiques — capacité à contrôler la situation à laquelle il est
avec nécessité de faire la preuve du suivi d'un cer- confronté.
tain nombre de patients et présentation de cas cli- Le soutien social perçu correspond à l'évalua-
niques. Cette certification est indispensable afin tion par le patient de ses ressources sociales, c'est-
d'obtenir les compétences psychothérapeutiques à-dire de l'aide d'autrui qu'il pourrait recevoir
nécessaires pour accompagner un sujet au cours pour contrôler la situation. Un contrôle perçu
d'une thérapie utilisant le neurofeedback. Une et un soutien social perçu de bonne qualité sont
fois le BCIA obtenu, une formation continue tous généralement protecteurs pour la santé.
les 4 ans est obligatoire. En fonction de l'évaluation des ressources per-
Une des raisons de la place incertaine du neuro- sonnelles et sociales lui permettant de faire face à
feedback dans le champ thérapeutique actuel est la situation, le patient peut élaborer un ensemble
qu'il se situe à l'interface de plusieurs disciplines : de stratégies d'ajustement, ou de « coping », qui
• l'ingénierie biomédicale ; sont des stratégies que la personne interpose entre
• la neurophysiologie et la psychophysiologie ; elle et l'événement afin de maîtriser, réduire ou
• les sciences de l'apprentissage (et les thérapies tolérer l'impact de celui-ci sur son bien-être phy-
cognitivo-comportementales) ; sique et psychologique.
• la psychologie de la santé. Dans la lignée de ces concepts [10], le neurofeed-
Nous reviendrons sur les trois premières disci- back peut être analysé comme un dispositif d'ap-
plines dans la suite de ce chapitre. Les concepts de prentissage psychophysiologique permettant de
la psychologie de la santé nous semblent adaptés modifier idéalement non pas seulement une acti-
pour intégrer de manière cohérente le neurofeed- vité neurocognitive donnée, mais l'ensemble des
back dans le champ thérapeutique de la médecine. schèmes cognitifs que le patient a pu développer
C'est ce que Rémond soulignait déjà en indiquant concernant ses attentes d'efficacité personnelle à
que « le développement d'un champ d'études psy- propos de son problème de santé (et également
chosociales destiné à promouvoir une meilleure celles de son entourage, notamment lorsqu'il est

187
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

indiqué chez l'enfant). L'originalité de ces tech- restent donc, dans ces conditions, assez grossières.
niques est de constituer des thérapies d'ordre psy- En dehors de protocoles de recherche [6, 13], on peut
chophysiologique en plus d'être d'ordre psycholo- considérer que le neurofeedback utilisé en cli-
gique et/ou psychosocial [3]. Elles nous semblent nique va cibler principalement l'axe de régulation
donc pouvoir s'intégrer dans le développement de la vigilance [14]. La vigilance est en effet reliée à
de la prescription de thérapeutiques non médica- certains états cérébraux globaux facilement éva-
menteuses validées dans le contexte des maladies lués par des mesures électrophysiologiques à la
chroniques  [11] et dans le modèle intégratif de la surface du crâne par les activités spontanées de
santé et de la maladie [12] (figure 9.2). l'EEG (cf. chapitre 3).
Un protocole de neurofeedback est défini par :
Principales cibles • la (ou les) bande(s) fréquentielle(s) ciblée(s) de
neurophysiologiques l'EEG ou par un potentiel EEG lent ;
• par la localisation de l'électrode EEG active.
du neurofeedback D'une manière générale, un protocole d'entraî-
Le principe général du neurofeedback est de nement par neurofeedback est d'autant plus effi-
renvoyer au sujet une information sur sa propre cace que le paramètre qu'on désire contrôler est
activité cérébrale enregistrée à l'aide d'électrodes observé en continu, avec une sensibilité suffisante
placées sur le scalp selon le système 10–20. Les et présenté de manière quasi immédiate — corres-
contraintes de la pratique clinique courante pondant au délai de traitement de l'information
imposent l'utilisation d'un faible nombre d'élec- électrophysiologique — pour que les changements
trodes d'enregistrement électrophysiologique de intervenant d'instant en instant soient repérés par
l'activité cérébrale. Les cibles du neurofeedback le patient.

Figure 9.2. Proposition d'un modèle intégratif du neurofeedback.


(D'après Gauchet et al. Psychologie française 2012 ; 57 : 131–42.)

188
Chapitre 9. Neurofeedback

Bandes fréquentielles
Le signal recueilli par l'enregistrement EEG
contient un mélange de fréquences d'amplitudes
variées (cf. chapitre 3). De manière simplifiée, cer-
taines de ces fréquences ont pu être associées à des
expériences subjectives spécifiques ; ainsi [2] :
• les activités EEG abondantes dans la bande bêta
ont pu être associées à des états de vigilance de
type alerte et à une attention focalisée ;
• des activités abondantes dans la bande alpha
à des états de veille calme et à une attention
­diffuse  ;
• des activités abondantes dans la bande thêta à
des états de somnolence ou méditatifs. Figure 9.3. Courbe puissance/bande spectrale
De manière didactique, il est possible de consi- et place de l'activation et relaxation
dérer que les différents protocoles de neurofeed- de manière simplifiée.
back applicables en pratique courante permettent (D'après Kropotov J. Quantitative EEG, event-related
potentials and neurotherapy. Oxford : Elsevier ; 2009.)
d'augmenter ou de diminuer la vigilance [15]. On
parle ainsi de protocole d'activation et de proto- souvent dans la bande fréquentielle 12–15 Hz,
cole de relaxation (figure 9.3) : au niveau des régions motrices (ou centrales).
• les protocoles d'activation consistent principa- Elle consiste d'une certaine façon à augmenter
lement à apprendre au patient à augmenter la le rythme mu (rythme EEG dans la bande bêta
puissance spectrale de l'EEG dans la bande bêta basse situé dans les régions motrices et dispa-
(supérieure à 12 Hz) ; raissant à la fermeture du poing). L'électrode
• les protocoles de relaxation consistent princi- active est placée en C3 (plus rarement en C4).
palement à augmenter la puissance spectrale de Le côté gauche est favorisé du fait de l'associa-
l'EEG dans la bande alpha (de 8 à 12 Hz). tion supposée d'une humeur positive lors de
D'une manière simplifiée, les protocoles d'ac- l'augmentation du métabolisme cérébral de ce
tivation tendent à augmenter le métabolisme côté [15]. Ce fait, bien que débattu, constitue éga-
cérébral et les protocoles de relaxation à le dimi- lement une justification pour l'utilisation de la
nuer  [15]. Il faut souligner que ce que le patient rTMS haute fréquence du côté gauche dans les
ressent et qu'il est susceptible de contrôler, ne sont épisodes dépressifs majeurs (cf. chapitre 8).
pas directement les puissances spectrales de l'EEG Ces protocoles permettent de renforcer les stra-
elles-mêmes, mais les modifications subtiles de tégies neurocognitives de modulation de l'éveil
l'état de conscience et de vigilance en relation avec et d'attention des patients tout en maintenant
les fluctuations des puissances spectrales que le un tonus musculaire faible (en particulier pour
dispositif de neurofeedback lui donne à observer. le protocole SMR). Il est demandé au patient de
garder les yeux ouverts. Le signal de renforcement
Protocoles d'activation positif peut donc être visuel, sonore ou, le plus
Les protocoles d'activation principaux (parfois souvent, un combiné des deux.
nommés non-alpha) sont de deux types : L'objectif au cours des séances est d'obtenir ce
• le protocole bêta/thêta consiste à apprendre au que les Anglo-Saxons appellent le « Aha moment »,
sujet à augmenter la puissance spectrale dans la c'est-à-dire le moment phénoménologique où le
bande bêta et la diminuer dans la bande thêta patient prend conscience d'une activité mentale
(4–8 Hz). L'électrode active est placée sur le ver- particulière et qu'il vit en propre : « Ah ha ! Ça y
tex, en Cz ; est, je comprends maintenant ce que cela veut dire
• le protocole SMR (pour Sensory Motor Rhythm) que d'être attentif et détendu ! ».
consiste à apprendre au sujet à renforcer la Ces protocoles demandent une certaine éner-
puissance spectrale dans la bande bêta, le plus gie au patient, qui doit maintenir un niveau

189
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

a­ttentionnel et de détente, et nécessitent des Ces SCP utilisées en thérapeutique par neu-
séances séquencées, interrompues par de courtes rofeedback sont proches de la variation contin-
phases de repos. gente négative (VCN), potentiel évoqué mesuré
en neurophysiologique clinique diagnostique
Protocoles de relaxation (cf.  chapitre 5). Une onde SCP négative refléte-
Le protocole de relaxation classique utilise des rait la dépolarisation des dendrites apicales d'un
électrodes positionnées dans des régions plus pos- large ensemble de neurones pyramidaux, et donc
térieures, pariétales ou occipitales. Le signal de une  excitation corticale [19]. Au contraire, une
renforcement est le plus souvent sonore, continu, onde SCP positive refléterait une diminution de
avec des modulations, car un signal visuel tendrait cette activité, et donc une inhibition corticale.
davantage à désynchroniser l'EEG et à faire dimi- Un modèle psychophysiologique simplifié per-
nuer la puissance spectrale dans la bande alpha — met cependant de situer de manière cohérente les
c'est la réactivité du rythme de fond décrite dans différents protocoles de neurofeedback en regard
un EEG classique —, ce qui serait contraire à l'effet de la compréhension neurophysiologique de l'EEG
escompté [16]. La séance est donc généralement réa- (cf. chapitre 2). En tant que modèle, il nécessitera
lisée les yeux fermés, et non séquencée, contraire- des recherches supplémentaires pour le confirmer
ment aux protocoles précédents [2, 16]. Le protocole et le compléter [7, 13]. Ainsi, les protocoles de neu-
de relaxation permet de renforcer des stratégies rofeedback centrés sur les puissances spectrales
neurocognitives en lien avec un état décontracté agiraient en faisant intervenir des régulations
et moins vigile. Il peut conduire à l'endormisse- des voies réticulo-thalamo-corticales jouant une
ment du patient. Si l'endormissement n'est pas place centrale dans la régulation de la vigilance
désiré, le protocole peut être complété d'un signal (cf. chapitre 2). Les protocoles d'activation per-
d'éveil léger en cas d'apparition d'activité EEG mettraient d'augmenter les ressources attention-
dans la bande thêta d'une amplitude que le théra- nelles du sujet en modifiant l'éveil. Les protocoles
peute considérera comme trop importante. de relaxation permettraient de diminuer l'éveil.
Les protocoles avec SCP peuvent être activateurs
Potentiel EEG lent ou inhibiteurs mais ont généralement lieu dans
un contexte d'éveil : le feedback est visuel et il est
Un protocole de neurofeedback particulier plus
demandé au sujet de rester éveillé. Ces protocoles
récent et plus complexe à mettre en œuvre existe.
agiraient en faisant intervenir des régulations des
Il permet de cibler soit l'activation soit la relaxa-
réseaux frontostriataux intervenant dans la modu-
tion cérébrale, mais toujours dans un état cérébral
lation des possibilités d'allocation de ressources
vigile [17].
attentionnelles durant une tâche demandant un
Il consiste à enregistrer en Cz un potentiel
effort cognitif. Plus les SCP sont négatifs et donc
EEG lent appelé Slow Cortical Potential (SCP),
activateurs, plus le patient présente une mobili-
obtenu lorsqu'on utilise des filtres passe-haut très
sation de ses capacités d'allocation de ressources
bas (en général filtre passe-haut à 0,01 Hz, voire
attentionnelles associées à un état de préparation
parfois en Direct Current) permettant d'obser-
cognitive et/ou comportementale. À l'inverse, plus
ver les fréquences traditionnellement éliminées
les SCP sont positifs et donc inhibiteurs, plus le
par les filtres passe-haut classiques. Les SCP sont
patient est engagé dans une tâche cognitive et/ou
des activités lentes, qui durent de plusieurs cen-
comportementale spécifique avec une attention
taines de millisecondes à plusieurs secondes et
focalisée, inhibant la mobilisation de ressources
sont corrélées au niveau d'excitabilité générale
attentionnelles que pourraient nécessiter d'autres
d'une région corticale. Il est demandé au sujet,
tâches cognitives et/ou comportementales [3, 17].
par l'intermédiaire du « feedback » généralement
visuel, d'obtenir des SCP soit positives soit néga-
tives [18]. La séance est constituée d'un nombre de Indications principales
séquences courtes où un feedback de l'amplitude
négative ou positive de la SCP est rendu par l'in-
du neurofeedback
terface pendant quelques secondes. Ce retour est Le neurofeedback consiste à modifier des carac-
répété environ 50 à 100 fois dans une séance [17]. téristiques neurophysiologiques reliées à certains

190
Chapitre 9. Neurofeedback

symptômes ou signes cliniques présents dans des groupe de prise en charge. L'efficacité du neuro-
troubles psychiatriques ou neurologiques. Les feedback n'était pas confirmée pour ces quatre
cibles du neurofeedback présentées précédemment études (179 patients) avec une taille d'effet de 0,29
permettent de comprendre les troubles neuropsy- (– 0,02–0,61), tendant cependant à une différence
chiatriques pour lesquels le neurofeedback s'avère le (p = 0,07). Il faut noter que la même méthodologie
plus efficace. Nous proposons une liste de troubles appliquée aux autres prises en charge non phar-
pour lesquels la littérature scientifique actuelle macologiques proposées dans le TDAH (théra-
nous semble suffisante pour pouvoir y indiquer le pie cognitivo-comportementale ou remédiation
neurofeedback comme thérapeutique de recours cognitive) faisait disparaître complètement la
non pharmacologique. Cette liste pourra évoluer taille d'effet de ces thérapies [22].
en fonction des données futures de la littérature. L'auteur de la première méta-analyse a souligné
que, si les critères méthodologiques concernant le
Trouble du déficit de l'attention design des études avaient été effectivement bien
avec ou sans hyperactivité sélectionnés par cette seconde méta-analyse, sou-
lignant l'amélioration du groupe contrôle dans
La cible du neurofeedback étant principale-
les études récentes, les critères de bonne conduite
ment, du moins en condition clinique classique,
clinique et thérapeutique des séances de neu-
­
la régulation de la vigilance et de l'attention, il
rofeedback posaient problème et soulignaient
n'est pas étonnant que l'indication principale du
une détérioration paradoxale de la qualité de la
neurofeedback soit le trouble du déficit de l'at-
conduite des séances dans le groupe neurofeed-
tention avec ou sans hyperactivité (TDAH) chez
back [23]. Par exemple, une des études n'utilisait pas
l'enfant  [14]. Il s'agit du trouble psychiatrique pour
un protocole de neurofeedback activateur classique
lequel l'indication du neurofeedback présente le [24]
. En retirant cette étude portant uniquement sur
niveau de preuve d'efficacité le plus élevé [20].
douze patients, la taille d'effet de la méta-analyse
Une première méta-analyse publiée en 2009
(chez 167 patients) redevenait ­significative  : 0,58
a retrouvé une taille d'effet importante, de 1,02
(0,12–0,94) [23].
(0,84–1,21) et 0,94 (0,76–1,12) respectivement
Chez l'enfant, le deuxième trouble à avoir béné-
pour les composantes d'inattention et d'impulsi-
ficié d'étude d'efficacité du neurofeedback est le
vité, et une taille d'effet modérée de 0,71 (0,54–
trouble du spectre autistique (TSA) [25]. Cepen-
0,87) sur la composante d'hyperactivité [21]. Cette
dant, une revue systématique récente souligne
méta-analyse incluait quinze études avec un total
l'absence d'efficacité des protocoles de neuro-
de 1 194 patients : six études sur les quinze étaient
feedback d'activation spécifiquement sur les
randomisées, trois comparaient le neurofeedback
symptômes et signes cliniques du TSA, mais une
au traitement par méthylphénidate et trois le
efficacité probable sur les symptômes et signes de
comparaient à une autre stratégie attentionnelle
TDAH présent en comorbidité chez environ 40 à
(par exemple, un exercice d'entraînement atten-
50 % des patients [25].
tionnel) ou à une liste d'attente.
Une seconde méta-analyse publiée en 2013
retrouvait une taille d'effet plus modeste de 0,59 Épilepsies pharmacorésistantes
(0,31–0,87) [22]. Cette méta-analyse incluait huit La deuxième indication principale du neuro-
études, dont trois non encore publiées et donc feedback est un trouble neurologique qui altère
non incluses dans la méta-analyse précédente. la conscience et dont la baisse de vigilance favo-
Le nombre total de patients était de 273 ; toutes rise généralement la survenue des crises : l'épi-
étaient randomisées avec un groupe contrôle lepsie [26].
auquel était proposé soit un entraînement cogni- L'hypothèse neurophysiologique simplifiée de
tif, soit un biofeedback placebo (dont le retour son efficacité est que l'augmentation de l'éveil
n'est pas relié à l'activité neurophysiologique du et de l'attention focalisée lors de l'apparition de
patient), soit en liste d'attente. Les études utili- symptômes ou de signes prodromiques de crise
sant le méthylphénidate comme contrôle étaient pourrait permettre d'augmenter le seuil épi-
exclues. Seules quatre études réalisaient des éva- leptogène et réduire la propagation de la crise
luations d'efficacité « en aveugle » par rapport au ­épileptique.

191
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Deux méta-analyses ont été réalisées [27, 28]. Les protocoles de neurofeedback de type
Sterman a conduit une méta-analyse sur vingt- relaxation pourraient donc être proposés comme
quatre études, publiées entre 1972 et 1996, alternative aux patients n'arrivant pas à se relaxer
incluant au total 243 patients, souffrant pour la grâce aux autres techniques. De plus, la relaxa-
plupart d'épilepsie pharmacorésistante et sui- tion obtenue par neurofeedback ferait intervenir
vant un protocole de neurofeedback activateur des régulations de la vigilance de l'axe réticulo-­
par SMR. Il concluait que 82 % des patients thalamo-cortical plutôt que des régulations du
présentaient une réduction de plus de 50 % du fonctionnement viscéral sympathique et para-
nombre de crises épileptiques après biofeedback sympathique [2]. Ce type de relaxation pourrait
[27]
. Aucune taille d'effet n'a cependant été cal- donc être d'un intérêt non négligeable pour la
culée. Tan et  al. ont conduit une méta-analyse prise en charge de troubles faisant intervenir plus
plus aboutie incluant 87 patients souffrant d'épi- spécifiquement un éveil cortical excessif, comme
lepsie pharmacorésistante sur dix études qu'ils c'est le cas dans l'insomnie.
ont jugées bien contrôlées. Les études devaient Cependant, le protocole de neurofeedback
respecter certains ­critères : être prospectives, présentant le meilleur niveau de preuve pour la
décrire les populations incluses (c'est-à-dire pré- prise en charge de l'insomnie est paradoxalement
ciser le type d'épilepsie pharmacorésistante), un protocole d'activation sur SMR. Le protocole
fournir les données sur la fréquence des crises sur SMR favorise un état de maintien attention-
de manière individuelle et non sur des groupes, nel associé à une détente musculaire et, contrai-
avant et après intervention et, enfin, avoir été rement au protocole sur la bande bêta, permet
publiées dans une revue avec comité de lec- une augmentation de la densité des fuseaux de
ture [28]. Neuf études impliquaient un protocole sommeil et une réduction des mouvements pha-
de neurofeedback sur SMR (avec des tailles siques pendant le sommeil. Trois études bien
d'échantillon variant entre trois et huit sujets) et conduites viennent confirmer l'intérêt de ce type
un protocole sur SCP (avec une taille d'échantil- de protocole de neurofeedback dans l'insomnie
lon de trente-quatre sujets) [18] : 74 % des patients primaire sans comorbidités psychiatriques [31, 33].
présentaient une réduction du nombre de crises Le nombre d'études est pour le moment réduit et
d'épilepsie après la fin du protocole. Du fait de la aucune méta-analyse concernant l'indication du
faible taille des échantillons, la taille d'effet a été neurofeedback dans l'insomnie primaire n'a été
calculée par le g de Hedge. La taille d'effet était réalisée. La place de protocoles de neurofeedback
statistiquement significative avec une valeur du de type relaxation, comparativement au proto-
g de – 0,199, ce qui est une taille d'effet faible. cole sur SMR, en cas de comorbidité psychia-
trique de type trouble anxieux reste également à
Troubles anxieux et insomnie explorer. Il semble cependant possible de conseil-
ler le neurofeedback dans l'insomnie primaire
Concernant les protocoles de neurofeedback de
en cas d'échec des stratégies cognitivo-compor-
type relaxation, leur place dans la prise en charge
tementales indiquées en première intention. Par
des troubles anxieux reste problématique, en rai-
ailleurs, il est intéressant de noter que la présence
son d'une efficacité par ailleurs bien établie des
des fuseaux de sommeil serait liée aux capacités
thérapies cognitivo-comportementales associées
d'apprentissage et de mémorisation, reflétant les
aux techniques de relaxation [29] ; parmi celles-ci la
possibilités de plasticité synaptique [34]. Le pro-
technique de biofeedback appelée cohérence car-
tocole de neuro­feedback sur SMR pourrait donc
diaque y trouve une place d'intérêt [30].
avoir un effet complémentaire bénéfique sur
Cependant, il faut souligner que la relaxation
la mémorisation [35].
obtenue par neurofeedback est probablement dif-
férente de la relaxation obtenue par les techniques
de biofeedback, puisque le rythme cardiaque, la Perspectives
conductance cutanée ou la tension musculaire ne Les études récentes sur l'efficacité du neurofeed-
sont pas forcément modifiés de manière concomi- back présentent une qualité méthodologique
tante à l'augmentation de la puissance spectrale qui tend à s'améliorer en cherchant à regrouper
dans la bande alpha [2]. les critères à la fois de la recherche biomédicale

192
Chapitre 9. Neurofeedback

contemporaine et de l'Evidence-Based Medicine tion de haute qualité pour mesurer avec préci-
(populations de taille adéquate, randomisation sion et fiabilité l'activité neurophysiologique. La
en double aveugle, groupe contrôle apparié, étude miniaturisation du matériel de neurophysiologie
du maintien de l'efficacité dans le temps) [3, 36]. Il ­participe probablement au renouveau actuel du
s'agit d'une évolution salutaire pour la crédibi- neurofeedback, en rendant accessible dans n'im-
lité du neurofeedback en neuropsychiatrie [37]. En porte quelle salle de consultation une instrumen-
effet, l'utilisation d'une machine électrique sou- tation de qualité.
lève des questions particulières concernant l'effet Il est essentiel cependant que le praticien utili-
placebo [38, 39] (cf. chapitre 1). D'autres études sont sant le neurofeedback connaisse bien son matériel
donc nécessaires pour affirmer définitivement d'électrophysiologie et les bases d'ingénierie bio-
l'efficacité du neurofeedback, en particulier pour médicale sous-tendant sa pratique (cf. chapitres
l'insomnie. Des études d'évaluation du maintien 1 et 3). Comme le soulignait Rémond : « On ne
d'efficacité dans le temps et d'amélioration du saurait trop conseiller aux nouveaux venus à la
fonctionnement et de la qualité de vie sont néces- pratique du biofeedback et désireux d'utiliser des
saires [3, 20, 36]. Cependant, le niveau de preuve signaux EEG d'aller visiter à plusieurs reprises un
semble suffisant pour pouvoir indiquer le neu- laboratoire d'EEG dans un hôpital proche [2]. »
rofeedback, dans le cadre d'une prise en charge Les instruments développés sont constitués
globale chez les patients souffrant de TDAH (en d'un matériel de capture du signal électrophysio-
particulier les enfants et adolescents), d'épilep- logique provenant du cerveau et d'un logiciel de
sie pharmacorésistante et d'insomnie primaire traitement et de production de signaux de feed-
ne répondant pas à la prise en charge cognitivo-­ back auditifs ou visuels compréhensibles pour le
comportementale classique. patient (figures 9.4 et 9.5).
Les études à venir viendront très probablement L'objectif est triple :
confirmer l'efficacité de cette thérapeutique dans • surveiller de manière continue un signal élec-
ces troubles et ouvriront peut-être des indica- trophysiologique (pour le thérapeute) ;
tions dans d'autres troubles neurologiques et • mesurer objectivement un paramètre issu de ce
psychiatriques (schizophrénie, trouble de l'hu- signal (pour le thérapeute) ;
meur, trouble anxieux, migraine, etc.) [7, 13, 40]. Il • présenter ces signaux sous forme d'information
est cependant important que la qualité métho- compréhensible pour permettre à celui qui les
dologique de ces futures études ne se fasse pas au a produits de les observer afin de les modifier
détriment de la qualité de la conduite des séances (pour le patient).
de neurofeedback elles-mêmes. Il est intéressant
de noter que, si les premières études sur le neuro­
feedback dans le TDAH contrôlaient la qualité de Capture du signal
l'apprentissage au cours de la séance et au cours de neurophysiologique
la cure, ce critère n'apparaît plus dans les études
La capture du signal électrophysiologique céré-
récentes présentant des groupes contrôles cepen-
bral nécessite des électrodes d'EEG permettant
dant de meilleure qualité. Par ailleurs, la pos-
de saisir à la surface du scalp l'activité électro-
sibilité du transfert des compétences dans la vie
physiologique d'origine corticale. Ces électrodes
quotidienne n'est généralement pas contrôlée [3, 36].
sont branchées sur un boîtier d'enregistrement
Ces conditions de bonne pratique du neurofeed-
constitué d'amplificateurs différentiels (permet-
back lui-même sont le pendant indispensable aux
tant d'augmenter l'amplitude de l'activité élec-
études de preuve d'efficacité bien construites.
trophysiologique mesurée) et d'un convertisseur
analogique digital (permettant de numériser le
signal) (cf. chapitre 2). Ce boîtier sera connecté
Matériel par USB ou par réseau sans fil à l'ordinateur. Le
matériel varie en fonction du nombre de voies
Le neurofeedback constitue un domaine intéres- EEG enregistrables. L'enregistrement de l'activité
sant de la remédiation cognitive en médecine, EEG n'est pas spécifique d'une électrode don-
mais il n'existerait pas sans une instrumenta- née, mais seulement de la différence de ­potentiel

193
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Figure 9.4. Schéma du matériel nécessaire au neurofeedback.


(D'après Rémond A, Rémond A. Biofeedback : principes et applications. Paris : Masson ; 1997.)

Figure 9.5. Illustration du matériel nécessaire au neurofeedback.

194
Chapitre 9. Neurofeedback

entre deux ­électrodes : l'une est dite active et Enfin, il faut noter que les données EEG obte-
l'autre de référence, l'activité EEG étant pour ainsi nues prennent une place non négligeable sur le
dire soustraite l'une de l'autre. Une électrode de disque dur (d'une centaine de Mo par séance) et
terre commune est nécessaire afin d'assurer une nécessitent que celui-ci soit d'une capacité impor-
amplification différentielle permettant une réjec- tante (> 128 Go).
tion en mode commun de certains artefacts. Une
voie nécessite donc au minimum trois électrodes
(figure 9.6). Logiciel de traitement du signal
La plupart des matériels disponibles en clinique
Le signal numérisé est transmis à l'ordinateur puis
possèdent une ou deux voies. Les matériels dis-
traité afin d'en extraire le paramètre d'intérêt, en
ponibles en recherche peuvent disposer de davan-
particulier la puissance spectrale dans une bande
tage de voies mais leur utilité n'est pas démontrée
fréquentielle donnée. Le paramètre d'intérêt doit
actuellement en pratique clinique courante.
être restitué d'une manière pertinente afin de
Une bonne qualité des amplificateurs est néces-
réduire le plus efficacement possible l'écart entre
saire afin d'amplifier sans distorsion le signal
l'information neurophysiologique fournie au sujet
d'intérêt pour le neurofeedback. La fréquence
et l'activité neurocognitive que celui-ci essaiera de
d'échantillonnage pour le neurofeedback doit
mettre en place en regard [2] (cf. figure 9.4). L'ob-
être plus élevée que pour les enregistrements
jectif est de créer une boucle psychophysiologique
de signaux non électroencéphalographiques,
que le patient comprenne et arrive à contrôler
comme la conductance cutanée ou la fréquence
(et à s'approprier) aisément [6]. Le traitement du
respiratoire, utilisés dans d'autres techniques
signal doit permettre au dispositif d'être vécu
de biofeedback. Elle est généralement similaire
par le patient comme une extension, c'est-à-dire
à la ­fréquence d'échantillonnage en EEG clas-
comme une sorte de matérialisation de la boucle
sique. Ces paramètres sont des caractéristiques
sensorimotrice naturelle impliquée dans les com-
importantes à prendre en compte avant l'achat de
portements. L'information neurophysiologique
matériel de neurofeedback. L'aide d'un ingénieur
­fournie de manière continue en temps réel permet
biomédical dans le choix du matériel peut donc
à l'individu d'avoir accès à une nouvelle boucle
s'avérer très utile.
dont il n'a habituellement pas conscience : son
Des électrodes spécifiques, moins sujettes au
activité cérébrale psychophysiologique et ses sub-
potentiel d'électrode, et une voie EEG avec une
tiles fluctuations de la vigilance.
amplification et une bande passante spécifiques
Pour ce faire, il est nécessaire d'appliquer des
sont nécessaires pour réaliser des séances de
filtres et de décomposer le signal EEG par trans-
neuro­feedback avec SCP. Une voie pour la mesure
formée de Fourier afin d'évaluer son amplitude
de la fréquence respiratoire et une voie pour les
dans la bande fréquentielle choisie. La valeur de
artefacts de mouvements oculaires sont générale-
la puissance spectrale est ensuite mise en forme
ment nécessaires dans ces conditions.
pour obtenir le signal visuel ou auditif transmis
au sujet. Un moyennage glissant peut être réalisé
entre les époques sur lesquelles l'analyse spectrale
est réalisée. Il permet un rendu plus fluide des
fluctuations d'amplitude. Un système de comp-
tage de points est nécessaire afin d'indiquer au
sujet au cours de la séance le nombre de retours
positifs obtenus.
Le retour du signal transmis au sujet peut être
plus ou moins simple. Une tendance des nou-
veaux logiciels est d'intégrer le signal dans une
interface ludique, ressemblant à des jeux vidéo.
Si ces interfaces peuvent permettre de renforcer
Figure 9.6. Montage minimal pour enregistrer la motivation des patients, il a été souligné qu'elles
un signal EEG. risquent [1, 3, 16] :

195
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

• de fournir au patient une somme d'informa-


tions trop importante et donc de réduire l'effet
Conduite pratique d'une cure
du neurofeedback en diluant l'information par neurofeedback
d'intérêt de la boucle psychophysiologique ;
• de conduire à une association non pas psy- La pratique du neurofeedback nécessite une for-
chophysiologique entre le retour positif et mation clinique et thérapeutique préalable indis-
l'activité neurocognitive réalisée, mais entre pensable. Elle implique de suivre une procédure
le retour positif et l'animation ludique ren- de mise en œuvre préalablement établie par le
due par l'interface, ce qui peut être considéré thérapeute. Elle requiert une salle dédiée, cli-
comme un frein à la création de la boucle psy- matisée, permettant le déroulement des séances
chophysiologique discutée précédemment et dans des conditions optimales. La proximité d'un
au transfert de compétence dans la vie quoti- point d'eau est essentielle pour assurer l'entre-
dienne. tien et l'utilisation correcte des électrodes d'EEG
Il est donc conseillé de fournir au patient un (figure 9.7).
retour du signal de neurofeedback simple plutôt
que complexe, la motivation étant principale-
ment renforcée par le thérapeute plutôt que par le Examen pré-neurofeedback
caractère ludique de l'interface.
Clinique : sévérité des symptômes
Le logiciel doit également permettre de séquen-
cer les séances afin de pouvoir faire succéder les et des signes cliniques
périodes d'entraînement aux périodes de repos. Le neurofeedback peut actuellement être proposé
Cette fonctionnalité, permettant la structuration dans les indications suivantes : TDAH et épilep-
de la séance, est particulièrement importante sie pharmacorésistante. Il peut être envisagé dans
pour les protocoles d'activation. l'insomnie primaire en cas d'échec d'une théra-
Enfin, le logiciel doit permettre de stocker les pie cognitivo-comportementale proposée en pre-
enregistrements et gérer la base de données créée mière intention. L'indication ne peut se confirmer
au cours d'une séance. À partir des données enre- qu'après évaluation rigoureuse : du sous-type de
gistrées au cours d'une séance, le logiciel doit per- trouble, de la sévérité des symptômes et signes cli-
mettre d'extraire l'information à la fin de celle-ci. niques, des comorbidités psychiatriques et médi-
Ceci permet d'établir un rapport de séance, qu'il cales, de la présence d'un retard mental associé, et
est essentiel de fournir au patient, et qui com- après anamnèse rigoureuse de l'histoire de la prise
prend le paramètre représentant sa performance en charge [3].
d'entraînement au cours de la séance. Le système Les outils d'évaluation par autoquestionnaire
de gestion de base de données doit également per- ou par agenda de la sévérité des symptômes qui
mettre d'inscrire le résultat de la séance dans la peuvent être utilisés sont les suivants :
succession des séances précédentes, afin de four- • pour le TDAH chez l'adulte : la CAARS
nir au patient une visualisation de son évolution (Conners' Adult ADHD Rating Scale), consti-
et identifier ainsi une courbe d'apprentissage. De tuée de vingt-six items, ou l'ASRS (Adult ADHD
la même manière, il sera essentiel de remettre au Self-Report Scale), constituée de dix-neuf items
patient un rapport de fin de cure par neurofeed- (cf. Annexe 1). Chez l'enfant, l'évaluation passe
back. par celle des parents et des enseignants, en uti-
L'ensemble de ces paramètres constitue un lisant traditionnellement l'échelle de Conners
cahier des charges minimum qui doit être rempli CPRS (pour les parents) et CTRS (pour les
avant l'achat du logiciel de neurofeedback. Aucun enseignants) (cf. Annexes 2 et 3) ;
logiciel ne présente des qualités optimales dans • pour l'épilepsie : un agenda de crise ;
tous les domaines. Il est essentiel que le théra- • pour l'insomnie primaire : l'index de sévérité de
peute désireux de pratiquer le neurofeedback uti- l'insomnie (ISI), un agenda du sommeil, voire
lise un logiciel avec lequel il se sente à l'aise afin une actimétrie ;
d'assurer un accompagnement optimal et fluide • une évaluation systématique de la symptoma-
au patient. tologie dépressive (par exemple par la Beck

196
Chapitre 9. Neurofeedback

Figure 9.7. Illustration d'une salle dédiée au neurofeedback.

Depression Inventory, BDI, constitué de treize Neurophysiologique :


items) et anxieuse (par exemple par la State- EEG quantifié et potentiels
Trait Anxiety Inventory, STAI, formée d'une
échelle d'anxiété état et d'une échelle d'anxiété
évoqués cognitifs
trait, chacune constituée de vingt items), peut Différents auteurs ont proposé d'adapter les bandes
être proposée également, quelle que soit la fréquentielles ciblées dans les protocoles de neuro-
pathologie ciblée par le neurofeedback. feedback suite à un bilan neurophysiologique par
Ces évaluations permettront de suivre l'évolu- EEG quantifié [15, 41]. Il s'agit alors de protocoles de
tion et l'amélioration des symptômes au cours des neurofeedback plus personnalisés, adaptés aux
séances et après le traitement par neurofeedback. bandes fréquentielles dans lesquelles les anomalies
Une prise en charge par neurofeedback ne d'amplitudes sont les plus déviantes par rapport à
doit pas contre-indiquer d'autres thérapeutiques une population témoin [41]. Cependant la perti-
intercurrentes, en particulier le méthylphéni- nence diagnostique de l'EEG quantifié pour les
date dans le TDAH, les antiépileptiques et une troubles psychiatriques reste discutée [42], de même
possible indication chirurgicale dans l'épilepsie que la fiabilité de la méthode [43] (cf. chapitre 3). Par
pharmacorésistante et la thérapie cognitivo- ailleurs, il existe peu d'études permettant d'affir-
comportementale dans l'insomnie primaire. Le mer que les protocoles de neurofeedback ciblant
neurofeedback ne peut être indiqué que dans le des bandes fréquentielles personnalisées seraient
cadre d'une prise en charge coordonnée et non plus efficaces que des protocoles classiques. En
exclusive. l'état actuel, il semble donc plus précautionneux
Le neurofeedback suppose une participation d'utiliser les protocoles de neurofeedback clas-
active du patient qui doit donc connaître et siques, qui présentent un niveau de preuve suffi-
comprendre son trouble. L'évaluation quanti- sant [23]. Des protocoles personnalisés sont en cours
fiée des symptômes doit être l'occasion égale- d'évaluation en recherche clinique [41].
ment d'évaluer avec le patient (et la famille pour L'EEG quantifié et les potentiels évoqués cogni-
les enfants) la compréhension et la conscience tifs pourraient être cependant utilisés pour [20, 44] :
de son trouble et ses attentes par rapport aux • prédire la réponse au neurofeedback ;
symptômes, signes et répercussions fonction- • suivre l'efficacité du neurofeedback sur des cri-
nelles de celui-ci. tères neurophysiologiques.

197
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

En effet, il a été montré dans le TDAH que ces tionnaire à six items permettant de recueillir des
paramètres neurophysiologiques pouvaient pré- informations sur les personnes sur lesquelles le
dire la réponse et étaient modifiés au cours des patient compte pour l'aider dans six situations.
séances de neurofeedback [20]. Suivre les modifica- Enfin, les stratégies d'ajustement peuvent s'éva-
tions neurophysiologiques obtenues au cours des luer par la WCC-R (Ways of Coping Checklist-
séances de neurofeedback est en effet un critère Revised). Il s'agit d'un questionnaire à vingt-sept
important en faveur d'une spécificité d'action items permettant d'évaluer si les stratégies sont
du neurofeedback [20]. Cependant ces techniques plutôt centrées sur le problème (stratégie cogni-
nécessitent une méthodologie spécifique et tive), sur l'émotion ou sur le soutien social.
doivent, à notre avis, être pour l'instant limitées Un patient présentant un lieu de contrôle
aux services de neurophysiologie dans le cadre de interne avec un soutien social perçu de bonne qua-
protocoles de recherche clinique (cf. chapitre 5). lité (avec un entourage qui adhérera également au
principe du neurofeedback) et avec des stratégies
d'ajustement cognitives sera plus à même de par-
Psychologique ticiper activement aux séances de neurofeedback
Il n'existe pas de contre-indication médicale au centrées sur l'axe de la vigilance (cf. figure  9.2).
neurofeedback. Cependant, il est indispensable Les patients présentant des représentations de
de tenir compte des représentations du patient santé moins adaptées au principe du neurofeed-
concernant son trouble afin de proposer cette back devront être informés de manière attentive
thérapeutique, qui demande une motivation sur les attentes de la technique, notamment sur le
importante, à un patient adhérant au principe du renforcement du sentiment de contrôlabilité que
neurofeedback. pourraient lui fournir les séances sur son trouble.
La mesure par autoquestionnaire du stress Cela s'avère particulièrement intéressant dans le
perçu, du contrôle perçu, du soutien social perçu TDAH et l'épilepsie pharmacorésistante, où le
et des stratégies d'ajustement peut être l'occasion neurofeedback peut permettre de développer des
d'évaluer avec le patient les stratégies comporte- stratégies d'ajustement réduisant ainsi l'impact du
mentales et cognitives mises en place par rapport trouble sur le bien-être physique et psychologique.
à sa maladie, et identifier avec lui comment le
neurofeedback pourra l'aider à percevoir et à amé-
liorer ses stratégies au cours de la séance et dans la Préparation du patient
vie quotidienne. La préparation du patient est double, « psycho-
Le stress perçu peut s'évaluer par la PSS 14 (Per- logique » par des instructions fournies claires
ceived Stress Scale). Il s'agit d'un autoquestion- et complètes, et « physiologique » par la mise en
naire à quatorze items. place des outils nécessaires à la capture du signal
Le contrôle perçu peut s'évaluer par la MHLS neurophysiologique.
(Multidimensional Health Locus of Control Scale).
Il s'agit d'un questionnaire à dix-huit items qui ne
mesure pas directement le contrôle perçu dans Préparation psychologique
une situation donnée mais le lieu de contrôle, Tout d'abord, il faut informer le patient sur l'inno-
c'est-à-dire la disposition du patient à envisager cuité de la procédure et souligner que contraire-
un contrôle interne ou externe de sa santé. Un ment aux autres techniques neurophysiologiques
lieu de contrôle interne indique une disposition thérapeutiques présentées dans cet ouvrage (cf.
à attribuer à soi-même la possibilité de contrôler chapitres 7 et 8), le neurofeedback ne fait qu'enre-
sa santé. Un lieu de contrôle externe indique une gistrer l'activité cérébrale et ne stimule pas électri-
disposition à attribuer à des éléments extérieurs quement le cerveau. Il doit être expliqué au patient
la possibilité de contrôler sa santé : soit à des per- que les capteurs externes utilisés permettent d'ap-
sonnages tout-puissants, soit à la chance. Le type porter une information sur l'état actuel d'un pro-
de lieu de contrôle pourrait influencer la perfor- cessus neurocognitif.
mance au cours de séances de neurofeedback [45]. Le patient doit ensuite comprendre le principe
Le soutien social peut s'évaluer par la SSQ 6 du biofeedback auquel le neurofeedback appar-
(Social Support Questionnaire). Il s'agit d'un ques- tient. Le principe peut être illustré, comme le

198
Chapitre 9. Neurofeedback

propose Rémond, en faisant appel à l'image du rofeedback n'agit donc pas seul et l'apprentissage
bateau que son navigateur oriente vers un cap qu'il permet ne se réalise que si les instructions et
bien défini  [2]. Du fait d'événements divers, le l'accompagnement fournis sont adaptés.
bateau dévie continuellement de son cap. Le Une plaquette d'information peut être four-
navigateur estime l'importance de la déviation et nie au patient. Il s'agit également de prévenir le
applique au gouvernail une correction pour que patient de la qualité parfois décevante de certains
le bateau retrouve son cap initial [2]. Le biofeed- sites Internet sur le neurofeedback en France. Le
back, plus particulièrement le neurofeedback, est patient pourra être orienté sur le site biofeedback.
une méthode qui permet au patient de prendre fr qui est une plateforme d'information complète
conscience de certaines activités neurocognitives et rigoureuse sur le neurofeedback.
(et de leurs déviations), de les identifier avec l'in-
tention de les modifier (les corriger), au travers
d'une série d'essais successifs, afin d'obtenir un Préparation physiologique
effet désiré (un cap défini au préalable) [2]. Elle consiste essentiellement au positionnement
Le patient doit donc comprendre que le bio- des électrodes chez un patient rassuré et en posi-
feedback est un apprentissage qui nécessite de tion confortable. Il a pu être proposé d'adapter le
sa part une activité et une motivation, d'autant positionnement des électrodes suite à un bilan
que les effets ne sont pas forcément rapides ni neurophysiologique en EEG quantifié. Il s'agit
faciles à mettre en place. Il lui est signifié que le alors d'un protocole de neurofeedback personna-
thérapeute pourra le guider pour l'aider à trou- lisé aux anomalies identifiées par qEEG. Dans ce
ver plus facilement les tactiques les plus efficaces cas, l'objectif est de positionner l'électrode sur la
dans un protocole de neurofeedback donné. Ces région présentant les déviations les plus impor-
tactiques ne seront cependant pas complètement tantes par rapport à une population ­standard.
imposées de l'extérieur et seront testées par le Cependant, il existe peu d'études permettant
sujet lui-même, afin qu'il puisse observer les d'affirmer que les protocoles de neurofeedback
effets obtenus et les optimiser à sa propre psy- personnalisés seraient plus efficaces que des pro-
chophysiologie. L'efficacité de ces techniques lui tocoles classiques. En l'état actuel, il semble donc
sera indiquée au cours de la séance et au cours plus précautionneux d'utiliser les protocoles de
des séances successives. neurofeedback classiques, avec un positionne-
Le patient doit être informé des bénéfices ment d'électrode qui présente un niveau de preuve
attendus sur son trouble en fonction des données suffisant.
actuelles de la science mais également des limita- Le positionnement classique des électrodes se
tions du neurofeedback. Les limitations sont : fait suivant le placement international 10/20 de la
• le nombre de séances nécessaires (entre 20 et manière suivante :
40) pour obtenir un effet ; • l'électrode active est en Cz pour les protocoles
• la nécessité d'un effort pendant les séances ; d'activation ou pour les protocoles utilisant les
• un maintien de la motivation pendant les SCP, en Pz ou Oz pour les protocoles de relaxa-
séances ; tion ;
• le collage d'électrodes avec pâte conductrice à • l'électrode de terre est sur la mastoïde ou le lobe
chaque séance ; de l'oreille ;
• la poursuite des autres thérapeutiques initiées. • l'électrode de référence est sur la mastoïde ou le
L'apprentissage par neurofeedback nécessite lobe de l'oreille controlatérale (figure 9.6).
une participation active du patient : il doit parfai- Les protocoles avec SCP nécessitent de placer
tement comprendre le principe psychophysiolo- l'électrode quelques minutes avant le début de la
gique de la technique, rester disponible, et exercer séance afin de stabiliser le potentiel d'électrode (et
sa persévérance pour apprendre et perfectionner de contrôler ainsi la dérive).
de nouvelles activités neurocognitives pouvant Le positionnement des électrodes, comme pour
avoir un effet clinique transférable dans la vie l'EEG conventionnel, nécessite :
quotidienne et durable dans le temps [2]. La qualité • le nettoyage et décapage du cuir chevelu ;
des effets du neurofeedback est largement dépen- • le positionnement de l'électrode avec une pâte
dante de ces paramètres psychologiques. Le neu- conductrice de qualité.

199
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Une fois les électrodes positionnées, le contrôle trale (cf. chapitre 3). Une valeur de puissance au
des impédances est indispensable. L'impédance cours du temps est attribuée à chaque bande spec-
doit être inférieure à 5 kΩ. En cas d'impédance trale d'intérêt (thêta : 3,5–7 Hz, alpha : 8–13 Hz,
supérieure, la procédure de positionnement des bêta : > 14 Hz). La puissance correspond au carré
électrodes doit être reprise. du voltage moyen pendant une durée donnée. Le
La préparation physiologique du patient néces- patient va être amené, par le protocole de neuro-
site une minutie importante, la qualité du signal feedback, à modifier la valeur de cette puissance
EEG enregistré déterminant la qualité de la séance. spectrale. Deux paramètres sont à fixer :
Cette préparation prend du temps et il faut garder • premièrement un seuil, c'est-à-dire une valeur
à l'esprit l'état mental du patient pendant cette en puissance au-dessus (ou au-dessous) de
préparation. Un état d'anxiété anticipatoire ou, au laquelle le patient obtiendra une information
contraire, un état de somnolence peuvent en effet différente. Il peut par exemple s'agir d'une barre
représenter une limitation à la validité de la séance, indiquant la valeur de la puissance spectrale qui
car l'efficacité d'apprentissage en dépend [2]. Avant deviendra verte au-dessus du seuil et rouge en
de débuter la séance, il faut expliquer au patient la dessous du seuil, ou d'un son qui apparaîtra au-
nécessité de rester dans une position confortable, dessus du seuil, etc. ;
plutôt immobile pour éviter les artefacts, avec • deuxièmement un temps d'occupation, c'est-­
une attention portée aux stimulus attendus et à la à-dire une durée pendant laquelle la puissance a
capacité à écarter ceux qui ne sont pas pertinents. été au-dessus (ou au-dessous) du seuil et à par-
L'objectif est de placer le patient dans une situation tir de laquelle le thérapeute a fixé qu'un retour
d'attente calme et de préparation à l'effort qui lui positif (ou renforcement) est fourni au patient.
sera demandé pendant la séance. Il peut s'agir par exemple de points gagnés ou
de l'avancement d'une barre de progression [2].
La séance L'ajustement d'un seuil et d'un temps d'occu-
pation donnés permet de déterminer le nombre
Rejet des artefacts : analyse de retours positifs, afin de renforcer le patient
visuelle du tracé EEG dans un type d'activité neurocognitive efficace
La pratique du neurofeedback nécessite avant tout au cours de la séance et en fonction de l'objectif
de savoir lire un EEG (cf. chapitre 3). La première défini. C'est donc l'adaptation de ces deux para-
phase, avant de débuter la séance proprement dite, mètres qui permet d'optimiser la stratégie d'ap-
consiste donc à observer visuellement et directe- prentissage et la motivation du patient au cours
ment l'activité spontanée de l'EEG afin de repérer des séances. Elle implique de connaître le nombre
la présence d'artefacts techniques ou physiolo- optimal de renforcements positifs au cours d'une
giques (figure  9.4). Toute anomalie doit impéra- séance. L'objectif est en effet de fournir ni trop peu
tivement être corrigée afin que l'enregistrement de retours positifs, ce qui pourrait décourager le
du signal EEG soit impeccable avant de débuter patient, ni trop de retours positifs, ce qui pour-
des mesures quantifiées objectives et de fournir rait limiter son développement et sa recherche de
au patient une information d'intérêt dans le cadre nouvelles stratégies performantes [17]. L'ajustement
d'un protocole de neurofeedback déterminé. de ces paramètres pose cependant le problème
Concernant les SCP, il faut évaluer la présence de leurs déterminations. Ce point reste d'ailleurs
d'une dérive lente spontanée. Après stabilisation de problématique dans la littérature sur le neuro-
cette dérive lente, une réinitialisation de la ligne de feedback  [17,  23]. Si les protocoles de neurofeedback
base au niveau du convertisseur analogique digital concernant le positionnement des électrodes et la
peut être nécessaire avant de débuter la séance. bande fréquentielle font relativement consensus,
ce n'est pas le cas pour le seuil et le temps d'occu-
pation. Il est cependant accepté, d'une part, qu'un
Seuil de renforcement : analyse score quantitatif de réussite doit être fourni au
quantifiée du tracé EEG patient et, d'autre part, qu'un nombre de retours
Après l'analyse visuelle vient la phase de l'analyse positifs d'environ 600 à 800 par séance est à
quantifiée. Il s'agit en particulier de l'analyse spec- rechercher pour les protocoles d'activation [16].

200
Chapitre 9. Neurofeedback

Le seuil de récompense peut être fixé automati- est d'apprendre au sujet à augmenter la puissance
quement ou manuellement : spectrale dans la bande bêta. Cependant, ils y asso-
• lorsqu'un seuil est fixé automatiquement, le cient souvent l'apprentissage d'une diminution des
thérapeute détermine le pourcentage de temps puissances spectrales dans la bande thêta et dans
d'occupation au-dessus du seuil. Ce pourcen- une bande haute fréquence qui correspond en fait
tage est souvent retrouvé autour de 60–80 %. Le aux activités musculaires liées au mouvement. En
seuil en puissance spectrale évolue quant à lui effet, en cas de mouvement ou d'artefact d'un autre
continuellement et automatiquement au cours type créé par le patient, la puissance spectrale peut
de la séance afin d'assurer un temps d'occu- être augmentée dans toutes les bandes spectrales.
pation constant. À partir d'une durée conti- En l'absence de l'adjonction de ces deux autres
nue d'occupation au-dessus du seuil d'environ bandes (thêta et haute fréquence), dites « de garde »,
0,5  seconde  [1], un retour positif (ou renforce- le patient pourrait être à même de faire augmenter
ment) sera fourni au sujet. Le seuil automatique la puissance spectrale dans la bande bêta par des
présente l'avantage de fixer un temps d'occupa- stratégies non liées à son activité d'origine céré-
tion (et un taux de retour positif) globalement brale, par exemple en bougeant. L'adjonction de ces
similaire quel que soit le patient. Il a donc été deux autres bandes permet donc d'éviter ce biais et
utilisé dans des protocoles contrôlés randomi- de rendre plus spécifique la boucle psychophysio­
sés contre placebo, afin de rendre le groupe avec logique mise en place [1]. Une autre stratégie serait
feedback réel et feedback placebo similaires. de tenir compte des puissances spectrales relatives,
L'ajustement automatique du seuil implique mais ce type de protocole est moins utilisé  [16]. La
cependant un retour positif quel que soit l'effort tâche demandée au patient est d'être éveillé, atten-
que le sujet pourrait réaliser et fait courir le tif mais détendu. Un seuil est donc fixé pour la
risque de ne pas favoriser de manière optimale bande bêta (au-dessus duquel un retour positif peut
la recherche de stratégies neurocognitives par le être obtenu si la durée minimale de temps d'occu-
sujet [1] ; pation est atteinte), mais également pour la bande
• lorsqu'un seuil est fixé manuellement, le théra- thêta et la bande haute fréquence (au-dessus duquel
peute le détermine avant chaque séance en fonc- le retour positif possiblement obtenu dans la bande
tion de l'enregistrement d'une ligne de base et du bêta sera inhibé). Il est cependant nécessaire de
calcul des puissances spectrales moyennes dans connaître la formule permettant de déterminer le
les bandes fréquentielles d'intérêt au cours de pourcentage de temps d'occupation en fonction de
cet enregistrement. Cette valeur servira de réfé- ces trois seuils.
rence aux mesures qui seront ensuite recueillies Si on appelle T le pourcentage de temps d'occu-
au cours de la séance. L'obtention de cette ligne pation au-dessus d'un certain seuil pour la bande
de base nécessite une phase de stabilisation et thêta (pourcentage d'inhibition), B le pourcentage
de retour au calme d'une durée suffisante après de temps d'occupation au-dessus d'un certain
la phase de préparation psychologique et phy- seuil pour la bande bêta (pourcentage de renfor-
siologique du patient. Elle doit cependant être cement), et M le pourcentage de temps d'occupa-
répétée avant chaque séance du fait des chan- tion au-dessus d'un certain seuil pour les hautes
gements qui peuvent intervenir d'une séance fréquences (pourcentage d'inhibition), alors le
à l'autre. Le thérapeute pourra être amené à la pourcentage de temps d'occupation pendant la
modifier manuellement au cours de la séance si séance S sera [16] :
le temps d'occupation s'avère trop faible (proto- S = (1 – T) × B × (1 – M)
cole trop difficile) ou trop élevé (protocole trop Un même pourcentage de temps d'occupation
facile). Des changements de la ligne de base peut donc être obtenu avec des seuils différents
peuvent en effet apparaître pendant la séance, dans les trois bandes spectrales, protocole qui, à
en relation avec les stimulus du protocole et les l'extrême, pourrait n'être qu'un protocole de ren-
conditions expérimentales variées. forcement dans la bande bêta ou qu'un protocole
Il faut noter une subtilité importante concer- d'inhibition dans la bande thêta ou dans l'activité
nant l'ajustement des seuils, en particulier pour les musculaire [16].
protocoles d'activation. L'objectif de ces protocoles Les exemples suivants peuvent être donnés.

201
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Protocole d'activation 1 1 à 4 secondes de ligne de base, puis une phase


• Pourcentage de temps d'occupation pour la d'essai de 6 à 8 secondes où le patient est conduit
bande thêta : T = 20 %. à s'entraîner à produire un potentiel lent positif
• Pourcentage de temps d'occupation pour la ou négatif par rapport à la moyenne de la ligne
bande bêta : B = 80 %. de base précédant les stimulus [17]. Un stimulus
• Pourcentage de temps d'occupation pour les sonore ou visuel lui indique, avant chaque essai
hautes fréquences : M = 10 %. et juste après la ligne de base, s'il doit produire un
Le pourcentage de temps d'occupation de la potentiel dans le sens négatif ou positif. Lorsque
séance est : le potentiel est produit dans le sens désiré, le
S = (1 – 0,2) × 0,8 × (1 – 0,1) = 0,57 = 57 %. renforcement est fourni à la fois par un retour
Ce protocole renforce surtout la bande bêta. visuel ou sonore continu (par exemple un bateau
Protocole d'activation 2 qui avance ou recule suivant que le potentiel est
• Pourcentage de temps d'occupation pour la produit dans la bonne direction ou pas) et par la
bande thêta : T = 30 %. quantification d'un nombre de points dépendant
• Pourcentage de temps d'occupation pour la du temps d'occupation du signal produit dans le
bande bêta : B = 90 %. sens désiré (figure 9.8 et cf. figure 9.4).
• Pourcentage de temps d'occupation pour les Le patient est d'abord entraîné à produire un
hautes fréquences : M = 10 %. nombre similaire d'essais dans le sens positif et
Le pourcentage de temps d'occupation de la négatif. Après quelques séances, le patient arrive
séance est : généralement à trouver des stratégies neuro-
S = (1 – 0,3) × 0,9 × (1 – 0,1) = 0,57 = 57 %. cognitives efficaces et les séances suivantes
Ce protocole renforce la bande bêta mais tient contiennent un nombre d'essais supérieur pour
compte plus fortement que le protocole 1 de la produire soit des SCP positifs s'il s'agit d'un pro-
bande thêta, et ce pour un pourcentage de temps tocole dans le cadre de la prise en charge d'une
d'occupation de la séance identique.
épilepsie pharmacorésistante, soit des SCP néga-
Protocole d'activation 3 tives s'il s'agit d'un protocole dans le cadre de la
• Pourcentage de temps d'occupation pour la prise en charge d'un TDAH [17].
bande thêta : T = 40 %. Les protocoles de neurofeedback par SCP sont
• Pourcentage de temps d'occupation pour la plus difficiles à mettre en œuvre que les proto-
bande bêta : B = 100 %. coles de neurofeedback utilisant les puissances
• Pourcentage de temps d'occupation pour les spectrales. Ils sont particulièrement sujets aux
hautes fréquences : M = 5 %. artefacts, la respiration et les mouvements ocu-
Le pourcentage de temps d'occupation de la laires produisant en effet des dérives lentes de
séance est : potentiel qu'il faut contrôler. Ces protocoles
S = (1 – 0,4) × 1 × (1 – 0,05) = 0,57 = 57 %.
nécessitent donc généralement un retour tenant
Ce protocole ne renforce plus du tout la bande
compte de la respiration et des mouvements
bêta et consiste surtout à inhiber l'activité dans la
bande thêta : on parle de « thêta squash » [16].
oculaires, afin d'inhiber le retour continu et la
quantification du nombre de points en cas de
production artéfactuelle [17]. Le patient doit éga-
Les différentes méthodes d'adaptation du lement être informé de cette limitation.
seuil n'ont pas été comparées dans la littéra-
ture  [1]. Cependant, c'est l'adaptation manuelle
des seuils qui est conseillée : elle nécessite toute Durée
l'expérience du thérapeute de neurofeedback La durée de la séance de neurofeedback est d'en-
pour adapter ces seuils en fonction des stratégies viron une heure. La préparation psychologique
que le patient essaie au cours de la séance [16]. et physiologique dure environ un quart d'heure
Pour les protocoles de neurofeedback avec SCP, et l'entraînement effectif de 30 à 45 minutes. Les
la séance est séquencée en phases de 10 secondes protocoles d'activation sont généralement séquen-
séparées de courtes pauses. Chaque phase de cés avec des périodes actives (d'environ 5 minutes)
10 secondes contient généralement une durée de et des périodes de repos (d'environ 1 à 2 minutes).

202
Chapitre 9. Neurofeedback

Figure 9.8. Principe d'un protocole de neurofeedback par SCP.

Il est important qu'à chaque séance soit consa- courbes d'entraînement et de courbes d'apprentis-
cré un temps suffisant pour la compréhension de sage est donc nécessaire [15].
la technique et des retours positifs fournis, l'état À la fin de chaque séance une courbe d'entraîne­
des tactiques neurocognitives mise en œuvre par ment peut être visualisée et discutée avec le patient.
le patient et leurs relations avec la réponse neuro­ La courbe d'entraînement permet d'évaluer la
physiologique, la motivation et le sentiment d'effi- performance du sujet et sa capacité à contrôler
cacité personnelle développé, et la possibilité de le paramètre d'intérêt au cours de la séance. Le
transférer les stratégies apprises dans la vie quoti- principe est de comparer la valeur moyenne du
dienne. On ne saura trop répéter que le thérapeute paramètre d'intérêt pendant la période de repos à
joue donc un rôle central dans le déroulement la valeur moyenne pendant la période d'entraîne-
d'une séance de neurofeedback, mais également ment [15]. Une valeur objective de la performance
dans la continuité de l'apprentissage au cours des globale au cours de la séance peut être calculée. La
séances successives. La technicité biomédicale courbe d'entraînement peut être complétée d'un
indispensable à la bonne ­pratique du neurofeed- renforcement dit « secondaire » [1], particulière-
back ne doit donc pas se faire au détriment de l'ac- ment pour les enfants, en fin de séance, par une
compagnement à l'apprentissage ; en particulier, récompense en fonction de la performance glo-
une économie de temps ne peut être recherchée bale au cours de la séance (figure 9.9).
lorsqu'on débute des séances de neurofeedback L'absence d'effet d'entraînement est possible. Il
sous prétexte qu'une partie de l'apprentissage est doit être réévalué toutes les cinq à sept séances.
permise par une machine électrophysiologique [2]. Une courbe d'apprentissage permet d'objectiver
la succession de la valeur de la performance glo-
bale pour une séance au cours des séances succes-
Courbe d'entraînement sives (figure  9.10). Une progression de la valeur
et d'apprentissage de la performance globale doit être observée au
Une question centrale au cours d'une séance et fur et à mesure des séances. En l'absence d'effet
des séances successives de neurofeedback [2, 46] est : d'entraînement après cinq à sept séances et/ou en
« Le patient apprend-il quelque chose ? » l'absence d'effet d'apprentissage suffisant, il fau-
En l'absence de paramètres objectifs, il peut dra en identifier les raisons et adapter le protocole
être difficile pour le patient comme pour le théra- pour les résoudre. Les raisons peuvent être liées
peute de répondre à cette question. L'obtention de au patient ou au thérapeute.

203
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Figure 9.9. Courbe d'entraînement permettant d'évaluer la performance du sujet et sa capacité à


contrôler le paramètre d'intérêt au cours de la séance.
Valeur d’entrainement pour chaque séance

neurofeedback de manière optimale. Peuvent être


notamment envisagés : un changement de proto-
cole, par exemple en passant d'un protocole thêta/
bêta à un protocole SMR, un changement des
seuils et de pourcentages de temps d'occupation,
un changement du temps minimal pour qu'un
retour positif apparaisse, un changement du type
de signal de récompense (signal visuel ou auditif
ou combiné).
Il est également possible que le patient n'ait
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 pas l'impression de faire de progrès alors que le
Numéro de séance paramètre neurophysiologique d'intérêt évolue. Il
Figure 9.10. Courbe d'apprentissage. s'agit alors de signaler au patient ce progrès et de
l'encourager à continuer. Cela souligne toute l'im-
portance du thérapeute et des courbes d'entraîne-
L'absence d'effet peut être liée à la difficulté ment et d'apprentissage dans les retours positifs
pour le patient d'associer le changement du para- que permettent les séances de neurofeedback.
mètre d'intérêt, tel qu'il lui est signalé, avec son La réalisation de ces courbes d'entraînement et
vécu subjectif. Le vécu de la boucle psychophysio- d'apprentissage permet de réduire le nombre de
logique, d'un point de vue neurophénoménolo- patients susceptibles d'abandonner en cours de
gique, peut alors être favorisé par des techniques séances de neurofeedback, qui peuvent parfois
d'entretien (comme les entretiens d'explicitation) apparaître comme répétitives et peu motivantes.
qui permettront au patient de mieux identifier les On peut donc regretter qu'il s'agisse d'un para-
stratégies cognitives qui fonctionnent par rapport mètre rarement bien contrôlé dans les études ran-
aux stratégies qui ne fonctionnent pas [47]. domisées contre placebo [1, 3].
L'absence d'effet peut être liée au thérapeute qui Il faut noter que le temps nécessaire à l'appren-
n'a pas su adapter les paramètres du protocole de tissage par le neurofeedback varie d'un patient à

204
Chapitre 9. Neurofeedback

l'autre. Le nombre de séances nécessaires pour Il existe une variabilité des méthodes pro-
obtenir des changements psychophysiologiques posées dans la littérature sans qu'une pratique
est généralement supérieur chez les patients par puisse être favorisée par rapport à une autre [3, 17].
rapport aux sujets sains, et est d'autant plus impor- Cependant, le principe général est de conduire le
tant que les symptômes initiaux étaient sévères. patient à mettre en place au domicile les stratégies
Le trouble en lui-même augmente donc le temps neurocognitives acquises pendant les séances.
­d 'apprentissage. Par ailleurs, contrairement à l'ap- Des moments dédiés au domicile peuvent être
prentissage classique qui interviendrait de manière convenus avec le patient puis discutés en début
plutôt continue et progressive, l'apprentissage de chaque de séance de neurofeedback. Du maté-
guidé par neurofeedback interviendrait de manière riel d'entraînement peut être fourni, comme des
saltatoire et par étapes [2]. Le patient apprendrait par cartes d'exercices, une copie d'écran de neuro-
une succession de « Aha moments ». Il découvrirait feedback que le patient observe pendant la séance
par moments une stratégie neurocognitive par- permettant de favoriser la remise en place de ces
ticulièrement efficace pour moduler son activité stratégies en dehors du dispositif psychophysio-
EEG, puis reviendrait à une phase laborieuse avant logique de neurofeedback branché, ou encore du
qu'une nouvelle stratégie venant améliorer la stra- matériel sonore ou vidéo [17].
tégie précédente soit découverte et vienne se sura-
jouter. Il est ainsi fréquent de retrouver des courbes
d'apprentissage en « marches d'escalier ». L'appren-
tissage par neurofeedback peut donc contenir des Conclusion
phases laborieuses qui engagent alors le patient
comme le thérapeute dans ce que Rémond appe- Le neurofeedback pourrait, comme le soulignait
lait un « vouloir, certes mais sans crispation, avec Rémond, permettre aux électroencéphalogra-
détente, détachement et détermination ». Le neuro- phistes et aux spécialistes de neurophysiologie cli-
feedback apporte alors à la fois les encouragements nique, d'élargir leur domaine diagnostique en ajou-
nécessaires par les retours positifs, mais également tant une application thérapeutique à leur pratique
les « provocations stimulantes produites par les
[2, 48]
. Ils sont en effet mieux équipés et plus expé-
constats des échecs » qui, accompagnées par le thé- rimentés dans le domaine de l'électrophysiologie
rapeute, aboutiront à un apprentissage efficace [2]. que la plupart des psychiatres. Cette ouverture thé-
Enfin, le bénéfice de l'apprentissage se pro- rapeutique nécessite cependant des ­collaborations
longerait « à bas bruit » pendant la période qui étroites avec le champ de la remédiation cognitive
suit la cure par neurofeedback [2], ce qui pourrait qui a une place essentielle dans les prises en charge
s'expliquer à la fois par un effet à long terme sur neuropsychiatriques actuelles, et qui gagne inévi-
la ­neuroplasticité et par un effet plus global du tablement à être couplée à des mesures d'indices
neuro­feedback sur le sentiment d'efficacité per- neurophysiologiques de la cognition, que ce soit
sonnelle, qui pourrait diffuser sur d'autres straté- comme marqueur d'efficacité, de pronostic ou de
gies que celles apprises pendant les séances. guide pendant la remédiation elle-même [7, 13]. Les
concepts de la psychologie de la santé pourraient
également permettre d'envisager d'une manière
Transfert des apprentissages nouvelle la problématique de l'effet placebo dans
les protocoles de neurofeedback en permettant
dans la vie quotidienne
de définir et d'évaluer des variables psycholo-
Les stratégies neurocognitives apprises pendant giques médiatrices de l'effet psychophysiologique
les séances de neurofeedback peuvent être pra- du neurofeedback [3]. Le neurofeedback nécessite
tiquées même quand le dispositif n'est pas bran- enfin des formations adaptées, inspirées des for-
ché. Le thérapeute doit encourager le patient à cet mations américaines, que les laboratoires spécia-
entraînement en dehors des séances, qui favori- lisés en neurophysiologie et psychophysiologie
sera l'efficacité de la prise en charge, la généralisa- dans le domaine neuropsychiatrique pourraient
tion des stratégies cognitives apprises pendant les coordonner.
séances de neurofeedback et le maintien de l'effi- Nous avons voulu réaliser dans ce chapitre
cacité dans le temps [1]. une première étape vers cette formation ­adaptée

205
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

en langue française. Le panorama proposé [12] Gauchet A, Shankland R, Gantzer C, et  al.
peut s'avérer parfois succinct. Seules les indica- Applications cliniques en psychologie de la santé.
Psychologie française 2012 ; 57 : 131–42.
tions présentant le plus fort niveau de preuve et
seules les étapes principales de la mise en place [13] Schneider F, Backes V, Mathiak K. Brain imaging :
on the way toward a therapeutic discipline. Eur Arch
des séances ont été décrites. Le lecteur désireux Psychiatry Clin Neurosci 2009  ; 259(Suppl 2) :
d'approfondir cette application thérapeutique ori- S143–7.
ginale de la neurophysiologie pourra cependant [14] Arns M, Kenemans JL. Neurofeedback in ADHD
se référer aux ouvrages de référence en langue and insomnia : Vigilance stabilization through sleep
anglaise [15, 16, 49–51], sans oublier la nécessité d'une spindles and circadian networks. Neurosci Biobehav
pratique régulière du neurofeedback qui, pour le Rev. 2013, Oct. 23.
thérapeute attentif au déroulement des séances, [15] Kropotov J. Quantitative EEG, event-related poten-
permettra des retours riches d'enseignement tials and neurotherapy. Oxford : Elsevier ; 2009.
­psychophysiologique. [16] Collura T. Technical foundations of neurofeedback.
New York : Routledge ; 2014.
[17] Mayer K, Wyckoff SN, Strehl U. One size fits all ?
Références Slow cortical potentials neurofeedback : a review.
J Atten Disord 2012 ; 17 : 393–409.
[1] Sherlin LH, Arns M, Lubar J, et  al. Neurofeedback
and basic lerning therory : implications for research [18] Kotchoubey B, Strehl U, Uhlmann C, et  al.
and practice. Journal of Neurotherapy 2011 ; 15 : Modification of slow cortical potentials in patients
292–304. with refractory epilepsy : a controlled outcome study.
Epilepsia 2001 ; 42 : 406–16.
[2] Rémond A, Rémond A. Biofeedback : principes et
applications. Paris : Masson ; 1997. [19] Birbaumer N, Elbert T, Canavan AG, et  al. Slow
potentials of the cerebral cortex and behavior.
[3] Gevensleben H, Rothenberger A, Moll GH, et  al. Physiol Rev 1990 ; 70 : 1–41.
Neurofeedback in children with ADHD : validation and
challenges. Expert Rev Neurother 2012 ; 12 : 447–60. [20] Micoulaud-Franchi J-A, Bat-Pitault F, Cermolaccce M,
et al. Neurofeedback dans le trouble déficit de l'atten-
[4] Gruzelier JH. EEG-neurofeedback for optimising tion avec hyperactivité : de l'efficacité à la spécificité
performance. I – A review of cognitive and affective de l'effet neurophysiologique. Annales Médico-
outcome in healthy participants. Neurosi Biobehav Psychologiques 2011 ; 169 : 200–8.
Rev 2013.
[21] Arns M, de Ridder S, Strehl U, et  al. Efficacy of
[5] Gruzelier JH. EEG-neurofeedback for optimising neuro­feedback treatment in ADHD : the effects on
performance. II – Creativity, the performing arts and inattention, impulsivity and hyperactivity : a meta-
ecological validity. Neurosci Biobehav Rev 2013. analysis. Clin EEG Neurosci 2009 ; 40 : 180–9.
[6] Micoulaud-Franchi J-A, Fakra E, Cermolacce M, [22] Sonuga-Barke EJ, Brandeis D, Cortese S, et  al.
et al. Vers une nouvelle déclinaison de la neurophy- Nonpharmacological interventions for ADHD :
siologie clinique en psychiatrie : le neurofeedback systematic review and meta-analyses of rando-
par imagerie par résonance magnétique fonction- mized controlled trials of dietary and psychologi-
nelle appliqué aux dysfonctions des processus émo- cal treatments. Am J Psychiatry 2013 ; 170 :
tionnels. Neurophysiol Clin 2012 ; 42 : 79–94. 275–89.
[7] Linden DE. How psychotherapy changes the brain – [23] Arns M, Strehl U. Evidence for efficacy of neurofeed-
The contribution of functional neuroimaging. Mol back in ADHD ? Am J Psychiatry 2013 ; 170 :
Psychiatry 2006 ; 11 : 528–38. 799–800.
[8] Birk L. Biofeedback : Behavioral medicine. New
[24] Lansbergen MM, van Dongen-Boomsma M,
York : Grune and Stratton ; 1973. Buitelaar JK, et al. ADHD and EEG-neurofeedback :
[9] Bruchon-Schweitzer M. Psychologie de la santé : a double-blind randomized placebo-controlled feasi-
modèles, concepts et méthodes. Paris : Dunod ; 2002. bility study. J Neural Transm 2011 ; 118 : 275–84.
[10] Koleck M, Bruchon-Schweitzer M, Bourgeois M-L. [25] Holtmann M, Steiner S, Hohmann S, et  al.
Stress et coping : un modèle intégratif en psychologie Neurofeedback in autism spectrum disorders. Dev
de la santé. Annales Médico-Psychologiques 2003 ; Med Child Neurol 2011 ; 53 : 986–93.
161 : 809–15. [26] Micoulaud-Franchi J-A, Lanteaume L, Pallanca O,
[11] Haute Autorité de Santé. Développement de la pres- et al. Biofeedback et épilepsie pharmacorésistante : le
cription de thérapeutiques non médicamenteuses retour d'une thérapeutique ancienne  ? Revue
validées. Rapport d'orientation ; 2011. Neurologique ; 2014 ; 170 : 187–196.

206
Chapitre 9. Neurofeedback

[27] Sterman MB. Basic concepts and clinical findings in [40] Keedwell PA, Linden DE. Integrative neuroimaging
the treatment of seizure disorders with EEG operant in mood disorders. Curr Opin Psychiatry 2013 ; 26 :
conditioning. Clin Electroencephalogr 2000 ; 31 : 27–32.
45–55. [41] Arns M, Drinkenburg W, Leon Kenemans J. The
[28] Tan G, Thornby J, Hammond DC, et  al. Meta-
effects of QEEG-informed neurofeedback in ADHD :
analysis of EEG biofeedback in treating epilepsy. an open-label pilot study. Appl Psychophysiol
Clin EEG Neurosci 2009 ; 40 : 173–9. Biofeedback 2012 ; 37 : 171–80.
[29] Servant D. La relaxation : nouvelles approches, nou- [42] Coburn KL, Lauterbach EC, Boutros NN, et al. The
velles pratiques. Paris : Elsevier-Masson ; 2009. value of quantitative electroencephalography in cli-
[30] Servant D, Logier R, Mouster Y, et al. La variabilité nical psychiatry : a report by the Committee on
de la fréquence cardiaque. Intérêts en psychiatrie. Research of the American Neuropsychiatric
Encéphale 2009 ; 35 : 423–8. Association. J Neuropsychiatry Clin Neurosci 2006 ;
18 : 460–500.
[31] Cortoos A, de Valck E, Arns M, et al. An exploratory
study on the effects of tele-neurofeedback and tele- [43] Gudmundsson S, Runarsson TP, Sigurdsson S, et al.
biofeedback on objective and subjective sleep in Reliability of quantitative EEG features. Clin
patients with primary insomnia. Appl Psychophysiol Neurophysiol 2007 ; 118 : 2162–71.
Biofeedback 2010 ; 35 : 125–34. [44] Arns M, Conners CK, Kraemer HC. A decade of EEG
[32] Hoedlmoser K, Pecherstorfer T, Gruber G, et  al. Theta/Béta Ratio Research in ADHD : a meta-­
Instrumental conditioning of human sensorimotor analysis. J Atten Disord 2013 ; 17 : 374–83.
rhythm (12–15 Hz) and its impact on sleep as well as [45] Witte M, Kober SE, Ninaus M, et al. Control beliefs
declarative learning. Sleep 2008 ; 31 : 1401–8. can predict the ability to up-regulate sensorimotor
[33] Schabus M, Heib DP, Lechinger J, et  al. Enhancing rhythm during neurofeedback training. Front Hum
sleep quality and memory in insomnia using instru- Neurosci 2013 ; 7 : 478.
mental sensorimotor rhythm conditioning. Biol [46] Gruzelier J-H. EEG-neurofeedback for optimising
Psychol 2014 ; 95 : 126–34. performance. III – A review of methodological and
[34] Tamaki M, Matsuoka T, Nittono H, et al. Activation theoretical considerations. Neurosci Biobehav Rev
of fast sleep spindles at the premotor cortex and 2013.
parietal areas contributes to motor learning : a study [47] Micoulaud-Franchi J-A, Balzani C, Vion-Dury J.
using sLORETA. Clin Neurophysiol 2009 ; 120 : L'entretien d'« explicitation 
» en médecine. Pour
878–86. explorer les vécus subjectifs. Médecine 2012 ; 8 :
[35] Reiner M, Rozengurt R, Barnea A. Better than sleep : 363–7.
Theta neurofeedback training accelerates memory [48] Rémond A. Du feedback au neurobiofeedback en
consolidation. Biol Psychol 2014 ; 95 : 45–53. neurophysiologie clinique. Neurophysiol Clin 1997 ;
[36] Arns M, Heinrich H, Strehl U. Evaluation of neuro- 27 : 168, 168.
feedback in ADHD : The long and winding road. Biol [49] Demos J. Getting started with neurofeedback. New
Psychol 2014 ; 95 : 108–15. York : Norton ; 2005.
[37] Gastaut H. Comments on “Biofeedback in epileptics : [50] Schwartz M, Andrasik F. Biofeedback : A

equivocal relationship of reinforced EEG frequency Practitioner's Guide. New York : The Guilford Press ;
to seizure reduction” by Kaplan BJ, Epilepsia 16 : 2003.
477–485, 1975. Epilepsia 1975 ; 16 : 487–90. [51] Evans JR. Handbook of neurofeedback : dynamics
[38] Schwitzgebel RK, Traugott M. Initial note on the pla- and clinical applications. New York : Haworth
cebo effect of machines. Behav Sci 1968 ; 13 : 267–73. Medical Press ; 2007.
[39] Stroebel CF, Glueck BC. Biofeedback treatment in
medicine and psychiatry : an ultimate placebo ?
Seminars in psychiatry 1973 ; 5 : 379–93.

207
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Annexes
Annexe 1
Questionnaire ASRS (Adult ADHD Self-Report Scale)
Répondez aux questions suivantes en vous auto-éva- qui décrit le mieux vos sentiments ou vos comporte-
luant sur chacun des critères à l'aide de l'échelle à droite ments au cours des six derniers mois.
de la page. Pour répondre à la question, cochez la case

Jamais Rarement Parfois Souvent Très souvent


1. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés à
finaliser les derniers détails d'un projet une fois que le
plus intéressant a été fait ?
2. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés à
mettre les choses en ordre lorsque vous devez faire
un travail qui demande une certaine organisation ?
3. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés
pour vous souvenir de vos rendez-vous ou de vos
engagements ?
4. Avec quelle fréquence avez-vous tendance à éviter
ou à remettre à plus tard un travail qui vous demande
beaucoup de réflexion ?
5. Avec quelle fréquence avez-vous la bougeotte
ou agitez-vous vos mains ou vos pieds lorsque vous
devez rester assis pendant un long moment ?
6. Avec quelle fréquence vous sentez-vous trop actif
ou obligé de faire des choses comme si vous étiez
activé par un moteur ?
7. Avec quelle fréquence faites vous des erreurs
d'étourderie lorsque vous travaillez sur un projet
ennuyeux et difficile ?
8. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés à
rester attentif lorsque vous faites un travail ennuyeux
et difficile ?
9. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés
à vous concentrer sur ce que les gens vous disent,
même lorsqu'ils vous parlent directement ?
10. Avec quelle fréquence avez-vous tendance à
égarer ou du mal à retrouver des choses à la maison
ou au travail ?
11. Avec quelle fréquence êtes-vous distrait par de
l'activité ou du bruit autour de vous ?
12. Avec quelle fréquence vous levez-vous pendant
des réunions ou d'autres situations où vous êtes sensé
rester assis ?
13. Avec quelle fréquence avez-vous la bougeotte ou
vous sentez vous agité ?
14. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés à
vous détendre et à vous relaxer pendant votre temps
libre ?

208
Chapitre 9. Neurofeedback

15. Avec quelle fréquence avez-vous remarqué


que vous étiez trop bavard lorsque vous êtes en
compagnie d'autres personnes ?
16. Avec quelle fréquence vous surprenez-vous en
terminant les phrases des autres dans une discussion
avant qu'ils aient pu le faire eux-mêmes ?
17. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés à
attendre votre tour dans une file d'attente ?
18. Avec quelle fréquence interrompez-vous les
autres lorsqu'ils sont occupés ?

209
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Annexe 2
Échelle de Conners pour les parents
Vous trouverez ci-dessous des indications décrivant des enfant, en précisant à quelle période de son âge. Ces
comportements d'enfants ou de problèmes qu'ils ont informations serviront à vous, ainsi qu'aux personnes
parfois. Mettre une croix dans la case qui correspond qui ont à s'occuper de votre enfant.
aux problèmes et à la densité de la souffrance de votre

Pas du tout Un petit peu Beaucoup Énormément


1. Tripote ou ronge certaines choses (ongles,
cheveux, vêtements)
2. Insolent avec les grandes personnes
3. A du mal à se faire des amis et à les garder
4. Très irritable, impulsif
5. Veut tout commander
6. Suce ou mâchonne (pouce, vêtements couverture)
7. Pleure facilement ou souvent
8. Se sent attaqué et toujours sur la défensive
9. Rêvasse
10. A des difficultés pour l'apprentissage de la
lecture, du calcul, possède une écriture illisible
11. Se « tortille » ne tient pas en place
12. A peur de nouvelles situations, d'endroits, de
personnes, lieux, d'aller à l'école
13. Agité, a toujours besoin de faire quelque chose
14. Destructeur
15. Ment ou raconte des histoires qui ne sont pas
vraies
16. Timide
17. S'attire plus d'ennuis (se fait plus attraper que les
autres enfants de son âge)
18. Souffre de troubles d'élocution (bégaye, retard
du langage ou parle bébé)
19. Nie ses erreurs et accuse toujours les autres
20. Querelleur
21. Fait la moue et boude
22. Prend les choses qui ne lui appartiennent pas
23. Est désobéissant ou obéit à contrecœur
24. S'inquiète plus que les autres de la maladie,
mort, solitude
25. Ne termine pas ce qu'il a commencé
26. Se sent facilement froissé
27. Brutalise, agresse ou intimide ses camarades
28. Ne peut pas s'arrêter lors d'une activité répétitive

210
Chapitre 9. Neurofeedback

29. Cruel
30. Comportement « bébé » immature collant puéril,
constant besoin d'être rassuré
31. Problème d'attention, fixation, concentration
ou distractibilité
32. Maux de tête
33. Changement d'humeur rapide irascible
34. N'aime pas obéir aux règles ou interdits
35. Se bagarre constamment
36. Ne s'entend pas avec ses frères et/ou sœurs
37. Se décourage facilement devant l'effort
38. Dérange les autres enfants et les adultes
39. Enfant foncièrement malheureux
40. Problème d'alimentation sans appétit se lève
après chaque bouchée
41. Maux d'estomac
42. Sommeil perturbé (difficulté à s'endormir
et lève tôt) se réveille pendant la nuit
43. Autres plaintes physique et douleurs
44. Vomissements, nausées
45. Se sent lésé à la maison et à l'école
46. Se vante et fanfaronne
47. Se laisse écraser, manipuler
48. Problème d'évacuation intestinale irrégulier,
selles molles, constipation, etc.

211
Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

Annexe 3
Échelle de Conners pour l'enseignant
Vous trouverez ci-dessous une liste décrivant des qui décrit le mieux cet enfant. Répondez à toutes les
comportements. Placez une croix dans la colonne questions.

Pas du tout Un petit peu Beaucoup Énormément


1. Agité, se tortille sur sa chaise.
2. Fait des bruits incongrus quant il ne faut pas.
3. On doit répondre immédiatement à sa demande.
4. Fait le malin.
5. Crises de colère et conduites imprévisibles.
6. Trop sensible à la critique.
7. Distrait ou attention fluctuante.
8. Perturbe les autres enfants.
9. Rêveur.
10. Fait la moue et boude.
11. Humeur changeante rapidement et de façon
marquée.
12. Bagarreur.
13. Attitude soumise face à l'autorité.
14. Agité, toujours entrain d'aller à droite
et à gauche.
15. S'excite facilement, impulsif.
16. Demande une attention excessive
de l'enseignant.
17. Semble mal accepté par le groupe.
18. Se laisse mener par les autres enfants.
19. Est mauvais joueur.
20. Semble manquer de capacités à entraîner
ou mener les autres.
21. Difficulté à terminer ce qu'il commence.
22. Immature.
23. Nie ses erreurs ou accuse les autres.
24. A des difficultés à s'entendre avec les autres
enfants.
25. Peu coopérant avec ses camarades de classe.
26. S'énerve facilement quand il doit faire un effort.
27. Peu coopérant avec l'enseignant.
28. Difficultés d'apprentissage.

212
Partie IV

Épistémologie
et phénoménologie

Chapitre 10 Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie :


positionnement paradigmatique d'un examen clinique 215
Chapitre 11 Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie :
aspects philosophiques de neurosciences cliniques 223
Chapitre 12 Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie :
l'ouverture phénoménologique 237
Introduction
Dans les trois derniers chapitres de ce livre, nous par ailleurs, ont réalisé une œuvre philosophique,
allons nous éloigner de la pratique quotidienne de soulignant l'importance de cette discipline pour
la neurophysiologie en psychiatrie. mettre en perspective le savoir médical.
Ces chapitres ne sont aucunement nécessaires Cette mise en perspective de la pratique d'un
pour comprendre les méthodes de l'électro- métier tourné vers l'autre et le fait de le soigner,
physiologie et leurs applications diagnostiques avec en arrière-fond la réflexion philosophique,
ou thérapeutiques. Mais il nous semble qu'ils crée une tension éthique. On n'utilise pas des
peuvent répondre à des questions qu'on peut se techniques pour le simple fait qu'elles sont sédui-
poser mais qui restent souvent dans le tréfonds de santes et efficaces. On les utilise dans le contexte
nos consciences, quiescentes jusqu'au jour où un spécifique d'un patient et donc avec une éthique
(heureux) hasard les fait remonter à la surface et sous-jacente.
acquérir une actualité inattendue. Mais pour penser une éthique des applications
Ces questions, au fond, sont relatives au sens de de l'électrophysiologie à la SMTr, l'ECT, le neuro-
ce que l'on fait. feedback et l'EEG, il est nécessaire de disposer de
Soyons clairs : il est totalement inhabituel, et pro- quelques clés épistémologiques et philosophiques
bablement insolite, de trouver à la fin d'un manuel qui mettent en regard la décision que l'on prend
médical une partie non négligeable de réflexions avec ce que l'on connaît et comment on le connaît,
d'ordre philosophique. Et pourtant, la plus grande à une période donnée. Une éthique médicale ou
rigueur scientifique invite à mettre en cause les scientifique sans réflexion sur l'organisation, la
méthodes de la science et à questionner au moins structuration et la validité des connaissances est
les acquis mêmes de l'activité médicale, ses fonde- une éthique partielle ou faible. Il y a ainsi, super-
ments, ses processus, plutôt que de prendre pour posées, une éthique de la connaissance, laquelle est
argent comptant des positions de croyance liées bien souvent négligée, au profit d'une éthique de
au milieu social qui réalise cette activité médicale l'acte.
ou scientifique. Il est significatif que l'histoire de Nous proposons, dans ces trois derniers cha-
la médecine soit marquée par des médecins (Aris- pitres, quelques clés pour l'éthique pragmatique
tote, Descartes, Claude Bernard, Eccles, Ey) qui, de l'électrophysiologie en psychiatrie.

214
Questions Chapitre 10
épistémologiques
soulevées par l'EEG
en psychiatrie
Positionnement paradigmatique
d'un examen paraclinique
J. Vion-Dury1

L'EEG appliqué à la psychiatrie possède un cer- qui, employées comme modèles ou exemples,
tain nombre de spécificités et de particularités qui peuvent remplacer les règles explicites en tant que
soulèvent des questions épistémologiques assez bases de solution pour les énigmes subsistant dans
conséquentes, le plus souvent peu envisagées au la « science normale » [6] (p. 463). « Un paradigme au
nom de la pragmatique clinique. sens strict représente ainsi l'ensemble des exemples
Dans ce chapitre, à la suite de diverses réflexions ou solutions d'énigmes auxquelles se réfèrent les
sur l'IRM et l'EEG [1, 2], nous voudrions détailler membres d'une même discipline en période de
ces problèmes épistémologiques, évoqués dans la science normale et que l'on retrouve systématique-
littérature EEG de manière régulière mais clair- ment dans les manuels de science. » (p. 464).
semée, notamment par des neurophysiologistes Nous nous proposons dans ce chapitre de trai-
comme Lairy [3] et Timsit-Berthier [4]. Ces pro- ter les problèmes épistémologiques posés par
blèmes ressurgissent dès lors que l'on veut présen- l'EEG en psychiatrie, en particulier dans le cadre
ter les applications de l'EEG en psychiatrie. de la psychiatrie biologique, et par comparaison à
Avant toute chose, il nous faut préciser la notion l'usage de l'EEG en neurologie.
de paradigme telle qu'elle a été proposée par Kuhn Pour ce faire, nous prendrons comme point de
[5]
et dont nous ferons largement usage ici : un départ les pratiques diagnostiques neurologique et
paradigme de la science à une époque donnée est psychiatrique, puis nous généraliserons la problé-
un modèle de travail scientifique réel — avec des matique épistémologique posée par cet examen.
lois, des théories, des applications et des disposi-
© 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

tifs expérimentaux — qui donne naissance à des


traditions particulières et cohérentes de recherche L'EEG en neurologie
scientifique. Kuhn propose que la première accep-
Neurophysiologie clinique en psychiatrie

tion de ce terme soit remplacée par la notion de La neurologie est fondée sur un paradigme qui,
matrice disciplinaire : il s'agit de « l'ensemble des depuis Broca, cherche à définir les corrélations
croyances, des valeurs reconnues et des techniques anatomocliniques des pathologies du système ner-
qui sont communes aux membres d'une commu- veux. Dans ce paradigme, on retrouve entre autres
nauté scientifique donnée ». Il préfère réserver la neuropsychologie, qui corrèle une lésion locali-
pour le mot paradigme un élément isolé de cet sée dans le cerveau à la perte d'une fonction pré-
ensemble, soit les solutions concrètes d'énigmes, cise, mais également l'étude de pathologies liées à
une altération ou la dégénérescence d'un système
1
Relecture : C. Balzani, J.-A. Micoulaud-Franchi. cellulaire (comme dans la maladie de Parkinson)

215
Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

ou à une anomalie innée ou acquise du métabo- entre fonctionnement cérébral et clinique d'une
lisme des cellules cérébrales (comme dans l'adré- part, et entre fonctionnement cérébral et EEG
noleucodystrophie ou la maladie de Wilson). d'autre part, ne sont pas isomorphes.
Le paradigme standard des neurosciences cli- Ce qu'offrent l'EEG et sa dynamique dans les
niques est d'abord fondé sur l'affirmation que les pathologies neurologiques, c'est une perspective
fonctions supérieures, telles que la cognition, les particulière sur la souffrance cérébrale, donnant
fonctions sociales, et même la conscience, sont des indications utiles sur l'origine et l'évolution
générées par l'organe-cerveau : les états mentaux2 de la sémiologie rencontrée [9] (p. 88–126). La
sont ainsi pensés [7, 8] : notion de souffrance cérébrale, focale ou diffuse,
• soit comme équivalents aux états cérébraux, culmine avec la notion d'encéphalopathie.
dans une approche assez réductionniste ; On notera aussi que, dans le contexte neuro-
• soit comme émergeant des états cérébraux, logique, l'EEG décrit des corrélats de processus
dans le cadre plus actuel du paradigme du pathologiques mais fait peu de cas des effets des
connexionnisme émergent (voir chapitre 11). thérapeutiques, si ce n'est pour évaluer leur effi-
Les anomalies cliniques observées sont expli- cacité sur le processus pathologique (par exemple,
quées par des agressions diverses du parenchyme diminution des pointes dans l'épilepsie). La ques-
cérébral, parfois en partie sous-tendues par une tion de la tolérance, notamment des effets iatro-
vulnérabilité génétique, par exemple au niveau gènes, n'est pas une indication première de l'EEG
nucléaire ou mitochondrial. Ces agressions en neurologie.
altèrent les processus neurobiologiques normaux Enfin, l'interprétation de l'EEG suivant cette
comprenant des phénomènes d'ordre électrique perspective ne se fait que du point de vue d'un
(potentiels d'actions, PPSE, PPSI) et neurochi- observateur externe, c'est-à-dire par un intervenant
miques (transmetteurs, métabolisme cérébral médical. Dans ce point de vue dit « en troisième
global ou local). personne », la subjectivité du patient n'est prise en
Concernant l'EEG, les formes et les variations compte que lorsqu'elle vient confirmer un proces-
du tracé normal sont plus ou moins précisé- sus pathologique à identifier, comme dans l'explo-
ment expliquées par des processus neuronaux ou ration de certaines crises épileptiques partielles.
gliaux. Dès lors, les variations du tracé reconnues
comme anormales sont plus ou moins corrélées
aux modifications neurophysiologiques et neu-
rochimiques pathologiques sous-jacentes. Malgré L'EEG en psychiatrie : version
ces imprécisions, l'EEG sert d'appui à la décision standard
diagnostique à partir de la modification de ses
formes ou de l'apparition d'événements élec- L'EEG en psychiatrie est le plus souvent considéré
triques s'avérant corrélés à des pathologies neuro- essentiellement d'un point de vue neurologique
logiques (par exemple, la présence de pointes et comme :
l'épilepsie). C'est la régularité de ces corrélations • participant à l'élimination d'un processus orga-
électrocliniques qui autorise la proposition d'un nique pouvant expliquer les troubles psychia-
diagnostic, en général probabiliste. Les relations triques présentés par le patient (cadre du dia-
gnostic différentiel) ;
• ou permettant la recherche de marqueurs spéci-

2
Les états mentaux sont « les phénomènes subjectifs tels fiques d'une pathologie psychiatrique dans une
que les croyances, les sensations, les émotions, les sen- optique catégorielle.
timents, etc. issus au moins en partie de certains actes
mentaux et expérimentés par la conscience » [6] (p. 224).
Les actes mentaux quant à eux sont « des mouvements
de la conscience ou issus au moins en partie de cer-
Le modèle de la psychiatrie
tains états mentaux. Lorsqu'ils sont volontaires et biologique
qu'ils impliquent des phénomènes subjectifs comme
l'imagination et la volonté, ils peuvent conduire à la La conception majoritaire des applications de
réalisation de certaines actions ou de certains com- l'EEG en psychiatrie, qui s'intègre dans le modèle
portements de la part de l'organisme » [6] (p. 5). général de la psychiatrie biologique, est une

216
Chapitre 10. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

conception directement dérivée de la neurologie. détermination de phénotypes EEG. Se pose donc


La logique interne de la biologie psychiatrique est ici le problème de la sensibilité et de la spécificité
très proche de la logique neurologique, mais elle de ces phénotypes EEG pour l'établissement d'un
recherche, plutôt que des structures, des réseaux diagnostic psychiatrique [11, 12]. Or ce qui devient
ou des faisceaux impliqués dans les pathologies prépondérant, dans la lecture de l'EEG en psy-
mentales. On trouvera dans la revue de Kan- chiatrie, c'est la modification considérable des
del  [10] les caractéristiques de la psychiatrie bio­ tracés par les diverses thérapeutiques pharmaco-
logique et de ses fondements philosophiques, qui logiques, en particulier par les antipsychotiques
la conduisent à cette « tentation vers le neurolo- de nouvelle génération.
gisme ». La recherche d'endophénotypes (ou de Dès lors, le statut épistémique de l'EEG en
traits de pathologie familiaux) suit ainsi le déve- psychiatrie biologique, s'il repose sur la logique
loppement de la pensée catégorielle en psychiatrie, neurologique, subit quelques inflexions. En psy-
symbolisée par le DSM dans ses multiples évolu- chiatrie biologique, on postule que des facteurs
tions. Que ce soit par le biais de la génétique ou par génétiques et environnementaux modifient les
celui d'autres variables périphériques (comme les réseaux et les processus neurobiologiques (et donc
taux sanguins de précurseurs de monoamines) ou les états mentaux) qui deviennent pathologiques
neurophysiologiques, la psychiatrie biologique est (c'est-à-dire des troubles mentaux), même si les
à la recherche de marqueurs les plus spécifiques modalités de cette modification sont inconnues.
possible pour le diagnostic des maladies mentales Ces troubles mentaux génèrent la clinique psy-
et la prédiction de la réponse thérapeutique. chiatrique. Si nous gardons le « squelette » du rai-
Du point de vue de la psychiatrie biologique, les sonnement sur l'EEG en neurologie, on observe
maladies mentales sont donc des pathologies céré- que si le lien entre fonctionnement cérébral et
brales, éventuellement neurodéveloppementales, tableau clinique peut être argumenté, en revanche
présentant une détermination génétique modu- le lien entre clinique psychiatrique et modifica-
lée par l'environnement au sens le plus large  : tion de la présentation de l'EEG est très ténu.
endocrinien et métabolique, pharmacologique, Par ailleurs, il est reconnu que les psychotropes
toxique, mais aussi familial, social, etc. Comme le et l'électroconvulsivothérapie, par leurs effets
modèle neurologique, le modèle de la psychiatrie électriques et/ou neurochimiques via la dopa-
biologique pose comme fondement que les états mine, la sérotonine, le GABA ou d'autres neu-
mentaux sont équivalents ou émergent des états romédiateurs, d'une part soignent les troubles
cérébraux, et que la pathologie psychiatrique est mentaux comme conséquences d'états cérébraux
une anomalie complexe de ces processus céré- défectueux et de ce fait améliorent la symptoma-
braux, anomalie dont l'origine est à rechercher tologie psychiatrique, et d'autre part, modifient
dans la mise en place et l'évolution des réseaux l'EEG par leurs effets neurono-gliaux de manière
neuronaux sous le double effet de la génétique et en apparence indépendante de l'amélioration cli-
de l'environnement. C'est dire si, dans le domaine nique. Le paradoxe est que ces traitements modi-
de la psychiatrie biologique, le concept d'épige- fient l'EEG de manière souvent plus marquée
nèse présente une grande importance. que ne le fait la pathologie psychiatrique. Pour
cette dernière raison, en psychiatrie biologique,
l'EEG va constituer un système d'alerte d'une
L'EEG de la psychiatrie modification pharmacologique excessive des
biologique états neurono-gliaux, c'est-à-dire va orienter vers
une encéphalopathie iatrogène à participation
Quelle est la place de l'EEG dans tout cela ? Du paroxystique ou non.
point de vue du diagnostic, il faut bien recon-
naître qu'elle est assez pauvre (cf. chapitre 4). Il est
extrêmement difficile d'associer à une pathologie, Les deux limites majeures
telle qu'elle est proposée dans le DSM, une confi-
de la psychiatrie biologique
guration EEG particulière. En outre, la prescrip-
tion de traitements psychotropes constitue le plus À ce stade et avant de réfléchir à un autre modèle
souvent un facteur majeur de confusion dans la possible de l'EEG en psychiatrie, il convient de

217
Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

noter deux limites majeures de cette conception diateur correspondrait une maladie, comme
biologique de la psychiatrie. en neurologie dans la maladie de Parkinson. Si
nous n'en sommes plus là, la complexité neuro-
La psychiatrie biologique, chimique cérébrale reste insuffisamment prise
en compte dans les hypothèses physiopatholo-
trop de spéculations ?
giques des troubles mentaux. Sans doute l'in-
Une première critique provient d'un observateur dustrie pharmaceutique, omniprésente dans le
de la psychiatrie biologique, F. Gonon [13]. Son domaine, a-t-elle facilité cette approche réduc-
propos est en résumé le suivant : des sommes tionniste ; mais, au fond, l'amélioration clinique
faramineuses ont été dépensées en génétique, réelle obtenue par les médicaments proposés
neurosciences, neurochimie et neuropharma- n'encourage pas à élaborer des hypothèses plus
cologie comme en psychologie cognitive depuis complexes, finalement peu utiles dans la pra-
des décennies  ; or, dit-il, « 
les chercheurs en tique médicale courante.
neuro­sciences n'ont abouti ni à la mise au point
d'indicateurs biologiques pour le diagnostic des
maladies psychiatriques ni à de nouvelles classes
L'instabilité nosographique
de médicaments psychotropes ». Ceci est cruelle- et les limites du DSM
ment vrai pour les indicateurs biologiques pro- Un autre point pose problème. Il s'agit de la varia-
venant de l'EEG ainsi que des potentiels évoqués bilité de la nosographie psychiatrique exempli-
cognitifs en psychiatrie. fiée par les aventures du DSM (Diagnostic and
Pour Gonon, le modèle neurochimique/ Statistical Manual of Mental Disorders). Depuis
pharmacologique est indigent. Il constitue une les années 1950, les définitions et les critères
simplification outrancière et problématique du du diagnostic en psychiatrie ont considérable-
fonctionnement cérébral, qui conduit certes à ment évolué. Si le DSM-I présente une classi-
des résultats pratiques en termes d'amélioration fication inspirée de la psychanalyse, incluant
de la symptomatologie des patients, mais qui psychoses et névroses, l'esprit du DSM a changé
amène à un verrouillage de la pensée et à l'assè- à partir du DSM-III (1987). Le DSM-IV-TR,
chement des idées nouvelles. Gonon n'hésite pas remplacé récemment par le DSM-5, constitue
à qualifier la psychiatrie biologique de « bulle une approche catégorielle et critériologique des
spéculative ». C'est ainsi que l'on peut d'une pathologies psychiatriques, qui a pour but de
certaine manière considérer l'hypothèse dopa- définir des prototypes de pathologies et de faci-
minergique de la schizophrénie [14]. Cette hypo- liter les études statistiques multicentriques et
thèse dopaminergique, qui a mobilisé des mil- internationales. Le DSM-IV-TR, en catégorisant
liers de chercheurs et conduit à la publication et regroupant les patients dans des ensembles pro-
d'une littérature considérable (5 880 articles, de totypiques, gomme des différences individuelles,
1963 à 2008) s'avère malgré tout très faible et de souvent considérables, que l'EEG comme la
démonstration largement indirecte. Il est stupé- ­clinique retrouvent dans leur exercice quotidien.
fiant de constater que la psychiatrie biologique Cette instabilité nosologique fait que les études
raisonne majoritairement, pour construire ses menées dans les années 1950–1970 en EEG sur la
hypothèses physiopathologiques, et ce depuis dépression et la schizophrénie ne regroupent pas
les années 1970, à partir des neurones monoa- le même type de patients que celles qui ont été
minergiques (noradrénaline, dopamine, séro- conduites à partir des années 1990.
tonine), c'est-à-dire à partir d'environ 5 % des Au total, d'une part les bases neurobiologiques
neurones du cerveau, sans tenir compte ni des pathologies psychiatriques sont insuffisantes
du GABA, ni du glutamate, ni de la notion de pour permettre de comprendre la survenue de
couple neurono-glial, ni de la colibération des ces modifications ténues et non spécifiques de
neurotransmetteurs, notamment peptidiques. l'EEG. D'autre part, l'approche critériologique
Selon Kendler et Schaffner, une tendance — au du DSM et l'instabilité nosologique de son évolu-
moins initiale — de la psychiatrie biologique tion rendent toute méta-analyse en EEG difficile
est d'avoir tenté de postuler qu'à un neuromé- à conduire sur une longue période. La « discré-

218
Chapitre 10. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

tisation » des pathologies imposée par le DSM que les tracés dysrythmiques3 avec des décharges
s'oppose à l'approche « continuiste » de la sémio- paroxystiques constituaient un facteur pronos-
logie EEG ainsi qu'à la sensibilité de celui-ci aux tique favorable du trouble schizophrénique. Selon
variations neurophysiologiques individuelles. Si eux, 95 % des patients avec EEG normal et stable
on ajoute à cela le développement des molécules dans le temps (tracés hypernormaux) ont connu
psychotropes et la quasi-disparition des patients un pronostic défavorable, alors que 64 % des
naïfs de tout traitement, on comprend à quel patients avec EEG dysrythmique ont présenté
point l'interprétation des études en électroencé- des rémissions et une évolution clinique inter-
phalographie en psychiatrie s'avère complexe mittente. Ces résultats, interprétés par les auteurs
et à quel point la littérature peut être source de comme un indice de plasticité psychobiologique
confusion. ont été confirmés par les études de Small et  al.
(1964) et repris par Palem dans son manuel d'EEG
en psychiatrie [16].
Inversement, il nous est arrivé à plusieurs
Les « paradoxes reprises d'observer chez des patients souffrant de
paradigmatiques » de l'EEG schizophrénie des tracés très « inquiétants », qui
donnaient à penser qu'une encéphalopathie méta-
en psychiatrie biologique bolique ou médicamenteuse survenait. Pourtant,
Kuhn propose [5] que, lorsque la complexité des ces patients recevaient un traitement neurolep-
problèmes croît plus vite que l'exactitude des tique bien toléré par ailleurs, et la vérification
solutions, et que des anomalies observées dans clinique soigneuse confirmait leur rémission. De
une science normale se font de plus en plus nom- cette constatation récurrente s'est dégagée l'hypo-
breuses, une révolution scientifique se prépare. thèse que l'anomalie massive et inexpliquée du
Sans aller jusque-là pour l'EEG en psychiatrie, il tracé pourrait parfois être le signe d'une excel-
semble cependant que quelques « anomalies » — lente compensation de la maladie schizophré-
pour être plus clairs nous parlerons de paradoxes nique (figure 10.1).
paradigmatiques — apparaissent, et qui, même si
on pouvait de toutes forces les faire rentrer dans L'effet Landolt direct et inversé
le réductionnisme de la psychiatrie biologique, En 1958, Landolt décrivit le phénomène de nor-
incitent à penser autrement la problématique du malisation forcée : chez un patient épileptique
lien entre neurophysiologie et psychiatrie. Ces présentant des symptômes cliniques typiques et
paradoxes sont au nombre de deux : un EEG perturbé, la mise en place d'un traite-
• les tracés paradoxaux incluant les tracés hyper- ment antiépileptique provoqua la normalisation
normaux et les tracés anormalement perturbés ; du tracé EEG mais s'accompagna de l'apparition
• l'effet Landolt direct et inversé. d'un état psychotique [17]. Cette normalisation for-
Certains de ces paradoxes paradigmatiques ont cée de l'EEG fut appelée psychose alternative ou
été observés sur un nombre limité de cas, mais épilepsie transformée [18].
leur présence en tant qu'exception impose une Mais l'antagonisme entre psychose schizo-
réflexion critique car ils relèvent de la puissance phrénique et épilepsie était déjà connu. C'est
épistémique du cas singulier en psychiatrie.

Les tracés paradoxaux


3
Les recommandations internationales préconisent de
ne pas utiliser le terme dysrythmique, employé cepen-
Dans un article de 1961, Igert et Lary [15] reprirent, dant dans ces articles. On peut utiliser à la place le
sur soixante et un patients, d'une part l'étude de terme asynchrone. Cependant, le terme dysrythmique
Verdeaux et al. (1957) montrant que les tracés des nous semble mieux convenir dans ce contexte, en rai-
son du caractère particulier des grapho-éléments
patients souffrant de schizophrénie étaient dans induits par les neuroleptiques, en particulier l'impres-
40 % des cas strictement normaux, et, d'autre sion qu'ils donnent non pas tant d'une rupture de syn-
part, celle de Kammerer et  al. (1955) montrant chronie, mais d'un trouble du rythme cortical.

219
Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

Figure 10.1. Effet Landolt, effet Landolt inversé et les hypothèses thérapeutiques concernant
l'effet des thérapeutiques, et les anomalies EEG inhabituelles. Se dégage la notion de plasticité
psychobiologique.

sur celui-ci que von Meduna proposa dans les De nos jours, il est constaté que les neurolep-
années 1930 la convulsivothérapie par choc tiques et antipsychotiques génèrent des grapho-
au cardiazol, et que Cerletti et Bini dévelop- éléments pseudo-paroxystiques asynchrones, en
pèrent par la suite l'électroconvulsivothérapie [19] bouffées mal organisées et sans régularité topo-
(p. 411–413). Il est à noter que l'insulinothéra- graphique ou sous la forme de d'activités lentes
pie, ou cure de Sakel, bien qu'antérieure et ne angulaires [20]. Loin d'apparaître comme des
reposant pas sur la même base théorique, était processus paroxystiques classiques synchronisés
probablement pourvoyeuse du même type d'effet par les relations thalamocorticales ou cortico-
neurophysiologique. corticales, ils donnent l'impression d'un cortex
Toujours est-il que la crise épileptique ainsi « clignotant » ou qui serait le siège d'un processus
déclenchée apparaît comme un effet Landolt de type fibrillation (cf. chapitre 4). Ces anomalies
inversé. Il s'agit de créer un épisode paroxys- dysrythmiques pourraient soit constituer un effet
tique à visée thérapeutique du trouble psy- secondaire neurophysiologique de cette classe
chotique. Il convient aussi de noter que l'EEG de médicaments, soit être en relation directe
post-­
­ sismothérapie est souvent altéré, parfois avec une partie de leur effet thérapeutique, se
plusieurs semaines, et peut montrer de nombreux rapprochant ainsi de l'effet intercritique de la
éléments paroxystiques alors que l'état clinique du convulsivothérapie mentionnée plus haut [21].
patient est notablement amélioré (cf. chapitre 7). Dans ce cas, ils correspondraient également à

220
Chapitre 10. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

un effet Landolt inversé (figure 10.1). Le fait que


les antipsychotiques considérés comme les plus
Conclusion
efficaces (clozapine) [22] soient ceux qui génèrent Sans doute l'EEG est-il nettement moins efficace
le plus grand nombre de ces grapho-éléments est au diagnostic en psychiatrie qu'en neurologie. En
par ailleurs un argument en faveur de la seconde psychiatrie, il trouve sa place dans le suivi des
hypothèse. effets des psychotropes, comme nous l'avons vu
au chapitre 4, tout en restant centré, comme en
La notion de compensation neurologie, sur les deux grandes entités cliniques
cérébrale qui le concernent : les processus paroxystiques et
épileptiques, et les encéphalopathies.
Puisque des tracés normaux peuvent être asso- L'EEG en psychiatrie présente une particularité
ciés à un pronostic défavorable et des anomalies spécifique. Parce qu'il subit des variations assez
du tracé EEG à une meilleure réponse thérapeu- ténues dans les troubles mentaux, parce qu'il met
tique, les paradoxes paradigmatiques que nous en évidence des effets paradoxaux (effet Landolt),
venons de décrire nous amènent à poser la ques- il oblige à penser l'électrogenèse cérébrale d'une
tion du normal et du pathologique dans l'EEG autre manière. Il invite se poser des questions
en psychiatrie et à revisiter plus largement la épistémologiques majeures qui sont au cœur des
question du lien entre neurophysiologie et psy- neurosciences et de la psychiatrie.
chiatrie.
Tout se passe comme si l'altération apparente de Références
l'électrogenèse cérébrale, sans qu'on puisse com-
prendre son mécanisme, pouvait être compensa- [1] Micoulaud-Franchi J-A, Fakra E, Cermolacce M,
toire du trouble psychiatrique. et al. Vers une nouvelle déclinaison de la neurophy-
siologie clinique en psychiatrie : le neurofeedback
Ce phénomène de plasticité pensé ici comme
par imagerie par résonance magnétique fonction-
compensation, permettant à l'organisme d'éviter nelle appliqué aux dysfonctions des processus émo-
une situation de catastrophe (ici le trouble men- tionnels. Neurophysiol Clin 2012 ; 42 : 79–94.
tal en phase aiguë et floride), a été développé [2] Vion-Dury J. Remarques épistémologiques sur l'ex-
et analysé très en détail par Goldstein [23]. Lors ploration cérébrale : à propos de l'IRM et l'EEG. Evol
d'une lésion ou d'une maladie, les réactions de Psychiatr 2010 ; 75 : 621–32.
catastrophe (réponses incorrectes, désordonnées, [3] Lairy G. Les pièges sémantiques en neurobiologie.
inconstantes) sont évitées par des réajustements. Rev Electroencephalogr Neurophysiol Clin 1975 ; 5 :
Ceux-ci privilégient les fonctions essentielles et 152–5.
génèrent d'autres troubles plus tolérables, suivant [4] Timsit-Berthier M. Intérêt de l'exploration neuro-
le principe que l'organisme sera moins lésé par ces physiologique en psychiatrie clinique. Neurophysiol
Clin 2003 ; 33 : 67–77.
troubles qu'il ne le serait par l'altération fonction-
nelle dans le domaine en question : « Si des opéra- [5] Kuhn TS. La structure des révolutions scientifiques.
Paris : Flammarion ; 2008.
tions perdues redeviennent possibles, ce sera ou
[6] Nadeau R. Vocabulaire technique et analytique de
bien par restitution de ce que la lésion a lésé, ou
l'épistémologie. Paris : Presses Universitaires de
bien par restitution de fonctions analogues. Mais France ; 1999.
dans tous ces cas toujours d'autres opérations sont [7] Fisette D, Poirier P. Philosophie de l'esprit. État des
perdues ou bien c'est le milieu qui subit un rétré- lieux. Paris : Vrin ; 2002.
cissement. » (p. 348). [8] Vion-Dury J. Entre mécanisation et incarnation :
La figure 10.1 synthétise l'ensemble de ces para- réflexion sur les neurosciences cognitives fondamen-
doxes paradigmatiques de l'EEG en psychiatrie. Il tales et cliniques. Revue de Neuropsychologie 2007 ;
n'est pas anodin que la notion de compensation 17 : 293–361.
soit au centre du schéma car elle souligne l'inté- [9] Vion-Dury J, Blanquet F. Pratique de l'EEG : Bases
gration du cerveau dans l'organisme global, ce neurophysiologiques, principes d'interprétation et
que nous détaillerons au chapitre suivant. de prescription. Paris : Masson ; 2008.

221
Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

[10] Kandel ER. Un nouveau cadre conceptuel de travail [17] Motherhill IV, Ried S. The "forced normalisation" of
pour la psychiatrie. Evol Psychiatr 2002 ; 67 : 12–39. Landolt – an EEG phenomenon ? Schweiz Arch
[11] Boutros NN. Standard electroencephalography in Neurol Psychiatr 1998 ; 149 : 264–7.
clinical psychiatry a practical handbook. Chichester, [18] Ntsanwisi VT, Rataemane ST, Magazi DS. Alternative
West Sussex : Wiley-Blackwell ; 2011. psychosis (forced normalisation) in epilepsy. South
[12] Ulrich G. The theoretical interpretation of elec- African Journal of Psychiatry 2011 ; 17 : 56–9.
troencephalography (EEG) : The important role of [19] Postel J, Quétel C. Nouvelle histoire de la psychiatrie.
spontaneous resting EEG and vigilance. Corpus Paris : Dunod ; 2012.
Christi : Bmed Press LLC ; 2013. [20] Centorrino F, Price BH, Tuttle M, et al. EEG abnor-
[13] Gonon F. La psychiatrie biologique, une bulle spécu- malities during treatment with typical and atypical
lative. Esprit ; 2011, novembre : 54–73. antipsychotics. Am J Psychiatry 2002 ; 159 : 109–15.
[14] Kendler KS, Schaffner KF. The dopamine hypothesis [21] Fink M. EEG changes with antipsychotic drugs. Am
of schizophrenia : an historical and philosophical J Psychiatry 2002 ; 159 : 1439, discussion : 1439.
analysis. Philosophy, Psychiatry, & Psychology 2011 ; [22] Gardner DM, Baldessarini RJ, Waraich P. Modern
18 : 41–63. antipsychotic drugs : a critical overview. CMAJ
[15] Igert C, Lairy G. Intérêt pronostique de l'EEG au 2005 ; 172 : 1703–11.
cours de l'évolution des schizophrènes. Rev [23] Goldstein K, Burckhardt E, Fédida P. La Structure de
Electroencephalogr Neurophysiol Clin 1962 ; 14 : l'organisme : introduction à la biologie à partir de la
183–90. pathologie humaine : texte augmenté de fragments
[16] Palem R-M. L'électro-encéphalogramme en psychia- inédits. Paris : Gallimard ; 1983.
trie Rueil Malmaison : Laboratoire Ciba-Geiy ; 1980.

222
Questions Chapitre 11
épistémologiques
soulevées par l'EEG
en psychiatrie
Aspects philosophiques
des neurosciences cliniques
J. Vion-Dury1

Dans la conclusion du chapitre 10, nous signa- Cette interrogation devrait faire partie d'une ana-
lions que, outre les problèmes épistémologiques lyse épistémologique des méthodes des neurosciences
eux-mêmes dus à la différence entre l'EEG en et de la manière dont elles s'intègrent au modèle scien-
psychiatrie et en neurologie, se posaient d'autres tifique standard. Or ce qu'on appelle l'épistémologie
questions épistémologiques majeures au cœur de normative ne questionne en général pas les fonde-
la psychiatrie, des neurosciences et de la philoso- ments des modèles scientifiques, pas plus que leur
phie. validité. Cette épistémologie « construit et magnifie
Remarquons tout d'abord que, d'une manière l'image d'une science pure, c'est-à-dire objectivement
générale, dans l'activité clinique ou neuros- neutre, désintéressée, et qui porte en elle les valeurs
cientifique, les fondements des théories ou des incontestables, en particulier le respect de la vérité, le
interprétations sont rarement questionnés. Non culte de la lucidité, le souci de la transparence, la géné-
seulement ces fondements sont en général peu rosité du partage du savoir… » [2] (p. 45). Cependant
interrogés quant à la validité de leur construction, la vie quotidienne dans les laboratoires de recherche
mais encore, cette absence de questionnement montre à l'évidence que cet idéal de la science pure
peut avoir pour conséquence de limiter les pos- est bien souvent mis à mal, au moins sur deux points :
sibilités explicatives par un blocage de l'imagina- la neutralité objective et l'indépendance de la science
tion scientifique [1]. Par exemple, quand on parle face à l'évolutivité et aux variations historiques de la
d'information en neurosciences, comprend-on vie en société.
celle-ci comme : Ainsi, seule nous semble de mise une épistémo-
© 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

• celle qui est donnée dans une approche cyber- logie critique qui intègre à la fois :
nétique (codage informatique par une suite de • l'historicité dans l'évolution des théories scien-
0 et de 1) ? tifiques, et, de ce fait, une réflexion poppérienne
Neurophysiologie clinique en psychiatrie

• celle qui est donnée dans une approche de la sur la falsifiabilité des énoncés scientifiques [3] ;
complexité comme une entropie négative (créa- • et l'impact de la subjectivité dans la conduite de
tion d'ordre) ? l'activité scientifique.
• ou comme celle qui est donnée dans une Il s'agit là d'une réflexion épistémologique qui
approche gestaltiste (comme forme qui se crée) ne peut qu'avoir des conséquences éthiques : en
issue du sens scolastique ? médecine notamment, le rapport que l'on a au
savoir détermine l'utilisation de celui-ci dans la
pratique selon les modes de la certitude, du doute
1
Relecture : C. Balzani, J.-A. Micoulaud-Franchi. ou de l'hésitation [4].

223
Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

C'est pourquoi la réflexion épistémologique sieurs paradigmes [8] se faisant concurrence. Nous
que nous proposons dans ce chapitre s'appuie, rappellerons rapidement ci-dessous l'évolution
pour aborder respectivement ces deux problèmes, de ces différentes propositions explicatives de la
d'une part sur une épistémologie constructi- maladie mentale.
viste  [5] et, d'autre part, sur une épistémologie de C'est en 1808 qu'en Allemagne, Johan Christian
la complexité [6], en particulier sur une épistémo- Reil inventa le terme « psychiatrie » et considéra
logie quantique telle qu'elle a été pensée par von cette discipline comme une spécialité médicale à
Foerster [7] (cf. chapitre 12). Nous analyserons part entière. Mais dès cette époque, il y eut une
ainsi les différentes difficultés posées par les neu- sorte d'ambiguïté entre ce qu'était la neurologie et
rosciences cliniques en général et par l'EEG en ce qu'était la psychiatrie. Charcot, mais aussi Bayle,
psychiatrie en particulier. Jackson, Sherrington et tant d'autres constituent
L'argument développé dans ce chapitre sera des exemples de cette quasi-indifférenciation ini-
celui-ci : tiale entre la neurologie (et à l'époque la physio-
• la psychiatrie s'intéresse à des maladies aux fon- logie nerveuse) et la psychiatrie, à la recherche de
dements mal connus que de multiples modèles l'origine des maladies mentales et des troubles du
tentent d'expliquer ; comportement. Jackson et Sherrington avaient
• ces modèles, notamment neuroscientifiques, cependant bien perçu que les pathologies men-
reposent sur un cerveau idéalisé pour lequel les tales relevaient des structures hiérarchiquement
niveaux de complexité sont mal pris en compte ; les plus sophistiquées du cerveau (pour revue : [9]).
• ces modèles impliquent, plus que dans toute Alors que les moyens thérapeutiques étaient
autre discipline médicale, l'expérience vécue et pour le moins limités, une autre approche, dérivée
la conscience en propre du sujet, soulevant ainsi à la fin du xixe siècle des théories de Charcot sur
la difficile question du dualisme corps-esprit. l'hystérie et d'une conception thermodynamique
et énergétique de l'organisme, allait donner dans
le début du siècle un courant fondamental dans
l'histoire de la pensée humaine et de la philoso-
Les différents modèles phie, plus sans doute que dans la médecine psy-
explicatifs – Maladies et chiatrique elle-même : il s'agit de la psychanalyse,
dont les concepts ont été jusqu'à imprégner le dis-
psychiatrie – L'EEG et le modèle cours quotidien de la rue et à infléchir, au moins
médical en Occident, le mode de pensée et les références
communes. Ceci ne peut être négligé.
Pour rendre compte de la première proposition, La physiologie nerveuse sous-jacente au para-
nous aborderons successivement la variété des digme des troubles mentaux qui intéressaient,
modèles explicatifs en biologie, puis le problème jusqu'en 1950, les neuropsychiatres — car au
du modèle médical en psychiatrie, enfin ses début du xxe siècle les deux disciplines n'étaient
conséquences sur l'EEG et son utilisation dans finalement pas séparées, malgré la position de
cette discipline. Reil et d'autres — était une « neurophysiologie
sèche » : celle des électrodes et des courants, favo-
Évolution et variété des modèles rable souvent à une approche localisationniste et
phrénologiste des fonctions nerveuses et de leurs
explicatifs en psychiatrie
altérations.
Alors que, dans la médecine organiciste, l'avance- Cependant, depuis 1914, date à laquelle on mon-
ment des connaissances permet de converger sur tra que l'acétylcholine possédait le même effet que
un accord quant à la physiopathologie et le trai- la stimulation du nerf vague, le paradigme de la
tement des maladies, en psychiatrie, l'évolution « neurophysiologie humide  », ou neurochimie,
des concepts au cours du temps ne permet pas était entré en gestation. Dès les années 1930, les
aussi simplement cette convergence et cet accord. substances sympathicomimétiques étaient décou-
Il existe ainsi, en psychiatrie, ce qu'on pourrait vertes et  allaient recevoir, notamment pour la
appeler une certaine variété épistémique, plu- noradrénaline, le statut de neurotransmetteur [10]

224
Chapitre 11. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

(p. 194–274). La chaîne métabolique des monoa- En l'état, le problème de cette approche est celui
mines allait ensuite être décrite dans les années que nous soulevions dans le chapitre 10 à pro-
1966–1967 par Axelrod et Iversen. pos de la psychiatrie biologique et dont nous
Entre-temps, dans les années 1950 étaient avons brossé rapidement ci-dessus les moments
apparus les neuroleptiques (1953) et les antidé- historiques. Du point de vue pragmatique, le
presseurs (1957). Mais ce n'est que lorsqu'on eut développement pharmacologique des neuro-
compris l'organisation intracérébrale des grands leptiques et antidépresseurs, et les méthodes de
systèmes monoaminergiques qu'on put ainsi ­stimulation (ECT et TMS) se sont avérés consi-
concevoir le mode d'action de ces substances [11], dérablement efficaces, bien qu'apportant bien
notamment sur les systèmes monoaminergiques peu d'explications quant aux désordres sous-
diffus d'origine réticulaire. C'est sur cette base jacents sur lesquels ils agissent. Cette approche
neurochimique que la psychiatrie biologique a neurobiologique oscille entre une position
trouvé son plein essor à partir des années 1980, localiste (neuropsychologique) et une position
en rapport avec le développement de la psycho- holiste (plus neurochimique) [14] ;
pharmacologie, c'est-à-dire de la neurochimie • l'organodynamisme de Ey : dans une approche
synaptique. Notons qu'existe une autre neurochi- très globaliste, elle clarifie la position respective
mie, non synaptique, mais plutôt métabolique, de la neurologie et de la psychiatrie. La psy-
qui a été complètement ignorée jusqu'à ces années chiatrie intéresse les dissolutions globales de
récentes, mais retrouve une actualité par le biais la conscience dans les psychoses aiguës et de
de l'IRM fonctionnelle et de la spectroscopie IRM la personnalité dans les névroses, c'est-à-dire
localisée du proton, désormais utilisées dans l'ex- « les régressions les plus supérieures et totales
ploration des pathologies psychiatriques. Cette de la vie de relation ». La neurologie intéresse,
neurochimie concerne le fonctionnement de la elle, des dissolutions partielles et la désintégra-
« machinerie » cellulaire : membranes, protéines tion des fonctions neuropsychiques de base [9, 15]
et petites molécules de l'espace intra- et extra- (p.  74–76). La proposition de Ey est à la fois
cellulaire etc., mais également toutes les relations très proche de la position phénoménologique
complexes neurono-gliales. (cf. chapitre 12) tout autant que de la propo-
Par la recherche des fondements neurobiolo- sition d'une structure intégrée et intégrative
giques des actions des psychotropes et le dévelop- de l'organisme telle que la propose Goldstein
pement de la conception neuropsychologique, la (cf. ­chapitre 10). Par ailleurs, Ey souligne l'im-
psychiatrie biologique a continué d'adhérer à la portance de la construction dynamique de la
position neurologique de la possibilité de dysfonc- personne, son historicité et le caractère intégré
tions cérébrales comme substratum des troubles des processus neurophysiologiques dans cette
psychiatriques, dans la lignée de Charcot, Bayle, construction, par le biais de la conscience [16] ;
Jackson et Sherrington. Ces découvertes neuro- • l'approche psychanalytique, qui dans sa des-
pharmacologiques et neurochimiques ont rendu cription de l'économie de la constitution du
plus aiguë, à la fin du xxe siècle, ce que d'aucuns psychisme, par les notions de sexualité infan-
nomment une « neurologisation » de la psychia- tile, de fixation et de régression, de refoule-
trie [12, 13]. ment et de forclusion, d'inconscient, de conflit,
Après la séparation en 1968 de la neurologie et éclaire et parfois permet de traiter certaines
de la psychiatrie, et le développement considérable pathologies. La psychanalyse permet au malade
des neurosciences cellulaires et cognitives, la psy- de donner du sens à sa maladie et, qui plus est,
chiatrie contemporaine a connu un foisonnement un sens biographique qui lui est propre et même
de modèles se voulant tout à la fois explicatifs et intime [17]. De plus, elle met l'accent sur la com-
thérapeutiques. Plusieurs approches sont ainsi en plexité du rapport entre le médecin et le patient
concurrence et génèrent autant d'Écoles et, par- avec notamment les notions de transfert et de
tant, de discussions. En voici quelques-unes, non contre-transfert [9] ;
exhaustives : • les approches dérivées de la psychologie expé-
• l'approche neurobiologique, appuyée notam- rimentale : l'approche comportementaliste et
ment sur la neuropsychologie et la génétique. l'approche cognitiviste. Cette dernière, dérivée

225
Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

des découvertes de la psychologie cognitive plutôt celle d'une altération de la mécanique phy-
(mais aussi de ses avancées de la neuropsycho- siologique et de l'homéostasie.
logie) a trouvé, dans les trois générations des Enfin, une autre difficulté émerge, indépen-
différentes thérapies cognitivo-comportemen- damment du caractère individuel et contextuel
tales (TCC), une efficacité incontestable dans de l'apparition d'une réaction de catastrophe :
nombre de troubles notamment phobiques ou c'est qu'une même « maladie » n'est pas forcé-
anxieux. Plus récemment, les TCC de troisième ment considérée comme telle dans des pays non
génération (dont la mindfulness-based cognitive occidentaux. Ainsi, par exemple, la démence
therapy) apportent une dimension différente, d'A lzheimer n'est pas en Chine traditionnelle une
quasi phénoménologique, à cette approche maladie au sens où nous l'entendons : « La désar-
comportementale et cognitiviste. ticulation du discours et des gestes, l'incohérence
Ainsi, le questionnement sur les maladies men- des images sont analysées comme autant de
tales a conduit à les interpréter selon plusieurs "savoirs" échappant aux "non-vieux" ; l'oubli est
modèles ou paradigmes. Or ces paradigmes considéré comme une ascèse fonctionnelle (zhi,
explicatifs sont, on le voit, à la fois tous partiels et sagesse).  [20] » On pourrait trouver de multiples
méritent tous d'être pris en compte. En effet, ils ne autres exemples.
valent pas comme vérité mais comme perspective, Le problème de la maladie en psychiatrie est
et, au fond, ce qui importe, c'est l'attention donnée que l'organicité de celle-ci ne peut être démontrée
au malade et la tentative de le soigner au mieux. ou bien n'est pas seule en cause, le milieu consti-
Dans la pratique quotidienne, une certaine indé- tuant probablement, plus que dans de nombreuses
pendance par rapport aux modèles explicatifs pathologies non psychiatriques, un déterminant
relève d'une position éthique. fondamental de l'approche clinique.
Devant ces difficultés de définition de la mala-
La notion de maladie die en psychiatrie, deux réponses s'opposent,
constituant les deux pôles entre lesquels diffé-
et la psychiatrie
rentes nuances peuvent trouver leur place.
Nous avons vu qu'en psychiatrie se pose le pro- La première correspond au modèle médical, qui
blème d'une certaine incertitude et d'une variété conceptualise la pathologie en termes de para-
épistémique qui lui sont propres. Alors que l'évo- mètres somatiques, la maladie étant définie en
lution de la médecine en général a permis peu ou termes de déviations de variables mesurables [21].
prou un resserrement des tendances autour d'un Dans la médecine occidentale actuelle, c'est à par-
modèle médical consensuellement accepté, les tir d'un seuil, fixé en général de manière statis-
choses sont plus floues pour la psychiatrie. tique à partir des moyennes et des Z-scores, qu'on
D'une manière générale, en médecine, la diffé- définit une maladie (par exemple, l'hypertension
renciation normal/pathologique est un problème artérielle). Les processus complexes à l'origine de
délicat car on ne peut déterminer de manière cette pathologie sont réduits à une ou quelques
simple une norme supra-individuelle. Ce n'est causes, en accord avec une vision réductionniste
pas le cas pour un être singulier, puisque comme : ainsi se conçoivent la fracture osseuse et son
le dit Goldstein « tel individu peut se trouver à la traitement ou l'œdème aigu du poumon. Dans
hauteur des devoirs qui résultent du milieu qui lui cette perspective, en psychiatrie, la schizophré-
est propre » [18] (p. 342 et suivantes), et qu'il pos- nie est liée principalement à une dysrégulation du
sède en fait sa propre norme. La maladie apparaît système dopaminergique. C'est ainsi que la psy-
quand l'organisation harmonieuse du sujet dans chiatrie biologique relève de ce type de modèle
un milieu donné ne se fait plus et que se produit ­médical. Cette conception, si elle est pragmati-
une réaction catastrophique, qui l'amène à rétré- quement efficace, est insuffisante.
cir son milieu pour y survivre. Ainsi, dans la L'autre approche, dite biopsychosociale,
lignée de la pensée de Goldstein, « la maladie n'est intègre dans la pathologie psychiatrique l'en-
pas une variation sur la dimension de la santé, elle semble des facteurs biologiques, psychologiques
est une nouvelle dimension de la vie » [19] (p. 122). et sociaux constituant ainsi une approche sys-
Cette conception contraste, comme le remarque témique, sur la base de modèles de la com-
Canguilhem, avec celle de Claude Bernard qui est plexité  [21]. C'est une approche, développée par

226
Chapitre 11. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

Engel dans les années 1970, qui peut être quali- parce que l'EEG refléterait finalement les fonc-
fiée de « lutte pour l'éclectisme » [22], soulignant la tions psychiques de base de la neurologie selon la
prise en compte des trois aspects de la maladie, dichotomie de Ey et non les fonctions supérieures
mais avec le risque du choix de la détermination du cerveau. En réalité, en psychiatrie, la prescrip-
prépondérante, s'il en existe une. C'est dans ce tion de l'EEG va dépendre considérablement du
type de conception que la notion de vulnérabi- modèle de pensée du psychiatre. Un psychana-
lité prend tout son sens. Notons que l'approche lyste ou un spécialiste de TCC (qui sont souvent
biopsychosociale relève à la fois de la conception des psychologues) ne voient aucune raison dans
phénoménologique de Goldstein insistant sur leur cadre interprétatif des pathologies d'inclure
l'inscription de l'organisme en relation dans son l'EEG comme examen paraclinique systématique.
milieu et de l'approche psychanalytique et psy- Seuls les psychiatres adhérant au modèle de la
chopathologique. psychiatrie biologique au sens le plus large inclu-
Cependant, la définition de la maladie est ront spontanément la possibilité d'une explora-
également un problème social, en lien avec le tion cérébrale.
coût de la santé. Au-delà d'un certain seuil bio- L'EEG « colle » ainsi au modèle médical de la
logique ou fonctionnel fixé dans la communauté psychiatrie. C'est sans doute pour cette raison
(par exemple, par des conférences de consen- que la logique du développement de l'EEG en
sus), le pronostic de l'état du patient est consi- psychiatrie suivit celle du développement de cette
déré mauvais et les changements qui sont dus méthode en neurologie. Ceci a eu pour première
à cet état ne sont pas acceptables sur un plan conséquence de limiter cet examen au diagnos-
socio-économique : sur un plan social, parce tic différentiel d'une pathologie neurologique.
que le sujet voit ses capacités fonctionnelles La seconde conséquence en est que des manières
amputées ou altérées (comme par exemple dans d'analyser l'EEG plus spécifiques à la psychiatrie
les troubles affectifs bipolaires) ; sur un plan (cf. chapitre 3) n'ont pas reçu le développement
économique, parce que la morbi-mortalité est qu'elles auraient peut-être mérité.
d'un coût beaucoup plus élevé (en arrêts mala- Enfin, l'approche neurophysiologique peut
dies et en conséquences directes ou indirectes) intéresser les modèles cognitifs (ou cognitivo-­
que les soins prodigués. comportementaux) de la pathologie psychia-
trique, par le biais des potentiels évoqués cognitifs
EEG et modèle médical (cf. chapitre 5) qui constituent une évaluation élec-
trique de certaines fonctions cognitives (« neuro-
en psychiatrie
psychologie électrique »). Malheureusement, le
Après la guerre, outre l'encéphalographie gazeuse faible nombre de centres les utilisant de manière
fractionnée, la neurophysiologie offrait, par clinique ne permet pas encore d'en faire l'évalua-
l'EEG, l'un des premiers examens paracliniques tion extensive.
cérébraux efficaces venant au secours du diagnos-
tic des désordres mentaux, d'origine neurologique
ou non.
Mais alors qu'en neurologie, les explorations La psychiatrie, les neurosciences
paracliniques ont une place bien précise en lien et la complexité
avec ce que l'on connaît de la physiopathologie,
en psychiatrie, nous l'avons vu, force est de recon- Bien que la psychiatrie biologique ne résume pas
naître que non seulement la physiopathologie est ce qu'est la psychiatrie, notamment si on se réfère
mal connue mais, en outre, la dimension histo- au modèle biopsychosocial, les neurosciences sont
rique, sociale, environnementale vient de manière actuellement de plus en plus souvent convoquées
considérable moduler une biologie encore mal pour tenter d'expliquer les pathologies psychia-
décrite. triques selon le modèle de la neurologie. Cette
La place trop souvent marginale de l'EEG en tendance vaut aussi pour l'éthique (neuroéthique)
psychiatrie n'est pas due seulement au fait que les ou l'économie (neuroéconomie). Il faut prendre la
marqueurs EEG des pathologies mentales soient mesure de ce choix et plus précisément ce qui le
peu nombreux ou ténus (cf. chapitres 4 et 10), fonde.

227
Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

Les limites de modèles quantifiés Le cerveau, une image comme


en neurosciences une autre ?
Dans la conception moderne de la science, c'est- Une autre manière de souligner le construc-
à-dire galiléenne, le monde est écrit en langue tivisme de notre savoir neuroscientifique est
mathématique. Cette révolution conceptuelle de nous rendre compte à quel point il repose
majeure allait permettre aux sciences, en Occi- sur une série d'images ou de représentations
dent, un développement considérable, au prix que nous nous faisons du cerveau. En d'autres
d'une idéalisation (ou d'une réduction) des phé- termes, comme le disait Bergson, notre cerveau
nomènes observés à des équations ou des modèles « est une image comme les autres, enveloppée
mathématiques [23, 24]. dans la masse des autres images », celles de notre
Les mathématiques rencontrent dans leur corps  [28] (p. 39). Les images (représentations)
construction une vérité qui semble peu contes- que nous avons du cerveau proviennent le plus
table et indépendante des communautés qui les souvent des schémas des livres ou des cours de
pratiquent. De même, en physique classique, la neurosciences, de quelques films à propos
mathématisation (la mesure) permet de réaliser d'interventions neurochirurgicales et, dans
des exploits techniques étonnants et d'intégrer le meilleur des cas, d'une expérience réelle et
dans les nouveaux paradigmes les paradigmes personnelle en neurophysiologie expérimen-
les plus anciens [8] en en restreignant la validité [25] tale sur l'animal ou en neurochirurgie. Toutes
(p. 12 et 62). ces images présentent un caractère contex-
Les choses sont moins simples dès lors qu'on tuel, ne serait-ce qu'en relation avec les moyens
aborde la biologie et plus particulièrement le fonc- techniques de leur obtention. Ainsi, ce que
tionnement du cerveau, pour lequel les modèles connaissent les neuroscientifiques à propos du
même très évolués, comme ceux du chaos, restent cerveau n'est donc qu'un condensé d'images et
très en deçà de nos possibilités de compréhension de modèles entre autres mathématiques.
de cet organe. Ceci n'empêche pas tout un courant Nous oublions trop souvent que le cerveau sur
de pensée de réduire les processus biologiques, lequel nous discourons en neurosciences s'avère
notamment neurobiologiques, à des processus principalement une abstraction et non une réa-
physico-chimiques : c'est le physicalisme [26]. C'est lité. Plus exactement, notre discours porte sur
en grande partie la position de Changeux [27]. un consensus d'images idéalisées, à partir des-
Mais on peut cependant se demander s'il est quelles on fait l'inférence qu'il s'agit de la réa-
licite que la neurophysiologie fondamentale, la lité de l'organe même, dont nous n'avons jamais,
psychiatrie, la neurologie et les neurosciences par ailleurs, l'expérience directe en première
cliniques dans leur ensemble puissent être à personne. C'est en synthétisant cette somme
la recherche d'une vérité similaire à la vérité d'images communes et en jouant sur elles par
mathématique ou physique. Poussées tant par des méthodes d'imagerie cérébrale contem-
le pragmatisme du soin tout autant que par la poraines — qui portent alors si bien ce nom,
variété clinique, ces disciplines construisent des en quelque sorte au premier degré — que l'on
modèles beaucoup plus transitoires (falsifiables cherche à comprendre comment fonctionne le
dirait Popper [3]) qu'en physique et moins aptes cerveau, qui n'est, pour cette raison, que le plus
à faire expliquer les processus pathologiques et souvent virtuel puisque reconstruit par ordina-
leurs compensations. Il suffit de retracer l'his- teur.
toire des conceptions du cerveau en Occident
depuis la Grèce antique pour se rendre compte L'EEG comme construit social
de l'impact des constructions sociales dans leur
d'une communauté particulière
évolution, tout autant d'ailleurs que de la réma-
nence des très anciennes idées dans les nouvelles Dans cette même ligne et selon cette épistémo-
conceptions [1]. La variété épistémique de la psy- logie, notre savoir en neurophysiologie clinique
chiatre abordée plus haut, comme l'évolution du apparaît aussi comme un construit social sur
DSM, illustre le caractère contextuel des modèles la base des modèles construits par les neuros-
proposés. ciences. Ce savoir s'est constitué d'une part à

228
Chapitre 11. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

partir de l'expérience clinique considérable des La conséquence de la prise de conscience du


premiers neurophysiologistes et de leurs élèves2 caractère non plus absolu et véridique de notre
et, d'autre part, à partir de résultats empiriques savoir neurobiologique, mais de son caractère
obtenus le plus souvent dans des expérimen- construit et largement contextuel3, pourrait être
tations sur l'animal. Celles-ci sont parcellaires celle-ci : « Nous pouvons incontestablement nous
et leur transposition à l'homme reste toujours réjouir de ces avancées. Mais qu'avons-nous man-
problématique. Pour cette dernière raison, dans qué, entraînés dans le courant majoritaire des
le lacis des résultats expérimentaux se trouve modèles admis et ayant adhéré à une doxa insuf-
un nombre élevé d'incertitudes ou d'ignorances fisamment questionnée ?  »
quant aux modalités précises de l'électrogenèse
humaine normale ou pathologique [29]. La complexité dans les sciences
La particularité de cet ensemble de savoirs
est d'une part d'être à propos de configurations En 1948, Weaver [31], dans un article qui fit sensa-
(de formes) caractérisant les traces que produit tion, décrivit trois étapes dans la progression des
l'électrogenèse cérébrale sur du papier ou un paradigmes scientifiques (dans le cas particulier
écran (cf. chapitre 12) et, d'autre part, de n'être de la science physique) vers la complexité. La pre-
qu'un ensemble de corrélats possibles (mais pas mière étape est ce qu'il appelle le paradigme de la
constamment certains) d'événements neurobio- simplicité allant de 1600 à 1800. La physique gali-
logiques et cliniques sous-jacents. C'est dire ici léo-newtonienne fait partie de ce paradigme : le
le caractère artisanal — au sens le plus positif du savoir y est objectif, quantitatif, certain, organisé
terme — de l'activité d'interprétation de l'EEG. en « chaînes de raisons » [32]. Le second moment est
Ces réflexions d'ailleurs n'invalident en aucun celui de la complexité désorganisée, qui culmine
cas le caractère correct des relations observées et autour de 1850 par les découvertes de Maxwell et
des raisonnements réalisés à partir des résultats Boltzmann : il s'agit de la thermodynamique sta-
empiriques, par la méthode scientifique, induc- tistique s'appliquant aux collections de particules
tive. Cette position invalide simplement l'idée que de gaz et au problème de l'entropie. Nous savons
nous connaissons quelque chose de réel, en soi, qui que cette physique statistique conduira non seule-
s'appellerait le cerveau et sur lequel on pourrait ment à penser l'indétermination des vitesses et de
construire scientifiquement l'ontologie d'un objet la position des particules, mais aussi qu'elle per-
radicalement séparé du sujet qui l'observe [30]. mettra la naissance de la physique quantique, une
D'autre part, en soi, l'EEG (comme l'IRM, les des révolutions conceptuelles les plus impression-
potentiels évoqués etc.) est un artefact, c'est-à-dire nantes du xxe siècle débutant.
quelque chose d'artificiel (fabriqué par l'homme) Vers 1940 et juste après la guerre apparaît le
à partir d'ampèremètres intégrés avec des cap- troisième paradigme : celui de la complexité orga-
teurs plus ou moins spécialisés comme c'est le nisée. Comme l'indique Le Moigne [7], cette phy-
cas de la majorité des mesures scientifiques en sique doit appréhender de nouveaux problèmes
biologie. La relative efficacité de ces artefacts ne trop compliqués pour être appréhendables par les
doit pas nous faire perdre de vue qu'ils ne nous modèles de la mécanique rationnelle et pas assez
proposent qu'une vue globale, déformée, réduite désordonnés pour être compris par les modèles de
et quasi figée de cet organe. Ces mêmes arte- la mécanique statistique. Dans cette évolution :
facts ont paradoxalement généré la construction
de modèles mettant en exergue la complexité, la
plasticité et la mobilité aux échelles infra-anato- 3
Par exemple, le paradigme informationnel dans les
miques de cet organe. neurosciences n'a pu se développer qu'à partir de la
naissance des calculateurs et de la théorie mathéma-
tique de l'information. Voir ou considérer le cerveau
2
Ceci explique la notion d'interprétation en EEG et la comme un ordinateur, outre qu'il s'agisse d'un rever-
manière dont on apprend comment interpréter, plus sement problématique de la méthode qui prend la
dans le compagnonnage quotidien que dans les livres métaphore pour objet d'étude, nécessite un consensus
qui ne font que confirmer et clarifier ce savoir trans- social dans les neurosciences et s'avère donc un
mis. Ceci souligne le caractère social de la transmis- construit social accepté, et malheureusement peu
sion de ce savoir sur les formes. discuté.

229
Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

• la complexité désorganisée se verra « ordon- trouver des déterminations, et dans le paradigme


née » plutôt que complexifiée par les théories de la complexité organisée dès lors que, malgré
du chaos déterministe et de la dynamique des cette indétermination et malgré l'aspect aléatoire,
systèmes non linéaires ; se dégage l'idée sous-jacente d'une régulation et
• le paradigme réductionniste de la simplicité se de processus émergents, dans un modèle de cor-
verra « compliqué » plutôt que complexifié par tex hautement connecté à lui-même, sujet aux
les théories de la complexité computationnelle effets chaotiques mais sous la dépendance des
et des réseaux d'automates programmables ; systèmes réticulothalamiques [35] (p. 145).
• et l'apparition du paradigme systémique (et/ou
interactionniste) (1970) entraînera la rupture de
la clôture réductionniste.
La conscience, l'expérience
Quels niveaux de complexité en et la subjectivité : plasticité,
neurosciences et pour l'EEG ? organisme, monisme, dualisme
Quand nous observons attentivement nos rai- L'écueil de la subjectivité : le hard
sonnements sur le fonctionnement cérébral,
problem
nous constatons que selon le moment, selon le
contexte, nous utilisons les différents paradigmes Il est certain d'une chose, c'est que nous ne pou-
de ­Weaver. Nous nous inscrivons dans le para- vons penser en même temps, au moment où nous
digme de simplicité quand nous décrivons un pensons, à tout ce qui se passe dans notre cer-
réflexe, quand nous posons que tel signe clinique veau au moment même où nous le pensons. Là se
neurologique s'explique causalement par la rup- trouve sans doute la limite cognitive de notre cer-
ture d'un faisceau ou la destruction d'une aire, ou veau de chasseurs-cueilleurs et de toutes les neu-
que la dopamine compense la mort des neurones rosciences en général. L'autre limite qui semble
dopaminergiques dans la maladie de Parkinson. difficile à dépasser est celle de l'expérience sub-
Nous nous inscrivons dans le paradigme de la jective consciente et de son explication par les
complexité désorganisée, non pour la physiolo- neurosciences. Les neurosciences ne sont pas en
gie « macroscopique » (électrodes), mais dès qu'on état — mais le seront-elles un jour ? — de combler
envisage les mouvements moléculaires de l'eau ce « fossé explicatif » entre l'explanans (neurobio-
dans les fibres nerveuses (substratum de l'image- logique) et l'explanandum (la conscience phéno-
rie de diffusion) ou le comportement des récep- ménale) [36] (p. 145). C'est ce que l'on considère
teurs mobiles sur une membrane fluide et glis- comme le hard problem en philosophie de l'esprit.
sante. Nous nous inscrivons dans le paradigme Et la psychiatrie en général et la psychiatrie bio-
de la complexité organisée quand nous utilisons logique en particulier se heurtent à ce difficile
les modèles non linéaires du fonctionnement des problème.
réseaux neuronaux, que nous utilisons le modèle Il est tentant et habituel de réduire la science,
connexionniste-émergent, quand nous modéli- comme recherche de savoir, à la seule méthode
sons les signaux enregistrés sur cent électrodes expérimentale, hypothético-déductive et au syl-
par des attracteurs chaotiques ou non, ou quand logisme généralisé à la base des concaténations
nous envisageons les processus autopoïétiques [33] causales. Deux approches radicalement diffé-
ou auto-organisés [34]. rentes constituent en fait les pôles de l'épanouis-
Si on envisage le statut de l'EEG dans ces divers sement du savoir scientifique. L'une, analytique,
paradigmes, il semble qu'il puisse s'inscrire à la et hypothético-déductive fait que l'on peut par
fois dans le paradigme de simplicité (quand on la réduction méthodologique proposée par Des-
associe une décharge de pointes à un processus cartes dans le discours de la méthode — « Divi-
épileptique), dans le paradigme de la complexité ser chacune des difficultés que j'examinerais en
désorganisée dès lors que l'on note un caractère autant de parcelles qu'il se pourrait. » — démon-
fortement aléatoire quant à la forme même du ter les mécanismes d'un processus physique ou
signal pour lequel il semble parfois difficile de biologique et chercher des causes à la survenue

230
Chapitre 11. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

d'événements : cette approche se veut explica- la machine même mais en dehors d'elle, chez
tive. L'autre approche, holiste, ne cherche pas à un être qui l'a construite, alors que l'organisme
expliquer des phénomènes séparés ou plus ou est fondamentalement auto-organisé et la cause
moins réunis, mais à comprendre le proces- productrice est interne ;
sus global dans une vue synthétique. La vision • dans une machine, les parties comme le tout ne
holiste ne refuse pas une approche analytique peuvent ni se produire ni se reproduire, alors
mais elle la dépasse, l'intègre et l'utilise en vue que le corps vivant est à la fois cause et effet de
d'une meilleure saisie globale. Les sciences de la lui-même, à la fois en tant qu'espèce et en tant
complexité tentent de pousser vers une approche qu'individu.
plus globale, notamment en intégrant le sujet Dès lors, c'est bien une oscillation entre une
dans l'expérimentation (épistémologie quan- position analytique et une position holiste qu'il
tique) mais restent toujours quoi qu'on en dise, convient de tenir.
accrochées aux modèles mathématiques, même Nous pensons que par le terme de « psychiatrie
complexes. biologique », c'est le terme « biologique » lui-même
Or si l'on veut aborder avec quelque sérieux la qui a été fourvoyé, ramené à une définition maté-
question du hard problem en philosophie de l'es- rialiste restrictive du fonctionnement de l'organe
prit, une ouverture méthodologique et épistémo- cerveau. En revanche si l'on suit la proposition de
logique est requise. Il est probable que ce n'est pas Kant sur l'organisme, qui sera reprise par Golds-
avec nos méthodes classiques de la science carté- tein [18] à propos de la pathologie4, c'est-à-dire si l'on
sienne que nous pouvons espérer résoudre un jour considère dans une vision holiste l'organisme plu-
le très difficile problème de la conscience. tôt que l'organe, la psychiatrie (ou toute autre dis-
cipline médicale) n'est ni biologique ni psychique,
elle est une discipline qui s'intéresse à certaines
Plasticité psychobiologique : anomalies particulières dans le tout de l'évolution
le problème de l'organisme d'un organisme complet qui pense. Il est incontes-
Nous avons vu dans le paragraphe « Les tracés table que c'est la pédagogie médicale qui dans nos
paradoxaux » du chapitre 10 que certains auteurs domaines nous conduit à séparer ainsi les choses.
interprétaient les EEG dysrythmiques chez les Que ce soit en anatomie, en physiologie, tout est
patients souffrant de schizophrénie comme un pensé en tant que grands systèmes, mais jamais
indice de plasticité psychobiologique. La notion comme un organisme aux régulations multiples
d'organicité, si importante pour le diagnostic dif- trans-systémiques. D'ailleurs, des publications
férentiel en psychiatrie, fait référence à un organe très récentes illustrent cette proposition en sou-
et non à l'organisme. Tout au plus pourrait-on lignant l'interaction du cerveau avec le système
alors parler de « plasticité psychocérébrale » ou, immunitaire et le système microbien intestinal [38],
à la rigueur, de « plasticité psycho-organique » — ou bien encore les processus inflammatoires [39]
organique faisant référence à l'organe-cerveau et dans les pathologies psychiatriques, et nous n'en
non à l'organisme —, si tant est que nous voulions sommes qu'au début de l'inventaire. Il manque
adhérer à une position dualiste implicite dans dans la formation médicale la plus essentielle des
cette expression. disciplines : la physiologie générale des régula-
Or l'organisme n'est pas la simple addition des tions de l'organisme.
organes réunis ni même de leurs fonctionnements
mais, comme le signalait déjà Kant, l'organisme
est irréductible à une quelconque machine car [37] « En face d'une excitation donnée, non seulement la
4

(p. 104 et seq) : réaction peut varier, mais encore (…) le processus ne
• dans un corps organisé, les parties existent s'épuise pas en une réaction isolée ; bien plus, d'autres
pour et par les autres, contrairement à une parties de l'organisme et même l'organisme entier, parti-
machine où les parties existent pour et non par cipent de différentes façons à cette réaction. En premier
lieu nous pouvons établir que pour toute manifestation
les autres ; concernant un endroit déterminé de l'organisme, de
• dans la machine, la cause productrice des par- semblables modifications surviennent simultanément à
ties et de leurs formes n'est pas contenue dans d'autres endroits de l'organisme [18]. » (p. 173).

231
Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

Or, si une position dualiste doit être tenue, il conscience est un épiphénomène sans impact sur
nous semble que la frontière n'est pas entre le psy- la matière ; il s'agit là d'un dualisme tendant plutôt
chique et l'organique mais entre l'organisme tel vers le monisme (voir [38] pour toutes ces formes du
qu'il vient d'être défini et la conscience. dualisme). La troisième est le dualisme bergsonien
différenciant la matière et la mémoire, et affir-
L'ingérable question du monisme mant de manière très nette que la mémoire (l'état
psychologique) déborde de manière considérable
et du dualisme
la matière cérébrale [28] (p. 6 et 8). Dans ce sens, il
Nous avons vu que ce qui semble se dégager, à la peut affirmer : « Qu'il y ait solidarité entre l'état de
fois de l'effet Landolt direct et inversé et des tracés conscience et le cerveau, c'est incontestable. Mais
hypernormaux, c'est que les processus mentaux il y a aussi solidarité entre le vêtement et le clou
seraient à même de modifier l'électrogenèse. La auquel il est accroché, car si l'on arrache le clou, le
question fondamentale qui se pose alors est celle vêtement tombe. Dira-t-on pour cela que la forme
de l'égalité ou non des états mentaux avec les états du clou dessine la forme du vêtement ou nous per-
cérébraux, la réponse apportée modifiant signifi- mette en aucune façon de le pressentir ? [28] » (p. 4).
cativement la tentative d'explication de ces phé- D'autres traditions que la tradition judéo-­
nomènes. chrétienne européenne ou d'autres faits difficiles
Les neurosciences se fondent majoritairement à expliquer actuellement, en particulier les expé-
sur un monisme matérialiste (et en pratique phy- riences de mort imminente (NDE, Near Death
sicaliste) qui admet que tout état mental est réduc- Experiences), ajoutent aussi de l'eau au moulin
tible à des états physicochimiques, et qu'il n'y a du dualisme. D'autres enfin proposent que la
pas d'un côté la pensée et de l'autre la matière, conscience est diffuse et hors du cerveau, lequel
mais que seule la matière produit la pensée. Nous ne serait pour elle qu'un récepteur [40].
avons en partie discuté ce point dans [26], mais le Mais indépendamment des choix ou doctrines
problème rencontré par le monisme matérialiste philosophiques, nous aurions tort de négliger le
ou physicaliste (et donc les neurosciences) est qu'il poids culturel de ce dualisme puisque, quand les
est totalement incapable d'expliquer comment des sciences cognitives monistes (cf. infra) parlent
états matériels cérébraux peuvent engendrer des d'incarnation (ou d'embodiement), elles sont
pensées immatérielles, et réciproquement. implicitement dualistes puisque quelque chose
Face à ce fossé explicatif, ou bien, avant de le entre (in-) dans de la chair (carnation).
poser en ces termes, face à la problématique
somme toute de psychologie populaire de la Monismes
­dissociation du corps et de l'esprit, deux grandes Les propositions monistes sont, quant à elles, assez
tendances explicatives, fortement antagonistes se radicales, puisqu'elles postulent que res extensa
sont développées depuis plusieurs siècles. (matière) et res cogitans (pensée) ont le même sta-
tut ontologique. La position la plus sévère est la
Dualismes position éliminativiste (Chuchland, Changeux)
La première position, la plus communément [36]
qui postule que les états mentaux sont équiva-
admise, même implicitement dans la vie quoti- lents aux états cérébraux, lesquels ne sont rien de
dienne, est le dualisme. Celui-ci postule qu'il y a plus que des configurations physico-chimiques.
un corps et un esprit qui anime ce corps et qui est C'est d'ailleurs la position de très nombreux neu-
distinct du corps. Pour reprendre Descartes, la res roscientifiques pour qui toute forme de dualisme
extensa (matière) et la res cogitans (pensée) sont est impensable.
ontologiquement différentes : c'est le dualisme des Une forme de monisme évolué, qui tente d'évi-
substances. ter le réductionnisme fort de la position éliminati-
Le dualisme connaît plusieurs variations. viste en tentant d'intégrer la complexité cérébrale,
La première est le dualisme des propriétés de en particulier le problème de la conscience, est
Spinoza : la matière et l'esprit sont les deux faces le paradigme émergentiste. La thèse de l'émer-
différentes d'un même phénomène. La seconde gence soutient « que les propriétés d'un ensemble
est l'épiphénoménisme de Kim, dans lequel la ne peuvent en général être prédites à partir d'une

232
Chapitre 11. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

information concernant ses parties… » [41] (p. 181). holiste qu'analytique de ces phénomènes, tous en
L'idée centrale de l'émergentisme en neuros- interaction. C'est en quelque sorte ce que pro-
ciences est que puisse émerger d'une société de posait Edelman en parlant de « bootstrapping »
neurones des comportements plus complexes, (autoconsistance), concept développé en physique
initialement non prévus et non prédictibles par quantique et à l'origine de la théorie des cordes [43].
la somme des comportements unitaires des neu- Le bootstrap en physique des particules s'énonce
rones eux-mêmes. Cette théorie intégrée dans comme suit : « Chaque particule nucléaire a trois
celle des sociétés d'agents a été appliquée par rôles différents :
les neurosciences cognitives dans leur version • « un rôle de constituant des ensembles compo-
connexionniste et constitue une avancée signifi- sés ;
cative des modèles cognitivistes. La modélisation • « un rôle de médiateur de la force responsable
de l'émergence — qui est équivalente dans les de la cohésion de l'ensemble composé ;
sciences cognitives à l'autopoïèse de la biologie • « et un rôle de système composé. » (Chew, cité
générale — a été construite à partir de l'informa- par Nicolescu [43] p. 94).
tique, dans le cadre général du paradigme infor- Le bootstrap postule qu'il n'y a pas une parti-
mationnel [26, 33] (p. 131–152). Mais rien n'empêche cule plus fondamentale que les autres, mais que
de penser que d'une énorme masse de cellules toutes les particules devaient être également fon-
nerveuses, matérielles, puissent émerger non plus damentales et que chaque particule est ce qu'elle
seulement des comportements complexes, mais est parce que toutes les autres particules existent à
une conscience (un psychisme) dont la nature la fois. Donc c'est l'interaction qui crée réellement
pourrait être complètement différente de la nature l'identité d'une particule et qui fait qu'il y a « indi-
matérielle des cellules cérébrales, comme l'est vidualité » de cette particule.
d'ailleurs un comportement. Nous retrouverions
là une pensée très proche de celle de Spinoza, d'un Synthèse sur la problématique
dualisme des propriétés.
corps-esprit et la psychiatrie
Une autre approche plus raffinée de monisme
émergentiste consiste à joindre à l'autopoïèse Où en sommes-nous finalement ?
la codépendance. C'est ce qu'a fait Varela [33]. La • Nous voyons que la problématique corps-esprit
notion de codépendance (ou avènement codé- pourrait être remplacée avantageusement par
pendant) est une notion issue de la philosophie une vision plus intégrative de type organisme-
extrême-orientale : il s'agit de « dépendance à conscience. Cela ne règle en aucune manière
l'égard de conditions possédant diverses ori- le problème du fossé dans l'explication mais
gines » [41] (p. 160). Notons qu'il ne s'agit pas pour a l'avantage d'intégrer la psychiatrie ni dans
nous, contrairement au texte de Varela, de calquer la biologie, ni dans la psychologie, mais dans
une quelconque spiritualité sur la neurobiologie, l'organisme dont un organe lésé, dans ses rela-
mais simplement d'utiliser un concept à haute tions de codépendance et d'intégration altère le
densité référentielle et qui nous semble convenir bon fonctionnement et l'adaptabilité de tout cet
pour décrire ces processus interactifs générali- organisme.
sés à nombre de variables infini. Mais alors que • Nous sommes obligés de constater que les deux
le connexionnisme émergent reste attaché à la grandes théories, moniste comme dualiste,
notion de représentation mentale, l'énaction de dans leurs diverses versions même les plus
Varela s'attache à décrire la codépendance des raffinées, n'ont aucune preuve de ce qu'elles
états mentaux et du monde dans une interaction avancent sur la conscience. On ne fera que dif-
sans cesse remodelée. Cette notion d'énaction est ficilement admettre à un neurochimiste ou un
d'ailleurs le « recyclage » cognitiviste de propo- cognitiviste que la conscience est autre chose
sitions bien antérieures que l'on retrouvera chez qu'un état cérébral particulier spécifique de
Bergson [28] ou dans l'École gestaltiste des années l'évolution humaine et que la conscience peut
trente du vingtième siècle [42] (cf. chapitre 12). exister sans le cerveau. On ne fera pas plus
Dans ces approches monistes évoluées, nous admettre à une personne ayant vécu une expé-
sommes donc amenés à penser une approche plus rience de mort imminente que sa conscience ne

233
Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

s'est pas détachée de son corps pour y rentrer à


nouveau.
Conclusion
• Au fond, on voit bien que les croyances scien- Nous voyons à quel point, dès lors qu'on s'arrête
tifiques sur lesquelles sont basées les théories, quelques instants pour tenter de réfléchir à la fon-
dans le domaine particulier de ce qui relève dation des concepts qui sont les nôtres et même
des sciences du cerveau et de l'esprit, sont de des disciplines dans lesquelles nous travaillons,
l'ordre des choix idéologiques ou spirituels. tout est friable, fragile, mal fondé. Le paradoxe est
Plus encore, ils sont en prise directe avec des que, comme le dit Bergson [28], l'homme étant fait
expériences de vie (expérimentations, forma- pour l'action, c'est le pragmatisme qui prime face
tion et rencontres, expériences mystiques ou à la contemplation philosophique qui ne peut que
esthétiques) vécues par ceux qui défendent ces rester que minoritaire, tant la vie est action. De
théories. cette incroyable capacité à l'action, notre Homo,
• Nous sommes piégés par les mots, en parti- finalement plus faber que sapiens, invente des
culiers les couples d'opposés. Si ceux-ci sont outils de plus en plus compliqués et performants
utiles pour différencier deux états comme qui facilitent son action et par voie de consé-
la veille et le sommeil profond, ils semblent quence la réflexion pour qu'en retour l'action se
induire plus de difficultés que de permettre de développe et se complexifie. C'est là l'histoire
résoudre les problèmes dans le cadre de cette des liens entre sciences et technique dans les-
thématique. quels nous sommes enfermés et en même temps
Dès lors peut-être faut-il avoir : par lesquels nous sommes libérés. Cependant,
• soit la position la plus humble qui consiste à les modèles nécessaires à la mise en place de ce
dire que le problème nous dépasse infiniment pragmatisme, incomplets mais efficaces, laissent
et nous dépassera probablement définitive- un reste, souvent considérable, d'inexpliqué et
ment, et que ce n'est pas si grave, adoptant ainsi d'incompris. Le travail de l'épistémologie est de
la position du sage chinois si bien décrite par le dévoiler, celui de la philosophie de tenter de le
M. Bitbol [30] (p. 260) ; comprendre.
• soit proposer une épistémologie des multiples
possibles, acceptant le dualisme comme le
Références
monisme et toutes les propositions intermé-
diaires et sachant que, comme le vecteur d'état [1] Vion-Dury J, Clarac F. La construction des concepts
de la mécanique quantique avant la réduction scientifiques : Entre l'artéfect, l'image et l'imagi-
nécessaire à la mesure, toutes les possibilités naire. Paris : L'Harmattan ; 2008.
sont en fait incluses en même temps et que seul [2] Charrier J-P. Scientisme et Occident : Essais d'épisté-
un point de vue donné en privilégie une. C'est mologie critique. Paris : L'Harmattan ; 2005.
ainsi que H. Atmanspacher [44] a pu proposer [3] Chalmers A-F. Qu'est-ce que la science ? Paris : Le
le concept de compatibilité entre différents Livre de Poche ; 1990.
modèles en même temps valides5. Cette épisté- [4] Husserl E. De la synthèse passive. Grenoble : Jérôme
Millon ; 1998.
mologie a été détaillée dans [45].
Ce ne sont pas évidemment des positions à [5] Le Moigne J-L. Les épistémologies constructivistes.
Paris : Presses Universitaires de France ; 2012.
la mode, ni majoritaires, mais elles ont la vertu
d'apaiser d'une manière ou d'une autre le débat [6] Andreewsky E, Delorme R. Seconde cybernétique et
complexité. Rencontres avec Heinz von Foerster.
aussi passionné qu'infructueux que se livrent Paris : L'Harmattan ; 2006.
depuis des siècles les philosophes et scienti-
[7] Le Moigne J-L. Complexité. In : Lacour D, editor.
fiques. Dictionnaire d'histoire et de philosophie des
sciences. Paris : Presses Universitaires de France ;
2006. p. 240–51.
[8] Kuhn TS. La structure des révolutions scientifiques.
Paris : Flammarion ; 2008.
5
Ceci nécessite des processus chaotiques, et convient à [9] Caroli F, Lanteri-Laura G, Thurin J-M, et  al.
la description des états psychologiques multistables. Psychiatrie. Encyclopædia Universalis ; 2007.

234
Chapitre 11. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

[10] Kayser C. Physiologie. In : Muscles. Système ner- [29] Vion-Dury J, Blanquet F. Pratique de l'EEG : Bases
veux, Tome 2. Paris : Lavoisier ; 1976. neurophysiologiques, principes d'interprétation et
[11] Deniker P. La psychopharmacologie. Paris : Presses de prescription. Paris : Masson ; 2008.
Universitaires de France ; 1966. [30] Bitbol M. De l'intérieur du monde : Pour une philo-
[12] Gonon F. La psychiatrie biologique, une bulle spécu- sophie et une science des relations. Paris :
lative ? Esprit ; 2011 ; novembre : 54-73. Flammarion ; 2010.
[13] Kandel ER. Un nouveau cadre conceptuel de travail [31] Weaver W. Science and complexity. American
pour la psychiatrie. L'Évolution Psychiatrique 2002 ; Scientist 1948 ; 36 : 536–44.
67 : 12–39. [32] Descartes R. Discours de la méthode. Paris :
[14] Postel J, Quétel C. Nouvelle histoire de la psychiatrie. Gallimard ; 1970.
Paris : Dunod ; 2012. [33] Varela F, Thompson E, Rosch E. L'inscription corpo-
[15] Ey H, Bernard P, Brisset C. Manuel de psychiatrie. relle de l'esprit. Paris : Seuil ; 1999.
Paris : Masson ; 1989. [34] Pouteau S. Génétiquement indéterminé : le vivant
[16] Ey H. La Conscience. Paris : Desclée de Brouwer ; auto-organisé. Versailles : Quae ; 2007.
1983. [35] Rey M, Guillemant P. Apport des mathématiques
[17] Naudin J, Pringuey D, Azorin J. Phénoménologie et non linéaires (théorie du chaos) à l'analyse de l'EEG.
analyse existentielle. In : Psychiatrie. Encycl  Méd Neurophysiol Clin 1997 ; 27 : 406–28.
Chir (Elsevier, Paris) ; 1998. p. 1–8, 37-815-A-10. [36] Fisette D, Poirier P. Philosophie de l'esprit. État des
[18] Goldstein K. La Structure de l'organisme : introduc- lieux. Paris : Vrin ; 2002.
tion à la biologie à partir de la pathologie humaine : [37] Jaquet C. Le corps. Paris : Presses universitaires de
texte augmenté de fragments inédits. Paris : France ; 2001.
Gallimard ; 1983. [38] Qureshi IA, Mehler MF. Towards a ‘systems'-level
[19] Canguilhem G. Le normal et le pathologique. Paris : understanding of the nervous system and its disor-
Presses Universitaires de France ; 2013. ders. Trends Neurosci 2013 ; 36 : 674–84.
[20] Lupu F. Vieillissement et résilience : approche par la [39] Hamdani N, Doukhan R, Kurtlucan O, et  al.
Chine. In : Lejeune A, Maury-Rouan C, editors. Immunity, inflammation, and bipolar disorder : dia-
Résilience, vieillissement et maladie d'A lzheimer. gnostic and therapeutic implications. Curr
Marseille : Solal ; 2007. p. 187–218. Psychiatry Rep 2013 ; 15 : 387.
[21] Graça Pereira M, Smith T. Evolution of the biopsycho- [40] Noë A. Out of our heads : why you are not your brain,
social model in the practice of Family Therapy. Int J and other lessons from the biology of consciousness.
Clinical and Health Psychology 2006 ; 6 : 455–67. New York : Hill and Wang ; 2009.
[22] Ghaemi SN. The rise and fall of the biopsychosocial [41] Nadeau R. Vocabulaire technique et analytique de
model. Br J Psychiatry 2009 ; 195 : 3–4. l'épistémologie. Paris : Presses Universitaires de
[23] Rey O. Itinéraire de l'égarement : Du rôle de la science France ; 1999.
dans l'absurdité contemporaine. Paris. Seuil ; 2003. [42] Von Weizsäcker V. Le cycle de la structure. Paris :
[24] Husserl E. La Crise des sciences européennes et la phé- Desclée de Brouwer ; 1958.
noménologie transcendantale. Paris : Gallimard ; 2004. [43] Nicolescu B. Nous, la particule et le monde.
[25] Bachelard G. Le nouvel esprit scientifique. Paris : Fernelmont : EME ; 2012.
Presses Universitaires de France ; 2003. [44] Atmanspacher H, Beim Graben P. Contextual emer-
[26] Vion-Dury J. Entre mécanisation et incarnation : gence of mental states from neurodynamics. Chaos
réflexion sur les neurosciences cognitives fondamen- and Complexity Letters 2007 ; 2 : 151–68.
tales et cliniques. Revue de Neuropsychologie 2007 ; [45] Vion-Dury J. Épistémologie des multiples possibles :
17 : 293–361. fondements phénoménologique et quantique ; réso-
[27] Changeux J-P. L'homme neuronal. Paris : Pluriel ; 2012. nances avec l'esthétique du Baroque. In : Kapoula Z,
Lestocart L-J, editors. Esthétique et Complexité,
[28] Bergson H. Matière et mémoire : Essai sur la relation Tome II. Paris : Éditions du CNRS ; 2014. sous
du corps à l'esprit. Paris : Presses Universitaires de presse.
France ; 2008.

235
Questions Chapitre 12
épistémologiques
soulevées par l'EEG
en psychiatrie
L'ouverture phénoménologique
J. Vion-Dury1

Dans le chapitre 10, nous avons insisté sur les


différences entre EEG en neurologie et EEG en
Quand la subjectivité s'invite
psychiatrie biologique, mais surtout sur les consé- L'épistémologie quantique postule (et comprend)
quences de certaines « anomalies » paradigma- qu'on ne peut séparer le phénomène modélisé
tiques rencontrées en neurophysiologie chez les du système modélisateur. En d'autres termes,
patients atteints de maladies psychiatriques. L'ef- une des questions centrales est celle-ci : « Com-
fet Landolt (direct et inversé) et les tracés hyper- ment l'observateur influe-t-il sur l'observation ? »
normaux posent la question d'une part d'une C'est la question, encore incomplètement réglée,
plasticité psychobiologique, mais plus encore de de la mesure en mécanique quantique. Si une
l'équivalence entre états cérébraux et états men- conscience ou une subjectivité sont absolument
taux, comme nous l'avons analysé dans le chapitre déterminantes dans l'observation scientifique en
11. Cette équivalence, non démontrée, mais pos- général, ceci vaut évidemment pour la neurophy-
tulée de manière générale dans les neurosciences, siologie en général et l'EEG en particulier.
relève d'une épistémologie cartésienne, analy- La question est alors de savoir comment s'invite
tique, mécaniste, à la recherche de concaténations la subjectivité et ce qu'elle fait dans la lecture de
causales comme la physique classique dont elle l'EEG.
procède. Cette épistémologie quantique se développe dans
Cependant, une autre révolution épistémo- les années 1970 sur la base de la prise en compte
logique devait dans les années 1970 voir le jour, de la complexité. C'est ainsi que la réflexion sur
caractérisée par le renversement de l'attitude la complexité a amené de nombreux chercheurs,
scientifique qui consiste à intégrer les processus parmi lesquels von Foester [1], Morin [2] et d'autres,
© 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

subjectifs au sein même de l'objectivation scienti- à concevoir cette nouvelle révolution épistémolo-
fique. Cette révolution est appelée seconde cyber- gique majeure mais encore largement ignorée des
Neurophysiologie clinique en psychiatrie

nétique ou épistémologie quantique. neurosciences : la seconde cybernétique (ou cyber-


nétique du second ordre) laquelle relève du para-
digme de la complexité organisante dans lequel :
• le phénomène modélisé ne peut plus être séparé
du système modélisateur (d'où l'appellation
d'épistémologie quantique, la leçon de la méca-
1
Relecture : C. Balzani, J.-A. Micoulaud-Franchi. nique quantique ayant été enfin prise en compte) ;

237
Partie I. Épistémologie et phénoménologie

• la récursivité est centrale ; Cet oubli du sujet [6] allait être reconsidéré à la
• et on peut parler d'observaction2. lumière de la mécanique quantique dont un des
Or, au moment où naissait la mécanique quan- enjeux épistémologiques est que la séparation
tique, dans le début du xxe siècle, d'une part Poin- sujet/objet, nette dans la mécanique classique, ne
caré conceptualisait la physique de l'imprédicti- l'est plus dans la mécanique quantique4. Bohr par-
bilité3 au sujet du problème des trois corps [3] et, tage ainsi avec Kant le renoncement de la connais-
d'autre part, Husserl ouvrait le grand chantier de sance de « la chose en soi » 5 [8, 9], que reprendra
phénoménologie transcendantale [4] en reprenant Husserl ultérieurement. En fait, l'interprétation
la tradition cartésienne des Méditations Métaphy- de Bohr de la mécanique quantique possède de
siques. En effet, c'est en 1913 que Husserl publie les profondes similitudes avec la conception husser-
Idées directrices pour une phénoménologie, l'année lienne de phénomène.
même où Niels Bohr propose son modèle d'atome C'est ainsi qu'intégrer la subjectivité dans le
formé de niveaux d'énergie caractérisés par des processus de compréhension de la neurophysio­
probabilités de présence [3]. logie et en particulier de l'EEG nécessite de pré-
En outre, Husserl publiait en 1936 la Crise des senter au préalable la phénoménologie.
sciences Européennes et la phénoménologie transcen-
dantale qui allait servir, de même que les écrits de
Weber, de Dilthey et bien d'autres, de support philo-
sophique aux nombreuses critiques du positivisme et Qu'est que la phénoménologie ?
du réductionnisme scientifique [5]. Il allait ainsi ouvrir
Il convient tout d'abord de lever une ambiguïté. Il
la voie à l'épistémologie non cartésienne en fait assez
existe deux sens au mot phénoménologie. Le pre-
mal nommée. En effet Descartes a produit un double
mier, le sens étroit, est simplement la description
héritage : celui du Discours sur la méthode, repris par
des phénomènes survenant dans une expérimen-
tous les scientifiques comme la méthode scientifique
tation de type empirique. C'est la description de
par excellence, et celui des Méditations Métaphysiques
ce qui se présente comme données observables. Le
qui postule que tout part du cogito (y compris les acti-
second, plus large, est celui d'un courant philoso-
vités scientifiques), c'est-à-dire que la subjectivité est à
phique majeur né au début du xxe siècle : il s'agit
l'origine de toute démarche scientifique ou autre.
de la phénoménologie transcendantale. C'est ce
dont nous parlons ici.
2
À l'épistémologie cartésienne caractérisée par le dua-
lisme sujet-objet, l'objectivisme, le réductionnisme, le La phénoménologie comme
causalisme efficient et linéaire, le déductivisme et la
complétude, succède ainsi une épistémologie non car- courant philosophique
tésienne caractérisée par la dynamique des systèmes
non linéaires, la recherche non pas d'explications C'est donc dans cette ambiance, dans laquelle
« mais de représentations sur lesquelles on peut opé- se pose, dans les sciences les plus modernes de
rer », par le passage de l'objectif d'explication par des l'époque, la question de l'emmêlement de l'ob-
causes à celui d'intelligibilité ou de compréhension,
par la recherche de comportements sinon prévisibles,
du moins probables, par la fin de la confusion entre 4
C'est pour cette raison notamment que l'épistémo­
imprévisible et inintelligible et, enfin, par la réinté- logie de la complexité est appelée également épisté-
gration de la téléologie (du « parce que » au « afin de »), mologie quantique.
c'est-à-dire de la cause finale d'Aristote (voir l'article 5
Pour Kant, il n'y a « pas de connaissance au sens méta-
"Complexité" de J.L. Le Moigne dans le Dictionnaire physiquement radical de dévoilement de la chose en
d'histoire et philosophie des sciences, PUF, 2006). soi ; pas davantage d'autoconnaissance au sens d'auto-
3
Poincaré montre qu'on ne peut prédire à long terme la dévoilement ultime du sujet en soi. Seulement un jeu
position de trois corps dans l'espace. Il s'agit là de de miroirs mutuel, en devenir et sans commencement
l'introduction de l'imprédictibilité dans les systèmes assignable, où la forme de la faculté de connaître est
physiques, imprédictibilité qui avait d'ailleurs été originairement acquise dans l'acte de saisie des objets,
pressentie vers 1850–1860 par Maxwell, l'inventeur de et où les objets sont réciproquement constitués par la
l'électromagnétisme. La mécanique quantique, elle, forme de la faculté de connaitre sous la seule
y introduit l'indétermination (exemplifiée par les iné- contrainte d'aboutir à un ordre intersubjectivement
galités ­d 'Heisenberg, notamment). valide » (p. 227) [7].

238
Chapitre 12. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

jet d'étude, du dispositif expérimental et de la (p. 26). Il s'agit de créer une science transcendan-
conscience de l'expérimentateur, que naît la phé- tale dirigée vers « les profondeurs cachées de la vie
noménologie [8]. gnosique effectuante » [14] (p. 27). Pour Husserl, la
La phénoménologie n'a pas été initiée par Hus- phénoménologie est une science véritable8 confé-
serl de novo. On peut en faire remonter les pré- rant à l'ego (le sujet) transcendantal le statut absolu
misses à saint Augustin et Descartes. C'est saint d'unique fondement de la scientificité, faisant ainsi
Augustin qui, le premier, dans le De Trinitate en sorte que la connaissance de l'objet passe d'abord
(X, § 14-16), a posé la question du doute radical et par la connaissance de soi [15] (p. 2), au rebours de
a fourni à Descartes, comme le signale Pascal, les toute philosophie empiriste dont procède l'approche
bases de l'argument du cogito. Mais c'est Descartes scientifique en biologie. Le « motif transcendantal »
qui a développé la problématique du cogito. Après (présent chez Descartes comme chez Kant), « c'est
une attitude de doute généralisé, Descartes fonde celui de la question-en-retour sur l'ultime source de
toute connaissance sur le seul et indubitable fait toutes les formations de connaissance, c'est l'auto-
que l'on pense (d'où le cogito ergo sum)6. Comme méditation du sujet connaissant sur soi-même et
le dit Husserl, Descartes est le « fondateur origi- sur sa vie de connaissance… » [13] (p. 113).
nel aussi bien de l'idée moderne du rationalisme La démarche phénoménologique procède alors
objectiviste que du motif transcendantal qui le par trois réductions9. La première réduction, ou
fait éclater » [13] (p. 85). Husserl reconnaît égale- réduction phénoménologique, est la toute pre-
ment que la philosophie de Kant (idéalisme trans- mière étape qui, en mettant entre parenthèses
cendantal7) était en chemin vers un idéal tel que le toutes les théories pré-données, ouvre l'accès aux
philosophe ait une « claire compréhension de lui- choses elles-mêmes, telles qu'elles sont saisies
même en tant que subjectivité dont le fonctionne- dans l'immédiateté de l'intuition. Elle dévoile la
ment sert de source ultime » [13] (p. 114). conscience comme intentionnalité : c'est-à-dire
Husserl va généraliser et radicaliser l'approche le fait d'« être toujours à propos de ». La seconde
cartésienne dans le but d'établir « la fondation la réduction ou « réduction eidétique », en mettant
plus profonde de toutes les sciences objectives dans hors-jeu le jugement de réalité (l'idée qu'on croit
l'universalité de la conscience connaissante » [14] que cette chose est réellement là, ainsi) que l'on
porte sur la chose, permet d'en faire varier ima-
ginairement les traits et de découvrir ainsi ceux
6
Descartes dans le Discours de la méthode (1637) [10] qui, ne pouvant varier, en constituent l'essence ou
reconnaît (chapitre 2) qu'aucune connaissance n'est eidos. Cette méthode est dite aussi des « variations
certaine puis énonce les quatre préceptes de sa imaginaires ». La « réduction transcendantale »,
méthode. C'est dans la quatrième partie qu'il proposera
le fameux cogito (« Je pense donc je suis ») comme la
seule chose « si ferme et si assurée ». Malheureusement,
on aura tendance à ne retenir que le troisième précepte 8
Rappelons que Husserl était initialement mathémati-
« de diviser chacune des difficultés que j'examinerais cien et logicien. De ce fait, il n'a cessé d'insister sur le
en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait caractère rigoureux de la construction de la phéno-
requis pour les mieux résoudre » (ce qui fondera l'ato- ménologie. Ses écrits sont impressionnants de rigueur
misme-associationnisme des neurosciences et de la conceptuelle et logique. En même temps il a refusé ce
biologie en général), tout en oubliant que, pour qu'il appelle la falsification psychologisante du pur
Descartes, l'ensemble de la connaissance est fondée sur ego, qu'effectue selon lui Descartes [13] (p. 91) en met-
la seule certitude que l'on pense. Descartes développera tant hors circuit le corps (dualisme). L'ego n'est pas un
plus tard, dans les deux premières Méditations residuum du monde, mais la position absolument
Métaphysiques (1641) [11], le problème du doute généra- apodictique, qui n'est rendue possible que par l'épo-
lisé et des conséquences du cogito. chè, et la mise entre parenthèses de l'ensemble de la
7
Chez Kant, transcendantal « concerne tout ce qui validité du monde [13] (p. 92). De plus, en voulant fon-
conditionne les conditions a priori de l'expérience, der une science logique des essences, il élimine la pos-
ainsi que les connaissances qui prétendument en sibilité du solipsisme généralisé.
découlent » (p. 593) [12]. « Est transcendant ce qui est au 9
La réduction en phénoménologie n'a rien à voir avec le
delà de l'expérience, et transcendantal ce qui est en réductionnisme du physicalisme : c'est un geste ou
deçà et qui la permet. » « Transcendantal s'oppose à une opération, une prise de conscience du sujet qui
empirique mais de l'intérieur ; transcendant s'oppose modifie sa relation au monde et aux objets, une
à immanent mais de l'extérieur. » redirection.

239
Partie I. Épistémologie et phénoménologie

l'étape la plus radicale, tente de mettre hors jeu factuel (empirique), entre le vécu de conscience
tout jugement d'existence sur le monde (c'est celle et l'objet visé » [18] (p. 72). Dans ce passage, il faut
du doute radical généralisé). Cette étape dénom- comprendre que la conscience dispose d'un statut
mée « épochè » dévoile le monde en tant que son particulier du fait même de sa constitution duale :
sens est produit (on dira ici « constitué ») par le « Elle est constituée par quelque chose qu'elle n'est
sujet. Le sujet à la fois produit le sens du monde pas, mais qu'elle vise à connaître et dont elle en
(sujet dit « constituant ») et est produit par lui est partie prenante. » Il faut alors distinguer ce qui
(sujet dit « constitué ») au même titre que tout ce est présent dans la conscience (vécus intention-
qui est dans le monde (en termes philosophiques : nels) et ce qui est présent pour la conscience (cor-
un étant). Ainsi, le mot « transcendantal » peut rélats intentionnels). Pour le phénoménologue, le
être aussi considéré comme synonyme de « consti- monde est pour nous, il n'existe pas en dehors de
tuant » [14, 16]. chacun de nous. La conscience est comme une
Si la conscience propre du sujet (l'ego trans- torche qui illumine, dans la grotte obscure de
cendantal) est au centre de la pensée phénomé- notre existence, la stalactite qui est devant nous.
nologique, l'épochè phénoménologique invite à Mais nous comprenons bien que la grosse pierre
considérer l'apparaître des choses. Les questions qui est à nos pieds, non éclairée, n'existe pas pour
toujours posées, une fois cette position « naïve » nous jusqu'au moment où elle nous fera trébucher.
adoptée sont celles-ci : «  Comment m'appa- Cette torche, c'est ce que Merleau-Ponty appelle le
raissent les choses ? » « Quel effet cela me fait-il « rayon de monde ».
de … ? », etc. Point d'irrationalité dans la phéno- Dès lors la phénoménologie est une épistémo-
ménologie. La phénoménologie est une attitude logie radicale qui fait « droit aux choses mêmes
rigoureuse à l'extrême qui impose à l'ego trans- pour l'opposer à toutes les constructions échafau-
cendantal de ne plus considérer les interpréta- dées dans le vide, à toutes les trouvailles dues au
tions standards ni les différentes théories comme hasard, à la prise de concepts qui n'ont de bien-
des évidences « naturelles », comme allant de soi, fondé que l'apparence, aux questions fallacieuses
mais de poser en permanence la question de la qui vont souvent se propageant d'une génération à
validité de nos interprétations collectives du l'autre » [19] (p. 54).
monde et des choses10.
Comme nous l'avons signalé, la phénoméno- Le renversement
logie husserlienne a porté son attention sur la
conscience, non pas comme une fonction repré- phénoménologique
sentationnelle, épiphénoménale, secondaire à et les neurosciences
l'intentionnalité telle que la pense la philosophie On pourrait penser que la phénoménologie n'a pas
cognitive, mais comme le centre même de notre grand-chose à voir avec les neurosciences et qu'en
vie mentale [17]. Penser la conscience, sa structure, définitive elle se pose à côté de celles-ci comme
ses contenus, du point de vue husserlien, c'est la une entité spéculative autonome sans intérêt. En
penser comme corrélation avec le monde environ- fait, il n'en est rien. Les neurosciences, qui veulent
nant non pas comme donné une fois pour toutes tenter d'expliquer la conscience, rencontrent à
(pré-donné), mais comme toujours en train de se un moment donné la phénoménologie (science
donner pour nous, là, maintenant. La structure de la conscience pure fondant les sciences), soit
intentionnelle de la conscience (le fait qu'elle soit comme vis-à-vis, soit comme adversaire (c'est le
tournée vers quelque chose) a pour synonyme la cas de la philosophie cognitive qui dérive de la
notion technique de « corrélation noético-noéma- philosophie analytique et du positivisme logique),
tique, qui renvoie au rapport essentiel (eidétique soit comme approfondissement (approche en pre-
[relatif à l'essence]) en phénoménologie et non pas mière et deux­ième personne dans les expériences
empiriques), soit comme fondation (c'est-à-dire
En définitive, la phénoménologie, non seulement est
10 comme épistémologie radicale).
une épistémologie, mais c'est aussi une éthique et un Tout d'abord, il convient de ne pas confondre
art de vivre. la phénoménologie et son insistance pour prendre

240
Chapitre 12. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

en compte les vécus conscients dans la construc- naturelle, c'est-à-dire ce qui semble aller de soi,
tion du savoir objectif et le fait qu'en neuros- tous les jours pour nous (incluant, par exemple,
ciences on procède de plus en plus à la mise en les schémas de neurones).
regard des résultats expérimentaux (en troisième Si les neurosciences sont, du point de vue du
personne) avec le vécu des sujets pendant l'expé- phénoménologue, secondes par rapport à la
rience (en première ou seconde personne). Cette conscience, elles ne peuvent l'expliquer. Et c'est
procédure, nécessaire, procède indirectement de probablement pour cette raison que se pose le pro-
la phénoménologie mais ne la résume pas. blème du fossé explicatif de la conscience par les
Le premier intérêt de la phénoménologie en neurosciences. La conscience ne peut principielle-
neurosciences est la possibilité de réaliser l'épo- ment pas être comprise par les neuro­sciences, car
chè, la suspension du jugement et la mise entre c'est elle qui les fait naître, comme elle fait naître
parenthèses de tout résultat, de tout modèle le savoir musical, la poésie et l'ensemble de tous
explicatif, de tout savoir scientifique en se posant les savoirs. Le problème du fossé explicatif ne
la question : comment cette connaissance est- semble exister que parce que c'est un problème
elle née, quelle validité a-t-elle, et existe-t-elle ? mal posé, dans lequel on a inversé l'explanans et
Comment savons-nous qu'il existe un potentiel l'explanandum11.
d'action ? Comment ce résultat m'est-il donné ? En Notons qu'il s'agit là du problème de la fon-
ce sens, pratiquer la phénoménologie c'est à la fois dation des neurosciences et que le neurophysio­
« “voir” l'expérience et “interroger” les préjugés » logiste, devant un tracé de coma dépassé, ne
[15]
(p. 4). Dans ces termes, la pratique phénomé- peut tenir ce raisonnement, car il a affaire à
nologique est une épistémologie incarnée et qui un cas particulier qui n'est pas d'ordre phi-
se fait en continu et conduit à une croissance de la losophique et qui s'intègre dans la démarche
rigueur scientifique. clinique corrélant l'EEG et la clinique et dans
Un second point de réflexion est en lien avec le  modèle des neurosciences actuelles (même
le projet de Husserl de penser la phénoméno­logie discutable), indépendamment de la question de
comme la science de la fondation de toutes les leur fondation.
autres sciences lesquelles deviennent des régions
de connaissance secondaires (par opposition à Psychiatre biologique et
originaires). Cette affirmation que la conscience
est première et fondatrice peut amener le retour- psychiatrie phénoménologique
nement suivant, en apparence paradoxal ou inat- Ce qui est sous-jacent à cette démarche plus
tendu : « Ce ne sont pas les neurones qui créent la compréhensive qu'analytique, plus expérientielle
conscience, mais la conscience qui crée les neu- que critériologique, c'est en fait la nécessité et la
rones. » Ceci veut dire que sans conscience réflé- difficulté à penser avec la complexité. Non que
chissante (qui semble être le propre de l'homme), la neurologie soit une science simple, mais elle
le concept de neurone n'existe pas. Ceci ne veut peut plus facilement être réductrice, proposer
pas dire que les neurones n'existent pas. Mais ils des cadres nosologiques bien constitués et uti-
n'existent que pour nous, armés d'une conscience lisables de manière non équivoque en pratique
réfléchissante ; nous en avons conçu le concept, clinique (cf. chapitre 11). De même, l'ambition
l'avons appliqué ou transposé à tout ce qui res- de la psychiatrie biologique est de penser que
semble à un cerveau, par exemple chez le rat. les pathologies psychiatriques peuvent subir
Mais on doit bien reconnaître que le rat ne peut le même processus de réduction que les patho-
avoir de concept de neurone, même s'il a par ail- logies neurologiques et rentrer dans des critères
leurs une conscience non réfléchissante diffuse
(awareness).
Ainsi, avant tout concept de neurones, avant
11
C'est aussi pour cette raison que le projet de Varéla
d'une neurophénoménologie mettant au même niveau
toute neurophysiologie, il existe une conscience neurosciences et phénoménologie est une aporie du
transcendantale, qui se donne comme cogito, dès point de vue phénoménologique et se réduit en fait à la
lors que, par l'épochè, on a mis entre parenthèses mise en regard des descriptions phénoménologiques
le monde et la réalité ou mis hors circuit l'attitude (littéraires ou d'expérience) avec les neurosciences.

241
Partie I. Épistémologie et phénoménologie

(DSM) ; c'est sans doute pour cela qu'elle risque


d'échouer dans la compréhension de ces patho-
La lecture phénoménologique
logies. de l'EEG
Paradoxalement d'ailleurs, les modèles pro-
posés sont pragmatiquement assez efficaces. On La lecture de l'EEG :
observe alors que, comme dans de nombreuses un processus largement subjectif
sciences, le critère d'efficacité n'est pas l'équiva-
lent du critère de connaissance : on a soigné des La lecture de l'EEG fait typiquement partie des
fractures bien avant de comprendre la présence processus experts. Très tôt, les électroencé-
d'ostéoblastes. phalographistes ont souligné à quel point l'EEG
Cependant, une partie de la psychiatrie s'ins- devait être interprété selon des critères subjec-
pire de la phénoménologie : il s'agit de la psychia- tifs [23]. C'est dans les systèmes complexes que les
trie phénoménologique [16, 20]. En effet, pour une processus subjectifs sont le plus pertinents pour
partie des psychiatres, la logique et le cadre théo- autant que la familiarisation avec les structures
rique de la psychiatrie biologique ne conviennent complexes et leurs variations puissent se faire. La
pas. Pour eux, plutôt que de décomposer le com- détection de formes ou d'anomalies dans un tracé
plexe en choses simples comme dans la démarche relève d'une forme de mémoire particulière.
scientifique cartésienne classique12, il est peut- C'est ainsi qu'on a pu montrer que la mémoire
être plus pertinent de comprendre ce qu'il en est d'experts (les joueurs d'échecs, par exemple) ne
de l'expérience complexe de la clinique et de ses fonctionnait pas selon les théories classiques
conséquences possibles. de la mémoire, mais qu'il fallait ajouter à ces
C'est pour ces raisons que s'est développé modèles classiques, inadaptés, une mémoire de
tout un courant de la psychiatrie (incluant travail à long terme, utilisant des « structures
Binswanger, Minkowski, Tatossian, Maldiney, de récupération  » de configurations percep-
Kimura, Azorin, Naudin et tant d'autres) qui a tives (chunks, petites unités de connaissances)
construit, à partir des œuvres des grands phéno- englobés dans des schémas (templates, unités
ménologues (Husserl, Heidegger, Merleau-Ponty de connaissances plus larges) très rapidement
notamment), une approche phénoménologique encodés (ce qui suppose aussi une perception
élaborée et étendue de la psychiatrie. La phéno- experte) ; ainsi : « Les traits principaux de l'ex-
ménologie, sans constituer une approche à but pertise cognitive, telle qu'une meilleure mémo-
thérapeutique comme la psychanalyse, a renou- risation du matériel significatif dans le domaine
velé la conception des pathologies sur la base de l'expertise, l'importance de la reconnaissance
d'une perspective centrée sur les contenus et pro- de patterns, la mise en œuvre de processus per-
cessus de conscience (Husserl) ou bien l'être-au- ceptifs de nature différente et l'aspect sélectif de
monde des patients et la temporalité (Heidegger) la recherche, paraissent en effet généralisables
[20]
. Ce que propose la phénoménologie est en fait, à de très nombreux domaines de connaissance.
par exemple, une « définition de la démence en
[24]
 » Il existe ainsi une organisation particulière
compréhension plutôt qu'en extension, une défi- cérébrale pour la réalisation des tâches pour les-
nition qui donne l'essentiel ou même l'essence quels chacun de nous est expert, en particulier
de la façon de vivre, du style global de vécu et dans le domaine scientifique [25].
de comportement des déments » [22] et non plus C'est ainsi que la lecture de l'EEG nécessite des
une description des fonctions manquantes ou « jugements fondés sur la familiarité et l'expé-
résiduelles. rience », par contraste avec l'objectivité méca-
nique [26]. D'ailleurs se trouve ici la problématique
de la balance entre l'exactitude et l'objectivité,
c'est-à-dire le problème des modèles et du résidu
évoqué au chapitre 11. L'objectivité mécanique
a trouvé son application en EEG avec l'analyse
12
Bergson dira que c'est une tâche impossible dans
laquelle on se perd et on dénature l'objet même de spectrale qui, un temps utilisée en routine, ne sert
l'analyse sans pouvoir reconstruire les liens de codé- pas le plus souvent dans l'analyse quotidienne des
pendance entre les entités ainsi séparées [21]. tracés. En effet, le calcul même des spectres de

242
Chapitre 12. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

fréquence rend mal compte de certains artefacts en lien avec les configurations de la perception
ou variations que l'œil détecte. Quant aux carto- et une dynamique propre, englobant mécanisme
graphies, pour séduisantes qu'elles soient parce et finalité [30] (p. 754). La théorie gestaltiste, qui
que colorées, elles nécessitent des interpolations a trouvé chez Sherrington un de ses théoriciens
du signal entre les électrodes qui, en soi, peuvent remarquables, est en fait la théorie « mère » du
être génératrices d'artefacts ou de confusion. C'est paradigme énactif [30] (p. 1523). Notons enfin que
d'ailleurs probablement un problème général des cette approche gestaltiste a été l'objet de très nom-
cartographies issues des analyses spectrales  : en breuses discussions entre les psychophysiologistes
imagerie par spectroscopie in vivo par résonance (Stumpf et Wundt) et Husserl [31], ce qui montre
magnétique, il reste nécessaire de regarder la la proximité de la phénoménologie philosophique
carte des spectres plutôt que celles, lissées, des avec ceux qui, à l'époque, s'occupaient des proces-
différentes résonances [27]. sus perceptifs.
Sans doute existe-t-il des programmes de La morphogenèse structurale de Thom [32] a
­lectures d'EEG de sommeil ou de pointes épilep- décrit le formalisme mathématique associé à une
tiques mais, en dernier ressort, face à des ambi- théorie de la forme. Ceci est d'importance en rai-
guïtés, c'est l'œil expert qui doit trancher. son de la critique possible de subjectivisme qu'on
pourrait opposer à la conception gestaltiste. Par
Formes et patterns ailleurs, cette approche explicite en fait la cause
formelle aristotélicienne : la forme n'est plus un
Si devant notre écran d'EEG nous pratiquons attribut, c'est une des causes possible de l'effet.
l'épochè phénoménologique et, de ce fait, suspen- Ce sont donc des formes que notre œil apprend
dons tout a priori sur le tracé et tout notre savoir et pour lequel il devient un expert. Dès lors, la
de neurophysiologiste et que nous nous posons la lecture de l'EEG s'apparente à la connaissance
question « Comment le tracé m'apparaît-il, qu'est du joueur d'échecs qui a mémorisé des chunks et
ce qu'il me fait ? », alors nous sortons de l'inter- des templates correspondant aux positions et aux
prétation habituelle, critériologique, pour passer à évolutions des pièces sur l'échiquier. Soulignons
une saisie dans une visée globale, gestaltiste et lar- le caractère dynamique du repérage et de la recon-
gement intuitive de la forme générale de l'activité naissance de ces formes, que ce soit aux échecs ou
cérébrale qui nous est présentée [28]. Plus générale- en EEG. Dynamique à la fois dans les processus
ment, ce type de lecture du tracé donne à voir des d'apprentissage et de familiarisation et dans la
formes, des configurations et des modifications lecture même de l'évolution instantanée du tracé.
dynamiques de ces configurations, mais sans pré- En d'autres termes, la Gestalt n'est ni rigide ni pré-
juger de leur corrélation clinique, plutôt comme formée : elle est mouvante et plastique.
une ambiance. Cette lecture formelle de l'EEG, c'est ce que
Comme le suggère Ulrich [28], la lecture de l'EEG font naturellement probablement tous les neuro-
est une discipline morphologique et s'intègre par physiologistes dans leur for intérieur, mais qu'ils
ce biais dans la théorie gestaltiste. La théorie laissent de côté pour trouver pragmatiquement les
gestaltiste (von Ehrenfels, Wertheimer, Köhler, critères fondant leur interprétation.
Koffkab, von Wiezsäcker) est une théorie psy- Que dégage un tableau non figuratif rempli
chophysiologique née au début de xxe siècle et qui de formes différentes ? Que dégage un brouhaha
considère que la perception s'effectue selon des constitué de sons différents, harmonieux ou non,
patterns (ou configurations) cohérents et signifi- cohérents ou non ? L'emmêlement des formes
catifs qui, sur le plan de la vision, sont des séries sonores ou visuelles, plus ou moins structuré,
de points ou de lignes [29] (p. 285). Le passage d'une génère une ambiance.
forme (configuration) à une autre forme est appelé
« Gestalt-switch ». C'est ce qui se passe lors du pas- Phénoménologie de la lecture
sage d'un rythme alpha à une activité bêta lors de
l'ouverture des yeux. Par ailleurs le gestaltisme
de l'EEG : l'« ambiance cérébrale »
place la perception au centre de la cognition [30] Une description typiquement phénoménologique
(p. 309). En réalité, la vision gestaltiste permet de concerne l'expérience de ce que c'est que lire un
définir également des configurations de l'action tracé. Il suffit — mais c'est plus simple à dire qu'à

243
Partie I. Épistémologie et phénoménologie

faire — de laisser venir à soi « la chose même », en réflexive sont simultanément pris en compte dans
l'occurrence le tracé, là, présent « en chair et en un mode très voisin de l'auto-explicitation des
os »13 et, en quelque sorte, se laisser ­impressionner contenus de conscience et du discours en mode
par lui, comme quelque chose de radicalement explicitant [34].
nouveau. C'est cela une épochè phénoméno­ En pratiquant cette forme de lecture phénomé-
logique. Tout jugement est suspendu, la thèse de nologique de l'EEG, on a l'impression de rentrer
l'existence du monde est provisoirement invali- dans un aspect du mode d'être du cerveau d'un
dée et l'on se laisse pénétrer par ce qui arrive, en patient. Et ce n'est pas le moindre des paradoxes
l'occurrence le tracé. que, par le truchement de cet artefact (qui retrouve
Dans cette perspective, l'EEG se donne comme ici le sens premier de chose artificielle) assez gros-
une atmosphère globale, symphonique. De même sier qu'est le tracé EEG, on puisse sentir quelque
que l'on entend dans une symphonie la superpo- chose de la manière dont se tiendrait cet être-là du
sition des timbres et des notes des divers instru- malade, ce Dasein tel que le définit Heidegger14.
ments, superposition qui donne cette ambiance Ainsi, le tracé EEG devient, en quelque sorte, une
évolutive sonore qui constitue l'expérience musi- modalité spécifique de la présence (qui est aussi
cale, de même, en EEG, si l'on n'entend (malheu- une traduction du mot Dasein) du patient. En ce
reusement) plus le bruit des plumes sur le papier, sens, on retrouverait ainsi dans ce type de lecture
la superposition des dérivations, ressemblant aux quelque chose du projet de Berger : que l'EEG nous
lignes d'une partition, rend une « atmosphère » informe sur la pensée (au sens très large) de l'autre.
globale caractérisant l'électrogenèse. On entend
l'EEG, à la fois parce qu'on le comprend (au sens de Approche dimensionnelle
saisie globale) plus qu'on ne l'analyse et parce que,
pour les plus musiciens des neurophysiologistes, versus catégorielle
on pourrait dire que la lecture se fait de manière Les notions développées ci-dessus, à propos de
multimodale et par conséquent aussi auditive. l'ambiance cérébrale, rejoignent une probléma-
Point de recherche de critères, mais une tique classique en psychiatrie qui est la balance
appréhension globale, accompagné de senti- entre une approche dimensionnelle et une
ments subtils, comme dans une aventure dans approche catégorielle. L'approche catégorielle,
laquelle la lecture de chaque page du tracé est un fondée sur des symptômes, est analytique et de
moment présent [33]. Il y a ainsi des tracés qui vous type inférentiel, à la recherche de critères discri-
dérangent, qui vous piquent ; certains vous font minants, de stéréotypes et de catégories où placer
mal ; d'autres vous communiquent leur harmonie, l'individu étudié. C'est typiquement l'approche
vous rassurent et vous font du bien (un bel alpha, du DSM, permettant avec une certaine clarté de
bien fusiforme et réactif, par exemple). On pour- rassembler des patients ou des symptômes par
rait penser là qu'il s'agit d'émotions surajoutées trop différents pour permettre l'établissement de
inutiles à la description du tracé. Il n'en est rien. populations statistiques les plus homogènes pos-
Les fameux chunks ou templates peuvent ne pas se sibles. C'est une démarche qu'on pourrait qualifier
limiter à des compositions de formes mais s'asso- de « groupale ». Inversement, l'approche dimen-
cier avec des réactions végétatives, épidermiques, sionnelle porte davantage d'intérêt à la forme et
somesthésiques qui en font littéralement partie. à la structure, aux formes variantes, incomplètes,
Et d'ailleurs, très souvent la seule première page atypiques et, d'une certaine manière, est plus
suffit presque à saisir ce que sera tout le tracé. Les attentive à l'individu qu'au groupe.
critères de présence ou d'absence de pointes par Le problème du diagnostic dimensionnel est
exemple, viendront en second lieu, et seront pon- très proche de celui du diagnostic très rapide
dérés par l'ambiance du tracé. intuitif des premières minutes. On peut parler
C'est ainsi qu'on réalise une lecture incarnée
de l'EEG, dans lequel les vécus de la conscience
non réflexive (Husserl) et ceux de la conscience 14
Heidegger fut l'élève de Husserl et a fondé une
approche différente de la phénoménologie centrée
non plus sur le sujet et sa conscience transcendantale,
13
Selon la terminologie de Husserl. mais sur l'être-là (Dasein), l'être dans le monde.

244
Chapitre 12. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

dans un diagnostic atmosphérique (dimension- C'est ainsi que la conception gestaltiste et phé-
nel) de « qualité schizophrénique », de « forme noménologique de l'analyse de l'EEG amène une
schizophrénique  » dans une conception très nouvelle manière, plus physiologique, de décrire
intuitive du diagnostic psychiatrique correspon- non plus tant des anomalies que des dysré-
dant à la notion de typification. Cette typifica- gulations, en particulier celles de la vigilance
tion décrite par Husserl est une intuition, c'est- (figure 12.1).
à-dire une « perception interprétative immédiate,
non conceptualisée, sans conscience claire des Les formes manquées
détails de cette reconnaissance » [35]. Si, en psy-
chiatrie, rien n'empêche de valider rétrospec- de l'électrogenèse
tivement de manière plus critériologique cette L'expérience limite : explicitation
première intuition diagnostique, en EEG nous
pourrions décrire le même phénomène de saisie
phénoménologique
d'une ambiance sur la première page, puis d'une Si l'EEG est une sorte d'image de la présence du
confirmation ou infirmation de l'ambiance dans patient au sens du Dasein, alors il existe une forme
la durée de la lecture et enfin, avant l'interpré- limite de la lecture de l'EEG, une forme qui pro-
tation, de cette bascule critériologique du type fondément nous met indirectement mais violem-
« Est-ce une pointe ? ». ment en contact avec l'être-le-plus-propre, c'est
dire l'être-pour-la-mort [2] qu'est le patient, dans
l'actualisation de celle-ci. En d'autres termes, lire
Ulrich et l'utilisation de la forme un tracé de mort encéphalique (en particulier
chez l'enfant), voir cette absence de vie, espérer
Ulrich [28] (p. 36), à partir des conceptions théo- la présence d'un tout petit signal qui, venant du
riques de Lairy et Dell et d'une réflexion phé- plus profond du cerveau, nous indiquerait que
noménologique quant à la forme générale de l'irrémédiable n'est pas encore arrivé, est une
l'EEG et son évolution dans le temps lors d'un expérience douloureuse par la tension de l'attente
même tracé, propose que l'EEG puisse être qu'elle contient et la violence de la déception.
pensé comme l'expression d'un état fonction- Dans le tracé de mort encéphalique, nous savons
nel global prenant à un moment donné une que l'Être (le Dasein) a disparu. Mais plus encore,
certaine forme et, dans cette approche, appa- nous voyons en général la mort de l'autre sans
raît comme un indicateur de la vigilance. Cette savoir qui il est, sans que sa personne ne nous soit
position conduit à ce qu'il appelle une « dénoso- connue, sans qu'on puisse mettre un visage sur
logisation », c'est-à-dire à la décision de ne plus ce tracé, c'est-à-dire que nous sommes face à un
prendre en compte une quelconque approche succédané de cadavre sans visage, et donc sans
endophénotypique susceptible de permettre un possibilité de répondre et par ce fait sans possi-
diagnostic de nature du trouble psychiatrique, bilité d'être responsable de quoi que ce soit, au
mais de plutôt voir comment dans telle patho- sens éthique de Levinas [37]. Plus encore, il nous
logie se désorganisent ou se modulent, selon le faut faire un deuil partiel à propos d'une personne
cas, les états de vigilance. imaginée, mais dont nous avons, comme seuls
La vigilance peut être définie comme un indices, un nom et des lignes plates sur un écran.
ensemble de configurations neurophysiologiques Lire un EEG de mort cérébrale, c'est faire une
fonctionnelles globales et dynamiques [36] (p. 36, p. recherche désespérée d'un indice de l'Être et d'un
64) caractérisant le niveau d'activation du cerveau infime atome de Présence.
[36]
(p. 1196). Nous avons vu dans le chapitre 3 la
problématique de l'EEG et des états de vigilance.
Ce que développe Ulrich, c'est l'idée de fonction
Les formes manquées de
globale de l'EEG, appartenant ainsi à la classe des l'électrogenèse en psychiatrie
processus coopératifs synergiques, auto-organi- Il est intéressant de signaler à quel point Ulrich,
sants, régis par des lois non linéaires, voire chao- par sa lecture globale et phénoménologique de
tiques, c'est-à-dire intégrant notamment des pro- l'EEG compris comme forme, converge avec
cessus cycliques. l'approche phénoménologique développée sur

245
Partie I. Épistémologie et phénoménologie

Figure 12.1. Variations de la vigilance.


A. Régulation rigide. B. Régulation labile.
La régulation rigide conduit à un tracé monomorphe dans lequel le rythme alpha n'est pas interrompu ou modulé
par d'autres rythmes témoignant des variations de la vigilance, ce qui est en revanche observé dans le tracé labile.

le plan de la clinique par les psychiatres, en Les formes manquées de l'électrogenèse en psy-
particulier Binswanger, Minkowski, Tatossian chiatrie se présenteraient alors sous deux aspects :
et plus généralement appelée Daseinanalyse ou d'une part la présence de grapho-éléments inhabi-
analyse existentielle (cf. supra), ou analyse de la tuels nombreux (non pathologiques, mais encore
présence. physiologiques ?) (cf. chapitre 4) et d'autre part
Dès lors, selon cette approche, de la même des anomalies de la régulation de la vigilance
manière que Binswanger évoque des formes man- passant par des dynamiques trop rigides ou trop
quées de la présence à propos de la schizophrénie labiles (cf. le vigigramme dans le chapitre 3 et la
[38]
, on pourrait parler des formes manquées de figure 12.1 de ce chapitre). Prises isolément, elles
l'électrogenèse cérébrale. ne caractérisent aucune pathologie, pas plus que le

246
Chapitre 12. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

maniérisme, forme manquée de la présence dans biance du tracé et en définitive à nous faire poser
la schizophrénie, n'est suffisant pour évoquer à la question : « Que me fait donc ce tracé ? »
lui seul le diagnostic. C'est en ce sens qu'il nous L'EEG en psychiatrie ouvre aussi un nouveau
semble possible de parler de formes manquées de type de neurophénoménologie, qui associe à la
l'électrogenèse, celle-ci n'étant plus tout à fait nor- démarche empirique, neurophysiologique, une
male, mais pas vraiment anormale. approche phénoménologique qui relève des états
C'est ainsi que l'EEG de la psychiatrie se dis- de conscience, de leur contenu, de leur moda-
tingue également de celui de la neurologie. Face lité, que ce soit chez le neurophysiologiste qui
aux activités lentes d'un gliome ou aux pointes l'interprète ou chez le patient qui présente tel ou
d'un accident vasculaire cérébral, ce n'est pas de tel type de modification de l'électrogenèse.
formes manquées qu'il s'agit, mais de formes alté- Autrement dit, la position phénoménologique
rées voire détruites de l'électrogenèse. Ce qu'ap- n'est pas un luxe inutile de quelques médecins
porte la psychiatrie à l'EEG, c'est cette nuance dans peu rigoureux. C'est une approche qui déploie
laquelle les signes EEG sont comme des signes une autre épistémologie, sans doute plus apte à
légers15 des altérations des fonctions supérieures, saisir des nuances subtiles que la position stricte-
par comparaison aux désordres massifs des fonc- ment analytique. En d'autres termes, elle est plus
tions neuropsychiques de base (selon les concep- proche de la vie et peut avoir un impact fort sur
tions d'Ey, cf. chapitre 11). Alors que les formes l'éthique pragmatique.
altérées ou détruites de l'électrogenèse soulignent
l'importance de l'intégrité commune des fonc- Références
tions réticulo-thalamo-corticales, les formes
manquées de l'électrogenèse soulignent la préé- [1] Andreewsky E, Delorme R. Seconde cybernétique et
complexité. Rencontres avec Heinz von Foerster.
minence du cortex et de ses énormes connexions
Paris : L'Harmattan ; 2006.
corticocorticales, quitte à ce que des anomalies
[2] Morin E, Weinmann H. La complexité humaine.
à ce niveau trouvent comme effet secondaire des Paris : Flammarion ; 2008.
anomalies de la régulation de la vigilance.
[3] Paty M. La physique du xxe siècle. Les Ulis : EDP
Sciences ; 2003.
[4] Husserl E. Méditations cartésiennes : introduction à
Conclusion la phénoménologie. Paris : Vrin ; 1996.
[5] Charrier J-P. Scientisme et Occident : Essais d'épisté-
L'approche phénoménologique de l'EEG en psychia- mologie critique. Paris : L'Harmattan ; 2005.
trie penche vers les conceptions dimensionnelles du [6] Rey M, Guillemant P. Apport des mathématiques
diagnostic en psychiatrie et conduit à une typifi- non linéaires (théorie du chaos) à l'analyse de l'EEG.
Neurophysiol Clin 1997 ; 27 : 406–28.
cation des tracés. L'absence de physiopathologie
claire pousse le lecteur attentif de l'EEG vers une [7] Bitbol M. De l'intérieur du monde : Pour une philo-
sophie et une science des relations. Paris :
approche de la forme, gestaltiste, plutôt que vers Flammarion ; 2010.
une approche critériologique, peu tenable devant la
[8] Bitbol M. Mécanique quantique : Une introduction
variabilité et l'inconstance des altérations. De plus, philosophique. Paris : Flammarion ; 2008.
cette approche gestaltiste provient d'une tradition [9] Nikseresht I. Physique quantique. Origine, interpré-
psychophysiologique rigoureuse et argumentée, et tations et critiques. Paris : Ellipses ; 2005.
se trouve renforcée par les travaux neuroscienti- [10] Descartes R. Discours de la méthode. Paris :
fiques récents mais également par une mathémati- Gallimard ; 1970.
sation rigoureuse de l'émergence des formes. [11] Descartes R. Méditations métaphysiques. Paris :
Dès lors, cette vision gestaltiste, globale, non Presses Universitaires de France ; 2010.
analytique, nous porte à définir la notion d'am- [12] Comte-Sponville A. Dictionnaire philosophique.
Paris : Presses Universitaires de France ; 2013.
[13] Husserl E. La Crise des sciences européennes et la
15
Soft signs, « signes doux 
» de la description phénoménologie transcendantale. Paris : Gallimard ;
neurologique. 2004.

247
Partie I. Épistémologie et phénoménologie

[14] Husserl E. De la synthèse passive. Grenoble : Jérôme [28] Ulrich G. The theoretical interpretation of elec-

Millon ; 1998. troencephalography (EEG) : The important role of
[15] Depraz N. Comprendre la phénoménologie : Une spontaneous resting EEG and vigilance. Corpus
pratique concrète. Paris : Armand Colin ; 2006. Christi : Bmed Press LLC ; 2013.
[16] Naudin J, Pringuey D, Azorin J. Phénoménologie et [29] Nadeau R. Vocabulaire technique et analytique de
analyse existentielle. In : Encycl Méd Chir (Elsevier, l'épistémologie. Paris : Presses Universitaires de
Paris), 1998. p. 1–8, 37-815-A-10. France ; 1999.
[17] Pachoud B, Zalla T. Enjeux et signification du [30] Dictionnaire de la philosophie. Encyclopaedia

« retour à la conscience » en sciences cognitives. Universalis ; 2006.
Intellectica 2000 ; 2 : 9–34. [31] Ierna C. Husserl et Stumpf sur la Gestalt et la fusion.
[18] Depraz N. La conscience : Approches croisées, des Philosophiques 2009 ; 36 : 489–510.
classiques aux sciences cognitives. Paris : Armand [32] Thom R. Stabilité structurale et morphogénèse.
Colin ; 2002. Paris : InterÉditions ; 1977.
[19] Heidegger M. Être et temps. Paris : Gallimard ; 1986. [33] Stern DN. Le moment présent en psychothérapie : Un
[20] Tatossian A. La phénoménologie des psychoses.
monde dans un grain de sable. Paris : Odile Jacob ;
Paris : Le Cercle Herméneutique ; 2002. 2003.
[21] Bergson H. Matière et mémoire : Essai sur la relation [34] Balzani C, Micoulaud-Franchi J-A, Yunez N, et  al.
du corps à l'esprit. Paris : Presses Universitaires de L'accès aux vécus pré-réflexifs. Quelles perspectives
France ; 2008. pour la médecine en générale et la psychiatrie en par-
ticulier ? Annales Médico-Psychologiques 2013 ; 171 :
[22] Tatossian A. Phénoménologie des états démentiels. 118–27.
Psychologie médicale 1987 ; 19 : 1205–7.
[35] Bourgeois M, Rechoullet D. Les premières minutes,
[23] Gibbs FA, Gibbs EL. Atlas of electroencephalo­ premier contact et rapidité diagnostique en psychia-
graphy. Cambridge : Addison-Wesley Press ; 1945. trie. In : Pichot P, Rein W, editors. L'approche cli-
[24] Didierjean A, Ferrari V, Marmèche E. La stratégie du nique en psychiatrie. Le Plessis Robinson : Institut
joueur d'échecs. Cerveau & Psycho 2003 ; 1. Synthélabo ; 1999. p. 377–94.
[25] Masson S. Étude des mécanismes cérébraux liés à [36] Kayser C. Physiologie. Système Nerveux – Muscles,
l'expertise scientifique en électricité à l'aide de l'ima- Tome 2. Paris : Lavoisier ; 1976.
gerie par résonance magnétique fonctionnelle. [37] Lévinas E, Nemo P. Éthique et infini : dialogues avec
Montréal : Université du Québec ; 2012. Philippe Nemo. Paris : Fayard ; 1984.
[26] Daston L, Galison P. Objectivité. Paris : les Presses [38] Binswanger L. Trois formes manquées de la présence
du réel ; 2012. humaine la présomption, la distorsion, le manié-
[27] Vion-Dury J. Cours de résonance magnétique : spec- risme. Puteaux : Le Cercle herméneutique ; 2002.
troscopie et imagerie : de la structure magnétique de
la matière à la physiologie. Paris : Ellipses ; 2002.

248
Conclusion générale

Ce travail regroupe ce qui est épars au sein d'un même Ces trois dimensions ne sont pas successives, comme
attracteur : la neurophysiologie et plus précisément la pourrait le laisser penser le plan, par essence didac-
neurophysiologie des courants électriques. tique, mais entremêlées dans la réalité quotidienne de
Nous avons, dans ce livre, proposé une démarche notre pratique, comme une polyphonie. Aucune n'est
dans une triple dimension. véritablement privilégiée, aucune ne décrit isolément
La première dimension est la dimension instrumen- notre approche pédagogique, clinique et de recherche
tale. Nous avons voulu permettre au médecin intéressé dans ce domaine de l'électrophysiologie qui est le nôtre.
par une quelconque modalité de la neurophysiologie Ce livre est également une sorte de synthèse de mul-
diagnostique ou thérapeutique un parcours technique lui tiples publications que nous avons faites par ailleurs dans le
donnant les bases essentielles des appareillages et de leur désir de partager notre passion pour une certaine pratique
utilisation. médicale, assez peu répandue en fait, mais qui nous semble
La deuxième dimension est une dimension clinique, devoir être développée à terme de manière plus marquée.
pragmatique, soulignant de la manière la plus abor- Puisque la phénoménologie amène toujours à faire
dable possible les indications et les résultats attendus un pas de côté, le lecteur aura compris qu'elle inspire
des méthodes décrites. Car l'enjeu est ici clair : démon- notre démarche y compris dans la simple présentation
trer qu'il existe une neurophysiologie bien spécifique à des méthodes et des applications. En réalité, la suspen-
la psychiatrie et dont l'utilité est incontestable, même si sion du jugement (l'épochè phénoménologique) qui
sa diffusion est par trop restreinte. remet en cause l'évidence naturelle et nous fait nous
La troisième dimension est une dimension plus épis- questionner sur la validité et la pertinence de différents
témologique et phénoménologique qui se situe dans la concepts ou théories, cette épochè, qui nous montre en
droite ligne de notre projet d'unité hospitalière1 au sein outre le caractère contextuel et transitoire des théories
d'un CHU : ne jamais appliquer une technique sans du moment, a un corrélat incontournable : l'humilité.
se demander quels en sont les fondements théoriques, Nous espérons que, au-delà de la rigueur scientifique
comment notre subjectivité est impliquée dans son et médicale que nous avons tenté de mettre dans cet
utilisation, et quelles conséquences éthiques ces fon- ouvrage, son pouvoir de conviction tiendra aussi dans
dements théoriques ou cette présence de la subjectivité ce mélange d'enthousiasme et d'humilité que nous vou-
ont-ils. lons promouvoir.

1
Unité de neurophysiologie, psychophysiologie et
neurophénoménologie du pôle de psychiatrie uni-
versitaire du CHU de Marseille.

249
Postface

Que vient faire la subjectivité dans la pratique de jours dans un écart infime, capacité que le monde
la neurophysiologie ? Explicitement posée dans le moderne a appelé conscience, le dispositif neuro-
treizième et dernier chapitre de ce manuel, cette physiologique ne cesse de l'interroger en la rédui-
question l'aura travaillé dès ses premières lignes. sant à un rapport entre un objet technique et un
On aura vu au tout début de l'ouvrage comment le objet scientifique, entre lesquels se tient – ou plu-
recours à un dispositif technique, baquet, EEG ou tôt duquel s'échappe - la subjectivité. Il n'est pas
neurofeedback, peut venir éclairer d'un jour nou- même jusqu'à la TMS qui une fois rapportée à
veau la pratique psychiatrique, non parce qu'elle l'imagerie fonctionnelle ne pose cette question :
lui apporte une réponse technique décisive, ce non pas où mais comment se produit l'expérience
dont après tout on peut douter, mais parce qu'elle subjective et comment cette dernière peut influer
laisse ouvertes et renouvelle des questions essen- en retour sur ce qu'en l'observant elle définit
tielles comme la nécessité de recourir à des objets comme un objet.
techniques spécifiques pour fonder une discipline Certains parmi les scientifiques auront pensé
professionnelle mais aussi la façon dont sens, sans doute que les auteurs de ce manuel adoptent
subjectivité et technique doivent être reliés pour une approche purement constructiviste : l'observa-
que cette discipline ait elle-même un sens : nous teur participe à la construction de ce qu'il observe,
pensons ici à cette manière si troublante qu'ont les nous rappelle-t-on dans sa quatrième partie. Mais
objets techniques d'exister par eux-mêmes. Que ce serait faire fi de ce qui provient là de la matière
vient faire l'objet technique dans la pratique psy- elle-même - de la hylé aurait dit sans doute Hus-
chiatrique si ce n'est en troubler la tranquillité ? serl - et qui, loin d'être dénié, doit être pensé -
Existant par lui-même, pouvant être vu comme nous dit Jean Vion-Dury - dans la perspective de
indépendamment de celui qui le manipule ou qui la mécanique quantique : l'observateur, l'homme
lui donne un sens, le dispositif s'interpose entre peut-on dire, est lui-même construit sur le modèle
l'homme et la nature pour suspendre l'espace d'un de ce qu'il observe. Ce problème central, qui n'est
instant ce que l'homme pense être lui-même en pas sans rappeler le hard problem de la dualité du
dedans et faire voir du même coup ce qu'il est sans corps et de l'esprit, doit être pris en considération
doute plus profondément : un rapport, un rapport dès le début d'une recherche expérimentale. Il n'y
entre soi et soi, entre soi et le monde, entre ce qu'il a pas pour les auteurs de cet ouvrage un objet et
est au dedans et ce qu'il perçoit au dehors, entre ce un sujet, un corps et une âme, un cerveau et un
qui se donne à lui et ce qu'il (com)prend. La pra- esprit qui s'opposent dans un dualisme forcené, ni
tique du biofeedback ou des Potentiels ­Evoqués en un tout qui toujours-déjà les unirait a priori dans
sont deux illustrations mais il faut la ­comprendre un monisme dogmatique et quasi-religieux, mais
phénoménologiquement comme révélatrice de cet un objet, un sujet et quelque chose entre qui bat et
écart infime qui toujours déjà sépare la conscience souffle entre eux et en dedans sans quoi isolément
réflexive des synthèses passives qui fondent à la ils n'ont plus aucun sens. Ce quelque chose entre,
fois son sol et son horizon, son en-deçà et son Husserl l'a nommé intentionnalité, et cela définit
au-delà. Il y a tout à la fois une immédiation et la conscience (« toute conscience est conscience
une distance qui nous sépare, moi et moi, moi de quelque chose »). Il nous a appris une méthode
et monde, moi et l'autre, moi et la chose, l'autre et pour mieux l'étudier en suspendant tout préjugé
moi-même et ce double aspect nous joue, quand théorique : l'époché. En appliquant cette méthode
nous cherchons à le réduire, continûment des de façon radicale, non sans un effort considérable
tours. Cette capacité qu'a l'homme de se saisir car les préjugés ne cessent de surgir entre moi et
lui-même du dedans et du dehors à la fois, tou- la chose, nous découvrons que moi et le monde

251
Postface

sommes dans un rapport constant d'appropria- de catastrophe ». La compréhension de tels méca-


tion et de co-construction. Husserl appelle trans- nismes ne peut se satisfaire des catégories préexis-
cendantale cette phase de l'époché. Mais on peut tantes et constitue un argument de plus en faveur
comme d'autres à sa suite (Fink, Schutz, Merleau- de l'inconsistance des classifications psychia-
Ponty) ne pas croire à la possibilité de sa réalisa- triques actuelles. Une fois suspendues nos caté-
tion complète. L'important est qu'elle nous fasse, gories cliniques, on peut observer des effets dont
dans un mouvement inverse de celui qui nous on aurait, face à un comportement clinique nor-
attache au monde de la vie quotidienne, redécou- malisé, renié la signification possible en les tenant
vrir comment nous participons tous activement et pour des artefacts. En choisissant de confronter
passivement à sa constitution en le reprenant cha- l'approche phénoménologique en psychiatrie à la
cun, parcelle par parcelle, à notre propre compte. lecture morphologique, quasi-musicale, que Jean
Jean Vion-Dury nous apprend à pratiquer cette Vion-Dury propose du tracé EEG, psychiatres et
méthode en neurophysiologie : neurophysiologistes cherchent à suspendre toute
« Avant tout concept de neurones, avant toute critériologie, toute nosographie, pour ne plus voir
neurophysiologie, il existe une conscience transcen- que les formes et la typologie.
dantale, qui se donne comme cogito, dès lors que On ne peut qu'être étonné, une fois la lecture de
par l'épochè, on a mis entre parenthèses le monde ce manuel terminée, des sauts épistémologiques
et la réalité, ou mis hors circuit l'attitude naturelle, auxquels il nous entraîne. Parmi ces sauts épis-
c'est-à-dire ce qui semble aller de soi, tous les jours témologiques, je suis particulièrement sensible
pour nous (incluant par exemple les schémas de à celui-ci : dans quelle mesure les mouvements
neurones). Si les neurosciences sont, du point de du tracé électroencéphalographique, lorsque lus
vue du phénoménologue, secondes par rapport à la comme une partition musicale, hors de toute
conscience, elles ne peuvent l'expliquer. » perspective diagnostique, sont-ils – comme la
Cette méthode, qui fait de toute activité nais- musique - le reflet des mouvements de l'âme ?
sante à la fois une activité empirique et une acti- Dans quelle mesure ce reflet supposé peut-il non
vité transcendantale, oblige à penser autrement seulement avoir un usage mais aussi questionner
qu'en se référant aux principes positivistes qui nos usages ? La fonction d'une postface n'est pas
enferment la plupart des dispositifs expérimen- de récapituler ce qui a déjà été pour plus de clarté
taux en usage dans les sciences normales dans et selon un rituel propre aux ouvrages collectifs
un déterminisme linéaire et pensé ad hoc en vue découpé en chapitres, encore moins d'en faire une
d'une explication causale. Jean Vion-Dury et ses synthèse, mais plutôt de chercher où se situent
élèves font le choix de ne pas réduire en premier à la fois l'unité et la ligne de rupture, cette ligne
lieu le monde à la causalité pour mieux se saisir mystérieuse qui fait d'un manuel comme celui-ci
de ses modes d'apparaître dans toute leur com- autre chose qu'un mode d'emploi en plusieurs lan-
plexité. Aussi trouvent-ils - dans la perspective gues : une totalité évoluant pour elle-même dans
d'applications pratiques - de nombreux points nos têtes, émancipée de sa fonction didactique
communs aux théories de Bohr, de Von Forster première. La ligne de rupture est ici d'avoir situé
ou de Thom et à la phénoménologie husserlienne. l'épistémologie et la philosophie en son cœur, au
Comme l'avait bien compris Goldstein, le cer- tout début de la pratique, et de remettre ainsi en
veau ne doit pas être réduit de prime abord par question l'avancement de cette science normale
la physiologie à l'organe mais à l'organisme et à la qu'est aujourd'hui la neurophysiologie tout en la
vie. La question de la continuité entre le normal pratiquant de façon quotidienne, avec des objec-
et le pathologique doit être sans cesse retravaillée tifs cliniques et expérimentaux. Les divers auteurs
en tenant compte du tracé comme d'une forme de de ce texte, leurs contributions, le style de leurs
vie préclinique, ce dont témoigne dans ce manuel activités de recherche, nous donnent l'occasion
l'étude de l'effet Landolt inversé. Face à une « ano- de filer la métaphore du bootstrapping : il n'y
malie massive et inexpliquée du tracé » chez des en a pas un parmi eux plus important que les
personnes souffrant de schizophrénie parfaite- autres, tous sont importants, chacun est ce qu'il
ment rétablies sous antipsychotique, l'hypothèse est parce que tous les autres, qu'ils se rapprochent
peut être faite d'un « mécanisme compensatoire ou s'éloignent, existent à la fois. L'électrophysio-
permettant à l'organisme d'éviter une situation logie est comme la psychiatrie une thématique

252
Postface

t­ransdisciplinaire par essence. Les dispositifs tialistes des phénoménologues et les analystes du
expérimentés par les auteurs font appel à des Dasein y verront peut-être, comme ils l'ont déjà
disciplines et des compétences aussi variées que vu dans la neurophénoménologie et les travaux
la philosophie, la linguistique, l'acousmatique, la de Varela, une volonté abusive de naturalisation.
musique, la neurologie ou la radiologie. Ces dis- Mais la lecture musicale et présencielle de la par-
ciplines, intégrées à la neurophysiologie dans une tition électroencéphalographique et la pratique
visée globalisante, ne sont jamais abordées sans de l'explicitation qui l'accompagne parfois dans
avoir questionné ou repoussé leurs frontières : une perspective de recherche ne me semblent pas
celles de la compréhension psychologique et de la relever d'un contresens philosophique, ni d'un
critériologie pour la psychiatrie clinique, celles de supplément d'âme, mais plutôt d'une forme de foi
l'éducation pour la psychologie cognitive, celles dans la présence et son sens à venir, foi impliquée
du parallélisme anatomoclinique pour la neu- dans la pratique des sciences naturelles comme
rologie, celles de l'interprétation et du moyen- dans celle des sciences humaines. Se rejoignent
nage pour l'électroencéphalographie, celles de la là dans une même prise de conscience la foi dans
sémantique pour la neurolinguistique. Dominent la science et la foi dans le monde. Au fond, nous
au fond ici les notions de style et de forme, de l'aurons compris, grâce à Jean et ses élèves, les
présence et de moment présent chères à la phé- questions de la subjectivité, de la présence et du
noménologie psychiatrique, travaillée comme sens même de la vie sont au cœur de la neurophy-
on le sait depuis Binswanger par les notions de siologie.
temporalité et de transcendance. Les plus existen- Jean Naudin

253
Index

A Apparaître, 240
Acide valproïque Voir Valproate Appareillages ECT, 140
Acouphènes, 170 Apprentissage, 199, 203
Actimétrie, 106, 196 –– neurocognitif, 185
Activation, 44 Approche
Activité(s) –– biopsychosociale, 226
–– corticale, 21, 193 –– catégorielle, 244
–– de fond, 40 –– comportementale et cognitiviste, 226
–– électrique cérébrale, 24 –– critériologique, 218
–– lentes angulaires, 79 –– cybernétique, 223, 237
–– paroxystiques, 48, 71, 79, 81, 134 –– dimensionnelle, 244
–– périodique, 48 –– gestaltiste, 57, 223, 233, 243
Adrian, 10 –– holiste, 231, 233
Afférences thalamocorticales, 21 –– localiste, 225
Agenda –– physicaliste, 232
–– de crise, 196 Aripiprazole, 79
–– de sommeil, 106, 196 Arsonval, 5
Aha moment, 189, 205 Artefacts, 41, 67, 133, 200, 229
Aire, 86 ASA Physical Status Classification System, 146
–– sous courbe, 57 ASRS (Adult ADHD Self-Report Scale), 196, 208
Akathisie, 113 Association for Applied Psychophysiology and
Alcool, 94, 124, 125 Biofeedback (AAPB), 187
Aldini, 7 Asymétrie, 45
Algorithme, 33 Atropine, 149
–– VIGALL, 50 Autopoïèse, 233
Alpha-delta sleep, 109 Avance de phase du sommeil, 117
Altérations cognitives, 155 Axe réticulo-thalamo-cortical, 23
Ambiance, 245, 247 Azorin, 242
–– cérébrale, 243
American Academy of Sleep Medicine (AASM), 108 B
Amorçage sémantique, 95 Bandes
Amorce, 95 –– de garde, 201
Ampèremètre, 10 –– fréquentielles, 189
Amplificateurs, 31 Baquet magnétique de Mesmer, 5, 10
–– différentiels, 26, 193 BDI (Beck Depression Inventory), 145, 197
Amplification, 26, 34 Benzodiazépines, 78, 81, 111, 122, 152
Amplitude, 57 Berger, 10, 244
Analyse(s) Bergson, 228
–– de Fourier, 40, 59 Bini, 9
–– spectrale, 57, 60, 242 Binswanger, 242, 246
Anguille électrique, 3 Biofeedback, 185, 192
Anorexie mentale, 121 Birch, 7
Antidépresseurs, 75, 81, 123, 124 Bobine, 167
–– tricycliques, 77, 154 Bois-Reymond, 10
Antipsychotiques, 79 Boîte têtière, 25
Anxiété, 78 Bon de demande d'examen, 68
Apnées centrales, 111 Bootstrapping, 233

255
Index

Boucle psychophysiologique, 185, 195 Connexionnisme émergent, 233


Bouffées delta, 80 Conscience, 230, 233, 237, 239, 241, 244
Boulimie, 121 Constante de temps, 26, 34
Bouteille de Leyde, 9 Contexte sémantique, 95
Brassard (technique du –), 148 Contribution de l'EEG, 68
Bruit, 32, 35, 38, 57 Contrôle perçu, 187
–– électronique, 27 Conventions de polarité, 33
Bursts de stimulations, 176 Convertisseur analogique digital (CAD), 27
Corrélats intentionnels, 240
C Cortex
CAARS (Conners' Adult ADHD Rating Scale), 196 –– « clignotant », 49, 220
Cage de Faraday, 38 –– préfrontal dorsolatéral, 166, 173
Cannabis, 124 –– temporopariétal gauche, 173
CAP (Cyclic Alternating Patterns), 109 Courbe
Capaciteur, 166 –– d'apprentissage, 203
Caractère triphasique, 71, 81 –– d'entraînement, 203
Cartographie, 32, 38, 58, 60, 85, 243 Crise
Cataplexie, 114 –– épileptique, 48, 176
Caton, 10 –– – adéquate, 133, 149, 150, 153
Cauchemar, 115, 121 –– – avortée, 138, 152
Cerletti, 9 –– – et SMTr, 166
Champ magnétique, 166 –– – indésirable, 154, 155
Chaos, 228 –– – non adéquate, 138
Charcot, 7, 224 –– – optimale, 133, 138, 139, 149, 153
Charge électrique, 142, 151 –– – prolongée, 145, 152, 154
Charlatanisme, 13 –– – retardée, 152
Claude Bernard, 3, 5 –– – spontanée, 154
Clics, 91 –– généralisée tonicoclonique, 134
Clozapine, 49, 77, 79, 81, 91, 152 –– non épileptique, 3
Codépendance, 233 –– – psychogène, 73, 74, 154
Cohérence cTBS, 176
–– cardiaque, 192 Culmination, 57
–– interhémisphérique, 138 Curare, 148
Coma, 92 Cure
Commission Franklin, 12 –– ECT, 146, 155
Comorbidités, 77 –– neurofeedback, 196
Compensation, 221, 228 Cyamémazine, 147
Complexe(s)
–– de Bickford, 81 D
–– K, 42 Dasein, 244, 245
–– N1/P2, 89, 92 Déafférentation fonctionnelle, 22
Complexité, 223, 227, 241 Décomposition d'une série de fonctions
–– organisante, 237 périodiques, 59
–– organisée, 229 Déficit attentionnel avec
Composante, 51, 52 hyperactivité, 77, 191, 198
–– N1, 93 Démences neurodégénératives, 74
–– N400, 95, 97, 99 Dépendance alcoolique, 94, 125
–– P30, 89 Déphasage, 58
–– P300, 93, 99 Dépression, 73, 94, 118, 145, 197
–– P3a, 93 –– de l'électrogenèse, 49
–– P3b, 93 –– de la transmission synaptique, 165
–– P50, 89, 99 Dérivation, 25
–– P600, 97 Descartes, 232, 239
Concrétisation, 15, 16 Deslon, 11, 16
Conductance cutanée, 192 Désynchronisation, 22
Congruent, 95 Diagnostic atmosphérique, 245

256
Index

Digitalisation, 10 –– à la clozapine, 81
Direct current, 190 –– après électroconvulsivothérapie, 81, 154
DSM, 36, 218, 228, 242, 244 –– au lithium, 71, 81
Dualisme, 232, 234 –– hépatique, 81
Duchenne de Boulogne, 4 Endophénotypes, 87, 96, 98
Durée des trains, 176 Énergie
Durée du sommeil, 106 –– délivrée, 142
Dynamique –– électrique, 57
–– labile, 77 Entretiens d'explicitation, 204
–– rigide, 77 Épigenèse, 217
Épilepsies, 73
E –– pharmacorésistantes, 191
ECG, 133 Épisode
Échelle –– dépressif majeur, 145, 170
–– de Conners, 210 –– maniaque, 145
–– de dépression de Hamilton, 145 Épistémologie
–– de dépression de Montgomery –– cartésienne, 237
et Astber, 145, 158 –– des multiples possibles, 234
–– de somnolence d'Epworth, 112 –– quantique, 231, 237
EEG Épochè, 240, 241, 244
–– anormal, 42 Épreuves d'activation (HPN), 44
–– hypernormal, 219, 237 Équation d'un mouvement vibratoire, 59
–– normal, 42, 68 ERP (Event-Related Potentials), 24, 36, 52, 85
–– quantifié, 57, 197 État(s)
Effet –– cérébraux, 216, 217, 232
–– jitter, 52 –– de mal non convulsivant, 70, 154
–– Landolt, 82, 140, 219, 237 –– de vigilance, 40, 42, 49, 58, 108
–– Landolt inversé, 82, 140, 219, 237 –– dépressifs, 94
–– N400, 95 –– mentaux, 216, 217, 232
–– placebo, 193, 205 Étomidate, 148, 152
–– première nuit, 108 Être-au-monde, 242
Efficacité du sommeil, 110 Éveil, 86
Ego transcendantal, 239 –– confusionnel, 115
Électricité Event-Related Potentials. Voir ERP, 85
–– « galvanique », 7 Évidences « naturelles », 240
–– « voltaïque », 7 Excitabilité corticale, 165
–– animale, 9 Expérience de mort imminente, 232, 233
–– délivrée, 150, 152 Expertise cognitive, 242
Électroclinique, 41, 68 Ey, 227
Électroconvulsivothérapie, 8, 9, 77, 81, 82, 133, 217, 220
–– appareillage, 140 F
Électrode(s) Facilitation intracorticale, 172
–– de référence, 25 Faraday, 6
–– de stimulation, 142, 150 –– cage de –, 38
Électroencéphalographie, 10 Fenêtre temporelle, 37
Électromagnétisme, 8, 165 Filtrage, 26, 55
Électromyogramme, 107, 133 –– sensoriel, 89
Électro-oculogramme, 107 Filtre
Électrophysiologie, 10 –– passe-bas, 27, 55, 148
Électrostimulation, 133 –– passe-haut, 27, 56, 148
Électrothérapie, 3, 5 Fluide magnétique, 11
Embodiement, 232 Fonction
Émergence, 232 –– périodique, 58
Encéphalite –– « porte », 22
–– herpétique, 71 –– sinusoïde, 58
Encéphalopathie, 80, 216, 217 Formation réticulaire, 22

257
Index

Formes, 32, 54, 229, 243 I


–– manquées de la présence, 246 Image, 228
–– manquées de l'électrogenèse, 247 Incongru, 95
Fossé explicatif, 230, 232 Index
Fourier, 40, 50, 59, 195 –– d'apnées-hypopnées (IAH), 112
Frankfurt Council, 4 –– de micro-éveils, 110
Franklin, 6, 12 –– de suppression de l'activité biocorticale, 138
Fréquence Induction électromagnétique, 6
–– d'échantillonnage, 27, 51 Ingenhousz, 6
–– de stimulation, 175 Inhibition
–– des pulses, 143 –– interhémisphérique, 172
–– respiratoire, 195 –– intracorticale, 172
Fuseaux du sommeil, 42 Insomnie, 105, 109, 117
–– primaire, 192
G Intensité de stimulation, 176
Intentionnalité, 239
Gale, 7 Intercritique, 48
Galvani, 6, 7, 9 Interférogramme, 59
Galvanisation, 6 International Society for Neurofeedback and
Galvanomètre, 3, 10 Research (ISNR), 187
Gassner, 13 Intervalle inter-stimulus, 92
Gestalt, gestaltiste, 57, 223, 233, 243, 25 Inventaire de dépression de Beck, 145, 197
Goldstein, 221, 225, 231 Irritabilité neuronale, 80
Grand moyennage, 36, 85, 99 iTBS, 176
Grapho-éléments
–– inhabituels non pathologiques, 42 J
–– paroxystiques, 45, 47
Jackson, 224
Guidelines, 5, 33, 57, 99
Jitter, 52
Guillotin, 12
K
Kétamine, 152
H
Kimura, 242
Habituation, 89 Krüger, 6
Hallucinations
–– auditives, 175 L
–– hypnagogiques, 114 Lairy, 215, 245
Hard problem, 230 Lamotrigine, 152
H-coil, 168 Landolt, 82, 140, 219, 237
Heidegger, 242, 244 Landolt inversé, 82, 140, 219, 237
Holisme, 231, 233 Latence, 57
Horloge biologique, 117 –– d'apparition du sommeil paradoxal, 110
Husserl, 239, 242, 243 –– d'endormissement, 106, 110
Hydroxyzine, 147 Lavoisier, 4, 12
Hyperammoniémie, 81 Levinas, 245
Hyperpnée, 34, 41, 44 Leyde (bouteille de –), 9
Hypersomnie, 113 Ligne de base, 55, 57
–– idiopathique, 114 Lithium, 71, 77, 78, 81, 124, 152
Hypersomnolence, 105, 114 Localisme, 225
–– d'origine centrale, 113 Logiciels, 32
Hypersynchronie, 139 Loomis, 50
Hypertension intracrânienne, 146 LORETA (Low Resolution Tomography), 50
Hypnogramme, 108 LPC (Late Positive Component), 97
Hypnotisme, 6
Hypopnée, 111 M
Hypothèse dopaminergique, 218 Machines électromagnétiques, 10
Hystérie, 224 Magnétisme animal, 11

258
Index

Magnétosphènes, 8 NES (Night Eating Syndrome), 116


Maladie d'A lzheimer, 74, 92, 94, 96 Neurofeedback, 58
Maldiney, 242 –– de deuxième type, 186
Marqueurs, 54, 55 –– de premier type, 186
–– endophénotypiques, 76, 91 Neuroleptiques, 49, 79, 123, 124
Mémoire, 94 Neurolinguistique, 95
Merleau-Ponty, 240, 242 Neurologie, 215
Mesmer, 5, 10, 16 Neurologisme, 217
Méthadone, 124 Neuronavigation, 169, 173
Méthode Neurones
–– « âge/dose », 149, 150 –– pyramidaux, 21, 165
–– de titration, 149 –– thalamiques, 21
–– des « 5 cm », 173 Neurophénoménologie, 241, 247
Méthylphénidate, 191, 197 Neuropsychologie, 225
MHLS (Multidimensional Health Locus of Control –– cognitive, 85
Scale), 198 Nicotine, 124, 126
Micro-éveil, 110 Normalisation forcée, 82
Mindfulness, 226 Noyaux
Minkowski, 242, 246 –– réticulaires du thalamus, 21
MMN (Mismatch Negativity), 92 –– supraoptiques de l'hypothalamus, 22
Mode NREM1, 42, 50, 51, 109
–– commun, 26 NREM2, 51, 109
–– oscillant, 21 NREM3, 109
Modèle Numérisation, 27, 31
–– biopsychosocial, 227 Nyquist-Shannon (théorème de –), 27
–– cognitiviste, 233
–– explicatif, 224 O
–– médical, 226, 227 Objet technique, 13
Monisme matérialiste, 232, 234 Observaction, 238
Monopolaire (montage), 26 Oddball, 92, 93
Montage, 25 Olanzapine, 79
–– référentiel, 26 Ondansétron, 154
Morin, 237 Ondes
Morphiniques, 125 –– lentes angulaires, 48, 134
Morphogenèse structurale de Thom, 243 –– lentes pathologiques, 47
Morphologie, 54 –– lentes triphasiques, 81
Mort encéphalique, 245 Ontologie, 229
Mouvements Organodynamisme, 225
–– oculaires, 42 Orientation, 98
–– périodiques du sommeil, 112, 124 –– attentionnelle, 93
Moyennage, 35, 195 Oscillations, 58
–– direct, 37 Oscilloscope, 31
–– grand, 36, 52, 85, 99
–– par sujet, 85 P
–– rétrograde, 37 P2, 89
–– rétromoyennage, 52 P200, 89, 90
P30, 89
N P300, 93
N1, 89, 93 P3a, 93
N1/P2, 89, 92 P3b, 93
N100, 89, 90 P50, 89, 92
N2, 93 P600, 97
N400, 95, 97 Paires de clics, 91
Narcolepsie, 113, 114 Paradigme, 215, 224, 229
Naudin, 242 –– de la neuropsychologie cognitive, 85
Négativité de discordance, 92 –– électrophysiologique, 85

259
Index

Paralysie du sommeil, 115 Pravdich-Neminsky, 10


Parasomnies Pré-attentionnel, 89
–– en sommeil lent, 115 Préparation motrice, 98
–– en sommeil paradoxal, 115 Processus
Paroxysmes épileptiques, 134 –– neurodégénératif, 49
Passe-bas, 27, 55, 148 –– pré-attentionnels, 86
Passe-haut, 27, 56, 148 Profil neurocognitif, 100
Pâte conductrice, 25 Propofol, 147, 148, 152
Patterns, 243 Protocole
Période de silence –– bêta/thêta, 189
–– cortical, 171 –– d'activation, 189
–– interhémisphérique, 172 –– de consolidation (SMTr), 178
Phase –– SMR, 189
–– clonique, 137 PSS 14 (Perceived Stress Scale), 198
–– épileptique recrutante, 137 Psychanalyse, 224, 225, 227
–– ictale, 134 Psychiatrie
–– post-critique, 138 –– biologique, 216, 218, 241
–– tonique, 137 –– phénoménologique, 242
Phénoménologie, 226, 238 Psychologie
Physicalisme, 228, 232 –– cognitive, 226
Physique quantique, 229 –– expérimentale, 225
Pic apparent, 52 Psychopharmacologie, 225
Pinel, 7 Psychose
PIPV, 98 –– alternative, 219
Placebo, 193, 205 –– ictale, 73
Plaintes mnésiques, 155 –– inter-ictale, 73
Plasticité –– post-ictale, 73, 82
–– psychobiologique, 219, 231 Psychotropes, 77, 122, 217, 219
–– psycho-organique, 231 Puissances spectrales, 60, 190, 195, 201
Polarité, 33 Pulse, 151
Polygraphie ventilatoire, 112 –– ultrabref, 143
Polypointes, 134
Polypointes-ondes, 134 Q
Polysomnographie, 105, 107 qEEG, 58, 197, 199
Popper, 228 Quantification, 32, 52, 57
Potentialisation à long terme, 165 Quantité
Potentiel(s) –– d'électricité délivrée, 150, 152
–– corticaux lents, 56 –– d'énergie délivrée, 142
–– EEG lent, 190
–– évoqués, 35 R
–– – cognitifs, 32, 36, 52, 85, 99, 227 Raie torpille, 3
–– – endogènes, 85 Ralentissement
–– – exogènes, 85 –– de l'électrogenèse, 47, 80
–– – moteurs, 165, 171 –– du rythme de fond, 138
–– – sensorimoteurs, 37, 75 Rapport signal/bruit, 35, 38, 57
–– lents corticaux, 98 Rapport S2/S1, 91
–– liés à l'événement (EPR), 24, 36, 52, 85 Réaction(s)
–– postsynaptiques –– d'orientation, 98
–– – d'excitation, 21 –– de catastrophe, 221, 226
–– – d'inhibition, 21 Réactivité, 46
Pourcentage Réduction
–– de veille sur le temps de période de sommeil, 110 –– eidétique, 239
–– du stade de sommeil paradoxal, 110 –– phénoménologique, 239
–– du stade NREM1, 110 –– transcendantale, 239
–– du stade NREM2, 110 Réductionnisme scientifique, 238
–– du stade NREM3, 110 Réflexe oculocardiaque, 34

260
Index

Régulation de la vigilance, 188 SMR (Sensory Motor Rhythm), 189


Reil, 224 SMT, 8, 165
Réjection en mode commun, 26 SMTr, 8, 165
Rejet des artefacts, 200 –– au long cours, 177
REM, 22, 109 SOA (Stimulus Onset Asynchrony), 95
Remédiation cognitive, 185 Société internationale de neurophysiologie
Rémond, 185, 187 clinique, 33
Renforcement positif, 200 Soft signs, 247
Réseaux, 15, 16 Sommation, 35
–– sémantiques, 96 Sommeil, 42, 105
Retard de phase du sommeil, 117 –– lent, 108, 115, 122
Rétrocontrôle, 185 –– lent profond, 22
Rétromoyennage, 52 –– paradoxal, 50, 108, 109, 115, 122
Risque suicidaire, 98 –– profond, 50
Ronflements, 112 –– REM, 22
Routine clinique, 33 Somnambulisme, 115
Rythme Somnolence diurne, 112
–– alpha, 24, 41, 80, 243 Souffrance
–– bêta, 24, 41, 243 –– cérébrale, 46, 71, 216
–– circadien, 52, 117, 125 –– focale lésionnelle, 74
–– de base, 40 Spectre, 59
–– de fond, 138 SRED (Sleep-Related Eating Disorder, 116
–– delta, 41 SSQM (Squire Subjective Memory Questionnaire), 155, 162
–– gamma, 41 Stades
–– hypernycthéméral, 117 –– de sommeil, 22, 50, 109
–– thêta, 41, 80 –– de vigilance. Voir États de vigilance
STAI (State-Trait Anxiety Inventory), 197
S Stimulateur magnétique, 166
Salle de soins post-interventionnels, 144, 153 Stimulation, 142, 165
Salves de stimulations, 176 –– à basse fréquence, 175
SAOS. Voir Syndrome d'apnées obstructives –– à haute fréquence, 175
du sommeil –– continue (cTBS), 176
Saturation en oxygène, 107 –– intermittente (iTBS), 176
Schème technologique, 14 –– lumineuse intermittente (SLI), 28, 34, 37, 41, 44
Schizophrénie, 76, 91, 92, 94, 96, 121, 145, 169, 218, 246 –– magnétique transcrânienne. Voir SMT et SMTr
SCP (Slow Cortical Potential), 56, 190, 199 Stimulus, 36
Seconde cybernétique, 237 –– déviant, 92
Sémiologie, 40 –– impératif, 98
Sensory gating, 89, 91 –– préparatoire, 97
Seuil Stratégies d'ajustement, 187
–– convulsivant, 79 Stress post-traumatique, 169
–– de récompense, 201 Subjectivité, 223, 230
–– de renforcement, 200 Substances toxiques, 124
–– épileptogène, 149, 152, 154, 191 Succinylcholine, 149
–– infraliminaire, 176 Suppression-burst, 81
–– moteur, 165 Suppression post-ictale, 134, 138
–– – au repos, 171 Synchronisation, 37, 41
–– – en activité, 171 Syndrome
Sharp slow waves, 48 –– alimentaire nocturne, 116
Sherrington, 224 –– anxieux, 49
Silence –– confusionnel, 70, 71, 77, 80, 154
–– cortical, 171 –– d'apnées centrales, 111
–– interhémisphérique, 172 –– d'apnées obstructives du sommeil, 106, 111, 115, 123
Simondon, 13, 16, 17 –– d'avance de phase du sommeil, 117
SLI (stimulation lumineuse intermittente), 28, 34, 37, 41, 44 –– d'hypoventilation alvéolaire, 111
Slow cortical potentials, 56, 190, 199 –– d'impatiences des membres inférieurs, 112
Small sharp spikes, 76 –– d'insuffisance de sommeil, 113

261
Index

–– de Kleine-Levin, 113 –– anxieux, 192


–– de retard de phase du sommeil, 117 –– bipolaire, 96, 111, 120
–– de Willis-Ekböm, 112 –– cognitifs, 77
–– des jambes sans repos, 112, 124 –– conversif, 74
–– des mouvements périodiques des jambes, 112, 115, 124 –– de l'humeur, 76, 114
–– douloureux chronique, 170 –– de la personnalité, 117
–– post-commotionnel, 74 –– démentiel, 74
Système –– dépressifs, 98, 118
–– 10/20, 25 –– du comportement alimentaire, 121
–– réticulo-thalamo-cortical, 41 –– du comportement en sommeil
paradoxal, 115
T –– du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité,
Tabac, 90, 91, 124 77, 191, 198
Tâches cognitives, 85 –– du rythme circadien, 117
Tatossian, 242, 246 –– du sommeil, 105
Technique du brassard, 148 –– moteurs liés au sommeil, 105, 112, 124
Temporalité, 242 –– obsessionnel compulsif, 169
Temps –– panique, 169
–– au lit (TAL), 110 –– respiratoires du sommeil, 105, 111, 123
–– d'éveil en TPS, 110 –– schizoaffectifs, 76
–– d'occupation, 200, 202 –– somatoforme, 3, 74, 170
–– de période de sommeil (TPS), 110 Typification, 245
–– de réaction, 95
–– de sommeil total (TST), 110 U
Terreur nocturne, 115 Ulrich, 243, 245
Test Urgences neurophysiologiques, 70
–– de maintien d'éveil (TME), 111
–– itératif de latence d'endormissement (TILE), 111 V
Thalamus, 21 Valproate, 71, 79, 81
Théorème de Nyquist-Shannon, 27 Varéla, 241
Théorie Variation
–– du chaos, 228 –– contingente négative (VCN), 97, 190
–– gestaltiste, 223, 233, 243 –– de la vigilance, 49
Thom, 243 Veille, 49, 110
Thymorégulateurs, 123, 124 Veille calme, 42
Titration, 149 Vérification linguistique, 97
Tracé(s) VIGALL, 50
–– dysrythmiques, 219 Vigigramme, 49, 246
–– hypernormaux, 219, 237 Vigilance, 40, 42, 50, 58, 108, 188, 245, 246
–– inter-ictal, 140 Volta, 6, 9
–– paradoxaux, 219 Voltage post-impératif, 98
Traitement sensoriel, 89 Von Foester, 237
Transfert des apprentissages, 205 Vulnérabilité, 76, 92, 94, 216
Transformée de Fourier, 50, 195
Traumatisme crânien, 74 W
Triphasique, 71, 81 WCC-R (Ways of Coping Checklist-Revised), 198
Trouble(s) World Federation of Societies of Biological Psychiatry
–– affectifs, 91, 94 (WFSBP), 5
–– alimentaire lié au sommeil, 116 Wrap-up, 97

262

Vous aimerez peut-être aussi