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N° étudiant 

Dossier présenté en vue de la validation du cours


DEMARCHE DE PROJET de Patrick Berry
(second semestre)

Master 2 « Métiers du développement, mutations des sociétés et des territoires »,


parcours « Sociologie appliquée au développement territorial » - « Sociologie de la
communication et animation des territoires ».

Sujet :
« Démarche de projet », « conduite de projet », « gestion de projet », « méthodologie
de projet »…autant d’expressions qui sont aujourd’hui incontournables tant dans les
rhétoriques que dans les modes d’agir au sein des champs de l’intervention sociale.
Fondée sur l’anticipation, la planification et la technicité, la notion de projet,
construite dans la sphère économique de production matérielle, est devenue un
paradigme de l’intervention publique et ce d’autant que les démarches de
formalisation et de standardisation des process se renforcent en lien avec le pouvoir
des contrôles de gestion, des tenants de l’évaluation de résultats, et des démarche
qualité axées sur les critères d’efficience et d’efficacité. Le champ du
développement, entendu dans une perspective internationale ou territoriale, est lui
aussi très largement « impacté » par ces modes de pensée et de faire autour du
Projet.
Tout autant outil intellectuel que pratique, la notion de Projet interroge en effet la
problématique du développement tant dans sa façon de concevoir ses dynamiques
sociales (quelles en sont les finalités ?) que dans ses modalités de mise en place sur
le terrain (quelles sont mes moyens et mes stratégies ?).
Il semble par ailleurs que le Projet, dans une perspective professionnelle de
distanciation et de qualité, incite à une posture critique autour de la question : Outil
de développement ou finalité même de développement ?

En appui avec le précédent paragraphe et à l’aide de l’ensemble de vos séminaires


du Master, de vos expériences professionnelles et/ou de stage, de vos lectures, de
vos cheminements personnels, vous développerez un questionnement autour de la
notion de « démarche de projet » « conduite de projet » ou « gestion de
projet »….en lien avec les problématiques du développement.
La démarche de projet en réponse à un appel à projet 
dans le cadre du Contrat Urbain de cohésion sociale :
réflexion sur ses enjeux, limites et incohérences

Le projet est le système de la politique de la ville par excellence. A la fois


mode de communication et façon d’instruire les dossiers, l’appel à projet permet
d’étudier plus rapidement et facilement les dossiers reçus qui rentrent tous dans un
cadre pré défini. Ce que l’on nomme « appel à projet » est en fait un cadre
permettant aux opérateurs (associations, collectivités, organismes à but non lucratif
ou à gestion désintéressée) de proposer des projets qui répondent aux objectifs
définis afin de répondre au mieux aux besoins observés et exprimés sur les
territoires d’intervention. L’appel à projet permet de guider et de soutenir les projets
qui répondent aux objectifs du Contrat Urbain de Cohésion Sociale CUCS) : les
porteurs de projets doivent présenter des projets qui répondent aux appels à projets
spécifiques et qui s’inscrivent dans les thématiques et les orientations du contrat. Si
les appels à projets existent depuis fort longtemps dans certains domaines tels que
les travaux publics, il s’agit d’un procédé relativement nouveau au sein de
l’administration française et tout particulièrement dans le champ de la politique de la
ville. Cette nouvelle procédure a provoqué un profond bouleversement pour les
associations. Pas toujours outillées pour mettre en place une démarche de projet
formalisée et complète, les associations ont été amenées à s’interroger sur la
pertinence de leurs projets par rapport aux besoins du public, aux outils à élaborer
pour valoriser leurs actions, et aux moyens à développer pour faire évoluer des
actions récurrentes. Nous souhaitons analyser ici, à partir d’extrait d’entretiens
réalisés avec des chefs de projet, les difficultés et limites de ce dispositif.
Thibaut, chef de projet CUCS sur un quartier prioritaire, se défini comme :
« facilitateur de projets impossibles ». Il explique : « nous sommes dans des logiques
de plus en plus exigeantes de projet qui obligent les associations à monter plus de
projets si elles veulent se développer. Comme les projets doivent rentrer dans des
critères de thématiques, d’objectifs, d’indicateurs de résultat, du coup, on en arrive à
un système dans lequel c’est le dispositif lui-même qui décide quel projet il faut
monter. Les projets ne viennent plus des habitants. Les associations ne peuvent plus
trop affirmer une orientation forte ou une idéologie au risque de ne plus rentrer dans
les critères. » Il conclut : « il faut trouver le moyen d’aider les associations à

1
fonctionner et non pas d’aider les projets ». Cet avis personnel, porté par un
professionnel qui œuvre depuis dix ans sur ce quartier dans le cadre de la cohésions
sociale, nous semble tout à fait intéressant. En effet, il semble que si l’on veut que
les habitants reprennent leur destin en main, ils doivent être les initiateurs des
projets : les projets doivent être faits par les habitants et non pas avec les habitants,
encore moins pour les habitants.
Concernant les dossiers qui arrivent en réponse à l’appel à projet, Benoît, chef
de projet CUCS sur un autre quartier prioritaire, nous explique : « maintenant de
toute façon y’a pas de projet tant que le CERFA 1 n’est pas rempli. Tout est tellement
réglementé que c’est le fait de remplir ce papier qui démarre la réflexion sur un projet
potentiel. » Il ajoute : « Les missions générales des associations sont devenues
floues voire inexistentes pour pouvoir cadrer avec n’importe quel appel à projet. » Ce
constat ne cadre pas du tout avec la méthodologie du projet, telle que proposée par
J-P. Boutinet. Pour celui-ci en effet, « Se doter d’un projet, c’est dans le même
mouvement chercher à le construire et vouloir le réaliser. (…) Je ne puis donc
réaliser le projet d’autrui (…) Je ne puis inversement élaborer pour autrui son
projet. »2 Or l’appel à projet du Contrat Urbain de cohésion sociale, à cause du cadre
très étroit donc forcément restreint qu’il propose, prive les porteurs de projet d’une
part de créativité qui est nécessaire à toute conduite de projet. Au-delà de ce
problème fondamental lié à la logique même du projet, Benoît ajoute que : « les gens
sont prêts à se mobiliser mais pas à se constituer en association. Il faut trouver un
autre moyen de concentrer les énergies. » Puisque la constitution d’un collectif ayant
une existence légale est un préalable nécessaire à toute proposition de projet dans
le cadre du CUCS, nous voyons là que le constat fait par ce chef de projet constitue
une barrière de plus à la participation pleine et entière des habitants.
L’évaluation est une composante systématique de la politique de projet,
apparaissant dans tous les montages, mais qui pose souvent des problèmes de
compétence technique. En effet, si l’évaluation des systèmes, des procédés, des
façons de faire, est une chose relativement abordable et reproductible, celle des
effets produits, de l’efficience et de l’efficacité des actions est beaucoup plus délicate
à conduire (elle ne se contente pas d’indicateurs chiffrés et concerne des objets en
permanence en mouvement). Ainsi, les quelques 30 années de politique de la ville

1
Le CERFA est un formulaire réglementaire de demande de subvention
2
BOUTINET, Jean-Pierre. Anthropologie du projet. Paris : PUF/Psychologie d’aujourd’hui (1990 – 7e édition
2003), pp.256-257

2
que nous pouvons aujourd’hui observer nous montrent-elles un déficit criant
d’évaluation des effets des politiques menées. A ce sujet, Thibaut, un autre chef de
projet CUCS, explique : « on veut rationaliser, évaluer, quantifier a posteriori, tout,
tout le temps, sauf pour les choses qui seraient intéressantes à évaluer. Par exemple
où on en serait sans le CUCS ? » Nous pouvons expliquer cet avis par le fait qu’il
existe des données qui montrent quelles évolutions ont eu lieu sur un quartier entre
telle et telle année. Il semble alors intéressant d’essayer de projeter cette évolution
sur cinq ou dix ans, en y intégrant par exemple les données du chômage ou de la
crise, afin d’anticiper les actions à entreprendre. Thibaut conclut : «  De toute façon
l’évaluation quantitative ça se prétend objectif alors que c’est tellement facile à
manipuler, on peut en faire ce qu’on veut. ».
Philippe, dernier chef de projet que nous ayons interrogé, déplore que
l’atteinte des objectifs doive forcément passer par la réponse à un appel à projet qui,
selon lui, empêche la mise en place d’autres actions parfois plus efficaces et en tout
cas moins coûteuses en temps et en moyens. Il nous explique : « Pour prendre un
exemple, 3 jeunes qui font du karaté depuis des années ont eu envie de donner des
cours, tu vois ? Ils sont allés directement demander à la maison de quartier de leur
prêter une salle et se sont débrouillés pour les assurances. Leur idée c’était que les
petits sur le quartier avaient besoin de se défouler et que le karaté pouvait leur
permettre de se canaliser. Ils ont réussi à monter 6 cours par semaine sur 3 quartiers
différents, tout ça sans monter d’assoc’ mais en s’appuyant sur celles [les
associations] qu’ils connaissaient. Ces 3 jeunes ont remarqué que les petits dont ils
s’occupaient les écoutaient et les respectaient. Et ils ont commencé à les aider à
faire leurs devoirs ! Du coup maintenant ils essaient de faire du soutien scolaire en
lien avec les cours de Karaté . Ils m’ont dit : «  on sait qu’il y a déjà du soutien
scolaire. Mais tu comprends, les gars, ils sont gentils, mais ils savent pas faire. Les
petits, ils ont l’impression d’avoir des heures d’écoles en plus. »
Ainsi, à travers ces différents témoignages, nous avons pu voir que les acteurs
chargés de la sélection de projets qui seront financés dans le cadre du CUCS, se
montrent très critiques vis-à-vis de cette procédure qu’ils jugent complexe, coûteuse
et parfois peu encline à répondre aux attentes ainsi qu’aux besoins des habitants des
quartiers prioritaires.

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