A plusieurs, to

Pour échapper à la crise, une nouvelle économie «collabora-

tive» voit le jour. Grâce aux réseaux sociaux et aux nouvelles
technologies, chacun peut s'essayer à vivre et à travailler
autrement Texte Fabien Trécourt, Gaëlle Renouvel, Frédéric Karpyta -Illustrations Clod

E
t si vous partagiez votre machine à
laver avec vos voisins ? L'idée vous
paraît saugrenue ? C'est pourtant ce
que propose Lamachineduvoisin.fr,
où plus de 2 600 foyers mettent la leur à dis-
position. Et ce pourrait bientôt devenir la
norme. Né avec la crise économique et mo-
rale, le collaboratif est en effet en plein boom.
Les Français sont déjà 11 % à pratiquer le
troc, et 6 % préfèrent louer des biens à
d'autres particuliers plutôt que de les ache-
ter. Leurs motivations ? Faire des économies
mais aussi créer du lien et développer un sys-
tème alternatif, fondé sur le partage. Et cette
tendance ne se limite pas à la consommation :
elle touche aussi le savoir, le travail et redonne
même un second souffle au militantisme. Si In-
ternet a favorisé son émergence, on la retrouve
aujourd'hui de plus en plus sur le terrain. Le
festival Ouishare, qui s'est tenu à Paris en mai
a permis à 500 acteurs de l'économie collabo-
rative de présenter leurs projets au public.

Voici les réponses de notre panel*

aux questions
• Seriez-vous prêt à louer une de vos chambres sur Internet
pour une ou quelques nuits?

Oui 20% 19% i 21%

Non 80% j 82% | 79%
• Et à l'inverse, en voyage ou en déplacement, loueriez-vous
une chambre chez l'habitant plutôt que d'aller à l'hôtel?
Oui 49% 45% 52%
Non 51% 55% 48%

• Si oui, pour quelle raison?

Faire des économies 71%
Faire des connaissances
Se sentir comme chez soi
Autre raison
60%
12%
10%
Pour économiser,
• Accepteriez-vous de participer au financement d'un projet Louer sa chambre d'amis ou partager sa voiture...
présenté sur Internet?
Oui 30% 36% 27%
Ces pratiques sont en plein développement
Non 70% 64% 73% L'usage va-t-i7 remplacer la propriété ?
• Si oui, quel type de projet?

Un film ou un album de musique
De la recherche scientifique
Une création d'entreprise
Un soutien au concurrent d'un
challenge sportif (raid, course)
Un autre type de projet
• Seriez-vous prêt à signer une pétition pour une cause :
Politique
Humanitaire
Environnementale
L
i a propriété, un concept rin- leur logement — a passé le cap
64% gard ? La location a en tout des 30 000 annonces en France
56% cas la cote. Pour les vacan- cette année. La tendance touche
55%
ces, 70,6 % des Français pensent aussi l'automobile. Il faut dire
19%
que louer une chambre chez l'ha- qu'en posséder une revient cher :
bitant présente le meilleur rap- sans compter le prix d'achat, son
6%
port qualité-prix, selon une étude coût moyen (assurance, entretien
Ipsos pour MediaVacances.com, et essence) est estimé à environ
30% 34% 28% publiée en avril. Figure de proue 6 000 € par an. Le covoiturage
85% 80% 88% de cette tendance, le site Airbnb convainc « 1 0 % d'utilisateurs
80% 81% 80% — qui permet à des particuliers aujourd'hui, 20% demain»,
de louer tout ou une partie de d'après une étude de l'Observa-

louer entre particuliers...
toire Cetelem, publiée fin 2012.
L'autopartage, c'est-à-dire la mise
en commun de véhicules, proposé
par exemple par Livop.fr, séduit,
lui, 5 % de Français contre 1 %
auparavant. De grandes agglo-
mérations ont bien compris ce
besoin occasionnel comme Paris
avec Autolib', qui revendiquait
50 000 abonnés fin 2012. Ces vé-
hicules électriques en libre-ser-
vice vont s'installer à Lyon et
Bordeaux dans le courant de l'an-
née. Et des sociétés privées pro-
posent dans d'autres villes le
même type de service. Plus sur-
prenant mais révélateur d'une
tendance de fond, un grand fa-
bricant comme Citroën a lancé
sa plateforme d'autopartage en-
tre particuliers, Multicity.fr. « Il y
a peu, la location de voiture en-
tre particuliers n'était même pas
envisageable. L'usage est en train
de remplacer la propriété », ana-
lyse Valérie Peugeot, en charge
de la prospective chez Orange.
Les sites de location entre
particuliers se multiplient
Un changement qui ne se li-
mite pas à l'automobile. Crise
oblige, 62 % des Français pensent
échanger des produits ou des
Partager sa
chambre, son
lave-linge va
devenir naturel
c'est l'esprit
coloc' Erasmus
services et un tiers, louer du ma-
tériel de sport, de bricolage et de
jardinage plutôt que de les ache-
ter. «Les pratiques de consom-
mation émergentes apparaissent
souvent comme des solutions
pour ^consommer malin", retirer
davantage de satisfactions de
chaque euro dépensé», selon
l'Observatoire Cetelem. Résultat,
les sites de location entre parti-
culiers se multiplient. Reste à
voir si tous pourront survivre. Car
cette «consommation collabora-
tive » est encore marginale : seuls
7 % de Français la pratiquent.
«On appréhende encore la loca-
tion entre particuliers car elle
n'est pas dans notre culture»,
relativise Edouard Dumortier,
auteur d'un livre blanc sur ce
thème. Mais selon le sociologue
de la consommation, Patrice Du-
chemin, ce modèle économique
se justifie : « Ces sites ne sont pas
forcément rentables, mais l'es-
sentiel pour eux est d'innover en
espérant devenir
indispensables.» Et
le phénomène, gé-
nérationnel, ne se-
rait pas près de
s'arrêter. «C'est
l'esprit Erasmus,
ces échanges uni-
versitaires e u r o -
péens : quoi de plus
naturel que de par-
tager ses biens, sa
chambre ou sa ma-
chine à laver quand on a vécu en
colocation avec des étrangers ? »,
affirme Patrice Duchemin.
Une économie grise, sans
impôt ni charges sociales
Avec le développement de ces
échanges se pose le problème de
leur réglementation. Des loueurs
amateurs peuvent gagner des
sommes importantes sans les dé-
clarer. Et des professionnels du
tourisme passeraient des annon-
ces sur des sites réservés aux par-
ticuliers. « On risque de créer une
économie grise, sans impôt ni
charges sociales», confirme Va-
lérie Peugeot. La ministre du
Tourisme, Sylvia Pinel, a promis
davantage de contrôles mais pré-
cise «qu'il ne faut pas stigmatiser
un type d'hébergement plébiscité
par nombre de vacanciers».
• Les ratés : louer des
ustensiles de cuisine ou encore
une robe de soirée... Sur
le papier, l'idée avait tout pour
plaire, mais elle n'a pas
résisté à la vente de produits
d'occasion sur Internet,
aux achats groupés, ou tout
simplement au prêt gratuit
entre amis.
• Demain? De plus en
plus de monnaies alternatives
se développent sur la Toile.
Elles se présentent sous forme
d'équivalent en temps de
travail (pour les services) ou
de valeurs virtuelles (pour
les objets).
JUILLET 2 0 1 3 C 3 s i
BfiffijBHîi
Partager
des savoir-faire
Grâce aux échanges sur le Web et dans les asso-
ciations, l'intelligence collective est en plein essor.

A
vec 20 milliards de
pages consultées par
mois, l'encyclopédie en
ligne Wikipédia, à laquelle
chacun peut participer, est une
vraie réussite. Ce mastodonte
n'est que la face émergée de
Ticeberg collaboratif. Les fo-
rums de discussion figurent
parmi les sites les plus consul-
tés, avec 12 millions de visi-
teurs mensuels sur Auféminin
ou 9 millions sur Doctissimo.
Echange cours de finance
contre bon repas
Mais le partage des connais-
sances ne se limite plus au vir-
tuel. Dans la trentaine de Fab
riés. Elles sont déjà présentes
dans des Fab Lab auxquels on
peut commander une pièce de
rechange pour un appareil. Un
moyen de lutter contre l'obso-
lescence programmée.
Les entreprises américaines
SparkFun et Arduino publient
ainsi sur le Net les schémas de
leurs composants électroniques,
afin de fédérer les contribu-
tions de techniciens du monde
entier et d'améliorer leurs pro-
duits. Toutes deux sont viables
économiquement, contraire-
ment à la majorité des sociétés
fondées sur ce modèle. Elles
proposent surtout des proto-
types : WikiSpeed a fabriqué
une voiture peu gourmande en

Lab (des «laboratoires de fa-
brication ») que compte la
France, des ingénieurs et des
informaticiens initient les no-
vices et mettent leurs outils à
disposition. Nées au Québec,
des accorderies, où le temps
S'associer pour
essence grâce à 150 bénévoles
de 18 pays. Un agriculteur
américain, Marcin Jakubowki,
qui a déjà mis les plans d'un
tracteur en open source, ambi- Le mécénat change de main. Aujourd'hui,
tionne de créer une cinquan-
les particuliers financent les entrepreneurs.
taine de machines «nécessaires

passé à rendre service fait of-
fice de monnaie, se sont instal-
lées en 2011 à Chambéry et
Paris. Une TradeSchool, école
participative fondée sur le
troc, a aussi vu le jour dans la
capitale en 2012. « On peut
échanger un cours de finance
ou de brassage de bière contre
un repas», résume Flore
Berlingen, cofondatrice du col-
lectif OuiShare, dédié à l'éco-
nomie collaborative. Les parti-
cipants viennent surtout du
monde associatif, informatique
ou de l'économie solidaire. Ils
veulent montrer que des alter-
natives au modèle économi-
que actuel existent.» Encore
marginal, le mouvement prend
de l'ampleur, grâce à ïopen
source, des fichiers en libre ac-
cès sur le Net. Et un nouveau
stade devrait être franchi grâce
aux imprimantes 3D qui
permettent, d'après plans, de
fabriquer n'importe quelle
forme dans des matériaux va-
à une petite civilisation». Pour
Michel Bauwens, initiateur de
la fondation P2P, dédiée à
l'open source, «la production
d'objets est une potentielle
mine d'or, mais moins simple
que le partage des connais-
sances.» Car réaliser un objet
nécessite d'investir, mais échan-
ger des idées ne coûte rien.
• Les ratés : Fopen source
et l'imprimante 3D font déjà
polémique aux Etats-Unis, où
le groupe Defense Distributed
a fabriqué une arme grâce à
cette technologie et mis les
plans sur le Net. L'Etat a aus-
sitôt exigé leur suppression.
• Demain? L'accès à Inter-
net pourrait être autorisé au
bac. Le système est expéri-
menté au Danemark depuis
2010. L'idée est que les
connaissances académiques
comptent peut-être moins que
la façon de s'en servir.
B
esoin d'un coup de pouce
pour boucler votre projet ?
Misez sur le financement
participatif! Le crowdfunding
permet d'emprunter directement
de l'argent à des particuliers via
des sites Internet spécialisés,
comme Kickstarter, MyMajor
Company ou KissKissBankBank.
Un mode de financement récent
— il est né autour de 2005 —,
mais assez vite devenu populaire :
40 millions d'euros ont été inves-
tis en France dans 60 000 projets
en 2012, estime l'association Fi-
nancement participatif France.
Au niveau mondial, il représente
plus de 2 milliards d'euros d'in-
vestissements, dont 700 millions
en Europe, selon le cabinet amé-
ricain Massolution. Et le montant
devrait doubler cette année. Si
les premiers projets étaient sur-
tout culturels, ils se sont depuis
diversifiés. U n e étudiante de
l'université de Strasbourg a ré-
colté 5 000 euros pour finir son
doctorat ; un maraîcher du Pas-
de-Calais, 8 000 euros pour ache-
ter une nouvelle machine agri-
cole, et le chef étoilé Thierry
Marx, plus de 25 000 euros pour
créer une école de boulangerie...
Avec la baisse des budgets
publics, même les
collectivités s'y mettent
Et la success story est parfois
au rendez-vous : en 2008, le chan-
teur Grégoire est parvenu à re-
cueillir 70 000 euros pour finan-
cer son premier album alors qu'il
était inconnu du grand public.
Les internautes qui ont misé sur
lui ont récupéré douze à seize fois
leur investissement de départ, le
tube «Toi + Moi» s'étant écoulé
à plus d'un million d'exemplai-
res. Une réussite exceptionnelle :
«Seuls deux tiers des projets
aboutissent et peu dégagent des
bénéfices », relativise le cofonda-
teur du site sponsorise.me, Loïc
Yviquel. « Les autres n'atteignent
pas le plafond nécessaire au lan-
cement de leur activité.»

réaliser un projet
Mais cela ne suffit pas à décou-
rager de nouveaux acteurs. Car
avec la baisse des budgets publics,
même les collectivités s'y mettent.
En Gironde, la mairie de Poden-
sac propose de devenir mécène
du patrimoine régional en finan-
çant la restauration d'une statue
de discobole, via My Major Com-
pany. Le gouvernement s'y inté-
resse lui aussi de près. « N o u s
réfléchissons aux moyens d'atti-
rer davantage l'épargne des ci-
toyens vers les créations d'entre-
prises », a ainsi déclaré la ministre
déléguée aux PME, Fleur Pelle-
rin, en janvier dernier, avant de
s'engager à étudier «les verrous
[...] à faire sauter».
Selon Jean-Paul Flipo, auteur
de la Consommation citoyenne,
« il n'y a pas vraiment d'obstacles,
sinon psychologiques, au finan-
cement participatif, mais le ca-
ractère inédit et aventureux de
ce modèle économique réfrène
encore les Français». Selon un
rapport commandé par le gou-
vernement, c'est l'absence de ca-
dre juridique précis qui fragilise
ce système. Aujourd'hui, chaque
porteur de projet décide de ses
modalités de r e m b o u r s e m e n t :
avec ou sans intérêt, sous forme
d'actionnariat, contre un accès
gratuit au service créé, etc. Des
investisseurs ont eu le sentiment
d'être floués. Une polémique a
notamment éclaté, en début d'an-
née, a u t o u r de M y M a j o r C o m -
Le financement
participatif, c'est
40 millions
d'euros investis
en 2012 dans
60 000 projets
pany, accusée de m a n q u e r de
transparence quant à la gestion
des investissements — un repro-
che en partie justifié, ont reconnu
les responsables du site. Pour ras-
surer les investisseurs potentiels,
le gouvernement a fait publier au
mois de mai des guides du finan-
cement participatif, également
disponibles en ligne (www. eco
nomie.gouv.fr). Et il s'est engagé
à faire des propositions dès sep-
tembre pour clarifier les régimes
juridiques applicables aux pro-
jets. Si, pour l'instant, on est en-
core dans l'effet d'annonce, c'est
une marque de reconnaissance
sans précédent pour les promo-
teurs du système.
• Les ratés : il est
actuellement difficile de savoir
ce qui est légal et ce qui
ne l'est pas. Patrick Mennucci,
le candidat socialiste aux
élections municipales de
Marseille de 2014, est l'une des
victimes de ce flou. Il a lancé
un financement de meeting via
le site Ulule, qui pourrait
relever du financement illégal
de campagne.
• Demain? Les particuliers
qui investissent ont de plus
en plus leur mot à dire sur le
projet. E n finançant une
série télévisée par exemple,
ils pourront voter au fur
et à mesure de sa diffusion
pour décider de sa trame.
B
il
Le modèle r i
ancien a vécu
Ça m'intéresse :
Comment expliquer l'essor
du collaboratif?
Bernard Stieqler : Le modèle
consumériste, hérité des xixe et
xxe siècles, a conduit à des éco-
nomies centralisées et concen-
trées. Aujourd'hui, ce système
s'effondre, et de plus en plus
de citoyens se tournent vers
un modèle alternatif et soli-
daire. Cette nouvelle économie
contributive ne se réduit pas
au troc ou à l'échange de
services... C'est une tendance
plus profonde.
ÇM : Quelle est la philosophie
de ce mouvement?
B.S. : Elle repose sur la décon-
sumérisation, le redévelop-
pement des savoirs et des
capacités. Il n'y a plus d'un
côté ceux qui savent, ceux qui
produisent, et de l'autre ceux
qui apprennent, ceux qui
consomment. On assiste à une
transformation des rapports
entre individus, accentuée par
l'essor d'Internet et des nou-
velles technologies.
ÇM : Comment structurer
cette nouvelle économie?
B.S. : Il faut prendre acte de
cette transformation et imagi-
ner de nouveaux modèles. Le
salariat, par exemple, est peut-
être dépassé : les acteurs du
collaboratif consacrent du
temps à l'autoformation et au
développement de projets, per-
sonnels ou collectifs. Une part
des budgets d'aide sociale pour-
rait être allouée à ces activités.
Et en ces temps de crise, au
lieu d'espérer qu'un chômeur
retrouve un emploi, on pourrait
lui donner les moyens de se for-
mer lui-même et de développer
son projet. En économie, il est
important de créer un environ-
nement porteur et motivant.
JUILLET 2 0 1 3 £ 8
M-IHTtUBSl
Diriger mais
tous ensemble
Les Scop retrouvent une seconde jeunesse et les
travailleurs indépendants s'unissent de plus en plus.

D
emain, tous patrons ?
Les Sociétés coopérati-
ves et participatives
(Scop) ont en tout cas le vent
en poupe : en 2012,248 ont
été créées. Dans ces héritières
des coopératives ouvrières
de la fin du xixc siècle, long-
temps jugées ringardes, les
salariés sont aussi actionnaires
et votent les décisions. « On
note une vague de créations
après chaque grande crise,
affirme l'économiste Michel
Abhervé. Les Scop montrent
qu'une autre logique d'entre-
prise est possible.» SeaFrance,
dans le Pas-de-Calais, en est
un des symboles : en 2012,
elle est devenue la Scop
MyFerryLink pour éviter la
liquidation judiciaire.
Trois millions de Français
ont fait le choix de
travailler en indépendants
Ce n'est pas la seule alterna-
tive au travail salarié classique
plébiscitée. Un tiers des sala-
riés souhaiterait travailler en
indépendants. Les 3 millions
qui ont franchi le pas (dont un
tiers d'autoentrepreneurs)
sont de plus en plus nombreux
à partager des locaux : la
France occupe le 6e rang mon-
dial pour le nombre d'espaces
de coworking, selon une étude
de Deskwanted, Le but de
natives viendraient d'un
désenchantement de la vision
de l'entreprise. « Internet a
accéléré leur développement»,
estime Jean-Paul Flipo, auteur
de la Consommation citoyenne.
S'il avait existé après la crise
des années 1930, il aurait pu se
produire dès cette époque.»
• Les ratés : avec 4,74
millions de demandeurs
d'emploi en mai, soit 10,2 %
de la population active, le
chômage atteint des niveaux
record. De mauvais chiffres
que ni les Scop ni le travail
indépendant, qui ne touchent
qu'une minorité de travail-
leurs, n'ont pu enrayer.
• Demain? Le ministre
délégué à l'Economie sociale
et solidaire, Benoît Hamon,
souhaite que le nombre de
Scop double d'ici à cinq ans.
Un nouveau statut, la Scop
d'amorçage, est en prépara-
tion afin de faciliter la créa-
tion de ce type d'entreprise.
Militerd'un simple clic
Pétitions en ligne et réseaux sociaux donnent contre la «culture du viol» a re-
de nouvelles formes à l'engagement. cueilli des signatures du monde
entier. La France n'est pas en

cette mutualisation n'est pas
seulement de réduire les dé-
penses, mais aussi de profiter
d'un réseau et d'entretenir
une vie sociale «de bureau».
« Les coopératives d'activités
et d'emploi sont aussi en
croissance»,assure Michel
Abhervé. Créées en 1995, elles
fédèrent dans une même
structure des personnes qui
montent des projets différents
et permettent de bénéficier
d'un statut d'entrepreneur-
salarié. Ces entreprises alter-
M
obilisation des réseaux
sociaux, communication
à grand renfort de mails
et de blogs... Le militantisme se
joue désormais autant sur le Web
que dans la rue. Même la pétition
connaît une seconde jeunesse,
notamment grâce à l'essor du site
Change.org. Un an après sa créa-
tion, il compte déjà 35 millions
d'utilisateurs à travers le monde.
N ' i m p o r t e qui peut lancer la
sienne, que ce soit pour le savon
de Marseille ou contre le cumul
des mandats. Sur Avaaz.org —
une autre plateforme —, 3 mil-
lions de personnes ont signé un
texte pour «sauver les abeilles».
Une mobilisation citoyenne qui
a pesé sur la décision, prise fin
avril, de la Commission euro-
péenne d'interdire trois pestici-
des. L'une des grandes forces de
ces plateformes est d'être inter-
nationale, donnant ainsi un grand
écho aux combats. A New Delhi,
à la suite du viol d'une étudiante
dans un bus, en décembre der-
nier, une pétition demandant au
gouvernement indien de lutter
reste : deux internautes sur trois
ont déjà participé à une pétition
en ligne, d ' a p r è s un sondage
Orange-Terra Femina en 2011.
Un c h i f f r e élevé, symbole
d'une nouvelle forme de militan-
tisme. « Le Web encourage des
formes d'action ponctuelles et
plus individualisées», analyse le
sociologue Dominique Cardon,
auteur de la Démocratie Internet
(Seuil, 2010). «C'est l'ère du
clicktivism.» Les militants sou-
tiennent une cause en rejoignant
un groupe sur Facebook, et des

manifestations sont organisées
via Facebook et Twitter. Car ces
combats online ne se feraient pas
au détriment de l'action de ter-
rain. «Ils sont complémentaires,
estime Dominique Cardon. Une
cause qui rassemble beaucoup de
monde sur le Net trouve un grand
écho dans les manifestations, et
réciproquement.»
Indignados, révoltés du Prin-
temps a r a b e et autres A n o n v -
mous, aussi actifs sur Internet que
dans la rue, sont les figures em-
blématiques de cet engagement
2.0. Mais des groupes a priori
moins révolutionnaires prennent
également les armes. En septem-
bre 2012, des entrepreneurs se
sont élevés contre un projet de
r é f o r m e du g o u v e r n e m e n t de
leur fiscalité. Autobaptisés les
Indignés,
Anonymous...
Ces combats
online trouvent
un écho dans les
manifs de rue
« pigeons », ils ont créé une page
Facebook avec leur manifeste. Et
sur le site de microblogging Twit-
ter, ils ont fédéré les critiques sur
ce projet de loi autour du mot clé
«geonpi ». Face à l'ampleur de la
fronde et de ses soutiens, le gou-
v e r n e m e n t a revu sa copie et
lancé les assises de l'entrepreneu-
riat en avril. U n succès qui en-
courage les militants de tout bord
à utiliser de plus en plus Twitter
et à créer leur mot clé, comme
#mariagepourtous versus #manif
pourtous.
M ê m e si la plateforme de mi-
croblogging est encore loin de
s'être démocratisée — seuls 5 %
des Français sont actifs sur Twit-
ter, selon une enquête réalisée en
avril par Ipsos/CGI pour VArgus
de la presse —, c'est un relais
d'opinion que les politiques ne
peuvent plus ignorer. Les élus,
surtout les jeunes, ont tous leur
compte Twitter et leur page Face-
book. «Mais ils s'en servent de
façon trop formelle, en se conten-
tant par exemple de publier leur
agenda », estime Dominique Car-
don. Ces outils sont plus adaptés
aux militants de terrain, dont la
parole est plus libre, et qui s'en
servent de plus en plus pour pas-
ser leur message.
E n marge de ce militantisme
structuré, les réseaux sociaux et
Twitter permettent à des citoyens
lambda de réagir à l'actualité. Le
scandale alimentaire du début de
l'année — de la viande de cheval
présentée comme
étant du bœuf dans
des plats p r é p a r é s
— a ainsi déchaîné
les c o m m e n t a i r e s
indignés sur la Toile.
«Les causes écolo-
gistes et celles liées
due à l'élevage en
batterie, m a r c h e n t
particulièrement
bien en ligne»,remarque Domi-
nique Cardon. Les nouvelles gé-
nérations sont plus sensibilisées
à l'environnement et majoritai-
res dans ces mouvements. Et nées
p r a t i q u e m e n t avec un Smart-
p h o n e dans les mains, ce sont
elles qui maîtrisent le mieux les
arcanes des réseaux sociaux. Le
p h é n o m è n e a d o n c t o u t e s les
chances de prendre de l'ampleur
dans les années à venir.
• Les ratés : des messages
racistes et discriminatoires ont
été publiés sur Twitter. L'entre-
prise américaine a refusé de
livrer l'identité de leurs
auteurs, empêchant ainsi toute
poursuite. U n e procédure est
en cours pour l'obliger à coo-
pérer avec la justice.
• Demain? Les pétitions
en ligne feront-elles pression
sur le parlement de Bruxelles ?
Avec le texte d'Initiative
citoyenne européenne, entré
en vigueur l'année dernière, si
plus d'un million de citoyens
d'au moins un quart des pays
membres se rassemblent, la
Commission européenne peut
rédiger une nouvelle loi.
"Une économie
plus solidaire"
Ça m'intéresse : Quel
a été l'effet de fa crise sur
le collaboratif?
Bénédicte Manier : C'est un
accélérateur! Ce modèle per-
met d'acheter moins cher,
d'échanger sans argent, de
louer ou d'emprunter, de partir
en vacances en dépensant
moins... Bref, de compenser un
pouvoir d'achat en baisse.
C'est aussi une économie plus
débrouillarde et solidaire, qui
rend la consommation moins
commerciale et plus humaine.
ÇM : Quelle est l'éthique de
cette démarche?
B.M. : Les circuits d'achat sont
plus responsables : on achète
moins d'objets neufs, on recy-
cle, on répare, ce que les Amé-
ricains appellent les 4 R (Re-
duce, Re-user Recycle, Repair).
C'est aussi une remise en cause
de l'hyperconsommation, par
exemple à travers des achats
plus sélectifs et engagés :
des millions de gens pratiquent
la collaboration directe avec
des fermiers bio et locaux, au
sein des Amap en France,
des CSA dans les pays anglo-
saxons ou des Teikei au Japon.
ÇM : Est-elle soluble dans la
société de consommation?
B.M. : C'est une nouvelle ma-
nière de consommer, mais qui
n'exclut pas forcément les
autres. Elle constitue même
une forme d'émancipation des
consommateurs : ils se détour-
nent de la relation verticale
distributeur-acheteur pour pri-
vilégier des interactions hori-
zontales entre personnes, en
réseaux. C'est une multitude
d'échanges décentralisés,
pragmatiques, conviviaux et
solidaires, qui montrent que la
société est en train de changer
de valeurs.
JUILLET ~ '