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Commentaire composé - Acte III scène 8

[Introduction] La première représentation de Britannicus a lieu en 1669 à l'Hôtel de Bourgogne à


Paris. La pièce ne rencontre alors qu’un succès mitigé. Fait intéressant, Britannicus est la première pièce de
Racine à s'inspirer de l’histoire romaine en mettant en scène l’empereur Néron, empereur à la réputation de
folie et de cruauté. Racine s’inspirera par la suite plus largement de l’histoire romaine en y puisant le sujet de
sa pièce Bérénice. Dans Britannicus, Racine met en scène un Néron encore jeune, à l’aube de son premier
crime : l’assassinat de son frère Britannicus, qui donne son nom à la tragédie.
Néron, fils d’Agrippine et fils adoptif de l'empereur Claude, devient empereur à son tour après la mort
de ce dernier, au détriment du fils légitime de Claude, Britannicus, alors trop jeune pour hériter. Non content
d’avoir ravi le titre d’empereur à son frère adoptif, Néron entend maintenant lui ravir le cœur de son amante,
Junie, dont il tombe follement amoureux au premier regard. Cette scène est celle d’une confrontation entre
Néron et Britannicus, frères ennemis, cherchant chacun à posséder les faveurs de la jeune et innocente Junie.
[Problématique] Comment cette scène marque-t-elle l’apogée du conflit entre Britannicus et Néron ?
[Plan] Après avoir exploré les différents aspects du conflit entre Néron et Britannicus qui s’expriment
dans cette scène nous nous intéresserons à la façon dont celle-ci marque la naissance de la tension tragique
de la pièce.

[Partie 1 : La rivalité entre Néron et britannicus]


[a) Une rivalité amoureuse]
La tension dramatique de cette scène provient tout d’abord de la rivalité amoureuse entre les deux
frères. Junie est l’amante de Britannicus, mais Néron l’a fait kidnapper en pleine nuit et amener au palais de
force avant de s’en découvrir amoureux. Déterminé à la garder pour lui seul, il la contraint à rompre toute
relation avec son frère adoptif. Malheureusement, sans savoir que Néron les épie, Junie dit toute la vérité à
Britannicus et lui renouvelle ses promesses d’amour. Ils sont brusquement interrompus, au début de la scène,
par Néron, furieux de trouver Britannicus aux pieds de Junie.
Cette rage de Néron transparaît, dès le début de la scène, par l’ironie dont il fait preuve en s’adressant
à son frère. Ainsi, au vers 1025, alors qu’il feint de trouver “charmants” les transports de Britannicus et Junie, il
ironise, tout comme au vers 1029-1030, lorsqu’il prétend, de façon moqueuse, avoir kidnappé Junie pour la
rapprocher de Britannicus “Ce lieu le favorise, et je vous y retiens, pour faciliter de si doux entretiens” ce qui
est évidemment faux. Sa colère s’exprime donc par l’ironie dont il fait preuve.
Dans la suite de la scène, chacun des deux frères cherche à séduire Junie. Britannicus grâce à
l’affirmation répétée de l’amour qu’il lui porte, “Je puis mettre à ses pieds ma douleur ou ma joie, partout où sa
bonté consent que je la voie” vers 1031, il se présente comme un amoureux triomphant grâce aux faveurs
accordées “partout” par Junie. Il affirme sa soumission totale à son amante, c’est elle seule qui peut décider
de sa joie ou de son malheur “Sa seule inimitié peut me faire trembler” vers 1062, “Le bonheur de lui plaire
est le seul où j’aspire” vers 1064. Néron, de son côté, fait étalage de sa toute puissance d’empereur pour,
sinon séduire Junie, en tous cas la contraindre. “Du moins si je ne sais le secret de lui plaire / Je sais l’art de
punir un rival téméraire” vers 1060. Ainsi, même s’il admet ne pas savoir comment séduire Junie, Néron
promet tout de même à son frère qu’il le punira pour ne pas avoir renoncé à elle.
La première cause du conflit entre les deux frères est donc un conflit amoureux qui a Junie pour objet.
[b) Une rivalité politique]
Après le conflit amoureux, la seconde cause de conflit entre les deux frères et un conflit politique. Tous
les deux prétendent à l’exercice du pouvoir : Britannicus est le fils légitime de l’empereur Claude, alors que
Néron n’est que son fils adoptif. Cependant, Néron s’est emparé du pouvoir à la mort de Claude car il est le
plus âgé. Chacun des deux frères profite de cette scène pour rappeler à l’autre sa légitimité au trône.
Britannicus rappelle deux fois à Néron qu’il est l’héritier légitime du trône. La première fois au vers
1033-1034 “Et l’aspect de ces lieux où vous la retenez n’a rien dont mes regards doivent être étonnés”,
Britannicus rappelle à Néron que ce palais était auparavant celui de son père, et donc qu’il lui appartient. Plus
loin, au vers 1039-1040 “Et ne s’attandaient pas lorsqu’il nous virent naître, qu’un jour Domitius dut me parler
en maître" en appelant Néron par le nom de son père biologique, Britannicus lui rappelle qu’il n’est pas un
descendant légitime de l’empereur Claude.
Face à lui, Néron fait à nouveau étalage de sa puissance. En effet, si Britannicus est bien le fils
légitime de l’empereur Claude, c’est cependant Néron qui est empereur. Néron insiste sur ce point au vers
1042, “J’obéissais alors, et vous obéissez” l’emploi du verbe obéir, à l’imparfait pour Néron mais au présent
pour Britannicus, illustre bien leur rôle respectif : Néron n’est plus ni un enfant ni un fils adoptif, il est un
empereur. Britannicus lui n’est pas encore adulte et n’est pas empereur, il doit donc obéir et se soumettre.
Ainsi, si cette scène d’affrontement débute comme une scène de conflit amoureux, elle révèle
rapidement qu’un autre conflit, politique celui-ci, oppose les deux frères.
[c. L’apogée de la violence verbale]
Cette scène, qui est la première de la pièce à réunir Britannicus et Néron, est donc celle de l’affrontement oral
et de la violence verbale.
Néron n’hésite pas à recourir à la menace ouverte envers son frère. Ainsi vers 1036 “Qu’il faut que l’on
me respecte, et que l’on m’obéisse” ainsi qu’au vers “J’obéissais alors et vous obéissez / Si vous n’avez appris
à vous laisser conduire / Vous êtes jeune encore, et l’on peut vous instruire” vers 1042 à 1044, la menace est
à peine voilée : si Britannicus n’obéit pas de lui-même à Néron, Néron se chargera de lui apprendre à obéir.
Enfin, au vers 1050, lorsque Néron affirme “Je sais l’art de punir un rival téméraire” c’est bien entendu à
Britannicus qu’il fait référence.
Cette violence verbale est également perceptible dans le rythme même de la scène : à mesure que la
pièce avance, les répliques des personnages se font plus courtes, plus cinglantes. Du vers 1053 au vers 1070,
les personnages n’ont que des répliques d’un ou deux vers. Ces répliques courtes, qui s'enchaînent
rapidement, s’appellent des stichomythies et marquent une accélération dans le dialogue et donc dans le
développement du conflit.
Ainsi, l’hostilité entre les deux frères est maintenant ouverte et ils ne se forcent plus à des politesses,
comme le remarque Britannicus au vers 1053 “Ainsi Néron commence à ne plus se forcer”, c’est-à-dire à ne
plus camoufler sa nature tyrannique, ce à quoi Néron répond au vers suivant “Néron de vos discours
commence à se lasser”, menaçant à nouveau son frère.

[Partie 2 : Naissance de la tension tragique de la pièce]


Le rythme de la scène est construit en gradation, pour appuyer la tension croissante entre les deux
frères. La discussion est de plus en plus tendue et les deux rivaux ont baissé le masque, révélant leur hostilité
et conduisant, par cela, la pièce vers son dénouement tragique.
[a) L’apogée de la terreur et de la pitié]
Le spectateur, face à cette scène, éprouve les deux sentiments que doit provoquer la tragédie selon
Aristote : la terreur et la pitié.
La terreur tout d’abord devant Néron, qui révèle son visage de tyran et semble prêt à tout. Son appel
aux gardes, répété trois fois “Je vous entends. Eh bien, Gardes !” vers 1069, “Gardes qu’on la ramène” vers
1080 et “Gardes, obéissez sans tarder davantage” vers 1085 démontre bien cet équilibre entre la terreur
provoquée par un Néron qui, non content de kidnapper une jeune fille en pleine nuit veut maintenant faire
arrêter son frère et la pitié qu’éprouvent ces mêmes gardes pour Britannicus, qu’ils ont du mal à se résoudre à
arrêter.
La pitié ensuite pour Britannicus et la pauvre Junie, qui pour sauver Britannicus est prête à se sacrifier
elle-même. Junie en effet, bien que présente durant toute la scène, reste muette durant l’affrontement oral
entre les deux frères et ne prend la parole que lorsque Néron appelle la garde pour faire arrêter Britannicus.
Elle est prête à se sacrifier pour apaiser les tensions entre les deux frères en rejoignant les vestales. Les
vestales sont des prêtresses de l’antiquité romaine qui vouent un culte à Vesta, déesse liée à la fondation de
Rome. Elles ont un rôle très important : elles entretiennent le feu sacré et sont très respectées. Les vestales
sont libérées des obligations sociales de se marier et d’avoir des enfants, et doivent rester vierges. Junie, pour
sauver Britannicus de la colère de Néron, est donc prête à se sacrifier en renonçant au mariage.
[Bien que Junie finisse effectivement par rejoindre les vestales à la fin de la pièce, cela n’aurait
probablement pas été possible à l’époque de la Rome antique : sauf dans certains cas exceptionnels,
les vestales sont choisies très jeunes, entre six et dix ans, elles doivent être de haute naissance et
leurs deux parents doivent être encore en vie (ce qui n’est pas le cas de Junie).]
[b) Britannicus, le héros tragique]
Britannicus apparaît ici comme le héros tragique de la pièce. S’il n’a rien fait pour mériter son sort
funeste, c’est sa passion qui le perdra : incapable de renoncer à son amour pour Junie et à son sens de
l’honneur, il tient tête au frère qui, à la fin de la pièce, le tuera.
Britannicus, malgré son jeune âge et le fait qu’il s’adresse à l'empereur, n’hésite pas à se défendre de
l’ironie et des menaces de Néron. Il fait ainsi de Néron un portrait sévère, rappelant la liste de ses crimes au
vers 1047-1048 “[... ] L’injustice et la force, les emprisonnements, le rapt et le divorce” puis en vient à une
accusation de plus en plus directe de Néron et de sa façon d’agir avec Junie. Il met d’abord en valeur ce
qu’elle peut ressentir face aux menaces : “de tels sentiments / Ne mériteront pas ses applaudissements” vers
1057-1058 avec le verbe au futur qui marque la certitude. Puis, avec plus de violence, il blâme le chantage
auquel Néron l’a soumise, aux vers 1066 et 1068, avec les verbes “épier” et se “cache[r]” qui rappellent le
chantage auquel il a voulu la soumettre. Finalement, lui aussi recourt à l’ironie, pour conclure le conflit, “C’est
ainsi que Néron sait disputer un cœur” vers 1082, en mettant en lumière l’incapacité de Néron à gagner
l’affection de Junie autrement que par la force.
C’est également sa passion pour Junie qui fait de Britannicus, comme de Néron, un amoureux
tragique. Incapable de renoncer à son amour pour elle, il amplifie ainsi la rage de Néron en affirmant un amour
partagé entre Junie et lui. Ainsi lorsqu’il déclare “Je puis mettre à ses pieds ma douleur ou ma joie, partout où
sa bonté consent que je la voie”, vers 1031-1032 il rappelle à Néron que Junie l’autorise à la voir de son plein
gré, ce qui n’est pas le cas de l’empereur. Il réaffirme son amour pour elle au vers 1062 “Sa seule inimitié peut
me faire trembler”, se présentant comme un amoureux entièrement soumis à celle qu’il aime. Cet amour pour
Junie est une passion qui le mènera à sa perte.
Ainsi, si ses reproches sont légitimes, Britannicus fait cependant preuve d’hybris, d’orgueil face à
l’empereur en mettant au jour ses crimes et en excitant sa jalousie. Alors que cette scène permet de l’identifier
comme héros tragique, il devient évident que sa destinée sera funeste.
[c) Néron, le visage du monstre]
Britannicus fait de Néron un portrait sévère, mais Néron lui-même révèle un visage monstrueux. Sa
cruauté est gratuite, il prend plaisir à faire souffrir Britannicus devant Junie.
Néron révèle lui-même son cynisme. Ainsi, bien que se présentant comme chef de “l’empire” et de
“Rome”, il montre un désintérêt total pour la ville et ses habitants et ne se soucie, au final, que d’être obéi et
craint “Heureux ou malheureux, il suffit qu’on me craigne” vers 1056.
Enfin, à la fin de la scène, Néron commet un affront supplémentaire envers Britannicus, fils de
l’empereur Claude, et fait finalement appel à la violence physique contre son frère en en appelant à la garde
pour le faire arrêter “[...] Eh bien, Gardes !” vers 1069 puis faire arrêter Junie “Dans son appartement Gardes
qu’on la ramène / Gardez britannicus dans celui de sa soeur” vers 1081.
Cet ultime acte de violence marque la révélation de la véritable personnalité de Néron. L’empereur bon
et sage du début de la pièce a laissé place à un tyran en puissance, qui n’hésite plus ni devant le rapt ni
devant les arrestations arbitraires.

[Conclusion] Ainsi cette scène marque l’apogée du violent conflit qui oppose Néron à Britannicus. Ce conflit,
qui se révèle être un double conflit, à la fois amoureux et politique, s’exprime par une violence verbale qui se
fait plus intense à mesure que la colère des personnages s’intensifie. À la fin de la scène, cette violence
verbale fait place à la violence physique avec l’appel de Néron à la Garde pour contraindre Junie et
Britannicus, signant un point de non retour dans la mise en place de la tension tragique : Néron révèle les
traits d’un empereur cruel et tyrannique tandis que Britannicus prend ceux du héros tragique dont le sort
provoque, chez le spectateur, la terreur et la pitié propres à la tragédie selon Aristote.
[Phrase d’ouverture] À la fin de l’acte III, la tyrannie de Néron est à son paroxysme, et le destin
funeste de ses opposants est alors scellé. Ne reste plus alors, au spectateur, qu’à attendre le dénouement
tragique et inéluctable de la pièce.

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