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Jenny Chan
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Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse »
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Le jeu de transformation dans l’idéogramme
Jenny CHAN
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La construction de l’écriture idéographique mobilise les mécanismes qui
sont assez semblables à ceux qui dans le rêve permettent de transformer aussi
bien le contenu latent que le contenu manifeste en organisant des va-et-vient
de l’un à l’autre. La scène du jeu, le travail du rêve, les deux sont présents
dans la construction de l’écriture et du symbolique. L’articulation entre le
modèle du jeu et le modèle du rêve reste un terrain de recherche.
Jean Guillaumin, dans son texte sur « L’étayage et le désir d’objet dans la
création picturale » a remis en œuvre la réflexion sur cet « espace transitionnel
visuel », comme un espace libre pour le rêveur, espace contenant des fantas-
mes isolés du moi, d’avatars pulsionnels que constituent les images oniriques.
En me référant à ces écrits, je propose l’idéogramme comme un cadre
contenant avec son apport de traces visuelles du travail d’articulation et de
transformation entre représentation de choses et représentations de mot. Il se
construit, se plie sur le fond blanc comme un contenant maternel que le lec-
teur peut/doit déplier. Ce travail de déploiement de l’imaginaire contenu dans
le texte propose une mise en scène d’un travail de liens tissés entre les divers
composants de l’idéogramme.
Pour rendre compte de la présence du jeu dans l’idéogramme je vais
essayer de décrire leurs modèles de construction.
On peut distinguer plusieurs types de construction de caractères :
— les morphogrammes1 qui décrivent la réalité extérieure ont pour fonction
de traduire en signes une chose, une personne ;
— les idéogrammes, les morpho-phonogrammes2 qui traduisent en signes des
attitudes, des gestes, des mimiques, des mouvements du corps humain et
qui ont pour fonction d’évoquer la réalité intérieure des sujets humains
et/ou des interrelations entre sujets, entre le monde et le sujet ;
— les caractères qui traduisent en signes des parties du corps humain, ces par-
ties représentent leur fonction, le pied pour la marche par exemple.
DEUX TEMPS
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ment dans la dégradation progressive de l’image vers la construction d’un
signe accepté et transmis culturellement. Ces modalités de transformation
apparaissent comme une mise en jeu au sens des transformations du
squiggle.
Dans un deuxième temps, ces signes, symboles, sont associés, organisés en
une forme complexe, un rébus qui constitue l’idéogramme. Sur le blanc du
cadre de l’idéogramme un travail de secondarisation s’effectue ; travail de
transformation de l’image primaire, d’élaboration de scènes complexes pro-
pres à traduire des pensées. Ce travail de secondarisation nous semble très
proche du travail de transformation et de traduction que constitue le travail
du rêve avec les mêmes effets de condensation, de déplacement, de refoule-
ment des organisateurs que constituent les images primaires.
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« homme » « accompagné de l’homme »
LE DÉDOUBLEMENT
Forme ancienne
Forme actuelle
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question de la différence, de la jalousie fraternelle sous-jacente.
Les positions corporelles très présentes forment de nouveaux caractères
par des changements de position dans l’espace. Les êtres peuvent se doubler,
tripler, ou quadrupler. La lecture change selon la position à l’intérieur de
l’idéogramme qui est alors « surmotivé » au sens de la linguistique.
Les gestes manuels dont certains sont liés ou détachés des gestes corpo-
rels, des gestes de deux mains, d’une main, des gestes spécifiques aux actes
religieux, des gestes tournés vers Soi ou vers l’extérieur ouvrent sous le regard
la question de l’emprise, de l’agrippement.
Selon sa position, son redoublement, son affrontement le signe « main »
fonde le sens de l’idéogramme qui signifie la tendresse, le toucher au sens du
corps et au sens de l’émotion, de la douceur, l’étayage, le holding et le hand-
ling. Il peut aussi représenter la colère et la violence. Les variations de sens
dépendent de la place et des combinaisons avec d’autres éléments constitutifs
de l’idéogramme.
Les multiples positions de main dans la constitution même de l’idéo-
gramme permettent de penser à l’agrippement et à l’emprise. Il me semble
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tions. Elles revêtent la fonction d’un cadre étayant permettant à l’enfant de
s’avancer, de se lancer, de se séparer de l’objet maternel qui a changé de
forme.
Cette transformation de l’emprise à la fonction de l’objet maternel permet
d’installer les images, éléments sensoriels comme organisateurs mêmes de la
pensée. L’idéogramme est un soutien actif de ce jeu imaginaire dans le travail
de symbolisation. Ainsi naît le caractère « paix » qui représente une femme
sous un toit, comme le maternel primaire à l’abri, le calme advient.
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pulsion scopique comme une tentative du lecteur pour trouver sa propre cons-
truction grâce au trésor de la dette symbolique qu’incarne l’écriture.
Le jeu de construction s’organise autour du fonctionnement du « principe
de plaisir/déplaisir ». Les fantasmes inconscients semblent être maîtrisés, figés.
L’écriture est habitée par les paroles du « père », des ancêtres sous l’angle
d’une philosophie culturelle ayant fonction de « pare-excitation », instaurant
un cadre culturel de pensée, permettant à chacun de s’identifier comme appar-
tenant à ce groupe culturel, et de posséder par cet héritage sous la forme
d’écriture un appareil psychique lié au principe de plaisir. L’écriture organise
le Soi individuel et social du chinois par l’inscription de la différence des
sexes, des générations et de la place de chacun.
DU PICTOGRAMME À L’IDÉOGRAMME
« cœur »
— le deuxième jeu se réalise entre les deux éléments composants. « Oreille » est
debout, en position verticale, mais de dos, et placé avant ou devant par rap-
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port au « cœur » qui, par contre, garde sa position couchée et ouverte.
Ces jeux de transformations ouvrent la question de la verticalité, interro-
gent la position spatiale de devant/derrière, fermé/ouvert. Le caractère
« honte » s’habille d’une vêture phallique érective et d’une forme étendue et
ouverte comme signe masculin et féminin dont l’accouplement dans le visuel
construit la honte.
Le lecteur est libre de jouer avec le jeu d’interprétations : quand on
s’écoute (oreille liée avec le cœur, l’affect), on sent la honte. Autre interpréta-
tion : la honte provient quand on est trop dans l’affect.
Forme ancienne
Forme actuelle
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maire au secondaire, mettant en évidence la question de la réversibilité et
donc la question de la régression topique.
Nous trouvons ainsi des caractères qui sont réalisés par des éléments qui
n’ont pas de lien entre eux. Soit les liens sont imaginaires et disparus, soit la
logique qui organisait leur cohérence n’a pas été transmise jusqu’à nous. Peut-
être est-ce là une trace de cette pensée magique originaire. Cette double ori-
gine donne deux entrées au jeu symbolique. Une entrée imaginaire liée aux
affects et au destin ; une entrée liée au système perception/constance, comme
si dans l’écriture coexistaient les deux topiques freudiennes.
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noires. Le blanc est à la fois un écran et un outil de liaison au sens de la per-
ception, il tient ensemble les différentes parties du caractère, par contre au
sens de la logique magique, il isole et soutient l’idée d’une déliaison des diffé-
rents signes qui forment le caractère.
L’idéogramme est donc le résultat d’un processus consistant à se servir
d’images pour identifier ou rappeler à la mémoire des choses ou des êtres. À
travers le souvenir du regard il y a souvenir du corps et du mouvement de
celui-ci, scène d’origine à laquelle lecteur et scripteur sont invités à s’identifier.
C’est donc un système de correspondances entre les signes et les choses, ou les
êtres qu’ils représentent.
J’ai essayé de montrer comment l’idéogramme est « habité » par les ves-
tiges de pictogrammes, de représentants « animés » qui peuvent être vus ou
entendus par le lecteur calligraphe. J’identifie ces représentants animés comme
des signifiants. Certains de ces signifiants se rapprochent de ce que Didier
Anzieu qualifie de Signifiants formels.
Le Signifiant formel, selon cet auteur, est une configuration de formes
évolutives selon la loi propre à chacune, traces d’une expérience traumatique
originaire que constitue l’existence de la réalité comme non maîtrisable, tou-
jours active et destructrice bien qu’en attente de symbolisation.
Dans l’écriture, la construction de l’idéogramme lorsqu’elle est en appui
sur une confusion/condensation entre le jeu visuel et le modèle du rêve
conduit à la formation des idéogrammes dépliables, très proches des signi-
fiants formels de Didier Anzieu. Ce sont des formes d’écritures à la symbolisa-
tion non aboutie pour lesquelles la trace visuelle perceptive ou corporelle n’est
pas absentée. Bien au contraire, ces traces se superposent, menacent l’intégrité
de la symbolisation. Les définitions de ces caractères sont perçues comme des
commentaires ou des issues.
Les patients psychotiques auxquels j’ai proposé ces idéogrammes jouaient
aisément à les déplier, à les déconstruire et à les reconstruire avec leurs pro-
pres mouvements projectifs.
Geneviève Haag parle de l’idéogramme comme lieu d’origine où
s’organisent les premières émotions portées elles-mêmes par des sensations
Le jeu de transformation dans l’idéogramme 257
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les signifiants formels. Cette première pensée organise le moi corporel et
l’espace psychique en organisant une mémoire des sensations1 et des images. »
L’idéogramme se forme comme une enveloppe maternelle. Il s’étaye sur
des traces perceptives, des organisateurs primaires qui gardent des traces
effractives de l’existence de la réalité extérieure. L’enveloppe secondaire et la
trace effractive fonctionnent à la semblance des signifiants formels.
1. Geneviève Haag, De la sensorialité aux ébauches de pensée chez les enfants autistes, p. 52.
258 Jenny Chan
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écrivant de jouer avec ces images au sens winnicottien du jeu. Le travail du
rêve parachève l’expérience corporelle du jeu en mettant en place un ordre
symbolique où le sens est à créer dans l’intrapsychique du lecteur.
Certains idéogrammes gardent trace de cet espace de jeu où « jeu winnicot-
tien » et « jeu mécanique » restent visibles sinon lisibles. Les perceptions vi-
suelles, corporelles, indicateurs de spatialisation, présents dans l’idéogramme,
proposent la « mise en jeu » d’identification, d’introjection, d’identification
projective comme des signifiants formels en capacité d’ouvrir et de refermer
leurs plis. Le jeu dehors/dedans mais aussi le jeu de transformation d’une
matière visuelle perceptive d’une réalité extérieure en matière psychique parta-
geable et transmissible.
Jenny Chan
11, rue Pierre-Corneille
69006 Lyon
1. Au sens de Fédida.