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LE JEU DE TRANSFORMATION DANS L'IDÉOGRAMME

Jenny Chan
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Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse »

2004/1 Vol. 68 | pages 247 à 258


ISSN 0035-2942
ISBN 2130543499
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2004-1-page-247.htm
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Le jeu de transformation dans l’idéogramme

Jenny CHAN

L’écriture idéographique porte en elle les traces de ses transformations


jusqu’à sa finalité symbolique. Elle met en scène cette accession à la symboli-
sation en utilisant le jeu, comme les enfants. Sans entrer dans le débat sur la
reprise ontogénétique de la phylogenèse, l’analogie entre le jeu de transforma-
tion de l’idéogramme et le jeu chez l’enfant tel que Winnicott le théorise me
semble éclairer la construction de la réalité psychique.
Le jeu de l’idéogramme vise à représenter le deuil de la dépendance à la
réalité extérieure, ainsi que le deuil de l’immédiateté de la jouissance du
corps : double origine portée par les découvertes de Leroi-Gourhan sur la
double origine de l’écriture : origine votive et origine dénotative.
La découverte des inscriptions divinatoires sur écailles de tortue du
IIe millénaire avant notre ère remet en question l’hypothèse de l’origine de
l’écriture chinoise, c’est-à-dire l’hypothèse d’une origine strictement dénotative
de la réalité perceptive de l’écriture.
L’origine de l’écriture idéographique me semble métonymique de l’origine
de la réalité psychique. Faisant l’hypothèse que la métapsychologie freudienne
peut éclairer l’origine et la transformation de l’écriture et que certains aspects
de la construction des idéogrammes peuvent nous aider à ouvrir ce champ de
recherche que constituent pour la psychanalyse les fantasmes originaires et les
théories du signifiant.
L’organisation de cette forme idéographique de l’écriture propose un
espace de projection, de figuration des formes et des kinesthésies ; l’écriture se
construit ainsi comme un miroir dans lequel la culture produit le reflet de
l’origine et assure sa transmission. Elle pourrait être le résultat d’une inscrip-
tion de l’aller-retour de la réalité externe à la réalité psychique.
Cet aller-retour, ce va-et-vient est le fondement de la construction de
l’appareil psychique. C’est ce même mouvement de va-et-vient qui organise la
Rev. franç. Psychanal., 1/2004
248 Jenny Chan

construction de l’écriture idéographique dans laquelle s’inscrivent les mythes


fondateurs de la culture.
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La construction de l’écriture idéographique mobilise les mécanismes qui
sont assez semblables à ceux qui dans le rêve permettent de transformer aussi
bien le contenu latent que le contenu manifeste en organisant des va-et-vient
de l’un à l’autre. La scène du jeu, le travail du rêve, les deux sont présents
dans la construction de l’écriture et du symbolique. L’articulation entre le
modèle du jeu et le modèle du rêve reste un terrain de recherche.
Jean Guillaumin, dans son texte sur « L’étayage et le désir d’objet dans la
création picturale » a remis en œuvre la réflexion sur cet « espace transitionnel
visuel », comme un espace libre pour le rêveur, espace contenant des fantas-
mes isolés du moi, d’avatars pulsionnels que constituent les images oniriques.
En me référant à ces écrits, je propose l’idéogramme comme un cadre
contenant avec son apport de traces visuelles du travail d’articulation et de
transformation entre représentation de choses et représentations de mot. Il se
construit, se plie sur le fond blanc comme un contenant maternel que le lec-
teur peut/doit déplier. Ce travail de déploiement de l’imaginaire contenu dans
le texte propose une mise en scène d’un travail de liens tissés entre les divers
composants de l’idéogramme.
Pour rendre compte de la présence du jeu dans l’idéogramme je vais
essayer de décrire leurs modèles de construction.
On peut distinguer plusieurs types de construction de caractères :
— les morphogrammes1 qui décrivent la réalité extérieure ont pour fonction
de traduire en signes une chose, une personne ;
— les idéogrammes, les morpho-phonogrammes2 qui traduisent en signes des
attitudes, des gestes, des mimiques, des mouvements du corps humain et
qui ont pour fonction d’évoquer la réalité intérieure des sujets humains
et/ou des interrelations entre sujets, entre le monde et le sujet ;
— les caractères qui traduisent en signes des parties du corps humain, ces par-
ties représentent leur fonction, le pied pour la marche par exemple.

DEUX TEMPS

Dans un premier temps, ces formes de transformation du passage de la


réalité extérieure à la réalité intérieure nous semblent relever de ce que Freud

1. 1er procédé de la constitution de l’écriture chinoise.


2. 3e et 4e procédés de constitution de l’écriture chinoise.
Le jeu de transformation dans l’idéogramme 249

développe dans sa théorie des processus primaires. Ces morphogrammes for-


ment des images de chose dans lesquelles on peut suivre le travail du refoule-
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ment dans la dégradation progressive de l’image vers la construction d’un
signe accepté et transmis culturellement. Ces modalités de transformation
apparaissent comme une mise en jeu au sens des transformations du
squiggle.
Dans un deuxième temps, ces signes, symboles, sont associés, organisés en
une forme complexe, un rébus qui constitue l’idéogramme. Sur le blanc du
cadre de l’idéogramme un travail de secondarisation s’effectue ; travail de
transformation de l’image primaire, d’élaboration de scènes complexes pro-
pres à traduire des pensées. Ce travail de secondarisation nous semble très
proche du travail de transformation et de traduction que constitue le travail
du rêve avec les mêmes effets de condensation, de déplacement, de refoule-
ment des organisateurs que constituent les images primaires.

LES JEUX DE TRANSFORMATIONS DANS L’IDÉOGRAMME

— Transformation de la représentation de chose à la représentation de


mot. Le caractère « homme » se présente comme suit :

Forme ancienne Forme actuelle

Ce travail de transformation est sensible dans le passage de l’écriture


ancienne à l’écriture actuelle. L’écriture ancienne se présente comme nourrie,
gorgée d’images qui, en se modifiant à la fois dans leurs formes et dans leur
spatialisation, acquièrent un statut de signe. Signe qui peut parfois prendre
forme de mot, ou partie de mot.
— Transformation de la représentation de mot à la représentation d’une
« fonction ». Ce caractère peut devenir « clé » (appartenance à l’humain) qui
est la représentation du profil de l’homme. Cette clé peut être associée à
un ou à plusieurs autres morphogrammes pour créer un nouveau caractère.
Nous assistons à la transformation de l’homme de face (représentation de
mot) à l’homme de profil (ombre ou fonction de l’homme, accompagné par
l’homme) avec le passage du sens de l’homme à l’humain qui a une fonction
d’étayage.
250 Jenny Chan
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« homme » « accompagné de l’homme »

Cette transformation du sens avec déplacement dans l’espace à l’intérieur


de l’idéogramme nous permet de penser que l’ombre sous-entend que l’objet
existe. Dans cette hypothèse s’il y a « objet », il y a naturellement « sujet » ?
Ainsi se forme le caractère « toi/tu » qui est formé de la clé de l’homme et
un petit être du dedans. On peut lire alors : « Si tu es là parce que moi j’y
suis. »
À la suite de ces transformations, les jeux de déplacement, de dédouble-
ment du même, de l’identique peuvent opérer dans l’espace de jeu que propose
l’idéogramme. Tous les composants de l’idéogramme doivent être contenus
dans un cadre intégré, construit lors de l’apprentissage. Deux axes horizon-
taux, gauche/droite et deux axes verticaux, supérieur/inférieur permettent la
réalisation de ce jeu d’inscriptions et de déplacement des éléments constitutifs
de l’idéogramme. Chaque changement change le sens, forme un nouveau
caractère.

LE DÉDOUBLEMENT

Le caractère « comparer » décrit une scène : deux hommes retournés assis


côte à côte en parallèle.

Forme ancienne

Forme actuelle

De ces attitudes corporelles de l’humain, dérivent d’autres positions telles


que deux hommes dos à dos, face à face, l’un debout, l’autre couché. Comme si
l’écriture nous invitait, lecteurs et scripteurs, à participer à la construction de la
scène en nous convoquant dans nos expériences transférentielles.
Le jeu de transformation dans l’idéogramme 251

Dans le caractère « comparer », cette situation à deux vers la même direc-


tion souligne quelque chose du même, de l’homosexualité, mettant à l’écart la
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question de la différence, de la jalousie fraternelle sous-jacente.
Les positions corporelles très présentes forment de nouveaux caractères
par des changements de position dans l’espace. Les êtres peuvent se doubler,
tripler, ou quadrupler. La lecture change selon la position à l’intérieur de
l’idéogramme qui est alors « surmotivé » au sens de la linguistique.

LA PLACE DU CORPS ET LE JEU DE MAIN

La présence massive du corps, de l’humain entier ou en parties permet de


penser que le jeu d’identification possible dans l’écriture archaïque reste acces-
sible dans l’écriture actuelle. Les gestes corporels sont abondants dans la cons-
titution même de l’idéogramme. Certains morphogrammes très proches des
pictogrammes, tels que les décrit Piera Aulagnier, sont le fondement même de
l’idéogramme.
Les gestes manuels présentent un autre jeu. En écriture ancienne « main »
est la représentation de la main gauche puisque la main droite est mobilisée par
l’écriture qui dans ce contexte inclut la vision. C’est une représentation de la
main avec ses cinq doigts. L’écriture de la main est réversible, « main gauche »,
« main droite ». Les positions des mains font varier le sens du caractère :
a) la main qui saisit est la représentation d’une main vers le bas et forme le
caractère « patte », mais peut être utilisée comme « attraper » ;
b) deux mains : une main qui tient un objet, du bas vers le haut, une autre main
du haut vers le bas forment le caractère « s’emparer ».

Les gestes manuels dont certains sont liés ou détachés des gestes corpo-
rels, des gestes de deux mains, d’une main, des gestes spécifiques aux actes
religieux, des gestes tournés vers Soi ou vers l’extérieur ouvrent sous le regard
la question de l’emprise, de l’agrippement.
Selon sa position, son redoublement, son affrontement le signe « main »
fonde le sens de l’idéogramme qui signifie la tendresse, le toucher au sens du
corps et au sens de l’émotion, de la douceur, l’étayage, le holding et le hand-
ling. Il peut aussi représenter la colère et la violence. Les variations de sens
dépendent de la place et des combinaisons avec d’autres éléments constitutifs
de l’idéogramme.
Les multiples positions de main dans la constitution même de l’idéo-
gramme permettent de penser à l’agrippement et à l’emprise. Il me semble
252 Jenny Chan

que les transformations de ces représentations de main en « clé » qui don-


nent une fonction à la « main » changent ainsi la nature de ces représenta-
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tions. Elles revêtent la fonction d’un cadre étayant permettant à l’enfant de
s’avancer, de se lancer, de se séparer de l’objet maternel qui a changé de
forme.
Cette transformation de l’emprise à la fonction de l’objet maternel permet
d’installer les images, éléments sensoriels comme organisateurs mêmes de la
pensée. L’idéogramme est un soutien actif de ce jeu imaginaire dans le travail
de symbolisation. Ainsi naît le caractère « paix » qui représente une femme
sous un toit, comme le maternel primaire à l’abri, le calme advient.

LE JEU DE « RÔLE » ET LA FONCTION DE LA PAROLE


DANS L’INTERSUBJECTIVITÉ

Le caractère « respectueux » se compose de deux caractères : « fils » et


« vieillesse » : « fils » est réalisé juste en dessous de « vieillesse », montrant
sous le regard la position d’un portage qui symbolise le respect, la question de
la dette dans la pensée chinoise. Ce qui nous semble être une parole au fils qui
doit respecter le « père », reflétant une angoisse portant sur l’incontenable du
« meurtre ». La question de la dette est le marqueur de la différence de géné-
ration dans cette culture, ainsi le fils est désigné par cette reconnaissance de
dette l’héritier du « père ».
L’écriture s’étaye dans la coutume sur la parole où le jeu est toujours pré-
sent. Les transformations citées ci-dessus sont reprises par la parole dans les
échanges intersubjectifs. Ce caractère va ouvrir sur la question du portage :
qui porte qui ? L’ancien ou le jeune ? Ainsi le fils se voit interrogé par le père :
« Comment tu l’écris ce caractère ? Tu l’écris couché ou incliné ? à l’endroit
ou à l’envers ? Le père est dessus ou dessous ? Si tu ne comprends pas le sens
du caractère, tu continueras à l’écrire jusqu’à ce que tu trouves son sens. »
J’associe l’écriture à un conte chinois où un père mourant demande à son
fils à sa mort d’aller chercher le trésor caché dans le jardin. « Tu retournes la
terre jusqu’à ce que tu trouves le trésor. » Il me semble que le jeu est présent
dans les deux situations. « C’est toi ou moi ? C’est moi le père qui donne mais
est-ce que tu trouves le sens à ton goût. » Le trésor de la subjectivation est le
jeu et l’enjeu de la transmission de l’écriture.
L’idée du père c’est de proposer au fils de trouver sa pensée ; la parole à
cet endroit signe l’héritage. « Il faut savoir le mâcher, le digérer et intégrer
l’idéogramme. » Telle est la parole des lettrés.
Le jeu de transformation dans l’idéogramme 253

La malléabilité du pinceau permet de trouver/créer une part subjective dans


la construction et déconstruction de l’idéogramme. La déconstruction satisfait la
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pulsion scopique comme une tentative du lecteur pour trouver sa propre cons-
truction grâce au trésor de la dette symbolique qu’incarne l’écriture.
Le jeu de construction s’organise autour du fonctionnement du « principe
de plaisir/déplaisir ». Les fantasmes inconscients semblent être maîtrisés, figés.
L’écriture est habitée par les paroles du « père », des ancêtres sous l’angle
d’une philosophie culturelle ayant fonction de « pare-excitation », instaurant
un cadre culturel de pensée, permettant à chacun de s’identifier comme appar-
tenant à ce groupe culturel, et de posséder par cet héritage sous la forme
d’écriture un appareil psychique lié au principe de plaisir. L’écriture organise
le Soi individuel et social du chinois par l’inscription de la différence des
sexes, des générations et de la place de chacun.

DU PICTOGRAMME À L’IDÉOGRAMME

Le caractère « cœur » est un morphogramme qui est la représentation de


« cœur ».

Forme ancienne Forme actuelle

« cœur »

Placé à droite du morphogramme « oreille » et à la même hauteur, il


forme avec le caractère « oreille » un nouveau caractère « honte ».

« oreille » « cœur » « honte »

Les transformations opèrent à plusieurs niveaux :


— d’abord le jeu s’effectue sur le caractère même. Ici le caractère « oreille » a
subi une évolution. Sa forme initiale qui est la représentation de « oreille »
avec une cavité interne est remplacée par une forme plus stylisée et a pris
une position spatiale de « dos », « debout » et « fermé » sur lui-même avec
deux traits dedans ;
254 Jenny Chan

— le deuxième jeu se réalise entre les deux éléments composants. « Oreille » est
debout, en position verticale, mais de dos, et placé avant ou devant par rap-
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port au « cœur » qui, par contre, garde sa position couchée et ouverte.
Ces jeux de transformations ouvrent la question de la verticalité, interro-
gent la position spatiale de devant/derrière, fermé/ouvert. Le caractère
« honte » s’habille d’une vêture phallique érective et d’une forme étendue et
ouverte comme signe masculin et féminin dont l’accouplement dans le visuel
construit la honte.
Le lecteur est libre de jouer avec le jeu d’interprétations : quand on
s’écoute (oreille liée avec le cœur, l’affect), on sent la honte. Autre interpréta-
tion : la honte provient quand on est trop dans l’affect.

LES JEUX DE TRANSFORMATION DANS LE RÊVE

Le caractère « pied », qui est un morphogramme, est dérivé de la forme


ancienne de la forme d’un orteil et d’une bouche. Il m’apparaît que la
« bouche » est représentante de la pulsion ; « orteil » représente le pied. Le
« pied » réunissant une scène, une métaphore pour arriver à un « membre »,
symbolisant ainsi le mouvement interne « avancer » comme dans un rêve.
Cette attitude corporelle isolée dans une forme spatiale qui se réduit au mou-
vement de la marche. L’action qui se situe dans ce décor flou évoque particu-
lièrement le refoulement à l’œuvre.

Forme ancienne

Forme actuelle

La magie, le mythe conduit à un caractère qui permet de maîtriser, de


contenir l’inquiétude, les éléments de nature et les débordements émotionnels.
Autrefois l’écriture divinatoire permettait de contenir la famine, de prévenir
les intempéries. Le fantasme de mort est mis à distance par la représentation
unique de la mort des animaux. L’origine mythique divinatoire de l’écriture
reste organisatrice de la pensée dans l’écriture et de la nécessité de représenter
les affects.
Le jeu de transformation dans l’idéogramme 255

L’idéogramme reprend la question de la naissance, de l’origine pour


aboutir à la pensée et tous les mécanismes à l’œuvre dans le passage du pri-
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maire au secondaire, mettant en évidence la question de la réversibilité et
donc la question de la régression topique.
Nous trouvons ainsi des caractères qui sont réalisés par des éléments qui
n’ont pas de lien entre eux. Soit les liens sont imaginaires et disparus, soit la
logique qui organisait leur cohérence n’a pas été transmise jusqu’à nous. Peut-
être est-ce là une trace de cette pensée magique originaire. Cette double ori-
gine donne deux entrées au jeu symbolique. Une entrée imaginaire liée aux
affects et au destin ; une entrée liée au système perception/constance, comme
si dans l’écriture coexistaient les deux topiques freudiennes.

LA CALLIGRAPHIE COMME RÊVE À DEUX

Dans l’écriture idéographique, le scripteur dans son acte calligraphique


déplie, met à plat les affects qui sont alors contenus dans les figures d’image
de l’idéogramme ; le lecteur, en s’identifiant au scripteur, reprend à son
compte les affects dans un registre bidimensionnel en suivant les formes des
tracés qui laissent place à l’autre dans le regard. La place réservée au lecteur
de la part du « scripteur » me semble perceptible dans ce modèle d’écriture.
Dans l’écriture alphabétique, le scripteur dans son acte d’écriture plie les
affects et les met dans la lettre ; le lecteur les déploie, les déplie.
L’organisation de la construction de l’idéogramme propose la mise en
place des processus de transformation, du passage de l’intrapsychique à l’in-
tersubjectif, du pictogramme à l’idéogramme, en déployant sous le regard
comme une transmission, le travail du renoncement de la jouissance du corps,
mettant en évidence la place de chacun dans son identité sexuée en lien avec
les autres, dans un groupe. L’ensemble construit du sens, du symbolique.
Dans l’apprentissage de l’écriture, l’enfant doit tracer les signes de
l’idéogramme dans un cadre matériel précis. Pour cela, il doit apprendre à
« ouvrir » et « fermer » le pinceau qui, dans l’acte d’écrire, lui permet de
« faire danser » les signes, mettant l’« âme » qui devient alors le pictogramme.
Chaque signe réalisé est définitif. L’enfant apprend à ajuster les gestes
dans la réalisation de chaque signe. Il cherche et recherche le geste ajusté
comme dans un travail de liaison et de déliaison. L’enfant est « satisfait » au
moment où il se sent dans le caractère. Le mot « âme » est issu de cette rela-
tion « dedans/dehors ». L’espace blanc doit séparer les tracés comme le garant
d’un cadre interne.
256 Jenny Chan

Ces composants, ces signes sont réalisés avec le pinceau et de l’encre de


Chine sur une feuille blanche qui constitue une sorte de fond entre les traces
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noires. Le blanc est à la fois un écran et un outil de liaison au sens de la per-
ception, il tient ensemble les différentes parties du caractère, par contre au
sens de la logique magique, il isole et soutient l’idée d’une déliaison des diffé-
rents signes qui forment le caractère.
L’idéogramme est donc le résultat d’un processus consistant à se servir
d’images pour identifier ou rappeler à la mémoire des choses ou des êtres. À
travers le souvenir du regard il y a souvenir du corps et du mouvement de
celui-ci, scène d’origine à laquelle lecteur et scripteur sont invités à s’identifier.
C’est donc un système de correspondances entre les signes et les choses, ou les
êtres qu’ils représentent.

ANALOGIE DE CONSTRUCTION ENTRE L’IDÉOGRAMME


ET LES SIGNIFIANTS FORMELS

J’ai essayé de montrer comment l’idéogramme est « habité » par les ves-
tiges de pictogrammes, de représentants « animés » qui peuvent être vus ou
entendus par le lecteur calligraphe. J’identifie ces représentants animés comme
des signifiants. Certains de ces signifiants se rapprochent de ce que Didier
Anzieu qualifie de Signifiants formels.
Le Signifiant formel, selon cet auteur, est une configuration de formes
évolutives selon la loi propre à chacune, traces d’une expérience traumatique
originaire que constitue l’existence de la réalité comme non maîtrisable, tou-
jours active et destructrice bien qu’en attente de symbolisation.
Dans l’écriture, la construction de l’idéogramme lorsqu’elle est en appui
sur une confusion/condensation entre le jeu visuel et le modèle du rêve
conduit à la formation des idéogrammes dépliables, très proches des signi-
fiants formels de Didier Anzieu. Ce sont des formes d’écritures à la symbolisa-
tion non aboutie pour lesquelles la trace visuelle perceptive ou corporelle n’est
pas absentée. Bien au contraire, ces traces se superposent, menacent l’intégrité
de la symbolisation. Les définitions de ces caractères sont perçues comme des
commentaires ou des issues.
Les patients psychotiques auxquels j’ai proposé ces idéogrammes jouaient
aisément à les déplier, à les déconstruire et à les reconstruire avec leurs pro-
pres mouvements projectifs.
Geneviève Haag parle de l’idéogramme comme lieu d’origine où
s’organisent les premières émotions portées elles-mêmes par des sensations
Le jeu de transformation dans l’idéogramme 257

dans la rencontre pulsionnelle. Cet auteur rapproche ces idéogrammes « en


référence à Bion, et à Piera Aulagnier, des conceptions de Didier Anzieu sur
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les signifiants formels. Cette première pensée organise le moi corporel et
l’espace psychique en organisant une mémoire des sensations1 et des images. »
L’idéogramme se forme comme une enveloppe maternelle. Il s’étaye sur
des traces perceptives, des organisateurs primaires qui gardent des traces
effractives de l’existence de la réalité extérieure. L’enveloppe secondaire et la
trace effractive fonctionnent à la semblance des signifiants formels.

EN GUISE D’OUVERTURE VERS LA MÉTAPSYCHOLOGIE


OUVERTURE VERS UNE ORGANISATION DU SELF, DU SOI, DE L’IDÉAL DU MOI

Le passage d’une culture orale à une culture écrite suppose le passage


d’une prédominance du corps et de la réalité du groupe à une subjectivation
de l’individu, organisatrice d’une ouverture sur l’expérience du temps, de la
mort, de l’absence et de la transmission.
1) Ouverture d’un Soi groupal qui lie les formations de la culture. Le
travail de construction de ce Soi groupal me semble pouvoir se penser en
utilisant la métaphore du travail du rêve en référence au texte freudien assu-
rément mais aussi en s’appuyant sur les travaux de René Kaës à propos de
la polyphonie du rêve. La création de l’écriture s’évoque comme un rêve à
plusieurs qui autorise et construit la représentation de l’intériorité et de la
culture.
Le jeu de l’idéogramme travaille à la symbolisation de l’écriture ; il se
présente comme une mémoire disponible du fait de l’importance de la tradi-
tion dans la culture chinoise. C’est un trésor archaïque qui garderait les traces
de ses transformations tout en gardant sa vivance culturelle. L’écriture est le
socle sur lequel s’appuie le « jeu » intergénérationnel, fondement de la trans-
mission de la culture.
L’idéogramme est un rébus. Le monosyllabique du caractère ressemble au
son pulsionnel du jeune enfant. Ce rébus que représente l’idéogramme garde
une unité à l’écoute mais présente une pluralité à la vue et donc une ouverture
vers l’association et le jeu.
2) Ouverture au sens d’un Soi : passage d’un jeu mécanique d’image qui
se processualise au sens du médium malléable de Marion Milner, concept
retravaillé par R. Roussillon.

1. Geneviève Haag, De la sensorialité aux ébauches de pensée chez les enfants autistes, p. 52.
258 Jenny Chan

La malléabilité des figures d’image1, leurs transformations en signes


d’écriture comme inscription identitaire de la culture permettent à chaque
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écrivant de jouer avec ces images au sens winnicottien du jeu. Le travail du
rêve parachève l’expérience corporelle du jeu en mettant en place un ordre
symbolique où le sens est à créer dans l’intrapsychique du lecteur.
Certains idéogrammes gardent trace de cet espace de jeu où « jeu winnicot-
tien » et « jeu mécanique » restent visibles sinon lisibles. Les perceptions vi-
suelles, corporelles, indicateurs de spatialisation, présents dans l’idéogramme,
proposent la « mise en jeu » d’identification, d’introjection, d’identification
projective comme des signifiants formels en capacité d’ouvrir et de refermer
leurs plis. Le jeu dehors/dedans mais aussi le jeu de transformation d’une
matière visuelle perceptive d’une réalité extérieure en matière psychique parta-
geable et transmissible.
Jenny Chan
11, rue Pierre-Corneille
69006 Lyon

1. Au sens de Fédida.

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