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I.

Revue de la littérature

Les travaux de psychologie sociale élaborent leurs analyses en fonction de plusieurs niveaux de
lecture (Doise, 1982). De nombreuses recherches se focalisent sur les niveaux et intra-individuel et
inter-individuel : ce qui, comme nous le verrons, évince de nombreux déterminants de l’analyse
psychosociale. C’est pourquoi cette étude va tenter d’examiner son objet sous un angle socio-
congitif articulant les niveaux d’analyse (situationnel et idéologique).

1) Déterminants intra et inter-individuels de l’adhésion aux politiques


exclusives.

a) L’apport des modèles « classiques »


Nous bénéficions de l’apport de nombreuses recherches relatives à l’élaboration des croyances
et idéologies humaines. Parmi elles, des études « classiques » nous éclairent sur les modérateurs de
l’adhésion des individus à une approche légaliste des droits humains. Ainsi, Bandura (1999) nous
montre que, confrontés à une injustice socio-économique prolongée, les individus seraient
davantage enclins à rejeter une approche légaliste des droits humains. Mishler et Rose (2001),
proposent le lifetime learning model (footnote, que l’on pourrait traduire le modèle d’apprentissage
d’expériences de vie), qui postule que l’adhésion politique et idéologique des individus se fait selon
leurs expériences de vie. Ainsi, un vécu de vulnérabilité socio-économique influe sur l’adhésion à
des politiques autoritaristes prônant l’exclusion sociale. Nous retrouvons le même constat dans le
Intractable Conflit Model : les conflits durables associés à de violentes interactions entraînent une
révision des principes moraux. Les individus adoptent la croyance que tuer les membres de
l’exogroupe devient moral, adhérant ainsi à une position exclusive des droits humains (Spini, 2008).

b) Des effets retrouvés dans la théorie de la justification du système (TJS)


L’intérêt du lecteur est orienté vers la TJS puisque celle-ci participera à l’élaboration de notre
problématique.
Selon la Théorie de la justification du système de Jost (Jost et Banaji, 1994 ; Jost, Burgess
et Mosso, 2001 ; Jost et Hunyady, 2002 ; Jost, Banaji et Nosek, 2004), dans un système
intergroupes, les groupes défavorisés acceptent et justifient le statu quo socio-politico-économique
alors même que le système ne leur profite pas (conditions socio-économiques aversives). Ils
soutiennent donc un système créateur d’injustice sociales. En postulant que cet effet de la TJS
résulte des dispositions psychologiques des classes sociales défavorisées (comme nous le verrons

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plus loin), Jost adopte une lecture un niveaux intra et inter-individuels du fait social. Pourtant,
d’autres travaux appréhendent ces éléments sous un angle différent.

2) L’apport d’une analyse contextuelle de l’adhésion aux politiques


exclusives.
Il est crucial de comprendre que les processus sociaux résultent d’une complexe des
déterminants socio-économiques, historiques et idéologiques. Occulter ces niveaux de lecture en
fait courir le risque d’une analyse hors-sol (et donc trompeuses) de ces phénomènes (Elder, Johnson
& Crosnoe, 2003). En effet, les effets observés dans les recherches citées ci-dessus vont être
retrouvés dans les études qui vont suivre, mais à des niveaux intra et inter-individuels uniquement.
En effet, ces études soulignent l’importance d’une approche collective des processus socio-
normatifs, (notamment dans l’adhésion ou non à un conception légaliste des droits humains).

a) La vulnérabilité collective
Elcheroth (2006) postule que les effets de situations socio-économiques aversives sont
différents au niveau individuel et collectif. A ce dernier niveau, la vulnérabilité collective est un
déterminant majeur. Elle peut être définie comme un contexte de vulnérabilité engendrant un stress
important sur la communauté, au point que que celle-ci risque l’anomie. L’hypothèse d’Elcheroth
(2007) est la suivante : lorsque la norme fondamentale d’une communauté (permettre et défendre
l’inclusion de tous ses membres) est violée au point de risquer d’affecter la totalité de tous les
groupes sociaux qui la compose, il existe une prise de conscience collective de la nécessité de
restaurer cette norme fondamentale d’inclusion et de protection des droits humains ; et ainsi éviter
l’anomie. L’adhésion à ses valeurs aurait donc une fonction socio-normative. De ce fait, même si
au niveau individuel l’expérience d’une vulnérabilité entraîne un rejet d’une position légaliste des
droits humains, au niveau collectif, la communauté dans son ensemble adoptera une défense de ces
mêmes droits. Les études d’Elcheroth (2006) et de Spini (2008) vont également dans ce sens.

3) La TJS : dissonance idéologique ou vulnérabilité collective ?


Elcheroth (2007) reprend le postulat de la TJS (les groupes défavorisées soutiennent le statu
quo malgré qu’il leur soit aversif) à la lumière d’une lecture collective. Les résultats obtenus
viennent modérer la théorie de Jost : les effets « classiques » de la TJS se produisent uniquement
dans un contexte de vulnérabilité collective.

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a) La théorie de la dissonance idéologique à l’épreuve d’une lecture collective
Pour Jost, les groupes défavorisés justifient le statu quo en raison de processus cognitifs. Le
maintien du système résulterait donc des dispositions psychologiques des groupes les plus faibles.
En effet, il stipule qu’en l’absence d’opportunités de contestation active du système, les membres
des groupes défavorisés entreraient dans un état de « dissonance idéologique »: ils auraient le
sentiment d’être complices du système générateur d’injustices, ce qui générerait une tension.Pour ne
pas ressentir cette tension (cette culpabilité pourrait-on dire), ils auraient tendance à rationaliser la
position de chacun des groupes de la communauté par l’utilisation de stéréotypes (les favorisés sont
plus intelligents par exemple). Les groupes dominants, eux n’aurait pas de raisons à remettre en
cause l’organisation d’un système qui leur est favorable.
Une critique d’Elcheroth (2007) est que, si la théorie de la dissonance est valide, la justification
du système par les groupes défavorisés devrait être stable et devrait être observée peu importe le
contexte social. Ce qui n’est pas le cas, puisque cet effet se produit qu’en contexte de vulnérabilité
collective. À la théorie stigmatisante de la disposition cognitive des classes défavorisées à justifier
le système, Elcheroth oppose une toute autre théorie explicative.

b) La valeur normative de la défense d’orientations politiques inclusives.


Ainsi, il postule que l’effet « classique » de la TJS, qui ne s’observe qu’en contexte de
vulnérabilité cognitive, serait en réalité causé par une plus forte adhésion des groupes favorisés à
une approche légaliste des droits humains. Ainsi, c’est une lecture « en miroir » de l’effet observé
par Jost, dont le déterminant serait, cette fois-ci, les groupes favorisés.
Pourquoi les plus favorisés auraient-ils davantage tendance à critiquer un système qui leur est
bénéfique ? En réalité, face à la menace d’anomie, ils considéreraient le risque d’effondrement du
système comme réel. Ainsi, leur propension à critiquer les dysfonctionnements systémiques et leur
adhésion à la défense des droits sociaux résulterait de leur volonté à éviter que le système sur lequel
sont basés leur privilèges s’effondre. Pour éviter cela, ils défendent la norme fondamentale
d’inclusion d’une communauté. De plus, cette critique de l’injustice du système peut revêtir une
fonction de distinction sociale : tout se passe comme si l’observation de l’injustice sociale générait,
chez eux un sentiment de culpabilité existentielle (Schmitt et Dalbert, 1986) 1. Face à cette
culpabilité, ils adopteraient un code d’honneur exposer la moralité de leur classe sociale par des
positions inclusives ; ce qui légitimeraient la hiérarchie existante. Il tenteraient ainsi de préserver la
stabilité des normes et de maintenir les rapports de domination déjà existants.

1Comme si (pour reprendre la logique de Jost) cette tension générait un état de dissonance idéologique (inversé).

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4) L’importance des interactions intergroupes dans l’identité sociale
Même si l’effet de la TJS est lié, comme le montre Elecheroth (2007) à la défense, par les
groupes privilégiés, de la norme fondamentale d’inclusion, il serait intéressant de savoir pourquoi
les groupes défavorisés ne sont pas davantage dans la critique du système qui les défavorise. S’il ne
peut s’agir de dissonance idéologique, de quoi peut-il s’agir ? Elcheroth (2007) indique qu’il
agiraient en réaction aux croyances affichés par les groupes privilégiés.

a) Théorie des représentations sociales et rapports intergroupes


Depuis que Serge Moscovici (1989) a proposé sa théorie des représentations sociales, plusieurs
auteurs en ont détaillé les implications. En effet, il semble exister une interdépendance entre identité
et représentations sociales (Bronfenbrenner, 1979). Ce qui implique que la caractérisation des
groupes, de leur identité, leur croyances et leurs comportements est fonction d’un contexte social
qui inclue les relations intergroupes. L’identité groupale est alors influencée par des dynamiques
intergroupales (Staerklé, 2011). Pour reprendre les mots de Bourdieu (1980), les groupes se
« constituent comme « nous » par opposition à « eux », aux « autres ». Dans cette perspective, il est
crucial de regarder les relations entre les groupes plutôt que de les considérer comme des entités
isolées. Ainsi, l’adhésion à certaines croyances doivent être analysées à la lumière des influences de
l’endogroupe, mais aussi de celles de l’exogroupe (Elcheroth, 2011).

II. Problématique et hypothèses

1) Réflexion élaborée par la revue de la littérature


L’effet « classique » de la TJS ne se produisant qu’en contexte de vulnérabilité collective, il ne
peut être modéré par un processus de dissonance idéologique. Cet effet serait en réalité causé par
les groupes privilégiés qui, par peur de l’anomie et de la perte de leur privilèges s’élèveraient contre
les inégalités sociétales afin de prévenir le renversement du système qui perpétue leurs privilèges.
Pourtant, cela ne nous explique pas pourquoi les classes défavorisées adoptent une position
modérée alors même que le système leur est défavorable. A la lumière de la théorie des
représentations sociales, nous pouvons nous demander si l’attitude modérée des classes sociales
défavorisées ne serait pas réactionnelle à l’adhésion des groupes favorisées à une approche légaliste
des droits humains. Comme si cette absence de critique était causée par une dynamique d’influence

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intergroupes ; une dynamique de polarisation selon laquelle l’adoption d’ une position différente de
celle des groupes favorisés aurait une valeur normative.

2) Problématique
En contexte de vulnérabilité collective, la position modérée des classes sociales défavorisées
concernant les inégalités sociétales ne serait-elle pas causée par une dynamique normative
réactionnelle à la position des groupes favorisés ?

3) Hypothèse

En contexte de vulnérabilité collective, la position modérée des classes sociales défavorisées


concernant les inégalités sociétales serait causée par une norme groupale d’adoption d’une réponse
différente de celle des groupes favorisés.

a) Hypothèses théoriques

Nous devrions observer un effet de la prise de connaissance des réponses des groupes favorisés
sur les réponses des groupes défavorisés.

H1 : après avoir pris connaissance des réponses des groupes privilégiés - en faveur d’une position
légaliste des droits humains - , les membres des classes défavorisés adopteraient une position moins
en faveur des droits humains.

H2 : après avoir pris connaissance des réponses des groupes privilégiés - en défaveur d’une position
légaliste des droits humains - , les membres des classes défavorisés adopteraient une position plus
en faveur des droits humains.

b) Hypothèses opérationnelles

Ho1 : dans la condition « position inclusive adoptée par les groupes privilégiés », nous devrions
observer des scores plus faible à l’échelle « refus des violations des droits sociaux » et des scores
plus élevés aux échelles « soutien aux institutions politiques » et « justification du système
économique ».

Ho2 : Dans la condition « position exclusive adoptée par les groupes privilégiés », nous devrions
observer des scores plus faible à l’échelle « refus des violations des droits sociaux » et des scores

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plus élevés aux échelles « soutien aux institutions politiques » et « justification du système
économique ».

III. Méthode

Cette méthode est grandement inspirée du protocole expérimentale d’Elcheroth (2007)

1) Échantillon
Les effets de la TJS étant observés dans un contexte de vulnérabilité collective uniquement,
nous avons sélectionné des régions français dont les conditions socio-économiques sont plus
difficiles. Ainsi, nous sélectionné la région Occitanie, les Hauts de France et la région PACA.
Les répondants sont des collégiens de classe de 3ème. L’effectif total des participants est de
318.
Relativement à notre problématique, nous avons sélectionné, pour le traitement statistiques de
l’étude, les participants provenant de classes sociales défavorisées uniquement. L’effectif final était
de 216.

2) Mesure

a) Classe sociale d’origine


• Nous avons déterminé la classe sociale d’origine des élèves par un questionnaire leur
demandant de noter le métier de leur parents. Nous avons ensuite construit une échelle allant
de 1 (pour les employés et ouvriers non qualifiés) à 9 (pour les cadres supérieurs ou
dirigeants).

b) Soutien aux institutions politiques


• Nous avons utilité l’échelle de soutien aux institutions politiques de Muller, Jukam et
Seligson (1982) en huit items également utilisée par Elcheroth (2007).

c) Justification du système économique


• Nous avons utilité l’échelle de justification du système économique en 17 items de Jost et
Thompson (2000), également utilisée par Elcheroth (2007)

3) Procédure
L’enquête à eu lieu en hiver 2020. Les élèves ont tous remplis un auto-questionnaire durant une
heure de cours. Nous avons mis en place deux conditions expérimentales :

• condition « inclusive » : les élèves ont, avant de répondre au questionnaire, ont lu un article
(créé pour les besoins de cette étude) qui expliquait que les membres des classes sociales
favorisées soutenaient des mesures légalistes des droits humains.

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• condition « exclusive » : les élèves ont, avant de répondre au questionnaire, ont lu un article
(créé pour les besoins de cette étude) qui expliquait que les membres des classes sociales
favorisées étaient contre des mesures légalistes des droits humains.

L’effectif de participants provenant de classes défavorisées était divisé comme suit :


• condition inclusive : 98 participants
• condition exclusive : 118 participants

Après avoir pris connaissance de ces articles journalistiques factices, les participants répondaient
aux questionnaires. Les questionnaires étaient les mêmes pour les deux conditions.

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Références

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