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Professeur 

: Bouchra Moujahid Thème de culture générale : L’animal


CPGE – EC Lycée My Ismail Année scolaire : 2020-2021

« Où cesse l’animal et où commence l’homme ? » Nietzsche

Vers l'année 1800, en Aveyron, des chasseurs découvrent un enfant d'une dizaine d'années, vivant
à l'état sauvage. Il ne parle pas, fait des gestes désordonnés, et est tout à fait inadapté socialement.
Un débat s'ouvre alors autour du petit Victor plus proche de l’animal que de l’homme. La
distinction entre animal et homme n’est pas toujours évidente, surtout à l’intérieur même de
l’homme dont la nature humaine semble inséparable de la nature animale. C’est dans ce sens que la
question de Nietzsche : « Où cesse l’animal et où commence l’homme ? » trouve toute sa
légitimité. L’animal est tout être vivant et organisé possédant des caractéristiques spécifiques,
surtout sous ses formes pluricellulaires telles que la sensibilité, la motilité ou l’hétérotrophie.
L’homme est l’être appartenant à l’espèce animale la plus évoluée sur la terre.
Dans cette double interrogation, Nietzsche emploie à deux reprises l’adverbe interrogatif où afin
de s’interroger sur le lieu où se termine l’animal et sur celui où débute l’homme. Ces deux questions
liées par le moyen de la conjonction de coordination et, et le lien grammatical et sémantique entre
le verbe cesse et le verbe commence démontrent qu’il y a continuité entre l’animal et l’homme. Une
sorte de confusion entre l’animalité et l’humanité qui nécessite de mettre en place une ligne de
séparation, une frontière claire et nette entre les deux qui délimiterait ces deux essences. Par cette
interrogation, Nietzsche admet implicitement qu’à l’intérieur de chaque homme il y a une part
animale, que la nature humaine comporte et inclut la nature animale. Répondre à cette double
question revient à définir l’animalité d’un côté et l’humanité de l’autre, puisque le fait de définir
signifie fixer ou tracer la fin d’une réalité et le commencement de l’autre.
Comment peut-on déterminer une nature humaine distincte de la nature animale ?
Afin de répondre à cette problématique, nous verrons d’abord que l’homme est un animal avant
tout, et qu’il partage avec les bêtes plusieurs caractéristiques, ce qui renforce l’idée de la continuité
homme-animal. Mais l’homme ne peut être réduit à l’animalité vu qu’il constitue une créature très
évoluée qui se démarque essentiellement par son humanité. Enfin, nous démontrerons qu’il n’y a
pas de frontière étanche entre l’animal et l’homme, que l’animal finit toujours par surgir à
l’intérieur de l’homme et que l’animal s’avère parfois plus humain que l’homme lui-même.

L’homme est un animal avant d’être autre chose. Les traits communs entre l’homme et l’animal
sont autant de preuves qui démontrent la nature partiellement animale de l’homme. En effet, nul ne
peut nier la réalité animale de l’homme qui s’inscrit bel et bien dans le règne animal et que la
biologie met dans la classe des mammifères. L’homme est un être physique, vivant organisé,
composé de matière organique et obéissant aux lois naturelles qui régissent toutes les créatures
vivantes. La matérialité et la vie, ainsi que la capacité de se mouvoir de façon spontané permettent
de reconnaître l’appartenance de l’homme au règne animal. Buffon définit l’animal en ces termes :
«  la matière vivante et organisée qui sent, agit, se meut, se nourrit et se reproduit ». Tous ces
critères permettant de définir un animal sont présents chez l’être humain. En outre, l’homme, étant
constitué de matière organique, obéit infailliblement aux lois physiques auxquelles toutes les
créatures vivantes sont soumises. L’une de ces principales lois est le changement. C’est dans ce sens
que Montesquieu écrit dans L'Esprit des lois : « Les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent
de la nature des choses. » La nature physique et organique de l’homme le soumet donc aux lois
physiques et l’inscrit dans ce qu’on appelle le cycle de la vie.
La ressemblance entre l’homme et l’animal est plus visible au niveau biologique et organique.
Une étude anatomique du corps humain et du corps animal permet de se rendre compte de
l’existence des mêmes organes vitaux chez l’un comme chez l’autre. Ces organes qui assument
toutes les fonctions vitales : respirer, manger, se mouvoir, se reproduire...etc, fonctionnent
exactement de la même manière et ont le même emplacement dans le corps animal et dans le corps
humain. Charles Darwin n’a t-il pas démontré que les chimpanzés sont l’espèce animale la plus
proche de l’homme sur le point biologique et génétique. De plus, les instincts que l’on retrouve chez
l’être humain montrent cette part de l’animalité en lui. Certes, l’homme est un être raisonnable,
mais l’appel de l’instinct se fait toujours entendre pour rappeler à l’homme sa nature animale.
Anatole France affirme que «  Dans l’instinct est la seule vérité ». Si l’instinct en nous est ce qui
ouvre les yeux de l’homme sur sa vérité ou réalité animale, peut-on dire alors que l’homme est un
animal et uniquement un animal ?

L’homme est une créature à part qui partage, certes, quelques caractéristiques de l’animal, mais
qui demeure néanmoins distincte et de l’animal, et des autres créatures vivantes. En fait, l’homme
est un être très évolué qui se démarque essentiellement par son humanité. Le réduire à l’animal
serait méconnaître sa supériorité intellectuelle et sa complexité qui n’a de pareil dans aucune autre
espèce vivante. L’homme est essentiellement un être raisonnable et rationnel, doté de conscience de
soi et d’intelligence. La raison, faculté exclusive de l’être humain, est ce qui lui permet de dépasser
l’instinct et de se réaliser en tant qu’homme. Kant dit à ce propos : « Par son instinct un animal est
déjà tout ce qu’il peut être (…) Mais l’homme doit user de sa propre raison. Il n’a point d’instinct
et doit se fixer lui-même le plan de sa conduite  ». De même, l’homme, contrairement à l’animal, se
distingue par sa capacité de dépasser l’instinct et d’aller de l’inné à l’acquis. C’est un être culturel
qui a la capacité d’évoluer et de choisir librement le mode de vie qui lui convient. Rousseau fait de
la perfectibilité le critère distinctif entre l’homme et l’animal : «  Mais quand les difficultés qui
environnent toutes ces questions laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de
l'homme et de l'animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne
peut y avoir de contestation, c'est la faculté de se perfectionner ».
Outre la raison et la capacité d’évoluer, l’homme a d’autres facultés qui marquent sa supériorité
par rapport à l’animal et aux autres créatures vivantes. Parmi ces facultés, et non des moindres, la
sociabilité, la parole et la politicité. Il va sans dire que l’être humain est sociable par nature et que la
société humaine par la variété de ses formes et par son haut degré de complexité est incomparable à
toute autre société animale. D’ailleurs, l’homme ne peut réaliser ses potentialités qu’à l’intérieur
d’une société humaine où l’interaction avec les autres est la condition sine qua non de la
construction de la personnalité de l’individu et de sa reconnaissance comme membre de la
communauté humaine. Aristote dit dans ce sens que : « L’homme est un être sociable ; la nature l’a
fait pour vivre avec ses semblables ». La vie au sein d’une société capable de répondre à ce besoin
de sociabilité est favorisée par deux autres facultés purement humaines qui sont la parole et la
dimension politique. « Nous parlons à d’autres qui parlent, telle est la réalité humaine » affirme
Benveniste. Aristote affirme également que la parole est le propre de l’homme et que la politicité est
ce qui fait la spécificité humaine : « l'homme est par nature un animal politique », « l'homme seul
de tous les animaux, possède la parole ».
On ne peut omettre une autre dimension très importante de l’homme à savoir la technicité. En
effet, l’homme est l’être qui emploie le plus la technique que ce soit pour améliorer ses conditions
de vie ou pour transformer de manière profonde son environnement naturel. Bergson souligne la
faculté technique de l’homme en le définissant comme l’ « homo faber ». Toute l’ingéniosité
humaine apparaît selon lui à travers l’emploi d’outils de plus en plus sophistiqués. Les
conséquences de cette technicité apparaissent dans le milieu naturel de l’homme. Si l’animal
accepte les données de l’environnement naturel et ne constitue qu’un avec son milieu, l’homme, au
contraire, a pu modifier ces données et s’imposer comme « maître et possesseur de la nature » selon
la formule de Descartes. Georges Bataille affirme que : « L’homme est l’animal qui n’accepte pas
simplement le donné naturel, qui le nie ».
Pourtant l’existence de ces facultés ne signifie pas pour autant que l’homme cesse définitivement
d’être un animal. La nature animale de l’homme finit toujours par surgir et ce par différents
moyens.

Dire que l’homme est une créature à part dans le système du vivant n’exclut pas la réalité
animale de l’homme qui cherche désespérément à dépasser le stade de la bestialité pour rejoindre
celui de l’humanité. La nature humaine se trouve inévitablement prisonnière de la nature animale
qui l’implique. Déterminer exactement l’essence humaine s’avère difficile, notamment avec
l’absence de frontière étanche entre l’homme et l’animal. Si l’animal se définit comme étant un être
naturel par excellence, chez l’homme il y a confusion entre le naturel et le culturel, entre l’inné et
l’acquis, entre la réalité biologique et la réalité intellectuelle et psychologique. A l’intérieur de
l’homme, l’animal sommeille mais il ne disparaît pas complétement. La culture, l’éducation et les
lois qui règlent la conduite de l’homme domptent l’animal en lui, mais il finit par réapparaître sous
diverses formes. En effet, à l’intérieur de chaque homme existe de façon plus ou moins forte
l’animal. C’est dans ce sens que Nietzsche affirme que : « nous ne sortons pas d’ordinaire de
l’animalité, nous sommes nous-mêmes ces animaux qui semblent souffrir sans raison ». L’existence
même des pulsions vient conforter l’idée selon laquelle l’animal est toujours en nous. Les pulsions
que Freud classe en deux catégories : pulsions de vie et pulsions de mort rappellent à l’homme sa
nature animale. La sexualité, l’agressivité et l’exploitation d’autrui sont parmi ces pulsions qui
motivent et expliquent les actions humaines. Dans Malaise dans la civilisation, Freud dit que
«  l’homme est tenté de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter
son travail sans dédommagements, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de
s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer  ».
La place qu’occupe l’homme dans la hiérarchie du vivant n’est ni stable ni figée. Par sa nature
double : matérielle et spirituelle, l’homme se trouve à mi-chemin entre l’animal et l’humain. La
raison et la liberté humaines impliquent nécessairement l’idée de responsabilité. L’homme est certes
un être libre, mais il est appelé à assumer les conséquences de ses choix. Sa conduite est
déterminante dans la place qu’il occupe à l’intérieur du système des créatures vivantes. L’homme,
par ses actes, peut perdre sa place supérieure et chuter au stade bestial. La moralité et la rationalité
sont à la base de la nature humaine et toute action qui va à l’encontre de ces deux dimensions coûte
à l’homme sa place et le fait régresser. Schopenhauer met l’accent sur la méchanceté gratuite de
l’homme qui devient ainsi inférieur à l’animal. Il cite à ce propos Gobineau qui définit l’homme en
ces termes : « l’animal méchant par excellence ». Par ses actes, ses choix et sa conduite, l’homme
peut à la fois s’élever au-dessus de l’animal ou s’abaisser. Pascal dit qu’ « il est dangereux de trop
faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes, sans trop lui montrer sa grandeur ». Il est vrai
que l’homme peut être plus cruel que l’animal le plus sauvage et le plus féroce, alors que l’animal,
qui ne fait que suivre ses instincts, peut s’avérer plus humain que l’homme lui-même. « Les
animaux agissent par instinct, pas dans un objectif déterminé. Ils tuent afin de survivre. L'homme,
lui, détruit pour le plaisir. Il tue pour s'amuser. » explique Erica Spindler dans son livre L'innocence
volée (2010).
Comment dépasser son animalité et transcender le réel pour remplir parfaitement sa condition
humaine ? L’art constitue l’un des aspects les plus symboliques et les plus évolués de la pensée
humaine. Il s’offre comme moyen de libérer l’homme des contraintes du monde physique et des
besoins que lui impose sa nature biologique et animale en lui ouvrant les portes d’un monde fait
d’idées, de créativité et d’imagination. De créature, l’homme devient créateur de son propre
univers. Nietzsche affirme que les artistes, les philosophes et les saints sont ceux qui sauvent les
hommes de leur animalité : « quels sont ceux qui nous soulèvent ? Ce sont ces hommes véritables,
ceux qui ne sont plus des animaux, les philosophes, les artistes et les saints ». L’art permet à
l’homme d’échapper momentanément à sa nature bestiale pour s’affirmer en tant qu’homme, mais
aussi de s’approcher du métaphysique, du supra-humain et du divin. Cette idée nous la retrouvons
chez Paul Gauguin qui dit que : « L’art est une abstraction, c’est le moyen de monter vers Dieu en
faisant comme notre divin Maître, créer. » L’art représente à cet égard une brèche de laquelle
l’homme passe du monde réel au monde de l’imagination et de la création.

Pour conclure, nous avons montré que l’homme est un animal avant tout. Sa constitution
matérielle et organique, sa réalité biologique, sa soumission aux lois physiques et son inscription
dans un cycle de vie sont autant de manifestations de sa nature animale. Mais ce serait injuste
d’ignorer toute la spécificité de l’homme et de le réduire à l’animalité. En effet, l’homme est un être
raisonnable, doté de conscience et se caractérisant par sa sociabilité, sa politicité et sa technicité.
Toutes ces facultés, en plus de celle de la parole, fondent l’essence humaine et font de l’homme une
créature à part. Mais la frontière qui sépare l’homme de l’animal, il faut le rappeler, n’est ni stable,
ni étanche. L’animal qui se cache à l’intérieur de chaque homme, est certes dompté par la culture,
mais il finit toujours par resurgir notamment à travers les pulsions. En transgressant la morale,
l’homme régresse et perd sa place dans la hiérarchie du vivant. L’animal s’avère alors plus humain
que l’homme. L’art se présente comme possibilité de fuir la condition bestiale de l’homme et de
transcender le réel. Cet homme qui cherche désespérément à se distinguer de l’animal, et qui voit en
lui la figure de l’Autre, est-il capable de se mettre à sa place pour mieux le connaître ?

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