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VOVO1IS
.J
Jacques Derrida
X*Y
F=
Galil6e
COLLECTION LA PHILOSOPHIE EN EFFET
Voyous
DU AUTEUR
Galilée
© 2003, ÉDITIONS GAULÉE, 9 rue Linné, 75005 Paris.
En application de la loi du Il mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou
partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l'éditeur ou du Centre français
d'exploitation du droit de copie (CFC), 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
ISBN 2-7186-0606-1 ISSN 0768-2395
Avant-propos
Veni
9
Voyous
10
Veni
reste à
Narcisse, «
« Viens! », répond Écho. et à son cOlnpte.
ce s'ensuit 1.
moins que deux adresses ici accouplées ne laissent, comrne
à l'abandon, une correspondance ouverte. venir et .!..!.Lll'-'.L'a.J.'-'
ment en souffrance.
Prononcés à quelques semaines d'intervalle, proches par leurs
thèmes et par leurs problèmes tnais destinés à des auditoires
fort différents, ces discours semblent invoquer quelque raison
à venir, en tant que démocratie à venir - à l'âge de ladite
« mondialisation ».
Les concepts de « raison» (pratique ou théorique, éthique et
juridique, technique aussi), les concepts de « démocratie », de
« monde» et surtout d'« événelnent» (1'arrivée ou la venue de
« ce qui vient» et de « qui vient ») appartiennent ici à un seul
écheveau problématique. On ne saurait le démêler dans un
avant-propos. Mais sans former un « système », un certain entre-
lacement, telle est l'hypothèse mise en œuvre, reste une inflexible
nécessité. Et son analyse, une tâche. Un des fils conducteurs les
plus visibles en serait la grande, urgente et si difficile question, la
1. « "ecquis adest ?" et ''adest'' responderat Echo. / hic stupet, utque aciem partes
dimittit in omnis, / voce "veni !" magna clamat " vocat illa vocantem. » (Livre III,
379-382.) Bien que la traduction soit à peu près impossible, bien qu'elle exige
chaque fois une réinvention idiomatique du simulacre en chaque langue, je
cite, en les modifiant légèrement, des tentatives françaises (J. Chamonard,
Garnier-Flammarion, 1966, p. 99, et G. Lafaye et J. Fabre, Budé, 1961, t. I,
p. 81-82) et anglaise (F. J. Miller, Cambridge, Londres, Penguin Books, 1916-
1984, t. 1, p. 151). Partiellement inadéquates, elles paraissent parfois se compléter.
« "N'y a-t-il pas quelqu'un ici ?" "Si, quelqu'un, avait répondu Écho.
Narcisse stupéfait porte ses regards de tous côtés: "Viens" crie-t-il à pleine
voix. À son appel répond un appel d'Écho, "Viens" ... »
« "Y a-t-il quelqu'un près de moi ?" "Moi" répondit Écho. Plein de stupeur,
il promène de tous côtés ses regards. "Viens !" crie-t-il à pleine voix. À son
appel elle répond par un appel. »
« '1s anyone here?" and "Here 1" cried Echo back. Amazed, he looks around in
all directions and with loud voice cries "Come l':. and "Come 1" she calls him
calling. »
Il
Voyous
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roue
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La raison du plus fort
1. Galilée, 1986.
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La roue libre
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Lû roue libre
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La roue libre
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La roue libre
Allusion à Zeus dont sont issus les rois. Zeus est un fils. Il y a
là une souche. La défaite du père, la mise à mort de l'Urvater,
dirait Freud, le parricide et le régicide ne sont pas sans rapport
avec une certaine interprétation généalogique, filiale et surtout
fraternaliste de l'égalité délnocratique (liberté, égalité, frater-
nité) : lecture du contrat égalitaire institué entre des fils et des
frères rivaux dans la succession du père, pour le partage du kratos
dans le demos. Zeus est d'abord un fils, un enfant mâle et un des-
cendant qui, par la ruse (metis), mais aussi avec l'aide de sa mère,
échappe au telnps. Il a ainsi raison de son père Kronos qui avait
lui-rnème eu raison, pour l'avoir à son tour émasculé, de son
propre père, Ouranos. C'est en ayant raison du temps, en met-
tant fin à l'ordre infini du temps, si je puis dire, qu'il affirme sa
souveraineté. On pourrait donner à cette formule une portée
37
La raison du plus fort
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La roue libre
roué
41
La raison du plus fort
tantôt les uns tantôt les autres, que sans façon il ne nommait
jamais autrement que ses roués. »
Ainsi la débauche des « roués» chasse la bonne société qui
chasse les «roués ». L'allusion à la débauche revient réguliè-
rement. « Débauche », n'oublions pas son sens initial, signifie le
non-travail, l'interruption du labeur, un certain chômage, une
crise de l'elnbauche ou du droit au travail, mais aussi bien, par
conséquent, le ludique et le lubrique, l'impudique, la luxure, le
dévergondage, le libertinage, la licence. Ces connotations sexuelles
ne peuvent pas ne pas attirer, dans leur champ rnagnétique,
l'attraction elle-même, le pouvoir qu'on lie à la séduction et donc
au dévoiement. « Séduire» veut dire aussi « dévoyer» {seducere},
« attirer hors du droit chemin », « conduire à l'écart de la bonne
voie ». Si le voyou est un dévoyé, le devenir-voyou n'est jamais
loin d'une scène de séduction. Et dans la grande veine de la dif-
férence sexuelle qui traverse, au moins virtuellerrlent, toute l'his-
toire de la dérnocratie et de son concept, il faudrait trouver le
temps de se demander pourquoi les voyous, sinon les roués, sont
plus souvent des hommes; et pourquoi il est sans doute possible,
mais plus rare, secondaire et fort artificiel, de mettre « voyOU» au
féminin (<< voyoute» comme on se force parfois à dire sans
convaincre).
L'attraction qui organise la séduction pour dévoyer en susci-
tant le désir, cela consiste parfois, pour l'homme roué, à fàire la
roue, à exhiber ses atours et ses atouts, à se pavaner comme un
paon en rut (mais « rut », pas plus que « rue », n'a aucun rapport
étymologique avec « roué» ou avec rota, même si la rue est le lieu
privilégié des roués, le milieu et la voie des voyous: c'est là que
le plus souvent ils circulent).
Il y a donc bien dans l'idée du «roué» une allusion à la
débauche, à la perversité, à l'irrespect subversif des principes, des
normes et des bonnes manières, du droit et des lois qui gouver-
nent le cercle de la bonne société, de la société bien-pensante et
des bonnes mœurs. « Roué» qualifie un dévoiement qui appelle
l'exclusion ou la punition. Le « roué », c'est bien aussi une sorte
de voyou, en ce sens, mais comrrle toute une bande de voyous ne
Inanqueront pas de nous attendre, faisons-les patienter encore. Si
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Licence et liberté: le roué
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La raison du plus fort
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Licence et liberté: le roué
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La raison du plus fort
legein eiôthasin), sous prétexte que dans _ce régime seul (ôs en
mone te politeia), on a la liberté en partage: c'est là, dit-on, le but
de toute démocratie (toutou gar stokhazesthai phasi pasan
demokratian). »
Aristote insiste, il est, lui aussi, en train de rapporter un propos
dominant, une hypothèse ou une présupposition qui, en somme,
ont cours et force de loi dans l'opinion cornmune qui les accré-
dite ou leur fait foi. Il ajoute imlnédiatement ceci, que je cite
pour le verser sans tarder au dossier du trope, du tour circulaire
et du « tour à tour », du « chacun son tour, à tour de rôle », en
merei ou kata meros : « Une des marques de la liberté, c'est d'être
tour à tour, à chacun son tour, gouverné et gouvernant (eleuthe-
rias de en men to merei arkhesthai kai arkhein). La justice démo-
cratique (to dikaion to demotikon) consiste dans l'égalité selon le
nombre, mais non selon le mérite (ou la valeur: katarithmon alla
me kataxian) : si la justice c'est cela, le "souverain" (kurion), c'est
forcément la masse populaire; et la volonté de la majorité; ce
doit être la fin, ce doit être la justice [ ... J. Voilà donc un signe de
la liberté que tous les démocrates posent comme nonne [règle,
limite, oronJ de ce régime; un autre c'est de rnener sa vie comme
on veut (en to zen ôs bouletai) [ ... ] d'où est venue la volonté de
n'être commandé, au rnieux, par personne, ou sinon, de ne l'être
que tour à tour (kata meros) ; et de cette façon cela contribue à la
liberté fondée sur l'égalité. »
Dans ce texte comme dans tant d'autres, et de Platon et
d'Aristote, la distinction entre bios et zoe - ou zen - est plus que
difficile et précaire; elle ne répond en aucun cas à l'opposition
tranchée sur laquelle Agamben fonde la quasi-totalité de son
argument sur la souveraineté et le bio-politique dans Homo
Sacer 1 (mais laissons cela pour une autre fois).
Autrement dit, le tour, le re-tour, les deux tours, le tour à tour
(en merei ou kata meros), c'est ce qui, avant même de déterminer
ce que veut dire demos ou kratos, kratein, rend indissociable leur
double hypothèse, leur double axiome, à savoir ce qu'on dit de la
liberté et de l'égalité. La liberté et l'égalité ne sont conciliables
46
Licence et liberté: le roué
liberté absolue d'un être fini (c'est de cette finitude que nous
Ions ici) n'est équitablement partageable que dans l'espace-ternps
d'un tour-à-tour, donc dans une double circulation: d'une part la
circulation du cercle qui transmet provisoirement le pouvoir
l'un à l'autre avant qu'il ne revienne à son tour au premier, le gou-
verné devenant à son tour gouvernant, le représenté à son tour
représentant, vice versa; d'autre part la circulation du cercle qui
ainsi, par le retour de ce tour-à-tour, fait revenir le pouvoir final et
suprêrne à soi) au soi-même de soi) au même que soi. Le même cercle,
le cercle mêrne devrait assurer la revenue à venir rnais aussi le
revenu du pouvoir final à son origine ou à sa cause, à son pour-soi.
Pourquoi insister ici sur ce qui reste si aigu et si difficile à
penser dans la liberté (eleutheria et exousia), donc peut-être dans
la décision et la volonté, dans la souveraineté, avant même le
demos et le kratos? Dans une liberté sans laquelle il n'y aurait ni
peuple ni pouvoir, ni communauté, ni force de loi?
Pour deux raisons: la première concerne ce que nous pour-
rions appeler la roue libre, la vacance ou l'indétermination
sémantique qui, au centre du concept de démocratie, fait tourner
son histoire; la seconde concerne l'histoire de la liberté, du
concept de la liberté, de l'essence ou de l'expérience de la liberté
qui conditionne ladite roue libre. J'annonce donc, de loin, deux
raisons de se tourner vers la liberté, eleutheria ou exousia.
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La raison du plus fort
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Licence et liberté: le roué
tour à tour:
alternative et alternance
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La raison du plus fort
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L'autre de la aer.rlOcrat2:e, le tour à tour
et l'extension . .
1.... ' _ ......... '.... ,
53
La raison
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L'autre de la aer.nocratj(e, le tour à tour
sécularisation, et
au sens strict, de politisation.
Les deux tâches que j'évoquais à l'instant seraient alors tour à
tour théorique et politique, à la fois ou successivement . . . . .
,''V.LJ,'-'
et politique.
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La raison du plusfort
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L'autre de la aer.l1ocratj(e. le tour à tour
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Ltl raison du plus fort
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L'autre de la aer.rz ocra t,re, le tour tour
en
cratie : la colonisation et la décolonisation furent toutes
expériences auto-Îmlnunitaires au cours desquelles
violente d'une culture et d'une langue politique censées
fier avec un idéal politique gréco-européen (post-révolutionnaire,
rnonarchie constitutionnelle au Inoment de la colonisation, puis
république et délnocratie française et ensuite algérienne) a
produit elle-même exactement le contraire de la démocratie
(l'Algérie française), puis a favorisé elle-nlême une guerre dite
civile, en fait une guerre d'indépendance qui fut menée au nom
Inême des idéaux politiques allégués par la puissance coloniale;
puis le nouveau pouvoir a dû interrompre lui-même la démocra-
tisation en cours, il a dû interrompre un processus électoral
normal pour sauver la démocratie menacée par les ennemis jurés
de la démocratie. Pour s'immuniser, pour se protéger contre
l'agresseur (du dedans ou du dehors), la démocratie sécrétait
donc ses ennemis des deux côtés du front et il ne lui restait de
choix apparent qu'entre le meurtre et le suicide; mais le meurtre
se transfonnait déjà en suicide et le suicide se laissait, comme
toujours, traduire en meurtre.
Le processus auto-imrnunitaire que je décris, j'avais essayé
d'en formaliser la loi générale dans Foi et Savoir l, texte qui,
d'ailleurs, sous sa forme augmentée d'un entretien sur le pardon,
parlait d'une « démocratie à venir» autour du secret, du pardon
et de l'inconditionnalité en général, comme d'un concept excé-
dant la sphère du juridico-politique et s'articulant, du dehors et
du dedans, avec elle. La fonnalisation de la loi auto-immunitaire
se faisait alors notamment autour de la communauté comme
auto-co-immunité (le commun de la communauté ayant en
cornmun la même charge (munus) que l'immun), aussi bien que
de l'auto-co-immunité de l'humanité - et surtout de l'humani-
taire auto-immunitaire. La catégorie de l'auto-immunitaire, je
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L autre de la db,nocratl'e, le tour à tour
rej::)re~;;en.teI
non force
la majorité tenus pour majeurs
aussi la faiblesse faibles, des minorités
pauvres, tous ceux et toutes celles qui, dans le rr.r\nnla
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La raison
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L'autre de la npW1nr'1"/!T1P le tour à tour
tour
tnême. il y va aussi, et même coup, la chose étant ""'lrrll1Pp
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L'autre de la aér,nocratj~e, le tour à tour
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La raison du plus fort
et
1. Galilée, 1988. Sauf indication contraire, les mentions de page qui sui-
vent, dans ce chapitre, renvoient à cet ouvrage.
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La raison du
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l1{aîtrise et rnp,r1/71JP
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La raison du plus fort
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Maîtrise et YYlpl'r111~"p
c) il a aucun critère
assurée, aucune unité calcul aucun
Inédiateur fiable et naturel régler ce calcul de l'incalculable
et cette mesure commune ou universelle l'incommensurable.
dis bien «commune et universelle» car nous n'allons
tarder à devoir nous demander ceci, avec la question du
est-ce que, n1ême en politique, et même en droit (c'est toute
l'urgence de la question du droit international et des
voyous vers laquelle je fais cap), cette mesure du démesuré, cette
égalité démocratique, s'arrête à la citoyenneté, donc aux fron-
tières de l'État-nation? Ou bien devons-nous l'étendre à tout le
monde des singularités, à tout le monde des humains supposés
mes semblables - ou encore, au-delà, à tous les vivants non
humains, ou encore, au-delà, à tous les non-vivants, à leur
mémoire, spectrale ou non, à leur à-venir ou à leur indifférence
au regard de ce que nous croyons pouvoir identifier, de façon
toujours précipitée, dogmatique et obscure, comme la vie ou le
présent vivant de la vivance en général? Car dans ce que j'appelle
la première situation de l'aporie, celle dans laquelle je partage ou
aggrave à ma manière le possible-inlpossible que Nancy appré-
hende comme mesure de la démesure ou dérnesure de la mesure,
la référence à l'unité de calcul, c'est-à-dire de ce « chacun» laissé
entre guillernets, est d'autant plus intraitable et non négociable
(et donc seulement à négocier sans fin et sans savoir et sans assu-
rance d'aucune sorte) que, dans le langage et la pensée même de
Nancy, dans le livre intitulé LExpérience de la liberté, la liberté
n'est plus seulement l'attribut d'un ego, le « je peux» d'un libre-
arbitre, le pouvoir d'un sujet volontaire, d'un sujet supposé
maître, un ou comptable, donc mesurable (et je serais presque
tenté d'écrire maître ici, pour fàire bonne mesure, mètre, juste
mesure, metron) mesure mesurante et Inesurable). Non, la liberté
s'étend à tout ce qui apparaît dans l'ouvert. Elle s'étend à l'évé-
nement de tout ce qui, au monde, et d'abord dans le « il y a » du
monde, vient à la présence, y compris sous la forme libre du
vivant non humain et de la « chose» en général, vivante ou non.
On se reportera ici à ce que Nancy dit de la liberté comme
« force» et cornme « force de la chose» comme telle, voire de la
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Maîtrise et nlPT"rI171'IP
égalité,
ou
comment ne pas deviser
1. Op. rit., p. 97, 102 (là, au lieu d'un « s'il faut dire », nous avons un
« pour ne rien dire»: « la liberté [ ... ], l'égalité, pour ne rien dire de la
fraternité ... »), 105,211,212 (voir infra, p. 91, note 1),213.
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La raison du plus fort
nité ... »). « s'il faut dire », je ne sais pas s'il faut dire qu'il trahit
une condition, un scrupule, une hésitation, une circonspection
louable ou une dénégation à demi concédée. tout cas, j'y per-
çois comme l'inquiétude manifeste d'une question, «faut-il le
dire? », à laquelle visiblernent Nancy répondait, il y a longtemps,
« oui, il faut dire» - et moi, depuis longtemps, « non ». Voici ce
paragraphe :
86
égalité, tr/1Jf-P1'~71tp
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à mort comme dans une trans-
substantiation se le corps du
mémoire de lui. relis cette phrase qui est à la fois
et chrétienne, entre les Évangiles et Totem et Tabou, la
du fils et donc des frères succédant, dirait Freud, à la religion
père rrlais au fond la reconduisant: «Tels sont, chez
fils du Père in-humain de la horde: devenant frères dans le par-
tage de son corps démembré. La fraternité est l'égalité dans le
partage de l'incommensurable. » C'est pourquoi Nancy ajoutera
quelques pages plus loin, comme si «fraternité» lui laissait
encore un doute ou un soupçon quant au «partage»: «La
liberté (égalité, fraternité, justice), .. » (p. 105), la trinité de ces
trois derniers concepts déterminant et se partageant en somrne
la liberté.
Je ne dirai rien de nouveau, par rapport à ce que j'ai tenté
de démontrer dans Politiques de l'amitié, à l'endroit de cette
fraternité-ci comme partage équitable des restes du père, de la
substance commune disparue et consornmée, après le démem-
brement (<< frères dans le partage du corps démembré ») -- un
démembrement qui, une fois de plus, analogue à un écartè-
lement avec réappropriation circulaire de ladite substance com-
mune, selon le deuil et la mémoire, ressemble donc à une croix
sur une roue. Quelle est donc la seule inquiétude non critique
que je voudrais formuler ici, de façon aiguë, spécifique, et je
l'espère, productive, dans le contexte de cette décade, et au sujet
de la dérnocratie ?
J'insiste: inquiétude non critique car, après tout, Nancy
pourra toujours dire: « C'est pas llloi, c'est pas moi qui dis ça,
je rapporte, je raconte une histoire, je raconte l'histoire qu'on se
raconte et qui a cours, un cours et un crédit dominants dans
notre culture et dans notre langage hérité (langage de la culture
courante, religions, psychanalyse, etc.) ; j'analyse ce que dit
cette histoire, ce qu'illlplique ce concept, l'histoire et le concept
de liberté et d'égalité cornille fraternité, le père disparu, etc. » Il
m'arrive souvent de dire moi-lllême : « Là, voyez-vous, je suis
d'abord en train d'analyser le contenu et les implications d'un
concept, d'une interprétation, d'un récit reçus et auxquels je ne
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égalit~ -rm'tf'r'l11if-p
« père disparu »,
en tant qu 'hommes
naît comme fraternité.
père n'est pas nece~~sall les fils et donc les
le sont!,
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à
.u.<.<,.... '-' ...... u."'.. ,
voyou SUIS
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Le voyou SU1S
1. Bien que Littré fasse, à l'article rogue (adjectif), une allusion au mot
anglais rogue (<< Dans l'anglais, rogue signifie coquin et aussi espiègle »), et
même si les deux mots ont sans doute la même origine, à savoir le scandinave
hrok ou hrokl~ l'usage français fait prévaloir le sens de l'arrogance, de la
rudesse, de la morgue. En anglais, nous y reviendrons, l'insistance va plutôt
dans le sens du défi et du délit, de l'infraction ou de l'indifh~rence à la loi.
D'olt la traduction par « voyou ».
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Le voyou que je suis
Avec la rouerie que vous rlle prêtez, je ne vous ai pas encore dit
quelle était en vérité la double «question préliminaire» qui,
simultanément, à la fois ou tour à tour, me met à la torture
depuis que je me prépare à cette décade.
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Dieu, qu'est-ce qu'il dire?
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Dieu, qu'est-ce dire?
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Dieu, qu'est-ce qu'il dire?
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Dieu, qu'est-ce qu'il ne fout pas dire?
des voyous:
« démocratie à venir », ouverture à double tour
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temps derniers et, telle est ITIOn hypothèse, pour peu de temps
encore, un mot d'ordre utile à la coalition de ce qu'on appelle les
démocraties occidentales, de ce mot «voyou », donc, j'ai déjà
beaucoup joué, laissant paraître tour à tour en lui le nom, l'attribut
ou l'adjectif, adjectif nominal parfois approprié à un « qui» mais
ici ou là accordé à un « quoi », par exemple l'État voyou. Nous le
pouvons dans notre idiome: quelqu'un peut faire quelque chose
de « voyou» sans être un voyou. Et, en commençant, j'ai dit suc-
cessivement, vous vous en souvenez peut-être, utilisant quatre fois
le vocable voyou, tantôt cornme nOlTI, tantôt comme adjectif, un
adjectif qualifiant tantôt quelqu'un tantôt quelque chose de
quelqu'un: « Sans doute serait-il de ma part un peu, j'ose le dire,
"voyou", de ne pas commencer en déclarant, une fois encore, ma
gratitude, etc. » (<< Voyou» qualifie donc quelque chose, une atti-
tude.) Puis j'ai précisé: « Je serais donc, penseriez-vous, non seule-
ment "voyou" mais "un voyou" si je ne déclarais en commençant
une reconnaissance sans fin et sans fond, etc. » (Cette fois, après
l'attribut d'un sujet, d'un qui, le substantif «le voyou », «un
voyou» désignait le sujet même, un « qui ».)
Lattribut « voyou» peut donc s'appliquer ici ou là à un sujet
qui n'est pas substantiellement, de part en part, ou naturelle-
ment, un voyou. La qualité « voyou» est toujours, précisément,
une attribution, le prédicat ou la categoria, donc l'accusation
lancée non contre quelque chose de naturel mais contre une ins-
titution. C'est une interprétation et une assignation, en vérité
toujours une dénonciation, une plainte ou une accusation, un
grief, une évaluation et un verdict. En tant que tel il annonce,
prépare et commence à justifier une sanction. LÉtat voyou doit
être puni, contenu, mis hors d'état de nuire, au besoin par la
force du droit et le droit de la force.
Telle distinction idiomatique entre l'adjectif et le nom, je la
mets dès maintenant en avant pour donner, par anticipation, à
méditer le fait que, dans l'expression française d'usage récent,
« État voyou », qui, tout intraduisible qu'elle est, je le répète,
n'aura été qu'une traduction approximative de l'anglo-américain
rogue, dans rogue State, on ne sait pas si voyou doit être, au titre
de substantif, accolé par un trait d'union au substantif État,
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Le dernier des États voyous
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Le dernier des États lIoyous
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La raison du plus fort
Une allusion aura donc été chaque fois répétée à l'Idée régula-
trice, au sens kantien, à laquelle je ne voudrais pas réduire l'idée
d'une démocratie à venir.
Il reste que, faute de mieux, si on peut dire « faute de mieux»
à propos d'une Idée régulatrice, l'Idée régulatrice reste peut-être
une ultime réserve. Ce dernier recours a beau risquer de devenir
un alibi, il garde une dignité. Je ne jurerais pas de ne jamais y
céder.
Mes réticences à l'égard de l'Idée régulatrice seraient néan-
moins, en quelques Inots, de trois sortes. Certaines portent
d'abord sur l'usage désormais courant et lâche qu'on fait de cette
notion d'Idée régulatrice, hors de son code strictement kantien.
Dans ce cas, l'Idée régulatrice reste de l'ordre du possible, un pos-
sible idéal sans doute et renvoyé à l'infini. Il participe de ce qui,
au terme d'une histoire infinie, relèverait encore du possible, du
virtuel et de la puissance, de ce qu'il est au pouvoir de quelqu'un,
122
Le dernier des voyous
123
La raison du plus fort
1. « ... ein verschiedenes Interesse der Vernunft », Kritik der reinen Vernunft
(2e éd., 1887), Anhang zur Transcendantale Dialektik. Von der regulativen Gebrauch
der Ideen der rein en Vernunft, Berlin, Walter de Gruyter, 1968, vol. III, p. 440
(694).
2. On sait le rôle décisif et énigmatique que le aIs ob joue dans toute la
pensée kantienne; mais c'est particulièrement vrai autour de l'Idée régula-
trice. Il s'agit de considérer les liaisons des phénomènes « comme si elles étaient
les dispositions d'une raison suprême dont la nôtre n'est qu'une faible image
(aIs ob sie Anordnungen einer hoschten Vernunft wdren, von der die unsrige ein
schwaches Nachbild ist)) (Kritik der reinen Vernunft, op. cit., p. 447-706) ;
« comme si cette cause, en tant qu'intelligence suprême, avait tout fait d'après
le plan le plus sage (ais ob diese aIs hochste Intelligenz nach der weisesten Absich
die Ursache von allem sei) » (ibid., p. 453-717). « En effet, le principe régula-
teur de l'unité systématique veut que nous étudiions la nature comme si, par-
tout, s'y trouvait à l'infini une unité systématique et finale dans la plus grande
variété possible (ais ob allenthalben ins Unendliche systematische und zweckmds-
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l. Ibid., p. 128-129.
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Plus d'États voyous
Pour finir sans finir quand la fin est proche, et s'il faut toujours
la précipiter, voici enfin l'envoi.
Envoi, une fois encore, c'est le mot.
« Démocratie à venir », on aura pu y entendre une réponse à
l'envoi de l'envoyeur. À être renvoyé dès son envoi, le renvoi
n'affectant différantiellement et ne laissant intact aucun envoi
originaire, tout comrllençant par renvoyer ou par répondre, il
aura fallu prendre acte de ce que le temps, et donc l'histoire, doit
manquer, à rlloins que l'histoire ne soit faite de ce temps qui
manque et qu'il faut. Toujours à la démocratie le temps doit bien
manquer. Parce qu'elle n'attend pas et néanmoins se fait attendre.
Elle n'attend rien rllais elle perd tout pour attendre.
Ce « il faut) à la démocratie à venir, que ça donne le temps qu)il
n'y a pas ») peut-être en avons-nous fait l'épreuve de trois manières
qui reviennent au même.
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La raison du plus fort
De ces trois façons, sur ces trois voies, une certaine annulation
du temps s'annonce. Elle se signifie, elle se date, comme le tour
ou le retour anniversaire de l'année, comlne la révolution ou la
volte de l'anneau, dans le trivium du «il faut », entendez du
« défaut », du « faillir» de la « faillite» ou de la « défaillance» :
« il faut le tenlps », « il faut que ça donne, la démocratie, le temps
qu'il n'y a pas ».
Pourquoi ai-je cru devoir privilégier aujourd'hui, pour for-
maliser cette étrange et paradoxale révolution, ce qui peut res-
sembler à la généralisation, sans limite externe, d'un modèle
bio-logique ou physio-logique, à savoir l'auto-immunité? Ce
n'est pas, vous vous en doutez, par intempérance biologiste ou
génétiste.
D'une part, j'ai commencé par préciser que la rotondité gira-
toire du retour à soi contre soi, à la rencontre de soi et à
l'encontre du soi-même, je m'y référais dans un lieu antérieur à
la dissociation entre quelque physis et ses autres (tekhnè, nomos,
thésis). Ce qui vaut ici de la physis, du phuein, vaut aussi de la vie
avant toute opposition entre la vie (bios ou zoe) et ses autres
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Envoi
1. Martin Heidegger interrogé par Der Spiegel, dans Réponses et questions sur
l'histoire et la politique, tr. h. Jean Lmnay, Mercure de France, 1977, p. 42-43.
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Téléologie et architectonique:
la neutralisation de l'événement
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Téléologie et archzt,ecf(nul':/ue
1. Kant, Kritik der rein en Vernunft, op. dt., II, Livre 2, deuxième partie, sec-
tion 3, Von dem Interesse der Vernunft bei diesem ihrem Widerstreite. Il semble,
mais je n'en savais rien ou je l'avais enfoui dans l'oubli, que Kant ait utilisé
l'expression « sauver l'honneur de la raison» dans un écrit de jeunesse. Jean
Ferrari, président de l'AsPLF, me le dit après la conference en me promettant
de m'indiquer la référence. La voici: Dans Les Sources françaises de la philoso-
phie de Kant (Klincksieck, 1980), Jean Ferrari, que je remercie encore, évo-
quait en effet à deux reprises (p. 25 et 247) le mot du jeune Kant, « die Ehre
der menschlichen Vernunft verteidigen»: « défendre [soutenir, plaider pour,
plutôt que « sauver »] l'honneur de la raison humaine. »
Amnésie, symptôme, travail de l'inconscient ou coïncidence, la nécessité de
cette récurrence se trouve ainsi confirmée dans son sens, elle atteste en tout cas,
et selon plus d'un trait, une indéniable rationalité. Lexpression, comme la
question qu'elle ouvre, se trouve d'autant plus justifiée en raison que, là aussi
après coup, je l'ai encore rencontrée chez Husserl (voir infra, p. 181).
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Le « Monde» des Lumières à venir
1. Kant, Kritik der reinen Vernunft, op. cit., II, Livre 2, deuxième partie, sec-
tion 3, Von dem Interesse der Vermmft bei diesem ihrem Widerstreite. Thèse plus
historique qu'il n'y paraît, pour qui s'intéresse au devenir ou à l'historicité de
la raison. Car si le souci de cohérence synthétique et synchronique, si le souci
de l'arkhè (fondatrice, causale ou principielle) a toujours lié la raison à l'orga-
nisation architecturale et à toutes ses métaphores, le projet de système architec-
tonique, au sens strict, n'en est qu'une forme ou une figure relativement
moderne. Larchitecture n'est pas l'architectonique. Toute cohérence n'est et
n'a pas toujours été systémique. Heidegger, me semble-t-il, y insiste ici ou là
à juste titre.
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Téléologie et arclntlc:ctclnu'1ue
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1. Si le temps m'en avait été donné, j'aurais tenté de suivre ici le fil qui
conduit de Vom Wesen des Grundes (1929), en particulier autour du concept de
« monde» et de son histoire, jusqu'à Der Satz vom Grund (1957).
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Téléologie et arclnt,ectLlJu/'.{ue
cette
rément, calculable et calculée, autonome, le '-'cqJ~L.'U.~J,\...
navire, parce qu'il échoue à le cap, alors
ponsabilité de toucher le - et cette décision ressemble
à un evenement. l'accident de l'échouement, nous le
disions, c'est aussi un événement. l'échouage et l'échoue-
ruent, nous endurerions l'effort désespéré pour sauver
désastreux naufrage, au pire moment d'une défaite avouée, ce
qui reste d'honneur à la fin d'une bataille perdue pour une juste
cause, une noble cause, la cause de la raison qu'on tiendrait à
saluer une dernière fois, avec la mélancolie eschatologique d'une
philosophie endeuillée. Là où l'on ne peut plus rien sauver, on
tente alors de sauver l'honneur dans la défaite. Sauver l'honneur,
ce ne serait pas le salut qui sauve mais le salut qui seulement
salue un départ, à la séparation d'avec l'autre. Philosophie
endeuillée, disais-je, ou bien parce que le monde serait en passe
de perdre la raison, voire de se perdre comme monde, ou bien parce
que la raison elle-même, la raison comme telle serait en passe de
devenir luenaçante ; elle serait un pouvoir, elle aurait le pouvoir
de se menacer elle-mêrne, de perdre le sens et l'humanité du
monde. De se perdre elle-même, de sombrer d'elle-même, je
préférerais dire de s'auto-immuniser pour désigner cette étrange
logique illogique par laquelle un vivant peut spontanément
détruire, de façon autonome, cela même qui, en lui, se destine
à le protéger contre l'autre, à l'immuniser contre l'intrusion
agressive de l'autre. Pourquoi parler ainsi d'auto-immunité?
Pourquoi déterminer de façon aussi arnbiguë la menace, le
danger, l'échéance, l'échec, l'échouement et l'échouage, mais
aussi le salut, le sauvetage, la santé ou la sécurité comlue autant
d'assurances diaboliquement auto-immunitaires, virtuellement
capables non seulement de s'auto-détruire de façon suicidaire,
mais de retourner ainsi quelque pulsion de mort contre l'autos
même, contre l'ipséité que supposerait encore un suicide digne
de ce nom? C'est pour situer la question de la vie et du vivant,
de la vie et de la filort, de la-vie-la-mort, au cœur de mon
propos.
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Le « Monde» des Lumières à venir
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Téléologie et arC!1ztectOÎ:lurl~te
autre chose
quelque séisme mOIns grave, autre chose en tout cas
qu'une crise de la au-delà d'une crise de la science et la
conscience, au-delà d'une crise de l'Europe, au-delà d'une
philosophique qui serait, pour reprendre un titre de une
crise de l'humanité européenne.
Si je pouvais déployer cette question, sans toutefois
tuer toute la démarche bien connue de Husserl dans ces textes, je
le ferais dans cinq directions dont j'indique seulement le cap.
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Téléologie et arc.IJZt/?ctcmu7ue
plus loin:
1. Kritik der praktischen Vernunft, Livre II, Première partie, ch. II, III, « Von
dem Primat der rein en praktischen Vernunft in ihrer Verbindung mit der
speculativen », Kantswerke, Akademische Textausgabe, V, Berlin, Walter de
Gruyter & Co, 1968, p. 121 ; tr. fr. F. Picavet, Critique de la raison pratique,
PUF, 1943, p. 131.
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1. Kritik der praktischen Vern u nfi, Livre II, Première partie, ch. II, III, « Von
dem Primat der reinen praktischen Vernunfi in ihrer Verbindung mit der
speculativen », op. cit., p. 121 ; tr. h. p. 131.
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Téléologie et architectonique
venir, nom verbal deux fois inscrit, une syntaxe qui est assez
intraduisiblement fi-ançaise, au titre notre congrès, dans
expressions « la raison et son avenir, le devenir des rationalités ».
Tenons-nous encore dans l'onde de cette première écoute mais
pour y reconnaître, de façon plus généalogique ou plus archéo-
logique, la vibration d'un coup d'archet plus ancien. Si je joue un
peu avec ce registre sonore, c'est pour ln' approcher de cette
essence de l'événement, de ce qui advient, une fois, une seule fois,
une prernière et dernière fois, de façon toujours singulière,
unique, exceptionnelle, irremplaçable et imprévisible, incalculable,
de ce qui arrive ainsi ou de qui arrive en venant là où précisément
- et c'est la fin de l'horizon aussi bien que de la téléologie ou du
prograrnme calculable, de la prévision ou de la providence - on
ne le voit plus venir, plus horizontalernent : sans horizon.
Je l'annonce déjà, il s'agira pour moi de demander si, à penser
l'événement, le venir, l'avenir et le devenir de l'événement, il est
possible et en vérité nécessaire de soustraire l'expérience de l'in-
conditionnel, le désir et la pensée, l'exigence de l'inconditionna-
lité, la raison même et la justice de l'inconditionnalité, à tout ce
qui s'ordonne en système à cet idéalisme transcendantal et à sa
téléologie. Autrement dit s'il y a une chance d'accorder la pensée
de l'événement inconditionnel à une raison qui soit autre que
celle dont nous venons de parler, à savoir la raison classique de ce
qui se présente ou annonce sa présentation selon l'eidos, l'idéa,
l'idéal, l'Idée régulatrice ou, autre chose qui revient ici au mêrne,
le telos.
N'abandonnons pas encore la première écoute. Écoutons de
plus loin pour tenter de mieux répondre de notre raison comme
de notre héritage et d'y correspondre de façon plus responsable.
« Sauver l'honneur de la raison », nous demandions-nous, qu'est-
ce que cela, en premier lieu, voudrait dire? Qu'est-ce que cela
signifierait? Cette question de la signification, serait-ce la première
question d'un philosophe digne de ce nom? Voué à la question,
celui-ci se croirait d'abord tenu de comprendre, d'analyser, de
rendre raison, de répondre du sens présupposé de son langage. À
moins que, avant même de comprendre et de connaître le sens ainsi
signifié, il ne faille se demander ce que cela pourrait ou devrait nous
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tous ces grands rationalisnles sont, à tous les sens du ternIe, des
rationalismes de l'État, sinon des rationalismes d'État. Il n'y a
rien de fortuit à ce qu'aucun de ces grands rationalismes, à
l'exception peut-être d'une certaine parole de Marx, ne s'en soit
jamais pris à la forme « État» de la souveraineté.
« De même que le soleil est l'unique soleil qui éclaire toutes les
choses et les réchauffe, de même aussi la raison est unique}} (Des-
cartes) 1.
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donnel. Mais quel que soit alors cet autre langage, ce mot ou ce
trope, il devra garder la ménloire ou hériter de ce qui, dans
l'inconditionnalité de la raison, rapporte chaque singularité à
l'universalisable. Il devra exiger ou postuler l'universel au-delà de
tout relativisme, au-delà du culturalisme, de l'ethnocentrisme,
du nationalisme surtout, et de ce que je propose de surnommer,
pour désigner ainsi tous les risques lllodernes que ces relativismes
font courir à la raison, l'irrationationalisme, l'irrationétatnationa-
lisme - qu'on l'orthographie comme on voudra.
Parmi les figures de l'inconditionnalité sans souveraineté qu'il
Ill' est arrivé de privilégier ces dernières années, il y aurait par
exemple celle de l'hospitalité inconditionnelle 1 qui s'expose sans
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En s'armant de patience, voir aussi p. 296 sq., 342, 351, 361 sq. Et De quoi
demain., " avec E. Roudinesco, Fayard/Galilée, 2001, p. 100-104. Et Mani-
fèste pour l'hospitalité aux Minguettes (Autour de Jacques Derrida), Paroles
d'Aube, 1999.
Quant à la notion du sacrifice, que le même journal mêle tout aussi confu-
sément à la chose, j'en ai tant écrit qu'une page de réferences n'y suffirait pas.
Un autre conseil, solution de désespoir: tout lire et au besoin relire!
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on a tôt et
fut pas le seul à le faire) qu'ils se comportent eux-mêmes
longtemps comme des rogue States. Tout État souverain est
d'ailleurs virtuellement et a priori en d'abuser de son pouvoir
et de transgresser, comme un État voyou, le droit international.
Il y a l'État voyou dans tout État. Lusage du pouvoir
est ici originairement excessif et abusif. COmITle l'est d'ailleurs le
recours à la terreur et à la peur qui a toujours été, c'est vieux
comme le monde et Hobbes l'a fort bien théorisé, le ressort
ultime du pouvoir souverain de l'État - sous une forme implicite
ou explicite, grossière ou subtile, fût-elle contractuelle et protec-
trice. Alléguer le contraire, c'est toujours une dénégation, une
rationalisation, parfois une ratiocination qui ne doit pas nous
tromper.
Cela nous rappelle qu'il faut, au nom de la raison, se rnéfier
parfois des rationalisations. Soit dit en passant, trop vite, les
Lumières à venir devraient donc nous enjoindre de compter aussi
avec la logique de l'inconscient, et donc avec l'idée au moins, je
ne dis pas avec la doctrine, engagée par une révolution psychana-
lytique. Qui d'ailleurs n'aurait eu aucune chance de surgir dans
l'histoire, entre autres conditions, sans cette ITlédecine empoi-
sonnée, sans le pharmakon de cette inflexible et cruelle auto-
immunité qu'elle appelle parfois « pulsion de ITlOrt» et qui ne
limite pas le vivant à sa forme consciente et représentative.
Sans doute est-il donc nécessaire, au nom de la raison, de
reITlettre en cause et de limiter une logique de la souveraineté
état-nationale. Sans doute est-il nécessaire d'entarner, avec son
principe d'indivisibilité, son droit à!' exception, son droit de sus-
pendre le droit, l'indéniable onto-théologie qui la fonde, même
en régime dit démocratique, et même si cela est dénié, de façon
à mes yeux contestable, par exernple par des experts de Bodin, de
Hobbes ou de Rousseau.
À parler d'une onto-théologie de la souveraineté, je fais réfé-
rence, sous le nom de Dieu, du Dieu Un, à la détermination
d'une toute-puissance souveraine, donc indivisible. Mais là où le
nom de Dieu donnerait à penser autre chose, par exemple une
non-souveraineté vulnérable, souffrante et divisible, mortelle
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la neutralisation de l' événement...... .............................. ....... 167
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mOlldiale) ............................................................................ 195
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