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Revue d'histoire des textes

Quelques réflexions sur le concept d'archétype


Jean Irigoin

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Irigoin Jean. Quelques réflexions sur le concept d'archétype. In: Revue d'histoire des textes, bulletin n°7 (1977), 1978.
pp. 235-245;

doi : 10.3406/rht.1978.1166

http://www.persee.fr/doc/rht_0373-6075_1978_num_7_1977_1166

Document généré le 06/06/2016


Abstract
The ambiguities of terminology are often the source of further difficulties for critics and text-
historians. The term of « archetype » is used to indicate either « the nearest common ancestor of
the tradition » or « the oldest witness of the tradition in which the text of an author has been put
into the form that has been conveyed to us » (A. Dain) ; it seems that there is an advantage to
choose the second meaning, which is the most common one, and to speak, in the second case, of
« recension » or « edition ». But we learn from the text-history that the notion of archetype, in its
first meaning, is too abstract, and unable to cover the reality of the text transmission. At last, the
deep problem of contamination, which would prevent us to go back to the archetype, could be
treated through other methods, particularly through the codicological study, but it is, before all, to
be distinguished from the polygenesis facts, that occur very often among the cultivated scribes at
the end of the Middle Age and during the Renaissance.

Résumé
Les ambiguïtés de la terminologie sont souvent à l'origine de difficultés supplémentaires pour les
critiques et les historiens des textes. Le terme d'archétype est ainsi employé pour désigner soit le
plus proche commun ancêtre de la tradition, soit « le plus ancien témoin de la tradition où le texte
d'un auteur se trouve consigné dans la forme qui nous a été transmise » (A. Dain) ; il semble y
avoir avantage à opter pour le premier sens, le plus communément reçu, et à user, pour le
second, de termes comme recension ou édition. Mais l'histoire des textes nous enseigne que la
notion d'archétype, dans sa première acception, est trop abstraite et ne recouvre
qu'imparfaitement les réalités de la transmission du texte. Enfin, le grave problème de la
contamination, qui empêcherait de remonter à l'archétype, peut être traité par d'autres méthodes,
notamment par l'étude codicologique, mais surtout doit être distingué des faits de polygénèse, si
fréquents chez les copistes érudits de la fin du Moyen Age et de la Renaissance.
QUELQUES RÉFLEXIONS
SUR LE CONCEPT D'ARCHÉTYPE

Parmi les nombreuses difficultés que rencontrent les critiques des


textes, l'une des premières tient aux ambiguïtés de la terminologie. Des
mots comme archétype ou variante sont pris dans des acceptions souvent
fort différentes, qui ne facilitent pas le travail du chercheur et compliquent
la discussion. Des ouvrages récents, dont il sera question plus loin, montrent
d'une façon indirecte la nécessité de préciser le sens de certains termes
techniques ou de confronter les diverses acceptions dans lesquelles ils sont
pris couramment. C'est le mot d'archétype, avec les différents emplois qui
en sont faits aujourd'hui, que je me propose d'étudier ici en vue de parvenir
à une certaine clarification.
Connu en français depuis le xme siècle, ce mot d'origine grecque est
attesté pour la première fois chez un auteur latin, Cicerón, au neutre, au
sens de « modèle » {Ad Attic., 16, 3, 1) et, au pluriel, au sens de « registres »
{ibid., 12, 5 c). Le premier auteur grec à l'avoir utilisé, au masculin, semble
être Denys d'Halicarnasse (isée, 11). Le mot deviendra d'un usage plus
fréquent à, l'époque impériale, notamment chez les philosophes, de Philon à
Proclus, et l'on sait l'usage qu'en feront les écrivains chrétiens. Les exemples
cités plus haut représentent la substantivaron, au masculin ou plus souvent
au neutre, de l'adjectif composé αρχέτυπος, formé à, partir du nom ionien-
attique τύπος, qui désigne l'empreinte laissée par la frappe (τύπτειν) d'une
matrice, en relief ou en creux, la marque d'un sceau notamment.
L'archétype est donc le modèle, le type primitif, et notamment l'original opposé
à la copie qu'on en fait (άπόγραφος chez Denys d'Halicarnasse, ibid.)1.
Dans le vocabulaire du livre, l'archétype ainsi compris serait ce que nous
appelons le manuscrit autographe de l'auteur ou une copie revue par lui et
authentifiée par ses corrections.
Quand le mot archétype fait son apparition dans le vocabulaire de la
critique, au cours de la première moitié du xixe siècle, sous la plume de
Madvig2 et de quelques autres philologues influencés par lui8, il reçoit un

1. L'opposition est nette, aussi, chez Diogène Laërce, 6, 84 : ώς άπόγραφος έξ


αρχετύπου δευτερεύει.
2. Dans son étude de 1833, De emendandis Ciceronis orationibus pro P. Sestio et in
P. Vatinium disputationes, p. i-m (j'emprunte cette référence à S. Timpanaro, La genesi
del método del Lachmann, Firenze, 1963, p. 52).
3. H. Purmann (Quaestionum Lucretianarum specimen, Breslau, 1846, p. 7 et passim)
et J. Bernays (De emendatione Lucretii, in Rhein. Mus., t. 5, 1847, p. 570), cités aussi par
S. Timpanaro, op. cit., p. 58, n. 1.
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sens différent : le codex archetypus est la source médiévale à, laquelle


remontent directement, sur le stemma schématisant leurs relations, les
différentes familles de manuscrits (« Codices... omnes... ex uno eodemque
códice archetypo manaverunt », écrit Purmann en 1846). Le terme sera
repris, sous une forme un peu différente, archetypon, par Lachmann1
dans son édition commentée de Lucrèce (1850), et c'est souvent à lui qu'on
en attribue le premier emploi. Depuis lors, la terminologie s'est enrichie.
Pour désigner des descendants perdus de l'archétype, eux-mêmes à l'origine
d'une branche de la tradition, P. Maas a proposé le néologisme hyparche-
typus2. De son côté, pour désigner un ancêtre notable de l'archétype,
G. Pasquali a créé le terme de « prearchetipo »3.
Les trois termes répondent à des réalités du même ordre, avec un peu
de flottement, ou moins de précisions, dans le cas du préarchétype. Dans
la terminologie de Madvig et de Lachmann, telle qu'elle a été définie ci-
dessus et que la reprennent la plupart des philologues d'aujourd'hui,
l'archétype est un manuscrit reconstitué à, partir de ses descendants, aussi
bien dans son contenu que dans sa présentation ; dans les cas les plus
favorables, la reconstitution s'étend aux détails de la mise en pages, à,
l'identification du type d'écriture et à la datation4.
Contesté à, l'occasion depuis le temps de Madvig et de Lachmann,
le concept traditionnel d'archétype fait l'objet d'attaques depuis quelques
années, attaques discrètes ou feutrées de certains, attaques vigoureuses
et visant à, faire scandale d'autres, au premier rang desquels il faut citer
R. D. Dawe dans ses travaux sur Eschyle et Sophocle 5. Il vaut la peine
de s'étendre un peu sur ce cas, non pas tant pour critiquer en elle-même
l'action aggressive de Dawe que pour voir comment ses remarques nous
invitent à, poser les problèmes dans des termes un peu différents, à. les
approfondir et à, ne pas nous contenter de solutions simples qui risqueraient de
n'être que simplistes.
A la suite des trois beaux livres qu'A. Turyn a consacrés à. la tradition
manuscrite des trois tragiques 6, on admettait que le savant américain avait
utilement préparé la tâche des éditeurs en regroupant et en classant tous

1. Avant lui, J. G. Orelm avait utilisé le terme grec άρχέτυπον, mais dans un sens plus
général (M. T. Ciceronis Aratea, cum variis lectionibus..., Turici, 1837), comme l'indique
S. Timpanaro, op. cit., p. 52, n. 3.
2. P. Maas, Textkritik, Leipzig, 1927, 3e éd., 1956, § 8 e.
3. G. Pasquali, Storia délia tradizione e critica del testo, Firenze, 1934, p. 195 (le mot
est donné entre guillemets.)
4. Pour le manuscrit F de Platon (Vindobonensis suppl. gr. 39), du xme-xive siècle,
voir la belle démonstration d'E. R. Dodds et C. H. Roberts, qui estiment que le modèle
est un codex de papyrus bon marché, comptant trente lignes à la page et trente-huit lettres
en moyenne à la ligne, copié au cours du nie siècle de notre ère (Plato, Gorgias. A Revised
Text... by E. R. Dodds, Oxford, 1959, pp. 45-47).
5. R. D. Dawe, The Collation and Investigation of Manuscripts of Aeschylus, Cambridge,
1964 (Chapter vi : The Concept of an Archetype) ; Id., Studies on the Text of Sophocles,
Leiden, 1973, 2 vol. (volume I, Chapter one : The Stemma).
6. A. Turyn, The Manuscript Tradition of the Tragedies of Aeschylus, New York, 1943 ;
Id., Studies in the Manuscript Tradition of the Tragedies of Sophocles, Urbana, 1952 ; Id.,
The Byzantine Manuscript Tradition of the Tragedies of Euripides, Urbana, 1957.
QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE CONCEPT D'ARCHETYPE 237

les témoins des recensions commentées du temps des premiers Paléologues,


parues entre 1280 et 1330 et prolongées ultérieurement par des travaux
secondaires. Ainsi pouvait-il proposer aux éditeurs un certain nombre de
manuscrits récents représentant la tradition ancienne, tout en les mettant
en garde contre des témoins utilisés dans les éditions imprimées antérieures
et où il avait décelé la trace d'interpolations byzantines. Il allait même
plus loin, en distinguant deux classes parmi les témoins récents de la
tradition ancienne d'Eschyle, et trois classes, rattachées à deux familles plus
anciennes, parmi ceux de Sophocle. Si certains détails pouvaient prêter à
discussion, l'essentiel passait pour acquis et les principes mêmes de la
classification, fondée sur la méthode des fautes communes, ne donnaient
pas prise à la critique.
Mais voici que R. D. Dawe, avec une ferveur d'iconoclaste, vient
démolir, dans deux ouvrages successifs1, la construction patiemment édifiée
par A. Turyn : il n'en reste pas pierre sur pierre, à ses yeux du moins 2.
Estimant que des leçons anciennes ou des variantes erronées remontant à
des leçons anciennes se rencontrent dans un seul manuscrit, cette
observation valant à tour de rôle pour chacun des manuscrits, et considérant
que toutes ces leçons sont manifestement, comme il dit, héritées, c'est-à-
dire transmises par la tradition et non survenues à la suite d'une correction
ou d'une erreur3, il en conclut, pour Eschyle, que l'archétype des
manuscrits est quelque chose au sujet de quoi nous ne savons pratiquement rien,
et que, pour les éditeurs de ce poète, reconnaître leur ignorance sera le
commencement de toute sagesse 4. Intitulé « Le stemma », le premier
chapitre de son livre sur Sophocle aboutit à des conclusions aussi décevantes :
R. D. Dawe y conteste le principe du stemma, même tempéré par la
contamination, et juge que chaque détail de celui qu'avait établi A. Turyn est
faux, à, l'exception des rapports des deux plus anciens témoins, le Lauren-
tianus 32, 9 (L) et le palimpseste de Leyde (B. P. G. 60 A), tous deux du
milieu du xe siècle δ.
Je ne me propose pas de discuter ici l'argumentation de R. D. Dawe ;
je l'ai fait ailleurs 6. Il me suffira de dire que l'estime qu'il porte à, des
variantes isolées et l'importance qu'il leur accorde paraissent démesurées 7.
Mais sa thèse nous invite à, considérer de plus près le concept d'archétype
et à rechercher quelle réalité historique il recouvre.

1. Voir la note 5 de la page précédente.


2. « Of the edifice [le classement d'A. Turyn] with which we began there is now scarcely
one stone left standing upon another » (Studies on the Text of Sophocles, vol. I, p. 34).
3. The Collation and Investigation..., p. 151.
4. Ibid., p. 161.
5. Studies on the Text of Sophocles, vol. I, p. 34.
6. Pour Eschyle, dans la Rev. des Et. Ane, t. 68, 1966, pp. 135-138 ; pour Sophocle,
dans Gnomon (à paraître).
1. C'est aussi l'avis de N. G. Wilson, dans un compte rendu du Journal of Hellenic
Studies, t. 96, 1976, pp. 171-176.
238 jean irigoin

1. Archétype et plus proche commun ancêtre de la tradition.


Dans la conception traditionnelle, l'archétype offre un caractère
accidentel ou aléatoire, qui tient aux hasards de la transmission du texte et
fait que, pour un même auteur, l'archétype d'une œuvre sera du xine ou
du xive siècle, alors que celui d'une autre remontera à la fin de l'antiquité.
A mesure que l'histoire des textes s'est développée, nous faisant connaître
un certain nombre d'étapes de la tradition par lesquelles tous les textes
antiques sont passés, il a paru utile, puis nécessaire, de distinguer le
manuscrit reconstitué, au-delà duquel les témoins conservés ne permettent pas
de remonter, et le véritable archétype, qui est, selon la définition d'A. Dain,
« le plus ancien témoin de la tradition où le texte d'un auteur se trouve
consigné dans la forme qui nous a été transmise s1. Du coup, ce qu'on
appelait jusqu'alors archétype n'est plus que le plus proche commun
ancêtre de la tradition, « fruit du hasard..., copie, directe ou indirecte, de
l'archétype, tantôt très rapprochée de lui, tantôt très lointaine »2. Il s'agit
là non pas simplement d'un changement de terminologie, mais d'un
changement de perspective : au classement des manuscrits, tâche technique aux
résultats abstraits, l'histoire des textes offre mieux qu'un cadre, un
véritable réseau chronologique à l'intérieur duquel les pièces du classement
viennent prendre place, acquérant ainsi consistance et réalité.
En établissant une distinction, et donc en introduisant une distance,
entre l'archétype ainsi conçu et l'archétype traditionnel, devenu le plus
proche commun ancêtre de la tradition, A. Dain évitait d'attribuer à
l'archétype, dans son état originel, des changements de tout genre
(notamment des fautes de copie, des gloses, des variantes issues de la
collation avec une autre source, etc.) survenus seulement dans l'un de ses
descendants, le plus proche commun ancêtre de la tradition. Mais en même
temps, en accord avec sa définition, A. Dain affirmait que « s'il y a plusieurs
formes de la tradition, il y a évidemment plusieurs archétypes »3. Dans
son Histoire du texte tfÉlien le Tacticien (1946), il admet ainsi deux
archétypes, celui qui est le résultat d'une recension du ive ou Ve siècle, et
l'archétype de la recension interpolée, issue de ce premier archétype. Suivant
son exemple, j'ai été amené, pour Pindare, à considérer que l'édition des
Épinicies, choix de quatre livres fait parmi les dix-sept de l'édition
alexandrine, était un archétype, tout comme les deux recensions qui en sont issues
et par rapport auxquelles la première joue le rôle d'un préarchétype4.
Il semble qu'il y ait là une difficulté due non pas à une mauvaise
interprétation des faits, mais à la pauvreté de la terminologie. En tout cas, pour
un théoricien rigoureux comme P. Maas, il ne peut y avoir qu'un seul
archétype au sens traditionnel du mot 5 ; et il semble qu'on ait avantage à le
lui concéder aussi pour l'archétype au sens de Dain. L'usage de termes

1. A. Dain, Les manuscrits. 3e éd., Paris, 1975, p. 108.


2. Ibid., p. 122.
3. Ibid., pp. 108-109.
4. Histoire du texte de Pindare, Paris, 1952.
5. Textkrilik, § 5 (avec un avertissement daté de 1956).
QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE CONCEPT D'ARCHÉTYPE 239

comme recension ou édition permettrait de pallier la difficulté.


L'important est de disposer de deux jeux de termes, concernant l'un les grandes
réalités de l'histoire des textes, l'autre les faits schématisés dans le stemma,
afin d'éviter toute interférence entre eux et d'écarter ainsi toute
équivoque 1.

2. Les manuscrits a archétypes multiples.


Depuis un siècle, les découvertes papyrologiques nous ont permis de
mieux mesurer, pour le domaine grec, que seule une petite partie du
patrimoine littéraire de l'antiquité nous est parvenue. Que n'a-t-on pas écrit
sur l'indifférence ou la négligence des Byzantins qui ont laissé se perdre de
tels trésors? Nos manuscrits médiévaux ne témoignent-ils pas, à leur
manière, de ces amputations successives au terme desquelles ne subsiste,
de toute la production dramatique d'un Eschyle ou d'un Sophocle, qu'un
choix de sept tragédies, bientôt réduites à, trois — la triade byzantine — ,


puis à, deux, sinon une seule? Et que dire des traités médicaux des Écoles
de Gnide et de Cos, réunis en une ample collection qui est allée s'amenuisant
au cours des siècles? Cette vue traditionnelle doit, pour une large part,
être retournée. C'est l'Antiquité elle-même qui, par accident, par manque
d'intérêt ou à la suite d'un choix délibéré, a laissé se perdre une grande
partie de son patrimoine littéraire. Et, à, partir du ixe siècle dans l'empire
byzantin, un peu plus tôt en Occident, c'est l'effort patient et continu de
générations d'érucüts qui a rassemblé et sauvé de la destruction des textes
épars, un effort qui dure jusqu'au début du xive siècle2 et qui sera relayé,
d'une tout autre manière, par les humanistes de la Renaissance. Certes,
quelques disparitions se sont produites entre le ixe et le xve siècle, mais,
pour les œuvres antiques, elles présentent le plus souvent un caractère
accidentel.
Pour qui envisage les faits de cette manière, l'archétype traditionnel
aussi bien que l'archétype de Dain courent le risque de perdre une partie
de leur réalité, comme le montrent les faits suivants, extraits d'une foule
d'exemples.
Nous ne possédons d'Eschyle qu'un manuscrit ancien, le Laurentianus
32, 9 (M), copié selon toute vraisemblance à Constantinople vers le milieu
du xe siècle. Ce témoin contient sept tragédies, les trois qui constituent la
triade dite byzantine (Prométhée, Sept contre Thebes, Perses), la trilogie de
POrestie (Agamemnon, Choéphores, Euménides) et les Suppliantes. Mais
l'ordre des pièces est inattendu : Perses, Agamemnon, Choéphores,
Prométhée, Euménides, Sept contre Thèbes, Suppliantes ; la triade byzantine

1. G. Pasquali a bien vu le risque de confusion entraîné par une terminologie unique,


comme il le dit dans sa recension du livre de Dain, Les manuscrits, parue dans Gnomon,
t. 23, 1951, pp. 233-242, et reproduite en appendice aux rééditions de Storia délia tradizione
e critica del testo, depuis celle de 1952, aux pp. 469-480 (la remarque en question se trouve
p. 477).
2. La période qui va de 1280 à 1330 est particulièrement active. Il suffit de citer,
entre autres exemples, l'Anthologie de Maxime Planude et la collection des œuvres de
Plutarque due au même moine érudit, ainsi que la série des neuf pièces « alphabétiques »
d'Euripide, pour la sauvegarde desquelles Demetrios Triclinios a joué un rôle capital.
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est dissociée, la dernière tragédie de l'Orestie est séparée des deux premières.
De plus, la qualité du texte — son état de conservation — varie d'une

·
pièce à, l'autre. On sait notamment le grand nombre des fautes, dues à une
mauvaise transcription de l'écriture onciale (ou majuscule) en minuscule,
qui déparent le texte des Suppliantes ; les attribuer à la lassitude et à. la
négligence du copiste arrivant à la fin de sa tâche, comme on l'a suggéré1,
est une solution peu vraisemblable : un copiste de métier, tel celui du Lau-
rentianus, fait son travail avec une égale application tout au long du livre,
sans hâte ni négligence particulières quand il en voit arriver le terme. A
l'intérieur de POrestie, on constate que les Choéphores offrent un texte plus
corrompu que celui des deux autres tragédies. De ces faits, il ressort que le
Laurentianus rassemble des éléments disparates, recueillis sous une forme
qui nous échappe encore, mais remontant sans aucun doute à des livres en
forme de rouleaux, des volumina de papyrus, portant chacun une tragédie
et rassemblés dans un ordre qui nous paraît aberrant lors de leur
transcription sur un livre en forme de codex. Il est probable que la collection eschy-
léenne ne s'est pas constituée d'un coup et qu'elle a été ultérieurement
élargie par l'addition d'une septième tragédie, les Suppliantes. A quel
état de la collection pourrait donc s'appliquer le terme d'archétype, dans
l'un ou l'autre des sens envisagés? Ne conviendrait -il pas plutôt d'examiner
la question pour chaque pièce indépendamment, quitte à constituer
ensuite de petits groupes?
Des traités hippocratiques nous possédons deux grandes collections
médiévales, représentées par le Mardanus gr. 269 (M), du milieu du
xe siècle, et le Vaticanus gr. 276 (F), de la fin du xne siècle. Considérés
traditionnellement comme les restes d'une édition antique issue des
travaux d'Artémidore Capiton et de Dioscoride, au ne siècle de notre ère 2,
ces deux manuscrits sont en réalité un agrégat fait d'éléments d'origine
diverse. C. D. Lienau a eu le mérite de découvrir, en 1963, que le Vaticanus,
par suite de l'inattention d'un de ses copistes, offre deux fois le traité de la
Superfétation dans deux translitérations différentes, prouvant ainsi le
caractère composite du recueil3. Quant au Mardanus, j'ai montré ici
même4 qu'il est issu du rassemblement de collections mineures
complémentaires, dont trois nous sont parvenues directement. Tout récemment,
J. Jouanna a poussé plus loin l'analyse des témoins médiévaux en se fon-

1. Ainsi P. Mazon, Eschyle, t. I, p. xx : « Les Suppliantes..., pièce... qui a paru sans


doute la plus difficile à la fois et la moins intéressante aux Byzantins qui avaient déjà
transcrit les six autres. Leur travail témoigne d'une lassitude et d'une négligence extrêmes. Il
se peut aussi que les dernières pages de leur modèle fussent effacées ou déchirées ».
2. Par exemple I. Ilberg dans Hippocratis opera éd. H. Kuehlewein, t. I, Lipsiae,
1894, pp. L et lvi-lvii.
3. G. D. Lienau, Die hippokratische Schrift Περί έπικυήσιος — De superfetatione.
Ausgabe und kritische Bemerkungen, Diss. Kiel, 1963.
4. Tradition manuscrite et histoire du texte. Quelques problèmes relatifs à la Collection
hippocratique, in Rev. Hist. Textes, t. 3, 1973, pp. 1-13 ; voir aussi L'Hippocrate du cardinal
Bessarion (Marcianus gr. 269 [533]), in Miscellanea Marciana di Studi Bessarionei, Padova,
1976, pp. 161-174.
QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE CONCEPT D'ARCHÉTYPE 241
dant sur l'examen des réclames — à peine amorcé par d'autres philologues


ces dernières années 1 — pour aboutir à des conclusions importantes sur les
ordres anciens de succession des traites, l'histoire du devenir du corpus et
son incidence sur la composition de certains traités 2.
Même des recueils dont l'homogénéité paraît évidente — tel celui des
dialogues de Platon rassemblés, suivant le classement tétralogique attribué
à Thrasylle, dans le fameux manuscrit copié pour Aréthas de Gésarée en
895 {Bodleianus Clarke 39) — se révèlent à l'examen moins uniformes
qu'on ne le croirait. C'est ainsi que, dans ce livre, le Cratyle et le Banquet,
séparés par quelque cent vingt folios, se trouvent pourvus, et eux seuls,
d'une stichométrie marginale alphabétique telle qu'on la rencontre dans
quelques papyrus antiques de prosateurs et de poètes. Sous une apparence
uniforme, le texte du Clarkianus manifeste ainsi, d'une façon discrète,
son caractère hétérogène, confirmant la disparate que certains éditeurs
avaient remarquée en passant d'un dialogue à l'autre. La présence spora-
dique d'une stichométrie se constate chez d'autres prosateurs. Dans le
plus ancien manuscrit d'Isocrate, YUrbinas gr. ill, du ixe-xe siècle, seul
le Bousiris est pourvu d'une souscription stichométrique en notation acro-
phonique. Pour Hérodote, quatre livres sur neuf (les couples IV et V,
VIT! et IX) présentent une telle souscription. Les discours de Démosthène
sont assez régulièrement suivis de souscriptions stichométriques dans
plusieurs des manuscrits anciens. Ces faits, comme les précédents, montrent
que les témoins d'époque byzantine, même les plus anciens, ont peu de
chances de reproduire fidèlement un modèle antique dont ils seraient
comme l'image. Le caractère composite de beaucoup d'entre eux ne fait
pas de doute. Aussi j'inclinerais à attribuer cet effort tenté pour rassembler
des éléments d'origine disparate, non pas à l'antiquité finissante, mais au
premier humanisme byzantin3.
Constate-t-on une évolution parallèle, avec une certaine avance, en
Occident? Je suis trop incompétent pour oser l'affirmer. De plus, les
conditions sociales et culturelles sont fort différentes. Je me contenterai donc de
citer, à titre d'exemple et sans prendre parti sur un éventuel parallélisme,
une étude récente de L. Holtz, où l'auteur montre que le Parisinus lat. 7530,
copié au Mont-Cassin dans la seconde moitié du vine siècle, témoigne d'un
effort comparable pour former, à partir d'éléments divers, ce qu'il appelle
une « synthèse cassinienne des arts libéraux »4.
Sans aller jusqu'à parler de désintégration de l'archétype, force est de
constater que la conception de Dain, dans nombre de cas, tend à. simplifier
ou à schématiser une suite de faits plus complexe. Le résultat est peu

1. L. Canfora, Conservazione e perdita dei classici, Padova, 1974, pp. 14-16 ; A. Diller,
The Textual Tradition of Strabo's Geography, Amsterdam, 1975, pp. 29-30 (pour Strabon)
et p. 30, n. 8 (pour divers auteurs).
2. J. Jouanna, Remarques sur les réclames dans la tradition hippocratique. Analyse
arrhéologique du texte des manuscrits, in. Ktema, t. 2, 1977, pp. 381-396.
3. Formule que j'emprunte au titre du beau livre de P. Lemerle (Paris, 1971).
4. L. Holtz, Le Parisinus Latinus 7530, synthèse cassinienne des arts libéraux, in Studi
Medievali, 3e série, t. 16, 1975, pp. 97-152 et 2 pi.
16
242 JEAN IRIGOIN

satisfaisant pour l'esprit, à première vue. Mais, à, la réflexion, le philologue


dispose là d'un moyen d'analyser les plus anciens manuscrits médiévaux
pour y distinguer des séries de strates qui, comme en géologie, témoignent
de leur formation et nous permettent d'en retracer l'histoire.

3. Archétype et contamination, ou transmission verticale et


transmission horizontale.
De ces remarques critiques sur la notion d'archétype, il ne faudrait pas
déduire qu'il est vain de classer les manuscrits ou que cet exercice est sans
portée, sans prise sur le réel. Une démonstration éclatante en est donnée
par quantité d'articles récents. Et, pour me limiter à, ceux qu'a publiés
cette revue, il suffit de citer celui de F. Vian sur La recension « Cretoise »
des « Argonautiques » d1 Apollonios1 ou l'étude de P. Petitmengin sur
Cinq manuscrits de saint Cyprien et leur ancêtre2 pour en faire la preuve dans
deux domaines bien différents.
Toutefois, à en croire R. D. Dawe aux critiques de qui je reviens,
l'effort gigantesque qu'A. Turyn a fait pour les tragiques est non seulement
inutile, mais même nuisible, puisque, selon lui, de bonnes leçons peuvent se
rencontrer dans n'importe quel manuscrit 3. A quoi bon tenter un
classement, alors qu'on peut, comme une abeille, faire son miel en volant d'un
manuscrit à l'autre? Le vieux mirage de l'éclectisme reprend force. Certes,
ce n'est pas, pour R. D. Dawe, UDe solution de facilité, puisqu'elle exige
qu'on collationne tous les manuscrits d'un auteur, même les plus récents ;
et il suffit de consulter le travail qu'il a fait sur les manuscrits de la triade
d'Eschyle 4 comme sur ceux de la triade de Sophocle 5 pour être convaincu
qu'il ne répugne pas à la tâche. Mais c'est une solution qui témoigne d'une
forte dose d'hybris chez celui qui l'adopte : il doit être assez sûr de lui pour
déterminer, dans chaque lieu variant, les leçons que l'auteur aurait pu
employer, et pour choisir parmi elles celle que, selon lui, l'auteur a utilisée.
Loin d'être guidé ou gêné par le classement des manuscrits, par ce que
certains nomment le fétichisme du stemma, l'éditeur retrouve une liberté
souveraine. On pouvait croire cette solution dépassée. R. D. Dawe nous
montre qu'il n'en est rien.
Cependant, pour qui a l'expérience des manuscrits, pour qui constate
dans chaque copie successive l'intrusion de nouvelles fautes, et, d'une
copie à l'autre, leur passage au deuxième puis au troisième degré6, une
position éclectique, fondée sur le principe de la transmission horizontale
généralisée, paraît insoutenable. Non qu'il faille nier la redoutable
contamination ni la pratique de la collation, mais considérer que le procédé est

1. Rev. Hist. Textes, t. 2, 1972, pp. 171-195.


2. Ibid., pp. 197-230 et pi. xm-xvi.
3. « The phenomenon of unique preservations in single isolated codices » [The Collation
and Investigation..., pp. 156-157).
4. Ibid., pp. 195-344.
5. Studies on the Text of Sophocles, vol. 2.
6. A. Dain, Les manuscrits, p. 47.
QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE CONCEPT D'ARCHÉTYPE 243

général et constant, admettre que, par ce biais, des leçons authentiques


peuvent réapparaître sporadiquement n'importe où et à n'importe quel
moment, c'est faire fi des acquis de l'histoire des textes et tirer des
conséquences extrêmes de faits bien connus, mais limités. Le devoir du critique,
lorsqu'il rencontre des traces de contamination, n'est pas de jeter le manche
après la cognée. Sans se laisser égarer par des rapprochements superficiels
et contradictoires, il doit s'efforcer, par tous les moyens dont disposent sa
science et son ingéniosité, de retrouver, par dessous, les constantes de la
tradition « verticale ». C'est à, ce prix, et à ce prix seulement, qu'il pourra
déterminer la réalité, et éventuellement l'ampleur, d'une transmission
horizontale. Il n'est pas question de nier les faits relevés par R. D. Dawe,
mais il ne faut pas non plus leur accorder une importance privilégiée ni
les étendre à toutes les périodes de l'histoire des textes.
Ce n'est pas un hasard si, pour les tragiques, les faits allégués par
R. D. Dawe apparaissent tous après le milieu du xine siècle, au temps de
la renaissance qui se manifeste sous les premiers Paléologues, à un moment
où l'on commence à corriger fortement les textes antiques, comme on le
fera durant la Renaissance occidentale. Il ne faut pas sous-estimer les
capacités des érudits byzantins. A Constantinople, les corrections apportées
par Maxime Planude aux épigrammes de V Anthologie quand il constitue
son recueil sont bien connues ; le même savant n'hésite pas à composer des
passages entiers en hexamètres pour les substituer aux vers, en nombre
équivalent, où Aratos lui semble avoir commis des erreurs d'ordre
astronomique1. A Thessalonique, les travaux de Demetrios Triclinios sur les
tragiques sont assez remarquables pour lui avoir valu d'être nommé par
Wilamowitz le premier en date des critiques modernes 2. C'est dans le cercle
des amis et élèves de Triclinios que sont composés des passages entiers de
tragédies, comme la fin â'Iphigénie à Aulis, ou même de véritables
pastiches, comme le prologue de la pseudo-Danaé d'Euripide ou les essais en
vers et en prose de Jean Catrarès3. Tous ces faits sont connus, mais on
n'en a pas tiré toutes les conséquences qui en découlent.
Un exemple latin un peu plus récent apporte des précisions
complémentaires. La tradition de Festus Aviénus est réduite à trois témoins :
un manuscrit du xe siècle, fort mutilé, le Vindobonensis Palat. 107, qui
donne les vers 1-1581 des Àratea ; un manuscrit du xve siècle, V Ambrosianus
D 52 inf., presque complet s'il n'y manquait YOra marítima ; l'édition
princeps, parue à Venise en 1488, seul témoin complet reproduisant un
manuscrit aujourd'hui disparu. Au terme d'une démonstration rigoureuse,

1. J. Martin Histoire du texte des Phénomènes d'Aratos, Paris, 1956, pp. 247-255 ;
l'autographe de Planude, c'est-à-dire le manuscrit corrigé de sa main, a été retrouvé
récemment à la bibliothèque d'Edimbourg (I. G. Cunningham, dans Scriptorium, t. 24, 1970,
pp. 367-368 [Ado. MS. 18.7.15] et pi. 24).
2. U. von Wilamowitz-Moellendorff, Einleitung in die griechische Tragôdie,
Berlin, 1889, p. 195.
3. Voir notamment sur ce dernier G. de Andrés, J. Irigoin et W. Hôrandner, Johannes
Katrares und seine dramatisch-poetische Produktion, in Jahrb. d. Osterreich. Byzantinistik,
t. 23, 1974, pp. 201-214 et 1 pi.
244 JEAN IRIGOIN

J. Soubiran, dans un article récent 1, conclut que le manuscrit du xve siècle


est une copie directe — les faits allégués n'admettent pas d'autre
interprétation — du manuscrit du xe siècle déjà détérioré, mais moins mutilé qu'il
ne l'est devenu. Cette copie est l'œuvre d'un scribe qui corrige
inlassablement, met les graphies en accord avec l'usage du temps, détecte les lacunes,
qu'il comble ou signale par un blanc, etc. Jusqu'à J. Soubiran, la plupart
des éditeurs considéraient que les deux manuscrits descendaient d'un
modèle commun en minuscule anglo-saxonne ; rares étaient ceux qui, à
la suite de P. von Winterfeld 2, estimaient que le plus récent descendait du
premier par l'intermédiaire d'une copie perdue, en mauvais état ; J.
Soubiran donne en partie raison à ces derniers, en démontrant que la filiation
est directe, sans intermédiaire. L'une des conclusions qu'il tire de sa belle
découverte mérite d'être citée in extenso : « Un manuscrit du xve siècle,
œuvre d'un scribe humaniste, peut différer beaucoup de son modèle et la
méthode classique des fautes communes se trouver insuffisante pour
établir la filiation avec certitude. On se demandera donc si les stemmas qui
multiplient intermédiaires perdus et contaminations supposées pour
justifier en toute rigueur les particularités des recentiores ne compliquent pas,
en fait, une transmission plus simple et directe, mais que l'initiative des
copistes prive de maintes fautes caractéristiques au profit d'accords
fortuits entre manuscrits indépendants »3. A ces conséquences théoriques,
dont l'importance est capitale pour la critique des textes, il faut ajouter,
comme le fait J. Soubiran, une observation pratique : dans les cas de ce
genre, l'examen du manuscrit sur microfilm ou sur agrandissements
photographiques ne suffît pas et risque même de conduire à de graves erreurs ;
seule l'étude directe des manuscrits, comportant une analyse codicologique
détaillée, peut permettre à l'éditeur d'échapper au piège que lui tend, sans
penser à mal, le copiste érudit.
Certes, il ne faudrait pas croire que le vieil adage recentiores, deteriores
reprenne vigueur après la tentative de réhabilitation de Pasquali :
recentiores, non deteriores4^. Les manuscrits de la fin du xine siècle, du xive,
du xve ou du xvie siècle peuvent fort bien être des copies récentes et fidèles
de modèles très anciens. Parmi les nombreux exemples qui mériteraient
d'être cités, je me contenterai de rappeler le cas du Vindobonensis phil.
gr. 37 de Xénophon, un manuscrit de la première moitié du xvie siècle,
qui représente, pour Y Art de la chasse et d'autres œuvres mineures, une
tradition plus ancienne que celle dont sont issus les témoins des xme
et xive siècles. Mais de là à croire que tous les scribes de cette période
reproduisent leur modèle avec la fidélité que les copistes plus anciens

1. J. Soubiran, Sur les deux manuscrits d'Aviénus, in Rev. de Philol., N. S., t. 49, 1975,
pp. 217-226.
2. P. von Winterfeld, De Rufi Festi Avieni metaphrasi Arateorum recensenda et
emendenda, Diss. Berlin, 1895, pp. 3-5.
3. Art. cit., p. 225.
4. C'est le titre du troisième chapitre de son livre Sloria délia tradizione e critica del
testo, cité à la note 3 de la p. 236.
QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE CONCEPT D'ARCHETYPE 245

regardaient comme le premier de leurs devoirs, la distance est grande.


A cet égard, on ne saurait trop insister sur un fait, bien connu des
paléographes, mais dont les critiques des textes ne semblent pas avoir
discerné la portée : le développement, depuis le milieu du xine siècle, des
écritures d'érudits, qui se substituent progressivement aux écritures
stéréotypées des copistes de profession. Ce n'est pas seulement un phénomène
graphique. Devant une œuvre à transcrire, l'érudit a des réactions
personnelles qu'il traduit immédiatement dans sa copie, à la différence du scribe
professionnel, qui reproduit aussi fidèlement qu'il peut, sans chercher à
en comprendre le sens, un texte qu'il déchiffre mot après mot.

* * *

Inspirées par les vigoureuses attaques de R. D. Dawe contre le


principe même du classement des manuscrits, ces réflexions ne visaient pas à,
traiter dans sa totalité un sujet d'une telle importance. A propos du
concept d'archétype, bien d'autres aspects du problème auraient pu être
évoqués, notamment la question de l'opposition entre tradition ouverte
et tradition fermée, sur laquelle il faudra revenir un jour. Pour l'instant,
il m'a semblé nécessaire, au risque de paraître rappeler des vérités premières,
de montrer les dangers d'une terminologie unique appliquée à deux séries de
faits d'ordre différent, de faire apparaître la complexité de phénomènes
généralement considérés comme simples, et de mettre en évidence la fausseté
de toute solution qui privilégie abusivement une des données du problème
au lieu de rendre compte de l'ensemble d'entre elles.
Jean Irigoin.

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