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Guillaume Budé
Axelos Kostas. Les lignes de force de la spiritualité byzantine (Esquisse). In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°3,
octobre 1957. pp. 3-20;
doi : 10.3406/bude.1957.3795
http://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1957_num_1_3_3795
(Esquisse)
i. Cf. aussi mes notes sur « la philosophie byzantine >> {Revue d'iiistoire et de
philosophie religieuses, n° 2, 1952) et sur « l'art byzantin » {La vie intellectuelle, n° 1,
1955) ; la première fut écrite en marge du livre de B. Tatakis, La philosophie
byzantine, P. U. F., 1950, auquel l'article présent emprunte également certains
matériaux ; la seconde à propos du livre d'A. Gkabar, La peinture byzantine, Skira,
1953-
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îation rigidement systématique, et demeurons ouverts à l'égard
de toutes les grandes ouvertures —• religieuses, poétiques,
philosophiques — tout en ne fermant pas les yeux à leurs différences si
essentielles. Et essayons pour le moment d'entendre les voix
spécifiques des Byzantins pensants et priants — priants plus que
pensants.
Prolongeant certaines lignes de la pensée païenne grecque,
ayant reçu l'illumination de la révélation judéo-chrétienne, ayant
derrière lui les Pères grecs de l'Église, se situant sur une terre
non-occidentale, l'effort byzantin se déploie et vise la saisie du
monde créé, visant en tout premier lieu le salut des créatures. Le
monde est saisi comme étant une manifestation de l'être de la
totalité, du Créateur premier et absolu dominant toutes les créa-
turcs, et foudroyant cette créature glorieuse et misérable qu'est
l'homme, étant, créé à l'image de Dieu. Le Dieu byzantin est un
Dieu assoiffé de plénitude, et les croyants sont pris dans un étrange
réseau où la mystique nourrit et tue ceux qui cherchent à
connaître Dieu. Pouvons-nous faire resurgir, sans aucunement
vouloir être exhaustifs, certaines figures de la spiritualité
byzantine ? Mais pouvons-nous communiquer encore avec la tension
de ceux qui aspiraient à la connaissance de Dieu, n'entendant
certes pas la connaissance et le divin comme nous l'entendons,
— ou ne l'entendons pas ? Et savons-nous quel est le sens d'une
telle entreprise, en admettant qu'il puisse ne pas être purement
« historique » ou même « théologique » ?
I. La théologie et la mystique.
2,. Philocalie, p. t?,?,. — Les textes mystique.", que nous avons sont contenus
dan» la Petite Philoccdie Je la Prière du Ctrur (trad. IV., Cahiers du Sud, Pari:., îQS.O,
recueil rassemblant des textes et des notices se rapportant à la pratique et à la
théologie mystiques de l'Église d'Orient. Cette anthologie, grâce à la traduction
slavonne, joua un très grand rôle dans la vie spirituelle des moines russes.
Ce grand confesseur reprend aussi, et prolonge, la christologic
de Léonce et devient l'initiateur, par la voie de Jean Scot Éri-
gène, de la spéculation mystique de l'Occident, notamment de
la mystique allemande du xive siècle, grâce à son effort pour
comprendre le rythme mystique qui unit l'homme doué de corps
et d'âme et d'esprit à l'univers, rythme dominé par « celui qui
dépasse tout ».
6. La plupart des textes des auteurs byzantins se trouvent ensevelis dans les
160 volumes de la Patrologie grecque de l'abbé Mtcjniî et attendent leurs leeteurs ;
un incendie détruisit le tome 161 au moment où il sortait des presses et ainsi ce
recueil n'est pas complet. Mais comment s'orienter dans cette épaisse forêt ?
Tous ces textes soulèvent des questions : les questions par exemple que me posait
Alexandre Koyrf, dans une lettre du 25 juillet 195 2, demeurent posées et demandent
une réponse, fut-elle problématique ; pourtant la réponse n'est pas facile à donner.
L'historien de la pensée religieuse et de la pensée scientifique m'écrivait : « Si l'on
s'en tenait à ce. que vous dites on concilierait que la philosophie byzantine se
manifeste surtout par son absence, étant à peu près entièrement absorbée dans la
religion, la mystique et la théologie. Le problème intéressant serait justement de
savoir: à) comment et pourquoi l'Occident (et l'Islam) ont élaboré, bien que
dans le cadre d'une foi, îles doctrines philosophiques et que liyzance ne l'a pas
fait ? b) pourquoi l'Occident (et l'Islam) ont pris pour base de leur spéculation
Aristote (néoplatonisé sans doute, mais tout de même assez aristotélicien) et que
l'Orient, malgré Léonce, l'a rejette ? c) qu'est devmu le stoïcisme dans cette
affaire ? Il est tout île même curieux qu'une civilisation qui parle le grec et a donc
accès à tous les textes de l'antiquité n'en fasse rien. Si c'est la théologie — et a
religion — qui a tué lu philosophie (comme dans l'I.slani) c'est là un phénomène
d'une importance capitale. Mais alors il faudrait dire ouvertement : la philosophie
en tant que telle n'a pas de place à Byzance. La pensée byzantine (ou orientale) est
théologique ; les Pseudo-Denys, les Grégoire, Jean Damascène, Maxime, etc.,
— voilà ses représentants authentiques ».
déploie sa force (et sa faiblesse) en tant que gnose cherchant le
salut ? Quant à la question : quel est le rapport entre les dieux
païens, le Dieu judéo-chrétien et la problématique divinité
métaphysique ? Celle-ci, une fois encore, ne peut recevoir de réponse.
Gardons ouvert l'espace et le temps de toutes ces questions et
évitons les réponses qui clôturent tout débat, les solutions qui
posent une pierre tombale sur le problème ; au lieu de donner des
« réponses » qui en finissent avec l'interrogation essayons dans le
cas de la spiritualité byzantine — mais non pas seulement dans ce
cas — de nous tenir à égale distance des questions gratuites et
des réponses qui bouchent l'horizon. Car seules les voix qui vont
dans le sens de la voie de l'avenir ont un sens percutant.
Sur le plan philologique, historique, sociologique,
psychologique ou théologique plusieurs remarques seraient à faire sans
que leur signification porte nécessairement loin. Relevons-en
cependant quelques-unes d'ordre « philosophique ». Est à noter
l'absence des Présocratiques dans l'univers de la spéculation
byzantine ; elle dédaigna l'éclair de l'origine et s'attacha à la
dernière phase de la pensée grecque, aux courants hellénistiques et
finissants (principalement au néoplatonisme des commentateurs
de Plotin) ; le byzantinisme se rencontre par conséquent avec
l'alexandrinisme, le relaie en quelque sorte, et se situe d'emblée
dans ce qui n'est pas originel. Le destin qui frappe Platon et
Aristote se résume très schématiquement ainsi : l'un se trouva
néoplatonisé et l'autre fut méconnu. Quoiqu'il y eut des contacts
entre la pensée arabe et la pensée byzantine, ces contacts ne
profitèrent en tout cas pas à l'aristotclismc byzantin. Quant aux trois
« ismes » — stoïcisme, épicurisme, scepticisme — il est
compréhensible qu'ils ne touchaient pas l'aspiration byzantine ; en
revanche, nous pourrions, peut-être, déceler un certain écho
cynique dans les voix byzantines, — un « cynisme sanctifié.
Faut-il souligner que les Byzantins ne possédaient guère un
sens très prononcé de l'interrogation, le goût de la mise en
question, la passion du problématique ? Trop de réponses ne
faisaient pas pour eux problème : la coïncidence des desseins de la
Providence divine et de la prédestination avec les actes (ou les
non-actes) de la liberté humaine ne les embarrassa pas. Il ne
s'agit certes pas de couler la spiritualité byzantine dans des
moules occidentaux ; nous risquerions alors de ne plus
comprendre du tout la spécificité de la voie byzantine : pour elle,
par exemple, la grâce est considérée comme étant pour ainsi dire
intrinsèque à la nature humaine et ne se situe pas dans la
dimension de l'accession. La compréhension byzantine de la prière
(7rpo<T£u/Y]), notamment de la prière du cœur, demande aussi à
être bien saisie : la prière est essentiellement une oraison contem-
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