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L’Enseignement de Ptahhotep

Bernard MATHIEU
CNRS - UMR 5140
« Archéologie des Sociétés méditerranéennes »
Université Montpellier 3 Paul-Valéry
[© B. Mathieu, mise à jour février 2013]

« Le texte littéraire égyptien le plus difficile à traduire » (G. Jéquier), mais aussi — et cela
explique sans doute cela — « œuvre fondatrice de la culture classique dans l’Égypte
pharaonique » (P. Vernus), l’Enseignement de Ptahhotep fut la sagesse de référence tout au
long de l’histoire égyptienne, au moins jusqu’à la rédaction de l’Enseignement d’Any. Une
hypothèse séduisante, formulée par l’égyptologue allemand J. Osing, suggère en effet que
l’Enseignement de Ptahhotep, devenu difficile à comprendre avec l’évolution de la syntaxe et
du lexique, aurait été remplacé, dans sa fonction pédagogique et moralisatrice, par
l’Enseignement d’Any, à la fin de la XIXe dynastie, ce dernier étant lui-même remplacé à la
XXIIe dynastie par l’Enseignement d’Amenémopé. Quoi qu’il en soit, plusieurs sources
ramessides découvertes dans le village des artisans de Deir al-Médîna prouvent que Ptahhotep
était toujours appris et recopié par les lettrés de cette époque, bien qu’agrémenté de gloses et
d’interpolations plus ou moins pertinentes visant à interpréter certains passages devenus
obscurs avec le temps.

Comme l’Enseignement d’Imhotep, l’Enseignement de Kaïrsou (Enseignement loyaliste) ou


l’Enseignement de Hordjédef, l’Enseignement de Ptahhotep est un texte pseudépigraphe,
c’est-à-dire attribué fictivement à un grand personnage du passé ayant vécu bien avant la date
de composition effective de l’œuvre. Celle-ci remonte sans doute au début de la XIIe
dynastie 1.

On peut relever en effet plusieurs points de contact entre l’Enseignement et des textes à peu
près contemporains qui le cite expressément, comme par exemple l’inscription du héraut
Amény datant du règne de Sésostris Ier 2. Un distique de l’exorde (« le grand âge est venu, la
vieillesse est tombée, la déchéance est là, la sénescence avance ») est repris assez fidèlement
dans les Aventures de Sinouhé (« la vieillesse est arrivée, la décrépitude m’a assailli »),
rédigées également au début du règne de Sésostris Ier. Un écho de la Maxime 16 (« Si tu es un
dirigeant, montre-toi aimable quand tu auditionnes la déposition d’un plaignant ; ne le renvoie
pas tant qu’il n’a pas déchargé son cœur de ce qu’il avait prévu de te dire ») figure dans
l’autobiographie de Montouhotep, un nomarque d’Hermonthis (Ermant) du début de la XIIe
dynastie : « J’étais quelqu’un de bien disposé à l’égard du plaignant jusqu’à ce qu’il ait dit ce
pourquoi il était venu » 3, ou dans celle de Sarenpout I dans sa chapelle de Koubbet al-Haoua
(Assouan) : « je n’ai pas renvoyé le plaignant » 4. Le dernier vers de la Maxime 17

1
. Sur la datation de la rédaction du texte, voir notamment E. EICHLER, ZÄS 128, 2001, p. 97-107.
2
. 19,7-8 ; cf. P. VERNUS, GöttMisz 147, 1995, p. 103-109.
3
. Stèle UCL 14333, l. 14.
4
. Urk. VII, 5, 3.
(« n’obtient-il pas le succès en toute entreprise ? ») est repris textuellement à la fin de la
première stance de la section didactique de l’Enseignement loyaliste, composé sans doute
sous Sésostris Ier.

L’auteur présumé est un vizir de Djedkarê-Isési, l’avant-dernier roi de la Ve dynastie. Ce haut


dignitaire, nommé Ptahhotep (« Ptah est en paix »), fut révéré après sa mort comme un
intercesseur éminent entre les hommes et les dieux, et sa chapelle funéraire, située à Saqqâra
non loin du complexe de Djéser et de sa pyramide à degrés, devait être l’un des monuments
les plus célèbres et les plus visités de la nécropole memphite 5, raison pour laquelle, sans
doute, on vit en lui un candidat idéal à la paternité fictive d’une œuvre morale.

L’Enseignement de Ptahhotep est connu principalement par le « papyrus Prisse », un


manuscrit probablement acheté par Prisse d’Avennes à Thèbes en 1843, et conservé à la
Bibliothèque nationale de Paris 6, que l’on considère, à juste titre, comme la « version
majeure ». Les autres sources recensées à ce jour sont les suivantes : un papyrus du Moyen
Empire 7, deux papyrus du Nouvel Empire 8, une tablette de l’époque hyksôs 9, et trois ostraca
de l’époque ramesside 10. L’édition du texte doit dorénavant tenir compte des remarques
épigraphiques de M. Panov 11 ; les sources originales, en effet, se présentent sous forme
d’écriture cursive hiératique, comme il est de règle pour les compositions littéraires, et la
transcription hiéroglyphique communément utilisée méritait d’être révisée par endroits.

Le locuteur est le vizir Ptahhotep lui-même, qui sollicite du roi la possibilité de transmettre sa
charge à son fils, avant de délivrer à ce dernier des règles de vie en société ; cette parole du
père à son fils forme le cadre discursif codifié dans lequel s’inscrit, avec parfois quelques
variations, le genre sapiential égyptien.

La composition débute par un joli prologue, vrai morceau de rhétorique sur le thème de la
décrépitude de l’âge. Après un second intitulé, Ptahhotep condamne dans un avertissement
liminaire tout comportement élitiste et prétentieux susceptible d’engendrer une « fracture
sociale ». Faire de cet avertissement initial la première maxime de l’enseignement, comme on
le considère généralement, conduit à en sous-estimer la portée : en trois distiques
sémantiquement parallèles, Ptahhotep condamne a priori l’arrogance qui pourrait naître dans
l’esprit de celui qui sait ou croit savoir. Cette mise en garde liminaire colore l’ensemble de
l’œuvre, c’est-à-dire les deux grandes parties qui la constituent.

5
. Cf. P. VERNUS , dans Orientalia Monspeliensia IX/2, 1997, p. 437-438. Il s’agit en réalité d’un complexe
familial (mastabas D 62 et D 64) où l’on peut distinguer plusieurs Ptahhotep appartenant à différentes
générations. Voir A. MARIETTE, Mast. D 62 (« Ptahhotep I ») ; N. de G. DAVIES, The Mastaba of Ptahhetep
and Akhethetep at Saqqareh II, London, 1901 (Akhethotep, fils de « Ptahhotep I » et « Ptahhotep II ») ;
M.A. MURRAY, Saqqara Mastabas I, Egyptian Research Account, London, 1905, pl. 8-17 ; Kl. BAER, Rank
and Title in the Old Kingdom, Chicago, 1960, p. 74-75.
6
. G. JÉQUIER, Le Papyrus Prisse et ses variantes, Paris, 1911, p. 4-19 et pl. II-X.
7
. P. British Museum 10371 et 10435 : ibid., pl. XI-XV.
8
. P. British Museum 10509 ; R.A. CAMINOS , Literary Fragments in the Hieratic Script, 1956, pl. 28-30 ;
P. Turin CG 54014 : P. V ERNUS, CRIPEL 18, 1996, p. 119-140 et pl. 1 ; Gli artisti del Faraone. Deir el-
Medina e le Valli dei Re e delle Regine (Torino), Electa, Milan, 2003, p. 199, n° 163.
9
. Tablette Carnarvon I = Caire JE 41790, v° ; G. JÉQUIER, op. cit., pl. XV.
10
. O. DeM 1232, 1233, 1234 : G.POSENER, DFIFAO XVIII/3, 1972, p. 34 et pl. 58-58a.
11
. GöttMisz 213, 2007, p. 39-57 ; GöttMisz 218, 2008, p. 107-109.
La première partie est formée de trente-six « maximes » qui sont autant d’« actualisations de
la maât », comme le dit le texte lui-même : Si tu écoutes les propos que je t’ai tenus, chacun
de tes desseins sera porté en avant ; les actualisations de la maât (sp mæc.t) qui s’y trouvent,
c’est la richesse qu’ils apportent 12. La seconde partie, en six sections, est un long
développement sur les vertus de l’écoute et de la précision. Dans sa conclusion, en quatre
quatrains, Ptahhotep précise à son fils que pratiquer la maât implique d’aller au-delà même de
ce qu’on nous a enseigné, ajout capital, qui entre dans le cadre de ce que P. Vernus nomme
judicieusement « l’impératif de surpassement » 13.

La fortune exceptionnelle qu’a connue dans l’Égypte ancienne l’Enseignement de Ptahhotep


se mesure au nombre impressionnant de citations et de références dans la littérature
postérieure 14.

Les quatre premières lignes de l’Enseignement de Ptahhotep (Papyrus Prisse)

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12
. 15,8-9.
13
. Essai sur la conscience de l’histoire dans l’Égypte pharaonique, H. Champion, Paris, 1995.
14
. Voir notamment H. BRUNNER, dans OBO 28, 1979, p. 105-170 ; W. GUGLIELMI, WeltOr XIV, 1983, p. 157-
158 ; H.-W. FISCHER-ELFERT, GöttMisz 143, 1994, p. 45-46 ; P. VERNUS, GöttMisz 147, 1995, p. 103-109 ;
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(Titre)

(4,1)Enseignement du maire et vizir Ptahhotep du temps de la majesté du roi de Haute


et Basse-Égypte Isési (en vie pour toujours et à jamais). Le maire et vizir Ptahhotep
parle.

(Prologue)

« Souverain, mon seigneur,


le grand âge est venu, la vieillesse est tombée 15,
la déchéance est là, la sénescence avance,
celui qui reste couché à cause d’elle retombe en enfance chaque jour 16.
La vue a baissé, l’ouïe est dure,
la vigueur disparaît à force de fatigue.
La bouche est silencieuse, incapable de parler,
(5,1) l’esprit est absent, incapable de se souvenir d’hier.
Les os sont constamment douloureux.
Le bien s’est changé en mal,
et toute appétence s’en est allée.
Ce que fait la vieillesse aux hommes :
du mal en toute chose.
Le nez est bloqué, incapable de respirer,
et le moindre mouvement, une épreuve 17.
Qu’on ordonne au serviteur que je suis de faire un “bâton de vieillesse” 18 :
je pourrai ainsi lui transmettre les propos de ceux qui ont écouté,
les avis des ancêtres qui jadis écoutaient les dieux,
et on fera de même pour toi ;
on chassera les souffrances du peuple,
et les Deux Rives te serviront. »

La majesté de ce dieu 19 répondit :


« Enseigne-lui donc les paroles d’antan,
(5,5) qu’il serve ainsi de modèle aux enfants des grands !
L’écoute pénètrera en lui, toute droiture lui ayant été transmise,
car nul ne naît sage 20. »

15
. Rapprocher Sinouhé B 168-169 : jæw hæ=w wgg æs~n=f wj, la vieillesse est tombée, la déchéance m’a assailli.
16
. Je suis l’analyse de Fr. LACOMBE-UNAL, BIFAO 99, 1999, p. 285, n. 12.
17
. Tnw = jtnw.
18
. C’est-à-dire : « que Sa Majesté autorise mon fils à me succéder dans mes fonctions ». Sur le « bâton de
vieillesse », voir les références données par Fr. LACOMBE-UNAL, BIFAO 99, 1999, p. 286, n. 17.
19
. Le roi (Djedkarê-Isési) ; noter l’emploi du singulier « dieu » (n†r) pour désigner le roi, tandis que le pluriel
« dieux » (n†r.w) se réfère à l’instance divine. Rapprocher, dans l’autobiographie de Sarenpout I : « Je suis
sorti de ma cité, je suis descendu de mon nome, après avoir fait ce que louait mon [dieu] et ce que désiraient
tous mes dieux ».
20
. On pourrait traduire : « la sagesse (sææ) n’est pas innée ».
(Intitulé de l’Enseignement)

Début des vers (faits) de beau langage prononcés par le prince et gouverneur, père du
dieu et aimé du dieu, fils aîné royal de sa chair, le maire et vizir Ptahhotep, enseignant
aux ignorants l’apprentissage selon la norme du beau langage, chose bénéfique à qui
écoutera, mais préjudiciable à celui qui la transgressera.

(Avertissement liminaire)

Il s’adressa ainsi à son fils :

« Ne t’enorgueillis pas d’apprendre,


prends conseil de l’ignorant comme du savant.
On n’atteindra jamais les limites de l’art 21,
aucun artisan n’est muni de tout son potentiel (akhou).
22
(5,10) Le beau langage se dissimule plus encore que l’émeraude  ,
on peut le trouver jusque chez les servantes qui travaillent aux meules 23.

(Première partie)
24
(Maxime 1) 

Si tu rencontres un orateur à l’œuvre,


qui a plus de maîtrise et de qualité que toi,
incline-toi, courbe l’échine,
ne le défie pas : il lui sera impossible de se confronter à toi.
Tu rabaisseras celui qui parle à tort
21
. Seul un dieu — et par conséquent le pharaon, en sa qualité de n†r nfr « dieu parfait » — peut « atteindre les
limites » (jnj erw.w) ; l’homme en est incapable : voir, par exemple, dans l’hymne à Osiris de la stèle Louvre
C 286 (l. 10) : jn(w) erw.w wæ.w ew.t, (Osiris) qui a atteint (jusqu’aux) limites éloignées du mal ; dans le
Grand Hymne à Aton : ***, Tes rayons encerclent les pays jusqu’aux limites de toute ton œuvre. Étant Rê, tu
atteins leurs limites, de façon à les subjuguer pour ton fils aimé ; dans la stèle de Tombos de Thoutmosis Ier
(Urk. IV, 85, 7) : jn(=w) erw.w tæ Ìr ndb.wt=f, les limites de la terre entière ont été atteintes ; dans la stèle du
Gebel Barkal de Thoutmosis III (Urk. IV, 1229, 5) : jn(w) erw.w Ïæs.wt pÌ.w(t) sw, qui a atteint les limites
des contrées qui l’avaient attaqué ; ou encore dans l’Enseignement d’Amenemhat 2, 11 : jn~n=j erw ÍpÒ.t,
j’ai atteint la limite de la Grande Ourse. À noter toutefois, dans l’autobiographie de Djéhouty (TT 110, sous
Hatchepsout) : jn(w) erw.w jmæ.t mrw.t, « qui a atteint les limites du charme et de l’amour ». Le sens de
l’expression n’a pas été compris par J.M. GALÁN, Victory and Border. Terminology related to Egyptian
Imperialism in the XVIIIth Dynasty, HÄB 40, 1995, p. 128-132 (« The expression in drw “to bring in the
limits” » ).
22
. Litt. « pierre verte » (wæe) ; la traduction « émeraude » (exploitée durant le Moyen Empire au Djebel Zabarah,
entre Coptos et Bérénice, mines redécouvertes par Fr. Cailliaud en 1816) semble préférable à « malachite »
ou « turquoise », minéraux moins rares. D.A. WARBURTON, « Text, Translation, Lexicography, & Society »,
LingAeg 15, 2007, p. 264-269, propose « jade ».
23
. C’est-à-dire au plus bas de l’échelle sociale ; voir P. VERNUS , Sagesses de l’Égypte pharaonique, 2010,
p. 172.
24
. Les trois premières maximes forment un ensemble. Trois situations se présentent, qui ne concernent pas le
statut social de l’« orateur » (eæjsw) rencontré relativement à celui du fils de Ptahhotep, contrairement à ce
que l’on a cru parfois. Il s’agit plutôt du degré de compétence de l’orateur en question et de la manière dont il
en use.
en ne l’affrontant pas quand il est à l’œuvre ;
il passera pour un complet ignorant 25
quand ta retenue aura été confrontée à sa faconde.

(Maxime 2)

Si tu rencontres un orateur à l’œuvre,


qui est ton égal, à ta main,
tu dois faire prévaloir ta qualité sur la sienne par le silence,
quand il se livre à de mauvais propos.
Grand sera le désaveu de la part de l’auditoire,
et ton renom irréprochable à la connaissance des grands 26.

(Maxime 3)

(6,1) Si tu rencontres un orateur à l’œuvre,


(d’un talent) inférieur, et non ton égal,
ne te montre pas arrogant envers lui sous le prétexte de sa faiblesse,
abandonne-le et il se punira lui-même.
Ne lui réponds pas pour soulager ta conscience,
ne comble pas les vœux de celui qui te fait face,
— il est déplacé de démolir l’inférieur 27 —
et l’on agira selon tes vœux.
Tu le frapperas par la punition que (lui) infligeront les grands.

(Maxime 4)

Si tu es en position de dirigeant 28,
prescrivant des avis à la foule,
cherche donc toutes les solutions adaptées
pour rendre ton avis irréprochable.
(6,5) Maât est vénérable et d’un effet durable,
elle est imperturbable depuis le temps d’Osiris 29.
On punit celui qui néglige les lois,
c’est ce que néglige l’homme cupide.
C’est la bassesse qui prend la richesse,

25
. Litt. « il sera dit de lui que c’est un ignorant des choses ».
26
. Noter la composition circulaire (« grand » — « grands ») de ce distique.
27
. Litt. « C’est pénible, celui qui détruit le faible ».
28
. Trois maximes débutent ainsi : 4, 15 et 16.
29
 Rapprocher, dans les Textes des Pyramides : Ïc(=w) Wsjr wcb(=w) SÏm qæ(=w) nb mæc.t r tpj rnp.t nb rnp.t,
Osiris est apparu, le Puissant est purifié, le seigneur de maât s’est élevé au premier jour de l’année, le
seigneur de l’année (§ 1520a-b [TP 577]). La graphie inattendue du théonyme « Osiris » ( au lieu

de ), que le rédacteur de la version L2 a manifestement interprétée comme signifiant « Celui qui l’a

créée » ( ), prouve que l’on voulait délibérément établir un lien entre « Osiris » (Wsjr < s.t-jr.t ?),
« celui qui a créé la place / le trône » (jrw s.t), et « celui qui a créé la maât » (jrw mæc.t > jrw s.y).
mais la vilénie n’est jamais parvenue à bon port.
On dit :“Je veux acquérir par moi-même”,
on ne dit pas : “Je veux acquérir par ma fonction”.
La fin venue, seule la maât perdure,
et l’on ne pourra point dire : “C’est mon patrimoine !” 30.

(Maxime 5)

Tu ne te livreras pas à des intrigues,


ou le dieu 31 punira comme il se doit.
On dit : “Je vais en vivre”,
mais on manque de pain à cause d’une formule 32.
On dit : “Je vais avoir le pouvoir”,
on dit :“Je vais acquérir pour être reconnu”,
on dit : “Je veux spolier autrui”,
puis on finit par tout laisser à un inconnu 33.
Les intrigues (6,10) n’ont jamais abouti,
car c’est l’ordre du dieu qui se réalise.
Songe à vivre dans le contentement,
car ce qu’ils 34 accordent vient naturellement.

(Maxime 6)

Si tu fais partie de ceux qui s’asseoient


à la table d’un plus grand que toi,
prends ce qu’il donnera et qui se trouvera sous tes yeux 35,
tu regarderas ce qui est devant toi.
Ne le transperce pas (7,1) de regards insistants :
c’est l’abomination du ka 36 que de le gêner.
Ne lui parle pas jusqu’à ce qu’il se soit adressé à toi,
car on ne peut pressentir ce qui est mal perçu ;
tu ne parleras que lorsqu’il t’aura interrogé
et ce que tu diras sera bien perçu.
Un grand, quand il s’occupe de la nourriture,
son avis se conforme à ce qu’exige son ka ;
il donnera à son favori,
car c’est “l’avis de la nuit” qui sera advenu 37.

30
 Jeu de mots entre la négation enclitique archaïsante w et le composé rare w-jt, « patrimoine » : ed w s w-jt=j
pw. Sur cette négation : Fr. KAMMERZELL, « Die altägyptische Negation w », LingAeg 3, 1993, p. 17-32.
31
. Le roi.
32
. La formule funéraire rituelle qui ne sera pas prononcée en faveur du défunt condamné par le tribunal d’Osiris.
33
. Les biens du défunt condamné seront transférés à d’autres qu’aux membres de sa famille, sur ordre du roi.
34
. Les dieux.
35
. Litt. « devant ton nez ».
36
. Le terme ka a ici une acception différente de ses emplois en contexte funéraire, où il désigne les
représentations du défunt en tant que supports du culte. Il s’agit de ce qui constitue l’individualité, la
personnalité, avec le « patrimoine génétique » (voir Maxime 11), qui se transmet de génération en
génération ; voir également P. VERNUS, Sagesses de l’Égypte pharaonique, 2001, p. 119-120, n. 88.
C’est le ka qui tend les bras,
le grand donne quand l’homme ne peut atteindre ;
s’alimenter 38 dépend de l’avis du dieu :
ignorant qui s’en plaindrait 39.

(Maxime 7)

Si tu es un homme de confiance,
qu’un grand envoie à un (autre) grand,
fais preuve d’une parfaite exactitude quand il t’envoie
et remplis pour lui la mission comme il le demande 40.
Garde-toi de médire avec une parole
qui puisse créér la zizanie entre un grand et un autre.
Maintiens la maât, ne l’outrepasse pas,
on ne fait pas rapport en assouvissant ses désirs.
Ne diffame personne,
grand ou petit, (7,5) car c’est l’abomination du ka.

(Maxime 8)

Si tu sèmes, que cela a poussé dans le champ,


et que le dieu fasse fructifier ton travail,
ne va pas t’en repaître près de ton entourage,
car grand est ce que peut faire la retenue de l’homme silencieux.
Qui sait contrôler sa nature tout en ayant du bien,
il l’emporte comme un crocodile dans l’assemblée 41.
Et ne dédaigne pas qui n’a pas eu d’enfant,
ne montre à ce sujet ni mépris ni orgueil :
il existe maints pères qui sont dans la détresse,
et la mère accouchée voit plus heureuse qu’elle 42.
C’est un être humain seul que promeut le dieu,
on peut posséder une tribu et lui être asservi 43.

(Maxime 9)

Si tu es d’humble condition 44, sers un homme de qualité,

37
. L’activité cérébrale étant soumise, la nuit, à la volonté divine, par le biais des rêves et du sommeil « bon
conseiller », le dignitaire prendra finalement la décision qui s’impose à lui. P. Vernus a très justement décelé
dans ce processus une préfiguration de notre conception moderne de l’inconscient.
38
. Litt. « manger du pain ».
39
. Le verbe cncj est certainement lié étymologiquement à jcn, « se plaindre », « grogner » (comme un babouin !).
40
. Rapprocher, dans l’Enseignement de Khéty, X, 3 : Si un notable t’envoie en mission, parle comme il a parlé.
— N’en enlève rien, n’y ajoute rien.
41
. Je ne retiens pas la proposition de S.I. KANG, ZÄS 135, 2008, p. 183-184 : « should he seize, he would be like
a crocodile in the court of magistrates », qui me semble mal convenir au nb qdw, « celui qui contrôle (sa)
nature ».
42
. Litt. « et la mère qui a enfanté, une autre sera plus heureuse qu’elle ».
43
. Litt. « Un possesseur de tribu, elle pourra réclamer son service ».
ta conduite sera toujours bonne 45 auprès du dieu ;
si tu as appris sa condition modeste passée,
tu ne montreras pas d’orgueil envers lui.
Pour ce que tu as appris de sa situation passée,
respecte-le en fonction de ce qui lui est advenu 46 ;
le bien ne vient pas naturellement,
car c’est (l’effet de) leur loi pour celui qu’ils aiment (mérérou) 47.
L’opulence, il l’a constituée de lui-même,
mais c’est le dieu qui a fait sa qualité,
tout en veillant sur lui durant son sommeil 48.

(Maxime 10)

Suis ta volonté 49 le temps de ton existence,


mais n’ajoute pas à ce qui est dicté ;
ne réduis pas le temps (passé) à suivre la volonté,
car c’est l’abomination du ka que de briser son essor.
N’épargne pas un moment (7,10) de la journée
pour ajouter à la fondation de ta maison ;
le bien n’échoit que lorsqu’on suit sa volonté,
point de profit matériel quand on est indolent.

(Maxime 11)

Si tu es un homme de qualité,
tu feras un fils par la grâce du dieu.
S’il fait preuve d’exactitude, qu’il sert ton image
et qu’il prend soin de ton bien comme il convient 50,
procure-lui tout le bien-être possible,
car c’est ton fils, qui relève de la procréation de ton ka 51.
Tu ne détacheras pas de lui ton attention :
44
. R.B. Parkinson note à juste titre que ce cas de figure convient mal au fils d’un vizir, indice de la portée plus
générale de l’Enseignement (Poetry and Culture in Middle Kingdom Egypt, London, New York, 2002,
p. 257).
45
. Litt. « toute ta conduite sera bonne ».
46
. Ce système protase-apodose n’a pas été vu jusqu’ici ; cette analyse permet d’éviter une redondance peu
plausible de la part de l’auteur de l’Enseignement (« si tu as appris sa condition modeste passée, veuille ne
pas montrer d’orgueil envers lui à cause de ce que tu as appris de sa situation passée »).
47
. Les dieux accordent la réussite à ceux qu’il chérissent.
48
. Litt. « quand il est couché » ; c’est la première apparition, dans la littérature égyptienne, du thème du roi
veillant la nuit sur ses sujets, développé dans les hymnes à Sésostris III.
49
. Malgré l’étude de D. LORTON (« The expression Òms jb », JARCE 7, 1968, p. 41-54 ; « A note on the
expression Òms jb », JARCE 8, 1969-1970, p. 55-57), le sens exact de l’expression « suivre sa conscience / sa
volonté » reste sujet à discussion.
50
. Litt. « à la place qui est la sienne ».
51
. Cette conception génétique transparaît dans certains noms propres égyptiens : Kæ(=j)-jr-sw, Kaïrsou, litt.
« C’est mon ka qui l’a engendré » ; Gm~n=j-kæ(=j), Gemnikaï, litt. « J’ai reconnu mon ka ». Comparer aussi
WÌm~n(=j)-kæ(=j), Ouhemnikaï, litt. « J’ai renouvelé mon ka » ; Jy-kæ(=j), Iykaï, litt. « Mon ka est venu »,
etc. Sur les noms propres formé avec kæ à l’Ancien Empire, cf. S. RZEPKA, « The Pseudo-Groups of the Old
Kingdom – A New Interpretation », SAK 23, 1996, p. 341-342.
la semence peut engendrer le conflit.
Mais s’il s’égare et transgresse ton avis,
après s’être rebellé contre toute parole,
que sa bouche profère des mots indécents,
tu le rétribueras de tous ses propos,
car celui qui te tient tête est un être qu’ils 52 ont honni (khébed),
53
(8,1) c’est un être frappé de disgrâce (sédjeb) dès la naissance  .
Celui qu’ils guident n’erre point,
mais celui qu’ils privent de bateau ne trouve aucun moyen de traverser 54.

(Maxime 12)

Si tu es dans l’antichambre 55,
comporte-toi selon ton rang ;
ce qui t’a été assigné au premier jour,
ne l’outrepasse pas au risque de te faire refouler.
Un homme averti est celui qui entre à l’appel,
considérable est la position de celui qui est demandé.
L’antichambre (8,5) est régie par un règlement,
chaque avis est conforme à une étiquette 56.
C’est le dieu qui fait avancer la position,
on n’a jamais promu 57 ceux qui ont joué des coudes.

52
. Les dieux.
53
. Litt. « dans le ventre » (de sa mère). Sur l’expression m È.t, « dès la naissance », rapprocher, dans l’Hommage
du médecin Nyânkh-Sekhmet à Sahourê (stèle Caire CG 1482) : d~n n=f n†r sjæ Ï.t m È.t, le dieu lui a octroyé
la connaissance des choses dès la naissance.
54
. De même, dans les textes funéraires, le défunt doit avoir une embarcation à sa disposition : ce N traversera
sur le bac vénérable sans qu’une rétribution n’y soit prise (Pyr. § 334b [TP 262]).
L’opposition entre les deux fils est reprise indirectement dans la célèbre stèle de Semna de Sésostris III : Tout
mien fils qui consolidera cette frontière qu’a fixée Ma Majesté, ce sera mon fils, c’est pour Ma Majesté qu’il
sera enfanté, image d’un fils protecteur de son père, qui consolide la frontière de qui l’a engendré. Mais
celui qui la perdra, ou qui ne se battra pas pour elle, ce ne sera pas mon fils, ce n’est pas pour moi qu’il sera
enfanté.
Cette maxime suggère en arrière-plan un aspect de la conception égyptienne de la génétique humaine : le fils
obéissant est bien issu du ka de son père. Il fait partie de ceux qui sont « chéris, aimés » (mrrw.w) ou
« favorisés, loués » (Ìssy.w) des dieux, tandis que le fils rebelle, condamné dans le ventre (È.t) de sa mère, in
utero, est « haï » (msddw), « honni » (Ïbd) et frappé de « disgrâce » (sdbj). Rapprocher, en 16, 6-7 : mrrw-n†r
pw sem(w) n sem~n msddw-n†r, celui qui écoute est un aimé du dieu, tandis que le haï du dieu n’écoute pas.
Une théorie comparable de la génétique et de la prédestination se retrouve, dans le monde sémitique, dans les
Hadiths du Coran (traditions relatives aux actes et paroles du Prophète) ; cf. L’Authentique d’al-Bukhârî 2,
Maison d’Enour, Paris, 2007, p. 594, n° 3208 (voir le document joint) ; L’Authentique d’Al-Bukhârî (810-870
apr. J-C.) est considéré par les Sunnites comme le recueil le plus fiable après le Coran. Sur les concepts de
destin et de prédestination en Égypte, voir en particulier S. MORENZ , Untersuchungen zur Rolle des
Schicksals in der ägyptischen Religion, Berlin, 1960 ; J. QUAEGEBEUR, Le dieu égyptien Shaï dans la religion
et l’onomastique, OLA 2, 1975 ; Fr.T. MIOSI, « God, Fate and Free Will in Egyptian Wisdom Literature »,
dans Studies in Philology in honour of R.J. Williams, Toronto, 1982, p. 69-111.
55
. Litt. « dans le portique » (où se tiennent les audiences).
56
. Cf. A. DUNE, Wepwawet 1, 1985, p. 7-8.
57
. La lecture jrrw plutôt que jr=tw que propose M. PANOV (GöttMisz 213, 2007, p. 45) ne s’impose pas, d’autant
qu’elle est grammaticalement problématique.
(Maxime 13)

Si tu es avec des gens,


gagne les partisans d’un homme réfléchi,
un homme réfléchi
qui ne soit pas l’esclave de ce que lui dictent ses pulsions (khet) 58.
On devient un dirigeant par soi-même,
le nanti se demandant : “Quel serait son avis ?”.
Ton renom sera parfait, sans diffamation,
ton corps bien nourri et ton attention tournée vers ton entourage,
et l’on vantera tes mérites à ton insu.
L’homme qui obéit à ses pulsions
suscitera la contestation (8,10) au lieu de l’affection,
son esprit est stérile 59 et son corps sec.
Considérable est la volonté de ceux que le dieu a dotés ;
Celui qui obéit à ses pulsions, il appartient à l’Adversaire 60.

(Maxime 14)

Fais rapport sur tes directives sans divagation 61,


range ton avis au jugement de ton seigneur.
Si le messager est disert quand son seigneur dit “non”,
déplaisant de sa part est jugé le rapport 62.
Il ne sera pas rétorqué : “Mais au juste ? Je veux savoir”,
(ou bien) c’est le grand pris par ses affaires qui s’égare 63 ;
et s’il songe à le punir pour cela,
le messager doit se taire et s’en tenir à : « J’ai dit (ce que j’avais à dire) ».

(Maxime 15)

Si tu es en position de dirigeant,
libre (9,1) de tes avis et de tes ordres,
tu dois agir de manière calculée,
en ayant pensé aux jours suivants.

58
. Les Égyptiens formulent explicitement, on le voit, la distinction entre la pensée rationnelle et l’élan
émotionnel, entre la réflexion et les pulsions.
59
. En admettant, avec P. Vernus, un phénomène d’haplographie : jb=f <f>æk=w Ìcw=f Èsæ=w.
60
. Transparaît peut-être ici la conception selon laquelle il existe, dès la naissance, pour chaque individu, une
prédisposition « horienne » ou « séthienne ». C’est ce que confirmera plus tard la « clef des songes »
ramesside du Papyrus Chester Beatty III (P. BM 10683), qui distingue soigneusement les rêves des suivants
d’Horus de ceux des acolytes de Seth.
61
. Litt. « sans perdre conscience ».
62
. Litt. « S’il (le messager ?) est disert quand il (= le seigneur ?) dit “non”, c’est déplaisant de la part du
messager, le rapport ».
63
. Si le seigneur demande des commentaires de la part du messager, c’est lui le fautif, oubliant la discrétion qui
est de mise. Bien que son analyse de la particule soit judicieuse, je ne suis pas l’interprétation de ce passage
par E. ORÉAL , Les particules en égyptien ancien. De l’ancien égyptien à l’égyptien classique, BiEtud 152,
2011, p. 36-37.
Une affaire n’a jamais abouti au milieu de louanges,
et comme surgit le crocodile survient le dédain.

(Maxime 16)

Si tu es en position de dirigeant,
montre-toi aimable quand tu auditionnes la déposition d’un plaignant ;
ne le rejette pas tant qu’il n’a pas déchargé son cœur
de ce qu’il avait prévu (9,5) de te dire 64.
La victime préfère (encore) s’épancher
plutôt que de voir traiter ce pour quoi elle est venue.
Celui qui procède au rejet des plaintes,
on dit de lui : “Mais pourquoi les refuse-t-il ?”
Rien de la plainte déposée auprès de lui ne doit-il aboutir,
celui qui auditionne comme il convient passe pour un homme poli.

(Maxime 17)

Si tu désires faire durer l’amitié


à l’intérieur d’une maison que tu fréquentes
en qualité de maître, frère ou ami,
à quelque endroit où tu aies accès,
garde-toi d’approcher des femmes :
(9,10) rien d’heureux ne peut résulter de leur commerce.
On perd la lucidité à les observer :
une foule d’hommes sont ainsi écartés 65 de leur intérêt.
Un bref instant, comparable à un rêve,
on gagne la mort à vouloir à le connaître.
C’est une vile maxime que “Tire l’Adversaire !” 66,
on évitera de l’appliquer quand la conscience y répugne ;
celui qui échappe à la convoitise en ce domaine,
n’obtient-il pas le succès en toute entreprise ?

(Maxime 18)

Si tu désires (10,1) que ton mode de vie soit heureux,


préserve-toi de tout mal ;
garde-toi de faire preuve de cupidité 67 :
c’est l’affection douloureuse d’un venin incurable.

64
. Corriger la transcription de Z. Zaba : m kæ.t~n=f ed n=k s.t ; cf. M. PANOV, GöttMisz 213, 2007, p. 45.
65
. « Écartés » (ngb), comme les vantaux d’une porte ; rapprocher ngbgb dans CT VII, 35o [TS 834] ; D. MEEKS,
AnLex 78.2267.
66
. Le verbe égyptien (s†j) signifie à la fois « harponner, transpercer (d’une flèche) » et « éjaculer » ; la langue
française, avec « tirer », autorise la même ambiguité !
67
. Sur le thème de la jalousie envieuse et de la jalousie possessive, voir désormais P. V ERNUS, « Jalousie des
dieux, jalousie des hommes dans l’Égypte pharaonique », dans E. Rouillard-Bonraisin (éd.), Jalousie des
dieux, jalousie des hommes, Homo Religiosus, série II, vol. 10, Brepols, 2011, p. 45-70.
Toute relation d’intimité en est compromise,
elle pervertit pères et mères,
ainsi que les frères de la mère 68,
elle prive la femme du mari.
C’est une collection de maux en tout genre,
c’est un amoncellement d’affres en tout genre 69.
L’homme ne perdure qu’en s’ajustant à la maât,
celui qui va à son allure,
(10,5) il doit y conformer son testament ;
pas de tombe, en revanche, pour le cupide.

(Maxime 19)

Ne te montre pas cupide dans les partages,


ne te montre pas avide, sauf pour ton dû 70.
Ne te montre pas cupide envers ton entourage,
car on honore davantage le conciliant 71 que l’intransigeant.
C’est un homme diminué que celui qui s’expose à son entourage,
car il se prive de compliments 72.
C’est un peu de cette sorte de cupidité
qui suffit à changer en querelleur un tempérament calme.

(Maxime 20)

Si tu es un homme de qualité et que tu fondes une maison 73,


tu chériras ta femme ardemment.
Emplis son ventre, habille son dos,
l’onguent est le soin de son corps.
(10,10) Comble-la le temps de ton existence,
car c’est un champ bénéfique à son maître.
Tu ne la répudieras pas 74, mais éloigne-la du pouvoir de sa séduction 75,
car c’est une tempête que son regard 76 ;

68
. Corriger la transcription de Z. Zaba : Ìnc snw.w n(y.w) mw.t ; M. PANOV, GöttMisz 213, 2007, p. 45.
69
. « Affres » (Ïbd.wt) ; l’Affreux (Íbe) est une désignation de l’adversaire du défunt dans les Textes des
Pyramides : j Íbe pw Ïbe-qd Ïbe-jrw, Ô cet Affreux, celui au caractère affreux, celui à la forme affreuse
(§ 296b [TP 255]).
70
. Pour la construction grammaticale, voir P. GRANDET, B. MATHIEU , Cours d’égyptien hiéroglyphique, éd.
Khéops, Paris, 2011, § 52.4.
71
. Corriger la transcription de Z. Zaba : sfw ; M. PANOV, GöttMisz 213, 2007, p. 45.
72
. Litt. « de l’apport des mots ».
73
. C’est-à-dire une famille. Même vers dans l’Enseignement de Hordjédef, qui pourrait bien être antérieur,
auquel cas l’Enseignement de Ptahhotep ferait ici une citation.
74
. Expression juridique ; lire probablement jm=k wec s(.y) (r-)ry.t.
75
. Je m’écarte des traductions traditionnelles, du type « éloigne-la du pouvoir et tiens-la docile » (P. VERNUS,
Sagesses de l’Égypte pharaonique, 2001, p. 93), qui ne me semblent pas rendre compte du contexte. La
présente maxime, en effet, doit être mise en relation avec la Maxime 17 ; il s’agit pour Ptahhotep de mettre en
garde son fils contre les risques que fait courir une femme mariée, que l’on soit dans la position de l’amant
adultère (Maxime 17) ou du mari trompé (Maxime 20).
c’est (le moyen de) la maintenir dans ta maison,
car si tu la repousses, elle sera (comme) de l’eau.
Une vulve, une fois livrée à elle-même,
on ne peut la conjurer qu’après qu’elle a fait un canal 77.

(Maxime 21) 78

(11,1)Satisfais tes proches de ce qui t’a échu,


car c’est à un favorisé du dieu que cela échoit ;
de celui qui manque à satisfaire ses proches,
on dit : “C’est un avare !” 79
On ne peut deviner l’avenir et discerner le lendemain 80 ;
c’est une personne (ka) juste que celle dont on est satisfait.
Quand se produisent des événements favorables,
ce sont les proches qui disent : “Bienvenue !” ;
on ne va pas chercher le réconfort au quai 81,
on va chercher les proches dans l’épreuve.

(Maxime 22)

(11,5)Tu n’enregistreras pas 82 d’affaire de calomnie,


alors que tu n’as pas auditionné
— c’est le comportement de qui est impulsif 83,
n’enregistre qu’une affaire avérée.
Impossible d’auditionner ? Abandonne, ne te prononce surtout pas,
observe ce qui est en face de toi, tâche de reconnaître la qualité !
On ordonne une instruction susceptible d’aboutir,
l’enquêteur l’affranchira de la haine en vertu de la loi 84.
C’est que l’affabulation est châtiée :
couvre-toi contre elle ! 85

(Maxime 23)

Si tu es un homme de qualité,

76
. Comparer, dans un chant d’amour du Nouvel Empire : « charmant est son regard » (P. Chester Beatty I, v° C
1, 2-3).
77
. En suivant la traduction de P. VERNUS, Sagesses de l’Égypte pharaonique, 2010, p. 174-175. L’idée générale
est : « Mieux vaut prévenir que guérir ».
78
. Commentaire récent par E. ORÉAL, RdE 59, 2008, p. 335-356.
79
. Litt. « C’est une personne (ka) avare ».
80
. Sentence voisine dans l’Enseignement pour Gemnikaï.
81
. Auprès des étrangers.
82
. Litt. « répéter » ; il faut ici donner à ce verbe un sens technique.
83
. Litt. « de celui dont le ventre (khet) est chaud » ; nouvelle opposition entre une conduite réfléchie et les élans
passionnels.
84
. Corriger la transcription de Z. Zaba : m msd.t ; M. PANOV , GöttMisz 213, 2007, p. 45. La traduction de ce
distique est conjecturale ; le sens semble être le suivant : seules les affaires fondées sur des témoignages
crédibles doivent être instruites, car l’enquête aura tôt fait de révéler les mensonges.
85
. Litt. « habille-toi en ce qui la concerne ».
siégeant au conseil de son seigneur,
concentre ton esprit 86 sur la qualité ;
tu te tairas, (11,10) c’est plus bénéfique que des fioritures 87.
tu ne t’exprimeras qu’après avoir compris que tu avais l’explication,
car seul l’expert doit s’exprimer au conseil.
Discourir est plus difficile que toute autre activité :
seul celui qui a l’explication peut le pratiquer 88.

(Maxime 24)

Si tu es un homme puissant, tu ne dois susciter la crainte


que par le savoir et la sérénité du langage.
N’ordonne pas de ton propre chef, mais en fonction de la situation :
celui qui invective verse dans l’injustice 89.
(12,1) Ne te montre pas hautain pour éviter d’être humilié,
ne reste pas silencieux, mais garde-toi d’offenser 90.
En réponse à un discours enflammé,
prends du recul et contrôle-toi ;
la flamme de l’échauffé est blessante,
tandis que celui qui est courtois, on se range à son avis 91.
Celui qui est acariâtre 92 la journée entière,
impossible qu’il passe de bons moments ;
celui qui est insouciant la journée entière,
impossible (12,5) qu’il fonde une maison.
Un tir est médité 93
comme est manié l’aviron de gouverne ;
une affaire doit être abandonnée, l’autre saisie,
qui obéit à son (seul) désir est voué au regret 94.

(Maxime 25)

Ne t’interpose pas quand un grand est à l’œuvre,


n’irrite pas celui qui est dans son rôle 95 ;
cela provoquerait sa disgrâce (sédébi) envers celui qui le combat
et le détachement de la personne (ka) de celui qu’il aimait.
Car il est un dispensateur de nourritures (kaou) ainsi que le dieu 96,

86
. Corriger la transcription de Z. Zaba : jb=k ; M. PANOV, GöttMisz 213, 2007, p. 45.
87
. La métaphore est celle de la végétation sauvage (tftf) qui pousse spontanément, sans contrôle.
88
. Litt. « le placer sur le bois » ; rapprocher le français « avoir du pain sur la planche ».
89
. Litt. « pénètre dans la faute ».
90
. À rapprocher peut-être du Ïn enregistré par D. MEEKS, AnLex 77.3092 (« dommage causé »).
91
. Litt. « sa route est empruntée ».
92
. La correction généralement proposée (G. BURKARD, ÄgAbh 34, 1977, P . 17 ; D. MEEKS , AnLex 77.1746 ;
P. VERNUS, Sagesses de l’Égypte pharaonique, 2001, p. 128, n. 181) de mnÒ en mnÒ-jb ne s’impose pas.
93
. Ou « le tir a été accompli » ?
94
. Ces quatre derniers vers sont d’interprétation difficile.
95
. Litt. « n’irrite pas l’esprit de celui qui est chargé ».
96
. Le grand partage avec le roi (« le dieu ») cette fonction nourricière.
ce qu’il désire, c’est ce qui doit être fait pour lui.
Tranquillise donc 97 après la fureur :
la satisfaction réside auprès de sa personne (ka) ;
la disgrâce (sédébi) réside auprès de l’Adversaire :
ce qui fait croître l’affection (mérout) sont des nourritures (kaou).

(Maxime 26)

Enseigne au grand ce qui lui est bénéfique,


98
(12,10) fais naître son emprise au milieu  des gens.
Tu feras que sa (propre) sagesse s’impose à son seigneur,
car ta subsistance sera auprès de sa personne (ka).
L’affection (mérout) engendrera la satisfaction,
ton dos en sera vêtu,
l’emprise du grand sur toi assurera la vie de ta maison,
auprès de ta dignité (future) 99, que tu aimes.
Ta maison restera vivante grâce à l’affection 100,
< si tu es un adjoint parfait >.
Et elle sera grâce à toi un auxiliaire parfait, également,
car il s’agit aussi de la durée de ta (propre) affection (mérout)
dans le cœur de ceux qui t’aiment ;
vois, c’est un (vrai) ka, celui qui aime obéir 101.

(Maxime 27)

(13,1)Si tu es un fils de bonne naissance 102 siégeant à l’assemblée,


un chargé de mission destiné à contenter la multitude,
élimine les pressions 103 des parties,
et quand tu te prononces, ne sois pas partial.
Prends garde qu’on ne dise ainsi son avis :
“Magistrats, il veut rendre justice avec partialité !”,
et que ton propre cas ne tourne au procès 104 !

(Maxime 28)

97
. Litt. « reforme donc le visage ».
98
. Corriger la transcription de Z. Zaba : m-Ìry-jb ; M. PANOV, GöttMisz 213, 2007, p. 46.
99
. C’est-à-dire de ton corps momifié.
100
. Litt. « Elle restera vivante grâce à lui »..
101
 Cette stance constitue une variation sur différents emplois du radical m r, « attachement, affection ».
L’affection (mérout) que porte un supérieur à son subordonné sera source de satisfaction matérielle pour ce
dernier, mais également pour toute sa famille. Ainsi, une fois mort, le subordonné inspirera un sentiment
d’amour chez ses descendants reconnaissants. La conclusion est que l’amour de l’obéissance est source de
bien-être pour soi-même et pour sa postérité.
102
. Litt. « le fils d’un homme ».
103
. Ou « apports, cadeaux » ? Le même mot (mæew.w / mædw.w) peut signifier « palanche » ; sur ce passage, voir
P. VERNUS, dans Orientalia Monspeliensia IX/2, 1997, p. 437-443.
104
. Le mot wec.t, « jugement, procès », est déterminé par les trois traits du pluriel, et non par deux, contra
Z. Zaba ; M. PANOV, GöttMisz 213, 2007, p. 46.
Si tu te montres indulgent en raison d’un événement passé,
et que tu penches pour un homme (13,5) en raison de sa droiture,
abandonne l’affaire 105, n’y pense plus,
puisque tu l’as acquitté au premier jour 106.

(Maxime 29)

Si tu grandis après avoir été humble,


et que tu acquiers du bien après avoir été naguère dans le besoin,
dans la cité que tu connais,
n’invoque pas ta situation antérieure.
Et ne sois pas (trop) fier de ta fortune,
car elle t’échoit grâce aux dons du dieu.
Tu n’es pas différent d’un autre de tes semblables,
à qui aurait échu semblable sort.

(Maxime 30)

Courbe 107 l’échine devant ton chef,


(13,10) ton directeur du domaine royal :
ta maison sera établie sur ses biens,
et ta rétribution sera appropriée.
Il est pénible d’avoir un opposant comme chef,
on ne vit que le temps de sa bienveillance ;
mais le bras ne peut frapper celui qui est prêt à se soumettre 108.
Ne vole pas (14,1) le domaine du voisin,
ne fais pas main basse sur le bien de ton prochain ;
qu’il ne dépose pas plainte contre toi avant que tu ne l’aies entendu,
c’est un défaut de conscience que d’être insatiable (?).
S’il en prend connaissance 109, il chicanera,
et il est pénible d’avoir un opposant à proximité.

(Maxime 31)

Tu ne coucheras pas avec un jeune efféminé 110


dont tu auras fait la connaissance,

105
. Litt. « passe à côté d’elle ».
106
. Litt. « puisqu’il se montre tranquille pour toi le premier jour ». Le sens de cette stance est le suivant : ne
poursuis pas un homme que tu as naguère innocenté.
107
. Corriger la transcription de Z. Zaba : Èms ; M. PANOV, GöttMisz 213, 2007, p. 46.
108
. Litt. « le bras (du chef) ne peut se plier pour (le subordonné) qui se découvrira ». Corriger la transcription de
Z. Zaba : n Ïæb~n ; M. PANOV, GöttMisz 213, 2007, p. 46.
109
. Corriger la transcription de Z. Zaba : jr rÏ(w)=f s.t ; M. PANOV, GöttMisz 213, 2007, p. 47.
110
. Litt. « une femme-enfant », un giton ; sur cette maxime mettant en garde contre la pédérastie, voir désormais
R.B. P ARKINSON , « Homosexual Desire and Middle Kingdom Literature », JEA 81, 1995, p. 68-70.
L’interprétation de Fr. K AMMERZELL , M.I. TORO R U E D A , LingAeg 11, 2003, p. 63-78, consistant à
comprendre « une femme ou un enfant », n’est pas convaincante.
(14,5) ce qui est défendu deviendra de l’eau pour son cœur 111,
car il n’est jamais de cesse à sa passion 112.
Il ne doit pas passer la nuit à faire ce qui est défendu,
car il ne cessera qu’après avoir épuisé son désir.

(Maxime 32)

Si tu enquêtes sur le comportement d’un ami 113,


n’interroge pas l’un de ses proches :
règle l’affaire avec lui seul,
jusqu’à ce que tu aies cessé de souffrir de son attitude.
Discute avec lui après avoir laissé passer du temps,
et sonde son esprit par le dialogue 114.
Si ce qu’il avait reconnu lui échappe
et qu’il commet un acte qui te fâche,
115
(14,10) garde-le comme ami là encore, ne te formalise pas  ,
abstiens-toi d’entrer en conflit avec lui.
Ne réponds pas de manière à occasionner une brouille,
ne te sépare pas de lui, ne le brime pas.
Son destin n’aura jamais manqué d’arriver,
car on n’échappe pas à celui qui l’a déterminé 116.

(Maxime 33)

Montre-toi prévenant le temps de ton existence ;


ce qui sort de la réserve ne peut y rentrer.
C’est le pain du partage (15,1) dont on doit être avide :
qui a le ventre vide est un accusateur.
L’opposant naît de celui qu’on rend indigent,
n’en fais pas un homme susceptible de t’atteindre,
car l’affabilité (imat) fait le souvenir qu’on conserve d’un homme
pour les années qui suivent la misère.

(Maxime 34)

Reconnais tes partisans et tu auras du bien,


n’adopte pas un comportement vil à l’égard de tes amis.
“C’est sa rive quand elle est emplie d’eau, plus importante que ses richesses” 117,

111
. C’est-à-dire une pratique pour lui nécessaire ? Une autre traduction serait : « alors que tu t’es rendu compte
de ce qui fait obstacle sur son gland (??) » (P. VERNUS, Sagesses de l’Égypte pharaonique, 2001, p. 102).
112
. Litt. « à ce qu’il a dans le ventre ».
113
. Litt. jr ecr(w)=k qdw n(y) Ïnms, « si tu sondes la nature d’un ami ».
114
. Litt. « agite son esprit par une occasion de discours ».
115
. Plus littéralement : « ne fais pas la tête ».
116
. Autre formulation du thème de la prédestination.
117
. Probablement une citation. Les partisans d’un homme, sur sa « rive », peuvent lui apporter plus encore qu’il
n’a.
le bien de l’un revient à l’autre.
Le comportement d’un fils de bonne naissance lui est bénéfique,
un bon naturel (15,5) assure le souvenir.

(Maxime 35)

Punis à propos, corrige comme il convient,


car réprimer la faute passe pour un comportement exemplaire.
Une sentence, si elle n’est pas à proportion du crime,
cela revient à changer le suppliant en opposant.

(Maxime 36)

Si tu as une femme bien ronde 118,


d’un caractère enjoué et bien connue de ses concitoyens,
elle suit la double loi (?) 119,
et le temps est agréable grâce à elle.
Ne la renvoie pas, donne-lui donc à manger :
l’enjouement confère l’abondance 120.

(Seconde partie)
(Première section) 121

Si tu écoutes les propos que je t’ai tenus 122,


chacun de tes desseins sera porté en avant ;
les actualisations de la maât qui s’y trouvent 123,
c’est la richesse qu’ils 124 apportent.
Leur évocation se transmet oralement
par la perfection des vers qu’ils constituent,
et chaque mot est rapporté
(15,10) de manière ininterrompue dans ce pays, pour toujours !

Ce qui formera maxime à la perfection,


les magistrats parleront en s’y référant 125 ;
il s’agit d’enseigner à s’exprimer pour la postérité :

118
. Litt. « pansue », comme la cruche du même nom (Òpn.t) ? Mas le sens précis n’est pas assuré ; cette maxime
difficile est commentée par Chr. CANNUYER, ZÄS 113, 1986, p. 92-103, dont je ne suis pas toutes les
interprétations.
119
. C’est-à-dire qu’elle suit son humeur du moment ?
120
. Cet hapax (cqææ) est à rapprocher du vocable topographique cqnw / cgn.t (Wb I, 235, 2 et 236, 3).
121
. Cette section, dont la structure n’a pas été clairement décrite jusqu’ici, est constituée de trois stances
parallèles constituées chacune de deux quatrains (= quatre distiques = huit vers). Elle s’achève par
l’injonction : jr r mæc.t Òw m grg, « Agis selon la maât, sois exempt de mensonge ! ».
122
. Sur l’interprétation de ce passage, voir Fr. SERVAJEAN, ENIM 1, 2008, p. 16-18.
123
. Litt. « les actes de maât » ; cette expression définit l’ensemble de la première partie de l’Enseignement.
124
. Mes propos.
125
. On notera l’emploi d’un vocabulaire littéraire technique : md.t, « mot », †s, « vers », Òsr.t, « maxime ».
l’écouter permet de devenir un expert écouté (à son tour).
Il est bon de s’exprimer pour la postérité, car c’est elle qui l’écoutera ;
que survienne un événement heureux grâce à celui qui est chef,
il restera un bienfaiteur pour toujours,
et sa sagesse, quelle qu’elle soit, demeurera à jamais !

C’est le savant qui se soucie de son âme (ba)


en établissant sa propre perfection sur terre ;
c’est à ce qu’il sait qu’on apprécie le savant :
s’agit-il d’un magistrat, c’est à sa bonne action.
Celui qui équilibre son esprit et sa langue 126,
ses lèvres sont précises (16,1) tandis qu’il parle ;
ses yeux observent, ses oreilles sont dressées,
à l’écoute de ce qui est bénéfique à son fils.

Agis selon maât, sois exempt de mensonge !

(Deuxième section) 127

Bénéfique est l’écoute pour le fils qui sait écouter 128,


et l’écoute ne pénètre que chez celui qui sait écouter ;
celui qui sait écouter naît de qui est disposé à écouter,
et qui écoute bien parle bien.
Qui sait écouter possède des bienfaits,
car bénéfique (16,5) est l’écoute pour qui sait écouter ;
supérieure est l’écoute à toute autre chose,
à l’origine de l’attachement (mérout) parfait.

Il est bon que le fils observe les principes de son père :


la vieillesse lui en sera accordée,
car celui qui écoute est un aimé du dieu,
tandis que le haï du dieu n’écoute pas 129 !
C’est la conscience qui fait de son possesseur
quelqu’un qui écoute ou qui n’écoute pas ;
vie, force et santé d’un homme,
ce sont sa conscience.
C’est celui qui sait écouter qui écoute celui qui parle,
et celui qui agit comme il est dit est celui qui aime écouter.

126
. La correction proposée par Z. Zaba, de mcn à mÏæ, s’appuie judicieusement sur le parallèle fourni par la Stèle
de Qouban, l. 14 (KRI II, 355, 15-16), qui pourrait bien se référer discrètement à l’Enseignement de
Ptahhotep : mÏæ(=w) ns=k cqæ(=w) sp.ty=ky r tÏ mty n(y) EÌwty, ta langue est équilibrée et tes lèvres plus
précises que le peson exact de Thot.
127
. Cette deuxième section, comprenant elle aussi trois stances, constitue un vrai morceau de bravoure
rhétorique, utilisant les ressorts de la polyptote, sur le thème de l’écoute (sem).
128
. Litt. « qui écoute » (participe actif imperfectif).
129
. Mrrw-n†r pw sem(w) n sem~n msddw-n†r ; rappel de la théorie égyptienne de la prédestination.
Il est bon que le fils écoute (16,10) son père,
heureux celui à qui on a dit cela !
Le fils, sa grâce vient de sa capacité d’écoute,
celui qui sait écouter et qui en a la réputation
se révèle être un digne fils dès la naissance 130,
un révéré auprès de son père.
Le souvenir de lui reste dans la bouche des vivants
qui sont sur terre et qui viendront à l’existence.

(Troisième section)

Si le fils de bonne naissance observe les principes de son père,


aucun de ses desseins ne saurait s’égarer ;
tu dois apprendre à ton fils à devenir quelqu’un qui sait écouter,
(17,1) qui sera un homme de qualité dans l’esprit des magistrats.
Celui qui régit ses propos selon ce qui lui a été dit
est considéré comme quelqu’un qui sait écouter ;
le fils, il montre ses qualités quand sa démarche est pesée,
mais l’égarement échoit à qui n’écoute pas.

Tandis que le savant se lève de manière à trouver la stabilité,


l’insensé s’agrippe 131.

(Quatrième section)

L’insensé qui n’écoute pas 132,


(17,5) impossible pour lui d’acquérir aucun bien ;
il confond connaissance et ignorance 133,
bénéfique et nuisible.
Il commet toute sorte d’actes affreux
dont on lui fait grief chaque jour ;
il vit de ce dont on meurt,
et ce qui est maudit est sa nourriture 134.
Son comportement est là, au su des magistrats,
lui qui meurt tout en vivant chaque jour ;
car on négligera ses actes
du fait du nombre de méfaits qui pèsent sur lui chaque jour.

(Cinquième section)

130
. Litt. « celui qui écoute et dont on dit cela est efficient dans le ventre (de sa mère) ».
131
. Pour ce sens de med, cf. P. VERNUS, Sagesses de l’Égypte pharaonique, 2010, p. 176.
132
. Ce portrait est celui d’un être « séthien ».
133
. Litt. « C’est comme l’ignorance qu’il voit la connaissance ».
134
. Noter la construction en chiasme. L’expression Ïbn-ed, « condamnable à dire, maudit », évoque Ïbn Ïrw,
« condamné », attesté dans les Textes des Pyramides (§ 1041d [TP 486]), antithétique du célèbre mæc Ïrw,
« justifié », appliqué aux défunts ayant passé victorieusement l’épreuve du jugement dernier.
(17,10) Le fils qui sait écouter est un suivant d’Horus 135,
c’est bon pour lui d’avoir écouté ;
il atteint dans sa vieillesse l’état de révéré 136,
lui qui récite la même chose à ses enfants.
Renouvelant l’enseignement de son père,
chaque homme est enseigné selon ses actes 137 ;
il le récitera auprès de ses enfants,
qui le rediront à leurs enfants.

Sers de modèle, (18,1) ne donne pas prise à la critique,


accrois la maât pour que vivent tes enfants.
À la première occasion qui se présentera,
relevant de l’injustice 138,
les gens qui verront diront
que c’est semblable à ce vers-là ;
ceux qui entendront diront
que c’est semblable à ce vers-là, (18,5) également.
Chacun voit que ce sont eux qui pacifient la multitude,
et la richesse n’aboutit à rien sans eux 139.

N’intervertis pas les mots,


ne mets pas l’un à la place de l’autre 140.
Garde-toi de détendre les mailles 141,
évite qu’un savant ne dise :
“Écoute donc !”, si tu désires être bien établi
(18,10) dans la bouche de ceux qui auditionnent.
Tu ne t’exprimeras qu’après avoir accédé
au savoir-faire d’un expert ;
en t’exprimant de manière parfaite,
tous tes avis seront considérés 142.

(Sixième section)

Enfouis ta pensée, contrôle ta parole :


tu seras reconnu 143 parmi les magistrats.
Montre-toi d’une exactitude totale envers ton seigneur,

135
. Les dieux l’ont donc prédestiné favorablement, à l’inverse des « acolytes de Seth ».
136
. Litt. « sa vieillesse atteint l’état de révéré ».
137
. Ceux de son père.
138
. Les commentateurs considèrent généralement que le texte est ici incomplet, et que l’expression « le premier
de cela » (tpy jry) se rapporte aux enfants ; je propose d’écarter ces deux « solutions ».
139
. Le distique fait sens si l’on admet que le pronom =sn, « eux », se réfère aux vers / maximes de
l’Enseignement.
140
. Il peut s’agir des mots de l’Enseignement comme des paroles du magistrat.
141
. Je traduis ainsi l’expression idiomatique wn jnj.w, « ouvrir les mailles du filet » (?) ; peut-être retrouve-t-on
ici la métaphore du texte – tissu.
142
. Litt. « à leur place ».
143
. En adoptant la correction srÏ=k pour sÏr=k.
agis pour lui faire dire : “C’est le fils de celui-là !”,
(19,1) pour faire dire à ceux qui l’apprendront :
“Favorisé celui pour qui il a été enfanté !”
Fais preuve de retenue au moment où tu t’exprimes,
tu ne prononceras que des paroles calculées,
si bien que les magistrats qui entendront diront :
“Beau ce qui sort de sa bouche !”.

(Conclusion)

Agis selon tout ce que je te dis,


heureux celui qui a reçu l’enseignement de son père ;
issu de lui, de son corps,
il était encore dans le ventre 144 quand il lui a parlé !
Mais ce qu’il aura fait sera plus important (19,5) que ce qui lui aura été dit ;
vois, le bon fils que donne le dieu,
qui sera allé au-delà de ce qui lui aura été dit, auprès de son seigneur,
pratique la maât, sa conscience ayant agi selon son rang.
Tandis que tu me rejoindras, ton corps intègre 145,
le roi étant satisfait de tout ce qui est advenu,
tu obtiendras des années de vie,
et ce que j’ai fait sur terre ne s’évanouira pas.
J’ai obtenu cent dix ans de vie,
que m’a accordés le roi,
mes faveurs surpassant celles de mes prédécesseurs,
pour avoir pratiqué la maât pour le roi,
jusqu’à la place de la vénération 146.

(Colophon)

C’est ainsi qu’il 147 doit aller, du début à la fin, conformément à ce qui a été trouvé par
écrit.

144
. S. e. de sa mère.
145
. Allusion à l’exorde où Ptahhotep décrivait son état physique.
146
. La tombe.
147
. Le manuscrit.

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