Vous êtes sur la page 1sur 52
Marie-Thérése d’Alverny Pensée médiévale en Occident Théologie, magie et autres textes des XIIe—XIIle siécles Edited by Charles Burnett VARIORUM 1995 This edition copyright © 1995 by Philippe d’Alverny and Héléne d’ Alverny-Pattyn. Published by VARIORUM Ashgate Publishing Limited Gower House, Croft Road, Aldershot, Hampshire GU11 3HR Great Britain Ashgate Publishing Company Old Post Road, Brookfield, Vermont 05036 USA ISBN 0-86078-538-6 British Library CIP Data A catalogue record for this book i is available from the British Library . : The paper used in this publication meets the minimum requirements of the American National Standard for Information Sciences - Permanence of Paper for Printed Library Materials, ANSI Z39.48-1984. ™ Printed by Galliard (Printers) Ltd Great Yarmouth, Norfolk, Great Britain COLLECTED STUDIES SERIES CS511 VI Alain de Lille et 1’Islam. Le « Contra Paganos » Le Contra paganos d’ Alain de Lille est la quatriéme et der- niére partie de son grand traité apologétique! ; le titre complet de Pouvrage étant le plus souvent dans les manuscrits : Quadripartita editio magistri Alani contra hereticos, Valdenses, Iudeos et paga- nos. Il est dédié au comte de Montpellier, Guilhem (Guilhem VI, 1152-1202), qu’il appelle son « seigneur » : « Reuerentissimo domino suo Guillelmo Dei gratia Montispessulani principi... magister Alanus, in omnibus et per omnia suus, Opus suum »>. Le titre indiqué par l’auteur dans ce prologue est : De fide catholica. Le traité n’est pas daté, mais la présence de maitre Alain a Mont- pellier a la fin du xu siécle est confirmée par un document. Un acte conservé dans le cartulaire de Maguelonne2, daté de juillet 1200, transaction entre le prévét de Maguelonne et les Templiers est passé en présence de |’évéque de Maguelonne, Guillaume de Fleix, et de divers témoins, parmi lesquels «. magi: ‘er Alanus », le moine Gaucelm, maitre Gui et Petrus Almeradi, ces deux derniers étant qualifiés de « causidici » ; l'accord est patronné par le 302 comte Guilhem?. En 1200, Alain était done un personnage assez considérable dans le Studium pour figurer dans l’entourage du comte et de l’évéque. Il est qualifié de « magister » ; rien dans cet acte ni dans les termes de la dédicace ne permet de supposer qu’il ait été alors moine cistercien. Depuis combien de temps se trouvait-il 4 Montpellier ? Une quinzaine d’années peut-étre, enseignant vraisemblablement la « sacra pagina », puisqu’une autre de ses ceuvres, dédiée a l’abbé de Saint-Gilles, Ermengaud, représente le matériel de travail d’un commentateur de la Bible : le traité Quot modis, ou Distinctiones dictionum theologicarum*. Il devait aussi précher aux étudiants ; une collection de sermons constituée dans le midi de la France vers 1200 pourrait représenter en partie des homélies destinées a cet auditoire?. Les motifs qui ont incité Alain 4 composer une défense de la foi catholique sont exposés dans le prologue adressé 4 un prince qui a revétu les armes de la foi chrétienne et n’abandonne pas la nef de Pierre secouée par les tempétes. Les nouveaux hérétiques qui, sur bien des points, renouvellent d’antiques doctrines, diffé- rent des anciens, qui attaquaient notre foi avec des raisonnements humains, car ils ne s’appuient, ni sur la raison humaine, ni sur la raison divine, et fabriquent des monstres. L’auteur a |’intention de s’appuyer sur les réfutations des anciennes erreurs écrites par les Péres orthodoxes et, s’il y a quelque hérésie nouvelle, de la détruire avec de solides raisons. Car Alain, fidéle 4 l’esprit de la théologie de son époque, croit fermement que la foi peut et doit étre défendue par la raison. Toute son apologétique est construite en vertu de ce postulat. Il commence, certes, par citer l’autorité par excellence, |’Ecriture sainte ; il ne craint pas d’alléguer les autorités des philosophes, lorsqu’elles appuient son propos. Mais il ajoute aux « autorités » ALAIN DE LILLE ET L’ISLAM 303 des « raisons » qui lui paraissent valables ou méme péremptoires. Il pense avoir atteint son but lorsqu’il estime avoir démontré que les doctrines ou les assertions de ses adversaires sont contradictoi- res Ou absurdes. C’est selon ses principes que sont construites les quatre parties de l’ouvrage. Elles sont disproportionnées. La pre- miére, qui vise surtout les Cathares, péril actuel et réel dans la région ou il enseigne, est de beaucoup la plus longue et la plus développée. Il consacre vingt-cing chapitres aux Vaudois et vingt et un seulement aux Juifs. Il n’a pas fait beaucoup d’efforts pour trouver des arguments contre ces derniers car il s’est inspiré de la Disputatio Iudei cum Christiano écrite par Gilbert Crispin, abbé de Westminster, un siécle auparavant®. La derniére partie, trés courte, est rédigée selon la méme méthode : exposé de l’opinion des « pagani », appuyée sur des « autorités » et des « raisons » ; réfutation, avec « autorités » et « raisons », et exposé de la doc- trine catholique. Les « autorités » mises au compte des « pagani » sont scripturaires, tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament, ce qui parait invraisemblable au premier abord dans le cas des musulmans, mais ne l’est peut-€tre pas autant qu’on pour- rait le penser. Alain s’adresse « aux disciples de Mahomet ». C’est de maniére succincte qu’il fait allusion, dans une formule de style grandiloquent a « la vie monstrueuse, a la secte plus monstrueuse encore, a la fin complétement monstrueuse » de Mahomet, ainsi qu’il appert avec évidence de son histoire : « in gestis eius mani- feste reperitur ». Il laisse ainsi de cOté un point qui tient une place importante dans les traités de controverse occidentaux et dans les traités byzantins’, a savoir la biographie scandaleuse du prétendu prophéte ; il n’est du reste question ni de la révélation coranique, ni de la prophétie, dans le cours de la discussion fictive. L’allusion 304 initiale montre qu’il n’ignorait pas complétement les récits élabo- rés et enjolivés par les contempteurs de |’Is!lam avec un minimum de données historiques. C’est ce que l’on a appelé, a juste titre, la légende de Mahomet®: Vita Mahumeti d’Embricon de Mayence® ; Otia de Machomete de Gautier de Compiégne ; récit de Guibert de Nogent dans les Gesta Dei per Francos"', apparenté aux romans fantaisistes, bien que l’auteur ajoute une note de cau- tion, disant qu’il rapporte les histoires populaires « plebeia opi- nio », faute d’avoir pu trouver des renseignements dans les écri- vains ecclésiastiques. Guibert n’a pas poussé trés loin ses investigations, car des his- toriens contemporains utilisaient pour donner un bref apercu de la vie de Mahomet la notice contenue dans la « Chronographie » de Théophane, auteur byzantin du début de 1 siécle, traduit en latin par Anastase le Bibliothécaire!? ; cette biographie présentait quel- ques interprétations tendancieuses, mais avait un fondement his- torique. Il est probable qu’ Alain, a la fin du xur siécle n’avait pas consulté, lui non plus, la Chronographia tripertita. Une autre bréve allusion a la légende de Mahomet, a la fin du traité, suggére du reste qu’il avait 4 l’arriére-plan une source différant des « romans » occidentaux. Il existait cependant a I’époque d’Alain des écrits qui offraient des informations plus valables sur Mahomet et surtout sur l’Islam ; il semble qu’il ne les ait pas eus a sa portée lorsqu’il €crivait le Contra paganos. En premier lieu le « Dialogue » de Pierre Alfonse!?, médecin juif de Huesca converti au christia- nisme ; |’auteur, dans une discussion fictive avec un ancien coreli- gionnaire, consacre un long chapitre a la description des préceptes de P’Islam, qu’il connait bien, ayant été élevé en contact avec les musulmans ; la biographie de Mahomet parait avoir en partie des sources arabo-chrétiennes et juives, et n’est pas dépourvue d’élé-

Vous aimerez peut-être aussi