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LA DIMINUTION ET L’ORNEMENTATION DANS L’HARMONIE

UNIVERSELLE

AVANT PROPOS

Les textes qui suivent ont été le fruit d’un projet de recherche de la HEM de Genève en
collaboration avec le CMBV de Versailles. 1Ce projet de la HEM et du CMBV qui visait à
interroger l’Harmonie Universelle de Marin Mersenne a mis en avant le fait que Marin Mersenne
est avant tout un compilateur. Il rassemble des données et tente de les intégrer à une vision
apologétique : image de l’union des sciences et d’une (nouvelle) vision chrétienne du monde.
Mathématicien, théologien, ami de Descartes, Marin Mersenne n’est pas musicien. Souvent il ne
donne même pas l’impression d’adhérer aux indications qu’il nous livre. Aussi trouve-t-on dans
l’Harmonie universelle ça et là des contradictions. Ainsi ne saurons-nous jamais ce que sont ses
goûts musicaux. Il donne rarement son avis. Il apprécie le style ancien notamment celui
d’Eustache Du Caurroy. Il se plaint également que les luthistes ne jouent pas assez pour la gloire
de Dieu. Pour le reste, son apparente neutralité nous permet alors de traiter ce qu’il nous
rapporte, comme une sorte de matière première. Nous devons alors intégrer ces données à un
point de vue général sur les pratiques de cette époque. Praticien, questionnant l’Harmonie
Universelle et les données transmises par Marin Mersenne, j’ai été surpris par l’importance
accordée à la question des ornements et au geste instrumental et vocal. Ces allusions fréquentes à
la pratique de l’exécutant qui parsèment l’ouvrage m’ont incité à proposer une compilation en la
mettant en perspective avec les autres sources traitant de ce sujet. Je me suis donc engagé à
essayer de faire parler cette somme d’informations en offrant au lecteur un large panorama de ce
que Mersenne nous livre dans l’Harmonie Universelle, panorama que le lecteur devra intégrer, non
seulement à sa vision de la musique des années 1630 en France, mais aussi à sa vision des
musiques anciennes tant la question de l’ornementation et de la diminution se pose pour tout
répertoire ancien dont nous ne disposons pas d’enregistrement : dès l’instant où la musique est
écrite se pose la question de savoir quel monde sonore et musical ressort du rapport
son/notation impliqué par la notation de la musique occidentale. Quel son se cache derrière le
signe ? Depuis des années, l'héritage de mes professeurs et la confrontation à la pratique m'ont
amené à penser que nous n'accordions pas à la diminution et l'ornementation leur juste place,
particulièrement en ce qui concerne la musique avant 1650. Et qu'il en résultait une image de la
musique historique probablement fausse et essentiellement formée par nos préjugés.
Le survol de l'Harmonie Universelle me conforte dans cette idée. Le lecteur pourra
recontextualiser les citations sises dans les textes présentés ici (liste non exhaustive, loin s’en faut
!) issues des quelques 1500 pages de l'ouvrage et, de cette autre lecture, relativiser mon point de
vue. Mais il était important de mettre en valeur ces informations sur les pratiques musicales
transmises par Marin Mersenne tout en les confrontant à ce que nous savons déjà. Quand
Mersenne parle de ce que appelons « musique », il mentionne des « chants », des « sons ». Ces
mots, surtout le premier, recouvrent chez lui un champ sémantique assez large. D’autant
qu’aujourd'hui, nous pensons souvent plus volontiers en termes de « notes ». Il ne faut pas
oublier que « note » vient de « noter » et « notation », que cela nous renvoie à une représentation
graphique du son. Rapportée au son, la note n’existe pas : le geste musical produit des « notes »

                                                                                                               
1  On peut retrouver ces textes et les autres données issues du projet, notamment les exemples

sonores enregistrés par les étudiants de la HEM : https://www.hesge.ch/hem/recherche-


developpement/liste/termine

  1  
dotées d’un mouvement, d’un mode d’attaque, de tenue, de lâcher et le cas échéant, d’un ou
plusieurs ornements rarement notés à cette époque. Dans d'autres traditions, quand existe un
système de notation musicale, celui-ci indique souvent d’avantage le mouvement sonore que les
hauteurs et les rythmes. C'était le cas en Occident pour les premières notations de plain-chant en
neumes. Pour finir je voudrais inviter le lecteur à penser qu’un son est une note habillée et, en ce
qui concerne la phrase musicale, lui rappeler le mot de Silvestro Ganassi : « La diminution est
l'ornement du contrepoint » (La Fontegara, chap. 13, Venise, 1535).
WD

I INTRODUCTION À L’HARMONIE UNIVERSELLE ET LA DIMINUTION

II DE L’IMPORTANCE DE LA DIMINUTION

III À QUI EST DESTINE LA DIMINUTION

IV LE GESTE ORNEMENTAL SELON MERSENNE

V LA DIMINUTION VOCALE

VI LA DIMINUTION ET LES INSTRUMENTS

VI LA HAUTE VIRTUOSITE! CHEZ MERSENNE

VIII LE VOCABULAIRE DE DIMINUTION TRANSMIS PAR MARIN MERSENNE

IX CONCLUSION

X INDEX DES NOMS, OUVRAGES CITES, BIBLIOGRAPHIE.

  2  
I INTRODUCTION
Les occurrences concernant la diminution et l’ornementation issues de l’Harmonie
Universelle sont nombreuses et dispersées tout au long de l’ouvrage avec des points de
concentration notamment dans les livres concernant la voix, le violon, le luth, l’orgue. Dans
l’Harmonie Universelle, comme dans nombre de sources concernant la musique en général, la
diminution est traitée comme un élément parmi d’autres. Mais la quantité d’occurrences nous
permet de mesurer son importance dans le dispositif musical général de la culture décrite. Dans le
cas de l’Harmonie Universelle, les passages concernant ornementation et diminution sont donc très
nombreux et présents quelquefois même dans des chapitres n’ayant aucun rapport avec ce sujet.
J’ai voulu aussi mettre les informations transmises par Marin Mersenne en relation avec
les autres sources que nous connaissons, car Mersenne est très bien informé des pratiques en
cours en Italie. Il cite à plusieurs reprises les différents ouvrages du virtuose Silvestro Ganassi et
notamment l’ouvrage La Fontegara (paru en 1535, ouvrage antérieur de 101 ans à la parution de
l’Harmonie Universelle). Il cite également Giulio Caccini (qu’il appelle Jules Caccin !), Ignatio Donati
et Pietro Cerone. Pour une comparaison plus approfondie avec les sources italiennes concernant
l’art de la diminution le lecteur pourra consulter avec intérêt la compilation importante de sources
(majoritairement) italiennes traduites par Christian Pointet dans l’ouvrage édité chez DROZ en
2014 par la HEM de Genève : Semplice ou passeggiato. (https://www.droz.org/eur/fr/).
Les possibilités de parallèles, les analogies, extrêmement nombreuses, entre l’Harmonie
universelle et de nombreuses autres sources incitent à penser que les pratiques de diminution et
d’ornementation, en Europe, en dépit de différences nationales ou régionales, reposent sur un
socle commun. Deux sources françaises sur l’art du chant, postérieures à l’Harmonie Universelle
nous montrent la continuité de cet art décrit dans le traité. Il s’agit de La belle méthode ou l’art de bien
chanter, de Jean Millet (Lyon, 1666) et des « Remarques curieuses sur l’art de bien chanter », de Bénigne
de Bacilly, (Paris, 1668). Marin Mersenne nous livre sur l’air de cour des informations qui portent
sur le langage de la musique française des années 1630. Mais il parle également de la diminution
telle qu’elle est décrite à la Renaissance. L’Harmonie Universelle permet ainsi d’envisager l’évolution
des ornements et des diminutions. Mersenne ne mentionne les différences entre la France et
l’Italie qu’en termes de « manières » (la « manière » est liée étymologiquement à la main, donc au
geste, quand le style, lui, est relié à l’écrit, au stylet l’outil de l’écriture) et ne les oppose pas aussi
nettement qu’on ne le fera ultérieurement. Ce sont, selon ses propres mots les mêmes ornements,
qui sont simplement exécutés en Italie « avec plus de vigueur » et en France avec plus de
« mignardises ».

« ADVERTISSEMENT, Pour les Maistres qui enseignent à chanter: où il est parlé


des Airs Italiens

Car bien que tout ce qu’ils font ne soit peut-estre pas à approuver, neantmoins il
est certain qu’ils ont quelque chose d’exellent dans leurs récits, qu’ils animent bien
plus puissament que ne font nos Chantres, qui les surpassent en mignardise, mais
non en vigueur » . Harmonie Universelle, Livre Sixiesme de l’Art de bien chanter, seconde
partie, p. 356.

Cette phrase est extraite d’une longue tirade qui mérite d’être citée presque intégralement
car elle résume assez bien l’ensemble du sujet :

« Quant aux Italiens, ils observent plusieurs choses dans leurs récits, dont les nôtres
sont privés, parce qu’ils représentent tant qu’ils peuvent les passions et les
affections de l’âme & de l’esprit; par exemple, la cholère, la fureur, le dépit, la rage,
les défaillances de cœur, & plusieurs autres passions, avec une violence si estrange,

  3  
que l’on iugeroit quasi qu’ils sont touchez des mesmes affections qu’ils representent
en chantant; au lieu que nos François se contentent de flatter l’oreille, & qu’ils
usent d’une douceur perpetuelle dans leur chants; ce qui en empesche l’energie. »
Harmonie Universelle, Livre Sixiesme de l’Art de bien chanter, seconde partie,, p. 356.

[….] Or l’vne des choses qui manquent aux magisters ordinaires vient de ce qu’ils
n’ont pas eux mesmes de bonnes voix propres pour réciter, & pour exécuter les
beautez qui embellissent les airs, & qu’ils ne prononcent pas assez bien chaque
syllabe pour faire exécuter les mesmes choses à leurs écoliers ; de sorte qu’ils sont
semblables à ceux qui voudraient enseigner à bien escrire, avant de savoir bien
escrire eux mesmes. Loint ils devroient avoir voyagé és pays estrangers, &
particulierement en Italie, où ils se piquent de bien chanter, & de sçavoir la
musique mieux que les François. Car bien que tout ce qu’ils font ne soit peut-estre
pas à approuver, neantmoins il est certain qu’ils ont quelque chose d’excellent dans
leurs récits, qu’ils animent bien plus puissamment que ne font nos Chantres, qui les
surpassent en mignardise, mais non en vigueur. Ceux qui n’ont pas la commodité
de voyager, peuvent du moins lire Jules Caccin, appellé le ROMAIN, qui feit
imprimer vn liure de l’Art de bien chanter, à Florence en l’an 1621, dans lequel il
distingue les passages propres aux instrumens d’avec ceux qui servent à la voix, et
diuise les principales beautez des Chants en augmentation & affoiblissement de la voix,
ce qui s’appelle crecere, scemare della voce, en exclamation, & en deux sortes de passages,
qu’ils nomment trillo & gruppi, lesquels respondent à nos passages, fredons,
tremblemens, & batemens de gorge. Il ajoûte qu’il faut seulement faire les passages
& les roulemens de la voix sur les syllabes qui sont longues, & que la voix doit estre
affaiblie, ou renforcée sur de certaines syllabes pour exprimer la passion du sujet ;
ce que l’on fait naturellement sans l’avoir appris, pour peu de jugement que l’on ait.
Mais nos Chantres s’imaginent que les exclamations & les accents dont les Italiens
vsent en chantant tiennent trop de la Tragédie, ou de la Comédie, c’est pourquoi ils
ne veulent pas les faire, quoy qu’ils deussent imiter ce qu’ils ont de bon &
d’excellent, car il est aisé de temperer les exclamations, & de les accomoder à la
douceur française, afin d’ajoûter ce qu’ils ont de plus pathetique à la beauté, à la
netteté, & à l’adoucissement des cadences, que nos musiciens font avec bonne
grace lors qu’ayant vne bonne voix ils ont appris la méthode de bien chanter des
bons magisters. Ledit Jules ioignoit son Chitaron à sa voix, afin de faire vne basse
perpétuelle, comme ils font encore maintenant en Italie, où ils ont toujours vn petit
Orgue, ou vn Teorbe dans les récits qu’ils font sur le theatre, lors qu’ils
représentent quelque Comedie, ou quelque celebre action.

[...]

« Ie reviens aux cadences & exclamations, que l’on peut faire en vne infinité de
manières, n’y ayant rien de tellement reglé en ce qui dépend de l’opinion & de la
fantaisie des hommes, que l’on n’y puisse toujours ajoûter. Or ceux qui ayment la
multitude des passages & des diminutions, peuuent lire ceux d’Ignace Donat ; les
156. passages ou glosados de Cerone, au 5. chap. de son 8. livre, ceux du Fontegara de
Silvestro di Ganassi, qui remplit 120 pages de ces passages accomodez aux fleutes, et
plusieurs autres, et particulierement Le Nuove Musiche di Giulio Caccini, dont i’ai
parlé cy-dessus mais il suffit de considerer les exemples que nous donnerons à la fin
de ce livre, parce qu’ils peuuent servir d’idée à la postérité, pour faire voir la manière
d’orner & d’embellir les Airs, car l’on n’y a, ce semble, jamais procedé avec tant

  4  
d’adresse & de politesse, comme l’on fait maintenant. » (Harmonie Universelle, Livre
Sixiesme de l’Art de bien chanter, seconde partie, p. 358)

Dans ce long passage et tout au long des citations qui suivent, le ton ordinaire employé
par Mersenne pour évoquer selon ses propres mots, diminutions, passages, fredons,
embellissements, accents et cadences nous laisse penser qu’ornements, diminutions et cadences
ne sont ni un ajout superfétatoire ni une option de mode d’exécution, gratuite ou facultative, mais
une pratique courante et un constituant essentiel de l’exécution musicale. Mersenne nous dit
même que la diminution est « la quintessence de la musique » (Harmonie universelle, Livre second des
chants, p. 40). En ce qui concerne la musique chantée, la diminution et les ornements sont
qualifiés « d’embellissements ». Le terme, récurrent, correspond au vocabulaire italien, où l’on
parle de « rehausser l’esprit des compositions » (Voir les textes de Zacconi ou Bottrigari dans
l’ouvrage déjà cité Semplice ou passeggiato. Sauf mention contraire toutes les citations et mentions
d’auteurs qui suivront sont tirées de cet ouvrage). Pendant plusieurs siècles, en Europe, quelle
que soit la langue, ce sont aussi les mots « grâce », « grace » en Anglais, « grazia » en Italien qui
sont souvent utilisés pour qualifier les ornements. Silvestro Ganassi pour sa part parle de
galanterie. La diminution et les ornements sont indissociables de « l’œuvre musicale » (qui ne se
réduit en rien à la partition), quand bien même elles ne sont pas écrites. Il faut préciser ici que
« l’œuvre musicale » est, selon l’expression consacrée, la « mise en en œuvre » d’une composition
écrite ou d’une composition improvisée : composer, selon le sens étymologique, c’est assembler
des éléments. Un bouquet de fleurs est une composition florale. Ce sens du terme composer se
retrouve dans de nombreuses sources musicales où il ne désigne visiblement pas seulement la
partition (voir dans « Semplice… » le texte de Zenobi).

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II DE L’IMPORTANCE DE LA DIMINUTION

Premier temps

DIMINUTIONS ET ORNEMENTS CONSTITUENT


L’ORDINAIRE DE LA PRATIQUE
La diminution est omniprésente, dans tous les pays, dans toutes les tessitures vocales ou
instrumentales : elle est un élément constitutif normal de la pratique musicale, ce qu’incite à
penser la citation qui suit. C’est aussi grâce à une lecture globale de l’Harmonie Universelle qu’on
peut se rendre compte, d’une part via le nombre d’occurrences concernant la diminution, mais
d’autre part grâce au fait que Mersenne en parle souvent là où nous ne nous y attendons pas, que
la diminution est un élément non noté à adjoindre le plus naturellement possible à la partition
pour exécuter la musique.

« PROPOSITION XXXIV.
A sçavoir si la methode dont usent les François en chantant est la meilleure
de toutes les possibles.
[….] En troisiesme lieu, nostre climat n’est pas le plus temperé du monde, et l’air
de nostre France ne surpasse pas la bonté de celuy dont ioüissent les autres
Royaumes; car celuy de la Grece et de plusieurs autres pays Orientaux est beaucoup
plus pur que le nostre, et consequemment il est ce semble plus propre pour les
voix. Ce qui a peut estre fait que les Grecs ont produit les effets de la Musique dont
parlent les Autheurs, à raison de leurs excellentes voix, qui avoient plus de force sur
les passions, tant parce qu’elles estoient plus fortes et plus nettes, que parce qu’elles
estoient plus iustes, et qu’elles faisoient des passages et des fredons plus ravissans
et mieux marquez que les nostres. Or si l’on doit iuger de la methode de chanter
par la raison, il faut confesser que celle qui a plus de puissance sur les auditeurs est
la meilleure, car cette delicatesse de passages que les meilleurs Maistres enseignent
n’ont point d’autre plus grand effet qu’un certain chatoüillement d’oreille, qui
semble passer iusques à l’esprit et au coeur, particulierement quand ils sont
soustenus, et qu’ils durent long-temps. [C’est moi qui souligne] Il faut neantmoins
advoüer que de tous ceux que l’on a oüy chanter dans les terres de nos voisins,
comme dans l’Espagne, dans l’Allemagne tant haute que basse, et dans l’Italie, que
l’on n’en rencontre point qui chantent si agreablement que les François, dautant
que les autres ne font pas les passages si delicatement; et bien qu’ils ayent la voix
plus forte, plus claire, plus nette, et plus sonore, ils ne l’ont pourtant pas si douce,
ny si charmante, quoy qu’il s’en puisse rencontrer dans toutes les nations qui
égalent les François, ou qui les surmontent, car la nature produit quelquefois des
individus extraordinaires, tantost en un Royaume, et d’autrefois dans un autre, qui
surpassent tous leurs semblables. Mais ie parle icy de ce qui est ordinaire [Je
souligne de nouveau], et veux laisser la comparaison des voix de toutes les nations,
et de leurs chants, à ceux qui pourront oüir les meilleures voix et les meilleurs
chants de l’Italie, de la France, et des autres Provinces. Toutefois si l’on veut iuger
quelle est la meilleure methode de chanter, et en quoy consiste la bonté de la voix,
il faut establir des regles qui soient receuës de tous les Chantres, et prouvees par la
raison ; et celuy qui les executera le mieux en chantant surpassera toutes les autres
voix, dont il sera la regle et l’exemplaire, et celuy qui en approchera de plus pres
chantera le mieux: mais nous parlerons de ces regles dans le traité des Chants, et
ailleurs. Et parce que ces regles n’ont pas encore esté bien establies iusques à
present, l’on n’a pas ce semble encore chanté avec toute la perfection possible,

  6  
quoy que les voix ayent pû avoir la meilleure methode, et qu’elles se soient portees
tres-parfaitement à l’execution des Chants qui ont esté composez. » Harmonie
Universelle, Traitez de la voix et des Chants, Livre premier, p. 42.

Le passage qui précède nous amène à penser que la diminution est l’ordinaire de la
pratique musicale et Marin Mersenne propose d’en établir quelques règles puisque cette pratique
semble être laissée à la libre appréciation des exécutants. À l’évidence, les « règles qui sont reçues
par tous les chantres », la manière de chanter, consiste essentiellement dans les passages, les
ornements et la flexibilité de la voix. Mersenne ne parle pas ici de la prononciation (même si cette
préoccupation existe par ailleurs chez lui) et semble moins insister sur ce sujet que Millet (La belle
méthode ou l’art de bien chanter, Jean Millet, Lyon, 1666) ou Bacilly (Remarques curieuses sur l ‘art de bien
chanter, Bénigne de Bacilly, Paris 1668) dans les ouvrages déjà cités.
Quelques années plus tard, la préface au lecteur du Chanoine Millet atteste que cet aspect
que je qualifie « d’ordinaire » de la diminution perdure. Millet regroupe tous les ornements et
passages dans la même catégorie ce qui incite à penser que tous les ornements, ainsi ramenés à
une seule catégorie, remplissent la même fonction : embellir le texte musical, habiller le son noté
« nu » sur la partition.
« Au lecteur :
Je sçay que les termes ordinaires de ceux qui enseignent la méthode de
chanter, sont Traits de gorge, Portements de voix, Agreéments, Passages, Roulades,
& autres qui signifient presque tous la même chose, & ne font pas suffisamment
connoistre la différence des places qu’ils peuvent tenir. Or ce que j’appelle Avant-
son est proprement ce trait de gorge, ou portement de voix qui precede la note
principale, & le reste du son est pareillement un Trait de gorge, ou Portement de
voix qui suit cette mesme note; les Roulades, & les Passages a mon admis ne sont
différents que de nom, si ce n’est que l’on veuille qu’un petit assemblage de notes
soit appelé Passage, & un grand Roulade; mais comme il y a de grandes & de
petites Roulades, & que i’en introduis de quatre sortes & de petites roulades, dont
les unes peuvent quelques fois tenir autant la place de l’Avant-son, d’autres celle du
Reste du son, d’autres les deux ensembles, & d’autres toute la note principale,
i’estime, qu’il est inutile d’y apporter cette différence. Et quand aux agreémens ie ne
les considere que comme les effets de tout cela, lors qu’il est observé, & qu’il est
fait de la belle maniere. Voilà Lecteur ce que j’avais à vous dire touchant ces
nouveaux termes. » Jean Millet, La belle méthode ou l’art de bien chanter, (Lyon, 1666).

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Deuxième temps :

DIMINUTIONS ET ORNEMENTATIONS
SONT UN CONSTITUANT DE L’OEUVRE MUSICALE

« Les bons compositeurs disent que les chants doivent estre semblables aux corps
composez de quatre elements, afin qu’ils ayent la fermeté de la terre dans leur
mesure constante & reglee ; la netteté de l’eau, parce qu’il faut éviter toute sorte
d’embarras & de confusion dont l’oreille peut estre blessée ; la vitesse & la mobilité
du feu par ses diminutions, ses passages, ses tremblements, & ses fredons ; & puis
le bel air, qui est l’ame du chant. » Harmonie Universelle, Traitez de la voix et des Chants,
Livre second, p. 103.

Cette citation pourrait se passer de commentaire : je n’en connais guère d’équivalent dans d’autres
sources qui soit aussi claire et qui aille si loin. La musique livrée par la partition est donc
intrinsèquement incomplète car elle doit être animée par le tempo (la mesure constante), la clarté
du discours et les diminutions et les ornements. Les quatre piliers sur lesquels repose l’œuvre
musicale sont la réunion des éléments de la partition et de l’exécution

Si les quatre éléments mentionnés ci-dessus constituent l’œuvre musicale (en incluant
donc la restitution), ils ne sont pas pour autant notés sur la partition. Les signes concernant les
ornements ne vont apparaître dans les partitions que peu à peu au 17ième siècle. Au sujet de la
rareté ou de la non-notation de ces derniers et des diminutions, particulièrement aux cadences,
Jean Titelouze témoigne brièvement du fait dans sa préface:

« … La mesure et les accents sont recommandables tant aux voix qu’aux


instruments, la mesure reglant le mouvement, & les accents animans le chant des
parties....Pour la mesure, le demy cercle sans barre que j’ay aposé, fait la loy
d’alentir le temps & mesure comme de la moytié, qui est aussi un moyen de
facilement toucher les choses les plus difficiles. Pour les accents, la difficulté
d’aposer des caractères a tant de notes qu’il en faudroit m’en a fait raporter au
jugement de celuy qui touchera, comme je sais des cadences qui sont communes
ainsi que chacun scait. » Jehan Titelouze, Hymnes de l’Église pour toucher sur l’orgue, 2ème
édition, 1624, Ballard.

Bénigne de Bacilly, des années plus tard, confirme le rôle des ornements dans les termes
suivants :

« Chapitre XII, Des Ornements du Chant.


Comme en toutes choses on fait difference entre la beauté & l’agrément, il en est
de mesme dans le Chant, où sans doute une Piece de Musique peut estre belle, &
ne plaira pas, faute d’estre executée avec les ornements necessaires, desquels
ornements la pluspart ne se marquent point d’ordinaire sur le papier, soit parce
qu’en effet ils ne se pûssent marquer par le defaut des Caracteres propres pour cela,
soit que l’on ait jugé que la trop grande quantité de marques embarassoit & osteroit
la netteté d’un Air, & seroit quelque sorte de confusion; » Bénigne de Bacilly,
Remarques curieuses sur l ‘art de bien chanter, (Paris 1668).

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Troisième temps :

LE PASSAGE EST LA QUINTESSENCE DE LA MUSIQUE

Mersenne franchit ici un pas de plus :

« Mais de toutes les Nations qui apprennent à chanter, et qui font les passages de la
gorge, les Italiens mesme qui font une particuliere profession de la Musique, et des
recits, avoüent que les François font le mieux les passages, dont il n’est pas possible
d’expliquer la beauté et la douceur, si l’oreille ne les oit, car le gazoüil ou le
murmure des eaux, et le chant des rossignols n’est pas si agreable; et ie ne trouve
rien dans la nature, dont le rapport nous puisse faire comprendre ces passages, qui
font plus ravissans que les fredons, car ils sont la quinte-essence de la Musique. »
[C’est moi qui souligne] Harmonie universelle, Traitez de la voix et des Chants, Livre second
des chants, p. 40.

Cette citation fait immédiatement penser à Lodovico Zacconi :

« Les ornements (vaghezze) et les accents se font en brisant et rompant les notes,
chaque fois que, dans une mesure (tatto), ou une demi[-mesure], on ajoute une
quantité de notes qui ont nature d’être plus rapidement exécutées. Ils donnent tant
de plaisir et de délectation, qu’on dirait entendre un grand nombre d’oiseaux
dressés, qui, de leur chant, nous ravissent le cœur et nous font demeurer tout émus.
Ceux qui ont une telle promptitude et faculté d’exécuter en mesure une grande
quantité de notes articulées avec cette vélocité, ont rendu et rendent les mélodies si
charmantes, que celui qui, à présent, ne les chante pas comme eux donne peu de
satisfaction aux auditeurs et est peu estimé des chanteurs. » Zacconi, Prattica di
Musica, 1596, in Semplice où passeggiato, DROZ, 2014.

Nous voilà au terme de cette gradatio. La diminution, comme tout ornement, est l’âme du
chant et manifeste l’essence des choses sur lesquelles elle s’appuie et d’où elle émerge. Nous
pouvons passer dès lors, à des descriptions plus techniques concernant les lieux et modes d’usage
des ornements et diminutions.

POUR CONCLURE

...où l’on voit que les diminutions embellissent le son.

« Or pour parler des sons plus generalement, nous pouvons dire que les doux
sont mornes, étoufez et emprisonnez, comme ceux des flustes bouchées; et que les
gays sont plus ouverts, comme ceux des Anches, et des flustes, que les facteurs
d’orgues appellent en resonance. Les sons sont quasi tous indifferens, pourveu
qu’ils ne soient pas si foibles que l’ouye ne les puisse appercevoir, ou si violents
qu’elle en soit offensée: ce qui les rend plus plaisans, est la varieté dont on les
embellit, ou de suite en suite, ou coniointement avec d’autres sons. » Harmonie
universelle, Livre premier des instruments, p. 12.
 
Pour continuer ce voyage au sein des mentions de l’ornement et de la diminution présentes dans
l’Harmonie universelle, je propose de regrouper ces occurrences par thèmes dans les textes qui
suivent.

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III À QUI EST DESTINÉE LA DIMINUTION ?
La diminution, d’essence vocale, est destinée à tous, instrumentistes comme chanteurs

À l‘évidence, tous les instruments et les voix sont concernés par les ornements et les diminutions.
Mersenne (comme Ganassi et bien d‘autres2) ne donne pas d’exemples spécifiques pour
chanteurs. Il les renvoie à ce qu’il a écrit pour le violon et l‘orgue. Il y a un socle de diminutions
commun aux chanteurs et aux instrumentistes. Pour parler de diminution d‘ensemble, Hermann
Finck (Practica musica, Wittenberg, Georg Rhau, 1556) supprime même les paroles du motet qui
sert d‘exemple, le faisant ressembler à une diminution instrumentale (voir l’exemple plus loin). Il
faut remarquer que tous les traités de diminution édités entre 1535 (Ganassi, La Fontegara) et 1620
(Selva di passaggi, de Rognoni), à l‘exception de celui d’Ortiz (Glosas...1553), mentionnent le chant
et l‘imitation de la voix humaine comme socle de la pratique instrumentale. Il semble d‘usage
d‘écrire pour une catégorie d’exécutants tout en s‘adressant à tous. L‘instrumentiste doit imiter la
diminution vocale et faire comme s‘il disait un texte (voir Ganassi in Semplice, Chapitre I,
Déclaration du but) et imiter les gorgie du chanteur. À l’inverse, Ganassi, dans la page de titre de la
Fontegara invite les chanteurs à consulter un ouvrage destiné en premier lieu aux instruments pour
apprendre à diminuer3 ! Mersenne s’inscrit dans cette tradition :

« Il n‘est pas necessaire de mettre icy des exemples pour les cadences, les
passages, et les tremblemens, parce que i‘en ay assez donné dans la
diminution du Dessus des Violons, que l‘on void dans la 4. Proposition
du 4. liure des Instrumens, et dans la diminution de l‘Air du Roy, mise
dans la 41. Proposition du 6. livre des Orgues : ioint que l‘on en trouve
tant qu‘on veut dans les Airs que le sieur Ballard imprime tous les iours:
c‘est pourquoy i‘acheue la seconde partie de ce livre par la Proposition
qui suit en faueur des beaux Chants. » Harmonie universelle, Proposition VI
du Livre Sixiesme de l’Art de bien chanter, seconde partie, p. 364.  

La diminution se pratique non seulement en solo mais également en groupe

De nos jours, la diminution est souvent considérée par la plupart des exécutants et
musicologues plus comme une forme musicale (à cause du type d’exemples donnés dans les
traités et qui servent alors de « répertoire ») que comme une simple pratique. Le terme
« diminution » désignant à la fois la pratique et la forme musicale ou répertoire qui en résulte, ce
dernier étant alors considéré différemment du répertoire original exécuté « tel qu’écrit ». En tant
que « répertoire » (parce qu’écrit in extenso dans le traité), ces exemples invitent effectivement
également à des prestations pour solistes, comme Dalla Casa (1584) et G. Bassano (1591) le
mentionnent :

« En prenant soin de toujours faire jouer la basse de ces pièces comme


fondamentale de cette Musique, ces pièces diminuées de cette manière
pourront servir en ensemble (in concerto), en ne chantant que cette seule
voix parmi les instruments (fra altri istrumenti), ou [en la chantant]
seulement [avec] un instrument à plumes, la basse étant jouée avec la
                                                                                                               
2
Voir le dernier document présenté: la bibliographie « CONCLUSION et Index des noms et ouvrages cités et
bibliographie ».
2
Œuvre intitulée Fontegara, laquelle enseigne à jouer de la flûte avec tout l’art opportun à cet instrument, surtout la
diminution, qui sera utile à chaque instrument à vent et à cordes, et également à celui qui se plaît à chanter. [c’est
moi qui souligne]. Composée par Sylvestro di Ganassi dal Fontego, joueur d’instruments de l’Illustrissime Seigneurie
de Venise, Venise 1535 (traduction Christian Pointet).

  10  
seule simple voix. » Préface au lecteur de l’édition de 1591. Traduction
de Christian Pointet in « semplice … ».

De ce fait, grâce à ces exemples, la diminution est alors considérée essentiellement comme une
forme musicale pour un soliste accompagné d’un clavier ou d’un instrument à cordes pincées
comme le mentionne G. Bassano. Ce point de vue minimise le fait que dans la polyphonie,
chacun est plus ou moins soliste et que chaque voix a son espace et sa fonction. Les diminutions
et ornements peuvent donc concerner à la fois une ligne spécifique alternativement et quelques
fois plusieurs voix à la fois. Il ressort de diverses sources (voir notamment ci-après), que la
diminution ne concerne pas seulement la pratique de la polyphonie jouée/chantée sous la forme
d’une prestation soliste accompagnée par un instrument polyphonique. Une alternative, pratiquée
quelques fois de nos jours consiste en un soliste accompagné par un groupe vocal et/ou
instrumental, ce dernier se gardant bien d’orner/diminuer quoi que ce soit. Les citations de
Mersenne et de ses contemporains tempèrent fortement cette idée que la diminution est réservée
au soliste. On voit simplement apparaître une hiérarchie claire dans les rôles dévolus aux
différentes parties.

« PROPOSITION X. Determiner ce qu‘il faut observer pour composer


excellemment à trois et à quatre parties.
[…] Il semble que la perfection de l‘Harmonie consiste dans le nombre de 4
parties, car bien qu‘il y en ait tousiours vne qui fait la replique de l‘vne des trois
autres, c‘est à dire l‘Octave, ou la Quinziesme, neantmoins cette repetition donne
de la grace, et des charmes particuliers à la composition : ce qu‘il faut aussi conclure
de la 5. partie et des autres, qui remplissent la Musique d‘accords. Et parce que la
Basse procede par des mouvemens plus tardifs, elle n‘est pas ordinairement si
diminuée que les autres, et va souvent par les interualles des Tierces, des Quartes,
des Quintes, & des Octaves, afin de donner lieu aux autres parties, &
particulierement au Dessus qui doit chanter par mouuemens ou degrez conjoints,
tant que faire se peut; comme la Taille doit particulierement gouuerner le Mode, et
faire les cadences dans leurs propres lieux. La Hautecontre doit vser de passages
fort elegans, afin d‘embellir la Chanson, ou de resioüir les auditeurs. » Harmonie
universelle, Livre cinquiesme de la composition, p. 221.

Mersenne semble utiliser le mot « composer » dans un sens dépassant le strict sens de
composition écrite comme L. Zenobi quarante ans avant lui (voir Zenobi, in Semplice, chapitre 4.
[Qualités du chanteur pour chanter avec assurance], p. 254). En effet, Mersenne fait aussi allusion
à des diminutions et des ornements dans les différentes parties, chose dont on commence
seulement trace dans les éditions de partitions à son époque. La musique diminuée, hors traités
de diminution, est rare jusqu’à l’époque de Mersenne. Avant 1600, hors tablatures pour luth,
orgue ou clavecin, elle est le fait de chanteurs ou instrumentistes et absente de l’édition comme
du manuscrit. Les seuls exemples que je connaisse où des figures de diminutions apparaissent sur
une partition concernent des éditions de compositions relatant des événements. Ce sont alors
comme des photographies d’un événement sonore ; à ce titre on peut citer quelques exemples
emblématiques :
Avant 1600 et la « nouvelle musique » :
- Le Ballet comique de la Reine de Balthazar de Beaujoyeulx (Balet comique de la Royne, faict aux
nopces de monsieur le duc de Joyeuse & madamoyselle de Vaudemont sa soeur. Par Baltasar de Beaujoyeulx, valet
de chambre du Roy, & de la Royne sa mère, 1582).
- La musique des intermèdes de la Pellegrina (Intermedii et concerti fatti per le Commedia rappresentata in
Firenze Nelle Nozze del Serenissimo Don Ferdinando Medici E Madama Christiana di Loreno, Gran Duchi
di Toscana, Venise, Giacomo Vincenti, 1591)

  11  
- Les madrigaux de Luzzasco Luzzaschi qui relatent l’art secret des chanteuses de Florence à la
cour de Alfonse D’Este (Madrigali di Luzzasco Luzzaschi per cantare & sonare, A uno. e’ doi. e’ tre’
Soprani. Fatti per la Musica del gia. Seg. Duca Alfonso d’Este. Rome, Simone Verovio, 1601).

On peut éventuellement ajouter à cette liste des œuvres à la charnière de l’ancien et du nouveau
style et les mélangeant :
- L’Orfeo de Monteverdi (Favola in musica, Venise, Ricciardo Amadino, 1609).
[Dans une des éditions de l’Orfeo, une didascalie mentionne, au début du grand solo incantatoire
de Orfeo suppliant Caronte de le laisser rentrer aux enfers : ainsi fut chanté cet air].
- Les Vêpres de Monteverdi, (Vespro della Beata Vergine, Venise, Ricciardo Amadino, 1610).

Bien qu’écrites à une époque où les figures véloces commencent à figurer sur les partitions, ces
deux œuvres semblent relater un événement, comme si la partition devenait une sorte de
photographie.

Pour revenir à la question de la diminution en groupe, la citation de Mersenne présentée ci-


dessus peut être mise en regard avec les descriptions de Hermann Finck, de Giovanni Camillo
Maffei et de Girolamo Dalla Casa concernant la diminution en groupe.

Hermann Finck (Practica musica, Wittenberg, Georg Rhau, 1556) de son côté donne un exemple
assez simple sur un motet dont il retire les paroles (exemple ci-après). Il nous avertit en ces
termes :

« Nombreux sont d’avis qu’il faut diminuer la basse, d’autres le dessus. Selon moi,
les coloratures peuvent et doivent être disséminées (aspergi) dans toutes les voix,
mais pas continuellement (non semper), [et] en des endroits propices. Toutes les voix
ne doivent pas être ornées simultanément, mais, selon la place qui leur convient
(sede convenienti), intervenir chacune à son tour (reliquæ in suis locis), de façon que
chaque colorature puisse être entendue et perçue clairement et distinctement, et
que la composition demeure entière et préservée. » In Semplice...opus cit.

Voici le motet (de sa composition ?) qu’il donne en exemple :

  12  
  13  
  14  
Giovanni Camillo Maffei, (Delle lettere del Signor Giovanni Camillo Maffei da Solofra libri due,
Naples, Raymundo Amato, 1562.) quant à lui, décrit plus longuement cet aspect des
choses :

« Je sais également que ce madrigal est ancien, mais j’ai voulu le présenter
seulement comme exemple, afin que le bon chanteur observe, dans n’importe
quelle pièce qu’il se prépare à chanter, les directives (ordini) et règles que l’on peut
observer. Afin qu’elles puissent être comprises plus clairement, voici comment je
peux les décrire. La première règle est de ne pas faire de diminutions en d’autres
endroits que dans les cadences, parce que, comme elles ponctuent l’harmonie dans
leur conclusion, on peut s’amuser (scherzare) de manière très plaisante (con molta
piacevolezza) sans perturber les autres partenaires (compagni). Cela n’empêche pas,
qu’avant d’atteindre la cadence, on ne puisse passer d’une note à l’autre avec
quelque grâce ou fioriture (vaghezza o fiorito), comme çà et là on peut l’observer dans
le madrigal imprimé ci-dessus, en des endroits où on peut l’admettre et où cela
paraît approprié.
La deuxième règle est que, dans un madrigal, on ne fasse pas plus de quatre ou cinq
diminutions, afin que l’oreille, goûtant la douceur de par sa rareté, soit toujours plus
désireuse d’écouter. Cela n’arriverait pas, si on chantait en diminuant
continuellement. Les diminutions en effet, de plaisantes, deviendraient ennuyeuses,
si l’oreille en était remplie à satiété. Nous avons ce fait tous les jours devant les
yeux, car beaucoup, sans observer les demi-tons et les bémols, ni la nature des
paroles, ne visent à rien d’autre qu’à diminuer, en se persuadant que l’oreille
s’habitue de cette manière; d’où, devenant fastidieux, ils sont blâmés de tout le
monde.
La troisième règle est de devoir faire la diminution sur l’avant-dernière syllabe du
mot, afin qu’avec la fin du mot se termine aussi la diminution.
La quatrième est de faire plus volontiers la diminution sur la parole ou la syllabe
portant le son «o» que sur les autres. [...]
La cinquième règle est, lorsqu’on se retrouve à quatre ou cinq de concert, tandis
qu’on chante, que l’un laisse place à l’autre. Si deux ou trois, en effet, diminuaient
en même temps, ils rendraient l’harmonie confuse. En ce qui concerne ces règles,
on voit un exemple manifeste dans le madrigal présenté ci-dessus. » Maffei, 1562,
in Semplice...opus cit.

Voici l’exemple qu’il nous livre:

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  18  
Voilà ce que dit, de son côté, le cornettiste Girolamo Dalla Casa, (Il Vero modo di diminuir, Venise,
Angelo Gardano, 1584):

« De la voix humaine
Voyant que beaucoup d’aimables esprits auraient à cœur d’être dirigés, pour faire
quelques diminutions en vocalises (con la gorgia), j’ai donc voulu faire encore le petit
effort de diminuer quelques madrigaux et [de les] présenter à tous ceux qui en
éprouvent plaisir, au moyen des exemples avec diminutions. Ils pourront ainsi voir
que faire et s’en servir en d’autres endroits. J’ai diminué le soprano, car c’est la
partie la plus fréquente dans la diminution, et, de plus, pour ceux qui se plaisent au
chant au luth. J’ai voulu enfin donner [également] satisfaction à ceux qui chantent
les autres parties. Vous aurez donc, diminuée, A la dolc’ombra de Cipriano de Rore,
la Canzone entière, avec ses quatre parties diminuées (tutte le quattro parti), pour la
commodité de chacun. » In Semplice...opus cit.

Voici simplement le début de cette partition, plus connue que les deux précédentes : les
quatre parties de ce madrigal font d’elle une œuvre assez longue (280 mesures environ).

  19  
  20  
Pour finir, voici la description, faite par le cornettiste Luigi Zenobi, des rôles attribués à chaque
partie. Malheureusement ce dernier n‘a laissé que les mots contenus dans cette lettre : aucune
partition musicale pour clarifier son propos par un exemple concret, aucun exemple musical
relatant son idéal en matière de diminution.

« Chapitre 10 : Votre Altesse doit savoir principalement que les parties ordinaires
sont au nombre de quatre, à savoir basse, ténor, contralto et soprano, auxquelles et
avec lesquelles s’ajoutent la cinquième et la sixième partie ou la septième et la
huitième qu’on peut chanter. Cependant habituellement les parties sont les quatre
premières nommées.
Celui qui chante la basse, s’il chante en ensemble (in compagnia), est obligé de savoir
tenir sa partie ferme (salda), juste quant à l’intonation (voce) et sûre quant à la
précision (sapere). Si on veut parfois diminuer (passaggiare), on doit choisir le
moment ou les trois [autres] parties tiennent ferme et connaître les endroits où on
peut faire la diminution (passaggio). En effet diminuer la basse selon son humeur,
sans bien connaître le moment ou l’endroit adaptés est sans doute une preuve
d’ignorance crasse.
On doit ensuite connaître et savoir quelles sont les diminutions propres à la basse,
parce qu’en faire de ténor, de contralto et de soprano est une preuve de ce qui a
déjà été très clairement.
On doit aussi avoir le trillo et le tremolo net[s], ainsi qu’une voix, dans l’aigu et dans
le grave, égale de timbre (tuba). Sans quoi on ne pourra pas appeler basse celui qui
ne parcourt pas vingt-deux notes de l’aigu au grave avec une égale rondeur de
timbre. On l’appellera plutôt ténor forcé, susceptible d’obtenir en chantant et en
criant perpétuellement une égalité de force (polso) dans l’aigu et dans le grave. Il
porte alors toujours avec lui une certaine résonance crue, laquelle paraît belle et
bonne à un ignorant, mais laide et défectueuse au connaisseur.
….
12. [Ténor et voix intermédiaires]
Le ténor doit diminuer quand la basse et les autres parties (parti compagne) restent
tranquilles, utiliser les diminutions propres à sa partie et ne pas toucher celles de la
basse, si ce n’est quand la composition le laisse à sa place ; et alors même le faire
avec jugement et discrétion. Le contralto peut et doit faire de même.
J’apprécie cependant dans ces parties intermédiaires que [les chanteurs] diminuent
rarement et se contentent de savoir monter et descendre avec la voix ondulant
gracieusement et en utilisant de temps en temps quelque agréable trillo ou tremolo.
Sans doute cela leur apporterait-il plus de louange de la part de quelqu’un qui sait
ce qu’est le chant.
En revanche, lorsqu’ils chantent seuls avec quelque instrument jouant toutes les
parties, dans ce cas, ils peuvent s’autoriser plus de diminutions. Toutefois pas au
point qu’elles suscitent le désagrément et l’impression que tout leur travail est placé
sur cet aspect.
Il faut avertir le ténor que ses diminutions soient telles qu’elles ne touchent pas la
partie de basse ou de contralto et le contralto que les siennes ne touchent pas celles
du soprano et du ténor. C’est ainsi que l’on chante avec jugement et avec art, et
non au hasard et en casse-cou, comme font aujourd’hui quelques incapables
(meschinissimi), en prétendant connaître le chant à fond (toccare il fondo all’orciuol in
materia di sapere cantare) et en flattant doucement leur orgueil (beccandosi dolcemente
l’horloggio –sic !). »

  21  
Zenobi finit en livrant plus tard :

« 13. [Soprano - les différents agréments]


Il reste le soprano, qui est vraiment l’ornement de toutes les parties. Tout comme
la basse en est le fondement. Le soprano a l’obligation et le champ libre pour
diminuer, [c’est moi qui souligne] rendre plaisant (scherzare) et embellir un corps
musical. Si cependant cela ne se fait pas avec légèreté et jugement, c’est fastidieux à
entendre, dur à digérer et pesant (stomacoso) à supporter. ». (In Semplice, opus cit.).

[Suit une longue description des ornements et diminutions que le soprano doit exécuter]

L‘écho vient alors de Mersenne avec lequel nous finissons ce chapitre :

« Et la flexibilité de la voix n‘est autre chose que la facilité et la


disposition qu‘elle a à se porter par toutes sortes de degrez et
d‘intervalles tant en montant, qu‘en descendant, et en faisant toutes
sortes de Passages, et de diminutions: ce que l‘on doit particulierement
observer à la voix du Dessus, dont depend le principal ornement de la
Musique [c’est moi qui souligne], comme i‘ay monstré ailleurs, d‘autant
qu‘elle fait ordinairement les diminutions, et qu‘elle fait paroistre la
beauté du sujet, et de la lettre qu‘elle recite: de là vient que plusieurs
ayment mieux entendre le recit d‘un bon Dessus, qu‘un concert entier,
dont i‘ay expliqué les raisons dans un autre lieu. » Harmonie Universelle,
Livre Sixiesme de l’Art de bien chanter, seconde partie, p. 354.

Ces exemples nous ont servi de guide et sont à mettre en parallèle avec la fantaisie pour les
violons de l’Harmonie Universelle diminuée par nos soins sur les cinq parties. Voici ci-dessous la
première page de la fantaisie pour les violons de l’Harmonie universelle, à laquelle est superposée la
diminution de violon donnée par M. Mersenne. Cette fantaisie et son enregistrement se trouvent
in extenso sous l’onglet « violons ». En ce qui concerne les parties deux et trois de la fantaisie, pour
lesquelles Mersenne ne donne aucune diminution, nous les avons écrites et élaborées à partir de
son vocabulaire (voir plus loin : LE VOCABULAIRE DE DIMINUTION TRANSMIS PAR
MARIN MERSENNE).

  22  
  23  
IV LE GESTE ORNEMENTAL SELON MERSENNE
La nouveauté des ornements selon Mersenne

La naissance de la musique baroque à la fin du XVIe siècle n'affecte pas seulement l'Italie
(Voir dans Semplice les textes de Giustiniani et de F. Rognoni). On voit le goût se transformer
faire aussi en France à travers les « académies », mais peut-être que ces dernières ne sont là que
pour entériner et donner un fondement à un changement de culture qui est en cours. À la fin de
la Renaissance, la volonté de changer la musique fut une caractéristique tant en France qu'en
Italie, même si cette dernière passe, à juste titre, pour le pays de la naissance de l'art baroque. Il ne
faut pas oublier les parallèles que nous pourrions faire entre l'académie du comte Bardi à
Florence et les rencontres et académies de musiciens et poètes en France à la même époque, le
retour de la musique mesurée à l'antique autour de la personnalité de Jean-Antoine de Baïf et du
cercle de la Pléiade. Mersenne, de son côté, n’échappe pas à la règle qui consiste à voir le passé
toujours sublimé par le présent, voir dans l’avenir.

« IV. Des tremblemens.


Encore que les siecles passez ayent produit des hommes tres-excellens en toutes
sortes d'arts et de sciences, et particulierement en celuy dont nous traitons, l'on
peut neantmoins dire qu'elles se perfectionnent d'autant plus qu'elles vont plus en
auant : comme il est aysé de prouver par l'vsage des tremblemens, qui n'auoit
iamais esté si frequent qu'il est maintenant. De là vient que le ieu de nos deuanciers
n'auoit pas les mignardises, et les gentillesses qui embellissent le nostre par tant de
diuersitez. Mais puis que les tremblemens sont differens tant en leurs effets qu'en
leurs noms, i'essayray à les faire cognoistre, et à les distinguer par des characteres
que i'ay expressement inuentez pour ce sujet, car chacun les nomme et les figure
selon qu'il luy plaist. Or celuy qui est formé en cette façon, s'appelle vulgairement
tremblement, et la plus part ne se seruent point d'autre charactere pour en exprimer
toutes les differentes especes; c'est pourquoy ie ne l'ay pas voulu changer, puis qu'il
est si familier à tout le monde, afin de n'vser d'aucune nouueauté si elle n'est vtile.
Mais il y a encore d'autres tremblemens qu'ils appellent accens plaintifs,
martelemens, verres cassez, et battemens, comme nous verrons à la suite de ce
traicté. Quant au premier, marqué de cette virgule, et qui se fait à l'ouuert, il faut
considerer deux choses pour le bien executer, à sçavoir que la pointe du doigt de la
main gauche, qui doit faire ce tremblement, soit bien appuyée sur la chorde sur
laquelle il se doit faire, et que l'on ne leue point le doigt de dessus ladite chorde,
que l'on ne sente qu'elle ayt esté touchée de la main droite. Il faut encore remarquer
que l'on peut estre en doute si l'on doit poser le doigt à la touche du [b], ou du [c]
quand ce tremblement se doit faire à l'ouvert, c'est pourquoy ie mets un petit traict
au dessus du caractere comme s'ensuit, lors qu'il le faut faire à la touche du [b], et si
c'est à la touche du [c], ie n'y en mets point ». Harmonie Universelle, Livre Second, des
instrumens a chordes, proposition IX, p. 79.

Le mode de jeu des diminutions : articulation et liaison selon le cas4.

« Quant aux differens tremblemens que l'on peut faire de la main gauche, ie les
explique dans le traité du Luth : il faut seulement remarquer que l'on doit vser

                                                                                                               
4  Voir aussi plus loin la description de l’articulation sur le cornet au chapitre VIII LE VOCABULAIRE DE DIMINUTION
TRANSMIS PAR MARIN MERSENNE.

  24  
d'autant de coups d'archet, que de battemens du doigt qui martele, si l'on veut que
le martelement soit agreable: mais il faut seulement le faire couler aux tremblemens
qui se font sans marteler. » Harmonie universelle, Livre quatriesme des instrumens a chordes.
Du violon, proposition II, p. 182.

Dans les descriptions du jeu instrumental, depuis Finck et Virdung5, en passant par
Ganassi, Dalla Casa, F. Rognoni, la norme consiste à articuler toutes les notes. Par ailleurs, il faut
faire remarquer qu'il n'y a, à notre connaissance aucune description d'articulation qui concerne le
niveau des « 32 notes », soit les triples-croches. Ceci pour expliquer que l'articulation des valeurs
très rapides se traite autrement. Un début d'explication concernant l'articulation des valeurs
rapides est donné par Dalla Casa :

« Comme le coup de langue renversé (lingua riversa) est le principal des trois coups
de langue, nous le mettrons en premier lieu, car il a, plus que les autres, la
ressemblance avec la vocalise (gorgia). On le nomme donc « langue de vocalise »
(lingua di gorgia). Ce coup de langue est très rapide et difficile à refréner. Son
articulation est au palais (lo batter suo è al palato) et on le prononce de trois façons :
Ler, ler, ler, ler ; der, ler ; Ter, ler, ter, ler. La première est douce, la seconde
intermédiaire, et la troisième, est plus dure (cruda) que les autres ; son articulation
étant la plus pointue (per essere piu pontata lingua) ». In Semplice, opus cit.

Il ne faut pas oublier que Dalla Casa parle de la « vraie diminution » quand elle comporte
24 ou 32 notes6 . De son côté, sans donner aucun exemple ou description du mode de jeu des
«32» notes, Francesco Rognoni propose, en 1620, de lier des figures comportant des croches et
des doubles-croches pour les instruments à archet (voir exemple ci-dessous). La question de la
netteté doit se traiter dans un contexte : la diminution doit avoir, selon diverses sources, de la
précision, mais doit être suave. Ainsi, nous trouvons les indications suivantes chez Bovicelli :

« Les doubles-croches enfin, outre la disposition de la voix [nécessaire] doivent être


bien articulées (spiccate) ….Il faut remarquer que toutes les notes ne se prononcent
pas de la même manière. En effet, quelquefois elles doivent être si articulées une à
une, qu’on entende la séparation (differenza) de l’une à l’autre même dans la voix ;
ceci sert dans les tirades. Au contraire, quand elles servent à faciliter un saut de
tierce, ce qui est leur seule utilité au milieu d’une tirade, où on trouvera deux seules
notes de valeur plus courte, elles ne devront pas se faire entendre avec autant de
force, car ainsi elles procurent plus de grâce ». Giovanni Battista Bovicelli, Regole,
passaggi di musica, madrigali et motetti passeggiati, Venise 1594, in Semplice, opus cit.

Remarque importante : pour l'instrumentiste, la question de l'articulation ne s'envisage pas


de la même manière si on imite la voix humaine « récitant » un texte, donc, une section syllabique,
ou un passaggio ou une tirata que Mersenne donne comme exemple à de nombreuses reprises.

Voilà un autre usage habituel du « tremblement » considéré comme lié à la production du son et
non « ajouté » comme « ornement » et qui recoupe la question du mode d'articulation.

« En second lieu, il faut addoucir les chordes par des tremblemens, que l'on doit
faire du doigt qui est le plus proche de celuy qui tient ferme sur la touche du
Violon, afin que la chorde soit nourrie. Mais il faut appuyer les bouts des doigts le
                                                                                                               
5 Voir la bibliographie.
6 Voir l’intégralité du texte de Dalla Casa dans Semplice, et ici : VII LA HAUTE VIRTUOSITÉ CHEZ
MERSENNE ».

  25  
plus fort que l'on peut sur la touche, afin que les chordes fassent plus d'harmonie,
et les leuer fort peu de dessus le manche, afin d'avoir assez de temps pour les
porter d'vne chorde à l'autre. ». Harmonie universelle, Traité des instruments à cordes IV,
p. 183.

Il semble donc que les « tremblemens » aient aussi une fonction d'adoucissement du son.
Il ne faut pas oublier que Mersenne décrit aussi le violon comme « roi des instruments » grâce à la
puissance de sa sonorité et qu’il est encore à cette époque, en France, encore essentiellement un
instrument de plein air et de grandes salle pour exécuter les danses et les ballets. Mersenne vante
le son du violon :
« … car le Violon a trop de rudesse, d'autant que l'on est contraint de le monter de
trop grosses chordes pour esclater dans les suiets, ausquels il est naturellement
propre. » Harmonie universelle, Livre quatriesme des instruments, proposition VIII, p. 195.

On retrouve cette idée d'instrument puissant chez F. Rognoni7 :

« Les viole da brazzo, particulièrement le violon, sont des instruments en eux-mêmes


crus et durs, s'ils ne sont pas tempérés et adoucis par un coup d’archet doux. [Il
faut qu’] ils apprennent cela, ceux qui ont un jeu cru, qui n’allongent pas l’archet
sur la viole, mais le lèvent avec une impétuosité telle qu’ils font plus de bruit avec
l’archet qu’avec le son [véritable de l’instrument], [ceux qui] de plus ne savent pas
aligner (tirar) quatre croches ou doubles-croches toutes égales (l’una eguale à l’altra),
mais font sauter l’archet sur la viole, semblant dévorer les notes sans les faire
entendre toutes avec un archet égal, bien appliqué (serrato) à la viole, ainsi que le
font les bons instrumentistes ». Francesco Rognoni, Selva de varii passaggi, Milan
1620, in Semplice, opus cit.

Il est probable que, de nos jours, le goût pour le son du violon et le réglage par les luthiers
des violons dits « baroques », seraient différents si on concevait le son de cet instrument comme
devant « porter » en plein air ou dans des églises : le violon s’introduit à l’église à la fin du XVIe
siècle en Italie où il jouera un rôle prépondérant dans la musique religieuse. Le simple fait, pour
les exécutants, de répéter en permanence dans des lieux de concerts (grandes salles souvent,
églises), mais aussi de redonner des concerts en plein air, notamment les ballets français du XVIIe
siècle, pourrait considérablement, à la longue, changer la conception du son idéal du violon chez
les instrumentistes. Inutile de dire qu'il en est de même pour tous les instruments. Il faut remettre
ces derniers le plus souvent possible dans le « biotope » qui fut le leur lors de l’exécution des
différents répertoires, non seulement lors de nos concerts mais naturellement, autant que
possible, lors des répétitions.

Nous trouvons chez Mersenne, comme chez F. Rognoni, la mention du jeu lié sur le violon.

« Ie laisse une infinité d'autres remarques qui appartiennent à cet instrument, par
exemple, que l'on peut sonner une Courante, et plusieurs autres pieces de Musique
avec un seul coup d'archet: que l'on peut flatter les chordes de 8, de 16, ou de 32
coups de doigt dans l'espace d'une mesure: qu'il faut mettre les trois doigts de la
main gauche, c'est à dire l'index, celuy du milieu, et l'annulaire si pres de la chorde
que l'on veut toucher, qu'il ne s'en faille qu'une demie ligne qu'ils n'y touchent, afin
que ce petit esloignement n'empesche point la vistesse du toucher et des
tremblemens. » Harmonie universelle, Livre quatriesme des instruments à cordes, p. 183/184.
                                                                                                               
7 En Italie, le violon a déjà fait son apparition à l’église depuis quelques décennies, et un G. B. Fontana, auteur d’un
recueil de sonates, est loué pour son jeu « suave ».

  26  
Les coups d'archet proposés par Francesco Rognoni (1620) ci-dessous :

  27  
V LA DIMINUTION & L’ORNEMENTATION VOCALE
[Voir également le chapitre VIII]

La voix occupe chez Mersenne une grande place. Comme le montrent par ailleurs les titres
de tous les traités de diminution (à l’exception de celui d’Ortiz « Glosas… » 1553), ces derniers,
mêmes écrits par des instrumentistes, sont destinés également aux chanteurs, l'imitation de la voix
étant, dans ce domaine, le guide de l'instrumentiste. Dans l'Harmonie universelle, les exemples de
diminutions vocales sont nombreux et il n'est pas question ici d'en faire la liste et l'analyse
exhaustive. En isoler les figures est plus délicat que dans les exemples pour instruments.
Ornementation et diminution semblent toujours plus étroitement liées quand il s'agit de musique
vocale. En soi, le Sixième livre des Chants est une mine d'or pour traiter de la diminution, des
ornements, des différences entre styles français et italien, de l'imitation de la voix sur les
instruments, etc.
Dans l'Harmonie universelle, les occurrences concernant la diminution se trouvent quelquefois
dans des chapitres où on ne les attend pas, indice une fois de plus de l'omniprésence des
diminutions et des ornements dans la pratique courante de la musique. Je laisse au lecteur le soin
de prendre le temps de lire chaque citation et ne l’embarrasse pas de mes commentaires. Chaque
phrase du texte de Mersenne incite à d'infinies gloses sur lesquelles il faudrait s'arrêter. Cette
abondance de références suggère que diminutions et ornements font partie du « normatif », qu’ils
font partie intégrante ou du son ou du mode de restitution de la musique écrite. Ils sont, selon le
mot de Ganassi, « l'ornement du contrepoint » ou l’ornement du son, mais ornements et habits
dont l’exécution musicale ne saurait se passer. Ils sont si inséparables de la pratique qu'ils sont
mentionnés également quand Mersenne nous parle de physiologie du chant (qui est le fondement
de la pratique), comme dans les premières citations qui suivent. Les autres citations sont tirées
d'un long passage du Livre Sixiesme de l'Art de bien chanter.

« PROPOSITION XXXII. Expliquer par quels mouvemens des organes


se font les passages & les fredons dont on vse en chantant.
C'est chose asseuree que l'anche du larynx, c'est à dire sa languette, ou
son ouverture, contribuë plus immediatement aux passages & aux
fredons que les autres parties, dautant qu'il faut marquer les degrez & les
intervalles que l'on fait en soustenant le passage; ce qui ne peut arriver
que par les differentes ouvertures de la languette, comme i'ay monstré en
parlant du son grave & de l'aigu. D'où il s'ensuit que eux qui ont ladite
languette plus mobile, sont plus propres pour faire les passages & les
fredons, & que ceux-là ne les peuvent faire qui l'ont trop dure & trop
seiche. Or les passages ou fredons se peuuent faire ou dans la gorge par
le moyen de l'anche, comme i'ay dit, ou avec les levres ; mais cette
derniere maniere est difforme, & condamnee par ceux qui enseignent à
bien chanter. » Harmonie Universelle, Livre premier de la voix, p. 40.
[…]
« Nous ne pouvons donc dire autre chose des parties qui aident à ceste
diminution & à cét ornement de la voix, sinon qu'il est necessaire que les
muscles & les cartilages qui font la voix doivent estre fort obeïssans, &
que l'esprit qu'apportent les nerfs recurrents qui viennent de la sixiesme
paire ou conjugaison des nerfs, & celuy qui est fourni par les arteres qui
sont dans les organes de la voix, est tres prompt, et en grande
abondance; de sorte que l'on peut dire que ceux qui font aisément les
passages ont l'anche plus molle, puis qu'ils l'ouurent & la ferment plus
facilement que les autres.

  28  
Il y en a qui croyent que l'epiglotte qui couure le larynx, sert pour faire
les fredons, mais il y a plus d'apparence qu'elle sert seulement pour
empescher que quelques parties de l'aliment & de la boisson dont on vse,
& qui entrent dans l'estomac par l'œsophage, n'entrent dans l'artere
vocale, & ne descendent sur le poumon, ce qui ne peut arriuer sans nous
incommoder. Les autres disent que la columelle qui est attachée vers le
fond du palais de la bouche, & qui descend en forme d'vn petit cone, sert
pour faire les passages, dont la trop grande relaxation qui se fait
quelquesfois par les fluxions, & par l'abondance des humeurs, empesche
la voix : mais ie parleray des incommoditez, & des vices de la voix dans
la 35 proposition & de ses medicamens & remedes dans la 36 ».
[…]
« Il faut neantmoins aduoüer que de tous ceux que l'on a oüy chanter
dans les terres de nos voisins, comme dans l'Espagne, dans l'Allemagne
tant haute que basse, & dans l'Italie, que l'on n'en rencontre point qui
chantent si agreablement que les François, dautant que les autres ne font
pas les passages si delicatement; & bien qu'ils ayent la voix plus forte,
plus claire, plus nette, & plus sonore, ils ne l'ont pourtant pas si douce,
ny si charmante, quoy qu'il s'en puisse rencontrer dans toutes les nations
qui égalent les François, ou qui les surmontent, car la nature produit
quelquefois des individus extraordinaires, tantost en vn Royaume, &
d'autrefois dans vn autre. » Harmonie Universelle, Livre premier de la voix, p.
41 et suivantes.

« PROPOSITION XXVIII.
Donner des exemples de la diminution & de l'embellissement des
Chants, & la methode de faire de bons Chants, & de les embellir par la
diminution. Quoy qu'il en soit ie mets icy un exemple auquel chacun en
peut ajoûter tant qu'il voudra, car tous les beaux traits & toutes les sortes
de diminutions & de modulations ne peuuent pas se rencontrer dans vn
seul Chant si court comme est celuy-cy. »
[…]
« Il ne suffit pas d'avoir traité des mouuemens, des sons, des
consonances, des dissonances, des systesmes, des genres, des modes, de
la composition, de la voix, & des chants, si l'on ne sçait la maniere & la
methode de bien chanter toute sorte de Musique, c'est pourquoy i'ajoûte
ce liure, lequel ie diuise en quatre parties, dont la premiere explique deux
methodes fort aysées pour enseigner le plain chant, & la musique aux
enfans, & à toutes sortes de personnes, sans vser des muances ordinaires,
qui embarassent d'avantage l'esprit qu'elles ne l'aydent. La seconde
enseigne comme il faut faire toutes sortes de diminutions pour embellir
les chants : la 3 monstre ce que c'est que la Musique Accentuelle : & la 4,
en quoy consiste la Musique Rythmique, d'où dependent tous les
mouuemens des Airs, & des dances. Or ce liure est le principal, & le plus
difficile de tous, parce que ses preceptes ne peuuent estre reduis en
pratique sans une bonne voix, laquelle on doit supposer : mais parce
qu’elle ne suffit pas toute seule, si elle n'apprend à se conduire par toutes
sortes de mouuemens, de degrez, & d'interuales, i'explique dans ce liure
comme elle doit se porter dans les plaintes, dans les diminutions, & aux
accens, & comme elle doit executer tout ce qui peut tomber sous

  29  
l'imagination. » Harmonie Universelle, Livre Sixiesme de l'art de bien chanter,
p. 410 et 411.

V. PROPOSITION.
« L'égalité est la tenuë ferme, & stable de la voix sur vne mesme chorde,
sans qu'il soit permis de la varier en la haussant ou en la baissant, mais
on peut l'affoiblir, & l'augmenter tandis que l'on demeure sur une mesme
chorde. Et la flexibilité de la voix n'est autre chose que la facilité & la
disposition qu'elle a à se porter par toutes sortes de degrez &
d'interualles tant en montant, qu'en descendant, & en faisant toutes
sortes de Passages, & de diminutions: ce que l'on doit particulierement
observer à la voix du Dessus, dont depend le principal ornement de la
Musique, comme i'ay monstré ailleurs, d'autant qu'elle fait ordinairement
les diminutions, & qu'elle fait paroistre la beauté du sujet, & de la lettre
qu'elle recite: de là vient que plusieurs ayment mieux entendre le recit
d'vn bon Dessus, qu'vn concert entier, dont i'ay expliqué les raisons dans
vn autre lieu. » Harmonie Universelle, Livre Sixiesme de l'art de bien chanter, p.
354.
[…]
« Et si on veut faire cette cadence avec toute sa perfection, il faut encore
redoubler la cadence sur la note marquée d'un point dessus, avec une
telle delicatesse, que ce redoublement soit accompagné d'vn
adoucissement extraordinaire, qui contienne les plus grands charmes du
Chant proposé. Apres que l'on sçait faire ces tremblemens, qui seruent
aussi pour toutes sortes de passages, l'on doit apprendre à faire les ports
de la voix, qui rendent les Chants, & les Recits fort agreables, & qui
seuls, estans bien executez, rendent les voix recommendables, encore
qu'elles ne puissent faire les tremblemens, soit martelez ou non martelez,
car l'esprit reçoit vn singulier contentement lors qu'il considere vne voix
qui se porte comme il faut par toutes sortes de degrez & d'interuales, &
qui tenant ferme sur les principales chordes du mode, qui animent le
chant, sembler charmer & transporter l'oreille & l'esprit des auditeurs.
Mais ces ports de voix ne sont pas marquez dans les liures imprimez ; ce
que l'on peut faire en mettant un point apres la note, sur laquelle on
commence le port ; & puis en ajoûtant une noire, crochüe, ou double
crochüe apres le point, laquelle signifie qu'il faut seulement vn peu
toucher la chorde precedente, pour y commencer la note qui suit. Ce que
l'on comprendra mieux par les 3. exemples precedens de la note, dont le
premier monstre comme il faut porter la voix, d'ut à ré: le second fait
voir comme on la porte de mi à fa, & le troisiesme de ré iusques à mi, ou
à fa. Enfin la voix se coule, & passe de ré à mi, comme si elle tiroit le ré
apres soy, & qu'elle continuast à remplir tout l'interuale, ou le degré de ré
à mi par une suite non interrompuë, & qu'elle rendist ces deux sons
continus : ce qu'il ne faut neantmoins faire que bien à propos, & aux
lieux où les ports de voix ont de la grace : ce qu'il faut semblablement
conclure des fredons, roulemens, martelemens, tremblemens, &
adoucissemens de la gorge & de la voix. Or il faut remarquer que les
Maistres vsent de differents caracteres pour signifier les lieux & les notes
où les tremblemens se doivent faire : par exemple, le Baillif, Boësset, &
Moulinié mettent une croix ou une demie croix sur la note, sur laquelle
ils veulent que l'on face la simple cadence, ou deux, trois ou quatre

  30  
tremblemens: & un autre caractere en forme de la lettre m, ou de la
diese, lors qu'il faut doubler la cadence, ou multiplier les tremblemens. »
Harmonie Universelle, Livre Sixiesme de l'Art de bien chanter, p. 355 et 356.

PROPOSITION VI.
« Expliquer les Caracteres necessaires pour signifier toutes les particularitez des Airs,
& des Chants que l'on desire reciter auec toute sorte de perfection ; & la maniere de
bien faire les cadences, & les tremblemens.
J'ay desia expliqué quelques signes ou caracteres, dont on use
ordinairement, pour signifier & enseigner la maniere dont ils se doivent
chanter : mais parce qu'ils n'ont pas beaucoup de rapport avec les
mouuemens de la voix qu'ils signifient, il faut voir si l'on en peut inuenter
de meilleurs, & particulierement dans la nouuelle maniere d'escrire la
Musique avec les lettres dont i'ay parlé dans la 2. Proposition. Ie di donc
premierement que l'on peut marquer le port de la voix, que i'explique
dans la Proposition precedente, avec la ligne qui suit la note, ou la lettre,
sur laquelle commence ledit port, comme l'on void en cet exemple, vt-ré;
L'on peut encore marquer ce port en ne mettant nulle distance ou virgule
entre v & r. en cette façon, vt ré, ou vr, ou bien, en mettant une ligne
dessus, ou dessous les deux lettres, afin de signifier que la voix doit
passer d'ut à ré, en frappant legerement le re sur l'ut, & en le montant
doucement, & comme par un mouuement continu iusques à la chorde ré.
En second lieu, les tremblemens qui se doiuent faire sur la note de la
cadence, sur laquelle il faut trembler, seront fort bien exprimez par une
estoile, qui ait autant de rayons comme il faut faire de tremblemens; par
exemple, si l'on doit trembler six fois sur la seconde lettre ou note sol, de
cette cadence la, sol, fa, il faudra marquer ce tremblement par cette
estoile *, en la mettant dessus ou à costé de la lettre, en cette façon, la,
sol, fa; mais parce que l'on n'a pas des estoiles auec 2. 3. 4. 5. 8. & 16.
rayons, l'on pourroit les suppléer par les nombres, car 8. mis sur la lettre,
ou note, sur laquelle il faut trembler, monstrera 8. tremblemens, & ainsi
des autres. Quant aux plaintes ou souspirs, la petite pointe dont usent
quelques Maistres, est assez propre pour cela. En troisiesme lieu, il y a
quantité de passions que l'on peut faire paroistre en chantant, pour
lesquelles on n'a pas encore inventé des caracteres, comme sont les
grandes exclamations des Airs Italiens, & les representations de la
defaillance de cœur ; il semble que si l'accent circonflexe n'estoit pas
employé pour les doubles crochuës dans la 2. Proposition il seroit propre
pour representer ces grands cris & excez de la voix, parce qu'il est
composé de l'accent aigu, & du grave, comme l'exclamation du
desespoir, & de la douleur est composée de l'esclat de la voix, & d'un
petit reste qui descend iusques à la Tierce, à la Quarte, à la Sexte
mineure, ou à d'autres interualles, suivant sa grandeur, & la puissance de
la voix qui chante. Mais ie parleray plus amplement des caracteres
propres pour exprimer la cholere, la tristesse, & les autres passions dans
la 3. partie de ce liure. ». Harmonie Universelle, Livre Sixiesme de l'Art de bien
chanter, p. 363.

  31  
Les exemples d’ornementation et diminutions de Mersenne sont présentés sur le site sous
l’onglet voix. On trouve aussi l’exemple de diminution de basse à la fin du document consacré au
vocabulaire de la diminution contenu dans l’Harmonie universelle. Voici en complément et sans
commentaires, les différentes versions diminuées/ornées d’un air de cour contenues dans
l’ouvrage de Mersenne. La version en notation moderne a été simplifiée pour permettre une
lecture directe : il est évident que les ports de voix ne sauraient trouver la moindre place dans la
notation arithmétique.

  32  
  33  
 

  34  
VI LES DIFFÉRENTS INSTRUMENTS
ET LEUR RAPPORT À LA DIMINUTION
La diminution met en valeur similitude et différences entre les instruments

« Et si l'on dit que l'Orgue, la Musette, la Flute, &c. peuvent fournir vne tenuë &
continuité beaucoup plus longue que la Viole, l'on peut respondre qu'à cela pres, &
à quelques mignardes cadences, ils manquent de tout le reste, & qu'il n'est pas
possible de mesnager leur vent en telle sorte qu'ils puissent rendre l'effet que nous
venons de dire. Et si l'on allegue le Luth, la Harpe, l'Epinette, &c. i'advouë qu'ils
ont aucunement le mignard effet de la Viole, mais avorté, pour n'avoir pas le
moyen d'observer les tenuës. Quant au Violon & à la Lyre moderne, on peut les
appeller imitateurs de la Viole, comme ils le sont de la voix : mais ils ne l'esgallent
pas, car le Violon a trop de rudesse, d'autant que l'on est contraint de le monter de
trop grosses chordes pour esclater dans les suiets, ausquels il est naturellement
propre : & si on le monte comme la Viole, il n'en sera different qu'en ce qu'il n'a
point de touches. Pour la Lyre elle en approche d'avantage, mais elle n'est pas
capable des passages que l'on execute sur la Viole, qui sont la vraye image de la
disposition de la voix, parce que son chevalet est trop plat ; ce que l'on fait, afin de
toucher par accords plusieurs chordes ensemble. Ceux qui ont ouy d'excellens
ioüeurs & de bons concerts de Violes, sçavent qu'il n'y a rien de plus ravissant
apres les bonnes voix que les coups mourants de l'archet, qui accompagnent les
tremblemens qui se font sur le manche, mais parce qu'il n'est pas moins difficile
d'en descrire la grace que celle d'un parfait Orateur, il faut les ouyr pour les
comprendre ». Harmonie universelle, Livre quatriesme des instruments, p. 195.

Les différents instruments :

LE CORNET
Mersenne décrit les diminutions que fait le cornet et également la manière de les articuler :

« Or on fait des diminutions sur le Cornet jusques à passer trente-deux notes à la


mesure, lors que l'on en sonne en perfection. L'on faisoit autrefois la Cadence avec
des martelemens, qui s'expriment par Tara tara, tara, ta, comme l'on void en ces
deux exemples. » Harmonie universelle, Livre cinquiesme des instrumens à vent, p. 275.

Je renvoie le lecteur au document intitulé « Le vocabulaire de diminution transmis par Marin


Mersenne ». Dans l’exemple mentionné ci-dessus, Mersenne mentionne 32 notes (des triples
croches) mais écrit des croches et des doubles croches.
« La seconde Cadence se fait par vn tremblement de doigts aux crochuës, et aux
doubles crochuës par vn redoublement : mais ce tremblement se fait avec le simple
vent, afin que la cadence en soit plus douce et plus amiable, et qu'elle imite la voix
et la plus excellente methode de bien chanter. C'est pour ce suiet que ceux qui
ioüent parfaitement du Cornet, en addoucissent le son tant qu'ils peuvent, d'autant
qu'il est vn peu rude naturellement. Et parce que cet instrument doit sonner la
Musique presque toute en diminution il est nécessaire que celuy qui veut apprendre à
en ioiier, sçache composer, & qu'il soit bon Musicien, afin qu'il fasse, les fredóns &
les diminutions bien à propos ». Harmonie Universelle, Livre cinquiesme des instrumens à
vent, p. 275
Le cornet « doit » donc sonner la musique « presque toute en diminution » : cette simple
phrase, comme tant d'autres, que ce soit chez Mersenne ou en Italie, montre le côté ordinaire de

  35  
la diminution mais aussi la grande quantité de diminutions qui probablement « habillait » non
seulement la musique polyphonique mais aussi la musique « moderne » (l'uso moderno selon F.
Rognoni), ce qui est montré de manière claire par Mersenne dans les diminutions d'airs de cour
qu'il donne par ailleurs. Voici deux exemples écrits, une pavane et une sarabande, pour l'ensemble
des vents du projet Mersenne, où le cornet se voit confier une voix « presque toute en
diminution » à titre d’exemple [on peut entendre la Sarabande sous l’onglet8 « CORNET »].

Une pavane et une Sarabande issues de L’Harmonie Universelle.

                                                                                                               
8   https://www.hesge.ch/hem/recherche-developpement/liste/termine

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En comparaison, voici une diminution du cornettiste Girolamo Dalla Casa (Il vero modo di diminuir,
1584), qui semble prendre à la lettre le père Mersenne écrivant « ...presque toute en diminution ».
La question se pose toujours de savoir si ce jeu instrumental est « ordinaire » ou exceptionnel
chez les bons professionnels ou de quel usage ou contexte il dépend. Le monde de la musique
ancienne du début du XXIe siècle a répondu pour ce genre de diminution très véloces : « cas
exceptionnel et uniquement pour la pratique en soliste ». Cette réponse n'est elle n'est-elle pas un
manque d'habitude d'entendre un son orné et habillé dans cette musique ? Et le manque
d'habitude d'intégrer la vélocité comme mode normal de jeu sur les instruments « agiles » ?
Voici en exemple, un extrait d’une diminution de G. Dalla Casa (1585).

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LES FLÛTES

« Mais apres que l'on sçait faire tous les tons, il faut s'accoustumer à la vistesse et à
la mesure, afin de faire toutes sortes de passages et de diminutions, et d'user de
toutes les douceurs et les mignardises, dont le Flageollet est capable ; ce qui ne se
peut faire sans la vistesse des doigts, qui doivent boucher et deboucher six ou huict

  40  
fois les mesmes trous dans le temps d'une mesure pour imiter les diminutions de la
gorge, de la Viole, des Luths et des autres instrumens. » Harmonie universelle, Livre
cinquiesme des instrumens à vent, p. 245.

On retrouve la même idée que celle exprimée par S. Ganassi en 1535.

« Si le peintre imite les effets de la nature avec ses couleurs, l’instrument imitera le
langage de la voix humaine avec l’intensité du souffle, l’attaque de la langue et l’aide
des doigts ». [Chapitre 1 Déclaration du but]. In Semplice, op. cit.

« Sache que l’imitation dérive de l’art (lartifitio), la promptitude du souffle et la


galanterie du tremblement (tremolo) des doigts. L’imitation, donc, doit imiter la voix
humaine ». [Chapitre XIII]. In Semplice, op. cit.

Les flûtes jouent donc de manière véloce comme « par nature » et ainsi imitent les diminutions de
la gorge des chanteurs.

LA SACQUEBOUTE

« Ceux qui usent de cet instrument, peuvent aysément experimenter s'il monte aussi
haut que la Trompette, c'est pourquoy ie n'en determine rien, i'adiouste seulement
que ceux qui s'en servent bien, font des diminutions de seize notes à la mesure ; ce
qui arrive semblablement à la Trompette, et à tous les autres instrumens à vent. »
Harmonie universelle, Livre cinquiesme des instrumens à vent, p. 271.

Cette dernière phrase inclut donc les instruments à anche pour lesquels cet aspect du jeu
instrumental n'est pas mentionné dans les pages qui leur sont dédiées.

LE SERPENT

« Or cet instrument est capable de soustenir vingt voix des plus fortes, dont il est si
aysé de ioüer qu'un enfant de quinze ans en peut sonner aussi forte comme vn
homme de trente ans. Et l'on peut tellement en addoucir le son qu'il sera propre
pour ioindre aux voix de la Musique douce des chambres, dont il imite les
mignardises, et les diminutions, qu'il peut faire de trente-deux notes à la mesure,
encore qu'il les faille eviter dans la Musique à plusieurs parties, parce qu'il faut
simplement sonner ce qui est dans la partie que l'on entreprend de chanter, ny
ayant que la seule descente de l'Octave qui soit permise, comme on la void icy. »
Harmonie universelle, Livre cinquiesme, des instrumens à vent, p. 225.

L'imitation de la voix humaine par les instruments, ici mentionnée pour le serpent, mériterait à
elle seule de longs développements. Le serpent imite donc les mignardises de la voix et peut jouer
jusque trente-deux notes à la mesure (voir la question de « la mesure » dans le document consacré
à la vélocité et à la haute virtuosité).

Le serpent, qui naît en France quelques dizaines d'années avant la parution de l'Harmonie
Universelle (la chose semble contestée depuis peu et son origine pourrait être italienne) a servi,
deux siècles durant, à accompagner le plain-chant. De fait, la méthode de serpent de Jean-
Baptiste Metoyen, conçue dans les années 1807/1810 et conservée à la BN en deux manuscrits9,
                                                                                                               
9 Métoyen, Jean-Baptiste, Ouvrage Complet pour l'éducation du Serpent (édition préparée par Benny Sluchin, éditions
Musicales Européennes, Brass Urtext, 2002 ; Manuscrit BNF 10228 et 10227).

  41  
donne des exemples de plain-chant, où le rôle de soutien des voix dévolu au serpent implique
aussi un « embellissement » via diverses diminutions. C'est donc un exemple de superposition
d'une voix non ou peu ornée, avec une diminution instrumentale. Au sujet de la diminution et de
la pratique d'ensemble, voir également à ce sujet, la question de la diminution exécutée à plusieurs
sur une partie dans L. Zacconi ( in Semplice, op. cit. p. 191 et note 6).

« Chaque fois que le chanteur veut éprouver si les vocalises apprises, dites
communément diminutions (passaggi), réussissent, qu’il essaie d’abord quand il
chante avec d’autres « en compagnie» et que ceux qui n’ont personne dans leur
partie essaient quand toutes les voix offrent une harmonie pleine. » Prattica musica,
Venise, Lodovico Zacconi, 1592.

Ce passage évoque clairement le fait que plusieurs chanteurs peuvent chanter la même
partie et faire des diminutions… probablement ensemble. Et que toutes les parties ne sont pas
systématiquement doublées.
On peut en déduire que pour l'exemple ci-dessous, le serpent joue diminutions et
mignardises pendant que les chanteurs, ad minima, chantant le plain-chant se contentent de
chanter à pleine voix et ce, naturellement, avec gravité dans un tempo très lent comme il semble
que c’était l’usage.

Voici un exemple musical pour le serpent tiré de la méthode de serpent de Metoyen (BN/Ms
10227 et 10228, édition moderne "Ouvrage complet pour l'éducation du serpent, Benny Sluchin
(Ed. Brass Urtext, Editions Musicales Européennes, 2002, reproduction avec l'aimable
autorisation de l'auteur).

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LE VIOLON

« EXPLIQUER LA FIGURE, LA MATIERE, les parties, l'accord, l'estenduë et


l'usage des Violons.
PREMIERE PROPOSITION.
Et ceux qui ont entendu les 24. Violons du Roy, advoüent qu'ils n'ont iamais rien
ouy de plus ravissant ou de plus puissant : de là vient que cet instrument est le plus
propre de tous pour faire danser, comme l'on experimente dans les balets, et par
tout ailleurs. Or les beautez et les gentillesses que l'on pratique dessus sont en si
grand nombre, que l'on le peut preferer à tous les autres instrumens, car les coups
de son archet sont par fois si ravissans, que l'on n'a point de plus grand
mescontentement que d'en entendre la fin, particulierement lors qu'ils sont meslez
des tremblemens et des flattemens de la main gauche, qui contraignent les
Auditeurs de confesser que le Violon est le Roy des instrumens. » Harmonie
universelle, Livre quatriesme des instrumens à chordes, p. 177.

Il semble donc que ce soit, une fois encore, les diminutions qui permettent au violon de
surpasser les autres instruments. La diminution et les ornements sont l'expression là aussi de
quelque chose d'essentiel et non de rapporté. La citation ci-dessus insiste sur la quantité et la
variété des diminutions, et le fait que les dites diminutions apportent de l'expression musicale.

« En quatriesme lieu i'ay mis la diminution des trente premieres mesures du


Dessus, afin que l'on voye la maniere dont les Violons ont coustume de diminuer
toutes sortes de chansons. A quoy i'adjouste que l'on transpose aysément chaque
ton en douze manieres, par le moyen des diezes & des fa feints, ou b mols qu'ils
appellent accidents, comme l'on void dans l'exemple du premier mode qui
commence en C sol vt fa. » Harmonie universelle, Livre quatriesme des instrumens à chordes,
p. 189.

L'expression employée par M. Mersenne pour qualifier le jeu du violon, rappelle ce qu'il dit du
cornet, qui « doit jouer la musique presque toute en diminution ». Ici, l'image n'est pas non plus
équivoque : « ...dont les violons ont coustume de diminuer toutes sortes de chansons ». Ces
« chansons » sont le répertoire de danse, de la musique de fantaisie et de la musique vocale
probablement, bien que Mersenne ne le mentionne pas ; ce sera pourtant le cas de manière
certaine quelques années plus tard quand le violon se sera imposé comme complément
indispensable des voix, notamment dans les grands motets.

« Or puis que le Violon semble estre le plus parfait, et le plus excellent de tous les
autres instrumens tant pour la varieté de ses diminutions, de ses syncopes, de ses
liaisons, de ses feintes, et de ses beaux chants, que pour l'admirable agréement des
mouvemens differens que l'on n'avoit pas encore trouvez, il ne seroit pas hors de
propos d'y adiouster vne cinquiesme chorde, afin qu'il eust vne assez grande
estenduë pour tous les modes. » Harmonie universelle, Livre quatriesme des instrumens à
chordes, Proposition III, p. 183/184.

Exemple : la diminution de violon proposée par M. Mersenne dans l’Harmonie universelle

  44  
  45  
Dans le passage ci-dessus, Mersenne mentionne une nouvelle fois la variété des
diminutions, mélodiques et rythmiques, et des ornements. Cette citation fait elle aussi écho au
traité de F. Rognoni (Selva di passagii), qui est le traité de diminution le plus tardif (1620), le plus
complet et le plus idiomatique pour cet instrument. Le violon permet d'introduire de nombreux
intervalles dans la diminution et a un ambitus plus étendu que les instruments à vent. Ces deux
caractéristiques éloignent ainsi le violon de la voix humaine. La vocalité du violon est comme une
vocalité transcendée ou sublimée comme il le suggère ci-dessous.

« PREMIERE PROPOSITION. DETERMINER QVELLE EST LA MATIERE,


la figure, l'accord et l'vsage de l'Epinette.
Mais ie ne croy pas que l'on puisse suppleer les gentillesses de la main gauche, ny
les fredons, et les douceurs et ravissements des coups de l'archet, dont les excellens
ioüeurs de Violes et de Violons, comme les Sieurs Maugards, Lazarin, Bocan,
Constantin, Leger et quelques autres, ravissent l'esprit des auditeurs. ». Harmonie
universelle, Livre Troisiesme des Instrumens à chordes, p. 106.

Il est intéressant de comparer ce qu'écrit le violiste André Maugars à son retour d'Italie
concernant la diminution :

« Et certes tout homme qui touche vn Instrument, ne merite pas d'estre estimé
excellent s'il ne le sçait faire, et particulierement la Viole, qui estant de soy ingrate, à
cause du peu de chordes, et de la difficulté qu'il y a de toucher des parties, son
propre talent est de s'égayer sur le Subjet presenté, et de produire de belles
inventions, et des diminutions agreables. »
[…]
« La naissance et la nourriture Françoise nous donnant cet avantage au dessus de
toutes les autres Nations, qu'elles ne sçauroient nous égaler dans les beaux
mouuemens, dans les agreables diminutions, et particulierement dans les chants
naturels des Courantes et des Ballets. » (Response faite à vn curieux, sur le sentiment de la
musiqve d'Italie (Rome, 1639 ; éd. facsimilé, Genève: Minkoff, 1993).

Maugars, en mentionnant « courantes et ballets » fait donc allusion au violon, l'instrument à


danser par excellence encore à cette époque. Il confirme que, comme l'écrit également Mersenne,
les Italiens mettent plus d'énergie dans leur geste d'exécution (vocale en l'occurrence) que les
Français :

« Pour leur façon de chanter, elle est bien plus animée que la nostre : ils ont
certaines flexions de voix que nous n'auons point; il est vray qu'ils font leurs
passages avec bien plus de rudesse, mais aujourd'huy ils commencent à s'en
corriger. » (Response faite à vn curieux...)
« Car bien que tout ce qu’ils font ne soit peut-estre pas à approuuer, neantmoins il
est certain qu’ils ont quelque chose d’excellent dans leurs récits, qu’ils animent bien
plus puissamment que ne font nos Chantres, qui les surpassent en mignardise, mais
non en vigueur ». Harmonie universelle, Livre sixiesme des chants, p. 356.

LA VIOLE

« Certes si les instrumens sont prisez à proportion qu'ils imitent mieux la voix, et si
de tous les artifices on estime d'avantage celuy qui represente mieux le naturel, il
semble que l'on ne doit pas refuser le prix à la Viole, qui contrefait la voix en toutes
ses modulations, et mesme en ses accents les plus significatifs de tristesse et de

  46  
ioye: car l'archet qui rend l'effet dont nous auons parlé, a son trait aussi long à peu
prez que l'haleine ordinaire d'une voix, dont il peut imiter la ioye, la tristesse,
l'agilité, la douceur, et la force par sa viuacité, par sa langueur, par sa vistesse, par
son soulagement, et par son appuy: de mesme que les tremblemens et les flatteries
de la main gauche, que l'on appelle la main du manche, en representent naïfuement
le port et les charmes. » Harmonie universelle, Livre quatriesme des Instrumens à chordes, p.
194.

On retrouve dans la citation ci-dessus l'imitation de la voix comme critère par le biais des
« tremblemens et des flatteries ».

« Pour la Lyre elle en approche d'avantage, mais elle n'est pas capable des passages
que l'on execute sur la Viole, qui sont la vraye image de la disposition de la voix,
parce que son chevalet est trop plat ; ce que l'on fait, afin de toucher par accords
plusieurs chordes ensemble. Ceux qui ont ouy d'excellens ioüeurs et de bons
concerts de Violes, sçavent qu'il n'y a rien de plus rauissant apres les bonnes voix
que les coups mourants de l'archet, qui accompagnent les tremblemens qui se font
sur le manche, mais parce qu'il n'est pas moins difficile d'en descrire la grace que
celle d'un parfait Orateur, il faut les ouyr pour les comprendre. » Harmonie universelle,
Livre quatriesme des instrumens à chordes, p. 195.

« Or l'on peut expliquer ce que fait l'archet aux tremblemens de la chorde par ce
que fait le doigt que l'on passe fort viste sur les trous d'un Flageollet tandis que l'on
en sonne, car il ne change pas le nombre des tremblemens, ou des battemens du
vent, ny consequemment l'aigu du son, mais il luy donne vn nouveau mouvement
qui est quasi semblable aux fredons que l'on fait de la gorge, qui ne changent pas
les tons ou l'aigu de la voix, et qui luy servent seulement d'un nouvel ornement. »
Harmonie universelle, Livre quatriesme des instrumens à chordes, p. 197

Il est à noter l'insistance de Mersenne sur le fait que la diminution instrumentale est l'imitation de
la diminution vocale. Du reste, dans le livre sixième il renvoie les chanteurs aux diminutions de
violon qu’il donne dans le livre quatrième. Quand Finck10 de son côté, donne des diminutions
sur un motet, il en retire les paroles.

L'ORGUE

« Quant au second, i'ay parlé assez amplement de la Composition dans vn livre


entier, sans qu'il soit besoin de le repeter icy: quoy que l'on puisse remarquer
plusieurs particularitez, qui ne sont propres qu'à l'Orgue, et aux autres instrumens à
Clavier; mais il vaut mieux reserver tout ce que l'on en peut dire pour Monsieur
Raquette Organiste de nostre Dame de Paris, tres-excellent Compositeur, qui
pourra donner vn traité de la Composition le plus parfait de tous ceux qui ayent
esté veus, quand il luy plaira, dans lequel il distinguera ce que la Musique des voix a
de particulier, et de plus ou de moins que celle des Orgues; ce qui est meilleur sur
l'Orgue que sur le Clauecin: ce qui reüssit mieux sur ceux-cy que sur le Luth, &c.
L'on peut cependant remarquer qu'un Organiste est d'autant plus excellent qu'il fait
mieux entendre le plain chant, ou le suiet, qu'il fait mieux chanter les autres parties
du Contre-point, et qu'il fait mieux les Cadences. Quelques-vns font grand estat de

                                                                                                               
10 Voir le chapitre: « À QUI EST DESTINÉE LA DIMINUTION ? ».  

  47  
ceux qui peuuent faire trois ou quatre cent mesures de bon contrepoint figuré
contre vn point d'Orgue; les autres de ceux qui ont vne grande vitesse et legereté de
main, comme il arriue lors qu'ils font trente-deux notes dans la mesure binaire, qui
dure seulement vne seconde minute; et les autres enfin de ceux qui font vn tres
grand nombre de passages, de diminutions, et de varietez contre tel suiet qu'on leur
puisse donner: à quoy l'on peut adiouster que ceux qui ioüent d'un beau
mouuement et d'une bonne grace, et qui sont iustes à la mesure, sont les plus
parfaits de tous, particulierement s'ils ont tout ce qui a esté remarqué cy-dessus, et
s'ils sçauent vser des degrez Chromatiques aussi parfaitement que des
Diatoniques. » Harmonie universelle, Livre sixiesme des orgues, p. 392.

La diminution à l'orgue semble dans la nature des choses : les tablatures, depuis le XVe
siècle sont systématiquement dotées de diminutions, car elles sont la notation d’un geste. De fait,
la diminution à l'orgue permet d'animer le son naturellement droit de cet instrument, comme elle
permet, sur le clavecin, de compenser le manque de tenue du son de ce dernier. C'est peut-être ce
que veux dire G. Frescobaldi quand il écrit « il ne faut pas laisser l'instrument vide ». (« non lasciar
vuoto lo strumento ». (Préface de Il Primo libro delle toccate d’intavolatura di cembalo e organo, Rome,
Nicolò Borbone, 1615-1637).

L'ÉPINETTE

« PROPOSITION III.
Expliquer la figure, les parties, le Clauier et l'estenduë du Clavecin.
Mais i'expliqueray plusieurs autres choses qui appartiennent à l'Epinette dans le
discours de la Pratique, dans lequel ie monstreray tout ce qui se peut faire dessus, et
particulierement les plus grandes diminutions, dont les doigts sont capables pour
les accords, qui se peuvent faire des deux mains, et toutes les gentillesses que l'on a
coustume de pratiquer. » Harmonie universelle, Livre troisiesme des instrumens à
chordes, p. 110.
« PROPOSITION XXII.
Mais quoy qu'il en soit, il suffit de remarquer ce qui est necessaire pour le beau
toucher du Clauecin ; lequel consiste premierement à porter tellement les deux
mains ensemble sur le clavier, qu'elles ne soient nullement forcées ny contrefaites,
et que leur mouuement reglé ne donne pas moins de contentement que le son des
chordes. En second lieu, que la gauche touche deux, ou trois bons accords, lors que
la droite fait des diminutions et des passages, et au contraire. En troisiesme lieu, il
faut faire les cadences tant simples que doubles et triples, si nettement que la
confusion n'en obscurcisse point la beauté, et les charmes. En quatriesme lieu, il
faut garder la mesure le plus iustement qui se puisse faire, et consequemment l'on
doit passer 16 doubles, ou 32 triples crochuës en mesme temps que 4 noires dans la
mesure binaire, et 12 doubles ou 24 triples crochuës dans la ternaire en mesme
temps que l'on en fait trois noires. Quant aux tremblemens, battemens,
martelemens, myolemens, accents plaintifs, &c. l'on peut quasi les faire sur le
clavier comme sur le manche du Luth, dont il n'est pas besoin de repeter les
discours qui sont dans le liure precedent. Or il faut encore remarquer que la
legereté de la main est fort differente de sa vistesse, car plusieurs ont la main tres
viste, qui l'ont neantmoins bien pesante, comme tesmoigne la dureté et la rudesse
de leur ieu. Or ceux qui ont cette legereté de la main peuvent estre appellez
Maistres absolus de leurs mains et de leurs doigts, dont ils pesent si peu qu'ils
veulent sur les marches, afin d'adoucir le son de l'Epinette comme l'on fait celuy du
Luth: de sorte qu'ils font ouyr des Echo tres doux, et d'autres-fois des sons si forts,

  48  
qu'on les compare au foudre et au tonnerre, comme il arrive lors qu'ils triplent ou
quadruplent la cadence en faisant 32 triples, ou 64 quadruples crochuës aux
passages, ou aux cadences triples et quadruples, dont on void plusieurs exemples
dans la piece qui suit, dans laquelle les tremblemens, qui se font en descendant, se
marquent par cette virgule, et ceux qui se font en montant, par cette autre, qui
ressemble à la lettre c: quoy qu'on les puisse marquer avec tels autres caracteres que
l'on voudra. Ie laisse plusieurs gentillesses que les grands maistres font sur le
clavier, par exemple de certains passages, dans lesquels deux sons conioints
s'entendent en mesme temps, tandis que l'un des doigts tient l'une des marches
abbaissées, afin que la chorde qui a esté touchée conserve son resonnement. Et
cette industrie peut servir pour faire entendre plusieurs accords tres-doux sur
l'Epinette qui seront composez des seuls resonnemens, et consequemment qui
esgaleront quasi la douceur du Luth. » Harmonie universelle, Livre troisiesme des
instrumens à chordes III, p. 161.
L'épinette est l'instrument le plus proche de l'orgue et c'est aussi le seul instrument qui fait « 64
notes à la mesure » (voir plus loin la question de la vélocité). Cette longue citation peut être mise
en rapport avec celle de Correa de Arauxo (voir le chapitre concernant la vélocité), à la fois par la
mention des valeurs extrêmement rapides et l'évocation de la légèreté et la « vistesse de la main ».

LE LUTH

Parmi les instruments, les chapitres consacrés au luth et à ses ornements sont très développés.
Probablement parce que le luth entre dans la même catégorie des instruments dont le son ne tient
pas et qu'il ne faut pas « laisser vide ». Le manque de tenue du son des instruments à cordes
pincées implique de développer un jeu subtil et varié d'ornements, chose plus facile à réaliser au
luth qu'au clavecin. Mersenne mentionne un ornement au nom étonnant : le « verre cassé » :

« Quant au verre cassé, ie l'adiouste icy, encore qu'il ne soit pas maintenant si usité
que par le passé, dautant qu'il a fort bonne grace, quand on le fait bien à propos : et
l'une des raisons pour laquelle les modernes l'ont reietté, est parce que les anciens
en usoient presque partout. Mais puis qu'il est aussi vitieux de n'en point faire du
tout, comme d'en faire trop souvent, il faut vser de mediocrité, sa figure est
[signum] la virgule precedente suivie d'un point. Et pour le bien faire, l'on doit
poser le doigt de la main gauche au lieu où il sera marqué ; et lors que l'on touchera
la chorde de la main droite, il faut bransler la main gauche d'une grande violence,
en la haussant vers la teste du Luth, et en la baissant vers le chevalet sans lever en
aucune façon la pointe du doigt de dessus la chorde. Mais il ne faut pas que le
poulce de la main gauche touche au manche du Luth, quand on fait ledit
tremblement, afin que l'action de la main en soit plus libre. » Harmonie universelle,
Mersenne, Livre premier des instruments à chordes, p. 81.

Je me permets de souligner au lecteur pressé : « les anciens en usoient presque partout » et « puis
qu'il est aussi vitieux de n'en point faire du tout, comme d'en faire trop souvent, il faut user de
mediocrité ». Une autre chose peux nous étonner : « il faut bransler la main gauche d'une grande
violence ». Cela évoque un résultat audible pour l’auditeur, même relativement distant du
luthiste...

Dans le passage qui suit, Mersenne décrit par le détail différentes formes de tremblements, en les
comparant aussi à ceux joués au violon. Puis :

« VIII. Des traits de la main gauche.

  49  
L'on fait encore d'autres mignardises que l'on appelle traits de main gauche, qui
sont fort agreables quand ils sont bien executez: en effet il n'y a quasi que la main
gauche qui y contribuë, car apres que la droite a touché la chorde, la main gauche
fait deux ou trois lettres en suite du seul toucher de la droite: » Harmonie universelle,
Livre second des instruments à chordes, p. 82.

[…]
« Or apres avoir donne toutes ces pieces de tablature pour le Luth, il faut
premierement remarquer qu'il leur manque plusieurs caracteres necessaires pour les
ioüer selon l'intention et la methode du sieur Basset, qui est expliquée dans la 10.
Proposition. Mais ceux qui desireront les marquer les trouueront dans mon
exemplaire, où ils sont adioustez à la main, parce que l'on n'a point de ces
caracteres dans les imprimeries, et les transcriront aussi aysément, comme ie le leur
presteray librement, si ce n'est qu'ils ayment mieux consulter ledit Basset, qui les
accommodera : mais il est necessaire de faire lauer leur papier dans l'eau d'alun, afin
qu'il ne boiue point, et qu'ils y puissent escrire tout ce qu'ils voudront. En second
lieu, que chacun peut inuenter de nouveaux caracteres, pour exprimer sa methode,
n'y ayant aucune obligation de se servir plustost de ceux cy que de ceux-là, quoy
qu'il soit à propos de retenir ceux qui sont desia en usage, et d'adiouster seulement
ceux qui manquent, comme nous auons fait dans cette tablature. » Harmonie
universelle, Livre second des instruments à cordes, p.90.

LA HARPE

« PROPOSITION XXIV.
Expliquer la figure, l'accord, l'estenduë, et l'usage de la Harpe.
Ie laisse toutes les mignardises, et les delicatesses dont on peut vser en ioüant de la
Harpe, d'autant qu'on luy peut appliquer vne partie de celles qui se pratiquent sur
les autres instrumens, quoy que la maniere de la toucher, et de pinser ses chordes
soit fort differente de celle dont on touche les autres, car les deux mains la
touchent de mesme façon. Certes si l'on considere les tremblemens du manche du
Luth, dont la Harpe est privée, ie croy que l'on avoüera qu'il est plus charmant, et
qu'il merite d'estre appellé le Roy des instrumens, quoy qu'il soit libre à vn chacun
d'en croire ce qu'il voudra. » Harmonie universelle, Livre troisiesme des Instrumens à
chordes, p. 169.

La harpe est donc avec le violon, l’autre roi des instruments !

On voit ici que la fréquence et la variété des diminutions et ornements (les « délicatesses »)
pratiqués sur cet instrument, comparé alors aux autres, ne peuvent être décrits dans le détail. On
retrouve ici la mention de ce que je considère comme étant le jeu ordinaire, loin de la notation
nécessairement simplifiée des partitions et tablatures.

Après ce panorama des modes de diminution adaptés aux instruments, le texte suivant est
consacré à la haute vélocité, appelée souvent à tort virtuosité. Que ce soit pour la voix ou les
instruments, la diminution a naturellement une relation directe avec le fait de jouer des notes très
rapides. Ce goût pour la vélocité se retrouve dans de nombreuses sources et répertoires et
l’Harmonie Universelle ne fait pas exception, bien au contraire.

  50  
VII LA HAUTE VÉLOCITÉ CHEZ MERSENNE
La diminution, qui par le sens même du terme, implique la division des valeurs longues en valeurs
rapides, est toujours associée à ce qu'on appelle « la virtuosité », qu'on devrait du reste appeler
plus simplement la vélocité. Cette vélocité reste malgré tout l'apanage des grands virtuoses et
nous ne la trouvons présente que dans les traités de diminution écrits par de très bons
instrumentistes (Ganassi, Dalla Casa, R. et F. Rognoni) ou chanteurs (Bovicelli, Severi11). Ces
musiciens chanteurs ou instrumentistes ont quasiment tous composé par ailleurs des motets ou
des madrigaux, ne comportant que peu ou pas de diminutions, à quelques exceptions notables
près (G. Dalla Casa, F. Rognoni, voir la bibliographie). Les musiciens plus polyvalents, en charge
d'une chapelle, compositeurs de manière non occasionnelle (mais presque toujours
instrumentistes ou chanteurs au début de leur carrière) n'ont généralement pas écrit de
diminutions. Les théoriciens de la musique, ont eux aussi proposé, à titre d'exemple, des
diminutions simples, qui ne vont jamais au-delà de la proportion de 16 notes par semi-brève
(Finck, Maffei, Praetorius). Ils donnent le témoignage de la diminution « ordinaire », celle qui ne
s'écrit pas, en tout cas, avant 1620, notamment dans le cadre de la polyphonie. Les grands
instrumentistes, eux, mentionnent la diminution virtuose, qui comporte donc des valeurs plus
rapides. Il faut néanmoins noter un fait : de 1580 environ au début du XVIIe siècle, de temps à
autre, en dehors des traités de diminutions, dans des partitions, apparaissent des diminutions
relativement ou très virtuoses : c'est le cas, par exemple, du Balet comique de la Royne de Balthazar
de Beaujoyeulx (1582), des Intermèdes de la Pellegrina (1589/1591, la musique est éditée deux ans
après l'évènement), de l'édition des madrigaux de Luzzaschi que chantaient les dames de Ferrare,
de l'Orfeo de Monteverdi, de la musique de Vêpres contenue dans l'édition de 1610 de ce même
Monteverdi. À chaque fois, ces éditions relatent un évènement : on peut considérer alors que ces
partitions sont alors conçues comme le témoignage postérieur d'un événement particulier et à ce
titre, comportent des éléments clés de l'exécution.
Mersenne parle fréquemment de la division de 32 notes. Il faut remarquer ici qu'il peut y
avoir une ambiguïté sur le terme « mesure » qu'il emploie. S'agit-il d'une mesure comportant un
tactus de deux semi-brèves, comme le montrent les exemples tant pour le cornet que pour le
serpent, ou d'une seule semi-brève, comme valeur de référence. Le placement des barres de
mesures pour la diminution de violon (la fantaisie étant notée en C) n'est pas systématique,
comme c'est souvent le cas à cette époque, la barre de mesure étant encore relativement
indépendante du signe de mesure. Si la mesure ordinaire de référence de Mersenne est la brève,
« 32 notes » désigne alors des doubles croches ce qui vaudrait aussi pour le cornet (coïncidant du
reste alors avec les exemples donnés pour cet instrument), la sacqueboute ne faisant que 16 notes,
donc des croches. L'exemple du violon nous emmène dans le monde des triples croches, donc de
la division que nous devrions alors appeler « 64 » que l'on retrouve mentionnée comme telle pour
l'orgue. Mais dans le cas de l’orgue, la division « 64 » correspond clairement à des quadruples
croches pour lesquelles l’imprimeur « n’a pas le signe » (Mersenne, Harmonie universelle, Livre
sixiesme des orgues, p. 394 et 395, voir ci-dessous). Mais la division de « 32 » est, dans toutes les
sources de diminutions la division de la ronde. De plus, cette valeur est omniprésente dans le
répertoire diminué/orné. Je pense donc que Mersenne évoque la triple croche en parlant de 32
notes, même si l’exemple donné au cornet ne présente pas cette valeur. On doit aussi considérer
que ce chiffre de 64, qui dans l'Harmonie Universelle ne concerne que l'orgue et de clavecin,
correspond aux 32 notes des partitions pour instruments mélodiques car, comme c'est l'usage
dans les tablatures de luth et de claviers à la Renaissance, les valeurs sont divisées par deux voire
quelquefois par quatre12. D'un autre côté, Marin Mersenne vit à une époque charnière en matière
de notation. Peu à peu le tactus va changer de valeur de référence, particulièrement dans la
                                                                                                               
11 Voir la conclusion, l’index des noms et ouvrages cités et la bibliographie.
12 On se rend compte de cette division des valeurs en comparant la tablature avec l’édition de la version « simple »
de la composition.

  51  
musique vocale profane. Dans son exemple de diminutions pour orgue, il y a bien environ 64
notes pour une semi-brève, la mélodie étant basée sur des semi-minimes et non des minimes
comme l’est majoritairement la musique polyphonique du siècle précédent. La limite
physiologique de vélocité des meilleurs joueurs de clavier est sensiblement la même pour les
instruments agiles (flûtes, cornets, violons notamment). L'usage fréquent de 32 notes par semi-
brève et l'impression tant pour l'exécutant comme pour l'auditeur crée un autre rapport au temps
musical. Je laisse au lecteur le soin de poursuivre l'introspection et de rechercher les traces de la
haute vélocité dans les musiques plus tardives, sur les autres usages de ces valeurs extrêmes. Les
violonistes Arcangelo Corelli et Giuseppe Tartini, donnent à l'envie l'impression d'une continuité
du type de geste musical entre le mode de la diminution issue de la Renaissance et les musiques
ultérieures. Chez Arcangelo Corelli, si on s'en tient à la valeur des notes des diminutions
mentionnées dans l'édition d'Amsterdam d’Estienne Roger, généralement, le dépassement de
valeurs contenues théoriquement dans la mesure est souvent au-delà de la minime. En diminuant
de moitié la valeur des diminutions, les notes ne rentrent toujours pas dans ladite mesure de
référence. Dans ce cas, de fait, Corelli utilise pour ses ornements la division de 64 notée 32....
Chaque exécutant convient que malgré tout, ces ornements rentrent dans la mesure quelle que
soit leur notation : il se peut que, pour Corelli, l’éditeur (de fait, le graveur, puisque l’édition est
une gravure) a fait l’économie d’un geste à chaque trait de virtuosité : cette économie n’a pas été
faite dans l’édition de l’adagio de Tartini.

Exemple ci-après : Arcangelo Corelli, Sonate I (extrait), Opus V, édition Roger, Amsterdam,
1710.

  52  
Ci-dessous : un exemple de Tartini (extrait, une seule diminution ici, au lieu des 16
versions superposées) parue dans L'art du violon de J.B Cartier (Paris, 1798: 17 variations sur le
premier mouvement de la sonate F5)

  53  
  54  
  55  
 
« Expliquer toutes les Diminutions qui se peuvent faire sur l'Orgue, ou sur l'Epinette ».

Je mets donc icy ce que les mains les plus adroites & les plus vistes peuuent
executer, afin que cet exemple serue d'idée à la perfection du beau toucher, lequel
se comprend beaucoup mieux en voyant joüer les excellens Maistres que par aucun
discours que l'on en puisse faire. Il faut donc remarquer que cette piece de tablature
contient seulement les deux premieres mesures de l'air precedent, c'est à dire le
chant qui sert à ces paroles, Tu crois ô beau Soleil : de sorte que la main droite
commence à faire ces deux mesures en simples crochuës, tandis que la main gauche
tient ferme, & puis la main gauche fait la mesme chose que la droite, laquelle
recommence apres pour en faire seize à la mesure, ce que fait aussi la main gauche
en son rang. Et puis la droite en fait 32 à la mesure, & la gauche apres : &
finalement la droite en fait 64 à la mesure, par lesquelles la gauche finit ces
exemples. Surquoy il faut premierement remarquer que ces deux dernieres lignes de
Diminution ne sont marquées que par des notes de trente-deux à la mesure,
comme les precedentes, au lieu qu'elles doiuent estre de soixante & quatre à la
mesure ; c'est pourquoy il faut adiouster une quatriesme barre, afin qu'elles soient
quadruples crochuës, d'autant que l'on n'a point encore de ces notes dans les
Imprimeries de Musique. Secondement que le temps de chaque mesure ne dure pas
deux secondes minutes, mais seulement autant qu'une fisselle de deux pieds &
demi de long penduë à un clou par un bout, qui a une bale de plomb attachée à
l'autre, en employe à faire un tour & un retour, dont i'ay parlé fort amplement dans
la treize, quatorze & quinziesme Proposition du livre des Mouvemens, & dans le
troisiesme des Instrumens à chordes. »
[…]
« Or apres auoir monstré les plus grandes diminutions que les plus excellens
Organistes peuuent faire sur l'Orgue (car bien que l'on en puisse encore faire de
plus grandes par le moyen des barillets, neantmoins elles seroient trop confuses, ou
trop vistes, puis que l'oreille & l'imagination ne peuuent pas mesme comprendre
celles de 64 notes de la mesure binaire, ou les 48 de la ternaire) ie veux adiouster
une remarque particuliere des tuyaux bouchez, laquelle merite la Proposition qui
suit. » Harmonie Universelle, Livre des orgues, p. 393.
Il s’agirait probablement parmi les premières mentions en France de cette division de 64 de la
semi-brève car Mersenne nous apprend que l'éditeur Ballard n'a pas les caractères pour imprimer
cette valeur13. Mersenne va donc faire imprimer l'exemple en triple croche. Comme nous l'avons
vu ci-dessus, ces 64 notes désignent l'équivalent des 32 notes pour les instruments de clavier.
L’incipit est donné par Mersenne. Voir la diminution d'orgue, partition, et musique exécutée dans
une réalisation faite par Damien Desbenoit de l'intégralité de l'air de cour sur la page du projet
Mersenne consacrée à l'orgue :
https://www.hesge.ch/hem/recherche-developpement/liste/termine

Je donne ci-dessous notre transcription des incipits.

« Surquoy il faut premierement remarquer que ces deux dernieres lignes de


Diminution ne sont marquées que par des notes de trente-deux à la mesure,
comme les precedentes, au lieu qu'elles doiuent estre de soixante & quatre à la
mesure ; c'est pourquoy il faut adiouster une quatriesme barre, afin qu'elles soient

                                                                                                               
13 Il faut se rappeler que Girolamo Dalla Casa dit lui-même avoir attendu des années que son imprimeur fabrique les
caractères voulu (24 notes à la semi-brève) pour pouvoir faire imprimer Il vero modo di diminuir. 1584.

  56  
quadruples crochuës, d'autant que l'on n'a point encore de ces notes dans les
Imprimeries de Musique ». Harmonie universelle, Livre sixiesme des orgues, p. 394.

Lors de l'un des séminaires organisés par la HEM de Genève et le CMBV de Versailles, la
question des 64 notes fut évoquée. La quasi unanimité des personnes présentes tombèrent
d'accord pour qualifier cette proposition de Mersenne de « spéculation » : Mersenne, en
mathématicien, aurait procédé par extrapolation de proportions. J'ai souvent entendu par le passé
le même argument pour qualifier la virtuosité des grands traités de diminution. Que ce soit Il vero
modo di diminuir de Dalla Casa (1584), ou les improvisations présumées de Francesco Rognoni à la
lecture de son traité Selva di passaggi (1620) ou encore de la vélocité et de l'usage des proportions
contenues dans la Fontegara de Ganassi. Mersenne mentionne les 64 notes à plusieurs reprises.
Pour ceux qui connaissent ne serait-ce que Charley Parker et Dizzy Gillespie, des grands joueurs
de flûtes indienne comme Hariprasad Chaurasia, improvisant sans cesse avec des proportions
complexes, l'argument de la « spéculation » est faible : on oublie aujourd'hui ce que produit le
travail d'un exécutant sur plusieurs années, notamment pour un musicien baignant dans une seule
culture, répétant sans cesse les mêmes formules sur le même répertoire, même si formules et
répertoire peuvent être très étendus. En ce qui concerne la culture des exécutants du XVIe siècle,
le lecteur pourra se reporter au livre Semplice, on y traite de la question du répertoire des musiciens
du XVIe siècle [« Les formes musicales et les usages », chapitre 6, page 83 et suivantes] où à
l'évidence, l'improvisation et son corollaire, la virtuosité, reposent sur un répertoire établi.
En mentionnant cette proportion de 64 notes (qui je le répète, est très certainement
l'équivalent des 32 notes du violon, donc d’une valeur omniprésente dans le répertoire virtuose
après 1600), Mersenne montre peut-être son intérêt et celui de son époque pour la vélocité.
Rappelons que Marin Mersenne ne fait que rapporter ce qui lui est dit concernant les pratiques de
son temps. Il se peut même que cette pratique de la haute vélocité (omniprésente dans nombre de

  57  
musiques traditionnelles, tant pour la voix que pour les instruments) se perde quelque peu à la fin
de la Renaissance et que le goût pour une nouvelle musique, plus chargée de l'expression des
« sentiments » ait mis au second plan cet outil d'expression qu'est la vélocité. De là vient peut-être
notre réticence, quelques siècles après, à envisager la haute vélocité comme outil d'expression
musicale. N’est-ce pas ce que veut déjà dire Dalla Casa dans son introduction à son ouvrage Il vero
modo di diminuir :

« Je me suis beaucoup étonné, et il me reste de toute façon une grande stupéfaction


à l’esprit, de ce que tant d’excellents musiciens, qui ont écrit [des diminutions],
n’ont jamais traité, mises à part [celles] en croches et en doubles-croches, des deux
autres figures : les sextolets, 24 par battue, et les triples-croches, 32 par battue. Elles
sont [pourtant] si nécessaires dans la diminution, qu’on ne peut faire sans elles, car
la diminution mixte, c’est-à-dire avec les quatre figures (croche, double-croche,
sextolet et triple-croche), est la vraie diminution ». [c'est moi qui souligne]
Girolamo Dalla Casa, Il vero modo di diminuir, Venise 1584, Traduction Christian
Pointet in Semplice, opus cit.

Il est une autre source qui indique clairement l'agilité et la vitesse, c'est à la fois le texte et
la musique des derniers tientos de Correa de Arauxo (Facultad Organica, 1626, Alcalá de Henares
chez Antonio Arnao). Correa de Arauxo donne de nombreuses indications sur l’exécution du
répertoire qu’il écrit. Voici un extrait extrêmement parlant qui présente les derniers tientos du
recueil, extrêmement virtuoses : le n° 58 est constitué quasiment exclusivement de triples-
croches.
« Suivent 4 œuvres de trente-deux notes à la mesure, à quatre voix…Toutes
lesquelles œuvres dites je note avec le tempo (communément appelé) perfecto, pour
donner à comprendre la morosité de l’allure, à cause de la quantité de diminution :
quelle vitesse ce doit être se déduira de la plus grande vélocité, ou de la plus petite,
que chacun possède naturellement entre ses mains : de sorte que celui qui l’aura
plus grande, causera moins de lenteur, et celui qui (l’aura) moins, plus de lenteur
dans l’allure, laquelle doit être la même dans la musique non ornée que dans le
glossado de 8, 12, 16, 24 et 32 ». Traduction de Guy Bovet transmise aimablement
par l'auteur.

Je fais brièvement remarquer que Correa de Arauxo indique clairement que les tientos non
virtuoses ne se jouent par pour autant plus rapidement parce que dénués de valeurs rapides. La
question reste posée, avec Mersenne, de « l'allure » à adopter, que ce soit en cas de 32 ou 64
notes. Nous sommes à l'évidence aux limites de la vitesse d'exécution. Voici une transcription de
la main droite du tiento 58.

  58  
Mersenne dit encore :

« Or s'il faut conclure de cette proposition, que si quelques-uns pouuoient toucher


64 crochuës dans l'espace d'une mesure, qui dure 1/60 de minute, qu'ils
mouueroient les doigts, la main, ou l'archet autant de fois comme la chorde de B fa,
qui est dans la 3. Octaue de la table precedente, fait de tours & de retours dans une
seconde minute, & consequemment qu'il ne seroit pas possible de distinguer ou de
conter les mouuemens de l'archet, ou des doigts, ou les fredons de la gorge, que
feroient lesdites 64 crochuës : car l'imagination ne peut conter distinctement que 10

  59  
battemens de la chorde dans une seconde minute, quoy que l'on puisse iuger
confusément d'un plus grand nombre. Mais il est difficile d'expliquer comme se fait
le son de la chorde que l'archet touche 64 fois dans une mesure, car si cette chorde
ne tremble pas dauantage de fois qu'elle est touchée, il semble que le mouuement
de l'archet, ou du doigt qui touche la chorde, soit une mesme chose auec lesdits
tremblemens: en suite de quoy il faut dire que la chorde auroit le mesme son, quoy
qu'elle ne tremblast point, d'autant que celuy qui la touche, supplée le tremblement
qui vient de la tension de la chorde, puis qu'il luy fait faire 64 tours & autant de
retours dans l'espace d'une mesure: mais ie traicteray de cette difficulté dans le
discours de la Lyre. Harmonie universelle, Livre troisiesme des Instrumens à chordes, p. 143.

« Expliquer toutes les Diminutions qui se peuuent faire sur l'Orgue, ou sur
l'Epinette.
Je mets donc icy ce que les mains les plus adroites & les plus vistes peuuent
executer, afin que cet exemple serue d'idée à la perfection du beau toucher, lequel
se comprend beaucoup mieux en voyant joüer les excellens Maistres que par aucun
discours que l'on en puisse faire. Il faut donc remarquer que cette piece de tablature
contient seulement les deux premieres mesures de l'air precedent, c'est à dire le
chant qui sert à ces paroles, Tu crois ô beau Soleil: de sorte que la main droite
commence à faire ces deux mesures en simples crochuës, tandis que la main gauche
tient ferme, & puis la main gauche fait la mesme chose que la droite, laquelle
recommence apres pour en faire seize à la mesure, ce que fait aussi la main gauche
en son rang. Et puis la droite en fait 32 à la mesure, & la gauche apres: &
finalement la droite en fait 64 à la mesure, par lesquelles la gauche finit ces
exemples. Surquoy il faut premierement remarquer que ces deux dernieres lignes de
Diminution ne sont marquées que par des notes de trente-deux à la mesure,
comme les precedentes, au lieu qu'elles doiuent estre de soixante & quatre à la
mesure; c'est pourquoy il faut adiouster vne quatriesme barre, afin qu'elles soient
quadruples crochuës, d'autant que l'on n'a point encore de ces notes dans les
Imprimeries de Musique.
Secondement que le temps de chaque mesure ne dure pas deux secondes
minutes, mais seulement autant qu'une fisselle de deux pieds & demi de long
penduë à vn clou par un bout, qui a une bale de plomb attachée à l'autre, en
employe à faire un tour & un retour, dont i'ay parlé fort amplement dans la treize,
quatorze & quinziesme Proposition du liure des Mouuemens, & dans le troisiesme
des Instrumens à chordes. Or apres auoir monstré les plus grandes diminutions que
les plus excellens Organistes peuuent faire sur l'Orgue (car bien que l'on en puisse
encore faire de plus grandes par le moyen des barillets, neantmoins elles seroient
trop confuses, ou trop vistes, puis que l'oreille & l'imagination ne peuuent pas
mesme comprendre celles de 64 notes de la mesure binaire, ou les 48 de la ternaire)
ie veux adiouster vne remarque particuliere des tuyaux bouchez, laquelle merite la
Proposition qui suit ...» Harmonie universelle, Livre des orgues, p. 393.

« Or s'il faut conclure de cette proposition, que si quelques-uns pouuoient toucher


64 crochuës dans l'espace d'une mesure, qui dure 1/60 de minute, qu'ils
mouueroient les doigts, la main, ou l'archet autant de fois comme la chorde de B fa,
qui est dans la 3. Octaue de la table precedente, fait de tours & de retours dans une
seconde minute, & consequemment qu'il ne seroit pas possible de distinguer ou de
conter les mouuemens de l'archet, ou des doigts, ou les fredons de la gorge, que
feroient lesdites 64 crochuës : car l'imagination ne peut conter distinctement que 10
battemens de la chorde dans une seconde minute, quoy que l'on puisse iuger

  60  
confusément d'un plus grand nombre. Mais il est difficile d'expliquer comme se fait
le son de la chorde que l'archet touche 64 fois dans une mesure, car si cette chorde
ne tremble pas dauantage de fois qu'elle est touchée, il semble que le mouuement
de l'archet, ou du doigt qui touche la chorde, soit une mesme chose auec lesdits
tremblemens : en suite de quoy il faut dire que la chorde auroit le mesme son, quoy
qu'elle ne tremblast point, d'autant que celuy qui la touche, supplée le tremblement
qui vient de la tension de la chorde, puis qu'il luy fait faire 64 tours & autant de
retours dans l'espace d'une mesure: mais ie traicteray de cette difficulté dans le
discours de la Lyre. » Harmonie universelle, Livre troisiesme des Instrumens à chordes, p.145.

Dernière remarque : les passages pour l’orgue en proportion 64 mentionnés ici ne comportent
pas toujours le nombre de notes attendues par la valeur rythmique mentionnée : à plusieurs
reprises, tant pour la voix de dessus que pour la basse, Mersenne propose de jouer l'équivalent de
17 notes au lieu des 16 qui habilleraient la semi-minime comme le montre notre document ci-
dessus. Ce cas de figure est fréquent notamment dans la musique vocale et dans l'air de cour,
notamment à cause des ports de voix qui sont comme des ajouts aux valeurs rythmiques de la
notation. On trouve aussi des nombres impairs dans les figures de diminutions en « traits » en
Italie, comme c'est fréquemment le cas chez Kapsberger dans ses airs et motets diminués (Libro
Primo Di Arie Passegiate a una Voce con l'Intavolatura del Chitarone, Rome 1612) ; ils comportent
souvent un nombre de notes qui ne tient pas compte de la division binaire habituelle des valeurs.

VIII LE VOCABULAIRE DE DIMINUTION TRANSMIS PAR


MARIN MERSENNE
L’Harmonie universelle de Marin Mersenne n’est pas un ouvrage de musique, mais sur la
musique. C’est un ouvrage général qui essaie de tout embrasser et de réunir les données que
Mersenne compile dans un système de pensée. Le but de l'Harmonie Universelle est apologétique.
Son auteur a été au contact de nombreux musiciens pour rédiger son œuvre. Il ne fait que relater
et organiser dans son système ce que les spécialistes de chaque discipline vont lui expliquer. Ses
sources concernant la diminution sont donc ce qu’il a entendu de la part de praticiens, ce qui lui a
été transmis : chanteurs, violonistes, cornettistes, luthistes, organistes etc. Elles sont
nécessairement lacunaires, le but est plus informatif que pédagogique.
Réunir ces bribes éparses sur ce sujet nous oblige à refaire une synthèse, ce que nous
avons tenté dans le document général présentant la diminution dans l’Harmonie Universelle.
Dans cette annexe, j’ai réuni les figures de diminutions que nous pouvons tirer des
exemples trouvés dans l’Harmonie universelle. De fait, nous découvrons un vocabulaire de
diminution plutôt commun, assez ornemental, presque plus dans l’esprit de la diminution du
XVIe siècle que du XVIIe. Cela dit, certaines figures qui suivent la mélodie note à note, nous font
aussi penser au souci de rester au plus proche de l’original, afin d’éviter les critiques récurrentes
qui se faisaient jour à la fin du XVIe siècle, rapportées notamment par Bottrigari. (cf. Semplice, p.
100.). De ce point de vue, ce langage de diminution est déjà caractéristique de ce que l’on trouve
dans le répertoire d’orgue virtuose d’un Scheidemann (dans les diminutions de motets de Lassus
par exemple), au milieu du XVIIe siècle. Mersenne se montre aussi « moderne » quand il décrit les
ornementations concernant l’air de cour et le « nouveau motet ». Il se peut aussi que cette
pratique ornementale soit bien plus ancienne que ses premières descriptions. Le vocabulaire
décrivant les ornements semble être similaire du XVe siècle au XVIIIe siècle. Dès 1528, dans Le
livre du courtisan de Castiglione, il est question « d’accents » par exemple, terme qui perdurera
longtemps. Ces « accents » furent exécutés probablement de manière différente selon les pays et
les époques, tout en remplissant la même fonction générale (habiller le son) et en comportant les
mêmes « notes ».

  61  
Un complément indispensable de cette ébauche de « traité de diminution » selon
l’Harmonie Universelle, consiste à étudier à la fois les traités français de chant de Bénigne de Bacilly
et du chanoine Millet (Bénigne de Bacilly, Remarques curieuses sur l’art de bien chanter, Paris, Robert
Ballard et Pierre Bienfait, 1668 et Jean Millet, La Belle méthode ou l’art de bien chanter, Lyon, Jean
Grégoire, 1666.)
Ces traités montrent une nette évolution du style ; néanmoins il existe de nombreux
points communs dans les « passages » et la manière de remplir les intervalles musicaux. En tant
que traités décrivant l’art du chant en général, ils insistent sur les ornements et la prononciation.
Dans les exemples de figures de diminutions tirées de l’Harmonie Universelle qui suivent,
l'usage du mot « statique » pour qualifier une figure vient de la terminologie que j'ai employée lors
de la rédaction de « Apprendre à improviser avec la musique de la Renaissance » (édition Color &
Talea, 2016). Le mot « statique » appliqué aux figures indique que la figure s'utilise plus
communément pour rester sur la même note. Le mot « dynamique » indique une figure dont
l'usage courant permet de réaliser des intervalles. C'est une convention qui permet une
classification. J'ai pu ici négliger l'usage du mot dynamique, les exemples donnés par Mersenne
parlant d'eux-mêmes. J'ai classé les exemples par division de valeurs rythmiques comme le fait
Francesco Rognoni dans sa Selva di passaggi (1620).

  62  
I Les figures de diminutions issues de la fantaisie de violon

01 Semi-brève statique

02 Semi-brève, tierce descendante

03 Semi-brève, quarte descendante

Minimes
04 et 05 Secondes descendantes

  63  
06 Tremblement ou Groppo selon la terminologie italienne.

07 Octave descendante : la gamme, roulade ou trait ou tirata selon le terme italien.

Tierce
Il n’y a aucun exemple de figure de tierce ascendante ou descendante dans cette fantaisie,
ni dans les autres exemples instrumentaux de l’Harmonie Universelle.

08 Quarte ascendante

09 En forme de groppo

  64  
10 Quarte descendante

11 Quinte descendante

12 Semiminimes sur secondes ascendantes

Cet exemple est caractéristique du langage du XVIIe siècle.


Au XVIe siècle nombre de figures de diminutions appliquées à une montée de semiminimes ne
prennent appui que sur une note sur deux du schéma de base au lieu de suivre le modèle note à
note.

  65  
 

La diminution et le cornet
[Mersenne parle ici d’articulation, domaine découlant naturellement de la nécessité d’articuler les
passages]

Exemples :
Exemple 1

Transcription

Exemples ci-dessus :
- Gamme ascendante et descendante sur minime
- Quinte descendante et ascendante (l’inégalité est marquée)
- Quinte ascendante avec « accent » puis minime en gamme descendante

On remarque l'inexactitude rythmique des deux premiers exemples ci-dessus, auxquels il manque,
semble-t-il, un quart de soupir.
Exemple 2

Transcription avec la ligne simple supposée :

  66  
Exemple 3
Exemples de cadences

La cadence et les transcriptions proposées :


Les cadences sont fautives, particulièrement la seconde. On peut néanmoins les transcrire de
différentes manières, elles sont de toute façon assez ordinaires.

Remarques : Il semble que Mersenne donne le modèle puis la diminution dans le premier
exemple.
Dans le deuxième exemple, la diminution semble être une cadence. Nous n’avons pas le modèle
non diminué. Je livre là mes suppositions de support et de correction de la deuxième diminution.
Remarquez dans celle-ci, la fin du groppo avec l'anticipation de la note finale : exemple inhabituel
que je ne me suis pas permis de corriger dans une des transcriptions, tant il évoque le procédé du
port de voix.

  67  
 
La diminution et le serpent
« Or cet instrument est capable de soustenir vingt voix des plus fortes, dont il est si aysé de ioüer
qu'un enfant de quinze ans en peut sonner aussi fort comme un homme de trente ans. Et l'on
peut tellement en addoucir le son qu'il sera propre pour ioindre aux voix de la Musique douce des
chambres, dont il imite les mignardises, et les diminutions, qu'il peut faire de trente-deux notes à
la mesure, encore qu'il les faille euiter dans la Musique à plusieurs parties, parce qu'il faut
simplement sonner ce qui est dans la partie que l'on entreprend de chanter, ny ayant que la seule
descente de l'Octaue qui soit permise, comme on la void icy ». Harmonie universelle, Livre cinquiesme
des instrumens a vent, p. 281.
 

Cette cadence de basse fait partie des « classiques ». On la retrouve dans la page consacrée au
cadences de basses de F. Rognoni, Selva di passaggi, 1620.(page 33 de la seconda parte)

La diminution et l’orgue
[Sur un air de cour]

Voici l'exemple de la division de 16 notes selon Mersenne appliquée au-dessus :

La diminution ici présente semble ordinaire.


La suivante vient plus tard dans l’exemple musical : c'est une figure habituelle de groppo que l’on
trouve partout. Avec un appui sur la seconde supérieure en son milieu.

  68  
Viennent ensuite des exemples d’incipit organisés par valeurs, comme c’est le cas, du reste, dans
nombres de traités italiens. En effet, sur les basses obstinées – les chansons à versets – la
diminution semble avoir été conçue avec des variations par valeurs rythmiques homogènes. Ce
procédé décrit précisément par Diego Ortiz (Trattado de glosas, Rome, 1553), se rencontre entre
autres dans les pass'e mezzi et autres variations sur basse obstinée de l'organiste Antonio Valente
(Intavolatura de cimbalo. Libro primo, Naples, Giuseppe Cacchio, 1576). Ce procédé de la variation
perdure naturellement jusqu'à nos jours dans la composition. Par ailleurs, Ganassi, Dalla Casa,
Zenobi (voir la bibliographie du texte « La diminution dans l’harmonie Universelle »)
mentionnent plutôt le mélange de figures de valeurs rythmiques différentes, mais appliqué à la
polyphonie. Il ne faut pas oublier que la polyphonie, comme le fait remarquer Zacconi, tire sa
« variété » de la richesse des diminutions :
 
« mais je dirais seulement que la Musique a toujours été belle et que chaque
heure, par la diligence et le zèle qu’y apportent les chanteurs, elle s’embellit
encore. Comme elle ne se renouvelle pas, ou se change, au moyen des notes, qui
y sont toujours d’une [même] sorte, mais par les grâces et les accents (le gratie, &
gl& ie, ac), [qui] la font paraître toujours plus belle ». Zacconi, in Semplice, opus
cit.  

Par contre, quand la basse est obstinée ou l'air strophique, l'exécutant est incité à la variation par
utilisation d'une figure, d'un modèle rythmique qu'il va répéter et qui va habiller l'ensemble de la
séquence.

Voici l'exemple de la division de 32 notes selon Mersenne appliquée au-dessus:

Voici l'exemple de la division de 64 selon Mersenne appliquée au-dessus (transcription


diplomatique) :

Remarques :

- Deux des trois incipits ne partent pas sur la consonance (la première note de l’air est un « la »).

- La transcription faite ici, fidèle aux données de l'original (Harmonie Universelle, Livre Sixiesme des
orgues, p. 394), est strictement arithmétique et montre des valeurs irrationnelles sur les « traits »
de virtuosité. Ces incipits sont des suggestions de diminutions organisés par valeurs rythmiques :
la division de 16, puis de 32 puis de 64. Ils concernent alternativement le dessus et la basse.
On se rappelle la phrase de Mersenne : « le cornet est l’instrument qui doit jouer la musique
presque toute en diminutions », et l’exemple de la diminution de violon, où la diminution du
dessus de la fantaisie est quasiment ininterrompue. C'est de cette suggestion que nous sommes
partis. Damien Desbenoit a conçu une diminution sur l'air de cour en utilisant essentiellement
une même valeur rythmique tout du long. [L’exemple sonore et les partitions sont sur l’onglet
consacré à l'orgue].

  69  
Les diminutions de main gauche :

La division de 16 notes ci-dessous.

La division de 32 notes ci-dessous :

On remarque là encore une « tirade » correspondant à neuf triples croches (suppression du tiret)
pour commencer. À moins qu'il ne s'agisse d'une faute et que la première note ne soit une triple
croche (id.). La logique du geste incite à penser que la première note doit être plus longue.
L’allongement noté de la première celle-ci n’est donc pas une marque de « proportion » mais la
suggestion du geste.

La division de 64 notes de la main gauche :

Mêmes remarques :
- Un départ sur une autre consonance que la note réelle.
- Des valeurs irrationnelles qui sont la marque du geste.
À cela s’ajoute la question de la notation de la quadruple croche, valeur dont l’éditeur Ballard au
dire de Mersenne, n’a pas les caractères (voir aussi à ce sujet le chapitre VII.

  70  
LA DIMINUTION VOCALE CHEZ MERSENNE
[voir également le chapitre V]

Elle mériterait à elle seule une étude approfondie pour diverses raisons. Comme on le
remarque dans les sources italiennes de la fin de la Renaissance et du XVIIe siècle, la description
du monde de la diminution est intimement lié à la question de l'ornementation et de l'expression
(voir dans Semplice ou passeggiato, p. 61-62 les citations issues des Nuove musiche de Caccini). Mais
quand Ganassi (1535) et Ortiz (1553) donnent des exemples de diminutions, ils signalent dans le
texte explicatif, longuement et avec moult détails dans la Fontegara, que celles-ci doivent être
accompagnées de galanterie (Ganassi) et de gracie (Ortiz). L'ornementation instrumentale, sensée
imiter le modèle vocal, n'est donc spécifiée que de manière complémentaire. Son rôle est
d'animer le son, la diminution animant la phrase (« la diminution n’est autre que l'ornement du
contrepoint » écrit Ganassi au chapitre XIII de sa Fontegara, opus cit.).
Diminution et ornementation sont donc présentées différemment autour de 1600 et
après, quand apparaissent des sources mentionnant plus spécifiquement la voix humaine et ses
modes ornementaux spécifiques, ils sont liés à une musique qui n’est plus la polyphonie de style
ancien. Je fais remarquer que tous les traités antérieurs, écrits par des instrumentistes ou
théoriciens, mentionnent la voix humaine (à l'exception notable d'Ortiz) et son imitation comme
modèle14. Chez Bovicelli (1594), chanteur, l'art de la diminution semble plus ornemental que celui
de Giovanni Bassano (1591), encore que ce dernier fut également chanteur. On constate la même
différenciation entre un art vocal ornemental et une diminution autant instrumentale que vocale
dans les exemples que donnent Marin Mersenne mais aussi Millet qui, dans son avertissement au
lecteur, place tous les « ornements », grandes et petites roulades dans la même catégorie et leur
accorde la même fonction générale.
L'étude des exemples transmis par Mersenne pour la voix représente très logiquement un
défi pour établir un catalogue, car ces exemples ne se laissent par facilement réduire à des figures.
Ils sont des gestes. Il est donc difficile de faire un classement, d’autant que nombre de
« diminutions » des airs de cour intègrent des ornements : répétitions de notes ou ports de voix
écrits. Mersenne renvoie aussi les chanteurs aux exemples de diminutions qu'il a donnés par
ailleurs pour le violon, ces dernières diminutions nous semblant donc plus « instrumentales » :

« Il n'est pas necessaire de mettre icy des exemples pour les cadences, les
passages, et les tremblemens, parce que i'en ay assez donné dans la diminution
du Dessus des Violons, que l'on void dans la 4. Proposition du 4. liure des
Instrumens, et dans la diminution de l'Air du Roy, mise dans la 4. Proposition
du 6. livre des Orgues: ioint que l'on en trouve tant qu'on veut dans les Airs que
le sieur Ballard imprime tous les iours: c'est pourquoy i'acheue la seconde partie
de ce livre par la Proposition qui suit en faueur des beaux Chants. » Harmonie
Universelle, Livre Sixiesme des chants, proposition VI. p. 360.

Chez F Rognoni, ces ports de voix (modo di portar la voce) ne sont mentionnés que dans la page
d'introduction aux diminutions dans une liste d'ornements (Première partie, Avertissement au
lecteur et p. 1). Nous ne retrouvons pas ces ornements dans les diminutions qu'il propose par la
suite. Mersenne, qui donne comme exemples des airs de cours tels qu'ils étaient chantés, nous
montre donc comment diminutions et ornements, « accents », « passages » et « graces »,
s'imbriquent lors de l'exécution vocale. Je renvoie donc le lecteur aux exemples, partiellement

                                                                                                               
14 Cette idée de l’imitation de la voix perdurera jusqu’au XIXe siècle: on le voit dans la méthode de piano de Mme de
Montgeroult : « Cours complet pour l'enseignement du Forte-Piano, Paris » », circa 1830. Cette idée a traversé aussi
les années 1700. On le remarque tant chez Quantz, que chez Leopold Mozart.  

  71  
enregistrés dans ce projet, sur la partie consacrée à la voix. Voici en guise d'illustration
supplémentaire, cette transcription d’un air orné. Cet air ne figure pas dans les enregistrements
réalisés pour le projet de la HEM faute d’avoir pu retrouver ce motet dans son intégralité car
Marin Mersenne ne donne que la voix de basse. Dans la version « simple » (donnée également par
Mersenne) et la version diminuée, on peut constater la difficulté de séparer l'art de la diminution
de celui de l'ornementation.
Ci-dessous un exemple de diminution pour basse tiré de l’Harmonie
universelle.

  72  
  73  
CONCLUSION
Je ne sais pas si j’ai réussi à convaincre le lecteur et le praticien non seulement de l’intérêt
de consulter l’ouvrage du Père Mersenne, mais aussi de l’importance à accorder à l’ornementation
et la diminution dans la restitution des musiques anciennes. On pourra objecter qu’il est toujours
facile, à partir d'une hypothèse, de trouver les éléments et arguments la confortant ; mais une
recherche, aussi rigoureuse soit-elle, ne peut faire l’économie d'une idée préconçue. Je suis parti
du point de vue que notre vision de la musique ancienne est probablement faussée par notre
difficulté à accorder aux pratiques ornementales leur juste place. Les citations mentionnées ci-
dessus et le travail pratique que j’ai effectués m’ont amené à un point de vue encore plus radical :
je pense que la musique fut ornée au-delà de ce que nous pouvons imaginer et qu’une note, un
enchaînement mélodique ou une phrase musicale, non habillés d’un mouvement, ne sont pas
pensables dans le cadre de la musique historique. Il ne faut pas oublier que l’ornement peut être,
comme disent Marin Mersenne et Christoph Bernhard15 « imperceptible » ou « ganz
unvermeckt16 ». Le son est toujours habillé parce que issu d’un mouvement, d’un geste. Le son
était probablement mobile en permanence, non « soutenu17 ». La notion même de sprezzatura, à
laquelle la finesse et l’élégance de la musique française18 est nécessairement apparentée exclut ce
sostenuto d’un autre âge ; traduit en français à la Renaissance , un passage du livre du courtisan de 4

Castiglione sonne ainsi :

& ung musicien si en chantant il entonne une seule notte finissant


par ung doulx accent en un passaige decouppe
en telle facilite qu’il semble qu’il le face ainsi davanture.
Par ce seul poinct il fait congnaistre quil scait beaucoup plus qu’il ne montre.

Il nous faut imaginer un geste vocal et instrumental d’une grande facilité, d’une grande
douceur19. L’ornement habille le son comme la diminution habille la phrase. Ils sont comme
l’émergence naturelle et nécessaire du texte musical écrit. Ornementation, diminution et
improvisation sont les moyens ordinaires pour animer la musique et doivent devenir une seconde
nature pour l’exécutant. Il nous faut, par la pratique quotidienne, les intégrer à nos modes de jeu
pour que disparaisse la dichotomie partition/exécution, tant pour les yeux de l’exécutant que
pour les oreilles de l’auditeur. Ornements et diminutions bien faits ne doivent pas être
« remarquables », ils sont là pour exprimer et renforcer le geste suggéré par la partition.
Quand Mersenne parle de musique il parle « des chants », des « sons ». Ces mots, surtout le
premier, recouvrent chez lui un champ sémantique assez large. Aujourd'hui, nous pensons plus
volontiers en termes de « notes ». Il ne faut pas oublier que note vient de « noter » et de
« notation » et que cela nous renvoie à une figuration graphique du son. Rapportée au son, la note
n’existe pas : le geste musical produit des notes dotées d’un mouvement, d’un mode d’attaque, de
tenue et de lâcher et, le cas échéant, également un ou plusieurs ornements, rarement notés à cette
époque. Dans d'autres traditions, quand existe un système de notation musicale, celui-ci indique
souvent plus le mouvement sonore que des hauteurs et des rythmes. C'était le cas en Occident
                                                                                                               
15 Von der Singekunst oder –manier Von der Singe-Kunst oder Maniera" [ou] "Kurze Regeln von der Manier oder
Künstlicher Art zu singen" [ou : von der Art zu singen] [ou] "Von der lieblichen artigen und zierlichen Sing-Art" ;
"Tractatus compositionis augmentatus" Édition : Leipzig : Breitkopf und Härtel , 1926.
16 Unvermerkt= imperceptible/de manière imperceptible. Littéralement, « qui ne se remarque pas ».
17 L’usage plus tardif du mot sostenuto rend bien compte du changement d’esthétique sonore qui eut lieu peu à peu.
18 La France n’a pas le privilège de la recherche de l’élégance : il suffit de lire le Livre du courtisan de Castiglione,
traduit plusieurs fois en français au XVIe siècle et édité maintes fois pendant presque deux siècles dans toute
l’Europe dans plusieurs langues. C’est en Italie que naît une certaine élégance liée à la noblesse. La première
traduction du livre du courtisan date de 1537 : « Les quatre livres du Courtisan du Conte Baltazar de Castillon.
Reduyct de langue Ytalicque en Francoys ».
19 Bien évidemment, les instruments puissants ont leur mode propre de suavité.

  74  
pour les premières notations de plain-chant en neumes. Pour finir je voudrais inviter le lecteur à
penser autrement et lui dire qu’un son est une note habillée et, en ce qui concerne la phrase
musicale, lui rappeler le mot de Silvestro Ganassi : « La diminution est l'ornement du
contrepoint » (La Fontegara, chap. 13, Venise, 1535).

X INDEX DES NOMS ET OUVRAGES CITES

Les traductions des sources italiennes, établies par Christian Pointet et présentées ici sont toutes
tirées de l'ouvrage dirigé par William Dongois Semplice ou passeggiato, paru chez DROZ (2014)
produit par la HEM de Genève

SOURCES ET AUTEURS CITES :

Bénigne de Bacilly, Claude, Remarques curieuses sur l ’art de bien chanter (Paris, 1668).

Beaujoyeulx, Balthazar de, Ballet Comique de la Reyne (Paris ?, 1581).

Bottrigari, Ercole, Il Desiderio overo de’ concerti musicali di varij strumenti musicali (Venise, Riccardo
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Corelli, Arcangelo, Sonates Opus 5 (Estienne Roger, Amsterdam, 1710).

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Lettione seconda pur della prattica di sonare il violone d’arco da tasti (Venise, l’autore, 1543).

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Kapsberger, Johannes Hieronymus, Libro Primo Di Arie Passegiate a una Voce con l'Intavolatura del
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Vespro della Beata Vergine (Venise, Ricciardo Amadino, 1610. Édition moderne : Sacrae cantiunculae,
Gian Francesco Malipiero, éd., Vienne, Universal Edition, [1920] Tutte le opere di Monteverdi, vol.
14, no 1).

Métoyen, Jean-Baptiste, Ouvrage Complet pour l'éducation du Serpent (édition préparée par Benny
Sluchin, éditions Musicales Européennes, Brass Urtext, 2002 ; Manuscrit BNF 10228 et 10227).

Millet, Jean La belle méthode ou l'art de bien chanter (Lyon, 1666).

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l’édition de Wittenberg, 1614-1615 : Arno Forchert, éd., Kassel, Bärenreiter, 2001, 3 vol.).

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Facsimilé : Guglielmo Barblan, éd., Bologne, Forni, 1978. Traduction anglaise : Bruce Dickey,
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Traduction anglaise et facsimilé : Bruce Dickey, trad., Bologne, Forni, 2002).

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Tartini, Giuseppe /Cartier, L'art du violon (Paris, 1798).

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Staatsbibliothek, origine allemande, daté d'après 1511, f. 56-57).

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Zenobi, Luigi, Raccolta di lettere varie (I-Rv ms R. 45, ff. 199r-204v, manuscrit non daté, ca. 1600.
Édition moderne : « The Perfect Musician, a letter to N. N., Bonnie J. Blackburn et Leofranc
Holford-Strevens »).

REMERCIEMENTS

Ce travail n’aurait pas vu le jour sans le grand projet Mersenne, fruit de la collaboration entre le
CMBV et la HEM de Genève. Je remercie Jean Duron, Julien Charbey et l'équipe du CMBV pour
l'aide apportée à la réalisation des partitions durant le projet Mersenne, pour les partitions et
renseignements obtenus, ainsi que toute l’équipe de le HEM de Genève et les étudiants qui ont
participé au projet « Mersenne ». Jérémie Papasergio et Tiago Simas Freire sur les questions
relatives à l’usage des flûtes et Yves Ouvrard, Marc Vanscheeuwijck, Odile Bernard, Cécile Orsini
et Bernard Meylan pour leurs relectures patientes de ces textes.

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