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LA VOIX DES TUNISIENS

Mars - Avril 2011 - N°7 Fondé le 20 mars 2006

EDITO
L’irrésistible marche vers une nouvelle République

Ce fut pour la célé-


bration du 7 novembre 1987,
véritable fête de propagande
Infos Rapides nationale à l’égard de Ben Ali,
que notre précédent numéro
 A l’occasion de l’anniversaire de la fut publié. Et puis une Révolu-
mort de Habib Bourguiba, des tion a été menée. Evincé, le
archives et des documents inédits régime de Ben Ali ! C’est donc
seront mis à disposition des pour notre 7ème numéro que
Tunisiens dans une salle aménagée nous allons célébrer la liberté
du mausolée à Monastir. et la fin du régime dont le chif-
 36 nouveaux partis politiques ont fre 7 était le symbole aussi
été autorisé après le 14 janvier et omniprésent que ridicule.
3 partis à caractère religieux, ont Quelle ironie du sort ! La pre-
vu leur autorisation refusée mière des libertés à pouvoir
(Source : Ministère de l’Intérieur). être palpée dans les rues tuni-
siennes, est celle de l’expres-
 Le secrétaire général du parti
sion. Et c’est avec cette même
islamiste Ennahdha, Hamadi Jebali
s’est récemment prononcé en liberté que la rédaction de La
faveur du rétablissement des Voix des Tunisiens va enfin guiba et qui n’a pas servi Ben ble de combler les inégalités
châtiments corporels « à ter- pouvoir signer de son nom Ali. Forçant le respect, il réta- régionales, ainsi que par une
me » (Source : Réalités). véritable. Tombé le masque de blit la confiance perdue d’un réforme du système éducatif,
Sylla et des autres rédacteurs ! gouvernement auprès des Tu- plus performant dont les for-
nisiens, par son altruisme et mations devront être en adé-
Au-delà du tsunami que fut la par la transparence de la feuil- quation avec les besoins de la
Révolution, ce qui a été mar-
le de route qui doit conduire Nation.
quant depuis son déclenche- notamment, à l’élection d’une
ment, c’est l’intransigeance du assemblée nationale consti- Le 10 janvier à Monastir, des
peuple Tunisien, après plus de tuante le 24 juillet prochain. jeunes ont escaladé un immen-
deux décennies où la résigna- se panneau de propagande à
Une confiance qui reste néan-
tion alternait avec le fatalisme. moins fragile. Car la détermi- l’effigie du dictateur, comme on
Intransigeance face aux conces- pouvait en trouver partout
nation, voire le déterminisme
sions de Ben Ali qui affirmait dans le pays. Puis l’ostentatoi-
de Mr Caïd Essebsi, doit être
avoir compris le peuple. Intran- re affiche a été déchirée. Quelle
indissociable de la transparen-
sigeance face à l’application de ne fût pas leur stupéfaction
ce des actions menées. C’est un
l’article 56, considérant la quand ils découvrirent que
binôme nécessaire au succès
vacance présidentielle comme d’une politique réformatrice, derrière ce portrait se cachait
temporaire au lieu de définitive un second, puis un troisième !
sans quoi les Tunisiens rejette-
(article 57). Intransigeance ront le gouvernement de nou- Cette anecdote peut être trans-
face au premier gouvernement formée en une sorte de méta-
veau. De ce point de vue là, on
de Ghannouchi dans lequel les phore sur le risque que la Tuni-
peut reconnaître que ce binôme
postes régaliens étaient attri- sie soit gouvernée par un nou-
fonctionne bien pour le mo-
Dans ce numéro : bués aux anciens ministres du
ment, comme l’illustre les ré- veau Ben Ali, si les réformes
président déchu. Intransigean- pour l’édification d’une démo-
centes initiatives du gouverne-
ce face au maintien de celui qui cratie s’avéreraient insuffisan-
EDITO P.1 ment pour mettre définitive-
a été le Premier Ministre de tes. La marche pour un nouvel
ment un terme au système de
Ben Ali pendant douze ans. Etat rationnel, émancipateur,
Ben Ali : suppression de la
Intransigeance face à l’immobi- dans une nouvelle République
police politique, cœur du méca-
lisme politique en refusant des doit être irrésistible. Un retour
nisme coercitif et arrestation
Vers une Deuxième Ré- P.2 élections présidentielles et en
filmée des trois piliers de l’an- en arrière n’est pas envisagea-
publique, vers un nou- exigeant l’élection d’une assem- cien régime, Ben Dhia, Abdal- ble. Gardons donc en mémoire
veau droit blée nationale constituante. les écris de Maurice Agulhon
lah et Kallel.
Ces séquences de la volonté du d’après lesquels, être républi-
peuple Tunisien ont été ryth- Désormais maîtres du destin cain, c’est d’abord se montrer
Repenser le modèle éco- P.3 mées par des agitations et des de leur Nation, les Tunisiens se partisan d’un pouvoir non per-
nomique de la Tunisie rapports de force avec ceux saisissent clairement des ques- sonnel, non viager, non hérédi-
dont les intérêts étaient pro- tions fondamentales nécessai- taire, non arbitrairement défi-
ches de l’ancien régime et ont res à l’édification d’une nouvel- ni. Série de négations qui se
fini par la nomination de Béji le République démocratique. réduisen t à deux refus
Caïd Essebsi au poste de Pre- Cet impérieux objectif passe concrets : ni monarchie, ni
L’opinion publique : un P.4 mier Ministre.
nouvel enjeu par la réforme de la Constitu- dictature.
tion, par la construction d’un
Un homme qui a la légitimité
nouveau modèle économique
de l’expérience à près de 85 Slim DALI
plus efficace, plus juste, capa-
ans, qui a été ministre de Bour-
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Vers une Deuxième République, vers un nouveau droit


Après de semaines de manifes- d’un retour en arrière pousse à accorder gérer la transition entre la Révolution et
tations et de heurts entre le gouverne- un pouvoir exorbitant au Parlement le Nouvel Etat. Nous devrions être à la
ment Ghannouchi et les jusqu’au- tandis que la peur de l’instabilité incite hauteur de nos ambitions et surpasser
boutistes de la Casbah, le Président de à renforcer les pouvoirs de l’exécutif. Ces les attentes de ceux qui nous regardent
la République par intérim M. Foued mêmes émotions empêchent sans doute en ne craignant pas de faire preuve à
Mebazaâ a fini par accéder à la deman- d’aborder la question d’une manière nouveau d’une audace exemplaire, aussi
de populaire visant à faire table rase du réfléchie, et qui aboutirait à une solu- exemplaire que l’audace qui a mené au
passé en mettant en œuvre des élections tion intermédiaire répondant à l’ensem- 14 janvier. Selon nos choix dans la défi-
tendant à la mise en place d’une Assem- ble des risques et des enjeux, à savoir nition de la Deuxième République, notre
blée Nationale Constituante qui ouvri- un régime mixte qui consacrerait l’équi- réveil aboutira soit à une révolte salutai-
rait le chapitre d’une Deuxième Républi- libre des pouvoirs, car tout déséquilibre, re, soit à une révolution copernicienne,
que Tunisienne. au profit d’une assemblée, d’un gouver- aboutie et historique.
nement ou de Carthage, pourrait consti-
La nécessité de faire table rase au tuer une déviance vers l’abus. Pour mener à bout cette révolution de la
profit du libre-choix dignité et de la liberté, l’audace dont
L’autre débat qui fait rage est celui du nous devrons faire preuve consistera en
Certains s’interrogent sur l’opportunité sort de l’article premier de la Constitu- une définition juste de l’Etat et de son
d’une telle entreprise. N’aurait-il pas été tion de 1959 : le texte fondamental de la rapport à l’individu.
plus sage de maintenir l’ancienne Cons- République doit-il faire référence à la
titution en l’amendant ? Vers quoi allons religion musulmane ? A mon sens, la L’émancipation de l’individu passe inévi-
-nous ? Avons-nous réellement besoin Constitution d’un Etat ne doit pas se tablement par son affranchissement de
d’une nouvelle Constitution ? Certes, préoccuper de symbolisme, encore moins la tutelle de l’Etat, et cet affranchisse-
nous aurions pu nous conformer au plan de croyances. Ce doit être un texte juri- ment est possible en définissant consti-
initial, à savoir une simple réforme de la dique efficace, une garantie du respect tutionnellement les limites des préroga-
Constitution du 1er juin 1959. Mais il ne des droits de chacun et non un prétexte tives de l’Etat. Les Tunisiens ont trop
s’agissait pas seulement de purger la au verbiage et au sentimentalisme dé- souffert des abus, et ayant vu leur liber-
Constitution des injustes stigmates de magogique. La croyance est une affaire té et leur dignité bafouées, ils ont au-
l’ère Ben Ali. L’élection d’une assemblée privée et individuelle. La Constitution jourd’hui saisi l’occasion de mettre fin à
constituante marque l’ouverture d’une ne doit pas verser dans la fiction et dans ces abus et de se prémunir contre les
nouvelle ère de la citoyenneté tunisien- le symbole. Dire que la Tunisie est arabe dérives futures. Ce n’est pas l’Etat qui
ne, voire même la véritable naissance ou musulmane est affaire de sentiment accorde des droits aux citoyens, mais
citoyenne du Tunisien. L’élaboration et de croyance, or la Loi ne doit pas se c’est les citoyens qui accordent à l’Etat
d’une Deuxième République marque préoccuper du sentiment mais du Droit. des pouvoirs. Dans cette optique, les
enfin la restitution de la souveraineté au droits imprescriptibles et sacrés des
corps citoyen. Les Tunisiens vont finale- Quoi qu’il en soit, même si ce dernier citoyens doivent être inscrits dans le
ment avoir le droit de choisir la forme débat touche au rôle de la Loi, les ques- marbre de la Constitution, afin que nul
que prendra l’Etat dans lequel ils sou- tions qui préoccupent les Tunisiens au homme d’Etat ne puisse les remettre en
haitent vivre, et définir librement la sujet de la nouvelle Constitution sem- cause. Ainsi, la liberté de conscience, le
République et le cadre institutionnel de blent anecdotiques et ne touchent pas respect de la vie privée, la liberté d’ex-
la vie politique à laquelle ils entendent aux enjeux fondamentaux. La question pression, la propriété privée devraient-
enfin participer. N’est-ce donc pas l’at- de la laïcité et celle de la répartition des ils être protégés par la Constitution en
tribut premier de la souveraineté ? pouvoirs entre les organes institution- les excluant du champ de compétence de
nels devraient être posées après avoir l’Etat, pour qu’aucun gouvernement
L’expression « table rase » précédem- défini les fondements juridiques et phi- malveillant et qu’aucune majorité mal
ment employée ne doit pas faire peur. losophiques de la nouvelle République, inspirée ne puisse revenir sur les acquis
Lorsque nous parlons de table rase, nous et non l’inverse. De ces fondements dé- de la Révolution.
entendons « libre-choix ». Ce choix, libre couleront les solutions pratiques qui
et, je l’espère, éclairé ne mènera pas seront adoptées dans le texte qui sera La liberté individuelle est la valeur cen-
forcément à un bouleversement institu- soumis à l’approbation citoyenne. Mais trale qui devrait traverser l’ensemble
tionnel. Rien n’empêche les Tunisiens de entre temps, nous devons prendre le des articles de la Constitution. Avant de
garder dans la nouvelle constitution les plus grand recul et adopter une vision voter une mesure accordant un pouvoir
fondements de la République fondée par globale et philosophique du nouvel Etat.
Habib Bourguiba, si cela leur paraît à l’Etat, nous devons songer à la maniè-
légitime et opportun. Mais le choix doit Nous avons une formidable occasion de re dont un homme politique malveillant
être exercé. redéfinir la République. Et la question pourrait en abuser. C’est pourquoi la
essentielle que nous devons nous poser Constitution que nous adopterons devra
Pour une redéfinition de la Républi- est celle de savoir quel est le rôle de ériger des barrières entre nos droits
que l’Etat, quelles sont ses prérogatives. imprescriptibles et sacrés et l’Etat, aussi
Nous devons profiter de cette occasion
Dès le départ de Zine Ben Ali, le 14 jan- démocratique soit-il. Avant même de
pour redéfinir de manière profonde et
vier 2011, le débat sur un nouveau régi- globale l’Etat tunisien et le rapport qui demander à l’Etat de nous protéger,
me institutionnel a été lancé par la so- le lie au citoyen. demandons à la Constitution de nous
ciété civile et les partis politiques. Ce- protéger de cet Etat qui a longtemps
pendant, ce débat ne porte malheureuse- Appel à une redéfinition audacieu- bafoué nos droits et qui pourrait retom-
ment pas sur les points fondamentaux. se : faisons l’histoire en redonnant
Par-ci nous entendons les voix appelant ber en de mauvaises mains.
le pouvoir à l’individu
à la mise en place d’un régime parle-
mentaire, souvent sans même saisir les La Tunisie a montré l’exemple et a sus-
enjeux et les contraintes juridiques et cité l’espoir des peuples opprimés en
institutionnelles d’un tel choix ; par-là bravant avec succès la dictature. Nous Habib M. SAYAH
des citoyens appellent de leurs vœux le sommes aujourd’hui sous les feux des
maintien d’une présidence forte… Ce projecteurs et le Monde observe attenti-
débat est animé par l’émotion. La peur vement la manière dont nous allons
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Repenser le modèle économique de la Tunisie


Dès son accession à l’Indépen-
dance, le 20 mars 1956 puis après l’avè-
nement de la République, la Tunisie
devait sortir du sous-développement.
L’éducation de la population était une
condition intrinsèque au développement
à moyen et long terme du pays et c’est la
raison pour laquelle le Président Bour-
guiba en a fait une priorité absolue.
Dans le même temps, il a fallu chercher
à construire un modèle économique ca-
pable de générer de la croissance à un
pays dépourvu de ressources minières
importantes.

Un modèle économique limité

Les dotations naturelles de la Tunisie


imposaient de facto, une économie non
duction industrielle est concentrée. Bien D’autre part, la dépendance économique
basée sur la rente. C’était donc un modè-
qu’étant un pays géographiquement peu de la Tunisie envers la demande des
le de production qu’il fallait édifier.
étendu, la Tunisie n’échappe pas au pays de l’UE pourrait être amoindrie, en
Dans les années 1960, appliquant les
constat de Krugman. Depuis des décen- développant d’autres partenariats à
théories de développement à la mode,
nies, les industries manufacturières et l’échelle de la région. Un véritable mar-
c’est le modèle de substitution aux im-
du secteur des services ont été concen- ché régional donc, avec des pays écono-
portations qui a été adopté. L’industria-
trées dans les régions proches du littoral miquement plus semblables peut être
lisation par la substitution aux importa-
et le nord du pays. Les inégalités régio- créé avec une plus grande ouverture à
tions a été couplée par un intervention-
nales qu’ont pu engendrer un certain l’Est. Reste à trouver ce modèle basé sur
nisme très important de l’Etat, illustré
modèle de développement favorable à des échanges Nord-Sud et Sud-Sud (ou
par l’expérience collectiviste. Le rejet
une certaine partie du pays, peuvent Sud-Est), faisant appel à la fois au mo-
par la population du collectivisme ainsi
être illustrées par les chiffres du taux de dèle de Ricardo et de Krugman. Un au-
que l’échec du modèle d’import-
chômage et du taux de pauvreté. Selon tre défi pour la nouvelle Tunisie !
substitution, a conduit à l’arrêt de cette
les chiffres officiels de l’INS et diffusés
politique de développement tournée
sous l’ère de Ben Ali, le taux de chômage
principalement vers le marché intérieur.
des jeunes de 18-29 ans dans la région
Ainsi, au début des années 1970, la prio- Le développement économique de la
du Nord-Ouest était de 40,2% en 2008,
rité fut donnée à l’ouverture vers l’exté- Tunisie de Bourguiba et de Ben Ali,
contre 22,9% pour la région du Centre-
rieur et à la libéralisation des échanges. depuis l’Indépendance jusqu’à la fin des
Est. Même constat avec le taux de pau-
La mesure la plus emblématique de années 1990, a été assez remarquable
vreté : les régions de l’Ouest de la Tuni-
cette politique soutenue par le Premier compte tenu de ses dotations initiales,
sie présentent la proportion de pauvres
Ministre Hedi Nouira, fut celle de la loi faisant de celui-ci un pays à revenu in-
la plus élevée (taux de pauvreté de
de 1972, favorisant les investissements termédiaire (le revenu national brut par
12,8% pour la région du Centre-Ouest
directs étrangers pour soutenir les ex- habitant est de 7810 dollars en 2009
contre 1,2% pour elle du Centre-Est).
portations de la Tunisie, dans l’industrie pour la Tunisie, contre 6890 pour la
du textile notamment. De ce point de Repenser l’activité de la Tunisie Chine). Depuis, le début des années
vue là, le modèle économique tunisien 2000, le système économique tunisien
était proche du modèle des pays du Sud- Renforcés par les accords de Barcelone ressemblait de plus en plus à une auto-
Est asiatique, ceux qui allaient devenir de 1995 devant amener à l’instauration route dont les péages étaient en nombre
les quatre dragons asiatiques (Corée du d’une zone de libre échange, les pays de croissant. Le clientélisme, la corruption
Sud, Taiwan, Hong Kong, Singapour) et l’Union Européenne restent les princi- et surtout le racket ont gangréné le tissu
a permis un développement remarqua- paux partenaires commerciaux de la économique du pays, dont le modèle de
ble du pays. L’attractivité des investisse- Tunisie. Un partenariat qui a fait de la développement montrait des signes d’es-
ments extérieurs rendue possible par la Tunisie, un pays économiquement dé- soufflement à cause notamment du sous
faiblesse des barrières douanières en pendant de la conjoncture des pays de la investissement intérieur. Une hémorra-
Tunisie, a été renforcée par l’augmenta- rive Nord de la Méditerranée et qui a gie qui s’élevait à 2 à 3% de croissance
tion du coût du travail en Europe, en- fatalement subi les effets de la crise par an selon la Banque Mondiale et à
traînant ainsi les délocalisations de financière de 2008. D’ailleurs il convient laquelle la Révolution tunisienne a mis
certaines activités. Stagnant dans l’in- d’ajouter, comme présenté plus haut, un terme. Malgré les difficultés sociales
dustrie de sous-traitance et touristique que ce partenariat est dans une certaine et les déséquilibres régionaux, la Tuni-
de moyenne gamme, voire de bas de mesure, fondé sur une production indus- sie dispose de nombreux atouts qu’elle
gamme, ce modèle a montré ses limites. trielle tunisienne à faible, voire moyen- peut exploiter par la recherche de mar-
D’autant plus qu’il n’a fait qu’accentuer ne valeur ajoutée. C’est donc un proces- chés différents avec de nouveaux parte-
certains clivages sociaux et régionaux. sus de développement global qui est à naires. C’est une des voies possibles
revoir. pour un développement économique
Disparités régionales fortes pour un favorable à tous les Tunisiens, de tout le
petit pays D’une part, il semble évident que la territoire, dans une République nouvel-
Tunisie devrait user de ses avantages le.
La production industrielle tend à se comparatifs pour adopter une stratégie
concentrer là où le marché est grand, de remontée de filières et créer ainsi des S.D.
mais le marché est grand là où la pro activités à plus haute valeur ajoutée.
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L’opinion publique : un nouvel enjeu

L’enjeu majeur auquel devra nationales. Le paradigme dans lequel ils La mise en œuvre des conditions de la
faire face ce troisième gouvernement de se plaçaient les empêchait de dialoguer confiance est donc le seul moyen de ga-
transition, comme tous les autres gouver- avec la population, soit donc avec l’opi- gner l’opinion publique, nouvelle épée de
nements qui lui succèderont en Tunisie, nion. Damoclès prête à s’abattre au moindre
est celui de l’opinion. soupçon sur la tête des gouvernants.
Cette incompétence absolue du personnel C’est là que réside le fondement de ce que
L’opinion publique : cette inconnue politique présent dans les deux premiers doit être la communication politique et
du Bénalisme gouvernements de transition, en matière l’action gouvernementale. Or, le nouveau
de communication et de gestion de l’opi- Premier Ministre Béji Caïd Essebsi sem-
Tandis que sous Bourguiba, l’opinion nion, s’illustre par des erreurs monumen- ble l’avoir bien compris. Dès son acces-
publique était, avec les mentalités, l’un tales qui, accumulées, ont fini par les sion au pouvoir, Monsieur Caïd Essebsi a
des principaux axes de l’action gouverne- mener à leur chute. Ainsi, l’opinion a-t- cherché à gagner la confiance des Tuni-
mentale ; avec l’arrivée de Ben Ali en elle été ignorée lorsqu’il s’est agi de main- siens, conscient de l’enjeu que représente
1987, l’opinion est devenue une question tenir dans le gouvernement des lieute- l’opinion publique. Entre le franc-parler
négligeable. nants de Ben Ali comme Morjane, Grira de ses discours, notamment en qualifiant
et Ghannouchi. C’est également au mé- Ben Ali de traitre et de déserteur (tandis
Bourguiba et ses ministres savaient agir pris de la volonté populaire que Moha- que son prédécesseur Ghannouchi parlait
sur l’opinion et la prendre en compte med Ghannouchi s’est maintenu à la tête du dictateur avec une révérence coutu-
dans leurs décisions, le modèle dans le- du gouvernement après avoir été mière), et sa volonté d’attester de son
quel ils se plaçaient étant celui d’un Etat- contraint par les manifestants de la Cas- adhésion à la Révolution par des mesures
instituteur. Avec Ben Ali, cette logique a bah de limoger les ministres issus du audacieuses correspondant aux revendi-
disparu, l’Etat étant devenu un appareil RCD, entachant par là même le deuxième cations de la rue (suppression de la police
au service des intérêts de ses chefs. Lors- gouvernement provisoire qui avait tous politique, dissolution du RCD etc.), le
qu’il prenait des mesures favorables au les atouts pour réussir, si ce n’est la pré- Premier Ministre a su gagner les faveurs
sort de la population, le gouvernement ne sence inquiétante du Premier Ministre de de l’opinion, et les groupes les plus scepti-
faisait que se prémunir contre un mé- Ben Ali à sa tête. De même, si l’opinion ques et les plus radicaux, voire quasi-
contentement excessif. La propagande ne publique réclamant la dissolution du anarchistes tels que Takriz lui ont accor-
servait pas à modeler l’opinion, mais à RCD, de la police politique et de la trans- dé le « préjugé favorable » qu’il deman-
indiquer au Tunisien les limites de ce parence au sujet des milices du RCD, dait.
qu’il est permis de dire, le mètre-étalon avait été écoutée plus tôt, les graves trou-
de l’expression politique, le discours offi- bles que nous avons connus n’auraient Le nouveau gouvernement a donc montré
ciel en dehors duquel les sanctions de- pas eu lieu. qu’il était animé par la volonté de tenir
vraient s’abattre, les frontières de la sub- compte du facteur de l’opinion publique
version. Le régime de Ben Ali, reposant La vivacité d’une opinion critique dans son action et dans sa communica-
sur la peur et non sur le consensus et dotée d’un bras armé tion. Il a aujourd’hui tous les atouts pour
l’adhésion de la population à un projet de remplir avec succès sa mission : mener la
société, n’a jamais eu besoin de jauger La peur du citoyen ayant disparu, l’ex- Tunisie dans la transition vers la Deuxiè-
l’opinion et de la prendre en compte dans pression ayant été libérée, les Tunisiens, me République. Les défis qu’il va devoir
son action et dans sa communication. forts d’un sentiment de puissance et de relever sont nombreux : le maintien de la
Sous Ben Ali, du fait de la terreur exer- souveraineté né de leur victoire face à sécurité publique, doter à nouveau la
cée par la police politique, l’opinion, bien « l’indéboulonnable » dictateur, sont au- Tunisie d’une position respectable sur la
qu’elle existât, était enfouie, latente, jourd’hui capables d’agir et d’exercer scène diplomatique, favoriser la relance
refoulée, et n’était donc en aucun cas un toutes les pressions pour obtenir satisfac- de l’appareil économique tunisien, faire
paramètre de la politique nationale. A tion. Plus rien ne les arrêtera. Désor- table rase des stigmates de l’Ancien Régi-
quoi bon tenir compte de l’opinion du mais, ce n’est plus la volonté du Prince, me, assurer le bon déroulement des pro-
citoyen lorsque celui-ci est terrorisé à tel mais l’opinion publique qui fait et défait chaines élections etc. Mais le défi essen-
point qu’il est possible de lui imposer les les gouvernements, la subordination de tiel qui, s’il n’est pas relevé fera échouer
mesures les plus injustes et les politiques ce dernier à la volonté populaire étant le toute action gouvernementale aussi judi-
les plus ignobles, le tout enveloppé dans premier pas dans la marche vers la démo- cieuse soit-elle, reste celui de l’opinion
une langue de bois perpétuelle ? cratie. Et c’est en ignorant l’opinion pu- publique dans une société de citoyens
blique que les gouvernements dirigés par critiques, méfiants et prêts à exiger par
Le réveil de l’opinion tunisienne, ou Ghannouchi ont failli à leur mission es- tous les moyens que les décideurs leur
les premiers échecs de la transition sentielle : rétablir la confiance. rendent des comptes.
C’est bien l’opinion, ce facteur inconnu, La confiance est en effet la denrée la plus Ce défi de l’opinion est en effet devenu
qui a causé la chute des deux premiers rare en ces temps où règne la méfiance,
gouvernements postrévolutionnaires essentiel car le mécontentement de l’opi-
dans un contexte de révélations et d’in-
menés par Mohamed Ghannouchi. La vestigations relevant de la chasse aux nion publique est devenu le principal
raison de cet échec face à l’opinion est sorcières. Tout homme politique tunisien facteur d’instabilité, l’opinion étant son
que tant les ministres issus du RCD que voit aujourd’hui son passé et son action propre bras armé, la manifestation étant
les membres du gouvernement provenant examinés à la loupe, et à la moindre in- devenue le mode habituel de résolution
de l’opposition n’ont jamais appris à éva- cartade, au moindre soupçon l’opinion des conflits entre une opinion défiante et
luer l’impact de leur communication et de publique se déchaine sur lui, ayant été blessée et un gouvernement « rebelle »
leurs décisions sur l’opinion publique. préalablement informée par la large dif-
Pour ce qui est des opposants, ils ne se qui inspirerait cette méfiance.
fusion instantanée que permet Internet.
sont jamais adressés à la population tuni- Faire de la politique est devenu un privi-
sienne dans le cadre de leur lutte contre lège accordé par l’opinion publique à celui H.M.S.
Ben Ali, mais plutôt aux instances inter- qui aura su montrer patte blanche.

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