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L’irrésistible marche vers une nouvelle République
L’enjeu majeur auquel devra nationales. Le paradigme dans lequel ils La mise en œuvre des conditions de la
faire face ce troisième gouvernement de se plaçaient les empêchait de dialoguer confiance est donc le seul moyen de ga-
transition, comme tous les autres gouver- avec la population, soit donc avec l’opi- gner l’opinion publique, nouvelle épée de
nements qui lui succèderont en Tunisie, nion. Damoclès prête à s’abattre au moindre
est celui de l’opinion. soupçon sur la tête des gouvernants.
Cette incompétence absolue du personnel C’est là que réside le fondement de ce que
L’opinion publique : cette inconnue politique présent dans les deux premiers doit être la communication politique et
du Bénalisme gouvernements de transition, en matière l’action gouvernementale. Or, le nouveau
de communication et de gestion de l’opi- Premier Ministre Béji Caïd Essebsi sem-
Tandis que sous Bourguiba, l’opinion nion, s’illustre par des erreurs monumen- ble l’avoir bien compris. Dès son acces-
publique était, avec les mentalités, l’un tales qui, accumulées, ont fini par les sion au pouvoir, Monsieur Caïd Essebsi a
des principaux axes de l’action gouverne- mener à leur chute. Ainsi, l’opinion a-t- cherché à gagner la confiance des Tuni-
mentale ; avec l’arrivée de Ben Ali en elle été ignorée lorsqu’il s’est agi de main- siens, conscient de l’enjeu que représente
1987, l’opinion est devenue une question tenir dans le gouvernement des lieute- l’opinion publique. Entre le franc-parler
négligeable. nants de Ben Ali comme Morjane, Grira de ses discours, notamment en qualifiant
et Ghannouchi. C’est également au mé- Ben Ali de traitre et de déserteur (tandis
Bourguiba et ses ministres savaient agir pris de la volonté populaire que Moha- que son prédécesseur Ghannouchi parlait
sur l’opinion et la prendre en compte med Ghannouchi s’est maintenu à la tête du dictateur avec une révérence coutu-
dans leurs décisions, le modèle dans le- du gouvernement après avoir été mière), et sa volonté d’attester de son
quel ils se plaçaient étant celui d’un Etat- contraint par les manifestants de la Cas- adhésion à la Révolution par des mesures
instituteur. Avec Ben Ali, cette logique a bah de limoger les ministres issus du audacieuses correspondant aux revendi-
disparu, l’Etat étant devenu un appareil RCD, entachant par là même le deuxième cations de la rue (suppression de la police
au service des intérêts de ses chefs. Lors- gouvernement provisoire qui avait tous politique, dissolution du RCD etc.), le
qu’il prenait des mesures favorables au les atouts pour réussir, si ce n’est la pré- Premier Ministre a su gagner les faveurs
sort de la population, le gouvernement ne sence inquiétante du Premier Ministre de de l’opinion, et les groupes les plus scepti-
faisait que se prémunir contre un mé- Ben Ali à sa tête. De même, si l’opinion ques et les plus radicaux, voire quasi-
contentement excessif. La propagande ne publique réclamant la dissolution du anarchistes tels que Takriz lui ont accor-
servait pas à modeler l’opinion, mais à RCD, de la police politique et de la trans- dé le « préjugé favorable » qu’il deman-
indiquer au Tunisien les limites de ce parence au sujet des milices du RCD, dait.
qu’il est permis de dire, le mètre-étalon avait été écoutée plus tôt, les graves trou-
de l’expression politique, le discours offi- bles que nous avons connus n’auraient Le nouveau gouvernement a donc montré
ciel en dehors duquel les sanctions de- pas eu lieu. qu’il était animé par la volonté de tenir
vraient s’abattre, les frontières de la sub- compte du facteur de l’opinion publique
version. Le régime de Ben Ali, reposant La vivacité d’une opinion critique dans son action et dans sa communica-
sur la peur et non sur le consensus et dotée d’un bras armé tion. Il a aujourd’hui tous les atouts pour
l’adhésion de la population à un projet de remplir avec succès sa mission : mener la
société, n’a jamais eu besoin de jauger La peur du citoyen ayant disparu, l’ex- Tunisie dans la transition vers la Deuxiè-
l’opinion et de la prendre en compte dans pression ayant été libérée, les Tunisiens, me République. Les défis qu’il va devoir
son action et dans sa communication. forts d’un sentiment de puissance et de relever sont nombreux : le maintien de la
Sous Ben Ali, du fait de la terreur exer- souveraineté né de leur victoire face à sécurité publique, doter à nouveau la
cée par la police politique, l’opinion, bien « l’indéboulonnable » dictateur, sont au- Tunisie d’une position respectable sur la
qu’elle existât, était enfouie, latente, jourd’hui capables d’agir et d’exercer scène diplomatique, favoriser la relance
refoulée, et n’était donc en aucun cas un toutes les pressions pour obtenir satisfac- de l’appareil économique tunisien, faire
paramètre de la politique nationale. A tion. Plus rien ne les arrêtera. Désor- table rase des stigmates de l’Ancien Régi-
quoi bon tenir compte de l’opinion du mais, ce n’est plus la volonté du Prince, me, assurer le bon déroulement des pro-
citoyen lorsque celui-ci est terrorisé à tel mais l’opinion publique qui fait et défait chaines élections etc. Mais le défi essen-
point qu’il est possible de lui imposer les les gouvernements, la subordination de tiel qui, s’il n’est pas relevé fera échouer
mesures les plus injustes et les politiques ce dernier à la volonté populaire étant le toute action gouvernementale aussi judi-
les plus ignobles, le tout enveloppé dans premier pas dans la marche vers la démo- cieuse soit-elle, reste celui de l’opinion
une langue de bois perpétuelle ? cratie. Et c’est en ignorant l’opinion pu- publique dans une société de citoyens
blique que les gouvernements dirigés par critiques, méfiants et prêts à exiger par
Le réveil de l’opinion tunisienne, ou Ghannouchi ont failli à leur mission es- tous les moyens que les décideurs leur
les premiers échecs de la transition sentielle : rétablir la confiance. rendent des comptes.
C’est bien l’opinion, ce facteur inconnu, La confiance est en effet la denrée la plus Ce défi de l’opinion est en effet devenu
qui a causé la chute des deux premiers rare en ces temps où règne la méfiance,
gouvernements postrévolutionnaires essentiel car le mécontentement de l’opi-
dans un contexte de révélations et d’in-
menés par Mohamed Ghannouchi. La vestigations relevant de la chasse aux nion publique est devenu le principal
raison de cet échec face à l’opinion est sorcières. Tout homme politique tunisien facteur d’instabilité, l’opinion étant son
que tant les ministres issus du RCD que voit aujourd’hui son passé et son action propre bras armé, la manifestation étant
les membres du gouvernement provenant examinés à la loupe, et à la moindre in- devenue le mode habituel de résolution
de l’opposition n’ont jamais appris à éva- cartade, au moindre soupçon l’opinion des conflits entre une opinion défiante et
luer l’impact de leur communication et de publique se déchaine sur lui, ayant été blessée et un gouvernement « rebelle »
leurs décisions sur l’opinion publique. préalablement informée par la large dif-
Pour ce qui est des opposants, ils ne se qui inspirerait cette méfiance.
fusion instantanée que permet Internet.
sont jamais adressés à la population tuni- Faire de la politique est devenu un privi-
sienne dans le cadre de leur lutte contre lège accordé par l’opinion publique à celui H.M.S.
Ben Ali, mais plutôt aux instances inter- qui aura su montrer patte blanche.
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