Vous êtes sur la page 1sur 38

LES MALENTENDUS D'ÉCÔNE

SURLA LIBERTERELIGIEUSE
Dom Basile Valuet O.S.B.

‫ع‬ ?‫ﻟﻤﺊ;ي!ا‬££،^‫ﺗﻴﺲ؛ﻟﺞ‬:!£‫ﻣﺈأﻻﻫﻜﻪ‬:‫■خ‬
saire du concile Vatican II, nous a demandé un article d’un
maximum de 15 pages sur le thème “Dignitatis Humanae (=
DH) contraire à la ^adition?‫”؛‬
Monsieur l’abbé Jean-Michel Gleize (= JMG) vient de faire
paraître dans un mensuel de la Fraternité Sacerdotale Saint-
Pie X (= FSPX), le Courrier de Rome, un article intitulé “Di-
gnitatis humanae est contraire à la Tradition”, et destiné à
réfuter BV. JMG est professeur au séminaire d’Ecône, auteur
d’une bonne traduction du célébré traité de J.-B. Franzelin,
s٠i٠, sur la ^adition’, et ancien membre du comité mixte de
dialogue institué de 2009 à 2011 entre la FSPX et la Commis-
sion pontiflcale «Ecclesia Dei». Il est à notre connaissance

1. Fr. Basile Valuet, O.S.B., “Dignitatis humanae contraire à la Tradition?‫״‬,


Bulletin de Littérature Ecclésiastique CXIV/3 (juillet-septembre 2013)
289-302. Cet article sera abrégé ici BV, comme dans la critique qu’en a faite
l’abbé Gleize. BV reprenait sous forme écrite et résumée, La doctrine de
Vatican II sur la liberté religieuse, conférence au séminaire de La Castille
(diocèse de Fréjus-Toulon) du 17 février 2012, http://www.diocese-fre‫؛‬us-
toulon.com/Vatican-II-bientot-cinquante-ans.html
2. Gleize Jean-Michel, “Dignitatis humanae est contraire à la Tradition‫״‬,
Courrier de Rome, année XLIX, n٥ 374 (564) (mars 2014), p. 1-7.
3. Franzelin Johann Baptist, s.j. (1816-1886), “La Tradition‫ ״‬/ trad, annotée
du texte latin de 1870 par l’abbé Jean-Michel Gleize. - [S.l.J: le Courrier de
Rome, 2008. - 398 p. : ill. ; 24 cm. - ISBN 978-2-913643-16-1.

LES MALENTENDUS D'ÉCÔNE... 45


le premier auteur de la FSPX à avoir admis publiquement
que le magistère même simplement authentique était obli-
gatoire, et que l’expression «magistère vivant» avait en soi
un sens légitime.. L’abbé est l’auteur de nombreux articles,
notamment dans le Courrier à Rome5.
Toutefois, on peut, sans vouloir l’offenser, le considérer
comme n’ayant pas autant que nous étudié la question de
la liberté religieuse (= LR)8. Remercions-le d’abord d’avoir
pris la peine de nous lire et de faire connaître notre article
(BV). Notons néanmoins qu’il ne cite quasi jamais littéra-
lement le texte de BV, ou au contraire met des guillemets
ou prétend se référer à BV pour des textes n’existant pas
chez ce dernier. D’autre part, JMG ne nous présente pas à
son lecteur, ce qui laisse croire que sur la LB nous sommes
shnplement l’auteur d’un article de 13 pages, alors que BV
mentionnait avoir écrit un livre de plus de 2500 pages sur
la question?. Il s’exprime donc comme si le P. Basile n’avait
pas démontré au long dans ses livres ce qu’il résumait dans
son article de 2013, et comme s’il n’avait donc pas déjà
répondu aux arguments de la FSPX. Ces «arguments pré-
sentés à Borne par M*r Lefebvre» consistent en des «Dubia
sur la liberté religieuse», déposés en novembre 1985 sous
le nom de Mgr Lefebvre à la s. Congrégation pour la Doc-
trine de la Foi. Les «Dubia», publiés par la FSPX au prin-
temps 1987, et rédigés en fait par celui qui allait devenir

4. Cf. Gleize Jean-Michel, “Une question cruciale. Courrier de Rome”, année


XLVI n٥ 350 (540), décembre 2011 ; et Id., “Magistère ou Tradition vivante ?”,
Courrier de Rome XLVII, n٥ 352 (544), février 2012.
5. Par exemple Gleize Jean-Michel, À propos d’un article récent, Courrier
de Rome, année XLVII n٥ 358 (548), septembre 2012 (critique de la position
exprimée par l’abbé Bernard Lucien, “L’autorité magistérielle de Vatican II,
Sedes sapientiae‫״‬, printemps 2012, ); ou Id., “De l’Orient à l’Occident,
Courrier de Rome‫״‬, n٥ 361 (décembre 2012) (sur la liberté religieuse et la
laïcité dans l’enseignement de Benoit XVI). On ne s’occupe pas ici de ces
articles, ni de Id., “Jean-Paul II: un nouveau saint pour l’Èglise.5‫״‬, Courrier
de Rome,, XLVIII n٥ 372 (562), janvier 2014.
S. C،L¥üÉfcNk\n١ La liberte religieuse et la Tradition catholique.
Un cas de développement doctrinal homogene dans le magistere authentique.
Le Barroux, Abbaye Sainte-Madeleine, *1995; 21998, préf. Cardinal
Alfons-M. Stickler, 6 vol., 3050 P. (abréviation‫ ؛‬LRTC 1998); 32011, 6 vol.,
3® éd., réorganisée et mise à jour, 2525 p. (abréviation‫ ؛‬LRTC 2011); -
thèse résumée dans Id., Le droit ‫ ق‬la Liberté religieuse dans la Tradition de
l’Église, préf. Cardinal Jorge Arturo Medina Estèvez, Le Barroux, Éditions
Sainte-Madeleine, *2005;22011, 675 p. (abréviation‫ ؛‬LRTE 2011).
7. Ainsi, JMG se permet d’affirmer que la « recension » [de textes du magistère]
du P. Basile est «bien maigre» (n٥ 30), alors que LRTC mentionne environ un
millier de documents du magistère (sur un peu plus de 3000 consultés)...

46 DOM BASILE VALUET O. s. B.


Μ‫؟‬Γ Tissier de Mallerais, ont été réédités par ce dernier.
JMG ne peut laisser entendre que nous ne connaîtrions pas
bien ces arguments. Au contraire, nous les avions soigneu-
sement lus et analysés®. Ces «Dubia» avaient fait l’objet
d’une réponse de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine
de la Foi (= SCDF)1٥. D’ailleurs, JMG semble ignorer que, le
26 juin 1988, nous avions remis à l’abbé Franz Schmidber-
ger, alors supérieur général de la FSPX, une analyse très
détaillée des «Dubia », que nous avions ensuite lu la réponse
de la FSPX (à nous communiquée le 8 juillet 1988 par M*r
Tissier de Mallerais) au texte susmentionné du consulteur
de la SCDF, et que nous avions composé une réponse à cette
réponse.
Quoi qu’il en soit, l’article de JMG est divisé en 4 sections.
La l٥re «L’analyse du père Basile» se veut un résumé de BV.
La 2‫« ؟‬Première appréciation critique :les vraies objections»
désire présenter à nouveau les «vraies objections» de la
FSPX contre DH. La 3® «Deuxième appréciation critique: les
présupposés de DH», étudie les but, fondement et contexte
de la LR selon DH. La 4® est une conclusion sur la valeur
doctrinale de DH. Dans la présente synthèse, destinée à ré-
pondre à cette tentative de réfutation, il ne sera pas possible

8. Mgr Bernard Tissier DE Mallerais, Mes doutes sur la liberté religieuse,


Ètampes, Clovis, 2000, 200 P. Cette rééd. comporte un allègement,
une vérification des références, une trad. fran‫؟‬. des textes latins, une
présentation de 6 P. Recension: Boillot René, Mer Lefebvre et la liberté
religieuse, Présent, 2000.11.18, P. 8. Le recenseur voyait dans cette rééd. une
tentative de réponse à notre thèse (LRTC, 1998, mentionnée là), et attendait
notre propre résumé de thèse, comme réponse à cette réponse.
9. On pourra s’en convaincre déjà en regardantle contenu et la bibliographie
de LRTC (1998 et 2011), t. ΙΙΙ/Α, par exemple aux entrées «Lefebvre»
(plusieurs pages de références, avec des notes extrêmement détaillées),
mais aussi «Tissier de Mallerais», «Kergorlay», etc.
10. LRTC la cite dans sa bibliographie de la manière suivante: Consulteur
SCDF, 1987.03.09: [Consulteur anonyme de la Sacrée Congrégation pour la
Doctrine de la Foi], Liberté religieuse. Réponse aux dubia présentés par
Mgr Lefebvre, dactyloscrit, s.d. [1987], 50 p. Travail effectué de nov. 1985
à mars 1987 par un théologien (anonyme) mandaté par la SCDF (à titre
officieux) et envoyé à Mgr Lefebvre le 9 mars 1987pour répondre aux “Dubia”.
Ce document (alors non publié, même par la FSPX) a été déclaré le 29 juin
1987 par Mgf Lefebvre «bien plus grave que la journée d’Assise» (Homélie des
ordinations de ce j0ur-lâ, où le prélat en tirait des conclusions dramatiques).
Ce document avait gardé un caractère privé, et le cardinal Ratzinger (le
21 juillet 1995) nous avait donc demandé de ne pas le citer littéralement.
Toutefois Mgr Lefebvre en cita publiquement des extraits, et il est désormais
depuis plusieurs années disponible intégralement sur Internet.

LES MALENTENDUS D'ECO NE... 47


de suivre pas-à-pas 1’arücle de JMG“. On regroupera donc
ici les questions autour de cinq thèmes, correspondant d’ail-
leurs respectivement à des paragraphes essentiels de DH: le
Ier sur les questions de continuité doctrinale dans le magis-
tère de !Église (cf. DH 1, § 5) ; le 2® sur la définition du droit
à la LR comme négatif (cf. DH 2, § 1) ; le 3® sur le fondement
du droit à la LR (cf. DH 2, § 2) ; le 4e sur le but de ce droit (cf.
DH 2, § 2 et DH 3) ; et enfin le 5® sur les limites d’exercice de
celui-ci (cf. DH 7, § 3).

‫ )ا‬LE MAGISTÈRE ANTÉRIEUR ET POSTÉRIEUR À DH

JMG ne s’appuie-t-il pas sur une interprétation incorrecte


de divers textes de Pie IX, Léon XIII, Pie XI et Pie XII, puis
de Jean-Paul II et Renoit XVI ?

A) PIE IX, QUANTA CURA, 8 DÉCEMBRE 1864

JMG (p. 2, col. 3, n٥ 11) oppose bien sûr à DH le fameux


texte de Quanta cura (= QC), de Pie IX qui condamne une
conséquence du naturalisme social:
«Et, contrairement à la doctrine de !Écriture, de !Église
et des Saints Pérès, ils ne craignent pas d’affirmer que “la
meilleure condition de la société («optimam esse conditio-
nem societatis·f■ est celle où on ne reconnaît pas au pou-
voir civil le devoir de réprimer par la sanction des peines (in
qua Imperto non agnoscitur ofcmm coercenrfi sanci،¿‫؟‬
poenis) les violateurs de la religion catholique (violatores
catholiccereligionis), si ce n’est lorsque la paix publique le
demande (nisi quatenus pax publica postulet)” 5‫؛‬. »
Voici le commentaire de JMG (n٥ 11) :

« Quanta cura limite seulement, par la tolérance, la ré-


pression de !’erreur, qui ne peut jamais jouir d’aucune

11. Dans une analyse plus détaillée, communiquée à titre privé, nous avons
suivi l’ordre de l’article de JMG, respectant la numérotation décimale de ses
parties, ainsi que la numérotation continue de ses paragraphes. Étant donné
que le Courrier de Rome paraît sur des pages de format Β4 et sur 3 colonnes,
nous avons jugé utile de fournir parfois l’indication des pages et colonnes.
12. On pourrait aussi traduire: «c’est une excellente condition de la société,
que celle où on...», car optimam peut être un superlatif relatif ou absolu.
13. Trad. fran‫؟‬. (revue par nous): La Paix Intérieure des Nations, η٥ 40.
LRTC 2011 et LRTE 2011 ont longuement analysé ce texte de QC.

48 DOM BASILE VALUET O. s. B.


liberté,‫؛‬, tandis que DH limite la liberté même, accor-
dée par principe à l’erreur. l’exercice public d’une
religion fausse est en tant que tel (même limité par les
exigences de la paix publique de l’ordre temporel) une
violation de la religion catholique. Pie IX condamne
donc le droit à la ηοη-répression en matière de religion,
même limité par les exigences de l’ordre public de la so-
ctété civüe5‫»؛‬.

Réponse: JMG ne commet-il pas ici plusieurs méprises?


a) La citation de QC ne parle pas de tolérance, ni d’erreur.
A fortiori QC ne dit pas positivement quel est le critère de
limitation de la propagation de l’erreur.
b) QC traite non de «violations», mais de «violateurs», et les
« violatores », en latin, sont des personnes exerçant de la vio-
lence, violence soit verbale, soit physique, c’est-à-dire (en
l’occurrence) qui ne respectent pas les droits de !Église et
des catholiques‫®؛‬. D’où deux conséquences : 1° DH aussi per-
mettrait la répression des «violateurs» en question, puisque
le respect des droits de tous est un des critères de limitation
énoncé par DH 7, § 5; 2٥ c’est une erreur de penser que les
« violatores » en question sont per se ceux qui ne respectent
pas intégralement les lois de Dieu et de !Église, et en par-
ticulier, tous les non-catholiques, tous ceux qui vivent dans
l’erreur ou la propagent.
c) En fait. Pie IX enseigne ici implicitement la proposition:
«l’État a le devoir de réprimer les violateurs de la religion
catholique même lorsqu’ils ne troublent pas la paix publi-
que»; DH enseigne implicitement la proposition: «l’État n’a
le devoir de réprimer les violateurs de la religion catholique
que lorsqu’ils violent l’ordre public juste objectif, lequel
ne comprend pas seulement la paix publique (pas même
la seule vraie paix publique), mais encore la moralité pu-
blique et le respect des droits de tous». Ces deux proposi-
tions n’impliquent et ne peuvent impliquer entre elles au-
cune contradiction.
d) QC, de façon uniquement négative, condamne celui qui
prétend que le seul critère à considérer est la paix publique.
Or JMG laisse entendre (à plusieurs reprises) que la «paix

14. Ici JMG se réfère à Léon XIII, qui n’est pas Pie IX.
15. Cf. aussi JMG, n٥ 31.
16. Dans LRTC et LRTE, à propos de cet extrait de QC, nous fournissons les
références aux dictionnaires latins qui prouvent notre assertion.

LES MALENTENDUS D ' E c 0 N E . . 49


publique» mentionnée ici par Quanta cura est la même
chose que 1’«ordre public juste» fixé par DH 7, § 5, comme
limite à la LR. Là où QC dit «pax publica», JMG finit même
par écrire «ordre public», voulant de toute évidence iden-
it \‫« ة‬pax publica» ‫ ﻫﻪ‬QC, au «justus ordo publicus» de
DH, ce qui n’est pas légitime. Les «Dubia» sur la liberté reli-
gieuse de l’abbè Rernard Tissier de Mallerais avouaient plus
candidement (P. 120), en novembre 1985:

«Sans doute, la “paix publique” est loin de recouvrir tout


le contenu des “justes limites” indiquées par Vatican II.
Comme nous l’avons dit (XVIII, 3, b), les justes limites
préconisées par DH sont celles de Vordre public, qui en-
globe dans son ampliation non seulement le maintien de
la paix publique, mais aussi la sauvegarde des droits de
chacun et la protection de la morale publique qui doit
respecter un “ordre moral objectif’».

C’était, logiquement, reconnaître l’absence de contradiction


entre QC et DH sur ce point‫?؛‬.
e) Enfin, la «paix publique» dont ü est question dans QC est
celle du positivisme juridique de la Déclaration des droits
de l’homme de 1789, à savoir le respect de la seule loi po-
sitive, expression de la «volonté générale», et non la «paix
publique» telle que définie par DH 7, § 3.

^١١‫ئ‬1\\‫ ا‬IAORTALE DEl ET LIBERTAS Pismssii

— JMG (n٥ 18, avec référence en note 8) raisonne comme


si, lorsque Léon XIII affirme (Immortale Dei) que l’État ne
doit rien faire qui fasse obstacle à la vraie religion, il était en
train d’affirmer que l’État ne doit rien hisser faire qui fasse
obstacle à la vraie religion. Si c’était vrai, l’État n’aurait ja-
mais pu légitimement tolérer en public l’exercice d’autres
religions, ce que nul n’a jamais affirmé.‫«؛‬
- JMG fournit une interprétation impossible du texte de17 18

17. Hélas! les Dubia ajoutaient aussitôt: «Mais au fond, peu importe cette
différence!» Pour qui veut montrer une contradiction entre deux textes, la
logique est affaire essentielle j on ne peut écrire en pareil cas «peu importe ».
18. Pie VII avait d’ailleurs accepté une telle tolérance publique pour la
France, lors du sacre de Napoléon (voir les échanges à ce sujet entre le Saint-
Siégé et Talleyrand, que nous reproduisons dans LRTC 2011, au niveau de
la note 1264).

50 DOM BASILE VALUET O.S.B.


Libertas sur la vraie liberté de la conscience. Revoici d’abord
le texte en question (déjà cité dans BLE, 2013/3):
«... on peut l’entendre aussi en ce sens qu’à l’homme (homi-
ni), il soit permis dans la cité (in civitate liceat), de suivre la
volonté de Dieu et d’accomplir ses commandements (Dei vo-
luntatem sequi et iussafacere), en fonction de la conscience
de son devoir (ex conscientia officii), sans que rien puisse
l’en empêcher (nulla re impediente) ‫؛‬٥٠»
JMG (p. 4, col. 3, n° 20) estime que Léon XIII ici

«dit exactement que l’homme a le droit de suivre la vo-


Îonté de Dieu, à condition que sa conscience la lui mani-
feste».

Réponse: «ex conscientia» ne peut pas signifler «à condi-


tion que sa conscience...»٠ Le sens est: «en fonction de la
conscience». En outre, quoi qu’ü en soit, c’est à côté de la
question. En effet, s’il est clair qu’on ne peut avoir le droit
affirmatif que d’accomplir la vraie volonté de Dieu (et non
ce que la conscience erronée prendrait pour tel), il s’agit
néanmoins de savoir ce qui se passe lorsque l’homme abuse
de ce droit affirmatif en suivant une conscience erroà\
garde-t-il l’usage de ce droit, en sorte qu’un droit négatif
le protège? Léon XIII ne répond pas à cette question, et il
faudra attendre un siècle de réflexion des théologiens et ju-
ristes catholiques, ainsi que du magistère, pour arriver à la
réponse magistérielle complète. En attendant, pour le sa-
voir, il fallait donc se référer à la philosophie générale du
droit traditionnelle en milieu catholique (et d’ailleurs appli-
quée par Léon XIII, Rerum novarum19 20, 21
et 22
Pie XI, Quadrage-
simo anno21, au cas de la propriété, et par Pie XI, Divini illius
Magistri, au droit parental‫)؛‬. Cette philosophie tradition-
nelle, à la suite de Y axioma juris médiéval, nous enseigne
que l’abus d’un droit n’en enlève pas mcessairement l’usage.
Il faudra donc que 1’Église précise encore quand un abus

19. Notre trad, de Léon XIII, 1888.06.20: Encycl. Libertaspraestantissimum;


Acta Leonis XIII08,237-258. BV se référait à ce texte.
20. Léon XIII, 1891.05.15: Encycl. Æewra novarum;ActaLeonisXIII 11,113-4
= ÆS5 (:Acta Sanctae Sedis) 25, 651 = BP (:Actes de Léon XIII) Paris, Bonne
Presse) 03, 37.
21. Pie XI, 1931.05.15 : Encycl. Quadragesimo anno, § 86 ;AAS, 1931,192 ‫ ؟‬BP (=
Actes de PieXI, Bonne Presse) 07,114-115 (dont nous corrigeons la traduction
dans LBTC) ; = DC (: La Documentation catholique) 25 (1931) 1416.
22. Voir plus loin cette question particulière.

LES MALENTENDUS D'ÉCÔNE... 51


de ce droit à la vraie liberté de la conscience reconnu par
Léon XIII est non seulement moral, mais aussi juridique,
et peut - voire doit - donc être réprimé, et quand cet abus
moral n’est pas juridique et ne peut donc pas être réprimé.
C’est ce qu’elle fera en DH 7, § 3.

c) PIE XI, MIT BRENNENDER SORGE (1937)23

D’après JMG, l’Encyclique anti-nazie ne traite pas d’un


droit naturel en matière religieuse, mais seulement du
droit des catholiques (ou seulement du droit naturel äs ca-
tholiques?). Or, le contexte de Mit brenneÉr Sorge, tant
historique que littéraire, était aussi la protection des juifs
et des confessions chrétiennes non catholiques. Que ce fût
le contexte historique, JMG ne pourra le nier. Que ce soit
aussi le contexte littéraire, la lecture attentive du début de
l’encyclique, antérieurement au passage cité par BV et JMG,
permet de le voir:
1° Le pape prend la défense de la O¿ théiste en l’existence
d’un Dieu personnel, infiniment distinct du monde, sans en-
core distinguer la foi catholique, ni même la foi chrétienne
en général:
«Prenez garde. Vénérables Frères, qu’avant toute autre
chose la foi en Dieu (Gottesglaube), premier et irrempla-
‫؟‬able fondement de toute religion (jeder Religion), soit
conservée en Allemagne, pure et sans falsification. Ne croit
pas en Dieu celui qui se contente de faire usage du mot Dieu
dans ses discours, mais celui-là seulement qui, à ce mot sa-
cré, unit le vrai et digne concept de la Divinité. Quiconque
identifie, dans une conftision panthéistique. Dieu et l’uni-
vers, abaissant Dieu aux dimensions du monde ou élevant
le monde à celles de Dieu, n’est pas de ceux qui croient en
Dieu (Gottgläubigen)٠ Quiconque, suivant une prétendue
conception des anciens Germains d’avant le Christ, met le
sombre et impersonnel Destin à la place du Dieu personnel,
nie par le fait la Sagesse et la Providence de Dieu ce-
lui-là ne peut pas prétendre à être mis au nombre de ceux
qui croient en Dieu 0Gottgläubigen)٠ »2‫ب‬23
24

23. Pie XI, 1937.03.14: Encycl. Mit brennender S0rge> aux évêques d’Alle-
magne;Æ45, 1937, 145-167 (160 citée par DH, note 2)‫ ؟‬BP 16, 7-53‫ ؟‬oc, 1937,
901-922.
24. Seulement 5 jours plus tard. Pie XI, 1937.03.19: Encycl. Divini
Redemptoris usera pour les «croyants» en généra! de !’expression «quiDeum

52 DOM BASILE VALUET O.S.B.


Un peu plus loin. Pie XI y distingue aussi la «foi en Dieu» et
la «foi au Christ», puisqu’il dit que la deuxième est néces-
saire au maintien solide de la première^
2٥ Ensuite Pie XI insiste lourdement sur l’Ancien Testament,
ce qui à 1’époque, en Allemagne, faisait évidemment penser
aux Juifs, et non seulement aux chrétiens.
3٥ Enfin, quant au passage que citait BV, JMG prétend que
celui-ci ne traite que de la foi catholique. Or (dans LRTC et
LRTE) nous avions minutieusement démontré le contraire.
Cette démonstration ne pouvait évidemment pas figurer en
entier dans un article ne devant pas dépasser 15 pages de
petit format; mais cet article fournissait suffisamment de
données d’après l’original allemand pour qu’il n’y eût pas de
doute. Voici néanmoins, un peu abrégée, l’analyse de LRTE
2011. Pie XI commence par proclamer des droits naturels
inaliénables face à l’État‫؛‬
«Des lois humaines qui sont en contradiction insoluble avec
le droit naturel sont marquées d’un vice originel qu’aucune
contrainte, aucun déploiement extérieur de puissance ne
peut guérit«»; «l’homme, en tant que personne (derMensch
als Persönlichkeit) [...]» possède des «droits qu’il tient de
Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la collectivité hors
de toute attéinté27».
Toujours dans ce contexte de droit naturel de la personne, il
passe au «droit à professer sa croyance»:
«[A] [1] L’homme croyant (Der gläubige Mensch) [2] a un
droit inaliénable (ein unverlierbares Recht) [3] à [a] profes-
ser (bekennen) sa croyance (seinen Glauben) et [b] à la pra-
tiquer (betätigen) dans les formes correspondantes. [BJ Des
lois qui [IJ [a] oppriment (unterdrücken) ou [b] rendent dif-
ficiles (erschweren) [2‫[ ل‬a] la profession (das Bekenntnis)
et [b] la pratique (die Betätigung) de cette croyance (dieses25 * *

esse credunt», et appellera à s’unir contre le communisme athée toutes ces


personnes (il distingue alors les chrétiens et un groupe qui les contient,
«ceux qui croient en Dieu», et qui sont la majorité de l’humanité): «Sed
ad mm propulsandam, qua “potestas tenebrarum” Dei ipsius opinionem ex
intimis hominum mentibus euellere contendit, summa in spe sumus cum eis,
qui christiano nomine gloriantur, se etiam illos efficienter coniuncturos
esse, qui, longe maxima nempe hominum pars, Deum esse credunt et
adorant.» (I, 1937,103 = BP 15, 93-94).
25. Orig. allemand: «kein Gottesglaube wird sich auf die Dauer rein und
unversfälscht erhalten, wenn er nicht gestutzt wird vom Glauben an
Christus».
2ÍAAS) 1937,159‫ ؟‬BP 16, 36-3Β.
27‫د‬, 1937, 159-160‫ ؟‬BP 16, 36-38.

LES MALENTENDUS D'ÉCÔNE... 53


Glaubens) [5] sont en contradiction (Widerspruch) avec une
loi naturelle (Naturgesetz) 28.»
Les deux phrases [AJ et [B] sont parallèles. L’une [A] énonce
l’existence et l’objet du droit fondamental; l’autre [B] en tire
la conséquence: une loi qui en empêche l’exercice contredit
le droit naturel.
[A] [1] Le contexte antérieur et le texte prouvent que le sujet
actif du droitestl’hommecroyant(,J)erglâubigeMensch“),et
non spécifiquement le chrétien (der Christ), ni le catholique
(der Katholik), ni même le fidèle (der Gläubige). - Quant
au contexte, Pie XI vient d’employer les expressions ‫״‬Mensch
als Persönlichkeit“, ‫״‬Natur des Menschen“, ‫״‬Menschennatur“
et d’évoquer la fin dernière ‫״‬des Menschen“٠ Il s’agit bien
d’un droit naturel de l’homme. - Quant au texte, certes,
le substantif GlaUbige(r) tout seul, signifierait le fidèle, le
Christifidelis du droit canonique, bref: le catholique. Mais
Pie XI a usé de Mensch (homo), précédé de l’adjectif: glau-
bige(credens)*29, [2] Il s’agit d’un droit inaliénable. [3] L’objet
du droit est double: [a] «professer» et [bj «pratiquer». ٠ Le
droit ne s’applique pas seulement à la croyance intérieure;
il inclut la pratique extérieure. ٠ Cette pratique à son tour a
un contenu: «sa croyance». En effet: [a] en allemand, le mot
Glaube(nXs) (et l’adjectif gläubige) désignent aussi bien la
croyance en général que la foi théologale en particulier;
par ailleurs. Pie XI ne traite pas d’un droit de tout homme
croyant à pratiquer la [vraie] foi (cela ne susciterait aucune
discussion), mais d’un droit de tout croyant à pratiquer sa
foi (‫״‬seinen Glauben“), [b] Il s’agit de la pratique des formes
correspondant à cette foi-là. [B] [1] Le seul sujet passif de
ce droit explicitement mentionné est la loi (sous-entendu:
civile), et [2] dans le cas où elle [a] dénie ou [b] complique
l’exercice (profession, pratique) de ce droit. [3] Dans ce cas
elle contredit un droit naturel. Puisque Pie XI est dans le
domaine du droit naturel, il traite d’un droit valable pour
tous les hommes croyants, de par leur nature d’hommes
et de par la nature de la croyance religieuse. «L’universa-
lité de ces paroles n’échappé pas à quiconque connaît les

2S.AAS, 1937,160‫ ؟‬trad, défectueuse: BP 16, 38.


29. Pie XII utilisera aussi cette expression (au pluriel: gläubige Menschen)
(dans un contexte similaire d’opposition au matérialisme athée) dans
Pie XII, 1952.08.10: Message Mit dem Gçfühl..., au 75‫ ج‬Katholikentag‫؟‬
723‫־‬727 (725) ‫ ؟‬DC, 1291‫־‬1294‫ ؟‬DPPieXII, 410415‫( ־‬ici 413)‫؟‬Ätfl, 93-98.

54 DOM BASIIE VALUET O.S.B.


circonstances d’alors, et donc le but de cette encyclique™.»
Nous constatons ici un droit naturel à la liberté civile d’ad-
hérer à sa croyance religieuse et de la pratiquer. (D’un éven-
tuel abus de ce droit qui serait protégé ou non par le droit.
Pie XI ne dit rien.) Il s’agit d’un développement doctrinal
homogène par mode de précision, d’application du principe
de Léon XIII (Libertas) à un cas particulier. On rétorque que
défait, Pie XI, dans le passage immédiatement subséquent,
ne traite que des catholiques :
«Des parents sérieux, conscients de leur devoir d’éduca-
teurs, ont un droit primordial (urspmnglichesRecht) à régler
l’éducation des enfants que Dieu leur a donnés dans l’esprit
de la vraie foi {des wahren Glaubens), en accord avec ses
principes et ses prescriptions. Des lois ou d’autres mesures
qui éliminent dans les questions scolaires cette libre volonté
des parents, fondée sur le droit naturel (naturrechtlich ge-
gebenen Eltemwillen in Schulfragen) ou qui la rendent inef-
flcace par la menace ou la contrainte, sont en contradiction
avec le droit naturel (im Widerspruch zum Naturrecht) et
sont foncièrement immorales»،.»
En réalité, comme Pie XI ne peut absolument pas avoir l’in-
tention de contredire ce que luï-même a enseigné auparavant
de manière explicite en 1929 dans Divini illius Magistrp2, il
se contente de réaffirmer le droit naturel (on l’a souligné en
gras) de tous les parents à ne pas être empêchés d’éduquer
leurs enfants comme ils l’entendent, qu’il applique à un cas
particulier, celui des seuls parents catholiques.

D) PIE XII: DISCOURS CIRIESCE, AUX JURISTES CATHOLIQUES ITALIENS


(6 DECEMBRE 1953)

Pie XII est allé plus loin que la possibilité, la Hcéité, Yoppor-
tunité, voire la nécessité d’une tolérance ou «ηοη-empêche-
ment» en certaines circonstances du mal ou de l’erreur,
déjà professées par Léon XIII»»; il a affirmé quelque chose30 * 32 33

30. Mgr Emil-Jozef De Smedt, 1“ rapport oral sur le schéma de DH, DC, 1964,
79.
31.1937,160 ,‫; د‬notre trad, corrigeant BP 16,38, qui porte «dans l’esprit de
leur foi» là où Porig, allem, dit‫״ ؛‬des wahren Glaubens“. Ici, Pie XI se limite
au cas de la vraie foi.
32. Nous étudions ce texte plus loin, dans notre deuxième partie.
33. Cf. Léon XIII, 1881.08.03 : Lettre apost. Licet multa‫ י‬à tous les évêques de
Belgique ‫ ؟‬Acta Leonis XIII02, 324 :ASS 14, 146; - Léon XIII, 1888.06.20‫؛‬
Encycl. Libertas praestantissimum, à tous les êvêques, sur la liberté

LES MALENTENDUS D’E-C٥NE... 55


de plus: l’absence - dans de telles circonstances - du droit
d’empêcher le mal ou l’erreur‫־‬.
«Peut-il se faire que, dans des circonstances déterminées. Il
[Dieu] ne donne aux hommes aucun mandat, n’impose au-
cun devoir, ne donne même aucun droit d’empêcher et de
réprimer ce qui est faux et erroné? Un regard sur la réalité
autorise une réponse affirmative^.»
Donc, dans les mêmes circonstances, puisque les hommes
n’ont aucun droit d’empêcher55, alors, on commettrait une
injustice envers celui qui est dans l’erreur, en l’empêchant
de pratiquer son erreur. C’est donc que cet adepte de Per-
reur, dans ces circonstances, serait couvert par un droit,
tout comme les parents infidèles qui éduquent leurs enfants
dans l’erreur re‫״‬gieuse58. Il ne reste plus à DH qu’â préciser
quelles sont ces circonstances où il est injuste d’empêcher
l’erreur religieuse. Ces circonstances sont celles où l’ordre
public juste n’est pas enfreint, dit DH. Et voilà !
Le n٥ 29 de JMG est visiblement gêné par les phrases sus-
dites de Pie XII, et il élabore alors de toutes pièces sa propre
théorie interprétative, toute nouvelle, du discours en ques-
tion:

«Pie XII aborde ici la question de la tolérance, en dis-


tinguant deux cas différents, afin de montrer que le
devoir de répression du mal et de l’erreur ne peut être
prudentiellement appliqué de manière systématique.
Il traite tout d’abord le cas de chaque homme pris34 35 36

humaine ; Acta Leonis XIII08 (1888), 239-240 & 244 =ÆS5 20 (1887[-1888])‫ا‬
609-610 & 612. Notons que ces affirmations sur la nécessité de la tolérance
étaient, à lépoque, nouvelles dans le magistère. Devait-on en conclure que
Léon XIII allait contre la Tradition ? De même pour le cas de Pie XII ?
34. Pie XII, 6 décembre 1953: Allocution Ci riesce: trad. Iran‫؟‬.: Documents
Pontificaux de Sa Sainteté Pie XII, Paix intérieure des Nations
3040; orig. ital.: Æ45, 1953, p. 798-799: «Puo darsi che in determinate
circostane Egli non dia agli uomini nessun mandato, non imponga nessun
dovere, non dia perfino nessun diritto d’impedire e di reprimere cio che è
erroneo e falso?» (soulignements orig.). Nous avons corrigé la traduction
de «mandato», laquelle, par erreur, se lisait: «commandement», ce qui
représentait en outre une redondance incompréhensible avec «devoir»; en
effet, pour Dieu, imposer un commandement, c’est par le fait même imposer
un devoir. C’est en latin que «mandatum» signifierait «commandement».
35. Et non seulement aucune permission d’empêcher, car Pie XII, dans tout
son enseignement, emploie toujours le mot «droit» dans le sens juridique,
comme LRTC l’a montré en examinant tous les usages de ce mot dans le
corpus doctrinal de ce pape.
36. Voir plus loin notre examen de ce droit parental.

56 DOM BASILE VALUET O.S.B.


Individuellement, puis celui de l’homme investi d’auto-
rite. Et ce n’est que dans le premier cas qu’il avance la
fameuse phrase où l’on voudrait voir un argument en
faveur de la liberté religieuse: dans certaines circons-
tances, il n’y aurait aucun droit d’interdire le mal et l’er-
reur. Oui, mais aucun droit pour l’individu en tant que
tel: il est évident que nul n’a aucun droit, ni aucun de-
voir, à titre individuel, pour réprimer la profession pu-
blique d’une fausse religion. On ne peut a-er que
cette phrase de Pie XII se rapporte au rôle de l’État par
rappport à ses sujets».

Réponse: Pie XII ne fait nullement porter son enseigne-


ment sur la distinction que propose JMG, et ne suit donc
pas l’ordre indiqué par JMG. D’abord, le public de cette al-
locution est l’association des juristes catholiques italiens.
Le contexte n’est donc pas celui d’une leçon de morale
individuelle. Et quant au fond, le contexte est celui de la
construction d’une communauté de nations57. Le thème, en
devenant plus précis au § IV, continue à être juridique et
politique, concernant les juristes, les États, et la commu-
nauté des États“. La distinction sur quoi repose sans cesse
le texte de Pie XII n’est pas entre la tolérance individuelle
et la tolérance légale, mais entre d’une part, la vérité objec-
tive, le bien objectif, et, de l’autre, le mal et l’erreur. Seul ce
qui est objectivement vrai et bon peut être objet de droit, de
commandement, d’autorisation positive. Ce qui est erroné
et faux ne peut pas être sujet, objet ou finalité de droit, mais* *

‫اﻵ‬ «la costituzlone, il mantenimento e razione di una vera Comunità di


Stati»; «Il giurista١ Vuomo politico, 10 Stato particolare, come la Comunita
degli Stati»; etc.
«A questo proposito vorremmo ora intrattenervi - voi ehe amate
di projessarvi giuristi cattolici - intorno ad una delle questioni, che si
presentano in una comunita dei popoli‫ ؛‬vale a dire, la pratica convivena
delle comunita cattoliche con le non cattoliche». Gir aussi les expressions
qui suivent, parsemant le texte: «ipopoli e gli Stati membri della Comunita»‫؛‬
«Pestensione della Comunita»‫« ؛‬il territorio dei singoli Stati sovrani membri
di taie Comunita delle nasioni»‫« ؛‬Nell١interno del suo territorio e per i suoi
cittadini ogni Stato regolerd gli alfari religiosi e morali con una propria
legge‫ ؛‬nondimeno in tutto il territorio della Comunita degli Stati sard
permesso ai cittadini di ogni Stato-membro Pesercifcio delle proprie credence
e praticlte eticbe e religiose, in quanto queste non contravvengano alleleggi
penali dello Stato in cui essi soggiornano. Per il giurista, Puomo politico e 10
Stato cattolico sorge qui il quesito [p. 798]: possono essi dare il consenso ad
un simile regolamento, quando si tratta di entrare nella Comunita dei popoli
edirimanervi?».

LES MALENTENDUS D'ÉCÔNE... 57


Dieu ne donne parfois à l’homme aucun droit de l’empêcher
ou de le réprimer. On savait déjà cela par la philosophie du
droit concernant l’abus d’un droit. Le magistère vient ainsi
le confirmer. Quand un individu abuse de son droit en agis-
sant de manière erronée ou mauvaise, il reste protégé par
le droit, tant qu’il reste dans certaines circonstances délimi-
tées, au point que même l’autorité civile n’a pas le droit de
l’en empêcherfo.

E) SAINT JEAN-PAUL II ET BENO‫ ־״‬XV)

JMG, P. 5, n٥ 12 (suite) et 15, croit que le magistère


post-conciliaire
«revendique la liberté religieuse comme un droit positif
d’expression, c’est-à-dire comme le droit d’exercer pour
elle-même la religion que l’on tient pour vraie et pas seule-
ment le droit à l’absence de toute coercition de la part des
pouvoirs civils».
- Après avoir cité le fameux message du Ier septembre 1980
de Jean-Paul II3940,41
JMG présume pouvoir conclure:
«Est ici formulé, en termes explicites, le droit positif de dif-
fuser l’erreur, et pas seulement le droit négatif de ne pas
être empêché.»4‫؛‬
Réponse: Le texte même que JMG invoque ne traite pas du
« droit à recevoir et publier», etc., mais de «la liberté de rece-
voir et de publier», de la «liberté de» faire, agir, etc., jamais
du «droit de faire, agir», etc. Or, comme on ne peut que le
répéter inlassablement, si, au XIXe siècle, «la liberté de faire»
signifiait «le droit de faire», ce n’est plus le cas au XX« siècle,
où «la liberté de faire» signifie, dans tous les cas de «droits
de liberté», et donc entre autres pour la liberté religieuse,
un droit négatif, un droit à ne pas être contraint ni empêché,
et non un droit affirmatif.

39. Voir soit LRTE, soit LRTC 2011 pour l’analyse détaillée de tout le
texte de ۵' riesce. Il s’agit toujours de l’autorité humaine, des États et de
la communauté des États. Pie XII aborde la nécessité de cette tolérance
«politique, civique et sociale» aussi dans d’autres discours, par exemple
Pie XII, 1946.10.06: Alloc. Ecco che già un anno, à la s. Rote Romaine;‫د‬,
1946, 393; - Pie XII, 1955.09.07: Discours Fous avez voulu, au Xe congrès
international des sciences historiques 1955 ,‫د؟‬, P. 678-679.
40. Jean-Paul II, 1980.09.01: Message L’Église catholique, à la Conférence
de Madrid des Chefs d’Ëtat signataires des accords d’Helsinki; orig. fran‫؟‬.:
AAS, 1980,1252-1260, oc, 1980,1172-1175, et site Internet du Vatican.
41. Pour simplifier, on se limite ici au «droit à ne pas être empêché», seul
vraiment attaqué par la FSPX, même si le droit à la LR comporte aussi le
«droit à ne pas être contraint».

58 DOM BASILE VALUET O. s. B.


— Le texte de Benoît XVI cité par JMG (n٥ 15), lui aussi, parle
de la liberté d’agir (non du droit d’agir), du «libre exercice»
(non du droit d’exercer), de «pouvoir exercer librement» (et
non d’un droit affirmatif). Qu’il s’agisse seulement de re-
vendiquer un droit négatif, cela est confirmé par le libellé
même du discours de Benoît XVI : « Elle fia personne) ne de-
vrait pas rencontrer d’obstacles...+2».
On ne voit donc absolument pas comment JMG peut
conclure, au n٥ 15: «Ces déclarations de Jean-Paul II et
de Benoît XVI admettent clairement un droit positif à dif-
fuser ses convictions religieuses, même erronées». À vrai
dire, JMG ne se sent peut-être pas si sûr de lui-même, car
il ajoute: «Il est donc clair que le droit revendiqué par Vati-
can II peut tout de même occasionner la profession publique
de l’erreur». Le mot «occasionner» est ici juste, car il s’agit
d’une protection seulement per acdns de la diffusion de
l’erreur, contrairement à tout ce que veut démontrer JMG.
Notons au passage que la «tolérance publique de l’erreur»,
quand elle avait lieu selon le système canonique ancien prô-
né par JMG, occasionnait elle aussi la «profession publique
de l’erreur».

Il) LOBJET DU DROIT λ LA LR: L’IMMUNITÉ DE COERCITION,


ET NON LE CONTENU DE L’ACTION RELIGIEUSE

Ces considérations nous amènent à la question principale,


celle de l’objet du droit à la LR. À ce propos, il faut opérer
soigneusement deux séries de distinctions. A) La première
tourne autour du type de droit: permission morale, droit af-
firmatif, droit négatif, etc. B) La deuxième concerne la diffé-
rence entre le droit, son exercice, et son abus.

A) LE TYPE DE DROIT: PERMISSION MORALE, DROIT AFFIRMATIF,


DROIT NÉGATIF, ETC.

1) Nous commencerons par énoncer les cinq types de


concepts à considérer. 2) Nous examinerons ensuite les
confusions commises à leur sujet par JMG.42

42. Benoît XVI, 2006.12.09: Discours à Vunion des juristes catholiques


italiens!, DC) 2006,214-215.

LES MALENTENDUS DE CÔNE... 59


1)‫ اا‬FAUT DISTINGUER CINQ CHOSES:
1٥ la permission morale d’agir; 2٥ le droit affirmatif d’agir
dans la société (appelé au XIX‫ ؟‬siècle «liberté civile»); 5٥ le
simpleza*'، de ne pas être empêché (appelé au XXe siècle «li-
berté civile ») ; 4٥ le droit négatifh ne pas être empêché, mais
concédé par me loi positive humaine («tolérance légale» au
XIX«siècle, «droit civil à la liberté» au XX‫؟‬siècle); 5° le droit
naturel négatif âne pas être empêché d’agir, concédé par le
droit divin naturel (au XX‫ ؟‬siècle: «droit naturel à la liberté
civile»). Dans les cas 3,4 et 5, ce ηοη-empêchement (de fait,
ou par la loi, ou en raison d’un droit naturel) était autrefois
appelé en théologie «tolérance», si son objet était le mal, et
«liberté» si son objet était le bien; désormais, dans un cas
comme dans l’autre, cela s’appelle «liberté». Voyons cela de
plus près.
1٥ Tous les catholiques sont d’accord qu’il n’y a pas de per-
mission morale d’agir mal, ou d’adhérer à l’erreur.
2٥ Les catholiques, contrairement aux libéraux depuis le
xvme, admettent qu’il ne peut pas non plus y avoir de droit
affirmatifà agir ma/, car, entre autres, cela supposerait une
absurde permission morale d’agir mal.
3٥ Or, comme nous pensons l’avoir démontré, le mot «liber-
té » au XIX‫ ؟‬siècle désigne toujours le droit affirmatif d’agir43.
C’est pour cela qu’aucun pape de ce siècle-là n’a admis
qu’un sujet puisse jouir de la liberté lorsqu’d s’agissait du
ηοη-empêchement (même de fait] d’une action erronée,
mauvaise. Et lorsqu’il s’agissait d’un tel ηοη-empêchement
de fait, ils préféraient l’expression «tolérance [de fait] ».
4٥ Lorsque le ηοη-empêchement d’une action erronée,
mauvaise, procédait d’une loi, pour la même raison, ils re-
fusaient à nouveau le mot de «liberté», et ne voulaient en-
tendre parler que de «tolérance [légale]».
En revanche, au XX‫ ؟‬siècle, même en milieu ecclésial, 1 efait
du ηοη-empêchement commence à être appelé «liberté ci-
vile», «liberté externe», meme pour l’erreur. D’autre part,
dans les milieux juridiques, «liberté» désigne de plus en
plus souvent le seul ηοη-empêchement. Et lorsque l’erreur
est tolérée, elle jouit effectivement d’une forme de «liber-
té» consistant en un ηοη-empêchement, ce que Pie XII,
en 1953, appellera «ne pas empêcher ou tolérer ... le libre43

43. Cf. par exemple LRTE, 2005 et 2011, ainsi que dans la 3e éd. de LRTC
(2011).

60 DOM BASILE VA LU ET O.S.B.


exercice»«. On admet même qu’en présence d’une loi de
tolérance, l’adepte de l’erreur jouisse d’un droit à ne pas être
empêché d’agir ainsi«.
5٥ Alors, qu’en est-il d’une 5‫ ؟‬réalité, celle à quoi s’affronte
DH, à savoir non seulement le ηοη-empêchement defait,
voire légal - c’est-à-dire par la loi civile ou ecclésiastique -,
mais le droit naturel au non-empêchement? Répondons par
étapes.
Les papes du XIXe siècle tout en refusant une «liberté» de
l’erreur ou du mal objectifs, c’est-à-dire un droit affirma-
tif à l’erreur, connaissaient et professaient par ailleurs un
droit des parents «infidèles» à ne pas être empêchés d’édu-
quer leurs enfants selon leurs convictions religieuses, pour-
tant fausses. Us revendiquaient aussi un droit de propriété,
même pour ceux qui usent à de ce droit, un droit même
pour les pécheurs - que tous les hommes sont-à ne pas être
tués (du moins s’ils sont innocents de crime de sang), etc.
Par conséquent, tout en refusant la liberté comme droit af-
firmatif d’agir mal, ils ne la refusaient pas toujours comme
droit négatif protégeant même un agir erroné, mauvais.
Or, au XXe siècle, le «droit à la liberté», et notamment dans
DH, n’a plus le sens de droit affirmatif, mais seulement celui
de droit négatif, comme l’a clairement expliqué la commis-
sion de rédaction de DH (que JMG ne cite jamais) 46‫؛‬
«[...] le droit peut être pris en un double sens. Au premier44 45 46

44. Cf. Pie XII, 1953.12.06‫ ؛‬Alloc. ۵' riesce; aux membres du Ve congrès
national ital. de l’union des juristes catholiques, sur la tolérance religieuse
dans une Communauté d’Ètats: «Un altra questione essenzialmente diversa
è: se in una comunita di Stati possa, almeno in determinate circostanse,
essere stabilita la norma che II libero eserclxlo di una credenza e di una
prassi religiosa O morale, le quali hamo valore in uno degli Stati-membri,
non sia impedito nelVintero territorio della Comunita per mezzo di leggi
O prowedimenti coercitiui statali. In altri termini, si chiede se il ،،non
impedire", ossia il tollerare, sia in quelle circostanze permesso, epercio la
positiva repressione non sia sempre un dovere.» (AAS, 1953, 798).
45. Cf. Baucher Joseph, Dom (1866-1929), art. «Liberté», in DTC (=
Dictionnaire de Théologie Catholique) 9 (1926), col. 660-703, ici 701: «En
décrétant cette tolérance, le législateur est censé ne pas vouloir créer au
profit des dissidents le droit ou la faculté morale d’exercer leur culte, mais
seulement le droit de n’être pas troublés dans l’exercice de ce culte. Sans
avoir jamais le droit de mal agir, on peut avoir le droit de n’être pas
empêché de mal agir, si une loi juste prohibe cet empêchement pour des
motifs suffisants.»
46. La FSPX ne semble pas prendre en compte l’importance de la lecture
des textes d’une commission de rédaction pour l’interprétation correcte
d’un texte conciliaire : cf. déjà l’importance des Actes synodaux de Florence,
Trente et Vatican I.

LES MALENTENDUS D'ÉCÔNE... 61


sens, on entend par droit la faculté morale de faire quelque
chose, une faculté par laquelle quelqu’un est muni intrinsè-
quement d’une autorité positive (empowerment, Ermachti-
gung, autorizzazione) pour agir. Dans la Déclaration, on ne
prend pas le droit dans ce sens, afin que ne soient pas sou-
levés des points qui n’ont pas de rapport avec la question,
comme par exemple la question spéculative des droits de la
conscience erronée, qui se pose en dehors de [l’état de] la
question juridique de la LR, telle qu’elle est traitée dans la
Déclaration. En un autre sens, le droit se dit d’une faculté
morale d’exiger que quelqu’un ne soit pas contraint à agir,
ni empêché d’agir. Et en ce sens bien sûr le droit signifle
une immunité dans l’agir, et exclut la coercition soit qu’elle
contraigne soit qu’elle empêche. C’est uniquement dans ce
sens que le droit est pris dans la Déclaration‫״‬.»
Tout cela étant précisé, ü s’ensuit qu’il ne peuty avoir aucune
contradiction entre les condamnations du XIXe siècle et l’en-
seignement de Vatican II. Le droit à la LR n’est pas et n’im-
plique pas une permission morale de l’erreur, ni un droit à
l’erreur, ni même un quelconque droit d’agir, et notamment
pas un «droit d’agir selon sa conscience» (contrairement à
ce que croit JMG) 48. Il faut relire ici le CEC, n٥ 2108:
« Le droit à la liberté religieuse n’est ni la permission morale
d’adhérer à l’erreur,48 ni un droit supposé à l’erreur,™ mais
un droit naturel de la personne humaine à la liberté civile,
c'est-à-dire à l’immunité de contrainte extérieure, dans de
justes limites, en matière religieuse, de la part du pouvoir
politique. [...]».* 46 * * 49 50

47.Relatio scripta de textu emendato, 19ηον. 1964,Α5. (:Acta Synodalia...)


ΙΙΙ/νιιι, P. 461-462. Notre trad.
46. DH ne revendique de droit affirmatif que pour 1’Èglise seule (cf. DH 13, §
2), par mandat divin, et pour ses disciples; jamais pour les non-catholiques
ou les autres entités religieuses. Voici ce qui concerne les individus
catholiques: «Pareillement, 1’Èglise revendique pour elle-même la liberté
en tant qu’elle est aussi une société d’hommes qui jouissent du droit à vivre
dans la société civile selon les prescriptions de la foi chrétienne.» Même
ainsi, il faudra dans le concret distinguer ce droit, et l’usage concret de ce
droit par le catholique.
49. Ici, la note renvoie à Léon ¡¡¡¡‫ י‬Libertas praestantissimum: Acta Leonis
17//08, 229-230.
50. Ici, la note renvoie à Pie XII, 1953.12.06, c’est-â-dire à l’alloc. ۵' riesce,
AAS (= Acta Apostolicae Sedis) 45 (1953) 799. L’erreur n’est donc pas l’objet
de ce droit. Il n’existe pas de permission juridique ni de droit-exigence
affirmatif ayant !’erreur pour objet.

62 DOMBASILEVALUETO.se.
2) QUELQUES CONFUSIONS COMMISES PAR ‫ال‬
Or, quant à ces points, JMG semble bien commettre encore
plusieurs confusions: a) d’une part sur les rapports entre
droit affirmatif et droit négatif; b) d’autre part sur les rap-
ports entre droit affirmatif et permission morale.
a) JMG croit que la proclamation d’un droit négatif (droit à
ne pas être empêché d’agir) implique la proclamation d’un
droit affirmatif (droit à agir), alors que c’est seulement la
réciproque qui est vraieâ‫؛‬. Corrélativement, par méconnais-
sance des lois de la contraposition logique, il croit que la
condamnation d’autrefois d’un droit affirmatif entraîne celle
du droit négatif de DH. Enfin, il estime que te lesfaits, les
deux s’identifient٥2.
Réponse: Marquons clairement en quoi dans les faits un
droit affirmatif à diffuser l’erreur, s’il existait, différerait du
simple droit négatif à ne pas être empêché de diffuser ce
qu’on croit être vrai, même si c’est l’erreur. Remarquons
pour cela que le droit affirmatif à diffuser l’erreur suppo-
serait l’obligation en justice de la part des autres individus
d’aider l’adepte de l’erreur à diffuser son erreur, et bien en-
tendu, de 1’écouter diffuser son erreur, et même l’obliga-
tion d’adhérer à son erreur. Qui ne voit que c’est juridique-
ment et concrètement différent du fait de se contenter de ne
pas empêcher par voie coercitive la diffusion de la religion,
même de celle de l’adepte de l’erreur?
b) Selon JMG, en affirmant que les papes du XIX® condam-
naient seulement un droit affirmatif d’agir, BV commettrait
l’erreur de penser que les papes du XIX® condamnaient seule-
ment la permission morale individuelle d’adhérer à l’erreur.
Mais BV ne dit pas qu’au XIX® siècle la «liberté de conscience
et des cultes» était «dans l’ordre moral». BV a écrit: «“Liber-
té civile” désignait au XK® siècle un droit d’agir, lequel pré-
suppose une permission morale d’agir.» Un droit affirmatif
d’agir présuppose une permission morale, mais il est autre
chose qu’une simple permission morale ; ü est une réalité ju-
ridique, exercée face à des tiers, et exigeant d’eux quelque
chose de positif: au moins une approbation, une aide...51 52

51. Cf. JMG (P. 2, col. 2, n٥ 10): «Deuxièmement, il est bien difficile
de séparer le droit à la liberté religieuse tel que le conçoit exactement
Vatican II et le droit à la diffusion de l’erreur, car celui-là appelle et contient
inévitablement celui-ci».
52. Cf. JMG (P. 2-5, n٥ 12): «Deuxièmement, le droit négatif à ne pas être
empêché correspond dans les faits au droit positif à diffuser !’erreur».

LES MALENTENDUS D'ÉCÔNE... 63


B) LE DRoiT, SON EXERCICE, ET L'ABUS DU DROIT

Autre distinction que JMG néglige d’étudier: le droit, son


exercice, et l’abus du droit. 1) Dans un premier temps, nous
reprenons cette question par le début, dans ses principes.
2) Ensuite, nous examinons les méprises de JMG.

1) LES PRINCIPES
Le droit, au sens de faculté morale où il est pris depuis
Léon XIII, y compris dans DH, est une puissance enracinée
dans un sujet. Son exercice a lieu, quand son sujet passe
à l’acte de l’utiliser. Son abus, c’est de l’utiliser pour l’er-
reur ou pour le mal٥5. Or DH traite d’un droit naturel. S’il
est naturel, alors il vaut pour tous les hommes. Ce droit
consiste en particulier à ne pas être empêché de diffuser la
religion qu’on croit en conscience vraie. Puisque d’une part
l’homme peut avoir une conscience erronée, et que d’autre
part l’abus n’ôte pas l’usage, cela implique certes, mais par
accànt, qu’il sera injuste d’empêcher la diffusion (dans
certaines limites) d’une religion Pourtant, le droit à
la LR n’est pas identique à un droit défini comme ayant pour
objet de ne pas être empêché de diffuser l’erreur religieuse.
Si quelqu’un diffuse l’erreur, il ne s’agit plus du droit à la li-
berté religieuse, ni de son usage correct, mais de l’abus de ce
droit. Comme l’affirmait le 6‫ ج‬rapport écrit de la commission
de rédaction de DH:
«Nulle part il n’est affirmé, ni il n’est permis d’a-er (c’est
évident) qu’il existe un droit à diffuser l’erreur‫؟‬.. Si donc
des personnes diffusent l’erreur, cela n’est pas l’exercice du
droit, mais l’abus de celui-ci. Cet abus peut et doit être em-
pêché quand l’ordre public est gravement lésé, comme c’est
affirmé plusieurs fois dans le texte et expliqué au n٥ 755.»
En d’autres termes, si la pratique religieuse est inspirée par
une erreur, cela est accidentel à la notion de la vertu de
religion et aussi au droit revendiqué. Et par conséquent si
le droit à la LR protège aussi celui qui pratique une erreur,
parce que l’adepte de !’erreur garde le droit à !’immunité53 54 55

53. Nous examinerons les différents types d’abus dans notre partie sur les
limites de l’abus du droit.
54. Inexistence maintenue à plusieurs reprises par la commission‫ ؟‬cf. par
exemple ‫وﻟﺞ‬. ΐν/νι, 771 [η٥ 78].
55. Notre trad, du Rapport écrit sur le «textus denuo recognitus» (Congr. gen.
164,19 novembre 1965) j 3 - Expensio Modoruïï1)A.S. IV/v1, 725.

64 DOM BASILE VALUET O.S.B.


(cf. DH 2, § 2), cela est accidentel à la définition de ce droit.
L’adepte de l’erreur religieuse, qui, par ce fait même, abuse
moralement de son droit à la liberté religieuse (quoi qu’il en
soit de sa bonne foi, hors sujet), reste néanmoins protégé
par le droit à la LR, tant que cet abus ne passe pas dans le
domaine de l’abus juridique (cf. plus loin notre explication
de 3§ ,7 ‫)ﺗﻤﺮه‬.
En effet, quand on définit un droit, on le définit par rapport
à son exercice correct, en faisant abstraction d’un éventuel
abus, tout en maintenant le principe plus général que ce
n’est pas tout abus qui permettrait de restreindre ou répri-
mer un tel usage du droit. Cela était déjà bien connu dans la
rfradition. Ainsi, par exemple,
« en définissant le droit parental, comme l’ont enseigné
entre autres saint Thomas, Cajetan et Pie XI, on fait abstrae-
tion (dans de justes limites) de la question de savoir si les
parents enseigneront défait l’erreur ou la vérité religieuse
à leurs enfants, les feront baptiser, ou non, etc.;
٠ quand on définit le droit à la vie, on fait abstraction
(dans de justes limites) du fait que la personne humaine va
pécher ou non; ce n’est pas le fait de commettre n’importe
quel péché qui suffît à faire perdre l’usage du droit à la vie;
٠ quand on définit le droit de propriété, on fait abstrae-
tion (dans de justes limites) du fait que la personne humaine
va user ou non - et user bien ou non - de son droit»».
Même les Dubia sur la liberté religieuse de Mgr Lefebvre
affirmaient d’ailleurs (p. 87 de l’éd. publique de 1987):

«4. Par conséquent, si l’on veut définir une liberté re-


ligieuse qui fasse abstraction de la vérité, on doit se
contenter de définir un droit subjectif à la liberté du culte
de Dieu. C’est ce qu’ont fait les papes Pie XI et Pie XII en
proclamant le “droit fondamental de l’homme au culte
de Dieu”: cela suffisait contre les totalitarismes. Et nous
disions plus haut (V, 3, a) que ce droit subjectif au culte
de Dieu “in genere” inclut implicitement le droit objec-
tif au vrai culte de Dieu: cela est pleinement satisfaisant
pour un esprit catholique et acceptable par les non-ca-
tholiquefs]».56

56. Cf. Léon XIII, 1891.05.15: Encycl. Rerum novarum; Acta Leonis XIII
11, 113-4 :ASS 23, 651 = BP 03, 37, repris par Pie XI, 1931.05.15: Encycl.
Quadragesimo anno,§ 86;Æ45, 1931,192 ‫؛‬BP 07,114-115‫ ؟‬oc 25 (1931) 1416.
C’est le principe qui leur permet de condamner le socialisme !

LES MALENTENDUS D'ËCÔNE... 65


Ainsi donc, ce texte entrevoyait bien la solution: la procla-
mation d’un droit naturel «in genere», faisant abstraction de
l’usage. Or, comme Pie XI et Pie XII, c’est précisément ce
que fait DH. DH définit un droit à la LR en faisant abstraction
de son usage (bon ou mauvais), puis applique le principe
que l’abus n’ôte pas l’usage, et enfin détermine les limites
(morales, puis juridiques) de son exercice. DH ne dit jamais
que les non-catholiques ont objectivement un droit à prafi-
quer leur culte erroné. Certes DH 2, §2 affirme que le fait de
ne pas adhérer à la vérité ou ne pas la chercher ne fait pas
perdre le droit à l’immunité:
«C’est pourquoi le droit à cette immunité persévère même
chez ceux qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la
vérité et d’y adhérer; et son exercice ne peut pas être em-
pêché pourvu que soit préservé l’ordre public juste.»
Mais - répétons-té encore - c’est que l’abus d’un droit n’en
enlève pas toujours l’usage”. Par conséquent, même celui
qui adhère à la vérité contre sa conscience, ou qui adhère
à l’erreur selon sa conscience, garde le droit à l’immunité
de coercition. Quand l’usage sera erroné, ce sera un abus
d’un droit subjectif authentique, mais - et c’est là que Mgr Le-
febwe, alias Mgr Tissier de Mallerais, n’a pas vu assez loin la
conséquence - le droit subjectif protège même l’abus qu’on
en fait, dans certaines limites (définies en l’occurrence pour
la LR en DH 7, § 3). Il est vraiment dommage que les Dubia
ne soient pas allés jusqu’au bout de la logique du principe
posé par eux. Il leur a manqué de penser à l’àoma juris:
usum non tollit abusus, l’abus n’ôte pas l’usage. Le texte de
DH 2, § 2, n’est donc ni absurde, ni faux, ni immoral.
Ainsi, d’un côté l’homme a un véritable droit affirma-
tif à accomplir la vraie volonté de Dieu en fonction de sa
conscience vraie5758, 59
mais, même s’ü est dans l’erreur en sui-
vant sa conscience, ce droit le protège malgré tout, car l’abus
n’ôte pas nécessairement l’usage. Tant que son abus reste
seulement moral, l’homme reste dans les circonstances où
Dieu «ne donne à l’homme... aucun droit d’empêcher ce qui
est erroné»5».
57. Cf. la remarque de la commission de rédaction de DH :«Cum vero abusus
non tollat ins, nt aliquis Pater recte notat, ultimae lineae sic sonnt: "einsque
exercitium impediri neqn.it dnmmodo instns ordo publieus serretur”» (A.s.
ΐν/νι,ρ. 736).
58. Et non, certes, un droit affirmatif à accomplir ce qu’il croit à tort être la
volonté de Dieu.
59. On aura reconnu icil’expression de Pie XII, 6 décembre 1953, commentée
plus haut en détail.

66 DOM BASILE VALU ET O.S.B.


De ce fait, à Vatican II, pour recouvrir tous les cas60, 61
on a
préféré parler de «droit à ne pas être contraint / empêché
d’agir». L’autre raison pour laquelle il était opportun de
s’exprimer avec le vocabulaire du droit négatif, c’est que la
plupart des détenteurs de l’autorité politique sont désormais
dans l’incapacité juridique (de facto, de par leur histoire,
ou de jure, de par leur droit constitutionnel) de juger si tel
homme est objectivement dans l’erreur religieuse. Et que, de
toutes façons, on ne doit jamais laisser à l’État seul le soin
de juger si l’adepte de l’erreur y est de bonne foi ou non,
selon sa conscience ou non: même au moyen âge, 1’Église
seule, à l’exclusion de l’État, se réséda‫ ״‬de juger (tant bien
que mal) et du fait de l’hérésie et de la pertinacité des hé-
rétiques.

2) LE HEHU DE IG
Le principal malentendu de JMG (cf. n٥ 5, et l’ensemble de
l’article de JMG) est donc de penser que DH accorde par
principe la liberté à l’erreur. En effet, DH ne parle jamais
précisément des non catholiques, et ne revendique directe-
ment pour eux comme tels aucun droit, pas meme de droit
négatif. Ce point doit être souligné et développé, car c’est
surtout lui qui échappe de bout en bout à JMG dans son
exposé. En effet, DH accorde la liberté par principe auxper-
sonnes humaines; ensuite, que ces personnes pratiquent et
diffusent l’erreur, c’est accidentel: c’est un abus de leur droit
à la liberté. Si cet abus, extrinsèque et à la religion comme
telle, et au droit défini par DH, se trouve protégé par le droit,
ce n’est pas per se, mais per accidens. On nous excusera de
le répéter.
JMG (n٥ 22, fin) écrit:

«Et le droit d’accomplir sans entraves une telle profes-


sion [d’une religion fausse] n’est autre que celui d’ac-
complir non pas accidentellement mais essentiellement
une action moralement mauvaise6‫»؛‬.

Réponse: Voilà donc bien à nouveau la confusion capitale


de JMG. Or le droit de DH n’est pas un «droit d’accomplir».

60. Aussi bien l’usage objectivement bon que l’usage objectivement mauvais
ou abus protégé indirectement par le droit s’il reste dans de justes limites.
61. JMG nous avait pourtant assuré que la FSPX ne prétendait jamais que DH
prônait un droit affirmatif à n’importe quelle religion.

LES MALENTENDUS D ’ ‫غ‬ c ٥ N E . . . 67


mais un droit à ne pas être contraint/ empêché d’agir. En
outre, il s’agit de matière religieuse, et non d’erreur. Or ce
n’est pas tout acte en matière religieuse qui est mauvais,
pas même dans une religion erronée. Et ce n’est pas tout
acte mauvais que l’État peut réprimer. En vérité, c’est de
manière acciâtelle que le droit de DH va rendre possible,
occasionner l’accomplissement d’une action objectivement
mauvaise.

‫״‬I) LE FONDEMENT DU DROIT À LA LR: DIGNITÉ ONTOLOGIQUE


ET DIGNITÉ MORALE

Sur le fondement du droit à la LR, JMG ne commet-il pas


essentiellement trois méprises: A) une sur un principe,
R) l’autre sur son application au cas du droit parental, c) et
enfin une sur les rapports entre fondement et but du droit?

A) DIGNITÉ MORALE ET USAGE D'UN DROIT EN GÉNÉRAL

JMG croit que si un sujet perd sa dignité morale, il perd


l’usage de son droit; en d’autres termes, JMG croit donc
qu’un droit ne protège plus son titulaire dès que ce titulaire
erre dans l’usage de son droit, c’est-à-dire en abuse morale-
ment: cela est tout à fait contraire à tout ce qu’on enseigne
depuis des siècles en cette matière, en fonction de l’adage:
abusus non tollit usum, parfois exprimé abusus non tollit
ius. Certes, il est parfaitement exact que celui qui adhère à
l’erreur déchoit de sa dignité morale, surtout s’ü le fait en
opposition à sa conscience®2. Et qu’il use de son droit pour
autre chose que ce pourquoi il lui a été donné. Toutefois un
tel abus du droit ne fait pas nécessairement perdre le droit.
La position de JMG٥5 n’est donc pas prouvée.

B) LA PERTE DE LA DIGNITÉ MORALE ENTRAÎNERAIT CELLE DU DROIT

JMG estime donc que les parents ηοη-baptisés n’ont pas de62 * * 65

62. De même, celui qui abuse de son droit de propriété déchoit de sa dignité
morale. Mais son droit naturel de propriété reste bien enraciné dans sa
dignité ontologique.
65. JMG n٥ 25, fin: «C’est pourquoi on ne peut pas fonder un droit à la liberté
religieuse au sens de DH sur la dignité d’une personne humaine restreinte à
son seul être de nature raisonnable, indépendamment de son agir».

68 DOM BASILE VALUET O. s. B.


droit naturel à exiger que les instances extérieures ne les
empêchent pas d’élever leurs enfants selon leur croyance,
alors que c’est là un enseignement constant de la ^adi-
tion antérieure à Vatican II. Il suffira ici de renvoyer à saint
Thomas d’Aquin,^ commenté par Cajetan, puis confirmé et
complété par Pie XI.
À propos du droit parental, JMG (n٥ 24, suite) interprête
comme suit la pensée de Cajetan:

«En réalité, Cajetan dit tout autre chose ‫؛‬que ce que BV


lui fait dire] : du fait de leur infidélité, et de 1’éducaüon
corrompue qu’ils vont donner à leurs enfants, les parents
ηοη-chrétiens ont mérité de perdre leur droit parental;
cependant, eu égard au fait que ce droit est naturel dans
son origine. Dieu en tolère l’exercice.»

Réponse: a) D’abord, il est évident que si un mal a lieu,


c’est que Dieu le tolère, mais c’est hors sujet, car cela ne
tranche pas la question de savoir si oui et non les personnes
humaines, elles, sont tenues en justice de ne pas empêcher
ce mal. b) Or, ce que Cajetan écrit‫؛‬, c’est qu’une autorité
humaine ne pourrait nullement punir la faute des parents
infidèles en leur prenant leurs enfants sans violer leur droit
naturel‫« ؛‬Mais on ne peut pas les en empêcher sans vio-
1er leur droit naturel». Il en découle donc un droit naturel
des parents à ne pas être empêchés d’éduquer leurs enfants
même per accidens dans l’erreur, c’est-à-dire d’abuser mo-
ralement de ce droit naturel à l’éducation. Ou, si on préféré :
leur droit naturel affirmatif à l’éducation implique un droit
négatif à ne pas en être empêchés, même s’ils en abusent.
Cajetan ne dit donc aucunement que ces parents ont perdu
leur droit, même si, sans doute, selon lui, objectivement, ils
\‫ ج‬mériteraient.
JMG (n٥ 24, suite) poursuit:

«Car l’abus du droit détruit ici le droit, en raison même


du principe selon lequel le droit naturel ne saurait faire
obstacle au droit positif révélé».64 65

64. Cf. SAINT Thomas d’Aquin, la fin de ΙΙ-ΙΙ, 10, 12 c: «Unde contra justitiam
naturalem esset si puer, antequam habeat usum rationis, a curaparentum
subtrahatur١uelde eo aliquidordinetur mmtis parentibus.»‫؛؟‬ou\\|Vü\U
nôtres.
65. Dans son commentaire de l’article susdit de la Somme théologique, que
traduit longuement JMG dans sa note 18.

LES MALENTENDUS D'ÉCÔNE... 69


Réponse‫ ؛‬Cajetan dit précisément l’inverse, et la position
développée ici par JMG est celle de Scot, que combat Caje-
tan««! Ce dernier affirme en effet tout au contraire qu’on ne
doit pas imposer de force l’obligation surnaturelle au détri-
ment du droit naturel, car le Dieu auteur de l’une ne peut
contredire le Dieu auteur de l’autre.
Même t^e d’erreur dans l’interprétation que JMG tente en-
suite du texte de Pie XI concernant la même matière. Voici
taie ‫ ﻫﺔ‬Dimni ils Mttgistri:
«Et en effet, bien que !Église, consciente comme elle l’est
de sa mission divine universelle et de l’obligation qu’ont
tous les hommes de pratiquer l’unique vraie religion, ne se
lasse pas de revendiquer pour elle le droit et de rappeler
aux parents catholiques le devoir de faire baptiser et d’éle-
ver chrétiennement les enfants, elle reste cependant si ja-
louse de !inviolabilité du droit naturel de la famille en
matière d’éducation, qu’elle ne consent pas, sinon sous des
conditions et garanties déterminées, à baptiser les enfants
d’infidèles ou à disposer de leur éducation de quelque ma-
nière que ce soit contre la volonté de leurs parents, aussi
longtemps que les enfants ne peuvent se déterminer d’eux-
mêmes à embrasser librement la foi«? »
JMG (n٥ 24, suite), après avoir cité ce texte croit pouvoir se
permettre d’écrire:

«Le pape ne dit nullement ici que les parents infidèles


jouissent d’un véritable droit naturel, en raison vertu [5/c]
ils pourraient continuer à élever leurs enfants, en dépit66 67

66. Cf. Cajetan, 1517.02.26, sur ΙΙ-ΙΙ, q. 10, a. 12, §§ III à VI, notamment:
«toute la présente difficulté semble suspendue à ceci: est-il oui ou non
contraire à la justice naturelle d’ôter de tels enfants à la supervision de
parents infidèles voulant les élever dans 1’infidélité? Si en effet c’est contre
la justice naturelle, il s’ensuit que c’est illicite: car il ne faut pas faire le
mal pour qu’il en sorte du bien. Et si ce n’est pas contre la justice naturelle,
il semble que ne soit faite aucune injustice envers les parents, à qui le droit
naturel a donné la supervision de leurs enfants. Et bien entendu l’Auteur
[s. Thomas] dans le texte s’appuie sur la réponse affirmative, mais Scot sur
la négative. [...] la question est de savoir si en raison de cet abus du droit
naturel les parents qui en abusent peuvent ou doivent être privés d’un tel
droit. [...] Et donc. Dieu, en instituant l’ordre de la grâce pour la perfection
de l’ordre de la nature, ne veut pas que ce juste naturel soit violé, bien que
ceux-ci [les parents infidèles], en en abusant, le méritent. » Notre trad,
fran‫؟‬.
67. Pie XI, 1929.12.31: Encycl. Divini illius Magistri (sur l’éducation
chrétienne de la jeunesse‫ ؟‬orig. lat.:Æ45, 1930, 61-62‫ ؟‬latin + fran‫؟‬.: BP 06,

70 DOM BASILE VALUET O.S.B.


de la circonstance que représente leur infidélité».

Réponse: Tout au contraire, c’est bien ce que dit le pape


et explicitement, et c’est ainsi qu’on a toujours compris la
chose««. En effet, la raison qu’invoque Pie XI pour s’interdire
d’intervenir dans l’éducation de ces enfants c’est-en toutes
lettres dans le texte allégué à l’instant, et que JMG cite pour-
11‫ ةﻷ‬- l’inviolabilité du droit naturel de la famille (pourtant
non chrétienne).

c) RAPPORTS ENTRE FONDEMENT ET BUT: DIGNITÉ DE IA PERSONNE


ET FINALITÉ DU DROIT

À tout ce qui précédé, U faut ajouter que le fondement de la


LR est la nature humaine non pas seule, mais en tant qu'elle
est ordonnée à la vérité. Voici le texte de DH 2:
«Conformément à leur dignité, tous les hommes, puisqu’ils
sont des personnes, c’est-à-dire doués de raison et de vo-
Îonté libre, et donc dotés d’une responsabilité personnelle,
sont poussés par leur nature elle-même et tenus en vertu
d’une obligation morale de chercher la vérité, en premier
lieu celle qui a trait à la religion.»
Par ailleurs, il est en parfait accord avec la dignité onto-
logique et morale de la personne humaine d’avoir la pos-
sibilité d’adhérer en conscience à la vérité. Or les pressions
coercitives, même si elles sont faites en faveur de la véri-
té, empêchent ou du moins gênent une telle adhésion en
conscience, seule conforme et à la dignité ontologique et à la
dignité morale de la personne.

IV) LE BUT DU DROIT À LA LR: ADHÉRER EN CONSCIENCE


Ä LA VÉRITÉ RELIGIEUSE

DH proclame ce droit pour que l'homme agisse bien, et non


(on vient de le voir) parce que l'homme agit bien. Or, sur
le but du droit à la LR, JMG ne commet-il pas aussi deux
méprises? En effet, il croit que le but de la LR serait seule-
ment A) au niveau individuel, que chacun agisse selon sa
conscience, et B) au niveau social, de réaliser le pluralisme
de la société et !’indifférentisme de l’État.68

68. Pour une démonstration plus détaillée, cf. LRTC 2011 ou LRTE 2011.

LES MALENTENDUS D'ÉCÔNE... 71


A) LE BUT DU DR0ITÂ LA IR N'EST PAS SEULEMENT D'AGIR EN CONSCIENCE

JMG suppose que selon DH (et selon le P. Basile) le butprin-


cipal de la LR serait d’agir selon 5« conscience, la question
de l’erreur n’important pas ; alors qu’en réalité le but princi-
pal de la LR est de rendre possible à l’homme une adhésion
consciencieuse à la vraie Église, 1’Église catholique. Contrai-
rement à ce que laisse entendre JMG n٥ 21, BV n’a jamais
écrvt ‫\י‬£ seul but du droit de DH est que l’homme puisse
suivre sa conscience. Il a écrit «DH vise à mettre l’homme
dans les meilleures conditions pour accomplir son obliga-
tion (individuelle et collective) de suivre sa conscience et
adhérer à l’unique vraie Église» (BLE, 2013/3, p. 299) : adhé-
rer à la uérité en leJaisant selon sa conscience. WfouWes ÉXi
aspects, car d’une part il est subjectivement immoral d’ad-
hérer même à la vérité si on le fait contre sa conscience®®,
et d’autre part il est objectivement immoral (par définition)
d’adhérer à l’erreur même en le faisant selon sa conscience.
Dans ce dernier cas, ce serait en outre immoral aussi au
point de vue de la conscience subjective, c’est-à-dire du pé-
ché formel, si l’ignorance qui a entraîné l’erreur était elle-
même coupable69 70. 71
Dans un cas, comme dans l’autre, on abu-
serait du droit.

B) LE BUT DU DR0ITÀ LA LR N'EST PAS LA SOCIÉTÉ PLURALISTE


NI L'ÉTAT INDIFFÉRENT

Corrélativement, au sujet du but du droit à la LR, JMG (p. 3,


col. 3, à la fin du n٥ 16) ajoute:

«ce but est présenté tel qu’il doit se réaliser “au sein
d’une société devenue pluraliste” 71, non seulement de
fait mais de droit, en raison du principe même de la li-
berté religieuse adopté par Vatican II, et qui se définit
précisément comme celui de l’indifférentisme religieux
des pouvoirs publics».

Ce texte recèle deux malentendus: l’un sur le pluralisme,


!’autre sur !’indifférentisme.

69. Cf. saint Thomas d’Aquin, Somme de théologie, 111‫־‬, q. 19, a. 5.


70. Cf. saint Thomas d’Aquin, Ι-ΙΙ, q. 19, a. 6.
71. On ne sait à quoi correspondent ces guillemets.

72 DOM BASILE VALUET O. S.B.


Γ LE MALENTENDU SUR LE PLURALISME RELIGIEUX.
Expliquons-nous. Par «pluralisme de fait» on entend seu-
lement le fait que des personnes de religions différentes se
trouvent dans un même pays ou une même communauté
d’États. Or, que cela se produise dans presque tous les pays
du monde, et de plus en plus : c’est unfait (regrettable!) 72. Le
«pluralisme en droit» serait en revanche la proclamation de
la nécessité, de l’opportunité, de la bonté de l’existence de
plusieurs religions. Or, qu’ü y ait de fait plusieurs religions,
cela est contraire à la volonté antécédente de Dieu: nul ne
peut proclamer ce fait comme une nécessité à promouvoir;
c’est le sens de DH 1 ! Revenons alors au droit à la LR: c’est
un droit proclamé comme naturel Qu’il y ait des religions
erronées, et des personnes qui les pratiquent, ce sera un
abus de ce droit naturel, ce sera accidentel à la nature et
même à la proclamation de ce droit comme naturel. Quant
au magistère postconciliaire, il spécifiera explicitement que
prôner le pluralisme en droit est condamnable‫’؟‬,

2° LE MEIIU SUR LlUFtilSI RELIGIEUX DE L’ÉTAT


JMG (p. 5, col. 5, n٥ 16), croit que selon nous, seul 1’indiffé-
rentisme individuel resterait définitivement condamné, non
l’indifférentisme de l’État, alors que les deux seraient liés,
et d’ajouter:

«Ou du moins, disons-nous que, sans professer explicite-


ment l’indifférentisme des individus, DH lui fraye la voie,
du fait même qu’elle professe l’indifférentisme des pou-
voirs civils».

Réponse: DH ne professe pas l’indifférentisme des pou-


voirs civils, et ne fraye pas la voie à l’indifférentisme des
individus. DH au confraire «laisse intacte la docfrine catho-
lique fraditionnelle au sujet du devoir moral des hommes
et des sociétés envers la vraie religion et l’unique Église du
Christ» (DH 1, § 3). Au moment de l’ajout «et des sociétés».

72. C’est un état de fait qui oblige la prudence politique à légiférer en


fonction de lui. Cela, JMG le reconnaît certainement, comme Pie XII, le 6
décembre 1953.
73. Cf. CDF, 2007.12.03: Note doctrinale Missus a Patre: «10. Toutefois,
l’annonce missionnaire de l’Église est aujourd’hui “mise en péril par des
théories relativistes, qui entendent justifier le pluralisme religieux, non
seulement defacto mais aussi dejure (ou en tant que principe)”.» (orig. lat.‫ن‬
AAS, 2008, 489-504‫ ؟‬trad, franç.:!, 2008, 5967‫)־‬.

LES MALENTENDUS D'ÉCÔNE... 73


le rapporteur de la commission de rédaction, sur ordre de
Paul VI, a précisé:
«Le texte qui nous est présentai [Note 1 : oralement: propo-
sê] aujourd’hui rappelle clairement les devoirs de la puis-
sance publique vis-à-vis de la vraie religion (voir n° 1 et
n٥ 3), ceci rend manifeste le fait que cette partie de la doc-
trine n’a pas été omise”.»
Le 19 novembre 1964, le rapport écrit qui présentait le Tex-
tus emendatus avait d’ailleurs déclaré:
«4. [Confessionnalité de l’État], À condition de bien com-
prendre les choses, la doctrine de la liberté religieuse ne
contredit pas au concept historique de “l’État confes-
sionnel”, comme on dit. En effet, le régime de la liberté
religieuse [...] n’empêche pas que la religion catholique
soit reconnue par le droit humain public comme la religion
commune des citoyens dans une certaine région, ou que la
religion catholique soit établie par le droit public comme
religion de l’État”.»
Le 21 septembre 1965, dans sa «relato conclusiva», le rap-
porteur du concile, Mgr Emil-Jozef De Smedt soulignait
même:
«Nulla instantia humana obiective moraliter libera est in ac-
ceptando vel respuendo Evangelium etEcclesiam veram?6».
Ajoutons ce passage de DH 13, §2:
«Dans la société humaine et devant tout pouvoir pu-
blic, 1’Église revendique pour elle-même la liberté, en tant
qu’autorité spirituelle constituée par le Christ Seigneur, à
laquelle par mandat divin incombe le devoir d’aller dans le
monde entier et de prêcher l’Évangile à toute créature.»
Pour prouver que DH n’implique pas «l’indifférentisme re-
ligieux des pouvoirs publics», et même que DH n’interdit
pas à une nation de proclamer de façon officielle la vérité
de la religion catholique, il suffit d’étudier un cas particu-
lier très signiflcatif, celui de la loi organique de l’État espa-
gnol (10 janvier 1967) ayant rendu possible la loi de liberté

74. Æ5. ΐν/νι, P. 719. La découverte de ce texte a fait se rétracter sur ce point
Bertrand DE Margerie, S.J., entre d’une part ses deux livres de 1988 (Liberté
religieuse et règne du Christ, Paris, Cerf, 1988, vii-134 P. ‫ ؟‬et Écône, comment
dénouer la tragédie? Réflexions théologiques et pastorales) Paris, Tequi,
1988, 109 p.) et d’autre part son article: Liberté civile et obligation éthique
en matière religieuse, in La Vie Spirituelle, 1.144, n٥ 690 (1990), P. 355-371.
75. Æ5. ΙΙΙ/νιιι,ρ. 463, s 4.
76. Æ5. ΙΥ/1, p. 433.

74 DOM BASILE, VALUET O.S.B.


religieuse (28 juin / 1“ juillet 1967) 77. Ce clair maintien de
confessionnalitè «pour raison de vérité» doublé d’une appli-
cation du principe de LR, au nom même de DH, avec l’ap-
probation du Saint-Siège, et en raison même du caractère
vrai de l’enseignement du Magistère de !Église catholique,
se voit énoncer ainsi:

«La loi de caractère fondamental du 17 mai 1958, en


vertu de laquelle la législation espagnole doit s’ins-
pirer de la doctrine de 1’Église catholique, constitue
le fondement de la présente loi. [...]78 C’est pourquoi
la loi organique de l’État datée du 10 janvier 1967 a
modiflé comme suit ledit article 6 [du Fuero de los Es-
pañoles] : “La profession et la pratique de la religion
catholique, qui est celle de l’État espagnol, bénéfi-
cieront de la protection officielle‫®؟‬. L’État assurera
la protection de la liberté religieuse, laquelle sera
garantie par une efficace disposition juridique qui
sauvegardera et la morale et l’ordre public.” Cette
nouvelle rédaction — et cela doit être noté expressé-
ment — avait auparavant été approuvée par le Saint-
Siège. [...]80.»

À plus forte raison, DH n’interdit évidemment pas qu’une


nation reconnaisse la religion catholique comme faisant
partie intégrante du bien commun. Au demeurant, Re-
noit XVI écrira, dans Caritas in veritate, n٥ 55-56:
55. [...] La liberté religieuse ne veut pas dire indifférence
religieuse et elle n’implique pas que toutes les religions
soient équivalentes. Un discernement concernant la contri-
bution que peuvent apporter les cultures et les religions
en vue d’édifier la communauté sociale dans le respect du
bien commun s’avéré nécessaire, en particulier de la part

77. Cf. oc, 1968,45, note 1.


78. Voici notre trad. fan‫؟‬, du texte de 1958‫« ؛‬La Nation espagnole considère
comme marque d’honneur l’attachement à la Loi de Dieu, selon la doctrine
de la Sainte Église Catholique, Apostolique et Romaine, unique vraie et foi
inséparable de la conscience nationale, laquelle inspirera sa législation.»
79. Cf. Goethals Cyril, La liberté religieuse d’après ،،Dignitatis Humanae
Personae” de Vatican II, Dendermonde (B), Chez 1Ά., avril 1987, P. 65: «En
vertu des “justes limites” le pouvoir public peut et doit protéger la religion
et 1’Èglise catholiques contre les attaques de ses adversaires. La liberté de
suivre et de manifester une religion non-catholique dans de justes limites,
ne comporte pas le droit d’attaquer 1’Èglise catholique en public».
80. Voir les références dans LRTC s.v. Franco F., 1967.07.01.

‫؛‬ES MALENTENDUS D'ÉCÔNE... 75


de ceux qui exercent le pouvoir politique. Un tel discer-
nement devra se fonder sur le critère de la charité et de la
vérité. 56 [...‫؛‬. La religion chrétienne et les autres religions
peuvent apporter leur contribution au développement sente-
ment si Dieu a aussi sa place dans la sphère publique, eXceVa
concerne les dimensions culturelle, sociale, économique et
particuliérement politique. La doctrine sociale de 1’Église
est née pour revendiquer ce “droit de cité” de la religion
chrétienne. La négation du droit de professer publiquement
sa religion et d’œuvrer pour que les vérités de la foi ins-
pirent aussi la vie publique a des conséquences négatives
sur le développement véritable®‫» ؛‬.

V) LES LIMITES DE L’EXERCICE DU DROIT À LA LR:


DROITS DES AUTRES, PAIX PUBLIQUE ET MORALITÉ PUBLIQUE

DH 7, § 1 évoque l’existence de limites que ne doit pas fran-


chir l’exercice du droit. Puis DH 7, § 2 énonce les limites
morales de l’usage du droit. Et DH 7, § 5 en détermine les
abus juridiques. S’il s’agit de franchir seulement des limites
morales, il y a abus moral Si sont franchies en outre des
limites d’ordre juridique, alors on parle d’abus juridique,
c’est-à-dire contraire aux droits de la société civile: un tel
abus juridique peut être empêché ou réprimé par l’État, au
nom de critères objectifs, soit juridiques au sens strict (les
droits de tous), soit politiques (la paix publique), soit mo-
raux (la moralité publique) (cf. DH 7, § 3). Or, à ce propos,
JMG se fourvoie essentiellement sur deux points: A) JMG
affirme que la LR des autres personnes est le seul critère de
limitation de la LR que DH (comme R Y) reconnaît comme
légitime; R) JMG croit que les normes limitatives de l’exer-
cice du droit à la LR selon DH 7, § 3 ne peuvent jamais avoir
un fondement surnaturel

A) LA LR D'UN TEL EST LIMITÉE PAR LE DROIT Â LA LR DES AUTRES,


MAIS PAS UNIQUEMENT

1) La LR d’Un Tel est limitée par le droit à la LR des


autres. Au n٥ 19 (p. 4, col. 2), JMG cite littéralement RV,
mais interprète de travers le sens des propos, notamment en
affirmant: «De l’aveu même de notre auteur [RV], Vatican II

SI. Trad, fran‫؟‬.: site Internet du Vatican.

76 DOM BASILE VALUET O. s. B.


s’est donc aligné sur l’article 18 de la Déclaration universelle
des droits de l’homme. Celle-ci est la négation même de la
doctrine sociale de 1’Église. À la suite du concile, le père Ba-
sile assume cette négation [..٠]» (n٥ 19, ibidem). Réponse:
U n ^Déclaration universelle des Droits de l’Homme,
1948), au n٥ 18, prône le respect d’une certaine forme de
liberté civile de religion®. Cette DUDH, internationale,
implique entre ces religions ou confessions différentes un
pacte de non-agression. Elle suppose donc que ce n’est pins
vrai de dire qu’automatiquement la LR laissée à une religion
B dans un pays de religion A va entraîner une menace pour
\aü Ae \a τ‫\؟‬Μ»\οη k, ce qui était en revanche le cas aupara-
vant. BV ajoutait à ce propos: «avant le XX® siècle, chaque fois
que dans un pays de religion A se développait une religion
B, les fidèles de B, comme tout le monde à 1’époque, étaient
persuadés qu’une fois majoritaires ils pourraient écraser la
liberté des autres, donc de A, devenue minoritaire», etc. Ce
changement de situation juridique dû à la réciprocité a ame-
né 1’Église à discerner dans quelle mesure ce principe pou-
vait être interprété conformément à la doctrine catholique
(cf. DH 1). JMG déforme donc complètement la pensée de
BV et aussi la réalité sur ce qu’a fait DH: il ne s’agit nulle-
ment de se régler sur «le faux droit nouveau». Remarquons
aussi que JMG ne saisit absolument pas non plus la grande
portée de cette question de la réciprocité.
2) Mais pas uniquement... Répondons alors à JMG, n٥ 6: Ni
selon DH, ni selon le P. Basile, ni même selon la DUDH, le
droit des autres à la liberté religieuse n’est l’unique critère
juridique de limitation légitime de l’exercice du droit à la
LR. Qu’avait écrit BV?«a) Le critère juridique est “l’efficace
protection des droits pour tous les citoyens et leur harmo-
nisation pacifique” [DH 7, § 3]. Par exemple, si quelqu’un
dans sa manière de pratiquer sa religion menace les droits
des autres, l’État a le droit de le réprimer.» BV prend ici le
respect du droit des autres à la LR comme application par-
ticulière, mais non unique du principe général du respect de
tous les droits des autres.

82. Il en va de même, mutatis mutandis, pour la déclaration d’Amsterdam du


Conseil œcuménique des Églises, la même année 1948.

LES MALENTENDUS D'ÉCÔNE... 77


B) LES NDRMES MORALES OBJECTIVES DE LIMITATION PEUVENT ÊTRE

SURNATURELLES

JMG (n٥ 11, fin) continue:

«Il y aura tout au plus des limites extrinsèques, et qui


sont celles de l’ordre profane certes objectif, mais pure-
ment naturel».

Réponse: a) C’est oublier que des «normes morales objec-


tives» (DH 7, § 5) peuvent être tout aussi bien surnaturelles
que naturelles, et que même les normes morales objectives
naturelles ne sont défait entièrement promulguées que par
1’Église, entité surnaturelle.
b) C’est oublier aussi que ce qu’affirme explicitement le
CEC, η٥2109:
«Le droit à la liberté religieuse ne peut être de soi ni illimité
[Note 7: Cf. Pie VI, bref “Quod aliquantum”, Collectio bre-
vium..., Romae, 1800, p. 54-55], ni limité seulement par un
“ordre public” conçu de manière positiviste ou naturaliste
(Note 8: Cf. Pie IX, Encycl. “Quanta cura”, DzSchHii 2890].

L’ordre public juste de DH peut donc se référer aussi à l’ordre


surnaturel, lorsque la situation de la société le permet, ce
qui est la situation optimale (selon QC, et selon nous).
c) Quant aux limites «extrinsèques», le CEC, n٥ 2109 ajoute
immédiatement:
«Les “justes limites” qui lui sont inhérentes doivent être
déterminées pour chaque situation sociale par la prudence
politique, selon les exigences du bien commun, et ratffiées
par l’autorité civile selon des “règles juridiques conformes à
l’ordre moral objectif’ (DH 7)».
Les limites du droit dont on parle lors de la définition du droit
sont intrinsèques au droit même, mais la manière effective
dont le droit va être exercé par telle ou telle personne ou tel
groupe est extrinsèque à ce droit. Par ailleurs, si ces limites
sont effectivement extrinsèques à la vertu de religion, elles
ne le sont pas aux religions concrètes, qui comportent bien
d’autres aspects que la pratique de la vertu de religion. C’est
par ce côté qu’elles risquent de sortir des limites où le droit
peut être exercé.

78 DOM BASILE VA LU ET O.S.B.


CONCLUSIONS

1/ Nous invitons JMG à lire nos travaux (sinon notre thèse


complète, du moins son résumé). Ainsi, il n’aura - et ne don-
nera - plus l’impression que nous n’avons écrit que 15 pages
sur le sujet ou que nous ignorons les arguments de la FSPX.
2/ Quanta cura (QC) ne parle pas de tolérance ni d’erreur,
mais de «violateurs de la religion catholique», c’est-à-dire
de personnes qui violent les droits de 1’Église et des catho-
liques, et que DH 7, § 5 permettrait de réprimer, car DH
ne limite pas l’exercice de la LR par la seule paix publique,
mais aussi par la moralité publique et les droits des autres.
QC et DH ne se contredisent donc pas.
5/ Léon XIII ne répond pas à la question de savoir ce qui se
passe lorsque, du fait d’une conscience erronée, l’homme
abu'se de son droit affirmatif d’accomplir la volonté de Dieu
en fonction de la conscience du devoir (ex conscientia offi-
cil): garde-t-il l’usage de ce droit, en sorte qu’un droit né-
gatif le protège ? C’est la philosophie générale du droit qui
répond: l’abus n’ôte pas de soi l’usage.
4/ La liberté civile d’agir, au XIX‫ ؟‬siècle signifiait «droit
d’agir». Donc elle ne pouvait pas être revendiquée indisfinc-
tement pour toute religion, d’où sa condamnation par les
papes de 1’époque. La liberté d’agir était un droit affirmatif,
et non purement négatif, comme celui de DH. Il n’y a donc
pas de contradiction sur ce point entre les papes du XIXe et
DH.
5/ Pie XI dans Divini illius Magistri enseigne un droit des pa-
rents non chrétiens à ne pas être empêchés par quiconque
d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions, hélas!
fausses. Dans Quadragesimo anno, à la suite de Léon XIII
dans Rerum novarum, Pie XI enseigne que l’on ne peut sans
injustice empêcher par des voies légales celui qui abuse de
son droit de propriété d’en user ainsi. Pie XI montre donc le
bien fondé du principe que l’abus d’un droit n’en enlève pas
nécessairement l’usage. Dans Mit brennender Sorge, ü en-
seigne le droit naturel inaliénable de tout homme qui croit
en l’existence d’un Dieu personnel de vivre en fonction de
cette croyance. Mais ici il ne dit pas ce qui se passe si, de
façon accidentelle à cette croyance, l’homme difftise l’er-
reur. La réponse est là encore l’axiome: l’abus n’enlève pas
l’usage.
6/ Pie XII, dans de nombreux cas, prône le droit au libre culte

IES MALENTENDUS D'ECÔNE... 79


de Dieu. Dans son discours du 6 décembre 1953, il traite de
la tolérance de la part de l’autorité publique, et non simple-
ment de la tolérance individuelle. Il enseigne que le mal et
l’erreur ne peuvent être l’objet de droit, mais qu’il peut ar-
river, dans certaines circonstances, que la loi humaine n’ait
pas le droit d’interdire ce qui est erroné. De ce fait, l’adepte
de l’erreur, abusant de son droit à vivre selon la vérité, dans
ces mêmes circonstances, pourra jouir d’un droit à ne pas
être empêché d’en abuser. Quand cela se produit-il? C’est
DH qui répondra: dans les limites de l’ordre public juste.
7/ Il faut distinguer 5 choses: 1٥ la permission morale d’agir;
2٥ le droit affirmatif d’agir dans la société; 3٥ le simple ‫¿¿«ﻛﻞ‬
de ne pas être empêché; 4٥ le do¿¿ négatif à ne pas être
emçècYvè, concédé par une loi positive humaine-, 5٥ \e droit
naturel négatif à ne pas être empêché d’agir, concédé par
le droit divin naturel. (Pour ce qui concerne la LR de DH, il
faut relire le CEC, n٥ 2108.)
8/ Ni Vatican II, ni Paul VI, ni Jean-Paul II ni Benoit XVI n’ac-
cordent per se aux personnes diffusant l’erreur un droit à
ne pas en être empêchées, et encore moins de droit à le
faire : il ne s’agit pas d’un droit à l’erreur, de l’erreur ou pour
l’erreur, mais d’un droit de toute personne à la liberté ci-
vile d’agir (c’est-à-dire à l’immunité de coercition), lequel
droit protège per accidens l’abus qu’on en fait en diffusant
l’erreur (cette structure est parfois nommée par simplifica-
tion «droit négatif à l’erreur»). Le but du droit à la LR n’est
pas le simple fait d’agir en conscience, mais d’adhérer en
conscience à la vérité. Ce n’est nullement le pluralisme en
droit, ni l’indifférentisme de l’État, et cela ne fraye pas la
voie à l’indifférentisme individuel.
9/ La contradiction entre le magistère antérieur et DH
n’existe donc pas. Une telle contradiction de la part du
Concile a d’ailleurs été déclarée par Paul VI non seulement
inexistante, mais impossible«’.
10/ JMG a donc principalement besoin de réfléchir à nou-
veau sur les principes réglant, dans la D-adition, le droit et
l’abus d’un droit: l’abus n’enlève pas l’usage. Un abus est
accidentel. La perte de la dignité morale ne fait donc pas
perdre automatiquement un droit naturel ni son usage:
quand on définit le droit à la vie, on fait abstraction (dans de

83. Cf. Paul VI, 1966.09.21 : Lettre au Card. Giuseppe PIZZARDO, Préfet de la s.
Congr. des Séminaires et Universités, au sujet du Congrès international sur
la théologie du Concile Vatican II (AAS, 1966, 879).

80 DOM BASILE VALET O. s. B.


justes limites) du fait que la personne humaine va pécher
ou non; ce n’est pas n’importe quel pêché qui suffit à faire
perdre l’usage du droit à la vie! Au total, JMG doit donc re-
connaître que la FSPX se trompe sur DH.

RÉSUMÉS

L’abbé Jean-Michel Gleize (JMG), professeur à Écône, a


tenté de réfuter l’article intitulé Dignitatis humanae (= DH)
contraire à la Tradition?, paru ici, dans le BLE, 2015/3, et
où le P. Basile Valuet (= BV) résumait les 2 500 pages de
‫ ﻫﺔ‬tse sur La liberté religieuse et la Tradition catholique.
Le P. Basile montre ici que JMG se méprend sur les points
suivants: a) le sens de documents tels que: Quanta Cura
(Vie II), Libertas (LéoïïIWV), Diuini illius Magistri et Mit
brennender Sorge (Pie XI), ۵' riesce (Pie XII), le message du
1" septembre 1980 (Jean-Paul II), etc.; b) DH revendique-
rait un droit spécifiquement pour ceux qui sont dans l’er-
reur; c) un droit ne protégerait pas dans certaines limites
l’abus qu’on en fait; d) un droit à ne pas être empêché d’agir
impliquerait un droit d’agir ; e) DH favoriserait le pluralisme
religieux en droit et l’indifférentisme de l’État.

Father Jean-Michel Gleise (JMG), a teacher at Écône, has


tried to co.te the article headed Dignitatis humanae
(= DH) contraire a la Tradition‫؟‬, published here, in the BLE,
2015/3, in which Fr. Basile Valuet ‫ )י‬summarised his 2,500
p. dissertation about Religious Liberty And Catholic Tradi-
tion. Fr. Basile shows here that JMG is mistaken on the fol-
lowing items : a) the meaning oj> documents such as : Quanta
Cura, by Pius IX, Libertas, by Leo XIII, Diuini illius Magistri
et Mit brennender Sorge, by Pius XI, Ci rtesce, by Pius ΧΠ, the
message ofSeptember 1st, 1980, by John PaulII, a.s.o.‫ ؛‬b)DH
allegedly would be claiming a right specially for those in
error; c) a rtght would not protect within given limits the
abuse of it; d) a right not to be impeded to act would imply
a right to act; e) DH would promote religious pluralism and
religious ind٠rentism of the State.

MOTS CLÉS

Vatican II, Dignitatis humanae, liberté religieuse, Écône,


lefebvrisme, magistère ecclésiastique.

LES MALENTENDUS D'ECONE... 81


ATLV

Copyright and Use:

As an ATLAS user, you may print, downioad, or send articles for individual use
according to fair use as defined by u.s. and international copyright law and as
otherwise authorized under your respective ATLAS subscriber agreement.

No content may be copied or emailed to multiple sites or publicly posted without the
copyright holder(s)’ express written permission. Any use, decompiling,
reproduction, or distribution of this journal in excess of fair use provisions may be a
violation of copyright law.

This journal is made available to you through the ATLAS collection with permission
from the copyright holder(s). The copyright holder for an entire issue of ajournai
typically is the journal owner, who also may own the copyright in each article. However,
for certain articles, the author of the article may maintain the copyright in the article.
Please contact the copyright holder(s) to request permission to use an article or specific
work for any use not covered by the fair use provisions of the copyright laws or covered
by your respective ATLAS subscriber agreement. For information regarding the
copyright holder(s), please refer to the copyright information in the journal, if available,
or contact ATLA to request contact information for the copyright holder(s).

About ATLAS:

The ATLA Serials (ATLAS®) collection contains electronic versions of previously


published religion and theology journals reproduced with permission. The ATLAS
collection is owned and managed by the American Theological Library Association
(ATLA) and received initial funding from Lilly Endowment Inc.

The design and final form of this electronic document is the property of the American
Theological Library Association.

Vous aimerez peut-être aussi