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AFRIQUE SUBSAHARIENNE
Analyse des données camerounaises et implications pour une politique de
développement des TIC
La Découverte | « Réseaux »
DOI: 10.3917/res.180.0095
L
e Cameroun est connecté au réseau Internet, depuis avril 1997. Mais
c’est à partir d’avril 1999 qu’Internet commence véritablement à se
répandre dans ce pays avec l’ouverture d’un nœud à Douala. Plus
d’une dizaine d’années plus tard, selon une étude du réseau Research ICT
Africa, 38,9 % de Camerounais savent ce qu’est Internet, mais 13 % seule-
ment l’auraient déjà utilisé (Gillwald et al., 2010). Lorsqu’on les compare à
ceux de pays africains économiquement plus avancés comme l’Afrique du
Sud (où on a respectivement 50,8 % et 15 %) et le Nigeria (où on a res-
pectivement 38,3 % et 12,7 %), ces chiffres tendent à révéler une certaine
« internauphilie » de la population camerounaise, relativement à l’ensemble
de l’Afrique subsaharienne.
TIC suffisamment efficace, cette enquête gagne à être complétée non seule-
ment par des études descriptives plus détaillées sur les principaux usages des
TIC au Cameroun, mais aussi par quelques études davantage explicatives sur
les déterminants de l’accès, de l’adoption et des usages de ces TIC.
Pour traiter de ces questions, nous disposons d’une base de données issue
d’une enquête effectuée en 2008 sur un échantillon de 2 650 personnes dans
les villes camerounaises de Douala, Buea et Limbe. Elle contient de précieux
Les déterminants de l’accès et des usages d’internet en Afrique subsaharienne 99
renseignements fournis par les habitants de ces villes qui ont été interrogés
sur : leurs caractéristiques individuelles ; les caractéristiques de leurs ménages
de résidence ; leur environnement social ; leurs équipements en Technologies
de l’Information et de la Communication et leurs usages des TIC, notamment
d’Internet. Le principal intérêt de cette base de données est ainsi de pouvoir
nous permettre de mettre en évidence les facteurs recherchés. Pour ce faire,
nous avons recours à des modèles économétriques de choix discrets. L’ap-
proche empirique adoptée dans cette étude commence par retenir un modèle
de base simple ayant pour seules variables explicatives les variables socioé-
conomique et linguistique, modèle qui est ensuite progressivement enrichi par
l’intégration des variables du style de vie et de compétences en informatique,
et enfin par des variables de localisation et de voisinage social.
alors que Buea et Limbe sont majoritairement anglophones. Parmi les 2 650
répondants, 2,96 % déclarent n’avoir jamais entendu parler d’Internet alors
que 33,51 % affirment l’avoir déjà utilisé au moins une fois. Dans la mesure
où l’échantillon des ménages visités dans le cadre de cette enquête est fidè-
lement calqué sur celui de la troisième version de l’Enquête Camerounaise
auprès des Ménages (ECAM 3) financée et soutenue par la Banque mondiale,
ces ménages sont représentatifs de la population du Cameroun dans ces trois
villes. Ils ne sont pas parfaitement représentatifs de l’ensemble de la popu-
lation du Cameroun. Néanmoins, étant donné que la métropole cosmopolite
de Douala est un véritable microcosme de cette population et que Buea était
encore le siège de l’unique université publique anglophone du pays – ce qui
la rapproche de son statut historique de capitale de la partie anglophone du
Cameroun –, on peut tirer de cette enquête des enseignements pertinents pour
l’élaboration d’une politique de développement des Technologies de l’Infor-
mation et de la Communication.
Bien que le téléchargement de la musique et des films y occupe la huitième © La Découverte | Téléchargé le 31/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.72.150.209)
position, il ressort surtout que les populations au Cameroun considèrent Inter-
net moins comme un outil de divertissement que comme un outil de commu-
nication et d’information. Comme dans la quasi-totalité des études similaires,
le courrier électronique apparaît être l’outil de communication prédominant.
Cette prédominance trouve certainement des fondements dans son caractère
asynchrone, ce qui lève la contrainte de l’obligation d’une connexion simulta-
née de l’émetteur et du récepteur consubstantielle aux services synchrones de
discussions en direct. De leur côté, les recherches d’informations sur les actua-
lités nationale et internationale prédominent parmi les services d’information
offerts par Internet. Cependant, un nombre non négligeable de personnes au
Cameroun exploitent aussi Internet comme média d’information sur l’emploi
102 Réseaux n° 180/2013
Une seconde modélisation porte sur le choix des services à consommer d’In-
ternet, autrement dit sur le choix des usages qu’on en fera. Dans le question-
naire qui leur était adressé, une question donnait la possibilité aux répondants
d’indiquer s’ils utilisaient ou pas dix-huit services d’Internet dont, en plus des
dix classés dans le graphique précédent : les jeux, la consommation de vidéos
Les déterminants de l’accès et des usages d’internet en Afrique subsaharienne 103
Ceci dit, force est de reconnaître qu’il peut s’avérer inapproprié d’étudier tous
les dix-huit usages énumérés, et ce d’autant plus que certains de ces usages sont
apparus être particulièrement peu choisis par les répondants. Il convient alors
de trouver un critère de sélection des usages à analyser. Dans cette quête, nous
sommes conduits à retenir le critère des usages constituant le quartile supérieur
des plus sollicités par les populations. Nous admettons que ce critère peut prêter
à discussion. Mais en cela, il ne ferait pas exception, car tout autre critère prê-
terait également à discussion et nous l’avons retenu simplement en supposant
que le fait de se limiter aux 25 % des usages les plus courants est acceptable.
Cependant, remarquons que, pour toute personne, les deux décisions analy-
sées sont liées dans une séquence à deux étapes : dans une première étape,
l’individu décide d’accéder ou non à Internet et, dans une deuxième étape, il
décide d’exploiter ou non un usage donné. Il est en conséquence évident que
le modèle d’accès concernera toujours un effectif d’individus plus important
que celui d’usage, puisque l’arbre des parties des deux décisions modélisées
prend la forme suivante :
104 Réseaux n° 180/2013
( )
Pour la variable socioéconomique, plusieurs enquêtes montrent que tel est le cas
sur d’autres continents (Homenet Project, 1995 ; Hoffman et al., 1996 ; Pitkow
et al., 1998 ; Johnson et al., 1999a et 1999b ; Le Guel et al. 2005). Suivant
ces travaux, les primo-adoptants d’Internet sont relativement jeunes, de sexe
masculin, d’un niveau d’études élevé et disposant d’un revenu supérieur à la
moyenne. Le statut de travailleur est un atout supplémentaire. De prime abord,
nous faisons l’hypothèse que les principaux traits du profil des internautes
dressé par ces études se retrouvent dans la population camerounaise. Cela dit, il
importe de souligner que, à la différence des modèles d’acceptation des techno-
logies qui auraient permis par exemple de mettre en évidence les facteurs expli-
catifs de l’acceptation d’Internet chez des personnes de genres différents à la
manière de Venkatesh et Morris (2000), notre approche de modélisation peut au
mieux nous permettre de constater que la fracture numérique de premier niveau,
i.e. celle d’accès, présente un aspect genre au détriment du sexe féminin.
Pour la distance sociale, dans la mesure où les TIC sont généralement des
biens d’expérience, on escompte des externalités de réseau et des effets de
feedback positifs aussi bien dans le modèle d’accès que dans celui des usages.
En effet, Internet étant aujourd’hui le moyen de communication le moins oné-
reux, le fait d’avoir un membre de la famille à l’étranger devrait favoriser la
décision d’accéder à Internet. Cet argument peut également être convoqué
pour soutenir le fait que la multiplicité des associations auxquelles on appar-
tient et du nombre d’internautes dans l’entourage ait une influence positive
sur la décision d’y accéder. Et comme l’entretien de ce faisceau de relations
sociales suppose des communications régulières, les usages de communica-
© La Découverte | Téléchargé le 31/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.72.150.209)
3. Même dans les villes, on a dans plusieurs quartiers des « îlots » de regroupement des ressor-
tissants des mêmes villages.
108 Réseaux n° 180/2013
C’est cette perspective panoramique qui est retenue pour le modèle d’usage
dont le tableau 2 présente le résumé des résultats6 avec respectivement : le
modèle d’usage d’Internet pour le courrier électronique (E-mail) ; le modèle
d’usage d’Internet pour des discussions en direct avec des amis/familles à
l’extérieur du pays (Discussion en direct) ; le modèle d’usage d’Internet pour
la recherche d’informations sur l’actualité internationale (Recherche infor-
mations internationales) ; le modèle d’usage d’Internet pour la recherche
d’informations sur l’actualité locale ou nationale (Recherche informations
nationales) et le modèle d’usage d’Internet pour la recherche d’informations
en relation avec la profession et les études (Recherche informations profes-
sionnelles).
5. Comme pour le genre dans M3, il importe de souligner ici le fait que l’aptitude à lire et par-
ler l’anglais comme facteur de clivage est simplement masqué et reste assez déterminante dans
la mesure où le seuil de significativité qui lui est associé est de 10,04 %.
6. Les résultats détaillés sont présentés à l’annexe 3.
112 Réseaux n° 180/2013
Recherche informations
Recherche informations
Recherche informations
Discussion en direct
professionnelles
internationales
nationales
E-mail
VARIABLES Descriptifs
A un membre de la
Avoir des parents à
famille à l’étranger NS +++ NS NS NS
l’étranger
(Oui/Non)
Appartenance à des Nombre d’associations
NS NS NS NS NS
associations dont on est membre
Perception du nombre Peu
-- NS NS NS -
d’amis, collègues et
relations utilisateurs
d’Internet Beaucoup NS NS NS NS NS
Référence : aucun
+++ coefficient positif significatif à 1 % --- coefficient négatif significatif à 1 %
++ coefficient positif significatif à 5 % -- coefficient négatif significatif à 5 %
+ coefficient positif significatif à 10 % - coefficient négatif significatif à 10 %
NS : Non Significatif
qu’ils ont des connaissances à l’étranger, ce qui apparaît d’ailleurs être une
spécificité caractéristique de cet usage.
Les usages d’Internet pour les recherches d’informations sur l’actualité natio-
nale, l’actualité internationale et la profession ont aussi en commun une proba-
bilité d’exploitation qui diminue avec l’âge des individus. Le principal intérêt
de ce fait est de marquer la situation particulière du courrier électronique dont
l’exploitation est la seule à échapper au « poids de l’âge » ; ce qui lui confère
quasiment un statut de « service de première nécessité » qui ne serait récusé
que par des personnes estimant avoir peu d’amis et connaissances internautes.
Dans cet article, qui s’inscrit littéralement dans le cadre global d’une réflexion
sur les déterminants de la participation des populations d’Afrique subsaha-
rienne à la société de l’information, nous avons voulu mettre en lumière d’une
part les facteurs qui déterminent l’accès à Internet au Cameroun et d’autre
part les facteurs qui déterminent les usages d’Internet dans ce pays.
Sur le premier aspect qui est relatif à la fracture numérique de premier niveau,
nous trouvons que les déterminants de l’accès à Internet sont : le genre, un
Les déterminants de l’accès et des usages d’internet en Afrique subsaharienne 115
Ces résultats qui sont semblables à ceux de nombreux auteurs cités plus haut
recoupent à maints égards les principaux facteurs de frein à l’utilisation d’Internet
soulignés par les personnes enquêtées à savoir : le manque d’utilité (35,59 % des
répondants) ; le manque d’accompagnement en plus de la complexité perçue de
l’utilisation (20,2 % des répondants) et les prix d’accès jugés onéreux (14,70 %
des répondants). Il en ressort que, pour en accroître les chances d’efficacité, une
politique de développement des Technologies de l’Information et de la Commu-
nication au Cameroun, et par extrapolation dans les pays de niveau de développe-
ment proche, doit reposer au minimum sur trois piliers : 1) la formation classique
pour élever le niveau moyen d’éducation, améliorer les aptitudes en anglais et
accompagner les individus dans leur volonté d’utiliser Internet en diminuant sa
complexité perçue ; 2) la formation professionnelle dans les métiers d’Internet
pour intéresser les utilisateurs en augmentant l’offre des contenus adaptés aux
besoins du marché local ; 3) une politique d’intensification de la concurrence
dans le secteur pour inciter les principaux fournisseurs d’accès à réduire leurs
prix qui restent parmi les plus élevés d’Afrique (Banque mondiale - Unité de la
Réduction de la Pauvreté et la Gestion Économique/Région Afrique, 2011).
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7. C’est-à-dire avant le début des années 1980. Les résultats indiquent en effet que l’âge com-
mence à jouer négativement à partir des 30-44 ans aussi bien pour l’accès que pour les usages.
116 Réseaux n° 180/2013
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A un membre de la
Avoir des parents à 0.270*** 0.237***
famille à l’étranger
l’étranger (0.0731) (0.0843)
(Oui/Non)
Nombre
Appartenance à des -0.0163 -0.0684
d’associations dont
associations (0.0448) (0.0527)
on est membre
Perception du nombre Peu 0.806*** 0.693***
d’amis, collègues et (0.0977) (0.111)
relations utilisateurs
1.705*** 1.505***
d’Internet Beaucoup
(0.0984) (0.113)
Référence: aucun
-1.48*** -2.20*** -1.80*** -2.506***
Constante
(0.146) (0.182) (0.361) (0.388)
+++ coefficient positif significatif à 1% --- coefficient négatif significatif à 1%
++ coefficient positif significatif à 5% -- coefficient négatif significatif à 5%
+ coefficient positif significatif à 10% - coefficient négatif significatif à 10%
NS: Non Significatif
professionnelles
internationales
Discussion en
informations
informations
informations
Recherche
Recherche
Recherche
nationales
VARIABLES Descriptifs
E-mail
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