LA VOIX DES TUNISIENS
Nov - Déc 2010 - N°6
Infos Rapides
 La privatisation de la banque
franco-tunisienne (BFT) se ferait
au profit de Mehdi Ben Gaied, 23
ans, fiancé de la fille cadette de
Ben Ali et PDG de Peugeot Tuni-
sie (Source : Africa Intelligence).
 L’épouse du journaliste Fahem
Boukadous, condamné à 4 ans de
prison, a été battue par des poli-
ciers à Gafsa (Source : Libération).
 Le secrétaire général du RCD (au
pouvoir) a exprimé lundi 1er
novembre le souhait de voir le
président Zine Ben Ali continuer à
diriger le pays et briguer un sixiè-
me mandat successif en 2014
(Source : Associated Press).
Dans ce numéro :
EDITO P.1
L’homme du 7 novem- P.2
bre, 7 fois Président ?
Malaise de la jeunesse P.3
Tunisienne
Les vases de la liberté P.4
Dans le prochain
numéro :
Numéro spécial: « Culture
et citoyenneté »
Ben Ali, premier éditorialiste de Tunisie
Dans une ambiance
de trompeuse euphorie qui
s’empare chaque année du
pays pour célébrer la date
« salutaire » de l’arrivée au
pouvoir de Zine Ben Ali, le 7
novembre 1987, l’ensemble
des médias revient comme à
son habitude, sur ses derniè-
res mesures bienveillantes
pour la Tunisie. Encore da-
vantage que les autres jours
de l’année, la machine propa-
gandiste du régime de Ben
Ali, fonctionne à plein régime
pour sa date anniversaire, en
ventant la réussite du pays.
Ce nouvel anniversaire prend
cette année une résonance
particulière car il intervient
un an après l’élection de Ben
Ali pour un dernier mandant,
selon ce que permet l’état
actuel de la Constitution.
Cette première année de son
cinquième mandat est mar-
quée par un durcissement du
régime comme l’illustre la loi
promulguée en juin 2010
visant à modifier le code pé-
nal. Cette nouvelle loi fait
suite aux menaces pronon-
cées par le Président la veille
de son élection, contre les
personnes écornant l’image
de la Tunisie par des alléga-
tions qu’il estimait,
« mensongères ». Ainsi, cette
modification du code pénal
par l’adoption d’un nouvel
amendement de l’article 61
bis, permet de punir par cinq
à vingt ans d’emprisonne-
ment, les « personnes qui
établissent, de manière direc-
te ou indirecte, des contacts
avec des agents d’un Etat
étranger, d’une institution ou
d’une organisation étrangère
dans le but de les inciter à
porter atteinte aux intérêts
vitaux de la Tunisie et à sa
sécurité économique ». Avant
cette modification du code
pénal, seules les personnes
portant atteinte à la sécurité
extérieure de la Tunisie, en
se portant complice avec un
Etat étranger, étaient concer-
nées par ces peines. Désor-
EDITO
mais, ce sont les défenseurs
des droits de l’homme soute-
nus par des organisations ou
des instituions étrangères, les
journalistes et opposants
Tunisiens au régime policier
de Ben Ali, qui sont crimina-
lisés. Cette obsession de maî-
triser l’information tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur de
la Tunisie, n’a jamais été
aussi forte. D’ailleurs celle-là
est cohérente avec le nouveau
déclassement de la Tunisie
dans le dernier rapport 2010
de Reporters Sans Frontières,
passant de la 154ème à la 164è-
me place. Ce qui fait ainsi du
pays du Jasmin, un Etat dont
les citoyens disposent le
moins de liberté d’expression
au monde, comparable à
l’Ouzbékistan ou encore à
Cuba. Voilà une raison de
plus de rendre hommage au
Changement lors de sa fête
annuelle.
2010 est également marquée
par le lancement en août
dernier de l’année internatio-
nale de la jeunesse sous l’égi-
de des Nations Unies, pour
une durée d’un an. Une ini-
tiative qui aurait été le fait
du Président Tunisien et que
la presse n’a pas manqué de
souligner dans des louanges
journalières et acharnées lors
du mois de son lancement.
D’aucuns n’auront évidem-
ment relevé que la vision de
Ben Ali en faveur de
Fondé le 20 mars 2006
la jeunesse était un peu alté-
rée, car la première édition
avait eu lieu en 1985, mais
cela n’aurait fait « qu’écorner»
l’image de la Tunisie. Par
ailleurs, le lancement de cet
événement mondial fut une
nouvelle occasion de mettre
au premier plan la très ambi-
tieuse épouse du Président,
toujours vêtue de mauve, et
parvenant à bourrer des sal-
les de conférences immenses
et qui n’avait d’autre but que
de promouvoir la rondeur de
son image publique. Une
image qui en ce début de
mandat et peut-être de fin de
règne, ne cesse d’être proémi-
nente, comme en atteste la
multiplication de ses initiati-
ves en faveur des handicapés
ou la tenue fin octobre à Tu-
nis du 3ème Congrès de la
femme arabe, dont elle a la
présidence cette année.
Le durcissement du pouvoir
de Zine Ben Ali et sa volonté
de vouloir davantage encore
maîtriser les libertés du peu-
ple Tunisien, sont révélatri-
ces d’un régime aux perspec-
tives limitées et en perte de
crédibilité. Mais étant donné
que l’incertitude est intrinsè-
que à un Etat dont l’appareil
est confisqué, il n’est pas
exclut que Ben Ali ne pour-
suive pas son rôle de premier
flic et de premier éditorialiste
de la Tunisie après 2014.
SYLLA
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L’homme du 7 novembre, 7 fois Président ?
Depuis les élections présiden-
tielles de 2001 en Tunisie, le malheu-
reux lecteur de la Pravda tunisienne a
droit aux éternelles suppliques que la
« société civile » adresserait Chef de
l’Etat : « L’association nationale des
aveugles / journalistes / femmes de
Tunisie exhorte Son Excellence Mon-
sieur le Président de la République
Zine El Abidine Ben Ali à se porter
candidat aux prochaines élections pré-
sidentielles de 2001 / 2004 /2009 ». Ces
lamentations interviennent générale-
ment un à deux ans avant l’échéance
électorale en question. Or, cette année,
un an seulement après l’élection de
Ben Ali de 2009 soit quatre ans avant
la fin de son mandat, les trompettes
ont retenti à nouveau.
En effet, une pétition adressée à Ben
Ali a été publiée dans le numéro du 8
août 2010 du journal Echourouq, dans
laquelle les signataires appellent le
« dépositaire de la confiance […] à pa-
rachever ce qu’il a accompli » en bri-
guant un septième mandat présiden-
tiel en 2014. A peine cette pétition a-t-
elle été publiée que le quotidien Le
Temps (détenu par le gendre du Prési-
dent, Sakher El Materi) a surenchéri
en présentant « L’Appel des mille » qui
se sont joint au chœur des thuriférai-
res. Après six mandats dont le premier
fut débuté par un discours clamant à
propos de la présidence à vie « Plus
jamais ça ! Le peuple tunisien est mûr
pour la démocratie. » cette pétition
avait une coloration surréaliste, d’au-
tant qu’en 2014, le Général Ben Ali
sera âgé de 78 ans et que la Constitu-
tion, dans sa rédaction actuelle issue
de la réforme de 2002, fixe l’âge maxi-
mum pour briguer la présidence de la
République à 75 ans.
A la lecture du nom des mille flagor-
neurs, auteurs de cet appel enthousias-
te, et sachant la profondeur du malaise
d’une grande partie de la population
tunisienne, il semble évident que cette
pétition est l’œuvre d’une nomenklatu-
ra de notables à la solde du régime et
désireuse de maintenir le pouvoir dont
elle tient ses privilèges. Il est aussi
certain que cette initiative était sinon
téléguidée, du moins approuvée par le
Président et ses proches, à l’heure où
dans les cafés de Tunis, dans les villas
et jusque dans les gourbis le ras-le-bol
est sensible. Il est sain de se demander
pourquoi cet appel adressé à un prési-
dent probablement malade et certaine-
ment âgé a été lancé si prématurément
et dans des circonstances qui ne s’y
prêtent guère.
Pourquoi Ben Ali veut-il donner l’im-
pression d’être éternel tandis que des
rumeurs persistantes émanant du cer-
L A V O IX D E S T U N ISIE N S
cle des proches du Chef de l’Etat sem-
blent indiquer que son état de santé se
dégrade et que la lassitude l’aurait
gagné ? Une candidature à un septiè-
me mandat est-elle une perspective
crédible ?
Avant de répondre à ces questions, il
convient d’examiner la situation politi-
que de la Tunisie de 2010. Une am-
biance étouffante de fin de règne s’est
abattue depuis plusieurs mois sur le
pays, et les luttes intestines pour la
succession vont bon train. Plusieurs
figures des clans Ben Ali se mettent en
avant sur la scène politique et médiati-
que, et ce dans une course à la renom-
mée et à la légitimité, une course avi-
vant sans cesse des rivalités entre les
différents « poulains » potentiels, tels
que Sakher El Materi, Imed Trabelsi,
le tout sous le regard malicieux de « la
Présidente » Leila Ben Ali qui tient à
maintenir sa position dans la
« République de demain ».
L’élément stabilisateur qui permettait
d’apaiser ces conflits et rivalités était
la présence de Zine Ben Ali au pouvoir.
Le Président, tel un chef de meute, par
sa seule existence empêchait les
conflits entre les jeunes loups d’éclater
au grand jour en vue de sa succession.
Or, son âge avancé et l’atmosphère de
fin de règne ont grandement contribué
à réduire l’efficacité de Ben Ali dans
son rôle de zone tampon, et à accélérer
la course à la succession, la rendant
par là même plus agressive.
Il nous semble probable que le Prési-
dent cherche à maintenir son rôle sta-
bilisateur en faisant échec à la diffu-
sion de l’atmosphère de fin de règne,
afin de mieux maitriser la suite des
événements dans cette folle Tunisie
qui lui échappe. Ben Ali a tout intérêt
à imprimer dans les consciences la
pérennité de sa présence quitte à ver-
ser dans le ridicule et d’empêcher que
les loups se lâchent en l’absence de
perspectives d’avenir pour le Chef de
l’Etat. Que Ben Ali se porte candidat à
sa propre succession en 2014 ou non,
cette campagne a pour principal objec-
tif de retarder la guerre de succession.
L’autre avantage que présente cette
propagande serait de permettre à Ben
Ali d’assurer le maintien de sa maitri-
se sur la politique dans le pays jusqu’à
l’issue de son présent mandat, chose
N O V - D É C 2 0 10 - N °6
qui ne lui serait pas possible si l’opi-
nion publique, déjà animée par le ras-
le-bol, estimait son départ proche.
L’un des scénarios qui nous semble
probable est le suivant : Ben Ali, pour
se présenter à nouveau en 2014, ou
pour donner l’illusion d’une ultime
candidature, devra nécessairement
mettre en œuvre une nouvelle réforme
de la Constitution en vue de lui per-
mettre de briguer un septième mandat
à l’âge de 78 ans. Bien que n’ayant pas
habituellement peur du ridicule, il ne
fera sans doute pas l’erreur de lancer
encore une fois une réforme constitu-
tionnelle ayant pour unique but de lui
assurer un mandat supplémentaire. Il
pourrait en effet noyer le tour de passe
-passe électoral sous une flopée de me-
sures, une grande réforme des institu-
tions de la République. Parmi ces me-
sures, il se pourrait que, dans le souci
de la maitrise de sa propre succession
– car l’homme n’est pas du genre à
laisser le hasard décider du sort de son
empire -, Ben Ali modifie le statut lé-
gal de sa succession. Effectivement, à
l’heure actuelle, en cas de vacance tem-
poraire de la présidence de la Républi-
que, le Premier ministre endosserait la
casquette du Président, tandis qu’en
cas de vacance définitive, c’est le Prési-
dent de l’Assemblée nationale qui as-
surerait l’intérim. La dévolution de
cette succession à un nouveau person-
nage unique serait envisageable, en
vue de garantir l’identité du successeur
quel que soit le cas de vacance. Il ne
serait pas absurde de penser que cette
réforme aboutirait à la création d’une
sorte de vice-présidence, le premier
ministre se bornant à assurer la ges-
tion courante des affaires du pays, et le
vice-président ayant pour principale
perspective la présidence intérimaire
en cas de vacance. La mise en place
d’une telle institution permettrait à
Ben Ali de désigner son successeur
immédiat, et par là même, faire taire
les luttes de pouvoir en vue de la suc-
cession. Dans un tel cas de figure, un
dauphin serait déjà désigné au cas où
le Président ne se porterait pas candi-
dat en 2014 à l’issue de son mandat
actuel, et un successeur serait en place
au cas où Ben Ali décidait de rempor-
ter les élections de 2014, étant donné
que l’exercice d’un septième mandat
jusqu’à son terme semble une perspec-
tive illusoire au vu de l’état de santé et
de l’âge du Général.
Reste à savoir en faveur de qui pour-
rait se faire cette réforme-testament…
Mahmoud Saïdi

N O V - D É C 2 0 10 - N °6
Malaise de la jeunesse Tunisienne
Les Nations Unies ont lancé
en août dernier, l’Année internationale
de la jeunesse, coïncidant avec le 25ème
anniversaire de la première édition.
L’organisation de cet événement aurait
été proposée par le chef de l’Etat Tuni-
sien, selon les médias locaux car il est
« conscient de l’importance capitale de
la jeunesse dans l’avenir des sociétés ».
Ce souci affiché et particulièrement
bienveillant pour les jeunes de 15 à 29
ans, nous amène à nous interroger sur
l’état de ceux qui représentent 29% de
la population totale en 2009, dans la
Tunisie de Ben Ali (selon l’ Institut
National de la Statistique - INS) .
Des mesures existantes mais
inefficaces
Quelques mesures pour aider les jeu-
nes à démarrer leur vie active existent
déjà, mais leur efficacité, comme leur
accessibilité, s’avèrent parfois limitées.
A titre d’exemple, l’octroi de crédits
pour la création de petites entreprises
par la Banque Tunisienne de Solidarité
est une intéressante mesure pour aider
les jeunes et les moins jeunes à déve-
lopper leur propre activité. Mais cette
initiative créée en 1997, reste peu
connue du grand public et l’obtention
d’un prêt fait figure de parcours du
combattant. Le Fonds National pour
l’Emploi crée en 2000, a quant à lui,
pour vocation à aider à l’insertion des
demandeurs d’emploi en leur propo-
sant principalement des formations
complémentaires ou des programmes
de reconversion vers un autre secteur
d’activité. Ce mécanisme de soutien à
destination des jeunes principalement,
se veut ainsi régler l’inadéquation de
certaines formations académiques pour
le marché de l’emploi par la reconver-
sion dans des secteurs des nouvelles
technologies en particulier.
Ces différentes mesures ont pu être
profitables à quelques milliers de jeu-
nes, mais n’ont certainement pas pu
résoudre ce qui peut être considéré
comme une plaie pour la Tunisie, à
savoir le chômage des jeunes.
Depuis 1994, la part des chô-
meurs de 18-29 ans n’a cessé d’aug-
menter pour représenter près de 70%
de l’ensemble des chômeurs en 2008 et
plus d’un quart des jeunes de la même
tranche d’âge sont à la recherche d’un
emploi. Aussi, le groupe qui a connu la
plus forte détérioration de l’accès à
l’emploi depuis 1989 est celui des di-
plômés de l’enseignement supérieur
avec un taux de chômage qui a plus
que doublé, passant de 12% à près de
27% en 2008 selon l’INS, particulière-
LA V O IX D E S T U N ISIE N S
ment pour les femmes. Encore plus
préoccupant, selon une enquête réali-
sée par la Banque Mondiale fin 2005,
le taux de chômage des techniciens
supérieurs et des maîtrisards, avoisine
les 50%... Ces déséquilibres sur le mar-
ché du travail reflètent à la fois une
offre d’emploi toujours croissante (par
l’entrée sur le marché des nouveaux
diplômés) qui n’est pas nécessairement
en adéquation avec les besoins du mar-
ché et des entreprises peu disposées à
investir auprès des primo-diplômés.
Car les mesures d’incitations à embau-
cher des jeunes dans les entreprises
sont quasi-inexistantes et le développe-
ment des mécanismes de soutien et
d’accompagnement à la création d’en-
treprise se révèlent insuffisantes.
Le paradoxe de la protection
familiale
En plus d’un marché du travail peu
florissant, la perpétuation de certaines
traditions trop rigides, viennent peser
encore davantage sur le dos les jeunes
Tunisiens. Car le recul de l’âge de ma-
riage est certes le reflet de l’allonge-
ment de la durée des études, mais éga-
lement celui de la difficulté des jeunes
hommes à se constituer un habitat,
une dot conséquente et pour le couple
de s’assurer le financement de longues
et couteuses festivités. Il y a donc une
incompatibilité flagrante entre les dif-
ficultés des jeunes diplômés à se trou-
ver un emploi et donc se constituer une
épargne conséquente, et la poursuite
de traditions qui prévalaient à une
époque où il était moins difficile de
s’acquérir un lopin de terre pour y
construire son logement, dans la cas où
on ne l’héritait pas. Les familles res-
tent souvent garantes de ces traditions
et contribuent à aider un de ses mem-
bres à se marier, mais le soutient fi-
nancier peut ne pas être suffisant, si
bien qu’il ne reste aux futurs mariés
que de contracter un crédit pour réga-
ler l’ensemble des invités ! Aussi, l’im-
plication excessivement bienveillante
des membres les plus proches de la
famille sur des décisions de la vie cou-
rante ou sur des choix plus fondamen-
taux comme celui de quitter son foyer
pour chercher un emploi, est un fac-
teur d’étouffement et d’un certain point
de vue de limitation de l’émancipation
individuelle.
Cependant, le rôle de la famille dans
un contexte de manque cruel de débou-
chés professionnels est un facteur de
protection sociale très puissant et dont
les aspects peuvent être rapprochés
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aux « stabilisateurs automatiques »
d’un Etat providence. C’est effective-
ment grâce à cette solidarité familiale
que les effets pervers du chômage com-
me la pauvreté et la délinquance, par-
viennent à être amoindris. Le climat
social serait bien différent en Tunisie
si cette solidarité familiale et intergé-
nérationnelle n’existait pas. Et la force
de celle-ci est également le reflet d’un
Etat socialement faible dont la solida-
rité est ciblée et limitée et qui délègue
ses prérogatives d’aides sociales à ses
citoyens. Un sondage réalisé tous les
cinq ans en Tunisie, la Consultation
Nationale sur les jeunes menée par
l’Observatoire National de la Jeunesse
et l’INS, met en évidence les aspira-
tions des jeunes Tunisiens. On retrou-
ve ainsi dans celui de cette année, que
les trois premières préoccupations des
jeunes sont le travail, l’éducation et la
famille et en dernière position… la vie
politique. Ce total désintérêt pour la
vie politique est tout à fait cohérent,
dans un Etat policier chatouilleux par
toute forme de critique. Le manque de
confiance des jeunes en l’action politi-
que, laquelle ne répond pas aux solu-
tions de leurs problèmes, explique dans
une certaine mesure leur prise de ris-
que pour un choix radical, celui de
l’immigration clandestine.
Les mesures envers ce tiers fondamen-
tal de la population Tunisienne, doi-
vent être plus efficaces en le dispen-
sant d’un enseignement plus adapté,
en incitant les entreprises à l’embau-
che et à la création d’entreprise. Plus
profondément, c’est l’environnement
des affaires en Tunisie qui doit être
assaini de la corruption et du clienté-
lisme, aisément pratiqués par les pro-
ches du Président Ben Ali et particuliè-
rement par la famille de sa femme, les
Trabelsi. Car les privilèges et les passe
-droits limitent l’attractivité des inves-
tissements directs dans le pays, créa-
teurs d’emploi et inhibent la prise de
risque des citoyens Tunisiens dans une
activité entrepreneuriale. Cette opacité
des affaires économiques et dans la vie
publique, le manque de dialogue du
pouvoir avec les citoyens, contribuent à
renforcer le malaise des jeunes et à
accroître l’incompréhension entre les
générations. Davantage de dialogue et
de compréhension sont donc nécessai-
res. C’est précisément le thème de l’é-
vénement des Nations Unies que Ben
Ali a proposé.
Yasmine Mellouli
PAGE 4
Un lieu commun fort apprécié
des tunisiens consiste à s’emporter
contre la société de consommation et
de divertissement. Cet ennemi des
journalistes, des pseudo-intellectuels
mais aussi de Monsieur Tout Le Mon-
de et de la ménagère tunisienne puise-
rait sa source dans le conflit identitaire
schizophrène qui déchire le tunisien
entre Occident et Orient, entre tradi-
tion et modernité. La société de
consommation semble être le signe de
l’avènement de l’occidentalisation de la
société tunisienne. Nous nous permet-
trons ici de remettre en question cette
idéologie-poncif de la schizophrénie
tunisienne.
Il nous semble en effet que la ruée des
ménages tunisiens vers la consomma-
tion à outrance ne trouve pas ses raci-
nes dans le choc des civilisations mais
bien dans un malaise plus profond et
d’ordre existentiel et qu’au cœur de ce
problème se trouve la question de la
liberté individuelle.
Envisageons les libertés comme une
série de vases communicants connectés
entre eux par des tuyaux qui se trouve-
raient à leur base. Les différents vases
se nommeraient : liberté d’expression,
liberté d’opinion, liberté de culte, liber-
té d’association, libre accès à la culture
et au savoir, liberté de se divertir, li-
berté de consommer etc. L’homme a
une certaine capacité définie à exercer
ces différentes libertés, une capacité
limitée à un certain montant que nous
pourrions nous représenter comme un
volume d’eau qui remplirait ces vases.
Ce montant d’eau est incompressible,
l’homme souffrant d’un réel besoin
d’exercer sa liberté pour exister. Lors-
que l’accès à ces différents vases est
ouvert, et que rien n’encombre la voie
de l’eau, cette eau se répartit de ma-
nière équilibrée entre les différents
vases, l’homme jouissant de manière
variée de ces libertés, sans excès. L’im-
pression que l’on a, est qu’en Tunisie,
la plupart des libertés sont entravées,
étouffées, comme si l’on avait coulé du
ciment dans ces différents vases, de
sorte à les obstruer en empêchant l’eau
A l’attention de nos lecteurs :
Comme vous avez pu le constater, ce nouveau numéro n’est pas un numéro spécial consacré à la culture, comme annoncé dans le n uméro
précédent. L’approche de la date du 7 novembre nous a amené à consacrer ce numéro à cet événement récurrent. Le dossier spécial sur la
culture sera publié dans le prochain numéro, sauf événement inattendu.
Gardez le contact avec nous via le profil Facebook de La Voix des Tunisiens, à partir duquel vous pourrez échanger et réagir sur ce numéro.
La Rédaction
VoixDesTunisiens@Yahoo.fr - Facebook.com/VoixDesTunisiens
L A V O IX D E S T U N ISIE N S N O V - D É C 2 0 10 - N °6
Les vases de la liberté
d’y pénétrer et de s’y répartir équita- report de l’énergie des tunisiens sur la
blement. Seuls quelques vases sont liberté de consommer et sur les raisons
épargnés. Parmi ceux-ci se trouve la qui font que le ciment a coulé dans le
liberté de consommer. Or, lorsque l’en- vase des autres libertés. Les raisons
trée des autres vases est bouchée, tou- pour lesquelles un régime autoritaire
te l’eau se reporte malgré elle, sans en bouche la voie des libertés individuel-
avoir le choix, sur les vases ouverts. En les et met à la société civile une cami-
Tunisie, toute l’énergie, la capacité et sole de force sont évidentes. Pour ce
les besoins d’exercice de la liberté des qui est de la liberté de consommer qui
individus se déverse violemment dans n’est pas entravée, il apparait qu’il ne
l’un des seuls vases disponibles jusqu’à s’agit pas seulement d’une absence de
déborder : le vase de la consommation. barrière mais d’une politique visant
A défaut d’accès à la culture, à défaut expressément à favoriser ce report de
de voter avec des voix, le tunisien vote l’énergie des citoyens vers cette liberté
avec ses sous car l’univers de la abrutissante qu’est la consommation.
consommation est l’un des seuls mon-
des dans lesquels le tunisien est libre
de choisir. Nous n’avons pas affaire à
un problème d’ordre culturel mais à un
excès qui n’est que la conséquence né-
cessaire de l’étouffement des autres
libertés.
Ce déchainement des tunisiens dans la
liberté de consommer s’exprime par
des achats divers. Cela va de l’écran
plasma acheté à crédit jusqu’au caddie-
La liberté de consommer est en effet
prétexte rempli à ras-bord pour justi-
cette soupape qui permet au cœur des
fier les flâneries du bon père de famil- tunisiens de ne pas exploser, et le régi-
le dans les hypermarchés où la cha- me de Ben Ali l’a très bien compris. Il
leur lui semble moins étouffante. Tan- favorise même cette surconsommation
dis que les rayons subjuguent le porte- en poussant les établissements de cré-
feuille du Tunisien ainsi que son dé- dit à accorder massivement des prêts à
couvert en banque, une autre forme de la consommation, encourageant par là
même le surendettement des ménages
consommation — plus « spirituelle »
tunisiens, mais assurant également la
cette fois-ci — mobilise sa conscience : paix sociale, car un citoyen repu et
le football. La panse pleine ne l’empê- endetté ne peut avoir la fibre révolu-
che pas tout à fait de penser, et c’est tionnaire...
les 7 émissions sportives par semaine
qui assurent cette mission salutaire Foued Semlali
qui consiste à occuper l’esprit obses-
sionnel du Tunisien tout en canalisant
son agressivité. Aussi, faut-il qu’il se
console de l’incendie qui vient de rava-
ger la brasserie Celtia de Bab Saâdoun
qui produisait l’un de ses assommoirs
préférés...
Ce constat étant fait, nous pouvons
nous interroger sur les causes de ce