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L’ART

Introduction
L’art est une activité humaine faisant appel à certaines facultés sensorielles et
esthétiques ; l’esthétique est ce qui se rapporte à la beauté. L’activité artistique est une des
1eres manifestations de la culture humaine. Aussi loin qu’on remonte dans le temps, on trouve
des témoignages du sens esthétique de l’humanité. Cependant l’art, du moins à ses débuts,
n’est pas toujours distinct du travail de l’artisan. Il suppose d’ailleurs étymologiquement l’idée
de mise en ordre et signifie l’habileté dans l’exercice des métiers manuels. Si l’art, tel que nous
le concevons, est la recherche de la beauté, le travail de l’artisan répond encore souvent à cette
définition. A cet égard, le propre de l’artiste et de l’artisan traditionnel, c’est de créer des objets
singuliers différents les uns des autres et doués d’une personnalité. On peut penser
que l’activité de l’artiste consiste à imiter la nature quand on songe à la longue tradition de la
peinture figurative notamment. Pourtant de nombreux arguments (la fonction éducative de
l’œuvre d’art, la présence esthétique de la laideur…) tendent à ruiner cette interprétation.
D’autant plus que, ainsi que le montre Blanchot, l’artiste ne sait pas ce que doit être l’art  : c’est
du développement de son œuvre même qu’il l’apprendra. Au lieu de s’en tenir à une antériorité
fallacieuse de l’art (comme traditions, recettes. Ecoles antérieures…), l’œuvre authentique est à
la recherche de ce qu’elle peut devenir : il n’y a pas de canons à respecter, la seule exigence est
celle d’une « passion sans bonheur ». On a parfois essayé d’expliquer la faculté créatrice de
l’artiste ou bien la nature du plaisir esthétique par des réalités étrangères à l’art lui-même. C’est
ainsi que Marx, fidele aux principes du matérialisme historique, prétend que la jouissance
artistique n’est jamais indépendante des circonstances du développement social. Mais alors
comment peut-elle échapper à l’usure du temps ? La psychanalyse de son coté, étudie les
mécanismes inconscients qui expliqueraient les productions supérieures de l’esprit. C’est ce
que fait Freud en se livrant par exemple au déchiffrement de l’œuvre de Leonard de Vinci pour
la rattacher aux événements de l’histoire individuelle de cet artiste. Mais Freud avoue lui-même
que, si l’analyse peut déceler les conditions d’apparition de l’œuvre, elle laisse dans l’ombre le
mystère du « don » artistique et l’essence de l’art. Cette essence semble étrangère à la
satisfaction pure et simple d’un désir : Hegel le répète après Kant. Entre l’œuvre et le
spectateur, c’est une liberté qui règne, et non le jeu d’intérêts immédiatement sensibles ou
matériels. Contrairement à des fruits réels, des Pommes de Cézanne ne peuvent combler aucun
appétit. Peut-on conclure d’un tel éloignement du sensible, que l’œuvre offre l’équivalent d’un
savoir ? Au-delà des informations qu’elle apporte sur des sociétés disparues, elle peut sans
doute révéler des systèmes de causalité non négligeables, même en ce qui concerne la société
contemporaine. En somme quand y a-t-il art ? Est-ce que l’art est une simple imitation du beau
naturel, un objet technique ou le fruit de la faculté créatrice de l’homme ? Finalement, quelle
est sa valeur ? Nous allons essayer de répondre en articulant notre étude autour de trois

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conceptions différentes de l’art : l’art comme imitation de la nature, l’art comme le fruit de la
subjectivité humaine et l’art comme l’expression de la pulsion créatrice de la nature.

L’art, comme imitation de la nature :


Dans la Grèce antique, l’art et la technique provenaient d’un seul mot : techné. A ce stade, pas
de différence entre le travail artistique et le travail artisanal. Les deux étaient considérés comme des
métiers qui s’effectuaient selon des règles bien déterminées, visant la production d’objets. Produire du
beau n’était pas essentiellement différent que fabriquer des chaises. Si, pour l’homme antique, l’art se
rapportait à la technique, c’est qu’il pensait que le beau est dans le monde et qu’il ne dépendait guère
des goûts individuels. L’univers se dit cosmos qui signifie harmonie et beauté. Le beau n’était pas
foncièrement différent du bien et du vrai. Le beau, étant dans la nature, l’artiste ne procédait qu’à
l’imitation de cette dernière. Dans La République, Platon conçoit l’art comme l’imitation de l’imitation.
Selon lui, le beau est dans le monde des Idées. Les belles choses qui existent dans le monde sensible, ne
sont telles que parce qu’elles participent au beau, c’est-a-dire qu’elles ne sont belles que grâce au beau
intelligible. Le monde des Idées est premier ; le monde sensible n’en est que le reflet. L’artiste, en
imitant la nature, imite l’imitation du beau. L’œuvre d’art n’est donc qu’une copie de la copie du beau
intelligible. Par conséquent, le statut de l’artiste chez Platon est ambigu : il le place au même rang que le
sophiste puisque tous les deux produisent de l’illusion. L’œuvre d’art est ainsi de piètre valeur, car
doublement éloignée de la vérité. Et l’artiste apparait comme un danger pour la réalisation de la
République parce qu’il est illusionniste, qui fait tenir pour vrai ce qui est faux et peut ainsi renverser
dans l’apparence qu’il construit l’ordre des valeurs.

Aristote pense la création artistique et la production artisanale comme des productions


poétique (du grec poesis) et non pratiques (du grec praxis, ex : la politique). Cela signifiant qu’elles n’ont
pas leur fin en elles-mêmes, à la différence de la praxis qui a sa fin en elle-même (telle l’action morale).
La production poétique est conçue en outre comme la réalisation d’une idée conçue préalablement.
Toutefois il s’inscrit dans la tradition platonicienne en présentant l’art comme une imitation, mais s’en
sépare sur le point suivant : l’artiste, selon Aristote est utile pour l’ordre de la cité. Pour lui, les hommes
aiment imiter pour deux raisons essentielles qui sont le plaisir et la connaissance. Le plaisir esthétique
fait ainsi sa première apparition dans l’histoire de la philosophie. Il est produit par l’émotion que
provoque l’œuvre d’art. Aristote développe l’idée selon laquelle nous pouvons prendre plaisir à voir une
représentation d’une chose répugnante. L’important n’étant pas l’objet de la représentation mais la
représentation elle-même. L’imitation selon lui, consiste à reproduire « la forme » de l’objet sur une
autre scène et dans une autre « matière », à la mimer dans le geste ou le récit, pour que la passion
puisse s’y épancher sans toucher l’ordre de la réalité. La représentation artistique permet donc la
catharsis c’est-a-dire l’épuration des passions mauvaises des hommes qui auraient pu menacer l’ordre
réel de la cite. Parallèlement, l’imitation de la réalité sensible nous permet de connaitre cette réalité  ;
c’est la raison pour laquelle nous commençons par regarder des livres d’images pour apprendre. En
conséquence, pour le plaisir et la connaissance, l’art selon Aristote est salutaire pour l’ordre de la cité ;
néanmoins, il demeure une imitation de la nature qui est ordre et harmonie.

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Cette conception dévalorisante de l’art demeure ainsi jusqu’au Moyen-âge où l’art remplissait
plusieurs fonctions (religieuses, politiques etc.) et la création n’était pas l’œuvre d’un individu mais
d’une collectivité. Il faut attendre le XVe siècle en Florence où l’art émerge comme une activité à part
entière qui se détache de l’imitation ; Leonard de Vinci définit l’art comme une « chose mentale » :
primat de l’idée et subordination de la matière.

L’art, fruit de la subjectivité humaine :


L’œuvre d’art s’émancipe pleinement à partir du XVIIe siècle ; le beau relève de l’exercice d’une
faculté que le XVIIe siècle nommera le goût. Ainsi nait l’esthétique. Au XIXe siècle on parlera de l’art au
singulier pour le distinguer de la diversité des arts particuliers. Ainsi, il perd sa fonction sociale ; l’œuvre
d’art se tient debout, toute seule, détachée de tout contexte. Elle met entre parenthèse la réalité
extérieure et se donne comme un monde qui ne renvoie qu’à lui-même. L’art s’inscrit alors dans une
vision du monde mais il continue à exercer un pouvoir sur nous à travers le temps.

S’interrogeant sur la nature du sentiment esthétique, Kant observe que pour la perception de
l’agréable, chacun reconnait que ce sentiment n’a de valeur que pour sa propre personne, et qu’il n’est
pas possible de contester le plaisir ressenti par l’autre : « quand je dis que le vin des Canaries est
agréable, je souffre volontiers qu’on me reprenne et qu’on me rappelle que je dois dire seulement qu’il
est agréable à moi » (Kant). Par cela, il en vient à penser que chacun a son goût particulier. Le cas de la
beauté serait pourtant différent, puisque si je juge qu’une chose comme belle : « j’attribue aux autres la
même satisfaction » et « je ne juge pas seulement pour moi, mais pour tout le monde, et je parle de la
beauté comme si c’était une qualité des choses ». Kant démontre ainsi que le beau n’est pas l’agréable.
Le jugement du beau ne s’effectue pas d’après un goût personnel : « on ne peut donc pas dire ici que
chacun a son goût particulier ». Qu’est-ce que le beau ? Tout simplement ce qui plait, c’est le point de
départ de Kant. Mais dans ce qui plait, l’accent n’est pas mis sur le plaisir, mais sur le jugement. Je
produis en moi une idée par rapport à laquelle je définis mon goût. Cette idée est esthétique et
symbolique. Elle ne dépend pas de l’objet concret mais de mon jugement autonome. Elle ne cherche ni
la jouissance, ni l’intérêt. La beauté n’a pas d’autre finalité que sa propre forme. Alors que l’agréable est
en rapport avec la jouissance et l’intérêt. Pour Kant, « l’art n’est pas la représentation d’une belle chose
mais la belle représentation d’une chose ». L’accent est mis sur la représentation et non l’objet. Le
jugement du beau ne dépend pas de l’objet (contrairement à l’agréable qui lui est en rapport avec
l’objet) mais de la forme.

Pour Hegel, l’art n’est pas une imitation de la nature ; parce qu’il est produit de l’esprit humain,
il est donc supérieur à la nature. Selon lui, l’Esprit (universel) prend conscience de lui sous trois formes  :
l’art, la religion, la philosophie. L’art a donc rapport à la vérité par l’intermédiaire de ce qui était pour
Platon le contraire de la vérité, l’apparence. La vérité n’est rien si elle n’apparait pas dans une forme
concrète. Par conséquent, l’art humain est supérieur à la nature. La beauté n’existe que pour l’homme.
De plus, le jugement esthétique est essentiellement un jugement qui laisse l’homme et les choses à leur
liberté. Etant donné qu’il n’a pas à faire directement au sensible mais à l’apparence du sensible, l’art ne
consomme pas, ne détruit pas mais laisse l’objet à sa liberté. En d’autres termes et toujours selon Hegel,
l’esthétique est définie comme philosophie de l’art et le but de l’art est d’exprimer la vérité.

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L’esthétique est la science du beau pour autant que le beau soit le beau artistique, c’est-a-dire le beau
produit par l’homme et pour l’homme. La fin de l’art est le dépassement du sensible vers la pensée pure
et libre. Ce dépassement s’effectue également dans la religion et la philosophie. Pour Hegel, la pire
production de l’homme sera toujours supérieure au plus beau des paysages, car l’œuvre d’art est le
moyen privilégiée par lequel l’esprit humain se réalise.

En conclusion, nous retenons des théories de Kant et de Hegel, que l’art n’est plus une imitation
de la nature. L’art est fait par l’homme et pour l’homme, le seul être capable d’émettre un jugement
esthétique ; l’art étant la manifestation de la verite dans une perspective historique. Or l’art se
caractérise par la singularité et la relativité des valeurs.

L’art comme l’expression de la pulsion créatrice de la nature :


Nietzsche inverse le rapport platonique qui fait de l’art un simple symbole du monde des Idées.
Il dit « l’art a plus de valeur que la vérité ». Il critique le principe même des valeurs et la perspective
historique dans l’appréhension de l’art. Nietzsche réfute la conception de l’art antique et celle de Kant
et de Hegel.

Il introduit dans l’esthétique deux principes auxquels il donne le nom de deux dieux grecs  :
Apollon et Dionysos. Ces deux principes sont les deux pulsions artistiques de la nature. Apollon est le
principe de la mesure, de la clarté, de l’individualité ; il se rapporte aux arts du langage, à la peinture et à
la sculpture. Dionysos est le principe de l’ivresse, de la fusion, de la transgression des limites, de la
réconciliation de l’homme avec la nature ; l’art dionysiaque est la musique (auquel on peut ajouter la
danse). Pour cela, l’art n’est plus seulement une activité de l’esprit (au sens de Hegel) qui s’incarne dans
les œuvres. La nature, dans la mesure où elle est création, naissance et mort, est elle-même artiste.
L’œuvre d’art n’est donc pas une imitation de la nature, non plus l’expression d’une subjectivité et d’une
émotion individuelles. L’artiste incarne les pulsions artistiques de la nature. Par conséquent, l’art se
trouve en toute chose par essence. Il faut noter que la pulsion dionysiaque est première car la nature
en son fond est contradiction et douleur car elle est puissance de création et de métamorphose, mais
seule la pulsion apollonienne donne son sens à la douleur. Par conséquent, l’artiste se délivre de son
moi individuel : l’artiste dionysiaque (le musicien) se fait le miroir de la volonté (de la nature) et l’artiste
apollinien devient un intermédiaire par lequel la volonté (de la nature) se délivre dans l’apparence.
Alors, l’art, comme un « magicien qui sauve et qui guérit », parvient à transformer ce dégoût pour
l’horreur et l’absurdité de la vie en images capables de rendre la vie possible. Juger qu’une œuvre est
belle, c’est dire oui à la vie car « l’art est le grand stimulant de la vie » ; ceci implique que le jugement de
beauté a son origine dans un sentiment de puissance, puissance qui stimule la vie. La beauté, loin d’être
une qualité vraie de la chose, est un mensonge utile (contrairement à Kant). De plus, Nietzsche souligne
l’origine sexuelle de l’art (cf. la sublimation freudienne) : la création artistique a, comme les pulsions
sexuelles, une même condition physiologique : l’ivresse. Quelle est la fonction de l’art selon Nietzsche ?
D’abord il embellit la vie en permettant à la fois une éducation morale et sociale et une dissimulation ou
une réinterprétation du réel.

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A la question de savoir quand y a-t-il art, la réponse se trouve dans l’intention qui vise l’objet. La
fin de l’objet technique lui est extérieure alors que l’œuvre d’art est un monde a part. Actuellement, les
innovations techniques bouleversent notre rapport a l’art : une œuvre d’art peut être reproduite a des
milliers d’exemplaires sur des affiches, des cartes postales etc. et deviennent des marchandises pour
l’industrie culturelle. Dans cette banalisation, l’œuvre d’art perd son unicité et son mystère.
Parallèlement, un objet technique peut être beau ; une œuvre d’art peut être un investissement
d’avenir comme en témoigne l’intérêt accru des banques à acquérir des chefs d’œuvres d’art. La valeur
de l’art devient ambiguë.

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